La mammographie numérique en question

17/04/2024

Synthèse Cancer Rose

La mammographie numérique a permis de mieux détecter les cancers invasifs de façon statistiquement non significative par rapport à l'ancienne technologie, ceci pour tous les grades de cancers invasifs.
Mais on a également amélioré de façon statistiquement significative la détection de cancers qui n'auraient peut-être jamais causé de problèmes ("surdiagnostic").
Dans l'ensemble, la transition ne semble pas avoir amélioré la santé de la population.

Une revue systématique et une méta-analyse des caractéristiques pronostiques des cancers du sein détectés dans des populations ayant bénéficié d'une mammographie numérique par rapport à une mammographie sur film indiquent que cette transition peut avoir augmenté à la fois la détection précoce et le surdiagnostic.
https://www.jclinepi.com/article/S0895-4356(24)00094-5/pdf

Les auteurs : Rachel Farber, PhD, Michael L. Marinovich, PhD, Audrey Pinna, MPH, Nehmat Houssami, PhD, Kevin McGeechan, PhD, Alexandra Barratt, PhD, Katy JL. Bell, PhD
École de santé publique de Sydney, Faculté de médecine et de santé, Université de Sydney, Sydney 2006, Australie ;The Daffodil Centre, The University of Sydney, A Joint Venture with Cancer Council NSW, Sydney 2006, Australie ; Département d'imagerie médicale, Centre médical Flinders, Adélaïde, Australie-Méridionale

Il s’agit de la traduction et synthèse d’un fichier PDF d’un article qui n’est encore pas dans sa version définitive, en raison de révisions supplémentaires avant la publication dans sa forme finale.
Néanmoins cette pré-publication donne une visibilité anticipée de l'article à venir.

Objectif de l'étude

La mammographie numérique a remplacé la mammographie analogique dans les programmes de dépistage du cancer du sein à l'échelle mondiale. Cela a conduit à une légère augmentation du taux de détection, mais il est incertain que la détection des cancers cliniquement importants soit meilleure.

(NDLR, quelle est la différence entre les deux technologies, analogique et numérique? : Initialement la mammographie était de type analogique, c'est à dire utilisant des films que l’on devait développer. Le signal radiologique, pour faire simple, est alors transformé en signal 'visuel', cela pouvait altérer la qualité du film à interpréter (artéfacts, fragilité des films, et autres écueils...).
Avec le procédé numérique, utilisé dans le cadre du dépistage depuis 2008, des capteurs récupèrent l’image et la mettent en mémoire, il n'y a pas de transformation du signal et l'image est projetée en temps réel sur l'écran d'ordinateur (ou console). On limite le diffusé du signal pour ne garder que l'information utile.
Cette technologie a été encensée sur la base d'arguments d'un meilleur taux de détection par rapport au système analogique, notamment en cas de seins denses, et par sa moindre irradiation.)

Conception et cadre de l'étude

Un examen dans sept bases de données a été effectué, depuis leur création jusqu'à la date du 8 octobre 2023, pour rechercher des publications comparant la mammographie sur film (analogique) et la mammographie numérique au sein d'une même population de femmes asymptomatiques et exposées à un risque moyen de cancer du sein, c'est cette population qui est appelée à se faire dépister.

Plus exactement, dix-huit études ont été incluses dans l'analyse, provenant de huit pays et portant sur 11 592 225 examens de dépistage (8 117 781 sur film et 3 474 444 sur support numérique).
Les caractéristiques tumorales ont été collectées et une synthèse (méta-analyse) a été réalisée.

Ce qu'on attend d'une meilleure technologie

Essentiellement deux choses sont attendues :

Premièrement, il doit y avoir un déplacement du stade lors de la détection, avec une diminution des cancers primo-détectés de stade avancé.
Deuxièmement, les cancers détectés à un stade précoce doivent inclure des tumeurs cliniquement agressives, avec de mauvaises caractéristiques pathologiques.
L'examen de ces deux critères fournit une évaluation pertinente de l’efficacité du changement de la technologie de dépistage. 

Quels sont les résultats de l'analyse effectuée ?

Après le déploiement du numérique les auteurs ont constaté une augmentation des carcinomes canalaires in situ détectés lors du dépistage (de façon statistiquement significative) et des cancers invasifs (mais de façon non statistiquement significative), et ce pour tous les grades tumoraux.

Rappelons que les carcinomes in situ alimentent en grande partie les surdiagnostics, étant des tumeurs de très bon pronostic, et dont la surdétection n'a fait qu'augmenter depuis qu'on dépiste.
Voir : https://cancer-rose.fr/2019/09/04/quest-ce-quun-carcinome-in-situ/

Bien que la détection accrue de cancers de haut grade puisse indiquer une détection précoce bénéfique accrue de maladies plus agressives qui seraient plus susceptibles de progresser si elles n’étaient pas traitées, la détection accrue de cancers de plus bas grade (en particulier les in situ) indique une augmentation concomitante du surdiagnostic.
Il y avait peu de différences entre les deux technologies dans les autres caractéristiques tumorales des cancers invasifs, une observation qui peut indiquer que, dans l’ensemble, il n’y a eu que des variations minimes dans la détection des cancers de plus mauvais pronostic, entre ceux détectés par film et ceux détectés par mammographie numérique.

Les auteurs rappellent leur précédente méta-analyse de 2020, que nous avions résumée ici ; elle concluait déjà à un meilleur taux de détection des carcinomes in situ, avec peu de différence dans la détection des cancers invasifs.
Et surtout elle ne retrouvait aucun effet sur les taux des cancers d’intervalle, ces cancers non anticipés par le dépistage, car souvent très véloces, de mauvais pronostic et évolutifs, qui apparaissent entre deux mammographies de dépistage en dépit d'un dépistage précédent classé normal.
Leur taux ne se trouvait pas réduit par la technologie numérique. Les caractéristiques biologiques des cancers d'intervalle ne variaient pas entre les deux technologies de dépistage, on ne peut donc pas espérer la détection de cancers d'intervalle de moindre agressivité grâce au numérique.
Les taux similaires des cancers dits "triple-négatifs" entre les deux technologies suggèrent que les cancers supplémentaires détectés avec les approches numériques sont susceptibles d’être d’une agressivité similaire aux tumeurs détectées avec le film analogique.

En conclusion

Une augmentation de tous les degrés de cancers détectés indique que la transition vers le numérique peut avoir à la fois une détection précoce bénéfique accrue (de maladie agressive) et comporter des méfaits dus au surdiagnostic (détection de maladie indolente).

Il est important de faire la distinction entre une détection accrue détectant plus de cas de maladie cliniquement importante, ou détectant plus de cas mais cliniquement sans conséquence.
Étant donné qu’il n’y avait pas de différences statistiquement significative dans les caractéristiques des tumeurs invasives ou des cancers d'intervalle détectés lors du dépistage lors de la transition numérique, il est peu probable que ce changement technologique ait entraîné un véritable avantage net substantiel pour la population dépistée.

La transition vers le numérique s’explique principalement par des raisons technologiques et par des gains d’efficacité dans les cabinets, Les avantages pour la santé ne sont pas nets.

Les auteurs déclarent que leur analyse démontre surtout l’importance d’évaluer les avantages et les inconvénients pour la santé avant et après le développement à grande échelle des nouvelles technologies de dépistage de la population.
Les deux méta-analyses effectuées par cette équipe renforcent la nécessité d'évaluer soigneusement les effets des futures évolutions technologiques, afin de s'assurer que ces changements progressifs apportés aux programmes de dépistage conduisent à une balance réellement positive entre les avantages et les inconvénients du dépistage.

Commentaire Cancer Rose

Il en va de même de ces réflexions pour la tomosynthèse.
Encore une fois, la course à la détection toujours plus précoce et de lésions toujours plus petites nous prive d'une réflexion sur ce qui est réellement utile à détecter.
La course à la plus petite lésion n'est pas accompagnée d'un gain substantiel en durée de vie pour la population, et s'accompagne d'un surdiagnostic délétère qui plonge des personnes bien-portantes inutilement dans une maladie qu'elles n'auraient pas subie sans cette détection.

Tant que nous ne maîtriserons toujours pas la connaissance de ce qu'on appelle l'histoire naturelle du cancer, nous ne règlerons pas l'échec du dépistage et ne ferons qu'amplifier la terrible épreuve des détections inutiles pour les populations, le fardeau qu'elles représentent physiquement, psychiquement et économiquement, dans un déni constant des autorités sanitaires.

En lien l'article : Trop, trop légèrement, trop tôt

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Bientôt nous serons tous patients

lundi 15 avril 2024

Transcription, synthèse et commentaires à propos d'un webinaire, par A.Brandt, anthropologue et J.Brodersen, professeur de médecine, diffusé par l'Université d'Oslo

L'empreinte carbone du surdiagnostic

Le webinaire débute par l'interrogation sur l'empreinte carbone que les soins médicaux produisent (utilisation de plastiques, de l'eau etc..), l'activité clinique est responsable de 80% des émissions carbones- toutes sont-elles vraiment nécessaires ?

60% apparaissent nécessaires et utiles, 30% sont des soins dits de faible valeur, qu'on pourrait réduire ou cesser, et les 10% des émissions restantes dans le cadre des soins médicaux sont carrément nocives. et sont le fait des surdiagnostics produits par des dispositifs et des interventions inutiles pour le patient.

Définition du surdiagnostic

J.Brodersen distingue deux types.

-Surdétection, à savoir trouver des lésions en excès qui sont de découverte inutile pour l'intérêt du patient,
- Et surdéfinition, c'est à dire étendre la définition de la maladie et/ou diminuer les seuils d'introduction d'un traitement. Et aussi le 'façonnage' de nouvelles maladies.

Quelle est la définition du surdiagnostic ?

Traduction :
- D'une manière générale le surdiagnostic signifie la transformation inutile de personnes en patients, en identifiant des problèmes qui n'auraient jamais causé de tort, ou en médicalisant les expériences banales de la vie courante par l'extension de la définition de maladie. (Nous y reviendrons plus bas dans le chapitre 'Surdiagnostic par surdéfinition des maladies')
-Le surdiagnostic est le diagnostic de variantes, anormalités, facteurs de risque et pathologies qui en soi n'auraient jamais occasionné de symptôme, n'auraient jamais conduit à un état maladif, et n'auraient jamais causé le décès.

Ce qu'on appelle le "disease mongering", ou "façonnage de maladies" revient à fabriquer des nouvelles pathologies, tactique de l'industrie pharmaceutique souvent à fin de vendre diverses molécules.
(C'est ce que Luc Perino, dans son ouvrage "les non-maladies" qualifie "d'objets non-maladie" (voir le chapitre 'd'autres objets non-maladie' à la fin du post))

Comme exemple d'une détection inutile est donné le cas d'un patient participant au dépistage du cancer du poumon par scanner faibles-doses.

Le patient est porteur d'un nodule présent depuis 4 années, asymptomatique et sans croissance- est-ce un surdiagnostic ou pas ?

La croissance tumorale

Ce qu'il faut bien comprendre est que les cancers n'ont pas tous la même vitesse de croissance, il y a les cancers très rapides, et les cancers beaucoup plus lents qui ne se développeront jamais, mais qui, découverts par le dépistage (ligne verticale rouge en pointillés) seront inutilement traités, ce qui est le cas des deux formes symbolisées par la tortue et l'escargot.
Le cancer dit "lent", symbolisé par l'ours sera utilement diagnostiqué par le dépistage, mais se serait de toute façon manifesté par des symptômes amenant le ou la patiente à consulter en temps et en heure, largement avant que le cancer ne cause le décès. Le dépistage a juste anticipé le diagnostic.
Nous vous invitons à lire l'article sur l'histoire naturelle du cancer sur notre site ou cela est expliqué plus longuement.

Sur ce graphique, l'axe horizontal, l'abscisse, marque les sessions de dépistage dans la vie de la personne ; l'axe vertical, l'ordonnée, marque les différentes tailles tumorales.
La ligne horizontale grise désigne la taille à laquelle le cancer peut être détecté par un dépistage (biologique ou par imagerie).
La ligne horizontale bleue désigne la taille (ou le stade évolutif) à laquelle le cancer donne des signes cliniques, des symptômes.
La ligne verte tout en haut désigne la taille (ou le stade évolutif car la taille n'est pas toujours corrélée à la gravité du cancer) à laquelle le cancer causera le décès

Nous voyons sur ce schéma que les personnes F et I sont des patients surdiagnostiqués, car le patient F est décédé d'autre cause que son cancer et le patient I présentait une forme régressive de cancer.

La première raison du surdiagnostic réside donc dans le facteur de croissance de chaque tumeur. Les tumeurs à croissance lente sont le plus souvent surdiagnostiquées, mais pas seulement.
La deuxième raison de surdiagnostic est le risque concomitant (ou co-incident) de décès par une autre cause, ce risque concurrent augmente lorsqu'on dépiste des personnes de plus en plus âgées et qui ont une probabilité très augmentée de décéder de maladies plus probables au grand âge comme les maladies cardio-vasculaires par exemple. C'est la raison pour laquelle, dans aucun pays où le dépistage du cancer du sein est instauré, on ne dépiste au-delà d'un certain seuil (74 ans en France, 69 ans dans d'autres pays de l'UE, lire ici). On exposerait davantage ces populations âgées à des détections de lésions pour elles non utiles, qui seraient néanmoins traitées avec un risque accrue dû aux traitements lourds,
Cette deuxième situation est illustrée par l'avancée de la ligne verticale rouge qui correspond aux décès d'autres causes).


De ce fait les personnes D et E deviennent surdiagnostiquées car elles n'atteindront jamais la ligne horizontale bleue de la phase symptomatique du cancer.

Il y a une troisième cause de surdiagnostic et c'est la sensibilité de la technique de dépistage qu'on va utiliser, biologique ou une technique d'imagerie possédant une résolution augmentée (comme la mammographie numérique par exemple ou la tomosynthèse dans le cas du dépistage du cancer du sein).

Ceci est illustré en abaissant la ligne en pointillé grise, ainsi la personne G devient surdiagnostiquée puisqu'on a abaissé le seuil de détection d'un cancer qui ne se serait jamais manifesté.
(Cette question se pose dans le cas des biopsies liquides par exemples, dont l'application pour des dépistages est de plus en plus remise en question, les cellules tumorales circulantes étant un phénomène suffisamment courant pour en trouver chez un très grand nombre de personnes sans pour autant pouvoir déterminer si ces personnes sont ou seront réellement malades ; lire notre synthèse ici))

Vous pouvez aisément constater que rien ne change pour la personne A , même avec une meilleure résolution de l'imagerie elle aura une forme grave de cancer à cause de la vitesse de croissance importante de cette tumeur.

Ci-dessous figurent des données de cohortes des années 95/96 sur l'incidence (nombre de nouveaux cas) du cancer de la prostate au Danemark : on peut constater un doublement de l'incidence sans changement de la mortalité (selon indicateurs populationnels), ce doublement étant dû à l'utilisation du taux des PSA comme outil de dépistage de ce cancer. La baisse de l'incidence dès 2008 est imputable, selon les urologues, à de meilleures thérapeutiques notamment chirurgicales.

Augmentation de la survie et le paradoxe du dépistage

Le critère de la survie qui augmente grâce au dépistage est un leurre que nous expliquons ici.
Plus le surdiagnostic est important, meilleurs sont les taux de survie, puisque le surdiagnostic alimente le réservoir de cancers détectés qui n'auraient jamais (par définition) altéré ni la vie ni la santé du patient, et qui, non détectés, ne se seraient jamais manifestés. Le nombre de "survivants" ne peut que s'amplifier si on s'évertue à détecter des cancers qui n'auraient jamais tué de toute façon... C'est ce qu'illustre la figure ci-dessous.


Mais cette donnée est souvent mise en avant par les promoteurs du dépistage et entraîne sa popularité, comme montré ci-dessous.

Traduction du haut en suivant les flèches : plus de détections précoces ==> plus de surdiagnostics ==> davantage d'histoires de 'survivants' ==> la détection précoce et les dépistages donnent l'apparence d'être efficaces.==> plus de dépistages etc....

P. Glasziou (médecin universitaire australien connu pour ses recherches en médecine factuelle) et ses collaborateurs on estimé le risque d'avoir un cancer dans sa vie ; ils constatent que le cancer du poumon, du rein, le mélanome et le cancer du sein sont les plus surdiagnostiqués. L'estimation est de une femme surdiagnostiquée sur cinq, en Australie.
Pour le cancer de la prostate des hommes l'estimation est plus haute encore, et lorsqu'on réalise le calcul combiné de l'ensemble des cancers on arrive à 24% des cancers qui sont surdiagnostiqués.

Au total, une personne sur 5 est surdiagnostiquée.

En bleu apparait le risque absolu du cancer durant la vie.
En rouge l'évolution de ce risque (en raison de la détection précoce) concernant les cancers invasifs .
En gris l'évolution de ce risque pour les cancers in situ.

Nous avions détaillé cette étude de Glasziou et al. ici.

L'oncologue américain G.Welch illustre l'augmentation des diagnostics de cancers dans les zones à plus forts revenus (ou l'accès à la détection précoce est promu) par rapport aux pays à plus faibles revenus.

Nous constatons que l'incidence, donc le taux de nouveaux cas du fait des dépistages s'envole dans les comtés à fort revenu (high-income counties), avec une mortalité pourtant non modifiée.
(La mortalité s'infléchit bien à partir des années 90 mais ceci n'est pas attribuable aux dépistages, car le même phénomène est constaté parallèlement pour tous, et l'inflexion des taux de mortalité n'est pas majorée pour les zones qui ont plus d'accès aux dépistages comme on s'y attendrait).)

Surdiagnostic par surdéfinition des maladies

L'exemple donné dans le webinaire par J.Brodersen est le risque cardio-vasculaire selon les directives d'évaluation des risques en Norvège.

La zone verte correspond à des personnes n'ayant aucun risque cardio-vasculaire, la zone jaune est celle des personnes avec un seul facteur de risque, et en rouge les personnes avec plusieurs facteurs.
Et de ce fait il n'y a plus que 4% des Norvégiens qui sont en bonne santé, ceci démontre l'absurdité dans les lignes directrices en vigueur qui s'éloignent de la vraie vie. La notion de maladie est ainsi étendue à des situations et à des conditions physiques très fréquentes et courantes dans les populations.

L'expansion des maladies psychiatriques a été étudié par Per Fugelli (il fut médecin norvégien et professeur de médecine générale à l'Université de Bergen et de médecine sociale à l'Université d'Oslo).

Des situations de vie courante deviennent pathologies. La peur devient ainsi de l'anxiété, une dépréciation de soi devient de la dépression, la définition du spectre autistique est étendue, la timidité devient de la phobie sociale, la douleur de la perte d'un être cher devient un désordre prolongé de deuil etc etc...

Ainsi nous sommes tous malades, ce qui permet davantage de prescriptions médicales, car qui n'a jamais eu une période de dépréciation de soi, de deuil ou d'anxiété pour une raison ou une autre dans sa vie ?

Certaines "maladies" sont tout bonnement des inventions de l'industrie de la pharmacopée.

Calvitie, fonte musculaire (normale avec l'âge), syndrome des yeux secs, cils courts, syndrome des jambes sans repos etc.... deviennent ainsi des prétextes à des traitements.

Le point de vue de l'anthropologue

Comment rester en bonne santé ? C'est la question à laquelle nous sommes confrontés.

Au Danemark on ne dépiste plus les femmes au delà de 69 ans car on estime que cela n'a pas de sens.
Lire ici, le dépistage avec l'âge ne réduit pas la mortalité et ne fait qu'augmenter un surdiagnostic particulièrement délétère pour des populations auxquelles les traitements agressifs provoqueront plus de dommages.

Lors d'un entretien réalisé par des étudiants avec des femmes ayant participé au dépistage, une des femmes dit ceci : "peu importe si je ne vis pas plus longtemps, du moment que je ne meurs pas du cancer du sein ."


L'anthropologue A.Brandt s'interroge comment on en arrive à de telles citations qui n'ont pas de sens en soi, et comment l'émotionnel s'insinue dans la réflexion du public.

Pour elle, l'explication est à chercher dans l'histoire.
Selon Michel Foucault, philosophe et historien, à l'époque médiévale les gens vivaient pour rendre heureux leur roi et les gens riches. Aujourd'hui il s'agit de s'optimiser soi-même.
Foucault 1982

"le pouvoir s'est transformé vers des recommandations plus subtiles. Et plutôt que de nourrir les intérêts de la classe supérieure, les démocraties sociales contrôlent les citoyens par l'autodiscipline et le pouvoir réside alors dans les structures et les sentiments permettant d'agir d'une certaine manière."

Les gens se persuadent d'avoir un libre arbitre, mais les messages sociétaux sont toujours dans le sens de doivent assumer des choix et des décisions pour sa propre santé. C'est exactement l'injonction qui est utilisée dans les campagnes de la santé.
Foucault utilise la notion de "gouvernementalité néolibérale" comme concept.

Le moi entrepreunarial : les individus sont encouragés à se considérer comme entrepreneurs de leur propre vie en optimisant constamment leur capital humain, leurs compétences. et sont responsables de leur propre bien-être et de leur santé.

Est-ce bon ou pas bon, interroge A.Brandt. Là n'est pas la question mais c'est ce qui se constate dans les études ethnographiques : le dogme de la responsabilité rend responsables les personnes de leur propre santé en créant un sentiment de honte et en blâmant les individus en cas de non observance.

De là découle la notion de "healthisme" qu'on pourrait essayer de traduire par un néologisme de type "santisme" ou "santéisation".

La santé devient objectif en soi , une idéologie s'appuyant sur le mode de vie prioritaire avant tout ; même les politiciens surfent sur ce concept, le but étant de vivre plus longtemps et plus sainement, mais ce faisant sans jamais se lancer dans la réflexion, qu'est-ce qu'une vie plus saine ?

Nous prenons tous ces conseils, notamment nutritionnels (consommation de fruits et légumes) pour argent comptant.
Auparavant, être en bonne santé signifiait ne pas tomber malade, de nos jours c'est faire des contrôles réguliers, des examens répétés, des prises de vitamines, et tout ceci est décrit par l'anthropologueJohn Dumit.

Comment cela se traduit-il dans la vie de tous les jours ? A.Brandt répond que le public demande toujours plus, plus de dépistages et au-delà des limites d'âges, pour "sauver" sa vie.
Mais les dépistages ne sauvent pas des vies, cette vision est erronée dit-elle (nous renvoyons à cette méta-analyse récente sur le gain en durée de vie).
Même, à présent, vous ne dépistez plus juste pour vous par auto-responsabilisation, mais vous le faites aussi "pour les autres", en tant que devoir citoyen, car "mieux vaut trop que pas assez," comme cela est ancré dans notre langage.

Pourquoi en sommes-nous arrivés à cette évolution ? Par ce que nous ne considérons plus la mort comme partie intégrante de la vie, selon Zygmunt Bauman, philosophe et sociologue.

Conclusion

Vouloir maîtriser l'incertitude, ce qui est une tendance humaine, cela créé encore davantage d'incertitudes.  

Oui parce que, finalement, la question est bien : "à partir de quand est-on malade?"

