Le combat d’un « NON » farouche vers un « OUI » du bout des lèvres.

Témoignage de la pratique de Dr M.Granger, sénologue, 2 octobre 2021

Mme PL, 22 ans de vie partagée avec un cancer du sein,
ou le combat d’un « NON » farouche vers un « OUI » du bout des lèvres.

Février 1999 : Mme PL, 58 ans, consulte pour un nodule du sein droit, qui existerait depuis deux ans, mais qui a récemment subi une évolution inflammatoire. Cliniquement ce nodule est typiquement un kyste sébacé, égaré sur son sein droit.

Cependant la mammographie montre, outre une opacité sous cutanée ovoïde, très bien limitée et en accord avec le diagnostic clinique, un semi de calcifications punctiformes et poussiéreuses, à distance de ce nodule, réparties en une demi- douzaine de petits foyers comportant de nombreux éléments serrés, sans densification ni distorsion architecturale associée. La conclusion de cette première rencontre, pour un motif bénin, est l’existence probable d’un « carcinome intra- canalaire rétro-mamelonnaire droit, une histologie est nécessaire ».

Cette dame étant suivie par un médecin homéopathe très proche de ses patientes, aucune directive de prise en charge n’est donnée, hormis la conclusion rapportée ci-dessus. Sans nouvelles les mois suivants, j’écris à mon confrère : Mme PL a bien été opérée, et la réponse a été « positive ».

M’étant procuré les compte-rendus opératoire et histologique, j’apprends qu’il s’agissait d’un CCI de 6 mm, exérésé in sano à plus de 2 mm. Le contingent intra- canalaire périphérique comporte de fines calcifications régulières. Il entre en contact avec les limites d’exérèse. Le curage fait dans un second temps (pas d’extemporané initial, s’agissant d’une simple biopsie chirurgicale de micro calcifications [nous sommes en 1999]), associé à la reprise du lit tumoral montre : aucun résidu tumoral, et un curage des 3 étages négatif (0/15).

Septembre 1999 : premier suivi post-opératoire à 6 mois. Cet examen est satisfaisant, avec une banale zone de stéato-nécrose du foyer opératoire. Un nouveau rendez-vous est donné à 6 mois, surveillance classique.

Juin 2000 : contrôle 14 mois après la chirurgie initiale.
Mme PL précise alors qu’elle n’a pas consulté en oncologie, qu’elle redoute « les rayons » et ne les fera pas, conseillée en cela par son médecin homéopathe qui estime inutile de faire des rayons « pour rien », les résultats de la reprise du lit tumoral et du curage ayant été normaux.

Mme PL reviendra ensuite scrupuleusement, chaque année en juin, pendant 12 ans. Elle m’apprend en 2011 qu’elle divorce. L’année suivante l’imagerie s’est transformée : une micro opacité, non significative jusqu’alors, a doublé de volume, apparait spiculée, et mesure 6 mm en échographie. Même sein, à proximité du lit initial. La cytoponction faite d’emblée montre une purée cellulaire caractéristique d’un carcinome. Il s’agit donc d’une récidive in situ. Il faut réopérer.

Juillet 2012 : Mme PL choisit de ne pas revoir son chirurgien initial, et de consulter une célébrité parisienne. L’opération faite en juillet 2012 devra se limiter à une
« large quadrantectomie », car la patiente a refusé la mastectomie préconisée. Malgré cela l’histologie de la pièce opératoire est... négative : le pathologiste n’a pas retrouvé de prolifération tumorale.

Octobre 2012 : quand Mme PL revient pour un nouveau contrôle post-opératoire à 3 mois, je découvre cette « discordance » : je questionne – Mme PL la découvre aussi, et finis par m’étrangler... Car j’ai une foi absolue en ma méthode de ponction et en la lecture pointue de ma cyto-pathologiste, formée à l’école Zajdela de l’institut Curie : où est l’erreur ?... L’IRM montrera la persistance d’un intense et précoce rehaussement correspondant à la lésion recherchée. Mon échographie retrouve la lacune mitotique, inchangée, de 6 mm. La conclusion s’impose dans un soupir: la lésion est restée en place.

