Halsted avait tort

9 sept 2019

La mastectomie radicale de Halsted et le dépistage de masse organisé du cancer du sein : deux fausses bonnes idées à l'origine de l'échec du dépistage et du surdiagnostic qui en a découlé. Dr Marc Gourmelon nous explique.

 

Halsted avait tort

 

Ce titre est sans doute énigmatique pour la majorité de ceux qui vont le lire.

Affirmer que Halsted avait tort, est malgré tout une affirmation absolument capitale.

L’encyclopédie en ligne Wikipédia [1] présente Halsted de la façon suivante :

« William Stewart HALSTED est un chirurgien américain, né en 1852 et mort en 1922, surtout connu comme l'un des pionniers de l’asepsie et de l'anesthésie chirurgicales et pour avoir mis au point plusieurs procédés opératoires, parmi lesquels la mastectomie radicale appliquée au cancer du sein. »

C’est donc un très grand chirurgien de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème. Un « monstre sacré » de la médecine actuelle.

Cette notice reprend une des « légendes » du personnage, le fait qu’il aurait mis au point la mastectomie radicale appliquée au cancer du sein.

En fait, il ne l’a pas mise au point, cette technique existait depuis longtemps.

C’est même un chirurgien français [2] qui a mis au point la mastectomie  (ablation du sein) radicale, en suivant ce qui existait déjà depuis plusieurs siècles et cela dès 1773, et non Halsted.

Mais Halsted publia en 1894 [3] une étude après 50 interventions de femmes atteintes de cancer du sein, dans laquelle il affirmait que contrairement à ce qui se passait jusqu’alors, une grande majorité des femmes qu’il avait opérées avaient survécu, et avaient donc été guéries de leur cancer du sein, mortel jusqu’alors.

Cette étude publiée dans une grande revue médicale de l’époque, est à l’origine de la renommée de Halsted dans le traitement curatif chirurgical du cancer du sein.

Cette « victoire » de Halsted sur le cancer du sein par la mastectomie totale élargie, est à l’origine de la théorie du « plus on traite tôt la tumeur cancéreuse du sein, plus on guérit la femme malade ».

Aujourd’hui, cette chirurgie très mutilante n’est quasiment plus pratiquée mais la théorie du développement linaire du cancer du sein dont elle découle, est toujours d’actualité avec le dépistage  par mammographie institué en France depuis plus de 20 ans, et que les manifestions d’Octobre Rose tentent de populariser. Or cette théorie du développement linéaire du cancer du sein est fausse. Et c’est en y croyant  qu'Halsted s’est trompé.

 

Le leurre du dépistage précoce

 

Le livre récent de Bernard DUPERRAY[4] « Dépistage du cancer du sein, la grande illusion » explique en détail avec une bibliographie forte de plus de 150 références, pourquoi « dépister pour mieux guérir est une leurre », « pourquoi le dépistage peut faire plus de mal que de bien et pourquoi il faut changer notre regard sur la maladie ».

Croire que le développement du cancer du sein est linéaire, et que donc plus on traite tôt plus on guérit, c’est le message qui est partout véhiculé.

Par les autorités sanitaires :

« Plusieurs actions peuvent être mises en place afin de favoriser une détection précoce du cancer du sein. L'intérêt est de pouvoir soigner ce cancer plus facilement et de limiter les séquelles liées à certains traitements. »[5]

Par les sites grand public :

« Cancer du sein : les chances de guérison sont meilleures avec le traitement précoce » [6]

Par la ligue nationale contre le cancer :

« Les dépistages permettent également de détecter les cancers tôt et donc de mieux de soigner. Le dépistage organisé incite l’ensemble des personnes concernées à se faire dépistage, mais un dépistage personnalisé peut être proposé aux personnes qui présentent des facteurs de risque particulières ou des antécédents personnels et/ou familiaux.

Les dépistages organisés sont les suivants :

  • le dépistage du cancer du sein : les femmes de 50 à 74 ans sont invitées, tous les deux ans, à se faire dépister (mammographie et examen clinique) »[7]

« Le cancer, plus il est diagnostiqué tôt, plus il a de chance d'être guéri. »[8]

......

