Un témoignage à Cancer Rose

Cancer Rose vous offre une tribune citoyenne. Vous aussi, vous pouvez témoigner.

par Dr Marc Gourmelon, 30 novembre 2017

 

 

 

Nous avons reçu sur notre site un témoignage qui nous a paru indispensable de partager  .

L’histoire vécue d’une patiente montre combien le comportement et l’action des médecins n’est jamais sans conséquence pour son patient  .

Ce que dit ce témoignage n’est jamais évoqué car « les médecins agissent pour le bien des patients ».

Mais se rendent-ils compte que ce qu’ils font, disent dans le secret de leur cabinet, peut avoir des conséquences dramatiques pour la vie de ceux qu’ils reçoivent ?

Cette partie de l’intime n’est jamais exprimée, c’est la raison pour laquelle ce récit est particulièrement précieux et nous a semblé important de le publier avec l’accord de l’intéressée.

 

 

Témoignage

 

De Martine B : Remerciements et témoignage *
Bonjour,

Je vous écris après avoir découvert votre association dans un article du magazine Paris Match, que je feuilletais dans la salle d’attente de mon gynécologue. Quel heureux hasard.

Je vous écris car j’aimerais vous apporter un témoignage de la façon dont une femme sous surveillance systématique pour un risque de cancer du sein depuis 20 ans vit cette situation. Mon témoignage ne vaut que pour ce qu’il est, c’est à dire mon expérience personnelle et je n’ai bien entendu pas la prétention d’être un exemple de ce que vivent les autres femmes dans ma situation, mais je pense que nous sommes nombreuses à en souffrir. Peut être apportera -t-il de l'eau à votre moulin.

Le jour ou j’ai lu cet article, j’avais rendez-vous avec un nouveau spécialiste dans la ville ou je viens d’emménager. Je lui ai fait, comme il se doit pour une première visite un résumé de mon historique familial et comme d’habitude depuis les 20 dernières années de ma vie, il m’a prescrit un bilan sénologique complet, pour, m’a t-il dit « servir de référence ». J’ai un peu protesté, il a insisté.

Je viens d’avoir 46 ans. Ma mère est morte à 60 ans d’un cancer du sein métastasé, qui avait débuté 10 ans plus tôt. Je dois préciser ici que ma mère n’était pas porteuse des gènes BRCA1 BRCA2, que ma grand mère maternelle est morte à 98 ans, après sa fille, d’un AVC, tout comme sa mère avant elle, morte à 92 ans.

Quand j’ai atteint l’âge de 27 ans, ma gynécologue, qui était aussi celle de ma mère, alors en pleine rechute de son cancer, a décidé de me mettre sous surveillance en faisant pratiquer de façon annuelle un bilan senologique. Je me suis pliée à cet exercice les deux premières années, puis, devant les doutes sur le bien fondé de cette démarche émis par les médecins qui pratiquaient les examens, j’ai demandé à ce que l’on mette plus de distance. 18 mois fût le délai que ma spécialiste jugea raisonnable. 24 mois furent en réalité les délais que j’appliquais de moi même.

A aucun moment à cette époque je n’ai pensé remettre en question le jugement de ma spécialiste. C’est un cancérologue qui traitait ma mère, alors en fin de vie qui m’a interpellée à ce sujet. Il m’a parlé du score d’Eisinger et m’a expliqué que selon toute vraisemblance j’avais un score équivalent à toutes les femmes de mon âge, 34 ans et pas de risque accru, si ce n’est par la pratique de ces irradiations que mon médecin me faisait pratiquer depuis 7 années déjà. Ce fût un choc. Ma mère mourut peu après et je tombais enceinte pour la première fois, ce qui mit un peu de distance entre le dépistage et moi, mais je gardais en mémoire ses paroles en me promettant d’en parler avec ma spécialiste quand l’heure serait venue.

