Une nouvelle approche de l’UE en matière de dépistage du cancer

22 septembre 2022 – Résumé Dr C.Bour

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/QANDA_22_5584

Dans le cadre du programme européen de la lutte contre le cancer et des dépistages des cancers, qui sera inscrit dans un grand plan européen, la Commission européenne propose une extension et/ou une reprise de certains dépistages, et une implantation de nouveaux venus.
L’objectif étant qu’à l’horizon 2025, 90% de la population de l’UE participe aux dépistages du cancer du sein, de la prostate, du col de l’utérus et du cancer colo-rectal.
S’y rajoutent les dépistages du cancer du poumon et celui de l’estomac, alors que pour ce dernier aucune étude probante n’existe.

Concernant le financement : « le plan européen pour vaincre le cancer est financé par l’ensemble des instruments de financement dont dispose la Commission, un montant total de 4 milliards d’euros étant affecté à des actions de lutte contre le cancer. Ce montant comprend environ 38,5 millions d’euros engagés au titre du programme «L’UE pour la santé» pour des projets liés au dépistage et 60 millions d’euros au titre du programme-cadre pour la recherche et le développement «Horizon Europe». La Commission proposera un financement supplémentaire pour le dépistage du cancer dans le cadre du programme «L’UE pour la santé» de 2023. »

Un flagrant mépris des connaissances acquises et des recommandations existantes

1° cancer du sein

Ainsi la Commission souhaite l’extension du dépistage du cancer du sein aux tranches plus jeunes en incluant les femmes dès 45 ans.
Pourtant un essai britannique, le UK Age Trial, livrait ses résultats en 2021.
Au bout de 23 ans, les résultats de l’essai UK Age Trial ne montraient plus de diminution significative du nombre de morts dues à un cancer du sein chez les femmes dépistées entre les âges de 40 et 49 ans. Les auteurs de l’essai écrivaient : « Overall, there was no significant reduction in breast cancer mortality in the intervention group compared with the control group » . Soit : « Au total, il n’y a pas eu de réduction significative de la mortalité par cancer du sein dans le groupe d’intervention par rapport au groupe témoin ».
Les résultats ne montraient en outre pas de diminution de la mortalité totale (ou mortalité toutes causes confondues).

La justification de cette extension du dépistage à un âge plus jeune est aussi lapidaire que peu scientifique :
https://healthcare-quality.jrc.ec.europa.eu/european-breast-cancer-guidelines/screening-ages-and-frequencies/women-45-49#rec-question
« Le GDG (groupe de développement ses lignes directrices) a accepté cette recommandation par consensus sans qu’il soit nécessaire de voter. »
« La décision sur cette recommandation tient compte de l’équilibre entre effets désirables et indésirables qui favorise probablement le dépistage organisé par mammographie pour les femmes âgées de 45 à 49 ans dans un contexte de certitude modérée des preuves. »

Le document PDF téléchargeable de 2016 détaillait pourtant les doutes qui existent pour ce dépistage : « La mammographie, comparativement à l’absence de dépistage, n’a pas réduit de façon significative le risque de mortalité par cancer du sein….. chez les femmes invitées au dépistage pendant 16,4 années de suivi. »…
 » La mammographie, comparativement à l’absence de dépistage, a réduit le risque de cancer du sein au stade IIA ou plus élevé (46 cas de moins
cancer du sein pour 100 000 femmes …mais n’a pas réduit le risque de mortalité de toutes causes confondues. »

(Rappelons que la mortalité globale intègre tous les éléments de la prise en charge, donc aussi les effets des traitements, du surdiagnostic et du surtraitement. Cette donnée a davantage de sens car tout cancer détecté sera traité, les traitements eux-mêmes sont parfois pourvoyeurs de décès, qui seront compris et englobés dans la ‘mortalité toutes causes confondues’, reflétant ainsi mieux la réalité du dépistage.)