Article connexe

Analyse avec angle anthropologique sur le lien entre notre perception du temps et la vision linéaire de l'évolution cancéreuse, avec, parmi les auteurs, également A.Brandt et J.Brodersen -
https://cancer-rose.fr/2024/04/10/diagnostic-precoce-et-vision-lineaire-du-temps-une-liaison-dangereuse/

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Trop, trop légèrement, trop tôt

Résumé de trois articles

DOI https://doi.org/10.2147/IJGM.S368541

ParBjørn Hofmann 1, 2

1 Institut des sciences de la santé, Université norvégienne des sciences et technologies, Gjøvik, Norvège ; 2 The Center of Medical Ethics, Faculty of Medicine, the University of Oslo, Oslo, Norway

Les progrès scientifiques et technologiques considérables ont considérablement amélioré les diagnostics. Dans le même temps, les fausses alertes, le surdiagnostic, la surmédicalisation et la surdétection sont apparus comme des corolaires compromettant la qualité des soins de santé et la pratique clinique durable.

L'article ici résumé identifie trois types génériques de diagnostic excessif : trop, trop légèrement et trop tôt.

En raison des progrès scientifiques et technologiques considérables, le nombre de diagnostics a considérablement augmenté. Davantage de personnes sont diagnostiquées avec plus de maladies que jamais auparavant, avec une expansion injustifiée des diagnostics.

Augmentation du nombre de diagnostics dans la Classification internationale des maladies (ICD, International Classification of Disease).

A-trop de diagnostics :

Cela consiste dans le fait d'étiqueter des phénomènes qui n'ont pas été diagnostiqués auparavant, et de l'inclusion de nouveaux phénomènes dans un cadre de pathologie.
Il peut s'agir a) d'expériences de vie ordinaires, telles que la solitude ou le chagrin, b) de phénomènes sociaux, tels que le comportement scolaire chez les enfants (TDAH) ou c) de phénomènes biomédicaux, tels que l'hypertension artérielle, l'obésité ou des facteurs de risque qui sont mesurables.
Mais cette tendance ne profite pas aux personnes et peut s'avérer nocive.

B-Diagnostics émis trop légèrement : réglage des seuils trop bas et inclusion trop facilitée en pathologie

Il s'agit d'un abaissement du seuil de détection d'une pathologie au-delà de ce qui profite à la personne, c'est-à-dire en acceptant des seuils de valeurs trop bas.
En incluant des cas moins graves dans la définition de la maladie ou dans ses critères de diagnostic, les personnes peuvent être diagnostiquées avec des maladies qui ne les dérangeraient peut-être pas.
Le diabète gestationnel et les maladies rénales chroniques peuvent servir d'exemples.

C- Diagnostics émis trop tôt :

Diagnostiquer trop tôt des affections qui n'impacteront jamais les personnes, détection de lésions précurseurs ou de lésions à faible développement, cela qui correspond au surdiagnostic qui entraîne le phénomène du surtraitement.

Pourquoi est-ce néfaste ?

Tout d'abord explique l'auteur, nos capacités de diagnostic dépassent de loin nos capacités d'aide. Non seulement nous manquons de mesures curatives pour tous les diagnostics établis, mais les nombreuses technologies de diagnostic s'accompagnent également d'erreurs, et nous en venons à diagnostiquer alors que cela n'aide pas les gens.
Bien que nous puissions détecter beaucoup plus de phénomènes que jamais auparavant, nous ne savons pas s'ils sont pertinents dans ce qu'ils représentent ou prédisent.

A- trop diagnostiquer...

....des phénomènes biomédicaux lorsqu'ils ne sont pas vécus en termes de douleur, de dysfonctionnement ou de souffrance conduit à mal faire en appliquant des étiquettes et des traitements inappropriés, en nous détournant de mesures plus efficaces et en nuisant par les traitements.
Une hypertension ou une hyperglycémie légère, ou divers facteurs de risque, tels que l'obésité, ne sont le plus souvent pas ressentis comme douloureux ou dysfonctionnels, mais leur traitement peut introduire des dommages potentiels liés au diagnostic et au traitement.
Par exemple l'utilisation accrue des statines de façon inappropriée chez des personnes ne se plaignant de rien entraîne des maux de tête, des étourdissements, de la constipation, des diarrhées, les douleurs musculaires, de la fatigue, des problèmes de sommeil et une diminution du nombre de plaquettes sanguines. Ici, l'obtention d'un diagnostic excessif peut réduire la qualité de vie, causer de l'anxiété et de la stigmatisation.

B-Dans le cas d' un diagnostic posé trop légèrement,

nous gonflons le diagnostic en incluant des phénomènes trop légers pour causer un symptôme, une douleur, un dysfonctionnement ou une souffrance, et le traitement entraîne plus de mal que de bien.
Dans de tels cas, nous fournissons un traitement inutile et introduisons un préjudice potentiel à la fois par le diagnostic et par le traitement.

C-Un diagnostic trop précoce,

(comme lors de nombreux dépistages) entraîne un surdiagnostic et un surtraitement et des dommages potentiels des deux. Les cas que nous détectons et traitons n'auraient alors jamais causé de problèmes à la personne si non découverts.
Par conséquent, nous violons les principes éthiques de non-malfaisance et de bienfaisance.
De plus, nous drainons les ressources des services de santé (enjeu de justice des soins) et les patients ne savent pas qu'ils sont surdiagnostiqués et surtraités (enjeu d'autonomie du patient).

Autres exemples cités dans l'article :

En changeant la définition de l'ostéoporose par modification du seuil T-score qui reflète la densité osseuse dans la directive 2008 de la National Osteoporosis Foundation, la prévalence (cas présents+cas nouveaux) est passée de 21 % à 72 % chez les femmes américaines de plus de 65 ans.
La modification de la définition du prédiabète par la glycémie à jeun dans les critères de l'American Diabetes Association 2010 a augmenté la prévalence de 26 % à 50 % chez les adultes chinois de plus de 18 ans.

Conclusion

En conséquence, l'auteur de l'article suggère trois façons de réduire les excès et de faire progresser les soins de plus grande valeur pour la population : a)nous devons cesser de diagnostiquer de nouveaux phénomènes, b)nous devons cesser de diagnostiquer des affections bénignes, notamment en abaissant des seuils diagnostiques, c) et nous devons cesser de rechercher des signes et des marqueurs précoces qui ne provoquent pas de douleur, de dysfonctionnement et de souffrance, et ne nuiront pas si non détectés..

Définition plus précise du surdiagnostic, le "trop tôt" de l'article précédent

Selon Jeffrey K Aronson, le concept de "Surdiagnostic" (le "trop tôt" de l'article précédent) comprends 2 catégories :
1°étiqueter les personnes d'une maladie qui, non découverte, ne leur aurait pas causé de tort ;
2° élargir la définition d'un trouble au plus grand nombre d'individus en modifiant le seuil d'un test diagnostique. (ce qui reprend le "trop légèrement")

L'auteur, pharmacologue clinicien britannique au Centre for Evidence Based Medicine, (Nuffield Department of Primary Care Health Sciences, University of Oxford, Oxford, UK), explique dans son article publié dans le BMJ la genèse de ce terme, maintenant inclus dans le Mesh, (Medical Subject Headings) qui est le thésaurus de référence dans le domaine biomédical.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/12/13/le-surdiagnostic-cest-officiel/

Ces dernières années dit l'auteur " les définitions (du surdiagnostic) qui ont été suggérées incluent :
• "… Des personnes …diagnostiquées avec des conditions qui ne causeront jamais de symptômes ou la mort."
• « Des diagnostics d'une affection qui, si elle n'était pas connue, ne causerait pas de symptômes ou n'entraînerait pas de dommage pour le patient au cours de sa vie ».
• "(Le fait de ) rendre les gens "patients" inutilement, en identifiant des problèmes qui n'auraient jamais causé de dommages ou en médicalisant des expériences de vie ordinaires grâce à des définitions élargies des maladies."
La dernière de ces définitions comprend les deux principaux facteurs qui constituent ensemble le surdiagnostic, bien qu'ils ne soient pas synonymes de celui-ci : la surdétection et la surdéfinition. "

L'auteur rappelle encore que surdiagnostic n'est pas synonyme de fausse alerte, bien que cette confusion soit souvent faite. (Surdiagnostic : vraie lésion mais dont la découverte n'apporte rien ; fausse alerte : suspicion de cancer mais qui ne se confirme pas).

En guise de réflexions finales, J.Aronson résume ainsi trois façons différentes de transformer les gens en "patients" ou en "malades" :

  1. En les étiquetant avec une condition quelconque qui ne leur aurait pas causé de tort si elle n'avait pas été découverte ; cela est lié à l'hétérogénéité de nombreuses conditions, résultant en un éventail de conditions au sein de la catégorie, dont toutes ne nécessitent pas d'attention ; c'est ce que l'on appelle le flou au sein de la catégorie de maladie ;
  2. En élargissant la définition d'un trouble pour englober plus d'individus ; cela a été attribué à ce qu'on a appelé le flou de la limite extérieure d'une définition de maladie ;
  3. En les étiquetant par une catégorie de maladie qui médicalise l'expérience ordinaire, comme la grossesse, ce phénomène est connu sous le nom de "mongering".

Un appel de scientifiques canadiens

Tout logiquement nous terminons cet article par la citation d'un appel de scientifiques canadiens à une action, afin d'améliorer l’enseignement des soins de santé.
Les auteurs écrivent :

"Depuis 10 ans, on reconnaît de plus en plus qu’il existe des bienfaits et des préjudices liés au dépistage. De nombreux médecins, étudiants en médecine et patients continuent toutefois de croire que, pour une grande proportion de la population, les dépistages recommandés permettent un diagnostic et un traitement précoces, et préviennent les décès prématurés. Bien que cette croyance persiste depuis longtemps parmi les médecins et les patients, les données probantes en matière de dépistage laissent maintenant penser que ces bienfaits seraient moins importants qu’on le croyait.
De plus, on comprend beaucoup mieux les préjudices liés au dépistage, notamment le surdiagnostic, les faux positifs et les examens excessifs.
Malgré cette reconnaissance, la connaissance du public est minimale, et les patients ne sont pas au courant de ces préjudices potentiels, même dans les populations qui sont soumises régulièrement au dépistage.
Les difficultés du dépistage sont amplifiées par des recommandations contradictoires dans les lignes directrices, par de puissants groupes de patients et de professionnels qui plaident en faveur d’interventions de dépistage spécifiques, et par la pléthore d’information de qualité variable provenant des médias sociaux."

De nombreux médecins, professionnels de santé et apprenants n’ont pas les connaissances et compétences nécessaires liées aux défis du dépistage. On note chez plusieurs un manque en matière de pensée critique, de compréhension des statistiques ou de capacités de communication.

Pour les auteurs, il est nécessaire d'améliorer la formation des médecins, des professionnels de santé en général et des apprenants en matière de dépistages, de compréhension des risques et de leur communication.

Conclusion de l'appel:

Deux défis sont à relever:

Le premier défi est l’élaboration du contenu éducatif en lien avec les concepts clés relatifs au dépistage.
Le deuxième défi est l’élaboration de stratégies éducatives visant à placer l’enseignement et l’adoption de ces concepts au cœur de la formation médicale chez les étudiants en médecine, les résidents et les cliniciens.

"Les enseignants cliniques, les apprenants, les sociétés professionnelles qui rédigent les lignes directrices, les agences de dépistage et les établissements universitaires doivent repenser l’approche optimale face au dépistage.
Ce changement doit être réalisé à partir du premier cycle en médecine jusqu’à la formation professionnelle continue, de même qu’auprès de tous les intervenants, patients et institutions. C’est le moment d’aller à contre-courant, et de repenser notre approche de l’enseignement et de la communication de l’information sur la prévention et le dépistage, et de veiller à ce que cette information comprenne une bonne compréhension de la complexité, des concepts fondamentaux et des pratiques exemplaires."

Références

  1. Hofmann B.
    Too Much, Too Mild, Too Early: Diagnosing the Excessive Expansion of Diagnoses. Int J Gen Med. 2022;15:6441-6450 https://doi.org/10.2147/IJGM.S368541

2. Viola Antao, Roland Grad, Guylène Thériault, James A. Dickinson, Olga Szafran, Harminder Singh, Raphael Rezkallah, Earle Waugh, Neil R. Bell 
À l’encontre du statu quo en matière de dépistage Canadian Family Physician May 2022, 68 (5) e140-e145; DOI: 10.46747/cfp.6805e140

3. Aronson J K. When I use a word . . . . Too much healthcare—overdiagnosis  BMJ  2022;  378 :o2062 doi:10.1136/BMJ.o2062

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Diagnostic précoce et vision linéaire du temps, une liaison dangereuse

Remise en question de la logique du diagnostic précoce dans le domaine du cancer

Rethinking the logic of early diagnosis in cancer

DOI: 10.1177/13634593241234481
journals.sagepub.com/home/hea

Traduction, restitution, synthèse et commentaires par Cancer Rose

Auteurs de l'article :
Christina Sadolin Damhus, Post doc PhD , Centre of Research and Education in General Practice, University of Copenhagen, master in Public Health. Danemark
Mette Bech Risør, professor in medical anthropology at the University of Copenhagen, Center for General Practice, Department of Community Medicine,The Arctic University of Norway, Norvège
John Brandt Brodersen, general practitioner, PhD in public health, Danemark ; Department of Community Medicine, The Arctic University of Norway, Norvège
Alexandra Brandt Ryborg Jønsson, anthropologiste médicale, travaille dans le champ des inégalités en santé avec un focus spécial sur le surdiagnostic à l'Université de Copenhague, Danemark ; Department of Community Medicine,T he Arctic University of Norway, Norvège ; Department of People and Technology, Roskilde University, Danemark

Si la logique du diagnostic précoce profite à certains, expliquent les auteurs, elle produit également des effets néfastes.
Le but de l'article est de démontrer comment le temps dans les sociétés des pays développés est perçu dans une logique linéaire, inéluctable, irréversible et rapide. Et comment cette vision, concomitamment avec le totalitarisme de l'accélération sociale demandant de l'urgence dans l'action en santé, a pu conditionner la logique de l'urgence du diagnostic, et du dictat de la détection précoce : "plus tôt, mieux c'est".

Les auteurs, parmi lesquels une anthropologiste, analysent la manière dont la logique du diagnostic précoce s'est imposée comme un concept stable et comment le message " plus tôt, mieux c'est" n'est actuellement pas remis en question par la recherche, la politique ou la société, alors que les preuves à l'appui de cette logique manquent, et que les études montrent la complexité imprévisible du génie du cancer.

Ils estiment que cela peut s'expliquer, du moins en partie, par une perception linéaire du temps et par les traces sociétales du néolibéralisme et de l'accélération dans notre société, ainsi que par le fait que le cancer est considérée comme une maladie énigmatique qui nécessite une action immédiate.
"La poursuite de la perception linéaire des symptômes et du cancer risque de faire plus de mal que de bien en rendant inutilement plus de gens malades et en dépensant les ressources de santé pour ceux qui en ont le moins besoin."

Les CPP au Danemark, qu'est-ce ?

Les variations de la survie au cancer que l'on constate entre les pays ont été expliquées par un supposé retard de diagnostic et de traitement, et cette vision reflète l'importance accordée au temps dans nos sociétés, convaincues qu'on peut réduire le délai de diagnostic et de traitement par des programmes nationaux de dépistage et des initiatives de lutte précoce contre le cancer.Ainsi des parcours accélérés pour les patients atteints de cancer (CPP, cancer patient pathways), ont été mis en place au Danemark depuis 2007, et des stratégies similaires sont en train d'être introduites dans le reste de ce qu'on appelle le Global North, à savoir les pays développés et à niveau similaire de développement.

Les auteurs écrivent :
"La rationalité qui sous-tend ces stratégies est ancrée dans la logique selon laquelle la détection précoce des symptômes du cancer (tels que la présence de sang dans les selles ou une grosseur dans le sein) peut soit (1) prévenir l'apparition du cancer, soit (2) détecter le cancer à un stade localisé et réduire ainsi la morbidité et la mortalité liées au cancer."

Dans ce cadre, les médecins généralistes peuvent orienter leurs patients vers des tests de diagnostic à l'hôpital lorsqu'ils présentent des symptômes vagues ou non spécifiques de cancer, tels que la fatigue ou la perte de poids. En bref, l'expression "le plus tôt sera le mieux" résume le principe essentiel de la logique du diagnostic précoce et est considérée par tous, public aussi bien que médecins, comme allant de soi, de par des facteurs sociétaux et culturels qui influencent nos perceptions du temps en relation avec le diagnostic. Ce que les auteurs vont décortiquer.

De quels effets néfastes parle-ton ?

"À l'échelle mondiale, le surdiagnostic, c'est-à-dire le fait de transformer inutilement des personnes en patients en détectant des changements pathologiques qui n'auraient jamais causé de dommages (Brodersen et al., 2018), est en augmentation (Glasziou et al., 2019). Un ensemble de recherches montre qu'une partie du surdiagnostic provient de la découverte de cellules cancéreuses "trop tôt", car beaucoup ne se développeront jamais ou ne se transformeront pas en maladie. Il est donc nécessaire de mener des recherches interdisciplinaires qui nuancent et approfondissent la compréhension du paradigme du "diagnostic précoce"."

Selon les auteurs, " les procédures de diagnostic, en particulier les dépistages dans le cas des cancers, sont fondées sur des impératifs moraux manifestes et sur une compréhension du temps, des symptômes et de la maladie qui imprègne la recherche, les individus et la société", alors même que les meilleures données disponibles ne suggèrent aucun bénéfice d'une telle initiative, mais plutôt des inconvénients. Cette conviction ressort dans les discours sur les avantages de la détection précoce et imprègne le ressenti du public.

Le problème : notre perception linéaire du temps

Damhus et col. exposent : " Dans cet article, nous soutenons que la logique du diagnostic précoce est liée aux notions de temps et à la façon dont les citoyens du Nord global interprètent le temps comme étant linéaire, cumulatif, irréversible et en mouvement rapide (Ostenfeld-Rosenthal et Bjønness, 2003). Ainsi, ayant une perception linéaire du temps, nous avons souvent tendance à nous orienter vers l'avenir."

La notion de temps ne doit pas être considérée comme acquise. Les auteurs en effet détaillent comment pour certains sociologues les périodicités temporelles conventionnelles (jours, mois, années) sont socialement dérivées, alors que pour d'autres, anthropologues, les catégories temporelles sont des adaptations à l'environnement physique. Certaines sociétés auraient une vision cyclique du temps, et non pas linéaire comme la nôtre.

Toutefois historiquement, toujours selon l'équipe on peut considérer que la période industrielle avec le travail en usine a favorisé cette vision d'une vie segmentée et séquencée, puis l'économie monétaire émergente a mis en relation le temps et le profit, dans la mesure où économiser du temps était aussi économiser de l'argent, et l'introduction d'un aspect moral selon lequel le temps doit être correctement utilisé.

Les auteurs se réfèrent au sociologue allemand Hartmut Rosa selon lequel l’accélération sociale prédomine dans notre société actuelle, "à la fois comme une accélération technologique mais aussi comme l’accélération du changement social et l’accélération du rythme de vie. Sans aucun doute, ce paradigme du temps linéaire, cumulatif et accéléré est également présent dans la façon dont le lien entre le temps et le cancer a été établi dans diverses disciplines de recherche."

De façon très souvent arbitraire un délai est attribué à chaque étape de l'évolution du cancer. Ainsi, l’accélération du temps de la réponse est une grande qualité dans la logique du diagnostic précoce. A la caractéristique de l'accélération de l'action sanitaire s'ajoute l’idée d’autonomiser les individus avec une meilleure litératie sanitaire. Ceci garantit certes une la liberté de choisir, mais aussi impose à l’individu plus de responsabilité et l'encourage à se gouverner selon des comportements de santé jugés appropriés.
Dans le cadre de ce que des sociologues appellent la « citoyenneté biologique », disent les auteurs," les citoyens sont promis à l’autonomisation par la diffusion de campagnes de sensibilisation nationales et encouragés à prendre des mesures proactives dans la recherche de soins de santé. Dans ce contexte, une réponse rapide est considérée comme le résultat souhaitable, l’individu étant considéré comme l’agent responsable de sa propre santé.
Cependant, si les individus n’adhèrent pas, ils ne sont pas seulement blâmés par les autres, mais sont également susceptibles de se blâmer eux-mêmes. Cela impose aux individus un fardeau considérable pour se conformer aux attentes de la société et renforce la notion selon laquelle une action en temps opportun est cruciale pour obtenir des résultats positifs en matière de santé."

L' article a pour objectif d'étudier comment les différentes notions de linéarité du temps sont essentielles dans la recherche sur le cancer, d'en comprendre les conséquences individuelles et sociétales, et d'inviter à repenser le temps dans l'évolution cancéreuse.

La taille d'une tumeur n'est pas corrélée au temps

Les auteurs se réfèrent à Gilbert Welsch, cancérologue américain qui a travaillé sur les modèles de l'évolution cancéreuse et a conçu un schéma explicatif illustrant pourquoi finalement le dépistage échoue dans sa mission première, à savoir trouver les cancers les plus graves qui sont souvent trop rapides pour être anticipés, et surdétecte à l'inverse des cancers peu ou même pas menaçants, mais suffisamment indolents pour être facilement détectés.

"Le cancer ne représente pas une maladie. La biologie, la croissance et l’étiologie des tumeurs sont beaucoup plus complexes, à la fois au sein de la tumeur spécifique aux organes et entre les différents types de cancer (Welch, 2022). Comme l’a dit le médecin et chercheur en cancérologie H. Gilbert Welch : « Dans la pratique clinique, le fait de dire qu’une personne est atteinte d’un cancer donne le moins d’informations possible sur l’évolution possible de sa maladie pour dire qu’elle est infectée. Il y a des conséquences dangereuses qui peuvent être fatales. et il y a des infections inoffensives qui sont auto-limitées ou qui peuvent disparaître. Il en va de même pour les cancers. Le cancer n’est pas une entité unique. Il s’agit d’un large éventail de maladies liées les unes aux autres seulement de nom » (Welch, 2022).

Cette complexité se reflète dans une étude épidémiologique danoise comparant la taille des cancers de la tête et du cou au moment du diagnostic avec la taille au début du traitement (Jensen et al., 2007). Les auteurs ont constaté que 38 tumeurs sur 61 avaient augmenté, mais que la croissance variait entre 6 % et 495 % du volume tumoral (Jensen et coll., 2007). Ces grandes variations de la croissance tumorale, au sein d’un même type de cancer, illustrent la complexité de la biologie tumorale, qui est illustrée plus en détail à la figure 1 (Welch et Black, 2010)."

