Témoignage de Sophie

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6 juin 2021

Par Sophie, témoignage et point de vue

Ethique de dépistage, information des femmes, formation des professionnels pour le dépistage du cancer du sein : quelle est la stratégie du nouveau Plan Cancer ?

Témoignage

… Avant mes 50 ans, j’ai subi un test de dépistage du cancer du sein prescrit par mon médecin traitant dans le cadre d’un bilan de santé, sans raison particulière, ceci juste pour se rassurer. Je me suis présentée au centre de radiologie avec une simple ordonnance, sans la moindre information sur les radiations, ni sur les examens supplémentaires, ou les conséquences du test en cas d’anomalie, comme pour une prise de sang prescrite lors d’un bilan de santé. On ne m’a pas informée sur ce qu’on cherchait réellement en l’absence de symptôme, ni sur le fait qu’on utilisera une technologie superpuissante de tomosynthèse qui détecte la moindre anomalie de quelques millimètres, dont on ne sait pas le devenir, ni sur les doses de radiations délivrées par les dix clichés avec agrandissements, avec une dose totale (16,5 mGy) de radiations quatre fois plus élevée que la dose délivrée par un examen mammographique classique (3-4 mGy), et que je devrai répéter dans 6 mois, puis 12 mois puis 24 mois. Si tout va bien, sinon ça sera autre chose ?

Si je faisais le parallèle avec un médicament, j’aurais eu une notice d’information avec les effets secondaires potentiels.  Mais la mammographie est considérée un examen anodin, banal.  Je ne doute pas des bonnes intentions de mon médecin, malheureusement les tests et l’attente dans l’angoisse se sont enchainés, puis le regret d’avoir fait ce test qui n’avait pas lieu d’être.
J’aurais dû pouvoir décider, avec la bonne information, mais je n’ai pas eu cette information.


On va peut-être me dire que c’est un examen effectué pour sauver ma vie, bien que des études par des chercheurs indépendants de l’organisation Cochrane ont montré que pour chaque tranche de 2000 femmes invitées au dépistage pendant 10 ans, une seule évitera de mourir d’un cancer du sein et 10 femmes en bonne santé, qui n'auraient pas connu de maladie si le dépistage n'avait pas eu lieu, seront traitées. Est-ce que je serais cette chanceuse, alors que je ne me sentais pas en danger imminent, je n’avais pas d’inquiétude particulière pour un cancer du sein, ni d’antécédents dans la famille, je n'avais même pas l’âge de 50 ans, âge de début de la mammographie de dépistage en France ? Ou à l’inverse est-ce j’aurais pu faire partie des autres 10 femmes traitées pour rien ? Quoi qu’il en soit, c’était à moi de peser les bénéfices et les risques et de choisir. Et ce n’est pas honnête de n’avoir pas reçu toutes ces informations.

… Dans mon entourage très proche, une femme a subi une mammographie de dépistage organisé à ses 72 ans, sans aucune information sauf la lettre d‘invitation. Elle a cédé aux lettres de relance et a décidé de s’y soumettre pour qu’on la laisse tranquille. Pareillement, tests supplémentaires et attente des résultats dans l’angoisse pour toute la famille, des regrets de l’avoir fait sans être informée correctement.

Encore une fois, manque d’honnêteté et de transparence…

… Pour une autre femme de mon entourage, dans la quarantaine, sans facteurs de risque particuliers, sa gynécologue lui a mis la pression pour faire une mammographie, sans raison, de pareille façon sans aucune information. Elle essaye de tenir bon, sans se fâcher avec sa gynécologue, car il lui est difficile d’en trouver une autre.

Sophie

Où est l'information ?

Et les cas sont nombreux… Il s’agit de cas de femmes en bonne santé, sans aucun symptôme évocateur d’un cancer du sein. Il ne s’agit pas de femmes qui ont un symptôme et qui devraient consulter, car en effet dans ce cas la mammographie s'impose.

Ces cas montrent le manque d’information des femmes et de formation de la part des professionnels, que ce soit le médecin traitant, le radiologue, le gynécologue qui se focalisent sur des examens de dépistage par mammographique pour traquer des possibles cancers de sein existants, hypothétiques ou en devenir chez des femmes en bonne santé, en oubliant de les informer correctement et sans tenir compte de leur autonomie de décision.

Et pourtant on pourrait faire mieux. L’information sur les bénéfices et les risques du dépistage du cancer du sein, dans le cas d’une femme en bonne santé, et sans symptôme particulier, est un dû aux femmes : à elles de choisir selon leurs propres valeurs et préférences si elles souhaitent ou non se soumettre, surtout que les bénéfices ne sont pas clairs ; la controverse entre les bénéfices et les réels dommages dure maintenant depuis 40 ans.

