28 mai 2022,
Durant la pandémie Covid, des Cassandre de tout poil et des médias de tous horizons ont lancé de terribles prévisions et avertissements selon lesquels les perturbations des programmes de dépistage des cancers entraîneraient un «tsunami» de cancers avancés du sein, de la prostate, du côlon, du col de l’utérus et des décès.
Des oncologues ont fait courir des bruits terrifiants selon lesquels une diminution es dépistages du cancer pendant cette période de Covid-19 entraînerait des décès en masse. Cette prédiction est fortement remise en question par plusieurs scientifiques qui s’expriment dans divers medias scientifiques et dans cette publication d’auteurs australiens du 27 avril dernier, considérant même la période de cessation des dépistages comme une « expérimentation naturelle » pour enfin évaluer avec justesse les bénéfices et les inconvénients des soins de santé de routine.
Online early publication https://doi.org/10.17061/phrp32122208
https://www.phrp.com.au/wp-content/uploads/2022/04/PHRP32122208.pdf
Considérer les avantages potentiels, ainsi que les inconvénients, résultant de la perturbation des programmes de dépistages des cancers et d’autres services de santé à cause du COVID-19
Katy JL Bell a,b,f, Fiona F Stanaway b, Kirsten McCaffery a,b,c, Michael Shirley a and Stacy M Carter a,d,e
a Wiser Healthcare Research Collaboration, Sydney, NSW, Australia
b School of Public Health, Faculty of Medicine and Health, University of Sydney, NSW, Australia
c Sydney Health Literacy Lab, Faculty of Medicine and Health, University of Sydney, NSW, Australia
d Australian Centre for Health Engagement, Evidence and Values, University of Wollongong, NSW, Australia
e School of Health and Society, University of Wollongong, NSW, Australia
f Corresponding author. katy.bell@sydney.edu.au
Points clés
– La surmortalité mondiale enregistrée en 2020 a été attribuée à la COVID-19 ainsi qu’à d’autres causes. Le taux de mortalité a touché de manière disproportionnée les personnes les plus défavorisées et les plus marginalisées.
– Les réponses pandémiques visant à empêcher la propagation du COVID-19 auraient peut-être aussi contribué à éviter des décès dus à des causes autres que le COVID-19, notamment ceux résultant de diagnostics, d’examens et de traitements inutiles.
– La recherche examinant les avantages et les inconvénients liés à la perturbation des soins de santé causée par le COVID-19 pourrait aider les services de santé à fournir des soins de santé de telle sorte que pour les patients il en ressorte un maximum d’avantages pour leur santé avec un minimum d’exposition à des inconvénients.
Résumé
Depuis 2020, dans le monde entier on enregistre des centaines de milliers de décès en excès par rapport à ce qui était attendu.
Au cours de la pandémie de coronavirus 2019 (COVID-19) les priorités de recherche ont consisté à maîtriser la propagation de l’infection et à minimiser les pertes de vies humaines.
Toutefois, il sera peut-être possible de tirer des enseignements de la pandémie pour mettre en place un meilleur système de soins de santé, qui offre un maximum d’avantages pour la santé et le moins d’inconvénients possibles.
Jusqu’à présent, une attention particulière a été accordée aux bénéfices manqués, imputés à la récession des dépistages du cancer lors de la pandémie.
Mais une approche plus équilibrée consisterait à reconnaître que tous les services de santé présentent aussi des inconvénients potentiels.
Ainsi, nous pourrions être en mesure d’utiliser les « expériences naturelles » liées à la pandémie pour identifier les cas où la réduction d’un service de santé n’a pas été préjudiciable à la population, et même où la défection de certains services auront pu être bénéfiques.
Lire : une expérience naturelle au travers de la pandémie
Impact de la pandémie COVID-19
L’année 2020 a connu plus de 500 000 décès de plus que prévu, rien qu’aux États-Unis[1] et une augmentation des décès dans le monde entier.[2] Ces décès excédentaires à l’échelle mondiale peuvent être regroupés en trois catégories :
- les décès identifiés comme étant liés à la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19),
- les décès liés à la CoVID-19 mais non identifiés en tant que tels,
- les décès dus à d’autres causes.
La cause la plus évidente de décès excédentaires est celle des personnes chez qui l’on a diagnostiqué la COVID-19.
Cependant, il y a eu beaucoup plus de décès en excès en 2020 que ceux directement attribués au COVID-19.[3] Une cause moins évidente de décès en excès est la non-déclaration de cas en raison d’un sous-dépistage et d’un sous-diagnostic. En Australie par exemple, disent les auteurs, les décès en excès attribués à une ‘pneumonie’ à la fin mars et en avril 2020 suggèrent que certains décès réellement dus au COVID-19 ont été manqués au début de la pandémie, lorsque l’accès au dépistage était plus limité.[4]
La cause la moins apparente de décès excédentaires est celle des décès liés à la COVID-19 mais causés par les effets indirects de la pandémie, notamment par la perturbation massive des systèmes de santé.