Novembre 2012 : la patiente est alors réopérée, dans la même clinique parisienne : « hémi-mastectomie droite » emportant l’hameçon de repérage. On pourrait voir dans cette hémi-mastectomie, soit une certaine « largesse » du chirurgien, peut-être gêné par cette reprise involontaire, soit une technique de repérage mal maitrisée ? Ce qui est sûr c’est que l’analyse histologique ne montre toujours pas la lésion tumorale, mais de banals remaniements inflammatoires. Cette discordance récidivante ne soulève toujours pas de question métaphysique.

Avril 2013 : nouvel examen de contrôle, difficile. Le sein est défiguré, la cicatrice est collée, au décours d’un très volumineux hématome post-opératoire. Doute sur la persistance de l’anomalie initiale, toujours à l’union des quadrants externes du sein droit. Une nouvelle IRM reviendra pourtant normale. OUF, les tribulations de ce cancer semblent terminées (?), mais avec le goût amer de ne pas avoir tout compris : où donc est passée cette tumeur de 6 mm ?...

Octobre 2013 : six mois plus tard, Mme PL révèle qu’elle est suivie en Belgique, qu’elle prend du 2LC1-N pour soutenir son immunité. Elle acceptera cependant mon suivi régulier.

Mai 2016 : je la revois en effet régulièrement, tous les ans désormais. En mai 2016 elle me signale un petit grain intradermique, à l’union des quadrants externe du sein droit, donc toujours dans la même localisation. La cytologie est... obstinément maligne. Cette fois, un peu las de tous ces errements, j’explique haut et clair que les choix effectués jusqu’à ce jour n’ont pas résolu le problème, et qu’il conviendrait de faire une « vraie » mastectomie associée à une RT de la paroi. Cet avis est confirmé par la Faculté (CHU de P...). Pourtant Mme PL continue de refuser et la micro biopsie et la mastectomie.

Septembre 2016 : sous la pression d’un autre CHU (T...), Mme PL acceptera l’exérèse biopsique de son nodule : le CCI est cette fois bien estampillé, les récepteurs hormonaux sont fortement positifs. Une mastectomie est programmée : elle sera refusée, de même que l’hormonothérapie. De même que la radiothérapie, une nouvelle fois.

Mars 2017 : le nodule récidivera encore, après son exérèse localisée, au même endroit... Une nouvelle ponction (maligne) convaincra enfin la patiente... Une mastectomie simple, sans radiothérapie, sera finalement réalisée en mai 2017, soit 18 ans après la première tumorectomie, et trois interventions « conservatrices » qui avaient déjà très largement entamé le sein...

Octobre 2020 : trois ans et demi plus tard. Après cet (ultime?) épisode, Mme PL va bien, elle a maintenant 80 ans, elle reste d’un commerce doux et agréable. Elle s’accommode de sa cicatrice de mastectomie. Elle n’a jamais eu un mot de doute sur son chirurgien ou son pathologiste parisiens, ni sur les délabrements successifs qui lui ont été imposés.

Cette observation comporte plusieurs points saillants, pour le moins : que peut-on en retenir pour la Défense et Illustration de la Sénologie ?

1- Que répondre à ce confrère homéopathe qui se questionne quant à l’intérêt d’une radiothérapie « pour rien »?

D’abord : qu’il n’y a pas « rien » puisque sa patiente est porteuse d’un cancer invasif, certes peu développé localement, du moins en apparence. Mais peut-on connaître à l’avance et avec certitude le potentiel évolutif d’un cancer ? L’histoire a prouvé son haut potentiel de récidive.

Ensuite : que les berges opératoires soient saines à la reprise chirurgicale initiale était certes une bonne nouvelle, mais qui ne préjugeait en rien de la réalité biologique, inaccessible à l’anapath. C’est la notion de champ de cancérisation, qui nous place devant cette évidence : on ne peut toujours pas connaître, en 2021, les frontières biologiques d’un processus de cancérisation. La chirurgie est donc nécessairement approximative.

Dans le contexte d’un traitement conservateur la radiothérapie est l’arme privilégiée pour réduire drastiquement l’incidence des récidives locales, qui sans elle seraient quasi systématiques. En résumé : un traitement chirurgical conservateur doit être nécessairement associé à une radiothérapie adjuvante.

Il faut enfin convenir avec ce confrère que les patientes d’un médecin homéopathe ont toujours une grande « foi » en la méthode, et que ses propres doutes ont alimenté, sciemment ou non, la phobie des rayons de Mme PL.