Ceci était aussi une des premières recommandations du comité de concertation suite à la consultation citoyennes et scientifique sur le dépistage du cancer du sein du 2016  «  La prise en considération de la controverse dans l’information fournie aux femmes et dans l’information et la formation (initiale et continue) des professionnels en la matière, afin que les femmes concernées par un dépistage du cancer du sein disposent de renseignements équilibrés et complets, et que les professionnel-le-s concernés par le dépistage du cancer du sein bénéficient d’une formation leur permettant d’acquérir les connaissances pertinentes pour accompagner les femmes, en leur proposant une aide adéquate pour qu’elles puissent prendre leur décision » (1).

Pourquoi ne leur dit-on pas la vérité, pourquoi les médecins ne reconnaissent-ils pas en toute humilité leurs doutes sur le bien-fondé de cet examen en l’absence de tout symptôme ? On préfère mettre en avant des bénéfices dont on n’est pas sûrs, en oubliant tout le reste, entre autres le consentement éclairé et l’autonomie du patient.

Un nouveau plan cancer, situation en France

La stratégie décennale du nouveau plan cancer a été adoptée par décret (2).

On s’attendait à des mesures pour l'amélioration de l’information des femmes dans le respect de l’autonomie des patients, comme cela est fait en Grande Bretagne, en Australie, au Canada, en Allemagne. Ailleurs, l’objectif est d’informer et pas de persuader, l’accent est mis sur la décision des femmes sans culpabiliser, en leurs fournissant des outils d’aide à la décision, qui communiquent correctement les risques en nombres absolus et pas en pourcentages en les minimisant.
Comme pour cette aide à la décision au Canada (3) qui indique :
« Pourquoi une prise de décision partagée est-elle importante ? Le dépistage est une décision personnelle. Chaque femme doit discuter des bénéfices et des préjudices du dépistage en fonction de son groupe d’âge (comme illustré ci-dessous) avec un professionnel de la santé. Ainsi, elle sera en mesure de décider de ce qui est le mieux pour elle. Certaines femmes pourraient ne pas vouloir un dépistage si elles estiment les préjudices potentiels sont supérieurs aux bénéfices. » 

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Au lieu de développer de tels outils, en France on se focalise sur le nombre de dépistages et le taux de participation, sans le moindre souci sur l’information éclairée, l’objectif du Plan Cancer étant de « Réaliser un million de dépistages en plus à horizon 2025 pour les trois programmes de dépistage, dont le dépistage organisé du cancer du sein et de dépasser les objectifs de couverture recommandés au niveau européen en matière de dépistage et rejoindre le peloton de tête en termes d’adhésion avec un taux de participation de 70 % pour le dépistage organisé du cancer du sein, alors que aujourd’hui le taux de participation annoncé pour 2018-2019 est : 49,3 % + 10-15 % (organisé + individuel). » ((2), fiche action I.12, p.20)

Et pourtant le taux de participation aux dépistages ne devrait pas être un objectif de ces programmes. Le réel objectif devrait être lié à l’information éclairée des patients. Comme le soulignent Rahbek et al, 2021 chercheurs danois, au lieu d'évaluer les programmes de dépistage du cancer sur la base du taux de participation, la mesure de l'engagement pourrait être le taux de décisions éclairées, indépendamment de la participation ou de la non-participation (4). Les auteurs notent que les autorités partent du principe que pour la plupart des citoyens, la participation est le bon choix. Ce point de vue n'est pas nécessairement partagé par les citoyens informés. Les données actuelles suggèrent même que plus les citoyens sont informés, moins ils sont susceptibles de participer au dépistage du cancer (4). (voir aussi : https://cancer-rose.fr/2020/09/08/information-objective-et-moindre-soumission-des-femmes-au-depistage/

Et pourtant le guide OMS du 2020 (5) sur les dépistages donne des informations très claires sur les principes à respecter. Le guide souligne que « le risque de ces mesures d’augmentation du taux de participation est que l’autonomie des personnes à prendre une décision informée soit menacée ».

Pour éviter cela, le guide préconise de « prendre soin pour permettre un consentement éclairé et de protéger l’autonomie individuelle ».

Or aucune des actions de la feuille de route du Plan cancer ne concerne l’amélioration de l’information des populations sur les bénéfices et les risques du dépistage, tel que préconisée par le guide OMS 2020. Pareillement, aucune mesure sur la formation des professionnels préconisée par l’OMS à la communication sur les risques. Pourtant le guide OMS donne comme exemple des outils tels que les « infographies, les vidéos et les aides à la décision peut faciliter la compréhension et promouvoir le consentement éclairé de même que les pratiques fondées sur des bases factuelles. » Et souligne que : « Les profanes aussi bien que les médecins cliniciens tendent à surestimer les bénéfices du dépistage et à sous-estimer ses effets nocifs ».(voir aussi : https://cancer-rose.fr/2017/01/03/la-perception-et-la-realite/).

