Effet NOCEBO : des mots et des maux, quand prédiction rime avec malédiction

EFFET NOCEBO : DES MOTS ET DES MAUX

QUAND PREDICTION RIME AVEC MALEDICTION

Par Annette Lexa

Docteur en toxicologie (Eurotox)

Expert toxicologue réglementaire-évaluateur de risque en santé-environnement

Une médecine qui néglige le lien entre le corps et l’esprit

La médecine moderne entretient l’idée qu’elle est une pratique rationnelle, objective, résultant d’une démarche scientifique, en progrès constant et dans laquelle la croyance n’entre pas en compte. Elle s’appuie de plus en plus sur des outils techniques de pointe, sur l’informatique, sur les statistiques... Elle repose sur le postulat réductionniste que l’activité thérapeutique est purement une activité pharmacologique moléculaire, ciblée sur la zone malade (en remplaçant, empêchant, régulant ou stimulant la synthèse ou la libération d’une molécule endogène). Le médicament ou l’acte thérapeutique est administré à un corps biologique censé être « inerte » et fait fi du corps vécu du malade, un peu comme on rajoute de l’huile dans un moteur ou qu’on resserre un boulon. Elle s’appuie sur la mesure de paramètres biologiques, sur des critères anatomo-pathologiques normés pour diagnostiquer ou évaluer l’efficacité d’un traitement. Et elle ne fait souvent que s’attaquer à un effet, une conséquence mais rarement à la cause première.

Ce système de pensée a permis de faire de grandes découvertes et d’obtenir des avancées majeures (douleur, infections, chirurgie…). Mais il nous a éloigné aussi du bon sens, du pragmatisme, de l’évidence. Notre longue tradition dualiste, héritée de Descartes, a séparé le corps et l’esprit et cette séparation entretient la confusion : les émotions, les pensées n’auraient aucune consistance, aucune réalité biologique (si ce n’est par la trace du passage d’un influx nerveux) et aucune influence sur le corps biologique. Cette conception du corps laisse entendre que l’ « esprit » serait une entité séparée du corps qui n’aurait aucun lien avec le corps. Ce qui est un des paradoxes du scientisme.

Pourtant, c’est la science elle-même qui a confirmé ce que nous savions de tout temps, à savoir que le corps et l’esprit sont intimement entremêlés, l’esprit influençant le corps et le corps influençant l’esprit dans un incessant aller-retour.

L’effet placebo véhicule l’espérance

La médecine a introduit l’effet placebo dans les essais cliniques visant à évaluer l’efficacité thérapeutique, mais elle continue largement à méconnaitre et sous-estimer cet effet pour des raisons éthiques, dogmatiques et économiques.

L’effet placebo, connu depuis longtemps déjà, a souvent été tourné en ridicule. Il reste insuffisamment étudié pour son potentiel thérapeutique. On sait juste qu’il agirait en influençant des mécanismes physiologiques de la défense de l’organisme (douleur, dépression, parkinson..), le cerveau secrétant des substances endogènes à leur tour capables d’influer les circuits de la douleur par exemple. Il peut aller jusqu’à provoquer la libération de dopamine chez des patient parkinsoniens chez qui il y a un déficit dopaminergique. Mais à ce jour le mécanisme initial (la croyance, l’émotion suscitée) qui a conduit à déclencher la voie biochimique conduisant in fine à la production de dopamine reste un mystère pour la science.

Et si l’effet placebo, dont l’origine est encore mal connue, est celui d’un objet qui véhicule de l’espérance, plus mystérieux encore est l’effet nocebo.

Quand prédiction rime avec malédiction

La définition de l’effet nocebo est ce qui cause la maladie par anticipation de la maladie dans un contexte émotionnel favorable. Le sujet attend un événement négatif bien défini via des messages sociaux, médiatiques, professionnels, populaires, etc., et cet évènement va survenir. Bien sûr, tout le monde n’est pas sensible à cet effet nocebo. Il va dépendre de l’état mental, du monde intérieur de la personne, de sa manière d‘être au monde, de ses croyances, de sa capacité d’auto-analyse, de l’époque et du contexte social dans lequel vit cette personne. Ainsi en est-il de la mort vaudou décrite par les premiers anthropologues, ou plus proche de nos sociétés, des hystéries collectives ou des catégorisations de pathologies (vous êtes pré-ménopausée, bipolaire, pré-hypertendue, votre enfant est dyslexique, il a un trouble de l’attention avec hyperactivité …)

L’effet nocebo repose sur 3 principaux mécanismes de l’esprit :

  • la suggestion : messages et attitudes négatives de la part des soignants, autosuggestion,
  • le conditionnement et la croyance,
  • la représentation symbolique : effet blouse blanche, représentations symboliques collectives,

Je crois, tu crois, nous croyons…

Nous avons oublié à quel point nous sommes des animaux symboliques. Des animaux parce que doués de capacité d’apprentissage réflexe, symboliques parce que nous avons besoin de représentations et de signes forts qui aient un sens.