A- Cancer rapide ; B-cancer lent ; C-cancer très lent ; D-cancer stagnant ; E-cancer régressif

"La figure 1 montre l’hétérogénéité de la progression du cancer (Welch et Black, 2010). Si l’on considère la figure 1, le cancer-A croît rapidement, ce qui laisse une très courte fenêtre d’opportunité entre les symptômes et le traitement avant que la personne ne meure de ce cancer. Ces tumeurs sont souvent qualifiées de tumeurs agressives, et aucun programme de dépistage ou d’initiation précoce au cancer ne semble pouvoir les détecter à un stade localisé. Le cancer-B se développe lentement, et la fenêtre ouverte d’opportunités des symptômes à la mort de la personne est plus longue. Dans le cas de certains cancers B, cela permet aux participants au dépistage et aux patients qui cherchent à obtenir un diagnostic de cancer localisé chez leur médecin de famille et, grâce au traitement, ces patients pourraient ne pas mourir de leur cancer. Le cancer-C se développe très lentement, et le patient mourra d’autres causes avant que le cancer ne donne des symptômes. Le cancer-D+E sont des conditions non progressives qui répondent à la définition pathologique du cancer mais ne causent jamais de symptômes (D), et certains grandissent puis régressent (E). Cela suggère que pour les cancers B, un diagnostic et un traitement rapides pourraient réduire la mortalité par cancer. En revanche, le cancer C+D+E peut être affecté par un surdiagnostic, ce qui signifie qu’ils reçoivent un diagnostic qui ne leur causera pas de maladie au cours de leur vie (Brodersen et coll., 2018). "

Nous vous proposons une version un peu différente issu de l'article "comment se développe un cancer" :

Le cancer très agressif correspondant à la forme rapide est raté par le dépistage.
Le cancer lent est anticipé par le dépistage mais ce serait manifesté et la patiente aurait consulté à temps, le temps métastatique étant très long, on est en temps et en heure pour traiter et guérir.
Pour les trois autres formes de cancer qui n'auraient pas occasionné de troubles, le dépistage ne sert à rien, et c'est pour ces trois dernières formes (parenthèse) que se produit le surdiagnostic.

"En termes simples, le surdiagnostic se produit parce qu’il n’est pas possible de déterminer si un cancer détecté est un cancer A ou l’un des autres cancers (figure 1). Ainsi, certains cancers sont diagnostiqués et certains d’entre eux sont traités, bien que ces cancers n’auraient pas causé de maladie dans la vie de la personne. Selon une étude australienne, environ 20 % des cancers diagnostiqués en Australie sont surdiagnostiqués (Glasziou et al., 2019). Outre les préjudices physiques découlant d’un éventuel surtraitement, ces patients risquent des conséquences psychologiques négatives et des effets d’étiquetage liés à l’obtention d’un diagnostic de cancer (Bond et coll., 2013). Pour récapituler, l’étiologie différente et la croissance des tumeurs cancéreuses impliquent que le diagnostic précoce du cancer peut réduire la mortalité par cancer pour certains, mais d’autres sont sur-diagnostiqués et surtraités. Cela signifie que même dans le même type de cancer, il est difficile d’estimer le bénéfice d’un délai accéléré entre les symptômes, le diagnostic de cancer et la mortalité par cancer."

La logique du diagnostic précoce du cancer

En oncologie on souhaite maîtriser les effets d'un cancer de diagnostic retardé, le temps est géré comme une variable qui doit être contrôlée, ou du moins corrigée tout en étudiant les résultats. C’est pourquoi les épidémiologistes du cancer divisent le temps en intervalles. La figure 2 est couramment utilisée dans les études de diagnostic précoce du cancer pour faciliter une définition et un compte rendu uniformes et normalisés des études dans ce domaine (Weller et coll., 2012).
C'est donc par commodité et de façon tout à fait théorique que le temps se compose de différents intervalles allant de la première fois que le patient ressent un symptôme potentiel de cancer au début du traitement.(Figure 2)

On distingue ainsi "un intervalle patient, un intervalle médecin et un intervalle système" correspondant à chaque période de temps où un retard peut survenir dans le processus linéaire des symptômes au traitement. Cette subdivision est théorique.

Comme le rappellent les auteurs :
"En épidémiologie du cancer, le plan d’étude idéal comprend un essai contrôlé randomisé dans lequel certains participants sont inclus dans un groupe d’étude qui retarde le diagnostic du cancer et d’autres ne le sont pas. Cependant, la perception que le diagnostic rapide du cancer est essentiel induit que les patients sont peu susceptibles de participer, et rend l’approbation éthique difficile, voire impossible à obtenir."

En effet, au tout début du dépistage on disposait de cohortes de personnes qui n'avaient jamais eu de dépistage et on les intégrait dans des études comparatives avec deux groupes, l'un dépisté et l'autre non, où on étudiait l'effet du dépistage par rapport au groupe non dépisté.
De nos jours ce genre d'étude n'est plus possible dans la mesure où l'on considère non éthique l'établissement d'un groupe "sans dépistage", autrement dit le fait de soustraire une personne à la possibilité de se faire dépister, considérant qu'il y a un manque de chance pour elle, alors que nous manquons de données probantes pour statuer si le diagnostic accéléré du cancer est réellement bénéfique ou non en termes de mortalité ou de morbidité.

Pour revenir aux CPP (les parcours accélérés pour les patients porteurs de cancers), une étude danoise a étudié la longueur de l’intervalle de diagnostic avant, pendant et après la mise en œuvre du CPP, dont les auteurs de cet article résument les résultats :
"Les auteurs ont constaté que l’intervalle diagnostique (voir la figure 2) était plus court après la mise en œuvre du CPP, mais aucun développement favorable au stade tumoral au cours de la mise en œuvre du CPP n’a été observé (Jensen, 2015). Cela souligne encore une fois la complexité de la question de savoir si la logique du diagnostic précoce peut prévenir le cancer disséminé. Ce ne sont là que quelques exemples tirés de la littérature épidémiologique, mais les données épidémiologiques actuelles ne suggèrent pas d’association claire entre le diagnostic précoce et l’amélioration des résultats du cancer dans son ensemble."

En dépit de bon nombre d'études démontrant la complexité non maîtrisable des modèles d'évolution cancéreuse rendant hypothétiques les bénéfices avancés du dépistage (lire ici, et ici), la recherche actuelle est toujours très centrée sur la découverte de nouvelles technologies d'anticipation, comme l'analyse de l'ADN tumoral circulant ou de marqueurs sanguins.(voir la synthèse sur les biopsies liquides). On réfléchit toujours le temps cancéreux sous forme d'un continu linéaire et inéluctable, alors que ce schéma existe peut-être mais que d'autres parcours existent, comme une stagnation, une régression, une évolution rapide de la tumeur suivie d'une stagnation, une lente évolution qui peut s'accélérer etc....

C'est ce que relatent les auteurs :

"Le concept sous-jacent est que les symptômes ou même les biomarqueurs existent sur un continuum, se développant d’une manière avant-gardiste sinon ralentie par la détection. La figure 3 montre comment les symptômes augmentent la signification clinique, devenant ainsi de plus en plus révélateurs du cancer (Vedsted et Olesen, 2015). Cette figure montre les symptômes sur un continuum allant de « certainement pas grave » à « à faible risque, mais pas sans risque », se terminant par « certainement grave » (Vedsted et Olesen, 2015). Cependant, cela contredit la figure 1, dans laquelle certains cancers, mais pas tous, deviendront des maladies graves (Welch et Black, 2010)."

Mais cette figure, là aussi très théorique, est trompeuse, car, disent les auteurs " les études suggèrent que même les symptômes « certainement graves », également appelés symptômes d’alarme du cancer, sont très répandus chez les personnes vues en pratique générale, mais ont une faible valeur prédictive positive (VPP) du cancer (Svendsen et al., 2010). Par exemple, au cours d’une année donnée, 15 % de la population générale danoise a présenté des symptômes alarmants de cancer du sein, colorectal, urinaire ou pulmonaire (Svendsen et coll., 2010). Cependant, seulement un petit nombre de ces 15 % auront le cancer (Svendsen et coll., 2010). Fait important, la logique du diagnostic précoce exprimée à la figure 3 a justifié l’abaissement du seuil de suspicion du cancer en pratique générale. Avec l’introduction du CPP pour les symptômes non spécifiques du cancer du sein (NSSC-CPP), les personnes qui présentent ce qu’on appelle un « risque faible mais non nul » sont admissibles à un examen diagnostique intensif du cancer."

La sémantique militaire qui entoure le discours du cancer amplifie cette agressivité et cette précipitation lorsqu'on appréhende le cancer. Les personnes "se sont battues" contre le cancer, ou au contraire "après une longue lutte, la personne a succombé". Le mythe du 'cancer-hero' est très présent, quand il s’agit de cancer on exige en retour une attitude de contre-attaque et une action forte du corps médical ; aussi on "combat" la maladie, on a un "arsenal thérapeutique", on "lutte" contre le cancer.

Dans son analyse historique du cancer du sein, Robert A. Aronowitz, docteur en médecine et professeur de sciences sociales a exploré "comment les écrits populaires et médicaux et les messages de santé publique sur le cancer depuis le début du XXe siècle exhortent constamment les femmes et les hommes à consulter un médecin dès qu’ils remarquent des symptômes qui pourraient signaler le cancer (Aronowitz, 2001). Il est intéressant de noter que le message public « ne tardez pas » dans la recherche de soins contre le cancer était déjà établi au début des années 1900".
"Aronowitz soutient que l’étiologie inconnue du cancer, les incertitudes médicales dans le traitement, et les écarts entre les cas spécifiques de cancer et le type idéal de cancer ont forcé le blâme et la responsabilité. Le « message de retard » a rendu les personnes responsables de leur maladie tout en minimisant certaines des incertitudes existentielles, morales et médicales liées au soin de patients individuels pour les cliniciens (Aronowitz, 2001)."

Alors que les faits, les études et les constatations dans la vraie vie laissent entrevoir des multitudes de possibilités d'évolution cancéreuse, et montrent que la taille tumorale n'est pas corrélée au temps de façon linéaire, malgré cela, relatent les auteurs : " dans le plan national danois de lutte contre le cancer de 2005, on peut lire que « les études sur l’effet des retards sur les facteurs pronostiques de ces cancers pointent dans des directions différentes, et l’effet n’est donc pas définitivement clarifié » (Autorité sanitaire danoise, 2005)."
Il y a bien un doute sur l'efficacité réelle des procédures de diagnostic accéléré, pourtant : "en dépit de preuves non confirmées, le gouvernement a mis en place des CPP accélérées dans le cadre du plan national contre le cancer (Autorité sanitaire danoise, 2005)."

Nous joignons ici des images de cas cliniques illustrant l'absence de corrélation taille/temps en matière de cancer du sein, issus de notre article sur "l'histoire naturelle du cancer".

Détecté petit et pourtant déjà métastasé

« Premiers symptômes »?

Nous reprenons la figure 2

Damhus et col. soutiennent que cette vision assigne la responsabilité aux différents acteurs du parcours, en particulier aux patients eux-mêmes ainsi qu'aux médecins.

" Le premier intervalle est nommé premier symptôme et fait partie de l’intervalle patient. Il existe deux principes : 1°- qu’un premier symptôme existe et 2°- que l’individu peut reconnaître et est responsable de réagir à un tel premier symptôme. Cependant, en faisant appel à d’autres et à notre propre travail ethnographique avec des patients enquêtés avec la suspicion de cancer, nous avons constaté que les premiers symptômes ne sont pas aussi simples que cela, car les gens n’ont pas toujours expérimenté leur corps dans un processus aussi linéaire et avancé (Damhus et al., 2022a; Merrild et Andersen, 2021). De plus, les gens pourraient ne pas être en mesure d’interpréter leur « premier symptôme » comme tel, parce qu’ils ne sont pas nécessairement exempts de symptômes pour commencer ou même conscients de leur corps de cette façon. Dans une étude de Merrild et Andersen, basée sur des entretiens ethnographiques répétés avec 10 patients atteints de cancer socialement défavorisés au Danemark, l’interlocuteur, Liz, a déjà été traitée pour le cancer du sein et est maintenant vue pour des tests de suivi à l’hôpital (Merrild et Andersen, 2021). Liz est handicapée par sa colonne vertébrale qui se détériore, alors lorsqu’elle décrit ses problèmes de santé, il est souvent difficile de faire la distinction entre son cancer antérieur, ses maux de dos ou ses ganglions lymphatiques enflés, le renflement de la peau sous son bras ou les bosses dans son sein – tout est flou. (Merrild et Andersen, 2021). "

"Trop tard", ou "suffisamment tôt", ces termes n'ont aucun sens lorsqu'on prend conscience du caractère illusoire de la corrélation entre symptômes et stade cancéreux. Pourtant combien de fois peut-on assister, en consultation, à des discours de patientes commodément blâmées par le corps médical d'avoir "trop tardé", et qu'on n'écoute absolument pas lorsqu'elles relatent la survenue subite, parfois en un week-end (expérience personnelle NDLR) de leur tumeur palpable dans leur sein ?

"En se référant à un intervalle entre les patients" notent les auteurs, "il y a une attente implicite que la personne est responsable d’agir en termes de réaction aux symptômes et de recherche de soins de santé appropriés.
Cette responsabilité n’est pas nouvelle, car les citoyens ont depuis longtemps la responsabilité d’agir sur les symptômes potentiels du cancer en temps opportun (Aronowitz, 2001). Dans les années 1920, l’étiologie inconnue du cancer a renforcé les médecins à blâmer le temps ou le patient si de mauvais résultats se sont produits. Fait important, le néolibéralisme n’a pas créé le cancer comme une maladie aiguë, mais plutôt confirmé et amplifié la logique déjà établie. Ceci en encourageant les individus vieillissants à se gouverner eux-mêmes, en créant un espace pour l’action individuelle et en impliquant, mais aussi en attribuant le blâme si l’individu ne réussit pas."

Citons à nouveau Rosa, le sociologue allemand :
"La responsabilité de réagir aux symptômes et de voir le médecin à temps, vient avec la contrepartie de ne pas perdre le temps du médecin, en voyant le médecin trop souvent. Concernant 'ne pas perdre de temps et l’obligation morale de faire bon usage du temps', Rosa et d’autres soutiennent que ce sont les caractéristiques de notre société actuelle où les logiques de marché, y compris les caractéristiques de la concurrence, ont accéléré le rythme non seulement du développement technologique, mais de toutes les parties de l’action sociale dans notre société."

Plus tôt, mieux c'est " en tant que concept stable dans le Nord

Tant que nous reconnaissons l’importance du diagnostic précoce, en médecine, dans la recherche et dans les innovations technologiques pour traquer le 'toujours plus petit' et considérons la précocité comme une perspective biomédicale précieuse, alors la logique sous-jacente fondamentale de linéarité du temps dans le développement cancéreux n’a pas été fondamentalement remise en question.

Pourquoi le "plus tôt, mieux c'est" , logique intuitive mais fallacieuse persiste encore à notre époque ?
Peut-être parce que, en dépit du fait que cette logique est fallacieuse, nous n'en avons pas de meilleure ni de plus précise, que celle-ci est commode et peut être facilement enseignée.

Les auteurs alertent toutefois sur les dommages de cette vision trop confortable de la recherche du toujours plus tôt et petit.
"Lorsque la logique du diagnostic précoce profite à certains, elle produit également des préjudices tels que le surdiagnostic, le surtraitement...
En outre, la logique du diagnostic précoce a élargi la population de personnes admissibles au dépistage du cancer, ce qui n’est pas sans conséquences. Premièrement, l’expansion a compliqué la réponse à ce qui constitue les symptômes du cancer. Cette question (de recherche) nécessite sa propre analyse, mais notre analyse actuelle indique que nous pourrions tous avoir des symptômes de cancer qui pourraient faire disparaître la signification des symptômes du cancer."

"Deuxièmement", poursuivent-ils, "enquêter sur davantage de personnes suspectées de cancer risque de dépenser des ressources de santé parmi ceux qui en ont le moins besoin, ce qui, au niveau sociétal, n’est pas viable dans un secteur de santé financé par l’État avec des ressources limitées.
Cependant, l’hypothèse vieille de plus de 100 ans que le cancer est évitable s’il est pris à temps (Aronowitz, 2001) n’a pas changé, mais elle est exactement la même que le message de la plus récente campagne sur le mélanome malin de la Société danoise du cancer « le mélanome malin est curable s’il est pris à temps ». (Société danoise du cancer, 2023). Il est frappant de constater que, malgré le manque de preuves à l’appui de ce message, aucun chercheur, politicien ou individu ne semble remettre en question la logique du diagnostic précoce du cancer.
Dans notre compréhension linéaire du temps, la mort est la fin. La mort est redoutée et considérée comme quelque chose qui devrait être évité ou du moins reporté par nous. Ces paradigmes, conjugués au fait que le cancer est la principale cause de décès, appuient l’accent à mettre sur la prévention du cancer et légitiment la logique du diagnostic précoce. Rosa soutient que l’accélération sociale est devenue une force totalitaire dans et de la société moderne (Rosa, 2010).
Pour Rosa, un pouvoir est totalitaire quand il exerce une pression sur les volontés et les actions des sous-projets, ...et quand il est difficile ou presque impossible de le critiquer et de le combattre (Rosa, 2010)."

C'est bien le cas dans nos sociétés post-modernes où le concept d'anticiper la maladie à tout prix par une multiplication de tests biologiques et d'imagerie est publiquement parfaitement incontestable sous peine de se voir traiter de non-progressiste ou pire, de vouloir mettre en danger la vie des gens.
Les médias sont pour la plupart hermétiques à toute remise en cause, et notre expérience dans le collectif Cancer Rose est grevée de refus de publications d'interviews donnés, en raison de barrages de certaines rédactions. (NDLR)

Conclusion

Les auteurs soutiennent "qu’il est nécessaire de remettre en question et de nuancer cette ontologie quelque peu linéaire et stable du temps et du cancer dans la logique du diagnostic précoce. Nous reconnaissons que cette tentative pourrait échouer, entre autres, en raison de notre perception linéaire du temps et des caractéristiques totalitaires de l’accélération sociale, constituant des élévations centrales de la logique du diagnostic précoce."

Ils écrivent :

"Les données de différents chercheurs suggèrent que les symptômes et le cancer sont beaucoup plus complexes que cette linéarité, la logique du diagnostic précoce a survécu, à la fois dans les décisions politiques sur la prévention du cancer, les différentes disciplines de recherche et dans la sensibilisation du public au cancer.

Nous soutenons que cela, au moins en partie, peut s’expliquer par la puissance d’une perception linéaire du temps et des traces sociétales du néolibéralisme et de l’accélération dans notre société, le cancer étant toujours une maladie quelque peu énigmatique qui nécessite une action aiguë. Pour soutenir un secteur de la santé durable, nous soutenons qu’il est nécessaire de nuancer la logique du diagnostic précoce. La prévention primaire structurelle du cancer est incontestablement importante dans les sociétés d’aujourd’hui, mais la poursuite de la perception linéaire des symptômes et du cancer dans la prévention médicale, risque de faire plus de mal que de bien. Bref, en rendant plus de gens malades inutilement et en dépensant des ressources de santé parmi ceux qui en ont le moins besoin."

Articles connexes

Un médecin a beaucoup travaillé en France sur l'histoire naturelle du cancer, il s'agit de Dr B.Duperray, ancien chef de service de radiodiagnostic à l'Hôpital Saint Antoine à Paris, voici un extrait de son livre, "dépistage du cancer du sein, la grande illusion", aux éditions Souccar : https://cancer-rose.fr/2021/02/24/extrait-du-livre-b-duperray/

Lire aussi : https://cancer-rose.fr/2019/12/17/contributions-de-dr-b-duperray-sur-le-surdiagnostic-dans-le-cancer-du-sein/

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Surdiagnostic, une préoccupation en médecine d’urgence aussi

Traduction et commentaires par Cancer Rose, 27 mars 2024

A propos d'un article de Justin Morgenstern
https://first10em.com/overdiagnosis-would-we-better-better-off-not-looking/

Le paradoxe de l'imagerie médicale et des avancées technologiques d'explorations modernes réside dans leur capacité d'imager et mesurer le corps humain de manière toujours plus détaillée, mais aboutissant à des détections biologiques et des images qui deviennent la source de l'un de nos plus grands défis en médecine, résumé dans le titre de cet article : Surdiagnostic : Serait-il préférable de ne pas chercher ?
Ce questionement se pose également en médecine d'urgence.

Justin Morgenstern est médecin d’urgence, il est aussi le créateur, le webmaster et le rédacteur en chef du media First10EM.
Passionné de médecine factuelle, il est également professeur adjoint à l'Université de Toronto.

Nous restituons sont point de vue publié le 25 mars dans First10EM sur les surdiagnostics en médecine d'urgence.
(Article connexe : https://first10em.com/overdiagnosis-in-the-emergency-department/)

Une augmentation du recours aux examens dans le cadre de la médecine d'urgence

Il ne fait aucun doute que le recours aux examens a considérablement augmenté en médecine d'urgence au cours de ma carrière.
Entre 2001 et 2010, l'utilisation du scanner dans les services d'urgence a été multipliée par 3 (et l'utilisation de l'IRM a été multipliée par 9, mais pour une raison quelconque, il m'est encore presque impossible d'en obtenir un) (Carpenter 2015)
La question est de savoir si tous ces tests aident réellement les patients. L'imagerie moderne est extraordinaire, et je suis heureux de travailler à une époque où le scanner est facilement accessible, mais il semble assez clair qu'au moins une partie des tests médicaux effectués chaque jour n'aide pas les patients. Par exemple, malgré l'augmentation massive de l'utilisation du scanner angiographique pulmonaire et de l'augmentation du taux de diagnostic de l'embolie pulmonaire, la mortalité due à l'embolie pulmonaire n'a pas du tout changé. (Carpenter 2015)

Ainsi, nous effectuons des tests, qualifions les patients de malades, les soumettons à une anticoagulation à long terme, mais sans aucun bénéfice en fin de compte. Une partie du problème réside dans le fait que les médecins n'ont pas compris l'importance de la probabilité pré-test, et la médecine est inondée de faux positifs. L'autre problème est le surdiagnostic.

(NDLR, l'importance de la compréhension des probabilités pré-tests de dépistage :
Imaginons un nouveau scanner qui ne rate jamais un cas de cancer du sein (sensibilité à 100 %), mais qui entraîne un faux positif chez 5 % des femmes en bonne santé (spécificité 95 %). Cet examen peut être considéré alors comme un test excellent et très précis que nous pourrions utiliser comme dépistage pour détecter le cancer du sein plus tôt. Chez les femmes de moins de 50 ans, le taux de cancer du sein est de 1 sur 1000.
Prenons le cas d'une femme de 45 ans qui aurait ce test positif, quelle est la probabilité qu’elle ait le cancer du sein réellement?
Calcul : dans un échantillon de 1 000 femmes, nous nous attendons à ce que 1 d’entre elles ait le cancer. La tomodensitométrie est parfaite et identifie la seule femme atteinte du cancer. Cependant, le taux de faux positifs de 5 % signifie que sur ce groupe de 1000 femmes, 50 recevront des résultats faux positifs. Il y a 51 tests positifs et seulement 1 cas réel de cancer. Par conséquent, le risque réel de cancer pour cette femme de 45 ans, malgré son scanner positif, est de 1/51, soit environ de 2 %.
Un résultat positif avec un test de dépistage extrêmement sensible ne procure encore que 2% de chances que le patient ait réellement et effectivement la maladie....
)

"Il y a surdiagnostic lorsqu'un test trouve une anomalie qui est techniquement "vraie positive", dans la mesure où l'individu présente la pathologie diagnostiquée, mais qui, dans ce cas particulier, n'aurait jamais causé de maladie réelle, même si elle n'avait pas été découverte et traitée." (Hoffman 2017)

Le problème du sur-dépistage et du surdiagnostic est que, bien que nous puissions facilement identifier ces patients dans les données statistiques globales, ils ne peuvent pas vraiment être identifiés cliniquement au stade du soin (NDLR :on peut identifier le surdiagnostic à l'échelle populationnelle, en comparant des populations soumises à des intensités différentes de dépistage, mais pas à l'échelle individuelle ; lors de la prise en charge d'une personne, il n'y a pour le clinicien, le biologiste et le radiologue seulement un diagnostic).
Contrairement aux faux positifs, qui peuvent potentiellement être identifiés (NDLR : le faux positif est une non-pathologie mise en évidence par des examens complémentaires) , le surdiagnostic se produit en présence d'une pathologie réelle, de sorte que les tests supplémentaires ne peuvent jamais remettre le "génie dans la boîte". Ainsi, le surdiagnostic conduit nécessairement à un surtraitement, et les patients ne sont donc pas seulement exposés aux inconvénients des tests, mais aussi à ceux de nos traitements (inutiles).