Il semble bien que cette affirmation : « plus c’est détecté tôt, plus on en guérit » soit un fait partout reconnu, au point d’être devenu une vérité non contestable.

 

Et pourtant, la théorie initiée par Halsted est FAUSSE.

 

Chacun sait que des idées simplistes et intuitives deviennent souvent des vérités.

Nous sommes ici devant une affirmation trompeuse qui a toute les apparences de la vérité et ce d’autant plus qu’elle prend la forme du bon sens.

Chacun sait à présent qu’il existe une contestation de l’intérêt du dépistage du cancer du sein par mammographie. Les médias nationaux s’en sont fait l’écho [9] [10] [11]

Le président de l’INCa, le Pr IFRAH, n’hésite même pas à traiter ceux qui s’interrogent sur la pertinence du dépistage du cancer du sein, d’irresponsables. [12]

C’est dire la violence qui peut parfois apparaître dans ce débat.

Pour beaucoup, il est difficile de se retrouver dans la bataille de chiffres qui sont mis en avant par les défenseurs du dépistage et ceux qui contestent son intérêt.

Cette bataille de chiffres est secondaire mais elle ne permet pas de voir clairement qu’une théorie au départ intuitive n’est pas confirmée par les faits. « plus on traite tôt, plus on sauve des vies »  est une affirmation fallacieuse.

Le Dr Bernard Duperray dans son ouvrage (réf 4) ne fait pas l’économie des chiffres et études qui montrent combien le dépistage du cancer du sein par mammographie est inutile voire délétère.

Mais il apporte un argument capital à cette démonstration :

La théorie sur laquelle le dépistage organisé du cancer du sein a été institué est fausse.

Il est donc tout à fait logique que le dépistage ne sauve aucune vie.

Construire le dépistage sur une théorie erronée ne pouvait conduire qu’à son échec.

 

 

Les preuves sont là, mais refusées par les autorités sanitaires françaises et de nombreux médecins.

1) La survie et la guérison des patientes de l’étude de Halsted de 1894 (réf3) ne sont pas réelles. Cela a été démontré dans des publications dès 1903 [13] mais également par la suite [14] [15] [16]

Mais que peuvent ces publications contre une étude « triomphante » ?

NDLR, extrait livre Bernard Duperray : "Lorsqu’on examine en détails les travaux de Halsted et en particulier les interventions pratiquées jusqu’en mai 1892, pour lesquelles le recul était d’au moins deux ans, on constate que 16 des 25 premières femmes opérées, soit 64 %, avaient en fait récidivé ou étaient mortes. On est très loin des 6 % annoncés de récidives. En réalité, en 1894, la très courte durée de suivi des femmes ne permettait pas à Halsted de conclure à une guérison ni même à une amélioration grâce à son intervention."

2) L’existence d’un surdiagnostic que plus personne ne conteste ne s’explique que par le fait que la théorie initiale sur laquelle se base le dépistage du cancer du sein par mammographie est erronée.

Et ce surdiagnostic confirme l’erreur de Halsted.

En effet, comme l’écrit l’INCA [17] « Le dépistage par mammographie permet de détecter, avant tout symptôme, 90 % des cancers du sein. La répétition de l'examen tous les deux ans améliore encore cette capacité de détection précoce. »

Il devrait donc y avoir en toute logique une baisse importante de la mortalité spécifique par cancer du sein. Or cette mortalité est toujours stable à environ 10 000 décès chaque année et cela malgré l’explosion des diagnostics et des traitements de cancers du sein (surdiagnostics).

La seule raison de l’impossibilité du dépistage à faire baisser la mortalité par cancer du sein est que la théorie de Halsted sur laquelle le dépistage se base, est FAUSSE.

3) L’existence de cancers dits de l’intervalle.