Nous sommes capables d’autosuggestion et de suggestion (méthode Coué, hypnose…) , capables de manipulation mentale (le baquet de Mesmer et le magnétisme, la mort vaudou…) et nous négligeons à quel point la visite médicale, le blouse blanche et la pilule rouge ou bleue, les appareils d’imagerie ont remplacé ces curieux rituels qui nous semblent sortir d’une autre temps et nous paraissent ridicules. Nous avons oublié à quel point la réalité est construite par notre esprit et que nous avons tous besoin de croire et de nous convaincre.

Le philosophe américain Charles Sanders Peirce nous aide à comprendre comment s’imposent nos convictions, comme celle selon laquelle « plus un cancer est pris à temps, plus on a de chance d’en guérir » :

  • par la ténacité (la répétition) ce qui permet d’éviter de perdre du temps, quitte à s’obstiner dans la mauvaise foi,
  • par l’ a priori (c’est vraisemblable donc ça doit être vrai, même si ce n’est pas démontrable) cette méthode dispensant de tout effort ,
  • par l’usage de l’argument d’autorité (manipulation intellectuelle, chantage émotionnel, contrainte physique) qui permet d’organiser les foules en les déchargeant du doute et de la réflexion,
  • par la méthode scientifique, plus exigeante mais qui permet la critique de la méthode et des résultats.

La pièce « Le Docteur Knock ou le triomphe de la médecine » de Jules Romain est le parfait exemple de l’effet des convictions sur la santé. Il dénonce la manipulation d’une médecine devenue toute puissante au point de transformer tout bien portant en malade qui s’ignore. Or cette comédie datée est pourtant d’une totale modernité, puisqu’aujourd’hui nous assistons à la création de maladies et de pré-maladies à tout va (le « disease mongering ») et tout le monde y gagne… sauf l’individu bien-portant cerné de toute part (et encore étonné d’être en vie face à tant de maladies) et le vrai malade qu’une médecine débordée finit par ne plus pouvoir soigner correctement du fait d’une inflation de non-malades et de pré-malades encombrants les salles d’attentes.

La réponse au stress physiologique : un explication possible de l’effet nocebo

Face à une situation anxiogène, nous avons trois options : subir, fuir ou combattre. Si nous ne pouvons fuir, nous pouvons combattre. Si nous ne pouvons combattre, nous sommes condamnés à subir. Lors de situation de stress que nous ne pouvons éviter ni par la fuite ni par le combat (harcèlement moral par exemple), notre corps secrète des messagers chimiques, comme le cortisol, qui finissent par entraîner des pathologies : emballement du système immunitaire, infarctus, hypertension, troubles psychiques (perte de mémoire, fatigue, insomnies, anxiété, dépression), infections et cancers par effondrement du système immunitaire, suicide, mort.

Le rôle de la cholécystokinine (neuropeptide secrétée par le duodénum mais aussi le cerveau) est évoquée : il provoque une réaction de douleur chez une personne qui a peur (ainsi que de la nausée). La désactivation des système dopamine et opiacés endogènes sont aussi impliqués dans la douleur.

Un effet peu connu et largement sous estimé

Une recherche sur la base de données PubMed en 2011 a révélé que le mot-clé «nocebo » était indexé à 151 publications. En comparaison, plus de 150 000 étaient reliées au mot-clé « placebo » . 2200 études concernaient l’effet placebo alors que seulement 151 publications concernaient l’effet nocebo dont 20% étaient des études empiriques, le reste étant des lettres à l’éditeur, commentaires, éditoriaux et revues.

Le principal outil qui permet de vérifier l’efficacité d’une thérapie est l’essai clinique randomisé en double aveugle. Deux cohortes de patients choisis au hasard (appariés en fonction de l’âge ou autres critères), patient et médecin ignorant s’il s’agit de placebo ou de principe actif. On comprend facilement qu’il est éthiquement impossible à la médecine de nuire (primum non nocere) et que l’effet nocebo ne peut être étudié dans le cas d’essais cliniques randomisés.

Pourtant l’effet nocebo a été constaté lors du passage de médicament aux génériques. Et il a été étudié parce qu’il y avait des enjeux économiques. Le contenu des excipients change, l’aspect de la gélule et sa couleur changent, le gravage, la taille, le goût, la vitesse de dissolution sous la langue… Pourtant le principe actif reste inchangé. Et pourtant le taux de signalement d’effets indésirables explose.

