Participation au dépistage du cancer du sein chez les femmes de 50 à 74 ans en France : Situation actuelle et perspectives d’évolution

Compte rendu de lecture

Annette LEXA, Docteur en Toxicologie (EUROTOX)

a.lexa@rcma-expert.eu

RECOMMANDATION de la Haute Autorité de SANTÉ PUBLIQUE

(Novembre 2011) : La participation au dépistage du cancer du sein chez les femmes de 50 à 74 ans en France : Situation actuelle et perspectives d’évolution

Ce document publié par la Haute Autorité de Santé et dont les signataires sont Isabelle HIRTZLIN et Stéphane BARRE (assistés d’un groupe de travail de 22 médecins et professeurs pour la plupart, mais aussi une représentante d’ EUROPADONNA …), reconnaît les éléments de la controverse autour de l’intérêt du dépistage mais ferme le ban en affirmant que la controverse n’était pas tranchée au moment de la présente saisine dont l’objectif « n’est pas de remettre en cause l’intérêt du dépistage mais de d’évaluer l’opportunité de conserver ou supprimer la coexistence du Dépistage organisé (DO) et du dépistage individuel (DI) par les femmes pour les femmes de plus de 50 ans ».

Les auteurs ajoutent « Toutefois si cette controverse était largement diffusée dans la presse médicale, elle pourrait induire chez les professionnels et/ou les femmes un manque de confiance dans le dispositif en place, les amenant à se détourner du DO ». On entre de suite dans l’ambiance...

L’évaluation a consisté à faire une analyse de la situation actuelle et de ses perspectives d’évolution comme l’étude des freins à la non participation du DO.

Et c’est la que çà se complique :

1/ Nous apprenons au détour du rapport que les médecins sont vivement encouragés à recruter les patientes, qu’ils doivent développer une information positive sur le dépistage, afin de lever les éventuelles réticences de ses patientes, qu’ils s’engagent dans des objectifs chiffrés (idéalement 80% de patientes) et qu’il leur est versé une rémunération proportionnelle à la réalisation de leurs objectifs (par le dispositif CAPI)

2/ Le rapport affirme qu’il n’est pas possible de conclure quant à l’impact du dépistage organisé en France :

- sur l’incidence du cancer du sein du fait de la coïncidence avec l’arrêt de l’utilisation massive du Traitement Hormonal Substitutif et du vieillissement de la population

- sur la mortalité par cancer du sein (indicateur final de l’efficacité du dépistage, rappelons le …) compte tenu du faible recul en termes d’années (généralisation du dépistage en 2004), mais également en raison de la coexistence en France du dépistage organisé et du dépistage individuel, et de l’absence de recueil systématique de données pour ce dernier.

L’étude de l’InVS de 2010 a par ailleurs montré que la mesure de l’impact du dépistage organisé sur la mortalité pose des difficultés méthodologiques en raison de l’impact des traitements sur la survie et de l’existence de sur-diagnostics.

(Pas un mot sur le risque lié à une sur-irradiation due aux examens radiologiques)

2/ Il est rappelé quand même que « les médecins généralistes sont également tenus de délivrer une information loyale sur les risques associés à ce dépistage » et que « les informations délivrées (sur les bénéfices et risques) doivent être comprises des femmes afin qu’elles puissent confronter les avantages et les inconvénients liées à la décision de dépistage à leur propre système de valeurs ». (4 lignes en tout sur un rapport de 210 pages)

C’est que le rapport se doit tout de même de faire croire qu’il s’inscrit dans le paradigme de l’Evidence Based Médicine qu’il évoque car il est «utilisée par les gestionnaires, les cliniciens, et ce, pour des objectifs aussi divers que le renouvellement de la pédagogie médicale, l'aide au jugement clinique ou encore comme justification de programmes de rationalisation des ressources financières et matérielles dans l'organisation des soins».

Pour information, l’Evidence Based Médicine s’appuie sur les 3 piliers suivants :

-l’expertise du clinicien

- l’accès et l’évaluation critique des meilleurs données disponibles

- le respect des droits, valeurs et préférences du patient (ce dernier item ayant été très largement oublié en France, et plus particulièrement dans la course au DOCS) .

3/ le problème pour les auteurs du rapport est surtout les refus de certaines femmes à participer du DO. Pour cela, le rapport distingue 2 catégories de femmes  rétives au DO : les femmes « vulnérables » (en gros les abruties des campagnes) et les femmes de villes qui utilisent le DI (en gros les classes socio-professionnelles élevées) qui pensent que le DO, c’est fait pour les pauvres.

Nos experts - qui envisagent tous les scenarii possibles, certains relevant d’un état Stalinien comme celui de l’interdiction du DI ou l’application du protocole du DO au DI - ont calculé qu’un basculement de 100 % des DI vers le DO se traduirait par « un gain de 283 cas de cancers supplémentaire grâce à la 2ème lecture ». Chouette comme objectif, non ?