Ces cancers ne sont pas, comme l’affirme le site Doctissimo « Erreurs techniques, mauvaise interprétation du praticien ou cancers "pas de chance", ces cancers de l'intervalle constituent une limite au dépistage organisé qu'il convient de prendre en considération. » [18]

Ce sont des cancers qui n’existent pas encore lors d’une mammographie et qui se développent brutalement et rapidement.

Le fait que ce type de développement cancéreux existe invalide la théorie que tous les cancers du sein ont un développement lent et constant, théorie linéaire sur laquelle est basée le dépistage.

Sur la cause de ces cancers de l’intervalle, les autorités sanitaires ne donnent aucune explication (réf 17)

4) Qui plus est, cette théorie linéaire sous-entend que les petits cancers sont systématiquement de bon pronostic.

Une étude de 2017 apporte un démenti. [19] (NDLR : les cancers agressifs ne découlent pas des petits cancers, mais d'un sous-groupe de petits cancers à caractéristiques moléculaires intrinsèquement d'emblée péjoratives, et à croissance rapide)

Cette information capitale, selon laquelle Halsted avait tort, vous la trouverez développée dans le livre de Dr Duperray.

Beaucoup d’éléments ne « collent » pas avec cette idée du développement linéaire du cancer du sein sur laquelle s’est développé le dépistage.

C’est donc que cette théorie ne tient pas.

Comment admettre alors que les autorités sanitaires persistent, années après années dans une telle erreur ?

Biblio

 

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Halsted

[2]  https://en.wikipedia.org/wiki/Bernard_Peyrilhe

[3] Halsted W. The results of operations for the cure of cancer of breast performed at the Johns Hopkins Hospital from June, 1889, to January, 1984. Annals of Surgery. 1894 Nov;20(5):497-555.

[4] https://www.thierrysouccar.com/sante/livre/depistage-du-cancer-du-sein-la-grande-illusion-5285

[5] https://www.e-cancer.fr/Comprendre-prevenir-depister/Se-faire-depister/Depistage-du-cancer-du-sein

[6] https://www.pourquoidocteur.fr/MaladiesPkoidoc/880-Cancer-du-sein-les-chances-de-guerison-sont-meilleures-avec-le-traitement-precoce

[7] https://www.ligue-cancer.net/article/25638_la-prevention-des-cancers

[8] https://www.ligue-cancer.net/forum/47922_le-cancer-plus-il-est-diagnostique-tot-plus-il-de-chance-detre-gueri-vrai-ou-faux

[9] https://www.franceinter.fr/emissions/sante-polemique/sante-polemique-14-decembre-2017

[10] https://www.lepoint.fr/sante/kine/demorand-pourquoi-le-depistage-du-cancer-du-sein-fait-debat-12-11-2018-2270561_2467.php

[11] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/10/01/octobre-rose-le-depistage-systematique-du-cancer-du-sein-est-il-necessaire_5362958_4355770.html

[12] http://www.leparisien.fr/societe/sante/cancer-du-sein-les-detracteurs-du-depistage-sont-irresponsables-06-11-2018-7936614.php

[13] Korteweg J.A. Carcinoom en statistiek (Carcinoma and statistics). NederlandsTijdschrift voor Geneeskunde. 1903;47:1054–1068.

[14] Keynes G. The treatment of primary carcinoma of the breast with radium. Acta Radiologica. 1929;10(4):393-402.

[15] Lewis D, Rienhoff WF. Results of Operations at the Johns Hopkins Hospital for Cancer of the Breast: Performed at the Johns Hopkins Hospital from 1889 to 1931 Annals of Surgery. 1932 Mar;95(3):336-400.

[16] Henderson IC, Canellos GP. Cancer of the breast: the past decade (first of two parts). The New England Journal of Medicine. 1980 Jan 3;302(1):17-30. Review.

[17] https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Depistage-et-detection-precoce/Depistage-du-cancer-du-sein/Les-reponses-a-vos-questions

[18] http://www.doctissimo.fr/html/dossiers/cancer_sein/articles/15648-cancer-de-l-intervalle.htm

[19] https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

 

 

 

 

 

 

 

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