David contre Goliath, qui informe mieux les femmes, Cancer-Rose ou l’INCa ?

2 janvier 2020

Dr M.Gourmelon, DrC.Bour

En 2016 la concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein demandait un arrêt du dépistage[1].

En outre, sur le site de l’INCa l’information était qualifiée de « fractionnée, difficilement repérable, parfois contradictoire, le surdiagnostic abordé de manière peu claire »

En avril 2018 notre collectif s'était déjà ému de l'insuffisance persistante de l'information dans les documents de l'INCa [2] [3], qui minimise encore et toujours le surdiagnostic et qui tait le sur-traitement.

Nous avions exprimé nos réserves dans une lettre réponse publiée dans le CMAJ (Canadian Medical Association Journal) sous le titre "Principes de dépistage: trop peu de préoccupations pour un consentement éclairé?" [4] [5]

Le principe du choix éclairé, de la promotion de l'autonomie et de la protection des droits des participants aux dépistages est simple à mettre en œuvre, à l'aide de pictogrammes [6] avec des nombres absolus. Ces pictogrammes utilisent un dénominateur cohérent, tel que bénéfices et inconvénients rapportés à 1000 dépistés, sur des données fondées sur des preuves.

La Belgique a mis cela en œuvre depuis 2013 pour le dépistage du cancer du sein.

En revanche, l'Institut national français du cancer (INCa), comme les autres agences de santé françaises, enfreint l'éthique, refusant de fournir une telle information malgré les demandes de la concertation en 2016 et même une plus récente demande sous forme d'une lettre ouverte soutenue par la principale organisation non gouvernementale française de consommateurs UFCQC .[7]

L' inclusion de l'acceptation du dépistage dans le système de la ROSP (Rémunération sur les Objectifs de Santé Publique) était dénoncée dans la concertation citoyenne de 2016 [8]

Avec la légalisation d'une information déséquilibrée comme la propose l’INCa, c’est proprement scandaleux.

Le médecin généraliste se trouve ainsi en conflit d'intérêt et il n'est toujours pas formé à la façon de fournir un consentement éclairé à la patiente lors de la consultation.

Une étude dans la revue d'épidémiologie et de santé publique

Aujourd’hui, une étude dans la revue d'épidémiologie et de santé publique[9], en décembre 2019, prend acte du fait que l'information due aux femmes et délivrée par L'INCa n'est toujours pas au niveau.

La politique de l'autruche des autorités françaises nourrit de lourdes suspicions de liens d’intérêt avec les lobbies "pro-dépistage".

La situation actuelle est pour les femmes et leur dignité en santé inacceptable.

Cette étude s’inscrit dans la perspective de la création d’un outil d’aide à la décision français dans le cadre du dépistage organisé du cancer du sein, en collaboration avec l’INCa

L'étude : Information autour du dépistage organisé du cancer du sein. L’INCa et Cancer Rose répondent-ils aux critères des outils d’aide à la décision ?

  1. Contexte

Les controverses autour du dépistage organisé du cancer du sein accentuent le besoin d’informations pour les femmes. En France, l’INCa est en charge de cette information, il a la mission de "favoriser l’appropriation des connaissances et des bonnes pratiques par les personnes malades, les usagers du système de santé , la population générale, les professionnels de santé et les chercheurs."

. Le site Cancer Rose (CR) produit une autre information, estimant celle de l’INCa incomplète.

L’objectif de cette étude était de déterminer si les sites de l’INCa et de CR répondaient aux critères IPDAS [10] [11] d’outils d’aide à la décision.

  1. Méthode

Il s'agit d'une comparaison des outils disponibles.

  • Pour l’INCa, la vidéo de la dernière campagne lancée du 23 septembre au 14 octobre 2018, le dossier de presse, la plateforme web, le livret d’information et le dépliant d’information ont été sélectionnés pour analyse.
  • Pour Cancer Rose, ce sont les différentes rubriques de la page d’accueil soit : les vidéos d’information, les brochures téléchargeables (version longue et courte), la présentation, la rubrique études et les affiches.

Le livret d’information et le dossier de presse pour l’INCa et la rubrique "études" du site CR étaient les documents répondants le plus aux critères IPDAS [12].

Le document répondant le moins à ces critères était la vidéo pour l’INCa et le dépliant d’informations pour Cancer Rose, (document de synthèse réalisé, après la brochure exhaustive, simplement comme document pouvant être délivrée à la patiente à la fin de la consultation d'information du médecin traitant.)

Les vidéos sont des outils plus accessibles pour les personnes avec un plus faible niveau de ce qu'on appelle "l'alphabétisation" (literacy)[13] en santé.

Les critères IPDAS ont été utilisés et une moyenne a été calculée à l'aide d'un logiciel.

  1. Résultats

Ils sont résumés en pourcentage dans le tableau 2 , cliquez sur l'image :

Vous constaterez que pour tous les critères Cancer Rose obtient de meilleurs scores que l’INCa, et cela très nettement.