(NDLR : en mammographie, la fausse alerte ou faux positif est la suspicion d'un cancer sur une image mammographique, mais qui ne se confirmera pas après d'autres examens complémentaires. C'est donc un non-cancer, ce que l'on sait après avoir réalisé d'autres examens que la mammographie.
Le surdiagnostic c'est l'identification en mammographie d'un réel cancer authentifié par la biopsie, mais qui n'aurait pas évolué en l'absence de dépistage et n'aurait pas mis en danger la vie de la femme s'il était resté ignoré).

Bien que cela puisse sembler trop philosophique pour les médecins urgentistes en exercice (sic), nous devons vraiment nous pencher sur la définition de la maladie. Le langage a le pouvoir de façonner la réalité. En appliquant un diagnostic à un patient, nous rendons les choses telles qu'elles sont. Or, d'un point de vue physiologique, de nombreuses affections se présentent sous la forme d'un spectre (ou éventail de pathologies, NDLR), et s'il est logique de parler de 'maladie' pour une partie de ce spectre, il n'est certainement pas judicieux de qualifier tout le monde de malade.
(NDLR, la terminologie d'une lésion a une grande importance car elle détermine l'attitude plus ou martiale que la médecine va employer pour la traiter. Lors d'une réunion du National Cancer Institute américain en 2012, un groupe d'experts a discuté des stratégies visant à atténuer les préjudices du surdiagnostic et du surtraitement. Le fait qu'une large proportion de carcinomes in situ du sein, par exemple, est peu susceptible d'évoluer vers un cancer invasif a conduit à la proposition de modifier la terminologie pour supprimer le mot "carcinome" (et le mot 'cancer de stade 0') afin que le nom corresponde mieux à la compréhension croissante de la biologie sous-jacente, en les désignant simplement comme des "néoplasies intraépithéliales".
Les termes "cancer" et "carcinome" devaient être réservés aux lésions susceptibles de progresser. Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/04/25/ne-mappelez-plus-cancer/)

Par exemple, il existe certainement un niveau à partir duquel l'hypertension artérielle est nocive et à partir duquel les avantages d'une intervention dépassent les risques. Toutefois, le seuil exact fait l'objet d'un vif débat. Devrions-nous vraiment qualifier de malade une personne dont la pression artérielle systolique est de 142 ? Cela se traduit-il par un bienfait global ?
(NDLR : la question. de"quand est-on malade?" est posée dans le livre de Dr B.Duperray, "dépistage du cancer du sein, la grande illusion" aux éditions Souccar, extrait page 249
"Vouloir dépister sans savoir répondre à la question à partir de quand est-on malade ? conduit inévitablement au surdiagnostic. Si l’on ne peut pas encore se soustraire à tout coup à la mort par cancer du sein, on peut, en évitant le surdiagnostic, ne pas avoir à vivre l’agression médicale face à une maladie hypothétique fabriquée de toute pièce."
)

En ce qui concerne la médecine d'urgence, nous savons que les petits caillots sanguins sont extrêmement fréquents dans le corps humain. Il existe un équilibre permanent entre la coagulation et la lyse qui est intrinsèquement normal (pas de maladie). Si une embolie pulmonaire sous-segmentaire (affectant une toute partie très minime d'un poumon, NDLR) est découverte fortuitement sur un scanner de traumatologie, ce patient doit-il être considéré comme malade ? Lorsque nous trouvons des nodules fortuits sur un scanner de traumatologie, à partir de quel seuil devons-nous les qualifier d'anormaux ? Plus nous demandons d'examens, plus ces questions deviennent pressantes.
(Article connexe à lire à partir de la partie B, incidentalomes et soins de faible valeur)

L'explosion des informations diagnostiques dont nous disposons souligne "l'importance de faire la distinction entre les données (une collection de faits isolés), l'information (la reconnaissance du modèle que ces données impliquent), la connaissance (une compréhension de ce que ces informations signifient) et la sagesse (savoir comment appliquer les connaissances d'une manière qui améliore les résultats)". (Hoffman 2017)

Preuves de surdiagnostics

La plupart des preuves de surdiagnostic proviennent du domaine des soins primaires et du dépistage. Bien qu'ils ne relèvent pas de la médecine d'urgence, ces exemples permettent d'élucider les problèmes posés par le dépistage dans les populations à faible risque.

Le cancer de la thyroïde est un exemple classique.
(Article connexe : https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/)
L'incidence du cancer de la thyroïde est restée relativement stable pendant des décennies, jusqu'à ce que le dépistage commence à devenir populaire dans les années 1990. L'incidence a ensuite triplé entre 1990 et 2009, mais la mortalité est restée totalement inchangée. "Nous avons constaté qu'il existe une épidémie de cancer de la thyroïde aux États-Unis. Cependant, il ne semble pas s'agir d'une épidémie de maladie. Nos résultats démontrent que le problème est dû au surdiagnostic du cancer papillaire de la thyroïde, une anomalie souvent présente chez des personnes qui n'en développent jamais les symptômes." (Davies 2014)
La situation est encore pire en Corée du Sud, où un programme de dépistage financé par le gouvernement a entraîné une multiplication par 15 des diagnostics de cancer de la thyroïde, sans qu'il y ait de preuve d'une amélioration de l'état de santé des patients. (Lee 2014 ; Park 2016)

NDLR : nous voyons de ce schéma tiré de la référence Davies 2014 (voir réfs en bas d'article) qu'avec le sur-dépistage des cancers thyroïdiens nous avons un paradoxe entre l'inflation des diagnostics de cancers et une mortalité pourtant non améliorée.
On trouve des preuves similaires de surdiagnostic pour le cancer du sein, le cancer de la prostate et le cancer du poumon. (Draisma 2009 ; Welch 2010 ; Patz 2014)

(Lire aussi : https://cancer-rose.fr/2023/01/09/le-surdiagnostic-des-cancers-un-defi-a-lere-du-depistage/)

Surdiagnostic en médecine d'urgence

Dans un article précédent sur le surdiagnostic, j'ai parlé d'un document examinant des exemples de surdiagnostic dans les services d'urgence (Vigna 2022). (Vigna 2022)
Cet article présente des exemples de surdiagnostic d'embolie pulmonaire, de maladie coronarienne, d'hémorragie sous-arachnoïdienne et d'anaphylaxie. En d'autres termes, le surdiagnostic est probablement présent dans les affections les plus courantes que nous évaluons chaque jour.

En réponse à une étude de base de données suggérant que nous pourrions manquer des fractures cervicales dans la population gériatrique, Hoffman et ses collègues présentent des données suggérant que de nombreuses fractures vertébrales chez les personnes âgées sont asymptomatiques, et donc "non seulement une intervention de routine ne conduirait pas à un bénéfice, mais elle produirait presque certainement un préjudice substantiel (et évitable) pour beaucoup de ces personnes."  (Hoffman 2017)
En d'autres termes, bien que la découverte d'une fracture cervicale semble toujours importante, les fractures cervicales pourraient représenter un autre exemple de surdiagnostic.

Une fracture du rachis cervical peut-elle faire l'objet d'un "surdiagnostic" ? À première vue, cette affirmation semble étrange. Les fractures du rachis cervical sont importantes à détecter, n'est-ce pas ? Cependant, je pense que Hoffman a tout à fait raison. Au cours de la dernière décennie, les radiographies du rachis cervical sont tombées en désuétude, remplacées presque entièrement par la tomodensitométrie. On nous a dit que c'était nécessaire, car la sensibilité des rayons X n'était tout simplement pas suffisante. Cela ne m'a jamais semblé correct. Il est évident que le scanner trouvera beaucoup plus de choses que la radiographie, mais était-ce vraiment un problème que nous devions résoudre ? Dans les années 1990, combien de patients ont été renvoyés de l'hôpital après une radiographie normale et sont devenus paralysés à cause d'une fracture de la colonne cervicale manquée ? Si le scanner était vraiment meilleur, nous devrions être en mesure de mettre en évidence les véritables préjudices subis par les patients à l'époque où il n'existait pas encore, mais le pouvons-nous ? Ou bien toutes les lésions supplémentaires détectées par le scanner sont-elles sans importance pour nos patients, sans qu'il soit nécessaire de modifier la prise en charge ? (Je ne demande pas d'imagerie pour les fractures nasales, parce que cela ne va pas changer la pratique. Peut-être que le scanner du rachis cervical est similaire).

Si le surdiagnostic est possible pour les fractures du rachis cervical, il semble qu'il le soit pour tous les diagnostics que nous posons.

Aidons-nous vraiment nos patients en identifiant et en réalisant un plâtre pour une fracture /avulsion ? Une admission pour une petite augmentation de la troponine est-elle une bonne ou une mauvaise chose (NDLR le dosage de la troponine est utilisé dans le diagnostic d'infarctus)? Avions-nous besoin de trouver cette culture d'urine positive ? Pour presque tous les tests que nous demandons, il y a probablement des exemples de patients qui feraient mieux de ne pas en connaître les résultats.

Comment pouvons-nous nous améliorer ?

Les causes de surtesting sont complexes et variées, notamment le risque de faute professionnelle, les incitations financières, les préférences des praticiens, le manque de suivi disponible, les attentes des patients, la complexité croissante de la médecine d'urgence et la culture de la perfection qui prévaut en médecine. (Carpenter 2015)
Carpenter et ses collègues suggèrent également que le manque de connaissance des règles de décision pourrait entraîner un surtest, mais personnellement je pense que l'exact opposé est probablement vrai ; les règles de décision avec des preuves imparfaites, et l'accent mis sur une sensibilité parfaite, mais une spécificité médiocre, entraînent probablement un surtesting.
(NDLR : l'auteur fait allusion aux recommandations émises sur des conduites à tenir pour des situations cliniques précises, et fait référence aux protocoles et référentiels recommandés dans telle ou telle situation clinique, auxquels on incite les cliniciens à se référer pour la prise en charge des pathologies)

Nous avons besoin d'une meilleure recherche. De nombreux arguments concernant les tests sont fondés sur des opinions plutôt que sur des données. Par exemple, de nombreux médecins urgentistes pensent que la prescription de tests prend moins de temps que la prise de décision partagée, mais de bonnes données sur ce sujet pourraient prouver qu'ils ont tout à fait tort. (La prescription de tests nécessite au moins une rencontre supplémentaire avec le patient, sans parler du temps consacré à l'interprétation du test, à la documentation des résultats et à l'inefficacité souvent liée à la recherche de patients dans la salle d'attente une fois les tests terminés).

Nous devons également encourager les essais cliniques randomisés sur les tests. Trop souvent, les tests sont introduits sur la base de leurs seules caractéristiques, mais sans information sur les résultats pour les patients. (Ou pire encore, des essais contrôlés randomisés sont réalisés et ne montrent aucun avantage, mais nous ignorons ces essais parce que la sensibilité du test est assez bonne. ...
En l'absence de recherches appropriées, il est impossible pour les cliniciens de savoir quand un test est approprié ou non.

Malheureusement, même avec une recherche correctement financée, nous risquons de nous retrouver avec d'importantes lacunes dans nos connaissances. "Les essais contrôlés randomisés (ECR), considérés à juste titre comme le critère de référence pour évaluer le bénéfice potentiel d'une intervention, sont notoirement médiocres pour évaluer les dommages potentiels. Les RCT ont presque toujours une puissance insuffisante pour rechercher les préjudices, ils recherchent rarement (et ne parviennent donc pas à identifier) les préjudices qui n'étaient pas prévisibles avant la réalisation de l'étude, ils ne durent presque jamais assez longtemps pour évaluer les préjudices qui se produisent au fil du temps, et (comme les gériatres le savent si bien) ils excluent généralement précisément les personnes qui sont les plus à risque." (Hoffman 2017)

NDLR, extrait du livre de C.Bour "mammo ou pas mammo ?" aux éditions Souccar, page 168 :
"De 1970 à 1980, dans divers pays (Norvège, Danemark, Canada, New York, Suède) des femmes ont été incluses dans des études expérimentales, ce qu’on appelle des essais. Ces essais consistaient à comparer tout simplement le devenir de femmes dépistées à celui de femmes non dépistées. À l’époque c’était possible, les femmes n’ayant jamais été radiographiées au niveau des seins. On disposait de ce qu’on peut appeler des « cohortes pures ». Ces études montraient une soi-disant formidable diminution de mortalité grâce au dépistage, jusqu’à 30 % de moins de risque de décéder d’un cancer du sein. Le résultat semblait enthousiasmant. Or ces premières expériences comportaient de bien nombreux biais, c’est-à-dire des irrégularités dans la méthode, dans la répartition des femmes entre les deux groupes et dans les analyses statistiques. La méthodologie n’obéissait pas aux critères de qualité actuels. Les résultats les meilleurs étaient obtenus avec les moins bonnes mammographies. D’ailleurs, aucun des appareils utilisés alors n’obtiendrait l’agrément pour être utilisé de nos jours."

Nous avons besoin de systèmes financiers qui récompensent les médecins pour leurs bons soins, et pas seulement pour leur efficacité ou leur rapidité. Nous avons besoin de systèmes juridiques plus raisonnables, capables de reconnaître les avantages à long terme de l'évitement des tests, plutôt que de simplement sanctionner les médecins lorsque des tests ne sont pas demandés.

Nous avons besoin d'une culture médicale qui reconnaisse les seuils des tests et le taux d'échec...
Une bonne éducation ne peut se contenter de mettre l'accent sur la mentalité du "envisager le pire d'abord" ou sur les erreurs de diagnostics, sans insister sur les nombreux inconvénients des tests supplémentaires.

Pour que le service des urgences réduise le nombre de tests, nous avons besoin de systèmes de santé fonctionnels, avec un suivi fiable, afin de ne pas rester les seuls médecins auxquels les gens peuvent avoir accès. Nous devons reconnaître que les tests sont utiles lorsque nous choisissons le bon test. Nous devons avoir accès aux tests appropriés dans les services d'urgence. Je n'ai pas accès à l'IRM en temps voulu, si bien que mes patients souffrant d'une possible syndrome de la queue de cheval (compression des nerfs inférieurs de la moelle épinière dans le bas du dos, aux étages vertébraux S2, S3, S4 et S5) subissent souvent d'abord un scanner, puis une IRM, ce qui accroît les risques potentiels d'un test sans aucun bénéfice.

Bien que cela ne concerne pas vraiment la médecine d'urgence, toute la logique derrière le dépistage et la détection précoce doit être reconsidérée, et les programmes de dépistage ont besoin de preuves solides de l'amélioration des résultats réels orientés vers le patient (et non pas des résultats ridicules et artificiels comme la mortalité spécifique à la maladie).
Nous devons reconnaître que tous les tests peuvent être nocifs (par le biais de faux positifs et de surdiagnostics) et qu'aucun test ne devrait être effectué "systématiquement". (Oui, j'en appelle à mes bons amis, les aficionados de l'échographie aux urgences).

Si des règles de décision doivent être utilisées, elles doivent être conçues avec des objectifs rationnels ... elles doivent être testées de manière approfondie par le biais d'études de mise en œuvre qui démontrent réellement le bénéfice pour le patient, plutôt que de s'arrêter simplement lorsque nous constatons une sensibilité décente (tout en ignorant également la faible spécificité qui conduira à des tests excessifs).

Nous avons besoin d'une meilleure éducation. Les problèmes de surdiagnostic ne sont pas bien connus en médecine, et il est logique de commencer par là, mais nous ne progresserons pas sur cette question tant que les patients n'auront pas compris que les tests peuvent être nocifs.

Les médecins urgentistes reconnaissent le gaspillage des tests et acceptent que la prise de décision partagée soit nécessaire et réaliste. Nous voulons tous ce qu'il y a de mieux pour nos patients. Cependant, les solutions à ces problèmes ne seront pas trouvées au niveau individuel. L'éducation est une approche nécessaire, mais insuffisante. Les décisions actuelles en matière de tests diagnostiques sont largement motivées par des pressions sociétales ou culturelles. La résolution de ces problèmes nécessitera un changement sociétal ou culturel.
(Article connexe à lire : https://cancer-rose.fr/2023/01/26/article-pour-les-usagers-les-tests-de-routine-juste-pour-se-rassurer-cest-une-mauvaise-idee/

Pour l'instant, tout ce que vous pouvez faire en tant que médecin praticien, c'est de vous rappeler de vous poser la question suivante : mon patient pourrait-il se porter mieux si on ne cherchait pas ?

References

Carpenter CR, Raja AS, Brown MD. Overtesting and the Downstream Consequences of Overtreatment: Implications of “Preventing Overdiagnosis” for Emergency Medicine. Acad Emerg Med. 2015 Dec;22(12):1484-92. doi: 10.1111/acem.12820. Epub 2015 Nov 14. PMID: 26568269

Davies L, Welch HG. Current thyroid cancer trends in the United States. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg. 2014 Apr;140(4):317-22. doi: 10.1001/jamaoto.2014.1. PMID: 24557566

Draisma G, Etzioni R, Tsodikov A, Mariotto A, Wever E, Gulati R, Feuer E, de Koning H. Lead time and overdiagnosis in prostate-specific antigen screening: importance of methods and context. J Natl Cancer Inst. 2009 Mar 18;101(6):374-83. doi: 10.1093/jnci/djp001. Epub 2009 Mar 10. PMID: 19276453

Hoffman JR, Carpenter CR. Guarding Against Overtesting, Overdiagnosis, and Overtreatment of Older Adults: Thinking Beyond Imaging and Injuries to Weigh Harms and Benefits. J Am Geriatr Soc. 2017 May;65(5):903-905. doi: 10.1111/jgs.14737. Epub 2017 Feb 7. PMID: 28170085

Hoffman JR, Cooper RJ. Overdiagnosis of disease: a modern epidemic. Arch Intern Med. 2012 Aug 13;172(15):1123-4. doi: 10.1001/archinternmed.2012.3319. PMID: 22733387

Lee JH, Shin SW. Overdiagnosis and screening for thyroid cancer in Korea. Lancet. 2014 Nov 22;384(9957):1848. doi: 10.1016/S0140-6736(14)62242-X. Epub 2014 Nov 21. PMID: 25457916

Park S, Oh CM, Cho H, Lee JY, Jung KW, Jun JK, Won YJ, Kong HJ, Choi KS, Lee YJ, Lee JS. Association between screening and the thyroid cancer “epidemic” in South Korea: evidence from a nationwide study. BMJ. 2016 Nov 30;355:i5745. doi: 10.1136/bmj.i5745. PMID: 27903497

Patz EF Jr, Pinsky P, Gatsonis C, Sicks JD, Kramer BS, Tammemägi MC, Chiles C, Black WC, Aberle DR; NLST Overdiagnosis Manuscript Writing Team. Overdiagnosis in low-dose computed tomography screening for lung cancer. JAMA Intern Med. 2014 Feb 1;174(2):269-74. doi: 10.1001/jamainternmed.2013.12738. Erratum in: JAMA Intern Med. 2014 May;174(5):828. PMID: 24322569

Vigna M, Vigna C, Lang ES. Overdiagnosis in the emergency department: a sharper focus. Intern Emerg Med. 2022 Mar 5. doi: 10.1007/s11739-022-02952-8. Epub ahead of print. PMID: 35249191

Welch HG, Black WC. Overdiagnosis in cancer. J Natl Cancer Inst. 2010 May 5;102(9):605-13. doi: 10.1093/jnci/djq099. Epub 2010 Apr 22. PMID: 20413742

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Risque accru de cancers cutanés après irradiation pour cancer du sein

12/03/2024

La radiothérapie pour le traitement du cancer du sein entraîne un risque accru de cancer de la peau sur le site d'irradiation, selon une recherche publiée le 8 mars dans JAMA Network Open.
Une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford dirigée par Shawheen Rezaei a constaté que le risque de diagnostic de cancer de la peau non kératinocytaire, comme le mélanome et l’hémangiosarcome, après un traitement du cancer du sein par radiothérapie, était de plus de 50 % plus élevé par rapport à la population générale

L'épiderme comprend deux types de cellules, les kératinocytes et les mélanocytes.
Les kératinocytes sont des cellules de l'épiderme (couche superficielle de la peau), jointives, et distribuées en plusieurs couches. 
Les mélanocytes sont situés, eux, à la base de l’épiderme. Ils synthétisent les pigments de la peau qu'on regroupe sous le terme de mélanines, fabriquées dans les mélanosomes. 

Chacun de ces types cellulaires de la peau peut être à l’origine de tumeurs cutanées dont la fréquence et l'agressivité sont variables. Les tumeurs qui se développent à partir des kératinocytes épidermiques sont les plus fréquentes et peuvent occasionner des carcinomes baso‐cellulaires et des carcinomes spino‐cellulaires. Ce sont tumeurs d’origine kératinocytaire, que l’on regroupe sous l’appellation « cancers de la peau non mélanocytaires ».

Les cancers non kératocytaires, à l'opposé, regroupent les mélanomes qui se produisent au dépens des mélanocytes et qui sont beaucoup plus agressifs avec un potentiel métastatique.
Ces cancers non kératocytaires comprennent aussi les hémangiosarcomes, beaucoup plus rares, qui sont des néoplasmes malins caractérisés par des cellules infiltrantes à prolifération rapide, à partir des parois des vaisseaux sanguins ou lymphatiques.
L' antécédent de radiothérapie, même ancienne, est déjà connu comme étant un facteur de risque, de même que la présence d'un lymphœdème infectieux ou séquellaire après un traitement chirurgical.
Le sarcome de Kaposi par exemple, plus fréquent chez les patients atteint de SIDA, est une forme particulière de ces cancers.

L'étude

Il s'agit d'une étude de cohorte, incluant des données recueillies entre 2000 et 2019 auprès de 875880 patientes atteintes d’un cancer du sein nouvellement diagnostiqué.
Au total, 99,3 % des patients étaient des femmes, 51,6 % avaient plus de 60 ans et 50,3 % ont reçu une radiothérapie.

Les chercheurs ont examiné si la radiothérapie dans le traitement du cancer du sein augmentait ultérieurement le risque de cancers de la peau non kératinocytaires, c'est à dire les plus graves.
Ils se sont concentrés sur les cancers localisés à la peau du sein ou du tronc, donc des sites d'irradiation, et ont comparé les résultats aux patients traités par chimiothérapie et chirurgie.

Les auteurs avancent un risque de 57% plus élevé de cancer non kératocytaire pour les patients traités par radiothérapie par rapport à celui de la population générale, lorsque l’on considère la peau du sein ou du tronc.
Le traitement par radiothérapie était également lié à un risque plus élevé de cancer de la peau non kératinocytaire par rapport à la chimiothérapie et aux interventions chirurgicales, selon l’étude.

Les auteurs appellent à de futures études sur les effets de la dose du rayonnement et sur les profils génétiques des patientes atteintes d’un cancer du sein, comme facteurs favorisants possibles pour ce risque accru.