2- Comme toute chose, cette histoire doit répondre à la logique : si un diagnostic de récidive maligne a été porté et que l’histologie de la pièce opératoire est normale, il y a contradiction : et donc une erreur quelque part, qu’il convient de résoudre. Cette erreur peut être le diagnostic initial (faux positif de l’une des techniques utilisées...), la méthodologie opératoire (repérage de la zone à biopsier, topographie/étendue du prélèvement...), ou encore l’analyse histologique elle-même (difficultés d’identification, nombre de coupes faites... [des coupes tous les 5 mm peuvent par exemple laisser passer les plus petites tumeurs]).

Hélas cette enquête n’a pas été faite après la première récidive... Cette affaire n’ayant pas été judiciarisée, nous ne connaîtrons hélas pas le mot de la fin.

Un mot quand même sur le diagnostic initial : celui-ci n’a pas comporté de microbiopsie qui, on le sait, est devenue le graal des oncologues, par refus de la patiente. Il faut pourtant admettre que la ponction à l’aiguille fine, d’une technique très simple, fournit le plus souvent une cytologie très riche et sans ambiguïté pour un cyto-pathologiste entraîné. Je ne connais pas de faux positif dans mon expérience. Dans cette histoire toutes les cytologies ont été caractéristiques, et le diagnostic final leur a donné raison. Ce n’est donc pas le diagnostic initial qui a pêché.

3- L’attitude constante de Mme PL nous interroge, nous médecins, sur le niveau de risque que nous faisons subir à nos patientes. Un radiologue très anxieux, et/ou très entreprenant, qui souhaite macrobiopsier le moindre groupement de microcalcifications (sans attendre l’épreuve d’une surveillance minimale, qui permettrait de juger de leur évolutivité), et Mme PL qui a attendu la 4ème récidive locale pour se laisser convaincre, du bout des lèvres, d’entreprendre le traitement préconisé, vivent manifestement dans des mondes médicaux radicalement opposés et incompatibles. Ce niveau de risque acceptable est si variable d’un patient à l’autre, d’un médecin à l’autre, que toute discussion stratégique est un exercice périlleux, voire aveugle.

4- Il ne vous a pas échappé que la première récidive de Mme PL est apparue l’année suivant son divorce, alors que les 12 premières années de son suivi s’étaient déroulées sans accroc, malgré un traitement initial incomplet, la radiothérapie ayant été récusée. Une nouvelle fois le cancer se montre sous son vrai jour, celui d’une maladie psycho-somatique, le psychisme étant le plus souvent initiateur/ accélérateur de ce processus.

Commentaire Cancer Rose

Nous rajouterions une autre leçon à retirer de cette observation, et c'est "la leçon d'humilité".

On met souvent dans la tête des femmes l'urgence de la situation dès lors qu'on a fait un diagnostic de lésion cancéreuse, comme si chaque minute compte. Tout le monde court, s'active, s'affole, il faut agir, réagir, opérer au plus vite ! Or la patiente ici a bel et bien traîné des années avec son cancer, et elle est arrivée à 80 ans sans perdre la vie !
Alors, il n'est jamais trop tard pour bien faire, il n'est jamais trop tard pour traiter et pour guérir.
Où est donc l'urgence dans laquelle on propulse les femmes diagnostiquées ? Si le cancer est métastatique il l'est d'emblée ; dans la très très grande majorité des cas très souvent on voit bien qu'il n'est nul besoin d'affoler les femmes comme on le fait. On n'est pas à une minute près. Oui, on peut se donner parfois le temps de la surveillance (les classifications ACR3 (simple surveillance) ont quasiment disparu, on envisage, dans l'urgence qui est la nôtre, d'emblée des prélèvements et des interventions.
Oui il faut traiter, bien entendu, mais sans paniquer ! Le cancer ne métastase pas en 5 minutes (à moins qu'il ne l'ait déjà fait et là on a de toute façon une longueur de retard), il ne tue pas sur le champ, on ne va pas mourir demain !. 
Ce cas nous montre l'humilité que le corps médical devrait avoir, et nous montre qu'il faut sortir de 'l'affolisme' et de 'l'urgentisation' qu'on inflige aux femmes quand on leur trouve un cancer, leur donnant l'impression d'une mort imminente, mais qu'on va leur sauver la vie, nous, parce qu'on a fait vite.

Le sort des patientes n'est absolument pas dans nos mains de grands "sauveurs". Il n'est jamais "trop tard" pour traiter et pour guérir.

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