Pandémie Covid-19 et prise en charge des cancers

Gustave-Roussy modélise l'impact du Covid-19 sur la prise en charge des cancers

11 novembre 2020

Dr C.Bour

L'inquiétude des patients quant à une éventuelle contamination par le coronavirus à l'hôpital, en particulier en cancérologie, entraîne leur venue plus tardive dans les centres de soins pour recevoir leurs traitements.

Des chercheurs de Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne) ont réalisé une étude baptisée "Grouvid", basée sur un modèle mathématique de simulation visant à évaluer les impacts de la pandémie de Covid-19 sur l’organisation des soins de cancérologie. Les conséquences en termes de pronostic et l'éventuelle surmortalité qui en découlent, liées au décalage des prises en charge de malades diagnostiqués avec cancer pendant la période de confinement, sont ici étudiées et évaluées.

Grouvid présentation PDF

Ces travaux des chercheurs Aurelie Bardet1,2, Alderic Fraslin1,2, Matthieu Faron2,3, Isabelle Borget1,2, Lucile Ter-Minassian4, Jamila Marghadi5, Anne Aupérin1,2, Stefan Michiels1,2, Fabrice Barlesi6, Julia Bonastre1,2  ont été présentés au congrès virtuel de l’ESMO 2020 par Aurélie Bardet (voir PDF du congrès).

  • 1. Service de Biostatistique et d’Epidémiologie, Gustave Roussy
  • 2. Equipe de recherche en méthodologie statistique Oncostat Inserm 1018, Univ. Paris-Saclay, Ligue contre le cancer
  • 3. Service de chirurgie viscérale oncologique, Gustave Roussy
  • 4. Department of statistics, Oxford University, Oxford, United-Kingdom
  • 5. Service d’information médicale, Gustave Roussy
  • 6. Direction médicale et de la recherche clinique, Gustave Roussy, Univ. Paris-Saclay

Contenu du congrès virtuel, présentation de l'étude

Il s'agit d'un modèle de microsimulation pour évaluer l’impact du SRAS-CoV-2 sur les pronostics des cancers, sur l’organisation des soins de santé et les coûts de prise en charge.

A-Objectifs

Evaluer l’impact de la pandémie sur les patients "non-covids", atteints de cancer.
Il s'agit d'établir un modèle basé sur les données actuelles disponibles du centre Gustave Roussy pour modéliser les parcours individuels des malades.

L'épidémie de Covid-19 a conduit à une diminution du nombre de patients pris en charge pendant le confinement et à une limitation des ressources dédiées aux cancers, avec fermeture de l'unité de greffe de moelle, réduction des lits de soins intensifs chirurgicaux, réduction du nombre de salles d'opération, réduction des séances de chimiothérapie et de radiothérapie.

B-Résultats

1° Modification du flux des patients - Délais des traitements

  • 13,4 % des patients ont un retard pour leurs traitements de plus de 7 jours, principalement des patientes atteintes de cancer de la thyroïde et du sein
    délai médian = 55 jours, principalement en raison d'un retard inhérent au patient lui-même.
  • 5,2% des patients ont un retard de traitement supérieur 2 mois

2° Changements dans les soins médicaux


27 % des patients confinés voient leurs soins modifiés (principalement dans les cancers du sein et les pathologies gastro-intestinales) .

3° Ressources hospitalières


Deux ressources sont limitantes :
- la disponibilité des salles d’opération (pic d’activité attendu = mi-juin)
- la chimiothérapie (pic d’activité attendu = mi-octobre avec création de files d’attente)

4° Résultats sur les pronostics des cancers :

  • 2,0 % des patients présentent un changement majeur de leur pronostic de maladie avec
  • augmentation de 2,25 % des décès à 5 ans par cancer, principalement pour les cancers du foie, des sarcomes et de la tête et du cou => 49 décès supplémentaires.

5° Analyse de sensibilité du délai moyen de recours aux soins imputable aux patient


C'est l'estimation de l'impact d'une reprise étalée et régulière (uniforme) d'un retour des patients (du fait de cet étalement la médiane de retard de prise en charge est évaluée à 3,4 mois.) :

2,4 % des  patients présenteraient une modification majeure de leur pronostic, avec une augmentation de 4,60 % des décès à 5 ans.

C-Messages-clés et conclusion


Sur la base d’un scénario dans le contexte de l'Institut Gustave Roussy :

  • 2 % des patients présenteront un changement majeur de leur pronostic
  • 2 % de décès supplémentaires à 5 ans

Il persiste une grande incertitude sur les événements futurs et les comportements complexes pour pouvoir évaluer l’impact d'une 2e vague.