Ils expliquent que les résultats de l'étude peuvent aider les médecins à informer leurs patientes atteintes d’un cancer du sein qu'elles présentent certes un risque faible de cancers cutanés secondaires mais néanmoins plus élevé (de plus du double) par rapport à la population générale, après leur radiothérapie.
Selon eux « il faut mieux définir et intégrer le risque subséquent de tumeurs malignes dans les processus de consultation des patients et les plans de soins de suivi des survivants. »

Considérations subséquentes

Le surdiagnostic est donc bien évidemment à nouveau au centre de la problématique. Dire aux femmes que détecter davantage de cancers petits leur promet un traitement plus "léger" est inacceptable lorsqu'on sait que ce traitement "léger" comprend très fréquemment de la radiothérapie après chirurgie pour cancer du sein.
Les effets carcinogènes de la radiothérapie sont bien connus, et l'enjeu pour les femmes n'est pas d'avoir un traitement plus "léger", mais de n'avoir pas de traitement du tout lorsque celui-ci n'était pas nécessaire et découle d'une détection elle aussi non nécessaire de cancers qui n'auraient pas menacé la vie.

Cette question d'un surtraitement se pose de façon accrue lors de la détection de carcinomes in situ, lésions ne menaçant pas la vie dans la très grande majorité des cas et dont la sur-détection est majorée par le dépistage intempestif que nous connaissons, les femmes y étant incitées à présent de plus en plus jeunes et hors recommandations, une pratique se répandant demandant aux femmes de réaliser, déjà jeune, une "mammographie de référence", ce qui n'a absolument aucun intérêt puisque le sein est un organe variable selon l'état hormonal de la femme, selon le poids, les grossesses etc ....

Plusieurs éléments sont à rappeler, et à avoir en tête lorsqu'on est médecin prescripteur :
* Le dépistage est proposé à des femmes ne se plaignant de rien, saines, à qui l'ont doit l'information loyale sur l'éventualité de surdiagnostic et de possibilité de pathologies induites par les traitements.
* L'enjeu d'un dépistage n'est pas de recruter de plus en plus de cancers, cet argument est souvent à la base de la promotion du dépistage ; or son rôle est avant tout d'éviter de mourir des cancers graves.
* Pour la patiente concernée, même si les cancers secondaires sont globalement rares, ils existent et sont toujours plus fréquents que dans la population générale, et pour la femme concernée, quoi que soient les fréquences des évènements indésirables, pour elle ce sera toujours du 100% vécu...

Nous rajouterons pour finir que les cancers cutanés secondaires à la radiothérapie du sein ne sont pas les seules pathologies induites, des études ont montré l'augmentation significative de maladies cardio-vasculaires après radiothérapie, et l'augmentation des maladies malignes du sang.
Les mécanismes sont expliqués dans cet article sur le site : https://cancer-rose.fr/2021/06/01/les-cancers-radio-induits-apres-radiotherapie-du-cancer-du-sein/

Conclusion

Cette étude fait émerger deux point essentiels :
1- la nécessité incontournable d'informer les femmes des tenants et aboutissants du dépistage et des surtraitements qui en découlent, dont certains avec des conséquences fâcheuses sur la santé.
2- La nécessité de la mise en balance du surdiagnostic induit par le dépistage organisé ou hors-recommandations, pratiqué souvent trop tôt, trop fréquemment, parfois trop répété, avec les bénéfices du dépistage qui, de nos jours, peine à montrer une quelconque efficacité dans la réduction des cancers les plus graves et les plus mortels.

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Une présentation à l’Académie Lorraine des Sciences

Mise en ligne de la présentation par Cécile Bour à l'Académie des Sciences de Lorraine le 13 décembre 2023

Je remercie l'Académie Lorraine des Sciences pour son invitation et son accueil très chaleureux.
Je note la prudente mise en garde du début selon laquelle les propos, les opinions, les données, et les interprétations n'engagent pas l'Académie. Cela est évidemment consécutif au débat houleux qui a suivi de la part de certains auditeurs. En tant que conférencière invitée par l'Académie je tiens à préciser que l'Académie était tout à fait au courant de la teneur de ma présentation, puisqu'il était demandé au préalable d'envoyer à la fois un résumé du contenu ainsi que la présentation elle-même en PDF pour figurer au programme des conférences, ce que j'ai fait bien entendu. Les données que je présente proviennent de sources tout à fait identifiables.

Le surdiagnostic dont je parle est un concept maintenant bien identifié.

Il s'agit d'une surdétection de cancers, donc de la présence de toujours davantage de diagnostics de cancers du sein qui ne se seraient jamais manifestés. Cette inflation de diagnostics permet de justifier aux yeux des promoteurs du dépistage et des autorités de santé les résultats apparemment positifs de ce dispositif de santé.

En détectant des cancers « inoffensifs », le dépistage donne l’illusion de contribuer à des guérisons.
Avec le surdiagnostic généré, le dépistage fait croire à son efficacité aux patientes présentant un cancer prouvé par l'examen au microscope certes, mais qui, non détecté, n'impacterait pas leur santé (ces cancers surdiagnostiqués restent quiescents, n'évoluent pas ou très peu ou régressent).
Ainsi, en sélectionnant des femmes non-malades, le dépistage justifie un traitement, donne l'illusion à ces femmes d'avoir été "sauvées", de les avoir guéries d'une maladie qu'elles n'auraient jamais eue sans lui.

Dr Cécile Bour

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Des preuves pour tous les dépistages ! Même génomiques

19/02/2024

Synthèse et traduction Cancer Rose

Auteurs

Le dépistage de la population exige des preuves solides - la génomique ne fait pas exception-The Lancet

Vol 403 February 10, 2024
https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(23)02295-X/abstract

Selon les auteurs de l'article, l'introduction de nouveaux programmes de dépistage génomique "est motivée par des pressions commerciales, des objectifs gouvernementaux de détection précoce et des groupes de patients, plutôt que par des preuves solides de bénéfices.20 "Tous les programmes de dépistage causent des préjudices ; certains apportent également des bénéfices et, parmi ceux-ci, certains apportent plus de bénéfices que de préjudices à un coût raisonnable".21
Les programmes de dépistage doivent montrer des améliorations en termes de survie ou de qualité de vie ; un programme de dépistage qui n'y parvient pas ne peut que causer des préjudices, coûter de l'argent et utiliser des ressources qui pourraient être mieux employées ailleurs dans le système de soins de santé.
En outre, les tests génomiques peuvent avoir des implications à long terme et de grande ampleur : les préjudices psychologiques, le déplacement des ressources et les effets économiques d'un dépistage génomique de la population mis en œuvre prématurément pourraient être particulièrement durables."
Pour les auteurs ces tests génomiques ne sont pas conçus et ne sont pas aptes à fournir les preuves nécessaires pour soutenir la mise en œuvre de programmes nationaux de dépistage génomique à l'échelle de la population. Et ils risquent d'être très coûteux.

Les tests génomiques

Nous avions parlé déjà de ces tests qui suscitent énormément d'enthousiasmes et d'espoirs ici : https://cancer-rose.fr/2023/03/09/scores-polygeniques-pour-predire-les-cancers-trop-denthousiasme-beaucoup-de-limites/
On examine des milliers de variantes génétiques dans le génome d'une personne, prélevé par exemple par un prélèvement salivaire, pour estimer son risque de développer une maladie spécifique.
Chaque variant génétique a un effet sur le risque de développer une maladie pour un individu, mais en examinant toutes les variantes ensemble on estime pouvoir dire quelque chose de significatif sur le risque global, pour le porteur, de développer une ou des maladie(s).
Pour l'instant les attentes sont importantes, les appétits commerciaux aussi, les avantages modestes et les inconvénients bien présents.

Les auteurs ici suggèrent fortement de ne pas renouveler les mêmes précipitations dangereuses et délétères qui ont été commises pour beaucoup de dépistages instaurés avec hâte et dont on voit les limites et les dégâts à présent, au moment où on a assez de recul pour juger, mais où ces programmes, lancés, ne peuvent plus être freinés.

Nous restituons les passages majeurs de l'article.

Technologies et échecs

Les auteurs expliquent :
" Les nouvelles technologies génomiques ont amélioré la rapidité et la précision des diagnostics de maladies rares chez les individus présentant un phénotype. Ces progrès ont suscité l'enthousiasme pour l'application de ces technologies au niveau de la population afin d'identifier les individus présentant un risque génomique accru de maladie, et pour leur application aux maladies courantes ainsi qu'aux maladies rares.
Au Royaume-Uni, deux initiatives majeures ont été lancées en 2023 pour explorer le dépistage des populations à l'aide de la génomique.
-Dans le cadre du Genomics England Newborn Genomes Programme (NGP ; the Generations Study), les résultats exploitables du séquençage du génome entier (WGS) seront communiqués pour plus de 200 maladies chez 100 000 nouveau-nés participants.1 -Le programme Our Future Health (OFH) du Royaume-Uni recrute jusqu'à 5 millions d'adultes par l'intermédiaire du National Health Service (NHS) pour participer à la recherche sur les variantes génétiques courantes, et prévoit de fournir aux participants un retour d'information sur leur risque génomique de développer toute une série de maladies courantes.

De nombreux tests se sont avérés utiles pour le diagnostic ou le suivi des maladies, mais leur évaluation dans le cadre du dépistage de la population n'a pas permis de mettre en évidence une amélioration des résultats essentiels (survie ou qualité de vie associée à la santé)."

Pourquoi cet échec ?

"Cet échec est souvent dû à l'hétérogénéité sous-estimée de l'histoire naturelle d'une maladie ou au fait que l'imparfaite prédictivité du test, c'est-à-dire sa sensibilité et sa spécificité) devient non viable au niveau de la population." Affirment les auteurs.
Cette phrase signifie tout d'abord qu'une maladie n'a pas forcément une évolution linéaire et progressive, prévisible comme on le conçoit théoriquement. Par exemple pour le cancer du sein, l'histoire de la maladie, c'est à dire son évolution du début des symptômes jusqu'au bout sans traitement, est fort imprévisible et variable ; certaines tumeurs évoluent très vite, mais d'autres pas du tout, certaines très lentement ne menaçant pas la vie des personnes (qui mourront d'autre chose), d'autres encore peuvent régresser.
Plus on essaie de ne pas rater des personnes porteuses d'une maladie, plus il faut dépister de personnes ; mais plus il y a de personnes dépistées, plus on expose ces populations à des fausses alertes, et/ou à leur détecter des anomalies qui les auraient jamais rendues malades si elles n'avaient pas été dépistées, car porteuses de maladies non évolutives.
De l'autre côté, en limitant le test aux personnes à haut risque, il y aura beaucoup moins de faux positifs, mais comme certaines maladies avec formes graves peuvent se déclarer dans le groupe plus large des personnes à faible risque et évoluer très rapidement, on les manquera également en grande partie.
C'est cela la raison essentielle qui fait que les dépistages fonctionnent très mal.
L'autre problème évoqué dans la phrase sus-citée est que le test peut être inutilisable à l'échelle d'une population en raison de ses aptitudes défaillantes à être suffisamment sensible ou spécifique.
Qu'est-ce que la spécificité ? Il s’agit de la probabilité que le test soit négatif quand le sujet n’est effectivement pas malade.
Qu'est-ce que la sensibilité ? Il s’agit de la probabilité que le test soit positif pour un sujet effectivement malade.

Pour comprendre l'importance de ces deux critères liés, prenons un exemple concret donné dans l'article sur les scores polygéniques dont nous avons parlé plus haut :

"Il a été évalué que les scores polygéniques ont une capacité de prévenir des maladies avec une spécificité fixée à 95 % ; ceci signifie que pour 5 % des personnes il y aura un score élevé alors qu'il n'y aura pas de développement pas la maladie (5% de faux positifs).
La sensibilité typique pour un score polygénique, selon cette évaluation, est de 10-15 % ; ce qui signifie que seulement 10 à 15 % des personnes qui développeront la maladie auront un score polygénique élevé. ( 85 à 90% des cas surviendraient chez des personnes considérées par le score polygénique comme n'étant pas à haut risque de maladie NDLR.)
Lorsqu'on cherche à augmenter la sensibilité d'un score polygénique on en réduit la spécificité, et inversement."
Les variantes polygéniques seront toujours limitées dans leur capacité à différencier les personnes qui développeront la maladie de celles qui ne la développeront pas.

Les rédacteurs de l'article Lancet mentionnent les principes de Wilson et Junger et rappellent les conditions préalables à la validation d'un dépistage d'envergure :
"Reconnaissant la complexité et les pièges du dépistage au sein de la population, Wilson et Jungner ont formulé en 1968 dix critères clés dans Principles and Practice of Screening for Disease2 et, en 1996, le UK National Screening Committee a été créé pour garantir une évaluation solide de toutes les nouvelles propositions de dépistage.
Cette évaluation préliminaire détaillée porte sur l'épidémiologie de la maladie, les études de l'histoire naturelle et les données des essais existants.
Si les évaluations sont favorables, un projet pilote régional est mené, les résultats étant comparés entre les régions dépistées et les régions non dépistées (ce qui s'apparente à un essai randomisé en cluster).
Si ces résultats sont positifs, le projet pilote est suivi d'analyses économiques de la santé afin de s'assurer que l'adoption du dépistage ou les changements apportés sont rentables pour les régimes de santé.
L'abandon du dépistage est un défi. Ces processus d'évaluation (souvent longs) sont donc essentiels pour éviter la mise en œuvre prématurée de programmes de dépistage inefficaces, voire nuisibles.

Il s'agit donc, en résumé, de critères très stricts permettant d'évaluer la pertinence d'un dépistage garantissant des bénéfices réels pour la population, sans avoir des dommages l'impactant de façon délétère.
Les 10 critères parmi ceux édictés par retenus par L'OMS sont :

  • La maladie étudiée doit présenter un problème majeur de santé publique
  •  L’histoire naturelle de la maladie doit être connue
  • Une technique diagnostique doit permettre de visualiser le stade précoce de la maladie
  •  Les résultats du traitement à un stade précoce de la maladie doivent être supérieurs à ceux obtenus à un stade avancé
  •  La sensibilité et la spécificité du test de dépistage doivent être optimales
  • Le test de dépistage doit être acceptable pour la population
  • Les moyens pour le diagnostic et le traitement des anomalies découvertes dans le cadre du dépistage doivent être acceptables
  •  Le test de dépistage doit pouvoir être répété à intervalle régulier si nécessaire
  •  Les nuisances physiques et psychologiques engendrées par le dépistage doivent être inférieures aux bénéfices attendus
  •  Le coût économique d’un programme de dépistage doit être compensé par les bénéfices attendus

Etudions ces principes concernant le dépistage du cancer du sein par mammographie, programme lancé et généralisé avec un enthousiasme débridé en 2004 en France :
La complexité de l'histoire naturelle de la maladie reste à ce jour non maîtrisée. La sensibilité et spécificité de la mammographie ne sont pas 'optimales' (faux négatifs, faux positifs), les moyens financiers consentis au dépistage mammographique sont énormes sans qu'on ne parvienne à réduire le taux des cancers les plus avancés.
Sans cynisme aucun, "seulement" 3 % des femmes meurent d'un cancer du sein, le risque de décéder d'un cancer du sein est 8X inférieur à celui, pour une femme, de décéder de maladie cardio-vasculaire, pourtant un large focus est mis dans les médias et par les autorités sanitaires sur ce cancer, angoissant terriblement toute la population féminine, pour un cancer qui tue "peu" par rapport à d'autres maladies impactant les femmes.
Le dépistage mammographique déclenche la découverte de "résultats non pertinents", c'est à dire des découvertes fortuites d'anomalies non recherchées et inutiles, dont le taux de découverte est extrêmement important et qui occasionneront des cascades d'autres investigations ou de surveillances systématiques au patient. Les nuisances physiques et psychologiques sont alors énormes.
On le voit, les 10 conditions préalables à un dépistage de masse étaient loin d'être remplies concernant le dépistage mammographique, pourtant le programme a été mis sur pied dans presque tous les pays occidentaux, et largement promu auprès des femmes comme 'salvateur'.

Ce rappel aux principes initiaux est important pour comprendre comment une croyance ferme au bien fondé d'un dispositif comme le dépistage, et comment le mépris des mises en garde d'"alerteurs" comme il y en a eu avant l'instauration du dépistage du cancer du sein, conduisent ensuite à une situation non maîtrisable, de laquelle on ne parvient plus à revenir.
Avant de faire les mêmes bévues en matière de dépistage génomique, les auteurs de cette publication du Lancet avertissent :

"Nous soutenons que les complexités et les incertitudes inhérentes à la prédiction génomique (du risque de maladie future) signifient qu'une évaluation rigoureuse, indépendante et experte est tout aussi essentielle pour les approches de dépistage génomique au niveau de la population que pour le dépistage classique des maladies (c'est-à-dire pour la détection de la présence d'une maladie aujourd'hui), pour lequel une telle évaluation est la norme."

Les problèmes des tests génomiques

Ils sont bien identifiés, nous avons déjà parlé de la prédictibilité, problème d'importance que les auteurs développent, nous verrons ensuite les autres problématiques posées.

La prédictibilité des tests génomiques est plus incertaine qu'on ne le pense communément

"Bien que l'encodage du code génomique G-T-A-C en séquence d'acides aminés soit d'une simplicité exquise, la compréhension de sa relation avec le phénotype (l'apparence des gènes chez le sujet, ici l'apparence physique de la maladie génétique) n'en est qu'à ses débuts.
Dans le contexte des maladies rares dites monogéniques (c'est à dire maladies portées par un seul gène), les personnes porteuses de la même variante pathogène, même au sein d'une famille, peuvent être atteintes d'une maladie grave, d'une maladie légère ou d'aucune maladie. Des études menées dans des biobanques de population indiquent une pénétrance génétique (c'est-à-dire une association avec une maladie déclarée) beaucoup plus faible que les estimations largement citées dérivées de familles cliniquement vérifiées présentant une maladie."3

La "pénétrance" variable d'une maladie signifie qu'au sein d'une même famille, parmi les porteurs du gène défaillant, la maladie peut avoir des expressions cliniques très diverses.

"La pénétrance de la maladie est variable car, même en présence d'une variante pathogène causale rare, d'autres facteurs (génétiques et environnementaux) contribuent - souvent de manière substantielle - à déterminer si, quand et avec quelle gravité une maladie se manifeste.4 En outre, différentes variantes pathogènes rares du même gène peuvent avoir une gravité phénotypique très différente.5
Même en regroupant les données au niveau mondial, les biobanques et les bases de données de population sont actuellement trop limitées ou biaisées pour permettre une estimation précise de la pénétrance de la maladie au niveau de la population pour la plupart des gènes, et encore moins des risques spécifiques à une variante."

Actuellement sont à l'étude les fameux tests de risques polygéniques, c'est à dire des tests permettant la détection groupée d'un ensemble de maladies, mais "l'héritabilité" des différentes maladie est variable, et l'impact de l'environnement a son rôle à jouer.
Parfois le seul critère génétique (l'héritabilité) joue au final un rôle mineur parmi les autres facteurs (comme l'environnement) qui occasionnent et influent le cours de la maladie. Ce qu'expliquent ici les rédacteurs :

"De vastes études cas-témoins d'association à l'échelle du génome ont permis d'identifier des ensembles de variantes génomiques communes associées à la maladie.
Ces ensembles ont été utilisés pour construire des scores de risque polygénique (PRS) pour plusieurs maladies courantes.
Cependant, la plupart des maladies courantes sont principalement déterminées par l'exposition accumulée au cours de la vie à des facteurs environnementaux, ce qui signifie que l'héritabilité (c'est-à-dire la contribution génétique) est modeste. Par exemple, l'héritabilité est de 31 % pour le cancer du sein chez la femme, de 15 % pour le cancer colorectal et de 38 % pour l'infarctus du myocarde chez l'homme.6,7
En outre, le PRS ne reflète qu'une fraction modeste de cette composante génétique : même avec des études d'associations pangénomiques de plus grande envergure, la majorité des variants associés à la maladie continueront d'échapper à la découverte parce qu'ils sont trop rares ou que leur effet est trop faible. "

"Les PRS n'offrent donc qu'une force prédictive modeste pour l'identification des individus qui présentent réellement un risque élevé de maladie. Le cancer du sein, par exemple, est l'un des cancers les mieux étudiés. Toutefois, un groupe dit à haut risque composé de personnes faisant partie des 20 % les plus exposés selon le PRS ne représenterait que 37 % des cancers du sein, ce qui signifie que 63 % des cas surviendraient chez des personnes considérées par le PRS comme n'étant pas à haut risque de maladie."

D'autres sources d'échecs sont détaillés dans cet article.

Prédire l'évolution d'une maladie au cours d'une vie peut avoir des implications plus larges que les tests de dépistage actuels

"Un résultat positif lors d'un dépistage traditionnel, tel qu'un test immunochimique fécal (TIF) dans le cadre du dépistage du cancer de l'intestin, peut être rapidement confirmé comme étant un vrai positif ou un faux positif par un test diagnostique supérieur (mais plus coûteux, peu pratique ou invasif), tel qu'une coloscopie. De même, un test sanguin biochimique positif chez le nouveau-né pour la phénylcétonurie peut être clarifié en quelques jours par une série de tests métaboliques orthogonaux.
Cependant, un résultat génomique positif ou à haut risque ne peut souvent pas être clarifié de la même manière. Dans le contexte des tests génomiques sur les nouveau-nés, les caractéristiques cliniques de certaines maladies peuvent être apparues au moment où le résultat du WGS (kit de séquençage) est disponible (ou peuvent avoir déjà évolué de manière irréversible ou fatale). Dans de nombreux cas, cependant, le test génomique sera positif sans aucun signe de maladie au moment de l'évaluation du nouveau-né. Ce résultat est-il un faux positif ou la maladie apparaîtra-t-elle plus tard ?"

"Dans une étude rétrospective des prises de sang de nouveau-nés en Californie (États-Unis), la sensibilité n'était que de 88 %, tandis que le taux de faux positifs était de 1 à 6 % pour l'analyse génomique de 48 maladies métaboliques graves.10
Transposés à la population du Royaume-Uni, ces taux équivaudraient à plus de 11 000 bébés avec des résultats 'faux positifs' par an.
Par rapport à ces maladies métaboliques récessives à forte pénétrance, pour la plupart des maladies rares monogéniques pédiatriques (en particulier les maladies dominantes), la pénétrance est plus faible, plus incertaine et l'apparition est plus tardive. Les bébés pourraient être surveillés pour l'émergence de la maladie jusqu'à l'enfance (et peut-être au-delà) pour être finalement informés que leur résultat était un faux positif.
Les ressources des services de santé nécessaires au suivi et l'anxiété potentielle des parents n'ont pas encore été évaluées dans de tels contextes, pas plus que les séquelles pour les membres de la famille dont le test est positif dans le cadre d'un dépistage en cascade."11

Les conséquences sur le plan économiques doivent également, à un moment où les ressources de la santé doivent être gérées avec sagesse, considérées et évaluées.