Bien que l’Australie s’en sorte mieux que la plupart des pays en termes de décès dus au COVID-19 et à d’autres causes[5] [6], les auteurs estiment qu’il faut prendre ce constat au sérieux. Dans le monde, il y a encore beaucoup de souffrance pour les travailleurs de la santé de première ligne et pour tous ceux qui voient la pandémie se développer, et leur vie changer.
Il est préoccupant de constater que la pandémie a exacerbé les inégalités en matière de santé dues à des déterminants sociaux, la charge de la mortalité (causée directement et indirectement par le SRAS-CoV-2) frappant de manière disproportionnée les personnes les moins bien loties et les plus marginalisées sur le plan culturel et linguistique, y compris les personnes de couleur[7].
Il faut être conscient de ces causes de décès et redoubler d’efforts pour lutter contre les injustices structurelles, en s’attelant aux causes profondes des inégalités de santé qui perdurent et sont omniprésentes.
La pandémie a-t-elle pu aussi sauver des vies ?
Mais dans ce tableau certains changements imposés par la pandémie à la société ont pu peut-être sauver des vies.
Les décès évités pendant la pandémie seraient dus à des facteurs évidents et moins évidents. La diminution du nombre de décès dus à la grippe[8], à la pneumonie et à d’autres agents pathogènes respiratoires autres que le SRAS-CoV-2 est le facteur le plus flagrant et résulte très probablement des mesures de lutte contre la pandémie.[9] [10]
La réduction de la pollution atmosphérique due aux mesures de confinement imposées par de nombreux pays est moins évidente, les modélisations suggérant que plus de 300 000 décès ont été évités rien qu’en Chine et en Europe.[11]
Et puis il y a le facteur le moins évident et le plus contre-intuitif, qui est la possibilité que des vies aient été sauvées grâce à un recours réduit à des soins de santé qui auraient autrement causé des préjudices.[12] Ces décès peuvent avoir été évités parce que certaines personnes ont évité des tests, des diagnostics et des traitements inutiles, et que le risque de dommages lié à ces interventions l’emporte sur le potentiel bénéfice.
Le bénéfice absolu apporté par les soins de santé augmente généralement avec la gravité de la maladie et parmi les populations dont le risque de base des personnes testées, diagnostiquées et traitées est plus élevé que dans la population générale- (par exemple, les bénéfices absolus des traitements hypotenseurs et hypocholestérolémiants sont plus élevés chez les personnes présentant un risque de base plus élevé que chez celles présentant un risque de base plus faible[13] [14]).
D’autre part, la probabilité d’un préjudice pourrait être plus ou moins constante en fonction des différents risques de base[15].
Ce que les auteurs souhaitent souligner est que les patients à faible risque d’une maladie retirent très peu de bénéfice d’être dépistés, et pourraient être davantage exposés aux préjudices des dépistages de routine, comme p.ex. les détection inutiles, ce qu’on appelle le surdiagnostic.
Au sein de la population, un très petit nombre avec un risque de mortalité élevé bénéficiera d’une recherche spécifique de maladie, aux dépens d’un grande majorité de personnes pour lesquelles cette recherche est inutile et délétère, car ces dernières risquent d’être diagnostiquées et traitées par exemple pour des lésions prénéoplasiques ou des cancers à faible risque, lésions qui auraient pu être ignorées.[16]
A l’inverse, au sein d’une population surveillée pour cancer (personnes faisant l’objet d’un suivi pour un nouveau cancer ou une récidive après le traitement d’un premier cancer primaire), une proportion plus importante de personnes peut avoir un haut risque de développer un cancer et bénéficier d’une détection précoce, ce qui aura pu leur manquer durant la pandémie (ainsi que l’accès normal aux services de santé et aux soins).
Avantages potentiels découlant des perturbations des soins de santé
De nombreuses recherches sur l’impact sanitaire des perturbations des soins de santé dues à la pandémie de COVID-19 se sont focalisées sur les conséquences négatives probables de l’absence de soins et sur les solutions possibles pour les atténuer.
Ces recherches ont principalement consisté en études de modélisation prévoyant les impacts potentiels de la réduction des services de santé sur les résultats cliniques futurs, tels que la mortalité par exemple.
(lire étude Grouvid : https://cancer-rose.fr/2020/11/11/pandemie-covid-19-et-prise-en-charge-des-cancers/).
Cependant, il faut reconnaître que tous les services de santé offerts aux patients (y compris les tests, les diagnostics et les traitements) présentent des inconvénients et des avantages potentiels pour la population, et on devrait logiquement, pour ce genre d’évaluation, inclure les deux types d’impacts cliniques dans ces études de modélisation, à savoir l’impact négatif autant que l’impact positif.