Commentaires Cancer Rose

L'étude Grouvid suggère que les retards de prise en charge, liés à la 1ère vague de Covid-19, pourraient être responsables d'un excès de mortalité par cancers de 2 à 5%, 5 ans après le début de la prise en charge. Ces retards de prise en charge sont dus à 2 facteurs :

  • la réticence des patients à se faire soigner par peur d'une contamination
  • et une réduction de la capacité de soins des hôpitaux.

Dans cette étude, il n'est nulle part question du dépistage, pas plus du dépistage du cancer du sein que de n'importe quel autre dépistage.

Contrairement à ce que laissent entendre  la Fondation ARC [i] ou Mr le Pr Kahn, président de la Ligue contre le Cancer [ii] [iii] [iv] [v] [vi] [vii] [viii],l'étude Grouvid n'apporte aucune information concernant les éventuelles retombées d'une moindre participation aux dépistages.

Il est déjà difficile d'extrapoler à la France des résultats qui ne concernent qu'un seul établissement. Vouloir les extrapoler pour estimer l'impact d'une diminution des dépistages relève de la pure fantaisie ... ou du mensonge délibéré.

Les victimes ? Les femmes, qui, incitées à fréquenter en cette période les cabinets médicaux, se voient ainsi mises en danger et exposées par ces comportements propagandistes. 

Les médias eux-mêmes, par manque de discernement et de nuance, alimentent ce climat anxiogène et mensonger.

A ce propos lire :

https://cancer-rose.fr/2020/10/06/langoisse-des-thuriferaires-du-rose-face-a-la-decroissance-de-participation/

Et également : https://cancer-rose.fr/2020/09/02/manipulation-de-linformation-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein-comme-thematique-scientifique/

Une méta-analyse dans le BMJ

Une méta-analyse publiée en novembre 202 dans le BMJ sur la mortalité due au retard de traitement du cancer cherche à quantifier l'association entre le délai de traitement du cancer et la mortalité pour chaque augmentation de délai de quatre semaines dans le contexte pandémique.

L'étude regroupait 1 272 681 patients atteints de différents cancers et a montré qu’un retard de 4 semaines dans la prise en charge d’un cancer était associé à une augmentation de la mortalité d’environ 6-8 %.
Concernant le cancer du sein un délai de 8 semaines pour la chirurgie (donc d'un cancer diagnostiqué) serait associé à une augmentation de la mortalité de 17% alors qu'un délai de 12 semaines augmenterait le risque de 26%, ce qui correspond, sur une période d’un an en Grande Bretagne, à un excès de 1400 décès.

La conclusion va dans le même sens :  "le retard de traitement du cancer est un problème dans les systèmes de santé du monde entier. L'impact du retard sur la mortalité peut désormais être quantifié pour la priorisation et la modélisation. Même un retard de quatre semaines du traitement du cancer est associé à une mortalité accrue dans les indications chirurgicales, systémiques et de radiothérapie pour sept cancers. Les politiques axées sur la minimisation des retards au niveau du système avant le début du traitement du cancer pourraient améliorer les résultats de survie au niveau de la population."


Références


                  [i] https://www.francetvinfo.fr/sante/cancer/covid-19-les-retards-de-depistage-du-cancer-de-sein-vont-entrainer-une-augmentation-de-la-mortalite-entre-1-et-5-dans-les-dix-ans-qui-viennent-selon-la-fondation-arc_4124525.html#xtref=https://mobile.francetvinf


                  [ii] https://www.sudouest.fr/2020/10/24/cancer-du-sein-axel-kahn-lance-un-cri-d-alarme-pour-inciter-au-depistage-8000781-4696.php


                  [iii] https://fr.news.yahoo.com/octobre-rose-axel-kahn-implore-085353145.html


                  [iv] https://www.europe1.fr/societe/debut-doctobre-rose-axel-kahn-alerte-sur-les-retards-de-diagnostic-des-cancers-du-sein-3995432


                  [v] https://www.topsante.com/medecine/cancers/cancer/covid-19-depistage-cancer-639344


                  [vi] https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Deprogrammation-doperations-Linquietude-immense-malades-cancer-2020-10-27-1201121508


                  [vii] http://www.francesoir.fr/opinions-tribunes/chronique-covid-ndeg34-le-geneticien-axel-kahn-president-de-la-ligue-contre-le


                  [viii] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/26/cancers-infarctus-avc-ces-pathologies-victimes-indirectes-du-covid-19_6057437_3244.html

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