Les méthodes d’influence du public pour l’inciter aux dépistages

Catégories d'influences systématiques appliquées pour augmenter la participation au dépistage du cancer : revue et analyse de la littérature

Joseph Rahbek, Christian P. Jauernik, Thomas Ploug, John Brodersen (en savoir plus sur les auteurs ==> voir au bas de l'article)

https://publichealth.ku.dk/staff/?pure=en%2Fpublications%2Fcategories-of-systematic-influences-applied-to-increase-cancer-screening-participation(2cfeab86-5b7c-47db-be7b-bdf04436a71f).html

https://academic.oup.com/eurpub/article-abstract/31/1/200/5902144?redirectedFrom=fulltext

20 avril 2021 ;
Résumé Dr C.Bour, avec l'aide de notre patiente référente Sophie

Sous ce titre les auteurs ont pour but d'analyser comment les autorités sanitaires peuvent influencer les citoyens de manière subtile pour les amener à participer à des programmes de dépistage du cancer.
Les chercheurs ont isolé et analysé plusieurs "catégories d'influence", c'est à dire plusieurs méthodes qui permettent de pousser le public à se soumettre aux dépistages.
Ils soulignent que lorsque les influences prennent trop d'importance, cela se fait aux dépens de la capacité des citoyens à faire un choix personnel.

Les méthodes de l'étude

Deux méthodes ont été choisies :

  • Une recherche documentaire systématique a été effectuée sur trois bases de données recensant articles scientifiques et publications qui sont : PubMed, Embase et PsycINFO. Mais il s'y est ajouté aussi un examen de la littérature dite "grise", c'est à dire des brochures d'information et de contenus de sites web émanant des autorités de contrôle et des organisations de patients ciblant les citoyens.
  • Des experts compétents ont été contactés via des listes d'adresses électroniques internationales et invités à fournir des exemples d'influences systématiques dans le domaine du dépistage du cancer. Ces experts font partie de collectifs indépendants et possèdent une expertise sur le cancer et dans le domaine des dommages collatéraux des dépistages.
    Il s'agit des groupes suivants : EuroPrev (18 membres)[1], du Nordic Risk Group (24 membres)[2], de Preventing Overdiagnosis (27 membres)[3], d'un groupe Google (breast-cancer-screening google group) s'intéressant particulièrement à la mammographie de dépistage (42 membres), et de Wiser Healthcare (21 membres)[4]

Les résultats

Les 19 articles inclus et l'enquête d'experts ont permis d'isoler six grandes catégories d'influence systématique: (a) présentation trompeuse des statistiques, (b) représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux bénéfices,  (c) système d'opt-out,(qui consiste à considérer comme un consentement passif le fait qu'un patient sollicité ne s'oppose pas à l'invitation à faire le dépistage), (d) la recommandation de participation, (e) appel à la peur (f) influence sur les médecins généralistes et autres professionnels de santé. 

Les auteurs illustrent des exemples pour chaque catégorie

a) Présentation trompeuse des statistiques

Il s'agit de présenter les données de réduction de mortalité de façon enjolivée en utilisant des pourcentages de réduction relative du risque de décéder, au lieu de chiffres bruts.

NDLR ; par exemple dans le cas du dépistage du cancer du sein, un gain de mortalité de 20% est mis en avant. Il s'agit d'une réduction du risque de mourir lorsqu'on compare deux groupes, donc d'un groupe par rapport à un autre groupe.

Avec ce genre de présentation on pourrait penser que 20 personnes sur 100 dépistées en moins mourront du cancer. Il n'en est rien, explication :

Si sur 1 000 femmes dépistées 4 meurent d'un cancer du sein, et que sur un groupe de femmes non dépistées 5 meurent d'un cancer du sein, le passage de 5 à 4 constitue mathématiquement une réduction de 20% de mortalité, mais en chiffres absolus cela ne fait qu'une différence d'une seule femme... C'est pour cela qu'il convient de toujours exiger une présentation en données réelles, et non en pourcentage ce qui embellit la situation.
Pour bien comprendre la différence entre risque relatif et absolu, lire ici : https://web.archive.org/web/20170623084247/http://hippocrate-et-pindare.fr/2017/01/01/resolution-2017-non-au-risque-relatif-oui-au-risque-absolu/

Souvent médecins et patients ont une compréhension limitée des statistiques, et exposer les réductions de risque en chiffres relatifs est susceptible d'augmenter la participation surtout par le fait que les citoyens surestiment les avantages du dépistage.[5]

b) Représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux bénéfices

Cette méthode d'influence peut se faire en présentant les bénéfices en chiffres relatifs, comme nous venons de le voir plus haut, et les dommages en revanche en chiffres absolus. Ou bien on peut minimiser et même omettre complètement certains types de dommages.

Les auteurs citent pour exemple une brochure d'information britannique sur le dépistage par mammographie dans laquelle la réduction de la mortalité du cancer du sein était soulignée, mais un dommage majeur comme le surtraitement était omis [6]. En outre, la même brochure britannique montrait le risque de surdiagnostic après un tour de dépistage, et la réduction cumulative de la mortalité après cinq tours de dépistage, minimisant ainsi les dommages tout en exagérant les bénéfices.