« Effets indésirables :
Les femmes de 40 à 74 ans randomisées à l’« invitation au dépistage » étaient plus susceptibles de subir une mastectomie….
Le surdiagnostic est estimée à 12,4 % (preuve de qualité moyenne) du point de vue de la population et à 22,7 % du point de vue d’une femme invitée à dépistage (preuve de qualité moyenne).
Le nombre de faux positifs dépendra de l’âge au premier dépistage. Estimation du risque cumulatif d’un dépistage faussement positif : Le taux de femmes de 50 à 69 ans ayant subi 10 tests de dépistage biennaux était de 19,7 %. Toutefois, on a observé des taux de faux positifs plus élevés chez les femmes de moins de 50 ans que chez les femmes de 50 à 69 ans.
De plus, 2,2 % des femmes ont subi une biopsie par aiguille après la mammographie de dépistage initiale.
Les mammographies faussement positives sont également associées à une plus grande anxiété et détresse au sujet du cancer du sein ainsi que des conséquences psychologiques négatives qui peuvent durer jusqu’à trois ans (faible qualité preuves). … »

2°Cancer de la prostate

La Commission propose d’introduire un test de l’antigène prostatique spécifique (PSA) — comme un test sanguin — chez les hommes jusqu’à 70 ans, en combinaison avec une imagerie par résonance magnétique (IRM) supplémentaire en tant que test de suivi.

Pourtant, le dépistage du cancer de la prostate a fait long feu, et n’est plus recommandé par la HAS depuis 2013- https://www.has-sante.fr/jcms/c_1623737/fr/detection-precoce-du-cancer-de-la-prostate
 » la HAS rappelle que la mise en place d’un programme de dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA sérique total n’est pas recommandée, que ce soit en population générale ou chez les hommes à haut risque. »

Le manque de bénéfice en termes de mortalité et le surdiagnostic important motivaient cette décision. Plus d’explications ici : https://cancer-rose.fr/2017/01/05/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/

Conclusion

L’extension du dépistage à la tranche d’âge plus jeune constitue une étape par rapport à 2019, où, concernant la tranche 45-49 ans, le GDR (groupe d’experts proposant les recommandations) suggérait à l’époque un dépistage mammographique triennal ou biennal dans le cadre d’un programme de dépistage organisé, en précisant l’existence d’un faible niveau de preuves.

Entre temps l’étude MyPEBS a été mise en place pour expérimenter la possibilité d’un dépistage plus ciblé, puisqu’il faut bien admettre que le dépistage actuel ne marche pas comme on le souhaite : « Après analyse de toutes les composantes, l’objectif final de Mypebs est de fournir les meilleures recommandations pour la meilleure stratégie de dépistage du cancer du sein en Europe. » (voir ici https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/12/01/le-rationnel-de-letude-2/)
Il est dit aussi dans l’argumentaire des promoteurs de MyPEBS : « Un enjeu majeur est de rendre les femmes plus informées et plus actives dans leurs décisions de dépistage, comme le reconnaissent clairement plusieurs études internationales. En effet, l’une des principales préoccupations des programmes nationaux de dépistage dans tous les pays participants est de promouvoir des choix éclairés quant aux décisions de participer au dépistage et aux options de traitement subséquentes. Les choix éclairés exigent que des renseignements pertinents de bonne qualité soient communiqués aux femmes, afin qu’elles puissent prendre des décisions conformes à leurs valeurs. »

Il semblerait que l’UE ne voie donc pas de contradiction de financer à hauteur de 12M d’euros une étude pour aboutir à un dépistage plus précis, fondé sur le risque, et d’un autre côté, sans preuve, d’élargir les tranches d’âges de dépistage, avant même que MyPEBS ait rendu ses résultats…
Ou alors il n’y a aucune contradiction, et l’étude MyPEBS est censée aboutir à cela, à imposer le dépistage finalement à toutes les femmes, avec une extension de l’âge aux tranches d’âge plus jeunes dès 40 ans comme nous le pensions déjà… voir : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/06/10/argumentaire/
https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/12/10/mypebs-le-scandale/
Ces nouvelles recommandations de l’UE prennent juste le devant.

Dans ce rapport actuel de l’UE de 2021, il est précisé que pour la tranche d’âge 45-49 ans, « les détails complets, y compris les documents justificatifs téléchargeables pour les professionnels de la santé, seront bientôt disponibles. »
Nous espérons qu’il s’agira de réelles justifications scientifiques, et que ne sera pas oubliée la promesse faite aux citoyennes après la concertation de fournir des outils d’aide à la décision permettant au minimum aux patientes de prendre une décision éclairée, même celle de ne pas se faire dépister.


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