Le dépistage de nombreuses maladies par un seul test pourrait représenter une fausse économie

"L'un des principaux arguments en faveur du WGS (séquençage des gènes) à la naissance ou en faveur du PRS (scores polygéniques) pour les maladies courantes c'est 'l'économie d'échelle' ( baisse du coût unitaire d'un produit qu'obtient une entreprise en accroissant la quantité de sa production) qu'obtient une entreprise en accroissant la quantité de sa production que permet la réalisation de plusieurs tests en un seul.12
Toutefois, comme l'ont souligné Wilson et Jungner, avant d'introduire le dépistage en population pour toute maladie, il convient d'examiner attentivement l'histoire naturelle de la maladie, de déterminer si la détection et l'intervention présymptomatiques améliorent réellement la survie, et d'étudier les caractéristiques de performance du test proposé dans la population générale."2

"Le danger d'une approche centrée sur la technologie (plutôt que sur la maladie) est qu'elle peut encourager l'inclusion dans le dépistage de la population des maladies pour lesquelles le dépistage ne présente aucun avantage, ainsi que l'utilisation d'approches génomiques pour des maladies pour lesquelles d'autres tests de dépistage supérieurs existent.
Par exemple, des dizaines de maladies métaboliques néonatales héréditaires peuvent être facilement détectées biochimiquement par spectrométrie de masse en tandem sur une prise de sang néonatale, avec une sensibilité et une spécificité supérieures à celles fournies par l'analyse génomique."

Le profilage génomique ne sélectionne pas les maladies agressives, et ne permet pas non plus d'améliorer un test de dépistage de la maladie qui est déjà défaillant

"Le profilage PRS (scores polygéniques) vise à répartir la population en groupes à haut risque et à faible risque. L'enthousiasme pour le PRS repose sur la possibilité de concentrer le dépistage sur les personnes à haut risque et d'éliminer ou de restreindre le dépistage pour les personnes à faible risque.
Toutefois, l'utilité ultime du dépistage stratifié par PRS reste tributaire de la performance du test de dépistage de la maladie, qui présentera les mêmes lacunes dans un groupe à haut risque que dans l'ensemble de la population."8

Comme dit plus haut, en limitant le test aux personnes à haut risque, il y aura toujours des faux positifs ; ce nombre de faux positifs sera certes moindre que pour une population plus large (à plus faible risque), mais comme les maladies se déclarent aussi dans le groupe plus large des personnes à faible risque, le test les manquera en grande partie. Ce sont les mêmes lacunes (faux positifs et faux négatifs) que l'on constate aussi pour beaucoup d'autres tests de dépistages.

"Le profil de sensibilité-spécificité du test n'est pas amélioré et l'ajout d'une stratification du PRS ne modifiera pas la question de savoir si le test de dépistage de la maladie améliore réellement la survie (au-delà du simple délai de réalisation).
De même, il est peu probable que le rapport entre les cas détectés de maladies agressives et de maladies indolentes (c'est-à-dire les surdiagnostics) change.15 En fait, les analyses suggèrent que le PRS pour le cancer du sein et de la prostate sélectionne de manière disproportionnée les maladies à pronostic favorable, plutôt que les maladies à pronostic défavorable, qui bénéficieraient davantage d'une détection précoce."16,17

Les tests génomiques de population ont été peu étudiés dans la population réelle

"Les connaissances actuelles sur les tests génomiques de population ne reflètent que les expériences du sous-ensemble très biaisées d'individus qui se sont portés volontaires pour des études de dépistage. Il n'est pas certain qu'un test génomique comme condition préalable au dépistage ne pourrait pas décourager des groupes déjà désavantagés.
Si l'on ajoute à cela la prédiction nettement moins bonne du PRS dans d'autres groupes d'ascendance par rapport à ceux d'ascendance européenne occidentale, les disparités existantes en matière de santé pourraient potentiellement s'aggraver.
En outre, les réactions comportementales aux résultats d'un PRS à faible risque sont peu étudiées, mais pourraient inclure des modifications des comportements sanitaires préventifs, ou la dissuasion de se présenter avec des symptômes.
De même, la sensibilité sous-optimale du WGS chez le nouveau-né entraînera un taux appréciable de résultats faux négatifs. Dans quelle mesure ce faux réconfort apporté par le WGS pourrait-il retarder la présentation ou l'examen clinique de ces nourrissons ?"

Les auteurs soulignent ici le danger qu'un test négatif rassure à tort les personnes, qui, fortes de la négativité de la recherche de maladie, se dispensent de consulter en cas d'apparition de symptômes. Les personnes réellement malades, faussement assurées de l'absence de tout risque de la maladie par le test, pourraient consulter alors avec retard.

Allocation des ressources et coûts d'opportunité

Les coûts d'opportunité correspondent aux pertes lorsqu'on affecte les ressources disponibles à un usage donné au détriment d'autres choix. 
Les auteurs écrivent :

"Abstraction faite des coûts directs considérables liés à la production technique, à l'analyse et au stockage des données WGS et PRS au niveau de la population, des ressources supplémentaires considérables seront nécessaires pour mettre en place une nouvelle infrastructure logistique et informatique. En outre, les laboratoires et le personnel clinique du service de médecine génomique seront considérablement réaffectés à l'analyse initiale des résultats génomiques."

En France par exemple, les délais d'attente pour le retour des tests génétiques peu dépasser actuellement un an.

"La réorientation des priorités et des ressources entraîne des conséquences ailleurs, et le coût d'opportunité lié à l'utilisation de ressources de soins de santé limitées d'une certaine manière signifie que les avantages potentiels obtenus en utilisant ces ressources ailleurs sont perdus."

Autrement dit, dépenser beaucoup d'argent pour utiliser des tests peu fiables risque de nuire par défaut de ressources à des soins plus pertinents.

CONCLUSION

Les programmes de dépistage génétique, selon les auteurs doivent tout d'abord être rigoureusement évalués, cette évaluation devrait être la norme avant l'introduction d'autres programmes de dépistage.

Ceci est indispensable afin de ne pas répéter les bévues que nous constatons en population à cause de l'introduction mal évaluée et trop précipitée de dépistages qui maintenant posent beaucoup de problèmes, et entraînent des personnes dans des 'maladies' qu'elles n'auraient pas connues sans ce dépistage.
On a bien du mal ensuite à revenir en arrière, comme c'est le cas pour le dépistage du cancer de la prostate, dépistage qui n'est plus recommandé actuellement mais néanmoins encore couramment prescrit chez des hommes, même jeunes.

Article connexe : innovation ne rime pas avec progrès

Auteurs

Division of Genetics and Epidemiology, Institute of Cancer Research, London, Sutton, UK (Prof C Turnbull PhD, A George MD); The Royal Marsden NHS Foundation Trust, London, UK(Prof C Turnbull, A George); Department of Medical Genetics, University of Cambridge, Cambridge, UK (Prof H V Firth FMedSci, Prof F L Raymond DPhil); Cambridge University Hospitals NHS Foundation Trust, Cambridge, UK (Prof H V Firth,Prof F L Raymond); MRC Weatherall Institute of Molecular Medicine(Prof A O M Wilkie FRS) and Department of Oncology (Prof I Tomlinson FRS), University of Oxford, Oxford, UK; Oxford Centre for Genomic Medicine, Oxford University Hospitals NHS Foundation Trust, Oxford, UK(Prof A O M Wilkie, Prof I Tomlinson, Prof A Lucassen DPhil); Division of Evolution, Infection and Genomics, University of Manchester, Manchester, UK (Prof W Newman PhD); Manchester University NHS Foundation Trust, Manchester, UK (Prof W Newman); Charles Dent Metabolic Unit, National Hospital for Neurology, University College London Hospitals NHS Trust, London, UK (R Lachmann PhD); Institute of Biomedical and Clinical Science, University of Exeter, Exeter, UK (Prof C F Wright PhD); Health Economics Research Centre, Nuffield Department of Population Health, University of Oxford, Oxford, UK (Prof S Wordsworth PhD); Population and Behavioural Science Division, School of Medicine, University of St Andrews, St Andrews, UK (M McCartney MRCGP); Fulton Street Medical Centre, Glasgow, UK (M McCartney) Wellcome Centre for Human Genetics and Centre for Personalised Medicine, University of Oxford, Oxford, UK (Prof A Lucassen)

Références de l'article

1 Genomics England. Newborn Genomes Programme. https://www. genomicsengland.co.uk/initiatives/newborns (accessed Nov 17, 2023).

2 Wilson JMG, Jungner G. Principles and practice of screening for disease. Geneva: World Health Organization, 1968.

3 Mirshahi UL, Colclough K, Wright CF, et al. Reduced penetrance of MODY-associated HNF1A/HNF4A variants but not GCK variants in clinically unselected cohorts. Am J Hum Genet 2022; 109: 2018–28.

4 Raj A, Rifkin SA, Andersen E, van Oudenaarden A. Variability in gene expression underlies incomplete penetrance. Nature 2010; 463: 913–18.

5 Burgunder J-M. Mechanisms underlying phenotypic variation in neurogenetic disorders. Nat Rev Neurol 2023; 19: 363–70.

6 Mucci LA, Hjelmborg JB, Harris JR, et al. Familial risk and heritability of cancer among twins in Nordic countries. JAMA 2016; 315: 68–76.

7 Zdravkovic S, Wienke A, Pedersen NL, Marenberg ME, Yashin AI, De Faire U. Heritability of death from coronary heart disease:a 36-year follow-up of 20 966 Swedish twins. J Intern Med 2002; 252: 247–54.

8. Huntley C, Torr B, Sud A, et al. Utility of polygenic risk scores in UK cancer screening: a modelling analysis. Lancet Oncol 2023; 24: 658–68.

9. Lacaze P, Manchanda R, Green RC. Prioritizing the detection of rare pathogenic variants in population screening. Nat Rev Genet 2023; 24: 205–06.

10.Adhikari AN, Gallagher RC, Wang Y, et al. The role of exome sequencing in newborn screening for inborn errors of metabolism. Nat Med 2020; 26: 1392–97.

11. Horton RH, Lucassen A. Ethical issues raised by new genomic technologies: the case study of newborn genome screening.Camb Prism Precis Med 2023; 1: e2.

12. Schwarze K, Buchanan J, Fermont JM, et al. The complete costs of genome sequencing: a microcosting study in cancer and rare diseases from a single center in the United Kingdom. Genet Med 2020; 22: 85–94.

13. UK Government. UK NSC Blood Spot Task Group (BSTG). https:// https://www.gov.uk/government/groups/uk-nsc-blood-spot-task- group-bstg (accessed Nov 17, 2023).

14. UK National Screening Committee. UK NSC recommends introduction of screening for tyrosinaemia in newborns. https:// nationalscreening.blog.gov.uk/2023/02/02/uk-nsc-recommends- introduction-of-screening-for-tyrosinaemia-in-newborns/ (accessed Nov 17, 2023).

15 Brodersen J, Schwartz LM, Heneghan C, O’Sullivan JW, Aronson JK, Woloshin S. Overdiagnosis: what it is and what it isn’t. BMJ Evid Based Med 2018; 23: 1–3.

16 Klein RJ, Vertosick E, Sjoberg D, et al. Prostate cancer polygenic risk score and prediction of lethal prostate cancer. npj Precis Onc 2022; 6: 25.

17 Lopes Cardozo JMN, Andrulis IL, Bojesen SE, et al. Associations of a breast cancer polygenic risk score with tumor characteristics and survival. J Clin Oncol 2023; 41: 1849–63.

18 Devlin H. Backlog in NHS genome service leaves families facing long wait for results. The Guardian. April 3, 2023. https://www. theguardian.com/society/2023/apr/03/backlog-in-nhs-genome- service-leaves-families-facing-long-wait-for-results (accessed Nov 17, 2023).

19 King B. David Cameron in row over promoting genetics firm Illumina. BBC News. Aug 11, 2021. https://www.bbc.co.uk/news/business-58146567 (accessed Nov 17, 2023).

20 Armstrong B, Christensen KD, Genetti CA, et al. Parental attitudes toward standard newborn screening and newborn genomic sequencing: findings from the BabySeq study. Front Genet 2022; 13: 867371.

21 Gray JAM, Patnick J, Blanks RG. Maximising benefit and minimising harm of screening. BMJ 2008; 336: 480–83.

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Marketing de l’émancipation des femmes, attention…

Marketing de l'émancipation : comment les entreprises exploitent les récits féministes pour promouvoir des opérations de santé publique non fondées sur des données probantes

BMJ 2024; 384 doi: https://doi.org/10.1136/bmj-2023-076710 (Published 14 February 2024)Cite this as: BMJ 2024;384:e076710

Tessa Copp, research fellow12, Kristen Pickles, research fellow12, Jenna Smith, research fellow12, Jolyn Hersch, research fellow12, Minna Johansson, director3, Jenny Doust, professor4, Shannon McKinn, research fellow1, Sweekriti Sharma, research fellow125, Leah Hardiman, consumer representative for women’s and newborns’ health6, Brooke Nickel, research fellow12
1Sydney Health Literacy Lab, Faculty of Medicine and Health, Sydney School of Public Health, University of Sydney, Sydney, Australia
2Wiser Healthcare, Sydney School of Public Health, University of Sydney, Sydney, Australia
3Global Center for Sustainable Healthcare, School of Public Health and Community Medicine, Sahlgrenska Academy, University of Gothenburg, Gothenburg, Sweden
4Australian Women and Girls’ Health Research Centre, School of Public Health, University of Queensland, Brisbane, Australia
5Institute for Musculoskeletal Health, Sydney Local Health District, Sydney, Australia
6Public representative, Brisbane, Australia

Les auteures, dans cette publication, alertent sur le fait qu'en matière de santé les femmes et les féministes sont récupérées par des intérêts commerciaux, afin de promouvoir de nouvelles technologies, de nouveaux tests et de nouveaux traitements qui ne sont pas fondés sur des données probantes.

A l'aide d'exemples concrets, l'un d'eux concernant le dépistage du cancer du sein, elles démontrent comment des messages sanitaires simplistes sous prétexte d'empowerment, ou 'prise de pouvoir sur sa santé et son corps par de meilleures connaissances', sont dans certaines circonstances inappropriés. Ces messages peuvent véhiculer des informations de santé non fondées sur des preuves.
Ces messages consistent en un comportement marketing susceptible de nuire aux femmes par une (sur-)médicalisation inappropriée, conduisant à du surdiagnostic et des surtraitements inutiles.

Nous restituons les passages les plus important de la publication, notamment concernant la densité mammaire, argument utilisé pour développer davantage de dépistages du cancer du sein, surtout vers les catégories de femmes les plus jeunes.
A la fin de l'article vous trouverez un 'encadré' traduit de la publication restituant d'autres exemples de récupération de ce genre.

Empowerment

Selon Tessa Copp et ses collègues, "la promotion de tests et de traitements non fondés sur des preuves et utilisant des messages "d'empowerment" (renforcement de pouvoir) risque d'entraîner des surdiagnostics et des surtraitements chez les femmes.
Les organisations commerciales ont une influence considérable sur la santé de la population par la façon dont elles s'engagent et influencent les tendances sociales pour commercialiser leurs produits.1
Historiquement, les entreprises ont exploité les programmes de santé en donnant la priorité aux messages sur l'autonomie des femmes pour encourager la consommation de produits néfastes pour la santé, tels que le tabac et l'alcool.2 Ce phénomène s'est maintenant étendu à la santé des femmes. Les récits féministes sur le renforcement de leur autonomie et de la responsabilisation des femmes en matière de soins de santé, qui ont vu le jour dans les premiers mouvements pour la santé des femmes 3 4, sont aujourd'hui de plus en plus adoptés par des acteurs commerciaux pour promouvoir de nouvelles interventions médicales (technologies, tests, traitements) qui ne reposent pas sur des preuves solides ou qui ignorent les preuves disponibles."

"La sensibilisation et la défense des intérêts des femmes sont essentielles pour surmonter les inégalités entre les sexes dans le domaine des soins de santé.
Il est nécessaire d'améliorer les ressources pour les affections qui ne font pas l'objet de recherches suffisantes et d'inverser les préjugés historiques qui empêchent les femmes de bénéficier de traitements optimaux.
Toutefois, la promotion d'interventions de soins de santé qui ne sont pas étayées par des preuves, ou qui dissimulent ou minimisent les preuves, augmente le risque de préjudice pour les femmes en raison d'une médicalisation inappropriée, d'un surdiagnostic et d'un surtraitement."

Le problème, expliquent les auteures "... réside dans la manière dont le marketing commercial et les campagnes de promotion présentent ces interventions à un groupe de femmes beaucoup plus large que celui qui est susceptible d'en bénéficier, sans être explicite quant à leurs limites.."

Deux exemples concrets étayent ce constat.

1- le test de l'hormone anti-müllerienne

Il s'agit du dosage de l'AMH dans le sang, correspondant au potentiel de fertilité de la femme.
"Un marketing trompeur utilisant une rhétorique féministe qui encourage les femmes ne présentant aucun signe ou symptôme d'infertilité à demander un test d'AMH pour vérifier leur fertilité ou pour informer leur planning familial nuit en fin de compte à l'autonomisation et à la prise de décision éclairée, puisque les preuves actuelles montrent que le test n'est pas valable à ces fins."

Il y a des tentatives de faire valoir aux femmes que le dépistage universel de l'AMH (c'est-à-dire chez les femmes qui ne souffrent pas d'infertilité) permettrait aux femmes de réduire leur risque d'échouer à procréer. Ce test a été promu dans une certaine presse comme le "meilleur indicateur de connaître son âge ovarien".
Or, promettre aux femmes de pouvoir prendre des décisions éclairées en matière de procréation, grâce à ce test, repose sur l'hypothèse erronée que le test permet de prédire la fertilité de manière fiable.
En France, ce dosage est encadré, réservé aux femmes avec des affections touchant à la fertilité, mais pas dans le cadre de la prédiction des implantations, grossesses ou naissances dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation,

  
2- Notification de la densité mammaire

Nous en avons parlé ici : il était question d'une loi, adoptée en 2019 par le Congrès Américain, qui demandait à la FDA* (Food and Drug Administration) américaine, dans le cadre du processus réglementaire, de veiller à ce que tous les comptes rendus de mammographie et les résumés fournis aux patientes incluent l' information de la densité mammaire des femmes.
*FDA : La Food and Drug Administration est l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments.

La FDA a récemment mis à jour ses lignes directrices sur la mammographie afin d'exiger que les établissements de mammographie informent les patientes de leur densité mammaire.

Cette donnée de la densité mammaire est d'ailleurs mentionnée chez nous dans les comptes rendus des mammographies de dépistage dans le cadre du programme national, 1 correspondant à une densité très faible, donc un sein à composante graisseuse majoritairement, jusqu'à 4 correspondant à un sein d'une extrême densité occupé en totalité par du tissu glandulaire.

Qu'est-ce que la densité mammaire ?

La densité mammaire est un marqueur de la présence de tissu fibreux et glandulaire dans le sein par rapport au tissu graisseux. Le sein est un organe de composition mixte, avec du tissu glandulaire et fibreux d'une part, et du tissu plus graisseux d'autre part, dont le pourcentage varie selon divers facteurs comme l'âge (le sein est davantage graisseux à la ménopause) ou des facteurs génétiques ou encore la prise d'un traitement hormonal.
Avoir un sein dense désigne donc la prédominance de tissu fibro-glandulaire par rapport au tissu graisseux dans son sein.
La densité mammaire est élevée de façon physiologique et normale chez les femmes jeunes non ménopausées (mais peut persister après ménopause), chez les femmes plus maigres à faible capital graisseux, chez les femmes sous traitement hormonal substitutif de la ménopause.

Densité mammaire et risque pour la femme

Avec une densité mammaire élevée le pouvoir discriminant de la mammographie et la capacité de l'oeil du radiologue à déceler une lésion dans un tissu compact sont fortement diminués, et de là à faire un raccourci entre densité mammaire et risque de cancer il n'y a qu'un pas...qui a vite été franchi, ce critère est devenu, en dépit de l'absence d'études probantes, à lui seul un facteur de risque à part entière de cancer du sein.
Avoir davantage de tissu mammaire évidemment fait que la probabilité d'y produire un cancer est plus élevée, mais aucune étude n'a mis en évidence de lien direct entre cancer du sein et une mortalité accrue par cancer du sein.
Les facteurs de risque du cancer du cancer du sein sont multiples et intriqués. Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/06/26/quest-ce-que-le-cancer/
Les facteurs de risque du cancer du sein ne se résument pas à cette seule donnée, la densité fait partie d'un risque global, n'impliquant pas de facto la certitude de connaître un cancer du sein dans sa vie de femme, d'autant que cette densité est variable dans le temps.
Lire : https://cancer.ca/fr/treatments/tests-and-procedures/mammography/breast-density

Aujourd’hui, aucun outil d’estimation du risque de cancer du sein utilisant la densité mammaire n’a, pour l’heure, fait la preuve de sa pertinence.
La HAS, dans un travail sur l’identification des facteurs de risques (page 60), écrit :
"La nature même de facteur de risque est discutée-Repérage difficile dans la population".
Et page 53 ".. la capacité des modèles à prédire la survenue de cancer du sein reste médiocre (indice de concordance autour de 0,65)".

Pourquoi est-ce une préoccupation émergente également pour les populations féminines européennes ?


Parce qu'avec l'avènement de logiciels dits prédictifs, le critère radiologique de la densité mammaire est intégré en tant que facteur de risque à part entière dans des études comme celle européenne MyPEBS pour un dépistage individualisé, alors qu'au vu d'études publiées (voir article) l'augmentation du risque de cancer du sein associé à la densité mammaire est modeste, et que pour les femmes chez lesquelles un cancer du sein a été diagnostiqué, l'augmentation de la densité mammaire n'était pas liée à un sur-risque de cancer de mauvais pronostic ou de décès du cancer du sein.

La notification de la densité mammaire dans cette étude est de toute évidence utilisée pour promouvoir un dépistage supplémentaire chez des femmes plus jeunes (dès 40 ans comme le propose MyPEBS) sans preuve robuste que cela permet d'éviter les décès dus au cancer du sein.
Pour les manquements graves de l'étude européenne MyPEBS lire ici : https://cancer-rose.fr/my-pebs/
et ici : https://mypebs-en-question.fr/
Avec ces logiciels de prédiction, à peu près toutes les femmes jusqu'à l'âge de la ménopause, ayant par nature des seins denses, ont un sur-risque de cancer, voilà le message affoliste qui est véhiculé, ce qu'expriment les auteures de cet article :

" La densité mammographique du sein est l'un des nombreux facteurs de risque indépendants du cancer du sein.35 Une densité mammaire élevée réduit également la sensibilité de la mammographie, augmentant ainsi le risque que le cancer ne soit pas détecté lors d'un dépistage de routine.36 37
Des préoccupations légitimes concernant ces facteurs de risques ont conduit à des appels internationaux croissants pour que toutes les femmes subissant un dépistage soient informées de leur densité mammaire,38 prétendument pour améliorer leurs connaissances sur leur santé et augmenter le dépistage supplémentaire chez les femmes ayant des seins denses. Les arguments soulignant le "droit de savoir" des femmes ont largement motivé la récente législation américaine exigeant que toutes les femmes soient informées de leur densité mammaire39 , des mouvements similaires ayant été observés dans d'autres pays."40 41

"Les groupes de défense des consommateurs, souvent parrainés par de grandes entreprises ayant un intérêt direct dans la mesure et la notification de la densité mammaire,42 soutiennent que toutes les femmes doivent être informées de leur densité mammaire afin d'améliorer leurs connaissances et leur santé.43 Les cliniciens ont également fait valoir que la dissimulation d'informations sur le corps des femmes peut conduire à de mauvaises politiques et pratiques,44 et que les femmes peuvent gérer des informations nuancées concernant la densité mammaire et le dépistage complémentaire.43"

Or, cela revient à inquiéter inutilement des femmes sur un critère physiologique qu'elles ne peuvent modifier, autant les alerter sur le danger d'être une femme... (certains objecteront que c'est déjà ce qu'on fait avec octobre rose et par le truchement de médias peu soucieux d'une information nuancée).