Le guide OMS indique aussi les principes qui doivent être respectés dans une politique de dépistage : 

  1. « Respect de la dignité et de l’autonomie. L’autonomie est la capacité à prendre une décision éclairée et non contrainte ».
  2. « Non-malfaisance et bienfaisance. La non-malfaisance implique de ne pas porter préjudice aux personnes ; et la bienfaisance vise à faire du bien aux autres »
  3. « Justice et équité. Dans le domaine des soins de santé, la justice concerne une juste allocation des ressources et le fait que les ressources soient allouées proportionnellement aux besoins. »
  4. « Prudence et précaution. Le principe de précaution nécessite de prévoir et de planifier les résultats potentiels du dépistage, et d’adopter des jugements avisés sur la base de ces préoccupations futures. » 
  5. « Honnêteté et transparence. Cela nécessite une communication claire et transparente, et encourage donc la responsabilisation ».

On peut se poser la question si ces principes d’éthique fondamentaux seront respectés dans la nouvelle feuille de route du Plan Cancer qui se focalise autant sur le taux de participation, avec l’ambition de dépasser les objectifs européens, mais sans se soucier de l’information aux populations et la formation de professionnels.

Comment prendre une décision éclairée quand l’information n’est pas délivrée ou que l’information est incomplète et biaisée (voir https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/) ? La brochure de l’INCA devrait être revue, notamment sur les objectifs des taux de participation. Elle devrait être rédigée par un comité indépendant sans conflit d’intérêt et avec l’implication d’un jury de femmes comme cela a été fait par le NHS (National Health Service, système de santé publique) en Grande Bretagne et décrit par Forbes et al, 2014 (6). Les 25 femmes dans le jury âgés de 47 à 73 ans et recrutées dans les rues de Londres, provenaient de divers milieux professionnels et ethniques. La brochure du NHS ne cherche ni à encourager le dépistage ni à demander aux citoyens de prendre des décisions sans conseils. Et le comité qui a rédigé cette brochure précise que « la politique qui consiste à évaluer les performances du dépistage du cancer uniquement sur la base de taux de participation est, sans doute, incompatible avec la politique visant à favoriser un choix éclairé » (6).

Comment le principe de la non-malfaisance pourrait être respecté alors que certaines femmes subissent les effets du surdiagnostic, sans qu’elles soient correctement informées en amont de ces risques ?

Concernant le principe de l’honnêteté et transparence, les scientifiques danois experts dans le dépistage (Rahbek et al, 2021 (4)) ont cité la brochure officielle de l’INCA comme exemple de présentation des statistiques de manière trompeuse, comme par exemple en % relatifs de réduction de la mortalité. Or selon ces scientifiques cette présentation trompeuse est une technique d’influence pour augmenter le taux de participation aux dépistages. Le biais introduit par ces valeurs de réduction relative de la mortalité sont expliqués et critiqués également dans le guide GIJN élaboré par le cabinet RecheckHealth pour les journalistes investigateurs enquêtant dans le domaine des affaires sur la santé (7). Selon Rahbek et al, 2021 (4) dans la mesure où l'autonomie du patient et son choix éclairé sont importants, le recours à ces types d'influence reste éthiquement douteux dans les programmes de dépistage du cancer dont le rapport bénéfices/dommages est complexe et scientifiquement contesté.

De plus cette brochure de l’INCA, même biaisée et incomplète, n’est pas transmise à toutes les femmes, puisqu’elle est envoyée une seule fois à 50 ans, donc toutes les femmes qui avaient dépassé l’âge de 50 ans en 2017, lorsque la brochure a commencé à être envoyée, ne l'ont pas reçue.

Conclusion

Ailleurs qu’en France on peut constater que des efforts sont faits pour mieux informer. De plus en plus la littérature scientifique met l’accent sur la nécessité d’informer les citoyens pour une décision éclairée en connaissance des bénéfices et des effets nocifs du dépistage pour une personne en bonne santé, notamment dans les programmes de dépistage dont le rapport bénéfices/dommages est complexe et scientifiquement contesté et quand les conséquences du dépistage sont complexes et nécessitent un choix personnel, comme c’est le cas du dépistage du cancer du sein. La stratégie décennale aurait pu en tenir compte également en France, mais elle a raté le coche, au prix d’un manque d’information des femmes et de formation des professionnels.

Références

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