Les données de ce tableau sont énumérées dans le texte, par exemple :

Pour l’INCa, les données validées sur lesquelles se fondaient les informations étaient absentes dans la vidéo et le dépliant. Le dossier de presse contenait des références dans le texte ou annotées en bas de page. Les deux documents abordant l’ensemble des risques inhérents au dépistage organisé étaient la plateforme web et le livret d’information. La vidéo de la campagne abordait le surdiagnostic et le surtraitement sans les citer : « Le dépistage : risque zéro ou pas ? Il arrive parfois que l’on diagnostique et que l’on traite un cancer qui n’aurait pas ou peu évolué, le risque zéro n’existe pas ». Le dépistage à un stade précoce était valorisé sans description de l’histoire naturelle de la maladie. Le temps d’avance au diagnostic, critère IPDAS, n’était pas expliqué. »

Ce constat est grave et présenté de façon factuelle.

Pour Cancer Rose les auteurs écrivent ceci :

« Pour Cancer Rose, à part la douleur, les risques inhérents au dépistage étaient tous décrits (faux positifs, surdiagnostics et surtraitements dans tous les documents ; cancers de l’intervalle, faux négatifs, cancers radio induits et angoisse dans les vidéos). Au moment de décrire les bénéfices, les documents décrivaient l’absence d’impact sur la mortalité globale. Les bénéfices d’une « femme qui évite la mort par cancer du sein et dont la vie sera peut-être un peu prolongée » étaient immédiatement dans le discours de la vidéo contre-balancés par « une femme qui succombera à un effet grave du traitement, un traitement dont elle n’aurait pas eu besoin en l’absence de dépistage ». L’histoire naturelle des différents types de cancers du sein était décrite. Les données sur lesquelles se fondent ces informations étaient référencées

Il y a donc un décalage plus que notable entre l'information délivrée par l'INCa et celle du collectif Cancer Rose

Voici l'illustration de ces résultats en diagrammes, avec l'aimable permission de reproduction de Jérémy Anso, auteur de ces tableaux et rédacteur du site "Dur à avaler", docteur en sciences ; voir son article sur le sujet.

  • Les critères présents, doivent être les plus nombreux

  • Les critères incomplets, doivent être les moins nombreux

  • Les critères absents, doivent être les moins nombreux également

  1. Discussion

4.1. Résultats principaux et comparaison

  • « Les documents répondant le plus aux critères IPDAS sont le livret d’information et le dossier de presse pour l’INCa et la rubrique études pour Cancer rose. »

Mais sans rappeler les chiffres désastreux de l’INCa par rapport aux scores supérieurs obtenus par Cancer Rose, ce déséquilibre flagrant aurait mérité d'être davantage souligné.

  • « La vidéo de l’INCa obtient un score de 6,3 % en termes de contenu versus 50 % pour celles de Cancer Rose. »

« la vidéo (de Cancer Rose, ndlr) est apparue orientée aux chercheurs mettant plus en avant les inconvénients/risques que les bénéfices/avantages. »

Ainsi, alors que la vidéo Cancer Rose obtient 50 % et celle de l’INCa 6,3 %, la seule critique émise est celle d'une vidéo engagée de la part de Cancer Rose mais il manque, pour être équitable, un commentaire sur celle, insuffisante, de l’INCa.

La discussion se borne à ce constat, puis présente un paragraphe louant les confrères canadiens et leur support vidéo[14].

4.2. Perspectives

Elles peuvent se résumer à la dernière phrase de l’étude  :

« Cette étude s’inscrit dans la perspective de la création d’un outil d’aide à la décision français dans le cadre du dépistage organisé du cancer du sein en collaboration avec l’INCa »

Résumé

Cette étude, de par les chiffres publiés montre, comme nous l’avons souligné par le passé, que l’INCa ne répond pas à sa fonction et sa mission d'information, comme en témoigne le commentaire de comparaison avec nos confrères canadiens.

« Le groupe canadien de santé publique sur les soins de santé préventifs (soutenu par l’agence de la santé publique du Canada) fournit aux femmes un document d’informations générales de trois pages et des documents d’une page en fonction de l’âge (50–59, 60–69, 69–74 ans). Une vidéo de 12 minutes est aussi consultable.

Tous ces outils incitent les femmes à discuter avec leur médecin de famille du dépistage. La vidéo est très éloignée de celle de l’INCa à la fois sur la forme et sur le fond. »

Cette étude montre même que l’INCa fait un travail « indigent » comme en témoigne les 6,3 % de score obtenu sur sa vidéo.

Les auteurs, bien que transparents et factuels dans leurs résultats, n’émettent quasiment pas la moindre critique contre l’INCa.

Ils saluent toutefois notre travail dans le paragraphe des résultats.