"La notification à l'échelle de la population suscite des inquiétudes, notamment en raison de la nature relativement non modifiable de la densité mammaire et de l'absence de preuves que les parcours cliniques des femmes ayant des seins denses sont bénéfiques. Plus précisément, bien que le dépistage complémentaire par échographie et imagerie par résonance magnétique (IRM) augmente la détection du cancer chez les femmes aux seins denses45 46 , les effets à long terme sur les taux de cancers du sein avancés et de mortalité n'ont pas été correctement évalués ou rapportés45 46 47 , ce qui soulève la question du surdiagnostic."
(Lire ici : https://cancer-rose.fr/2022/04/26/grosse-deconvenue-pour-lirm-mammaire/)

"En outre, les inconvénients du dépistage complémentaire comprennent des taux élevés de résultats faux positifs48 et des coûts financiers supplémentaires.
La notification de la densité mammaire peut également accroître l'anxiété et la confusion des femmes, ainsi que leur intention de recourir à un dépistage complémentaire"49 50.

"Dans une revue systématique de 29 études réalisées entre 2007 et 2020 sur l'effet de la notification de la densité mammaire" commentent les auteures, "les 17 études portant sur l'anxiété ou l'inquiétude liée à la densité mammaire ont toutes constaté que les femmes présentaient un certain niveau d'anxiété ou d'inquiétude49.
Cela s'explique en grande partie par des incompréhensions (par exemple, des femmes pensant qu'elles avaient un cancer) et par la confusion quant aux implications, y compris les étapes suivantes liées à un dépistage supplémentaire.
En outre, un essai randomisé en ligne réalisé en 2021 auprès de 1 420 femmes en âge d'être dépistées (40-74 ans) en Australie a révélé qu'une proportion nettement plus importante de femmes ayant été informées de la densité mammaire ont déclaré se sentir anxieuses (49 % notifiées contre 14 % non notifiées), désorientées (24 % contre 8 %) et inquiètes au sujet du cancer du sein (assez/très inquiètes : 16-17 % contre 7 %) par rapport à celles qui n'ont pas été informées50."

Non seulement il y a une inconstance de la densité mammaire dans le temps et selon l'état physiologique de la femme, mais cette donnée présente aussi une certaine labilité selon le radiologue dépisteur :

"Le manque de fiabilité de la mesure de la densité mammaire, qui varie dans le temps et selon l'évaluateur, est une autre préoccupation majeure. Dans une revue systématique évaluant la reproductibilité, 13 à 19 % des femmes sont passées de la catégorie dense à la catégorie non dense lors d'un deuxième dépistage (reflétant à la fois la variabilité temporelle et celle de l'évaluateur).45 Parallèlement, une revue systématique de 2022 a identifié des preuves limitées concernant l'efficacité des logiciels de mesure automatisée de la densité mammaire, dont l'utilisation se généralise, en tant que facteur prédictif du risque de cancer du sein, y compris des cancers d'intervalle.35 Il n'existe pas non plus de preuves indiquant si un logiciel est meilleur qu'un autre".35

L'équipe australienne pose donc légitimement la question :

L'accès vers toujours plus d'informations et de connaissances, est-ce ça le réel pouvoir ?

C'est surtout la qualité et la pertinence des connaissances qui devraient primer, et garantir aux femmes que les dernières technologies et 'innovations' sont réellement bénéfiques pour leur santé à elles. Leur garantir que ces 'avancées' leur donnent le pouvoir de prendre des décisions à bon escient, et ne sont pas conçues pour alimenter des appétits commerciaux. .

"Certains partisans, y compris ceux de la mesure de la densité mammaire, ont fait valoir que les progrès technologiques, une meilleure information et des soins de plus en plus individualisés peuvent toujours faire progresser les connaissances et la santé des femmes, même s'il n'y a pas de preuve évidente que les avantages l'emportent sur les inconvénients."38

Les liens d'intérêts des promoteurs

"Bien que nous soyons tout à fait favorables à une plus grande autonomie des patients, nous estimons que le marketing et les campagnes en faveur des interventions et la diffusion d'informations sans mentionner les limites ou les preuves peu claires des bénéfices ....risquent de causer plus de préjudices que de bénéfices et donc d'aller à l'encontre de l'autonomisation recherchée.
De plus en plus d'éléments montrent l'existence d'un vaste réseau de liens financiers et non financiers entre l'industrie et les principaux acteurs du secteur de la santé51 , y compris le fait que le parrainage d'organisations de défense des consommateurs par l'industrie est courant."52 53
(Pour exemple, enquête sur Europa Donna, qui se présente comme association de patients, NDLR)

"Cela augmente le risque de biais qui favorise les intérêts des sponsors plutôt que ceux des femmes. Un examen plus approfondi des conflits d'intérêts54 est nécessaire pour minimiser l'influence commerciale, ainsi qu'une plus grande transparence sur les risques et les incertitudes liés aux données probantes."

Difficulté de critiquer ces initiatives

La critique de ces pseudo-avancées féministes en santé est compromise par le reproche facile de 'misogynie' ou de 'paternalisme' objecté aux contestataires, émanant aussi bien des promoteurs que des patientes elles-mêmes, convaincues par des messages marketing des bénéfices d'interventions supplémentaires concernant la santé féminine.
Le respect de l'autonomie des femmes en santé est la transparence dans la communication médicale et des risques inhérent aux innovations qu'on leur promeut.

"En plus de minimiser les inconvénients et de surestimer les avantages potentiels des interventions, les messages persuasifs qui prennent l'apparence d'un plaidoyer féministe en faveur de la santé peuvent être difficiles à critiquer, car une critique légitime peut être interprétée à tort comme étant misogyne ou paternaliste. À titre d'exemple, le fait de ne pas divulguer des informations sur la densité mammaire peut limiter la participation potentielle des femmes aux décisions en matière de santé.43
Cependant, la notification de la densité mammaire est actuellement utilisée pour promouvoir un dépistage supplémentaire sans preuve robuste (et sans mentionner le manque de preuves) que cela permettrait d'éviter les décès dus au cancer du sein.
Nous soulignons que seule une approche transparente, équilibrée et fondée sur des données probantes permettra de respecter et de promouvoir l'autonomie des femmes."14

Il faut que la communication vers les femmes soit plus prudente, que les conflits d'intérêts des promoteurs de dispositifs médicaux, en biologie médicale ou en imagerie, soient clairs et transparents, et que les décideurs politiques s'emparent également de ces préoccupations.

Ceci est exprimé dans la conclusion de l'article :

Garantir que les objectifs du plaidoyer féministe en faveur de la santé ne soient pas compromis

"La santé des femmes est vitale et ne peut être détournée par des intérêts particuliers. Le public, les patients, les cliniciens, les décideurs politiques et les journalistes doivent tous être plus conscients de la façon dont le langage féministe peut être coopté pour promouvoir ou créer de nouveaux besoins de soins qui ne sont pas fondés sur des preuves scientifiques solides.
Les consommateurs de soins de santé et les cliniciens doivent se méfier des récits simplistes selon lesquels toute information et toute connaissance sont toujours synonymes de pouvoir.
La communication entre les femmes et leurs cliniciens est un aspect essentiel pour résoudre ce problème."

Les entités commerciales influencent également les programmes de recherche, ce qui a des répercussions sur la base de données probantes sur laquelle reposent les décisions en matière de politique et de pratique de la santé, affirme l'article57. Il faudrait des stratégies pour contrer l’influence des entreprises sur les programmes de recherche, une meilleure transparence des sources de financement et des conflits d’intérêts dans les articles publiés pour permettre une évaluation des intérêts commerciaux sous-jacents.

"Sans l'implication d'un large éventail de parties prenantes libres d'intérêts particuliers, la commercialisation d'interventions non prouvées dans le domaine de la santé des femmes risque d'accroître les inégalités. Les entreprises qui vendent des tests et des traitements pour la santé des femmes se présentent comme socialement progressistes tout en promouvant des récits de responsabilité personnelle ou individuelle, plutôt que de s'attaquer aux facteurs en amont de l'inégalité entre les sexes59."

"Il est important de noter que la responsabilité individuelle ne permettra jamais à elle seule de lutter contre les inégalités en matière de soins de santé.
Il ne peut pas non plus incomber aux seules femmes visées par ces discours de comprendre tous les avantages et inconvénients potentiels et de prendre une décision en connaissance de cause.
Étant donné que les informations fournies par des sources réputées sont souvent difficiles à déchiffrer60, les messages persuasifs simples provenant de sources commerciales peuvent être plus attrayants et faciles à assimiler sans esprit critique.
Les professionnels de la santé et les gouvernements ont la responsabilité d'éduquer et de contrer les messages à caractère commercial."61

"La commercialisation des interventions médicales devrait également être fortement réglementée.62 Cependant, la législation se heurte à des obstacles, et même lorsque des recommandations visant à mettre un terme à la commercialisation agressive et inappropriée sont adoptées (comme le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel), une commercialisation abusive peut encore se produire."63

"Dans les domaines de la santé des femmes où les preuves manquent ou ne sont pas claires, des essais cliniques de haute qualité sont nécessaires - idéalement avant l'introduction de nouvelles interventions - avec une déclaration obligatoire continue des événements indésirables ou des dommages une fois qu'ils sont mis en œuvre. Dans le cas de la notification de la densité mammaire, les pays qui envisagent actuellement une notification universelle de la densité mammaire ont encore la possibilité d'obtenir d'abord des preuves solides sur les conséquences et de minimiser les dommages potentiels."64

L'article résume ce volet :
"En conclusion, nous devons veiller à ce que les objectifs de la défense féministe de la santé ne soient pas sapés par l'utilisation commerciale du discours féministe qui pousse à des soins non fondés sur des données probantes."

Car malgré des preuves évidentes du manque d'utilité, ou même, comme pour la densité mammaire, de graves soupçons de nuisance pour les femmes, les promotions de ces dispositifs médicaux sous couvert d'argumentation féministe sous-tendue d'études très contestables (MyPEBS), conduisent des cliniciens, des décideurs politiques et les utilisatrices à militer pour leur introduction dans des programmes de santé, et pour leur utilisation généralisée.

Encadré publié dans l'article contenant des exemples de discours féministes afin de promouvoir des interventions médicales

Dépistage du cancer du sein

L'utilisation de la rhétorique de la "guerre contre le cancer du sein" est apparue pour la première fois dans les années 1930.5 Ce langage, comprenant des slogans tels que "battez-vous comme une fille", a ensuite été adopté par les médias et les centres de dépistage du cancer du sein, parallèlement à l'intérêt accru de l'industrie pour la technologie de dépistage et des associations caritatives de lutte contre le cancer du sein, qui sont devenues une force politique importante. Ces messages tendaient à promouvoir les avantages potentiels de la mammographie sans en discuter les inconvénients, tout en évoquant la peur, la culpabilité ou en rejetant la responsabilité sur les femmes (par exemple, "Si vous n'avez pas eu de mammographie, vous avez besoin de plus que l'examen de vos seins")."56

"Certains pays ont adopté des incitations financières pour que les professionnels de santé intensifient le dépistage, ce qui peut compromettre davantage le consentement éclairé en introduisant des biais dans la manière dont les informations sur les inconvénients et les avantages peuvent être fournies."7

Nous avons parlé des incitation financières de promotion du dépistage utilisées en France ici, dans un article paru dans le BMJ en 2022 et co-rédigé avec une citoyenne française.

Ici un autre article sur les incitations financières en France, au lieu d'une information sur la balance bénéfice/risques du dépistage.

Traitement hormonal substitutif de la ménopause

Un gynécologue financé par les entreprises qui fabriquent le traitement hormonal substitutif (THS) a publié un livre, Feminine Forever, dans lequel il affirme que la ménopause est une maladie due à une carence en œstrogènes et que le THS est un remède qui permet de conserver sa féminité. Bien que certaines féministes se soient fermement opposées à cet argument, d'autres militants de la santé ont adopté le point de vue selon lequel le THS était la clé de la libération des femmes en leur permettant de mieux contrôler leur corps.8

(NDLR : en France nous avons eu l'exemple du livre "Ménopause : tout peut changer - La solution du Dr Mouly," contenant une très forte promotion du traitement hormonal substitutif de la ménopause et considérant la ménopause comme une maladie demandant à être soignée. Ce livre a fait l'objet d'une importante promotion dans les medias, sans contradiction ni divulgation de ses liens d'intérêts)

La flibanserine pour les troubles sexuels féminins

S'appuyant sur des arguments féministes concernant les besoins non satisfaits9 et le fait qu'il existe plusieurs médicaments pour les troubles sexuels masculins mais aucun pour les femmes, une coalition de groupes de femmes (appelée "Even the Score") a fait campagne pour l'approbation de la flibanserine en dépit des preuves montrant des effets secondaires importants et des bénéfices minimes.10 Cette campagne a été financée par l'entreprise pharmaceutique propriétaire du médicament.11

Les applications de suivi des menstruations qui détectent les troubles de la reproduction

Certaines applications de suivi des menstruations ont introduit des "outils de prédiagnostic" visant à diagnostiquer des troubles de la reproduction tels que le syndrome des ovaires polykystiques, promettant l'autonomisation par la connaissance et le contrôle de son corps12, malgré des preuves limitées de leur précision et de leurs bénéfices.13

Congélation d'ovules facultative

Les publicités pour les cliniques de fertilité et la couverture médiatique de la congélation d'ovules facultative promeuvent une autonomie et une justice accrues, souvent sans fournir d'informations adéquates sur les résultats et les risques probables.14 15 Certaines publicités présentent également cette procédure comme un moyen d'améliorer l'égalité des sexes, bien qu'elle ait de faibles taux de réussite et qu'elle ne soit accessible qu'à une minorité de femmes (en raison de son coût élevé).14

Certaines entreprises subventionnent désormais la congélation d'ovules pour leurs employées "au nom de l'autonomisation "16 , ignorant les raisons sociales (structure du lieu de travail, coût financier, services de garde d'enfants inabordables) qui dissuadent les femmes d'avoir des enfants alors qu'elles sont biologiquement plus aptes à le faire.

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Les atypies du sein, alléger le suivi

Traduction et synthèse par Cancer Rose, 10/02/2024

Article atypies et nouvelles recommandations

Opinion libre, Dr C.Bour, radiologue

Article connexe sur les 'in situ'

Atypies détectées lors du dépistage du cancer du sein et développement postérieur d'un cancer : analyse observationnelle de la cohorte prospective Sloane atypia en Angleterre.

BMJ 2024 ; 384 doi : https://doi.org/10.1136/bmj-2023-077039 (Publié le 01 février 2024)
https://doi.org/10.1136/bmj-2023-077039

Karoline Freeman, senior research fellow (Warwick Screening, Division of Health Sciences, Warwick Medical School, University of Warwick, Coventry, UK) ; David Jenkinson, senior research fellow (Screening Quality Assurance Service, NHS England, Birmingham, UK),Karen Clements, breast cancer research manager (Screening Quality Assurance Service, NHS England, Birmingham, UK), Matthew G Wallis, consultant radiologist,  Sarah E Pinder, professor of breast pathology,   Elena Provenzano, lead consultant breast pathologist, Hilary Stobart, patient representative, Nigel Stallard, professor of medical statistics, Olive Kearins, national lead breast screening, Nisha Sharma, consultant breast radiologist,  Abeer Shaaban, consultant pathologist, Cliona Clare Kirwan, consultant oncoplastic breast surgeon, Bridget Hilton, national audit project senior QA officer, Alastair M Thompson, section chief breast surgery, Sian Taylor-Phillips, professor of population health on behalf of the Sloane Project Steering Group.

QU'EST-CE QU'UNE ATYPIE ?

Ce terme regroupe ce qu'on appelle aussi "les lésions frontières", dont le nombre de cas augmente parallèlement au dépistage et depuis la multiplication des biopsies mammaires.
Elles constituent une frange dans les anomalies du sein située entre les lésions strictement bénignes et les lésions strictement malignes, et les limites entre les deux sont souvent floues, conduisant fréquemment l'anatomo-pathologiste à "upgrader" son compte rendu, de peur de sous-traiter. Ces lésions alimentent beaucoup la problématique du surtraitement généré par le dépistage systématique du cancer du sein.

Les lésions frontières sont variées, portent diverses dénominations selon leur caractérisation sous le microscope, et sont classées dans le tableau ci-dessous, en fonction du risque de cancer du sein qu'on leur attribue, le deuxième tableau listant les propositions thérapeutiques jusqu'à présent en vigueur.

PROBLEMES ET CONTEXTE

Ces lésions frontières ("borderline") soulèvent de multiples problèmes.
D’abord pour l'anatomo-pathologiste, leur identification diagnostique nécessite de la part du pathologiste une bonne expérience, une technique infaillible, une solide connaissance des critères de classifications garantissant que le résultat de l'analyse histologique puisse être reproductible et identique si lecture par une autre pathologiste, ce qui n'est pas toujours garanti....

Ensuite pour la patiente, la prise en charge thérapeutique se fait en fonction de ce qu'on a identifié dans le prélèvement d’une biopsie guidée. Mais les différentes entités trouvées dans un prélèvement sont parfois intriquées et les limites peu nettes ; dans un foyer d'atypie peut se retrouver un micro-foyer in situ, rendant les décisions de classification très difficiles et conduisant dans le sens d'un traitement plus lourd. Et très fréquemment on procède à l'exérèse de la plupart de ces lésions dont on estimait qu'elles conduiraient de facto à des lésions cancéreuses du sein, comme l'illustre la figure 1 de l'article sur l'étude dont nous allons parler. (Cliquez sur l'image)

Il s'agit d'une étude portant sur une cohorte de 3 238 femmes ayant reçu un diagnostic d'atypies épithéliales, appelée la cohorte anglaise 'Sloane'. Cette cohorte est reliée au registre anglais du cancer et au système d'information sur la mortalité et les naissances, pour obtenir des informations sur les cancers du sein subséquents et la mortalité.

L'objectif de l'étude était de comparer le nombre et le type de cancers du sein développés après le dépistage de l’atypie aux 11,3 cancers qu'on estime trouver ensuite par dépistage pour 1000 femmes au cours d’un cycle de dépistage de trois ans, au Royaume-Uni.
Plus précisément : On veut savoir si les femmes porteuses d'atypie ont un risque supplémentaire de développer davantage de cancers, si oui lesquels, et si oui quelles atypies prédisposent davantage au cancer.
A cet effet les données de cette cohorte ont été recueillies sur les formulaires de radiologie, d'histopathologie, de chirurgie et de radiothérapie, afin de fournir des preuves solides et généralisables sur le comportement des atypies.
On a comparé la survenue de cancers ultérieurs en comparant les femmes de la base de données du projet 'Sloane Atypia' aux données du Registre national des cancers, et les informations sur la mortalité ont été ajoutées.

Les principaux critères de suivi sont le nombre et le type des cancers du sein invasifs détectés un an, trois ans et six ans après le diagnostic de l'atypie, par type d'atypie, par âge et par année de diagnostic.

RAPPEL DES CONSTATS ACTUELS SUR LES ATYPIES

Les auteurs observent tout d'abord :
" La détection des atypies a été multipliée par quatre après l'introduction de la mammographie numérique entre 2010 (n=119) et 2015 (n=502)."

C'est ce qu'on voit très bien sur les graphiques détaillés ci-dessous, rassemblés dans la figure 3 de l'article. (Cliquez sur l'image)

Globalement on observe facilement ce bondissement des surdétections lors du passage au procédé de mammographie numérique vers 2010, beaucoup plus sensible notamment à la détection des microcalcifications. Les microcalcifications font partie des trois grands signes radiologiques que l'on recherche sur les clichés, qui peuvent annoncer la présence d'un cancer, et qui sont : les masses, les distorsions architecturales et les microcalcifications, que le procédé numérique détecte particulièrement bien.

Les explications avancées pour l'excès des détections de ces lésions sont les suivantes :

" Nous estimons que l'introduction progressive de la mammographie numérique en Angleterre depuis 2010, qui identifie davantage de microcalcifications, pourrait expliquer une grande partie de l'augmentation des atypies à partir de 2012....
Le reste de l'augmentation de l'incidence des atypies pourrait être dû à une modification des définitions des atypies et au fait que les pathologistes affinent leurs critères de diagnostic..."

" Un autre facteur pouvant être lié à l'augmentation des atypies pourrait être l'augmentation de la taille de l'aiguille de biopsie qui a pu être utilisée ces dernières années, augmentant la probabilité de trouver des atypies et diminuant la probabilité d'une classification erronée des atypies en carcinome in situ."

RESULTATS DE L'ETUDE

L'analyse a porté sur les questions clés suivantes :

1.         Combien de femmes développent un cancer après un diagnostic d'atypie et à quel moment ?
2.         Quel type de cancer se développe ?
3.         Combien de cancers ne sont pas détectés lors du diagnostic d'atypie ?
4.         Le risque de développer un cancer dépend-il du type d'atypie ?
5.         Quelle est la comparaison avec les femmes dépistées sans diagnostic d'atypie ?

Les résultats sont les suivants :

"-Le nombre de cancers après le diagnostic d'atypie (à 3 et 6 ans) était faible et ces cancers étaient similaires à ceux de la population générale de dépistage, avec un risque homolatéral et controlatéral similaire.
-Peu de cancers ont été manqués lors d'un diagnostic d'atypie et la VAE (excision mini-invasive assistée par le vide) n'a pas entraîné plus de cancers manqués que la prise en charge chirurgicale.
-Le nombre de cancers ne diffère pas significativement selon le type d'atypie, la densité mammaire ou l'âge après ajustement sur l'année du diagnostic.
-Le nombre de cancers après 3,5 ans suite au diagnostic d’atypie était égal au nombre de cancers dans la population générale de dépistage.
-Le risque de cancer au cours des dernières années était inférieur au risque historique, probablement en raison de l'introduction de la mammographie numérique qui identifie davantage de microcalcifications, d'un changement dans la nomenclature des atypies et de l'affinement des critères de diagnostic par les pathologistes, ainsi que de l'augmentation de la taille de l'aiguille de biopsie.

Pour résumer : " Les femmes dont les atypies ont été détectées plus récemment présentent des taux plus faibles de cancers subséquents détectés dans les trois ans" et " le grade, la taille et l'atteinte ganglionnaire des cancers invasifs ultérieurs étaient similaires à ceux des cancers détectés dans la population générale de dépistage, avec un nombre égal de cancers homolatéraux et controlatéraux."

Les analyses ont confirmé qu'à court terme, de nombreuses lésions atypiques peuvent représenter des facteurs de risque plutôt que de véritables précurseurs d'un cancer invasif et ont conclu qu'une mammographie annuelle pendant 5 ans après le diagnostic d'une atypie pourrait ne pas être bénéfique pour les femmes dans le cadre de l'actuel programme de dépistage du cancer du sein du NHS anglais. En outre, les changements récents apportés aux techniques de mammographie et de biopsie semblent identifier les cas d'atypie qui sont plus susceptibles de représenter un surdiagnostic."