Je me nuirai, tu me nuiras, nous nous nuirons…

Point n’est besoin d’aller chercher d’autre responsable que soi-même pour se nuire parfois :

  • Blessure narcissique, humiliation, rancœur, sentiment d’inutilité…
  • Loyauté familiale inconsciente
  • Syndrome d’anniversaire
  • Mort « programmée »
  • Habitude d’obéir, d’être assisté, manque d’audace, de courage…

La profession médicale porte sa part de responsabilité, inconsciemment bien souvent, ou par négligence, dans la portée de certaines paroles, silences, actes ou gestes :

  • Le diagnostic ou le pronostic (prophétie auto-réalisatrice) annoncé par le médecin (aggravé par l’obsession du droit de savoir inscrite dans la loi)
  • L’affection nommée, cataloguée,
  • La suggestion verbale brutale et maladroite d’un soignant («  Si vous ne suivez pas mon traitement, à Noël, vous êtes mort » ),
  • La lecture des résumés des ‘caractéristiques produits’ fournis aux patients (les effets indésirables),
  • Le décodage sauvage des conflits par des thérapeutes inexpérimentés générateurs d’effets pervers et iatrogène (théorie du Docteur Hamer, dite « Médecine Nouvelle Germanique ») ,
  • Les pratiques routinières, les interactions relationnelles nocives entre patients et soignants en établissement hospitalier (le manque d’interaction sensorielle, émotionnelle, la pensée négative).

Enfin, au niveau collectif, l’effet nocebo est bien connu :

  • Mort vaudou, hystéries collectives
  • Institutions hospitalières : déni de la souffrance, hyperactivité pour éviter la relation patient, clivage corps/esprit, recherche de sécurité excessive, routine, maternage, régression…
  • Le risque d’un effet nocebo auprès des bien-portants ( les malades qui « s’ignorent » ) et de leurs descendants, risque lié à la médecine prédictive personnalisée, au « disease mongering » (création de maladies), à l’obsession vaccinale, à l’obsession de la normalité, au dépistage du cancer, de la maladie d’Alzheimer incurable , etc.

Effet nocebo et dépistage du cancer du sein

Le dépistage systématique du cancer du sein, massivement réalisé sur un très grand nombre de femmes dans les pays occidentaux, dont l’immense majorité ne décédera jamais de cancer du sein, place le corps médical et la collectivité face à un dilemme éthique : à trop vouloir « bien faire », « sauver des vies », n’est–on pas en train de faire l’inverse ?

Le tabou qui entoure la peur panique d’une société dé-spiritualisée qui n’a plus rien à offrir d’autre que la surmédicalisation pour calmer les angoisses existentielles, doit-il continuer à prendre en otage des catégories normées de populations (comme les femmes de 50 à 74 ans par exemple) ? Les critères économiques doivent-ils conduire le corps médical à trahir un de ses principaux préceptes, primum non nocere ?

Comment faire un dépistage réellement ciblé, efficace, tout en évitant d‘induire un effet nocebo à long terme sur les femmes bien-portantes amenées possiblement à être surdiagnostiquées et surtraitées (30% de surdiagnostic, voire 50% dans le cas des cancers canalaires in situ) et sur leur descendance ? Voilà la question que devraient se poser les professionnels du système de santé aujourd’hui.

Car l’impact du dépistage précoce du cancer du sein sur la qualité de vie globale des femmes concernées (leur bien-être) est sous-estimé, nié et d’ailleurs pas du tout étudié lors de balances bénéfices risques. Et pourtant…

  • Stress chronique de la « terreur du cancer » entretenu par le corps médical relayé par les media,
  • Examens douloureux, anxiogènes, attentes angoissantes des examens et des résultats tous les 2 ans, erreurs de diagnostic et escalade diagnostique,
  • Impacts physiques et psychique des ablations « préventives » de seins, de séances de radiothérapie et de chimiothérapies pratiquées en excès,
  • Complications d’interventions chirurgicales et de diagnostics invasifs, maladies nosocomiales,
  • Cancers secondaires radio-induits par les expositions répétées aux rayonnements ionisants des mammographies et de la radiothérapie,
  • Effet nocebo transgénérationnel sur les filles et petites-filles de femmes ayant eu un cancer du sein dans leur famille.

Tous ces conséquences ne sont pas prises en compte dans ce que devrait être une évaluation bénéfice-risque globale en terme, non seulement de réduction de la mortalité, mais en terme de qualité de vie.