Ce fût fait trois ans plus tard. Elle entendit ma demande, mais au lieu de me rassurer et de confirmer les dires du cancérologue, me proposa de limiter l’irradiation en faisant réaliser des   . Choquée, déstabilisée après 15 ans passés à être suivie par elle, je décidais de changer de spécialiste. J’en choisis une hautement recommandée par les collègues sages-femmes de ma mère. Mais là encore, après explication de mon « historique familial » je m’entendis dire « On connaît ces deux gènes, mais il y en peut être d’autres. Vous ne pouvez être certaine de rien. Il faut continuer à pratiquer un bilan tous les deux ans. »

Alors me voilà, à 46 ans, deux enfants et 9 mammographies parfaites au compteur, avec un nouveau spécialiste qui me propose de continuer cette cavalcade, comme si de rien n’était. 20 ans que tous les deux ans, la boule au ventre je prends rendez-vous et je me plie à ce que l’on attend de moi. 20 ans que finalement, je vis comme si j’étais une malade en sursis. 20 ans que je pratique des auto-palpations quasi quotidiennes et que je ressens des douleurs et symptômes de somatisation, dont je n’ose parler qu’à ma psy et à mon mari qui soufre avec moi du poids que cette peur tenace, qu’on a lentement instillée en moi.

J’ai vécu mes grossesses dans la terreur de la maladie, j’ai allaité mes enfants 18 mois chacun, plus dans un but prophylactique, pour mettre toutes mes chances de mon côté, que par plaisir. J’ai accompagné ma mère dans toutes ses épreuves et ce depuis mes 17 ans. J’ai vécu cette maladie avec elle. Cette simple expérience était en soi déjà suffisamment traumatisante, mais les médecins, dont la parole a forcément un poids énorme, ont réussi à faire de moi une malade imaginaire et, comme je l’ai découvert ont aussi vraisemblablement augmenté mes risques véritables de tomber malade un jour, en me permettant de m’irradier inutilement.

Alors aujourd’hui après avoir découvert votre site, et lu beaucoup d’articles sur le sujet, j’ai décidé que cela devait s’arrêter, que je devais reprendre en mains ma santé et que je n’irai plus faire de mammographies.
Cela sera difficile, car avec la peur, on m’a aussi inoculé un sentiment de culpabilité. La mauvaise mère, la mauvaise épouse, qui ne se ferait pas diagnostiquer assez tôt et qui risquerait sa vie…. mais en fait en prenant cette décision, j’ai l’impression de sauver ma peau. Ce n’est pas MA peur, c’est la leur. Celle de passer à côté de quelque chose, de perdre encore une patiente.

Un immense merci donc pour votre démarche, qui a donné du poids à ce que je ressentais confusément depuis si longtemps. Continuez d’informer les femmes! Et pour apporter ma modeste contribution, j’ai décidé de souscrire à votre association.

Bien à vous,

 

 

De nos pratiques médicales

 

Ce témoignage met en lumière les idées fausses et déviances de nos pratiques médicales :

 

  • Faire passer une femme comme à risque en raison d’un seul antécédent familial de cancer du sein ( aïeules décédées à des âges avancés) ; et à l’encontre de l’avis d’un spécialiste cancérologue.

 

  • La conviction de nombres de médecins que la surveillance par mammographie est le « gold standard » du travail de prévention d’un cancer du sein. La proposition de remplacer la mammographie par un IRM qui ne délivre pas de rayons X ne change rien au comportement médical.

 

  • La non information éclairée sur le dépistage du cancer du sein par mammographie, la croyance exagérée dans les bénéfices du programme de dépistage porté par les autorités, les médias, la majorités des médecins ; tout cela a des conséquences réelles sur la vie quotidienne des femmes comme le relate cette patiente.

 

Les conséquences sur la vie des femmes sont systématiquement niées par ceux qui portent cette promotion affirmant sans vergogne que le dépistage du cancer du sein par mammographie, qu’il soit organisé ou individualisé comme ici est sans conséquence aucune.

 

Ce témoignage souligne que trouver des informations fiables et indépendantes est très difficile.

Il a fallu le hasard de la lecture d’un rare article qui porte notre combat pour l’information éclairée de toutes les femmes sur le sujet pour que cette femme trouve enfin l’information qu’elle pressentait au fond d’elle-même.

Combien de patientes passent à côté de cette information encore insuffisamment reprise, alors que bon nombre d'expositions médiatiques ne rapportent que le dogme de la mammographie de dépistage qui sauverait des vies ?

De plus cette information biaisée est souvent culpabilisante.

Enfin, cette contribution montre à quel point le « primum non nocere » ( d’abord ne pas nuire) enseigné il y a plus de 2500 ans par HIPPOCRATE est complètement oublié aujourd’hui par nombre de médecins convaincus de bien faire.

 

Mais chacun sait que « l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions ».

 

 

* : le prénom et l’initiale du nom ont été modifiés pour respecter l’anonymat.

 

 

 

 

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