CONCLUSION

Les auteurs concluent de la façon suivante :

" Il apparaît que peu de cancers ont été méconnus au moment du diagnostic de l'atypie et que la prise en charge non chirurgicale se révèle aussi sûre que l'excision chirurgicale de l'atypie dans cette cohorte.
Les caractéristiques des cancers détectés après une atypie étaient similaires à celles des cancers détectés dans la population générale de dépistage et aucun sous-groupe présentant un risque accru de développer un cancer invasif n'a été identifié.
Par conséquent, le signalement des atypies lors du dépistage pourrait contribuer au problème du surdiagnostic dans le cadre du dépistage du cancer du sein
."

Et de ce fait ils suggèrent :

"De nombreuses atypies pourraient représenter des facteurs de risque plutôt que des précurseurs de cancers invasifs...
Une mammographie annuelle à court terme après un diagnostic d'atypie pourrait ne pas être bénéfique. ..."

IMPLICATIONS POUR LA PRATIQUE CLINIQUE

Les recommandations pour le suivi de ces lésions nécessitent vraisemblablement un changement conséquent.
Les auteurs écrivent :
"Les résultats suggèrent qu'une mammographie annuelle supplémentaire pendant les trois premières années suivant un diagnostic d'atypie épithéliale pourrait ne pas être nécessaire en plus de la pratique de dépistage standard du Royaume-Uni proposée à toutes les femmes (c'est-à-dire une fois tous les trois ans).
Le nombre de femmes ayant reçu un diagnostic d'atypie et ayant développé un cancer au cours des trois premières années était faible."

Les lignes directrices au Royaume-Uni, en Europe et en Amérique recommandent généralement l'excision des atypies par biopsie ou par biopsie-exérèse chirugicale, suivie d'une surveillance rapprochée par imagerie.
En fonction de ce que cette étude rajoute comme connaissances sur ces lésions, les auteurs, dans une deuxième publication que nous allons voir, suggèrent une modification des recommandations.

Les connaissances supplémentaires que l'étude de cohorte Sloane apporte sont :
"- Le diagnostic de cancer du sein dans les trois ans suivant l'atypie était faible, en particulier dans les années les plus récentes (depuis 2012), et pourrait contribuer à l'augmentation du surdiagnostic dans le cadre du dépistage du cancer du sein.
- Des mammographies plus fréquentes pendant cinq ans après le diagnostic d'atypie pourraient ne pas être bénéfiques dans les programmes de dépistage du cancer du sein dont la qualité est assurée et qui prévoient l'utilisation universelle de la mammographie numérique et l'excision assistée par aspiration des lésions indéterminées ; ces protocoles de surveillance devraient être revus.
- Il n'a pas été démontré que l'ablation chirurgicale des atypies était nécessaire pour éviter les cancers manqués ; l'excision assistée par aspiration semble être aussi sûre que l'excision chirurgicale dans la prise en charge des atypies."

Des recommandations fondées sur ces nouvelles données doivent être envisagées.

Recommandations fondées sur des données probantes concernant la prise en charge des atypies dans le dépistage du cancer du sein : perspectives d'une réunion de consensus d'un groupe d'experts examinant les résultats du projet Sloane Atypia

British Journal of Radiology, Volume 97, Issue 1154, February 2024, Pages 324–330, https://doi.org/10.1093/bjr/tqad053

Karoline Freeman, PhD,  Alice Mansbridge, BSc,  Hilary Stobart, MSc,  Karen Clements, BSc, Matthew G Wallis, MBChB,  Sarah E Pinder, MBChB,  Olive Kearins, MSc, Abeer M Shaaban, MBBCh, MSc, PhD,  Cliona C Kirwan, MBBS, BSc, PhD, Louise S Wilkinson, BMBCh,  Sharon Webb, MPH,  Emma O’Sullivan, BSc, Jacquie Jenkins, MSc,  Suzanne Wright, PhD,  Kathryn Taylor, DCR, MSc, Claire Bailey, BNurs,  Chris Holcombe, MD,  Lynda Wyld, BMedSci, MBChB, PhD, Kim Edwards, MBBCh, DMRD,  David J Jenkinson, PhD,  Nisha Sharma, MRCP, Elena Provenzano, MB BS, PhD,  Bridget Hilton, BSc,  Nigel Stallard, PhD, Alastair M Thompson, BSc, MBChB, MD, Sian Taylor-Phillips, PhD on behalf of the Sloane Project Steering Group

Une réunion de consensus d'une demi-journée a été organisée ; elle réunissait 11 experts cliniques, un représentant de 'l'Independent Cancer Patients Voice', six représentants du NHS England, et deux chercheurs ; cette réunion a permis des discussions sur les résultats de l' analyse du projet Sloane Atypia, étude dont nous venons de parler plus haut, afin de re-considérer les lignes directrices et les conduites à tenir existantes.

Jusqu'à présent, expliquent les auteurs, " Les lignes directrices étaient basées sur les preuves existantes sur les taux de reclassification en « cancer » lors de l'excision, et sur le risque de cancer à long terme. Cependant, aucune preuve de l'efficacité de la mammographie de surveillance régulière à court terme n'était disponible et les lignes directrices incluaient un commentaire indiquant que cela devrait être modifié lorsque "davantage de données et de directives nationales seront disponibles".
Ce qui est maintenant le cas.

RECOMMANDATIONS REVUES POUR LES FEMMES AU ROYAUME UNI

Le groupe a décidé à une majorité de 17/19 (89,5 %, une personne ayant quitté le groupe) sur les données actuelles, que la mammographie de surveillance annuelle pendant les cinq premières années n'est pas bénéfique pour les femmes présentant des atypies, quel que soit le type d'atypie ou l'âge de la femme.

Le groupe recommande que les femmes présentant des atypies détectées au dépistage puissent se voir proposer un dépistage systématique tous les trois ans (comme cela est pratiqué pour la population des femmes âgées de 50 à 70 ans  au Royaume Uni), avec un message clair indiquant qu'elles n'avaient pas un cancer, et que leur prise en charge devait donc être la même que pour celles qui n'avaient pas d'atypie.

SITUATION EN FRANCE

Nous espérons grandement que les recommandations françaises évoluent aussi sagement vers une désescalade des suivis.
Voilà pour l'instant ce qui est préconisé par l'Institut National du Cancer et la Haute Autorité de Santé :

Au delà d'amoindrir ce suivi mammographique annuel prévu pendant 10 ans en France (seulement 5 ans en Angleterre jusqu'à présent), d'amenuiser les risques qui en découlent (irradiation, surdiagnostics), il s'agirait aussi de réduire l'anxiété liée à ce suivi excessif, et de libérer ces femmes de l'étiquette "femme à haut risque".

Les recommandations de la HAS de 2019 concernant les "modalités spécifiques de dépistage pour les femmes à haut risque", sont basées sur la recommandation de 2014, avec en bibliographie une note de cadrage datant, elle, de 2011 ; on ne peut pas dire que les sources soient très récentes.

Il est grand temps de moderniser tout cela, et, évidemment, de fournir aux femmes une information claire sur le surdiagnostic galopant et les surtraitements, qui surviennent à cause du dépistage lui-même, selon les demandes  de la concertations citoyenne de 2016, ce qui est soigneusement resté lettre morte jusqu'à présent.

Opinion libre, Dr Cécile Bour, radiologue

Je me permets ici quelques considérations personnelles, issues de ma propre pratique et des constatations que j'ai pu accumuler, ayant suivi de près ce dépistage depuis sa genèse et sa généralisation en 2004 en tant que jeune radiologue installée, jusqu'à l'aboutissement de nos jours, à un âge où ma carrière vient toucher à sa fin.

Il convient de rappeler, encore et toujours, que le but premier d'un dépistage n'est pas de récolter des lésions à foison, n'est pas de trouver un maximum de choses, mais d'en tirer des bénéfices de trois sortes :
réduire la mortalité par la maladie,
diminuer le nombre des formes avancées de cancer du sein,
alléger les traitements en faisant reculer les mastectomies totales et les traitements les plus lourds.

L’effet sur la mortalité par cancer du sein est non démontré (selon diverses hypothèses et diverses méta-analyse, il faudrait, en gros, suivre 700 à 2 500 femmes pendant quatorze ans à 20 ans pour trouver un seul décès évité). En parallèle :
Les diagnostics en excès, appelés les surdiagnostics, selon les évaluations les plus pessimistes atteignent 30 à 50 %.
les cancers de l’intervalle, malgré tous les efforts de détection précoce, qui sont les plus néfastes et agressifs, représentent toujours un tiers des cas de cancers .
* les traitements agressifs sont en augmentation. (Environ 30 à 35% de chimio- et radiothérapies en plus. Les procédures chirurgicales ne diminuent en rien, au contraire).

À partir, déjà des années 1990, au fur et à mesure que se développe le dépistage, on observe une flambée de cancers canalaires in situ.
Cet accroissement spectaculaire du nombre de cancers in situ diagnostiqués est signalé déjà en 1996 par Virginia Ernster, une épidémiologiste de l’université de Californie, San Francisco (ernster vl, Barclay J et al. Incidence of and treatment for ductal carcinoma in situ of the breast. JAMA. 1996 Mar 27;275(12):913-8. )

Les atypies et lésions frontières sont mises en évidence déjà par Nielsen ce que relate une méta-analyse d'études d'autopsies, sur 13 études  de 10 pays différents, sur 6 décades (de 1948 à 2010), incluant  2363 autopsies avec 99 cas de cancers dits "incidentalomes" (cancers de découverte fortuite), de lésions précancéreuses, de cancers in situ et d'hyperplasies atypiques, mais parallèlement peu de cancers invasifs.

Deux études apportent elles aussi une lumière sur ces lésions et sur le fait que leur présence dans le sein est fréquente, sans que la vie des femmes soit impactée : l’étude de Nashville au Tennessee (page Dl, dupont WD et al. Continued local recurrence of carcinoma 15-25 years after a diagnosis of low grade ductal carcinoma in situ of the breast treated only by biopsy. Cancer. 1995 Oct 1;76(7):1197-200. ), et l’étude de Bologne en Italie (euseBi v, FoscHini mp et al. Long-term follow-up of in situ carcinoma of the breast. Seminars in Diagnostic Pathology. 1989;6(2):165-173. )

Elles relatent les cas de femmes pour qui le diagnostic de carcinome in situ a été fait avec un retard de dix à vingt ans. Lors de la première lecture effectuée des biopsies, faite dans les années 1950 pour l'une et en 1960 pour l'autre étude, les lésions avaient été classées bénignes.
Les femmes n’avaient donc pas été traitées.
Mais après la relecture plus récente ensuite de ces mêmes biopsies, il s’est avéré que ces femmes étaient en fait bel et bien porteuses d’un cancer in situ.
Comment ces cancers qui avaient échappé à la vigilance des médecins ont-ils évolué ? Parmi les femmes du Tennessee, dix ans plus tard, 25 % d'entre elles, vivantes, avaient un cancer invasif et parmi les Italiennes, vingt ans plus tard, 11 % avaient un cancer invasif, ce qui revient à dire que respectivement 75 % et 89 % de ces femmes porteuses d’un carcinome in situ n’avaient PAS développé de cancer invasif.

On peut bien sûr objecter que c'est dommage pour la majorité de femmes porteuses d’un cancer in situ de se voir traitées inutilement pour sauver la petite minorité avec CIS et qui, elle, va présenter un cancer invasif. Mais que c'est un dommage somme toute acceptable.
Si cela était bien le cas et que les traitements des CIS étaient bénéfiques, on observerait chez les femmes dépistées une diminution des formes les plus graves de cancers et une baisse drastique de la mortalité par cancer du sein. Or, cela ne se produit pas.

Une étude très récente démontre que les dépistages ne prolongent pas la durée de la vie.
L'étude de Toronto montre que traiter les cancers canalaires in situ ne réduit pas la mortalité par cancer du sein, et que la prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduit pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

Le diagnostic par dépistage d’un cancer in situ impacte profondément la qualité de la vie des femmes, qui, non informées de ces potentiels dangers auxquels le dépistage les expose, subissent toujours des traitements agressifs et une profonde angoisse de maladie sans bénéfice prouvé.

Où en sommes-nous à présent ?

Nous essayons de "rattraper le coup". On s'est fourvoyés, on a promis l'impossible aux femmes et comme ce Titanic de dépistage ne peut plus faire marche arrière, alors nous essayons de lui lancer quelques bouées de sauvetage en tentant, tant bien que mal, de limiter les dégâts et de prôner une désescalade thérapeutique.
Mais nous poussons le cynisme à faire cela "en accord avec la patiente", en lui donnant la possibilité de faire sa "propre décision". Alors oui c'est très bien et très moderne la décision partagée, nous-mêmes militons pour, car qui pourrait être contre.
Mais finalement, après avoir terrorisé les femmes pendant des décennies sur la possibilité de contracter un cancer du sein si on relâchait ne serait-ce qu'un tantinet la pression, après leur avoir corné que chaque minute compte, qu'il ne faut pas laisser la moindre petite cellule dégradée dans un sein, là maintenant on freine des quatre fers pour réduire nos traitements abusifs, et nous faisons peser tout le poids de la décision que la femme estimera toujours lourde de conséquences sur ses épaules, à elle.
Les interrogations "ai-je bien fait?" lui pèseront comme une épée de Damoclès toute sa vie durant, et de contrôle en contrôle.
Nous ne pourrons pas, en rien, avec cette désescalade thérapeutique que nous appelons de nos voeux, pour autant soulager les femmes d'une angoisse mortelle, nous avons juste lâchement glissé la responsabilité du terrain du médecin vers celui de la femme.

Cela au lieu d'avoir le courage, tous, d'avouer aux femmes que les campagnes de dépistage ont été instaurées trop vite, trop tôt, sans preuve suffisante, qu'on a fait fausse route, qu'on s'est plantés, qu'il n'y a pas de perte de chance réelle à ne pas aller au dépistage, qu'on peut faire sans, que finalement plus on avance, et plus on bidouille, plus on change notre "cuisine thérapeutique" sans parvenir à bout du cancer tueur, le seul qu'il nous fallait juguler, ce que le dépistage a complètement échoué à faire.

Je trouve cette lâcheté et ce culot à faire tout peser sur les épaules des femmes d'un cynisme confondant.

Article connexe : Changer le discours sur le carcinome canalaire in situ et le risque de cancer du sein

Nous avons maintes fois parlé du cas particulier du carcinome in situ (CIS), considéré comme un non-cancer, ou comme un cancer "stade 0", à ce point qu'il n'est pas comptabilisé dans les chiffres des nouveaux cas de cancers du sein dans les statistiques des instituts surveillant l'épidémiologie des maladies, ni par l'Institut National du Cancer.
Certains scientifiques pensent qu'il faudrait le "débaptiser", et ne plus le nommer "carcinome". Il est davantage considéré actuellement comme un facteur de risque non obligatoire de faire un cancer du sein ultérieur.
Il faut changer le discours sur cette entité particulière, et re-considérer le risque auquel il exposerait les femmes de cancer invasif, et de ce fait changer aussi les attitudes de suivi et les préconisations thérapeutiques.
Même démarche à faire, en somme, que pour les atypies, en tous cas pour aller au final vers une désescalade thérapeutique, et une vision moins affolante pour les femmes sur leur état de "malade".

C'est ce qui ressort de cette publication d'octobre 2023, que nous vous traduisons ci-dessous, et qui donne les résultats d'un travail de recherche, appelé PRECISION. Le but de ce projet de recherche est de savoir comment le CIS à faible risque diffère du CIS à plus haut risque, pour aider les femmes à mieux adapter les traitements et éviter les surtraitements.

L'article :

En ce mois de sensibilisation au cancer du sein, les nouvelles découvertes de l'équipe PRECISION du Cancer Grand Challenges montrent que le développement d'un cancer du sein à partir d'un CCIS est un événement rare et soulignent le besoin urgent de marqueurs pronostiques précis pour lutter contre le surtraitement du CCIS.

En 2015, Cancer Grand Challenges a lancé le défi Cancers létaux et non létaux dans le but de trouver des moyens de distinguer les cancers létaux qui doivent être traités des cancers non létaux qui ne doivent pas l'être. Depuis 2017, l'équipe PRECISION, dirigée par le professeur Jelle Wesseling de l'Institut néerlandais du cancer (NKI), relève ce défi dans le cas du carcinome canalaire in situ ( CCIS).

Le CCIS est caractérisé par la présence de cellules anormales dans les canaux lactifères du sein. Par définition, ces cellules anormales ne sont pas invasives, mais dans un petit nombre de cas, elles peuvent se transformer en cancer du sein invasif ipsilatéral (même sein).
Bien que le risque d'évolution vers un cancer du sein soit faible, le CCIS est souvent considéré comme un cancer du sein précoce et donc traité comme tel. Une partie des efforts de PRECISION a consisté à affiner cette description.
Dans une nouvelle étude multinationale portant sur plus de 47 000 femmes atteintes de CCIS aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux États-Unis, publiée dans le British Medical Journal, l'équipe a rapporté que l'incidence cumulée sur 10 ans du cancer du sein invasif ipsilatéral après un CCIS était de 3,2 %.
"Je pense que notre résultat le plus important est que le cancer invasif ipsilatéral après un CCIS est vraiment un événement rare et qu'il est donc d'autant plus important de déterminer qui sont les femmes à risque. Le CCIS en lui-même ne met pas la vie en danger et nous ne voulons pas traiter toutes les femmes de manière intensive et inutile", déclare le professeur Marjanka Schmidt du NKI, co-chercheur dans PRECISION et auteur principal de l'article.

Cette découverte s'inscrit dans le cadre d'une étude visant à déterminer l'association entre la taille du CCIS et l'état de la marge avec le risque de développer un cancer du sein invasif dans le côté ipsilatéral. Ces deux facteurs cliniques sont souvent utilisés en clinique pour stratifier le risque de lésions CCIS et déterminer la marche à suivre pour le traitement.
Actuellement, le traitement est généralement recommandé pour toutes les femmes atteintes de CCIS et peut inclure la chirurgie, la radiothérapie et l'hormonothérapie. Les médecins peuvent utiliser le grade du CCIS pour décider de la meilleure approche thérapeutique.
Mais dans la plupart des cas, les femmes auront subi un traitement pour un CCIS qui n'aurait pas évolué en cancer. Pour réduire le fardeau du surtraitement, il est urgent de trouver des moyens de distinguer les cas de CCIS qui présentent un risque élevé d'évoluer vers un cancer du sein invasif de ceux qui présentent un risque faible.

L'équipe a combiné les données de quatre cohortes de patientes - une des Pays-Bas, une du Royaume-Uni et deux des États-Unis - comprenant 47 695 femmes diagnostiquées avec un CCIS entre 1999 et 2017 et ayant subi soit une chirurgie conservatrice du sein, soit une mastectomie, souvent suivie d'une radiothérapie ou d'un traitement hormonal, soit les deux.
Ils n'ont trouvé qu'une faible relation entre la taille du CCIS et l'état des marges et le risque de cancer du sein invasif ultérieur dans le même sein, concluant que les caractéristiques cliniques telles que celles-ci étaient limitées dans la discrimination entre les CCIS à faible risque et à haut risque.
"Nous avons conclu que ces associations ne sont pas suffisamment importantes pour guider, dans la pratique clinique, les décisions concernant les personnes à traiter et celles à ne pas traiter", déclare Marjanka.

Cette étude est la plus importante du genre à ce jour pour explorer la valeur des facteurs de risque pronostiques après un CCIS. Elle a été rendue possible grâce aux collaborations internationales établies entre les groupes de recherche de PRECISION et au financement à grande échelle de l'initiative "Cancer Grand Challenges".
"En combinant et en comparant les différentes cohortes de patients, nous avons constaté que le risque de cancer du sein invasif ultérieur dans le même sein est très similaire au Royaume-Uni, aux États-Unis et aux Pays-Bas, et que d'autres variables cliniques sont également très comparables. Bien que les cohortes aient été constituées de manière différente et que les traitements soient quelque peu différents d'un pays à l'autre, les risques réels pour les femmes sont très similaires", ajoute le Dr Esther Lips du NKI, co-chercheur de PRECISION et auteur principal de l'article.

Souligner la nécessité de relever le défi des cancers létaux ou non létaux

L'objectif du défi "Cancers létaux ou non létaux" était d'identifier les changements qui distinguent une tumeur non létale d'une tumeur potentiellement létale, puis de déterminer comment ces changements peuvent être détectés avec précision.
Les travaux de l'équipe PRECISION soulignent la nécessité de relever ce défi dans le cas du CCIS et soulèvent des considérations importantes pour la gestion clinique du CCIS.
"Tout ce que nous savions sur le CCIS dans la pratique quotidienne avant PRECISION était largement basé sur des séries relativement petites, souvent biaisées, qui ne pouvaient pas avoir l'impact nécessaire pour informer les lignes directrices dans la clinique", déclare Jelle.
"Tout en voulant préserver les excellents résultats des traitements pour les femmes présentant un CCIS à haut risque, nous devons savoir exactement quelles sont les femmes qui courent un risque élevé. Je pense que cet article montre que certains facteurs clés utilisés en clinique, tels que la taille et l'état des marges, ne sont en fait pas vraiment indicatifs du risque. Même s'ils font une légère différence, ils n'ont pas d'utilité clinique".

Parallèlement à la recherche de l'équipe, le travail collaboratif de l'équipe PRECISION a suscité d'importantes conversations au-delà des frontières nationales entre les chercheurs, les défenseurs des patients et les cliniciens sur la définition du CCIS et la sensibilisation au risque de cancer du sein.
La compréhension du risque est particulièrement importante pour les femmes atteintes d'un CCIS qui sont confrontées à la décision de poursuivre ou non le traitement.
"Les femmes ont besoin de beaucoup plus d'informations sur leurs risques individuels futurs avant de prendre des décisions de traitement, mais le dilemme est que les cliniciens et les scientifiques ne peuvent toujours pas distinguer en toute sécurité quel CCIS évoluera et lequel n'évoluera pas", déclare Hilary Stobart, une représentante des patientes au sein de l'équipe.
"L'équipe internationale PRECISION travaille d'arrache-pied pour résoudre ce dilemme en collaborant à la recherche d'une combinaison de biomarqueurs qui permettra de distinguer en toute sécurité les femmes dont le CCIS doit être traité de celles qui n'en ont pas besoin. Cette vaste étude internationale en conditions réelles constitue une étape importante vers cet objectif, afin que les femmes et leurs cliniciens puissent prendre des décisions éclairées en matière de traitement et éviter éventuellement un surtraitement. Ce fut un grand privilège pour moi de défendre les intérêts des patientes en travaillant avec l'équipe de PRECISION".

Les résultats soulignent le besoin de nouveaux marqueurs pronostiques, et PRECISION a exploré plusieurs pistes dans le but de trouver des marqueurs biologiques qui peuvent être utilisés comme outils pour évaluer le risque de cancer du sein après un diagnostic de CCIS.

L'équipe PRECISION est financée par Cancer Research UK et la KWF Dutch Cancer Society.
"Au sein d'une équipe pluridisciplinaire, PRECISION tente d'identifier les facteurs de risque permettant de prédire si une femme atteinte d'un CCIS a besoin d'un traitement ou non. La possibilité d'adapter les traitements au risque individuel, dans le but d'éviter le surtraitement, s'inscrit parfaitement dans les objectifs principaux de la KWF, à savoir stimuler un meilleur traitement pour chaque type de cancer et viser une meilleure qualité de vie pour les patients", déclare Carla van Gils, directrice de la KWF Dutch Cancer Society.

Lire l'article complet dans le British Medical Journal.

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