Par exemple, bien que l’on puisse s’attendre à ce que l’interruption du dépistage du cancer, comme la mammographie, et la réduction du dépistage du cancer de la prostate par le test de l’antigène prostatique spécifique (PSA) entraînent une diminution des avantages liés à la détection et au traitement plus précoces de ces cancers, il peut y avoir également une diminution des inconvénients imputables à ces dispositifs de santé[17] .
Et en effet, les tests de dépistage du cancer peuvent augmenter le risque de mortalité par différents moyens.[18] [19]
Il s’agit notamment :
* Des conséquences des tests invasifs nécessaires pour confirmer le diagnostic après un test de dépistage positif (par exemple un dosage PSA positif qui entraîne une biopsie prostatique, elle-même suivie d’une septicémie post-biopsie de la prostate)[20] [21];
* Des implications psychologiques liées à l’étiquette de « malade » pour la personne qui aura été testée positive (pour exemple, l’augmentation des taux d’infarctus du myocarde et de suicide après une annonce de détection de cancer de la prostate)[22] [23];
* Des conséquences du traitement des cancers surdiagnostiqués (par exemple, les décès dus aux complications chirurgicales et aux effets des radiations après le traitement d’un cancer du sein inutilement détecté).25,26
De futures études de modélisation pourraient s’appuyer sur des preuves empiriques des avantages et des inconvénients des services de soins de santé comme les dépistages et de leurs perturbations, et s’appuyer aussi sur la mortalité et la morbidité globales ainsi que sur les résultats spécifiques aux maladies pour évaluer ces impacts différents.
En Australie expliquent les auteurs, on a estimé qu’avant la pandémie de COVID-19, le surdiagnostic du cancer – le préjudice le plus grave du dépistage du cancer – entraînait chaque année un surdiagnostic du cancer du sein chez environ 4000 femmes australiennes et un surdiagnostic du cancer de la prostate chez plus de 8 500 hommes australiens [27] .( https://cancer-rose.fr/2020/01/28/30-000-cancers-surdiagnostiques-par-an-dans-une-etude-australienne-un-enjeu-de-sante-publique/)
La réduction liée à la pandémie du nombre de personnes en bonne santé subissant ces tests et d’autres tests médicaux peut avoir entraîné une diminution du surdiagnostic et du surtraitement des cancers et d’autres maladies depuis 2020.
L’ampleur de ces variations est susceptible de varier entre les régions géographiques et en fonction de la perturbation des services de dépistage.
Elle sera quantifiable lorsque les données de 2020 et des années suivantes seront disponibles. Les diminutions observées refléteront à la fois les cancers manqués, pour lesquels une détection précoce aurait été bénéfique, et la réduction du surdiagnostic, pour lequel une détection précoce aurait été préjudiciable, mais il pourra être difficile de différencier les deux.
Des paramètres, tels que les marqueurs biologiques qui jaugent la gravité de la maladie et l’appréciation du risque parmi les diagnostics, peuvent indiquer dans quelle mesure le spectre de la maladie s’est déplacé en 2020[24] et depuis. Les récentes constatations de réductions proportionnellement plus importantes de l’utilisation des soins de santé parmi les personnes atteintes d’une maladie moins grave[25] soutiennent l’existence d’un tel déplacement du spectre des maladies.
La diminution observée des diagnostics de cancer dans les groupes d’âge où le dépistage n’est pas recommandé sur la base des données disponibles, mais qui était néanmoins fréquemment prescrit avant l’apparition de la pandémie (à cause de tests de routine effectués en dehors des recommandations p.ex.), peut également fournir une preuve indirecte de la diminution du surdiagnostic (par exemple, le dépistage du cancer de la prostate chez les hommes <55 ans ou >69 ans ; ou le dépistage du cancer du sein chez les femmes <40 ans ou >74 ans).[26]
En lien lire : https://cancer-rose.fr/2020/05/28/un-effet-secondaire-inattendu-de-lepidemie-covid-19/
Les enseignements tirés de cette « expérimentation naturelle »
Dans certains cas, il serait possible d’identifier là où peuvent se faire des réductions des soins de santé, en particulier pour des dispositifs de santé à faible valeur ajoutée (que ce soit des prescriptions systématiques de médicaments pour des populations à faible risque de maladie ou des prescriptions de dépistages non recommandés) , puisque ces réductions durant la pandémie n’ont pas été nuisibles dans l’ensemble, ou même ont été bénéfiques.
Les résultats ne devront pas être sur-interprétés, recommandent les auteurs, car les impacts à plus long terme doivent être aussi évalués et pris en compte au même titre que ceux à court terme.
Mais en tirant le maximum d’enseignements des aspects positifs et négatifs des » expériences naturelles » vécues au cours de la pandémie[27], les auteurs suggèrent qu’il serait ainsi possible de tendre vers une » nouvelle normalité » post-pandémique, où seraient privilégiés des services de soins de santé apportant un maximum d’avantages pour la santé des populations et des individus, et un minimum d’expositions à des dommages.[28] [29]
Références
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