Mais le meilleur reste à venir  et nous entrons dans le cœur du sujet : comment recruter un maximum de femmes dans le DO et idéalement atteindre les objectifs de 80 % de recrutement (au passage, on appréciera la sémantique militaire)

Pour cela, plusieurs pistes sont étudiées :

Le 1er axe (rapidement évacué pour passer aux choses sérieuses par la suite) propose de permettre une décision libre et éclairée des femmes vis-à-vis du dépistage du cancer du sein. Ainsi les auteurs écrivent que « Le niveau de connaissance et d’information des femmes sur le dépistage du cancer du sein après 50 ans doit être complété afin de permettre une prise de décision libre et éclairée. » . « Les informations délivrées (sur les bénéfices et risques) doivent être comprises des femmes afin qu’elles puissent confronter les avantages et les inconvénients liées à la décision de dépistage à leur propre système de valeurs. »

Jusque là, pas de problème, on est pour .

« Afin de permettre des choix éclairés, il est nécessaire de développer une information adaptée afin de favoriser, son appropriation par les femmes ainsi que par les professionnels de santé (i.e. sensibilisation et incitation directes ou indirectes)."

Et là, patatra, ma rigueur scientifique est mise à mal . Les dés sont pipés car pour nos experts « donner de l’information » = « sensibiliser et inciter au DO ».

 

Le 2ème axe propose de « Maintenir le cap du dépistage organisé et renforcer le dispositif »

(quand on a lu le rapport et qu’on a compris que personne ne savait si le DO était efficace ou non, qu’on ne connaissait pas les résultats de la controverse et qu’il fallait « fournir une information adaptée aux femmes afin qu’elles puissent prendre une décision libre et éclairée », on reste sans voix )

L’axe 2 décrit toute une série d’actions de communication et d’information, mais « qui se révèlent insuffisantes lorsqu’il s’agit de modifier les comportements et les représentations » (dans le but de respecter le choix libre et éclairé et respecter le système de valeurs et préférences des femmes ?..j’ai du mal à suivre..).

De ce point de vue, des actions de promotion et d’éducation (par des « actions communautaires ») à la santé sont également nécessaires. Il est recommandé de dédramatiser le dépistage en le faisant sortir de l’univers de la maladie, du registre de l’inquiétude et en favorisant les messages positifs de valorisation de soi (pour convaincre les femmes des campagnes qui, c’est bien connu - on appréciera la finesse d’analyse sociologique et psychologique de nos 2 experts - ne vont pas au DO car elles ont une image dégradée de leur corps) .

Pour les femmes pratiquant le DI, il faudrait «  favoriser les messages permettant de rompre avec l’image sociale du DO en insistant sur son niveau de qualité supérieur ( la 2e lecture.. vous savez celle qu’on refait quand on a eu une 1ere lecture négative , parce que une 2e lecture en cas de 1ere lecture positive , çà fait pas partie du protocole).

Enfin, il faut emporter l’adhésion des professionnels de santé vis-à-vis du dépistage organisé, et clarifier les rôles des acteurs institutionnels ou associatifs du programme .Il ressort clairement de ce rapport que c’est la Haute Autorité de Santé qui a encouragé les actions de promotion des mouvements associatifs.

Enfin, vient le 3ème axe , digne d’une tract stalinien: Limiter le dépistage individuel (nos experts en économie de la santé auraient sans doute préféré l’interdire , car cela aurait permis de gagner 283 cancers en plus, rappelez vous, plus haut)

Mais, rassurez vous braves gens, l’Etat veille sur vous : on trouvera 2 lignes sur les 210 pages du rapport pour rappeler quand même que « Il est, de plus, rappelé la nécessité d’évaluer l’impact du programme en termes de réduction de la morbi-mortalité du cancer du sein en France ainsi que son efficience. »

Pour ce faire la HAS propose de s’interroger sur une possibilité de se documenter sur la question de la réduction de la mortalité par cancer du sein atrribuable au dépistage en France. (non, je ne plaisante pas du tout : on aurait pas pu commencer par là ? En gros, personne ne sait si c’est efficace pour réduire la mortalité - ce qui est toute même l’objectif intitial - mais il faut ENROLER les femmes)

A la fin du rapport, totalement irresponsable dans son processus incitatif à atteindre des objectifs ne reposant sur aucun socle de connaissance scientifique pertinent, réduisant le DO à un recrutement digne du service militaire, nos experts écrivent qu’ « il faudrait aussi améliorer les connaissances sur la balance bénéfice risque » (on appréciera au passage l’utilisation du conditionnel)

Trois ans et demi plus tard....

Nous sommes en Juillet 2015, la HAS peut se targuer d’avoir sans doute augmenté son recrutement de 10 % environ, donc d’avoir obtenu un gain de 25 % de petits cancers supplémentaires et de 7% de plus grands cancers et par voie de conséquences, aucune diminution des chirurgie invasives (mastestomies) censées diminuer, comme vient de le montrer Harding et coll.(2015). Et c’est sans compter sur l’incidence du surtraitement qui n’est absolument pas connue à ce jour (cancers radio-induits par mammographie, cancers radio-induits du fait des surtraitements radiothérapiques…).

Car, nous l’aurons compris en lisant ce rapport, l’objectif n’était pas de diminuer la mortalité par cancer du sein mais d’augmenter le nombre de diagnostics de cancers. 

 

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