 Conclusion

Les documents d'information proposés par l’INCa requièrent, selon les auteurs, un niveau élevé de littératie (ou d'éducation, ou d'alphabétisation, voir réf 12) du public en santé. Les vidéos sont au contraire reconnues pour être des outils d’information plus adaptés à des personnes avec un niveau de littératie en santé faible.

A aucun moment l’INCa n’atteint la moyenne dans les critères qui devraient être présents, n’atteignant au mieux que 37,5 % ce qui est très insuffisant, là où le collectif Cancer Rose, atteint, lui, avec ses propres moyens qui sont ceux des auteurs et de quelques dons, 62,5 %.

Pour ce qui est des critères absents, là aussi l’INCa est imbattable avec un maximum de 56,3 % là où Cancer Rose n’atteint que 25 % de critères absents.

Enfin pour les critères incomplets, l’INCa nous devance encore largement et dans toutes les publications, atteignant même 50 % dans 2 cas.

Nous sommes très satisfaits qu'une revue d'épidémiologie relève enfin ce problème de désinformation institutionnelle persistant vis à vis des femmes et le signale enfin.

Nous regrettons qu'il ne soit fait mention de ce fait uniquement dans le texte du document.

Malheureusement beaucoup de lecteurs s’arrêtent souvent à la lecture de l’abstract.

Il est regrettable qu’il n’y ait pas de remise en question explicite du travail de l’INCa, alors que cette situation non éthique et scandaleuse persiste depuis déjà de nombreuses années.

L’Institut national du cancer (INCa) a la mission de « favoriser l’appropriation des connaissances et des bonnes pratiques par les personnes malades, les usagers du système de santé, la population générale, les professionnels de santé et les chercheurs ». Dans le cadre de cette mission, cette agence met à disposition des outils et réalise régulièrement des campagnes d’informations », cela avec un budget 2019 pour la prévention et le dépistage de 6,4 millions d’euros [15]

Nous aimerions que ce budget public serve à l’information objective des femmes et non de marketing pour le dépistage du cancer du sein par mammographie.

Rajoutons à cela que le fameux "livret d'information" téléchargeable sur le site de l'INCa, outre le fait d'être incomplet et partial, n'est pas envoyé à toutes femmes. Il est envoyé aux femmes invitées pour la première fois à 50 ans, selon ce qui est mentionné sur le site de l'INCa.
Donc toutes les autres femmes de plus de 50 ans, n'ont jamais eu, n'ont pas et n'auront aucune de ces informations, même partiales et parcellaires. La lettre" d'invitation" et les relances ne sont jamais oubliées, elles...

De notre côté, nous admettons bien sûr les critiques émises, dont nous avions déjà conscience. Les critères manquants et le caractère dispersé de notre information seront corrigés dans un MOOC (Massiv Online Open Course) qui est en voie de construction et devrait être mis en ligne courant de l'année 2020. Celui-ci, par son caractère pédagogique et interactif, palliera à ces imperfections et complétera les informations dont le médecin et la patiente ont besoin pour pouvoir prendre une décision éclairée dans un échange collaboratif.

Il est vrai que notre information, de façon assumée, dénonce davantage les risques que les bénéfices du dépistage, pour deux raisons :

  • Aucune autorité, institution, site d'information ne dénoncent ni n'informent les femmes sur le maléfice du dépistage.
  • Plus aucune étude récente, depuis les années 2000, ne parvient à prouver de bénéfice avéré du dépistage, tandis que les publications alertant sur les risques se multiplient, entre autres sur le surdiagnostic croissant, véritable enjeu en santé publique.

Références

[1] https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/

[2] https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/

[3] https://cancer-rose.fr/2018/02/11/2175-2/

[4] https://cancer-rose.fr/2018/04/25/reponse-dans-le-cmaj-principes-de-depistage-trop-peu-de-preoccupations-pour-un-  consentement-eclaire/

[5] https://www.cmaj.ca/content/190/14/E422/tab-e-letters#principles-for-screeni

[6] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/affiche_depistage-mammographiqueA4-2.pdf

[7] https://cancer-rose.fr/2018/03/30/lettre-ouverte-a-linstitut-national-du-cancer/

[8] https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/

[9] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S039876201930522X?via%3Dihub

[10] http://ipdas.ohri.ca/

[11] https://decisionaid.ohri.ca/Azsumm.php?ID=1881 ; critères listés bas de page

[12] International Patient Decision Aid Standards : https://decisionaid.ohri.ca/francais/

[13] https://www.santepubliquefrance.fr/docs/la-litteratie-en-sante-un-concept-critique-pour-la-sante-publique

[14] Canadian Task Force on Preventive Health Care. Cancer du sein (mise à jour). Calgary (Alberta) Canada: Outil de dépistage auprès de 1000 personnes; 2018, . Disponible sur : https://canadiantaskforce.ca/tools-resources/cancer-du-sein- mise-a-jour/outil-de-depistage-aupres-de-1000-personnes/?lang=fr

[15] https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Qui-sommes-nous/Budget

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