Qui fait l’ange fait la bête

Le bien-être (physique et psychique) est au centre de toutes les préoccupations. La moindre cellule psychologique est installée en cas d’évènements plus ou moins traumatisants. Sauf apparemment quand il s’agit d’enrôler des populations féminines entières, sans ménagement ni précautions particulières, dans le dépistage organisé du cancer du sein. Cet examen répété est générateur de mal-être chronique pour un certain nombre de femmes, mal-être dénié, sous-estimé par le corps social et médical, qui tente pourtant de le « dédramatiser », le banaliser alors qu’il porte en lui-même des conséquences individuelles et intimes possiblement dévastatrices. C’est un peu comme si la société acceptait ce prix à payer, ces sacrifices au nom du progrès médical.

Nous vivons dans une société anxiogène, créatrice de pathologies et dépensant une énergie folle à réparer les maladies et les pollutions qu’elle a elle-même créées (maladies dites de civilisation parmi lesquelles diabète, maladies cardiovasculaires, maladies auto-immunes, cancers …) et alors que nos connaissances fondamentales sur le développement (et la régression) des cancers par un organisme sont toujours au point mort.

Les mots sont un outil puissant dont dispose la médecine moderne. Mais les mots sont des armes à double tranchant qui peuvent guérir mais ils peuvent aussi tuer. Et le personnel médical n’est ni préparé ni encouragé à utiliser ce formidable outil thérapeutique.

La médecine, dans son obsession gestionnaire et judiciaire (loi Kouchner) est entrée dans un cercle vicieux agressif, régressif, générant de l’angoisse et de la peur en créant des pathologies par excès d’interventionnisme. Pourtant, elle pourrait retrouver le chemin du bon sens et du pragmatisme, et ceci dans l’intérêt des vrais malades qui devraient pouvoir bénéficier de toutes les attentions.

Pour cela, elle pourrait :

  • Traiter à la fois la pathologie et le corps ‘vécu’ du patient
  • Retrouver une place pour le sens symbolique, la parole qui guérit et les représentations de la maladie vécue dans les pratiques de soins
  • Veiller à l’efficacité symbolique tout au long du parcours de diagnostic et de soins
  • Retrouver les bienfaits du mensonge (le droit de ne pas savoir)
  • Eviter de créer des maladies par obsession de la norme
  • Pratiquer avec discernement la médecine prédictive qui repose sur le déterminisme génétique, sous-estimant la part de l’épigénétique, de l’environnement et du hasard dans le développement d’une pathologie
  • Etre avant tout pragmatique, retrouver le bon sens (est vrai ce qui réussit)

Enfin, les femmes, trop dociles et soumises au corps médical, devraient veiller à renouer avec leur intelligence et leur intuition et ne pas se précipiter dans l’engrenage des dépistages, ne pas s’y soumettre sans avoir auparavant pesé sereinement les avantages et les inconvénients personnels, intimes, que cela représente pour elles-mêmes.

Enfin, médecine et société devraient s’interroger autrement que par la réponse technoscientifique sur le sens de la vie et de la mort : reconnaître la place de la médecine qui ne fait pas d’elle le Maître absolu de la vie et la mort des individus, retrouver du sens ailleurs pour ne pas attendre et demander à la médecine plus qu’elle ne peut donner.

Au delà de la captation du sujet par les « experts » , les limites du dépistage nous ouvrent à tous des pistes de réflexions passionnantes sur nos peurs, nos fragilités, nos limites, nos faiblesses, nos libertés. Sur le sens de notre vie et de notre mort. Un beau challenge en réalité.

Bibliographie

Nocebo, la toxicité symbolique, ouvrage collectif, Collection Thériaka, remèdes et rationnalités, Jacques André Editeur, 2010, 231p.

Thierry Janssen, La maladie a-t-elle un sens, Ed Fayard, 2008, 351p.

Disease mongering ou stratégie de knock

http://docteurdu16.blogspot.fr/2009/02/disease-mongering-ou-la-strategie-de.html

The patient paradox. Why sexed-up medicine is bad for your health. Margaret McCartney.

http://docteurdu16.blogspot.fr/2015/12/the-patient-paradox-why-sexed-up.html

Raul de la Fuente-Fernandez et al. , Expectation and Dopamine Release: Mechanism of the Placebo Effect in Parkinson’s Disease, Science 10 August 2001 ,Vol. 293 no. 5532 pp. 1164-1166

Winfried Häuser et al, Nocebo Phenomena in Medicine, Their Relevance in Everyday Clinical Practice, Dtsch Arztebl Int. Jun 2012; 109(26): 459–46

Annette Lexa, Le dépistage du cancer du sein, dernier avatar de la misogynie médicale

http://cancer-rose.fr/qui-fait-quoi/le-depistage-du-cancer-du-sein-dernier-avatar-de-la-misogynie-medicale/

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