Le fait de ne pas informer correctement porte aussi sur l'omission des dommages tels que le surdiagnostic et le surtraitement.
NDLR : Nous allons détailler dans un paragraphe dédié les travers absolument identiques dans l'information donnée en France aux femmes, dénoncés d'ailleurs dans cette étude, travers mentionnés également lors de la concertation citoyenne sur le dépistage. Nous y reviendrons.

c) Systèmes opt-out

Cela consiste à d'attribuer aux citoyens un rendez-vous fixé à l'avance au moment de l'invitation. Si la personne ne souhaite pas participer elle doit se désengager activement. On considère de facto le non-refus du patient comme acceptation de participer.

NDLR : En France nous ne connaissons pas ce système de prise de rendez-vous imposé, en revanche le système de relance est largement utilisé si une patiente ne se présente pas au rendez-vous de mammographie de dépistage (relances par courriers et parfois sms).

d) Recommandations à participer

Une recommandation à se soumettre à un dispositif de santé ne fournit pas de données factuelles sur l'efficacité ou la pertinence ou encore le bienfait d'un programme de dépistage. Au contraire, elle fait passer une option (celle de participer) comme étant la plus intelligente ou la meilleure, en se fondant sur l'autorité de la source dont émane l'injonction. C'est l'argument d'autorité.[7]

La mise en scène de célébrités est aussi utilisée largement dans différents pays pour augmenter le taux de participation. Des exemples cocasses sont évoqués dans l'article de Brodersen et col. : "Dans une vidéo gouvernementale islandaise, après avoir examiné le rectum d'un citoyen, le médecin lui donne une claque sur le derrière et s'exclame : "Plus d'hommes devraient suivre votre exemple et prendre soin de leur derrière" - une recommandation, non accompagnée de données factuelles".

e)Appel à la peur

C'est un levier largement éprouvé. En s'appuyant sur l'incertitude de la vie et en mettant l'accent sur la peur de mourir, bien humaine, il est facile de convaincre.

Tous ces leviers précédemment énumérés sont illustrés de façon excellente et imagée dans l'article du média Cortecs : https://cortecs.org/2016/05/ (NDLR)

f) Influence sur les médecins généralistes et les autres professionnels de santé

La plus évidente est le système de récompense par rémunération lorsque le professionnel incite un patient à participer, appelé  P4P (Pay for performance) ou ROSP (rémunération sur les objectifs de santé publique) en France.

g)Autres

Elle n'a pas cours en France mais est en vigueur en Urugay, et elle a failli voir le jour en Allemagne : il s'agit de l'influence législative.

En Allemagne, en 2007, une proposition de loi suggérait que si un individu ne participait pas à un programme de dépistage du cancer et que l'on diagnostiquait ensuite le type de cancer pour lequel il avait été appelé à se faire dépister, cet individu devait alors payer le double de l'impôt sur la santé - proposition de loi qui fut finalement rejetée.

Au total

L' analyse des auteurs montre qu'il y a un point commun entre les six grandes catégories d'influence détaillées dans l'article : elles agissent par des biais psychologiques et la mise en avant des coûts supportés par le patient en cas de sa non-participation (en termes de temps et coûts financiers).

L'article ici se concentre essentiellement sur le « nudging » exercé sur les populations, ce terme désignant tout ce qui modifie de façon prévisible le comportement des gens en les poussant dans ce qu'on souhaite leur faire adopter, sans aucun scrupule, et jusqu'à aller même aux incitations financières.

Dans la mesure où l'autonomie du patient et son choix éclairé sont importants, disent les auteurs, le recours à ce type d'influences est éthiquement douteux dans les programmes de dépistage du cancer où le rapport bénéfices/dommages est complexe et scientifiquement contesté.

Selon eux, il est donc nécessaire de trouver de meilleurs moyens de faciliter la participation des citoyens qui le souhaitent, sans pour autant pousser les citoyens réticents à participer. Au lieu d'évaluer les programmes de dépistage du cancer sur la base du taux de participation, on devrait les évaluer sur les taux des décisions éclairées, indépendamment de la participation ou de la non-participation.

Pour résumer, les points-clés :

  •  Cette étude met en évidence six catégories d'influences systématiques appliquées pour augmenter la participation aux programmes nationaux de dépistage du cancer.
  • Les catégories d'influences agissent sur les individus par le biais de préjugés psychologiques et des coûts personnels qui seraient occasionnés par leur non-participation. Cela n'est pas compatible avec le choix éclairé des citoyens.
  • Il est nécessaire de mener des recherches sur la manière de mettre en œuvre correctement des modèles de décision éclairée pour les citoyens, sans compliquer la participation de citoyens qui seraient par ailleurs disposés à aller aux dépistages.

Les modes de pression et de manipulation des structures sanitaires en France, en particulier pour le dépistage du cancer du sein par mammographie

Nous allons reprendre les six méthodes d'influence décrites et en analyser l'application en France, spécifiquement concernant le dépistage du cancer du sein qui est notre sujet de préoccupation.

Les travers de l'information en France ont été très bien identifiés et décrits dans le rapport de la concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein (2015/2016) qui, rappelons-le, demandait l'arrêt de ce dépistage.[8] (constats des multiples manquements dans l'information donnée aux femmes)

Il faut souligner l'incroyable cynisme de l'Institut National du Cancer qui  se sert de cette même publication dans une optique d'amélioration du taux de participation au dépistage !

En effet, sur le site de l'institut, dans la rubrique destinée aux médecins (accès thématique "professionnels de santé") cette publication est citée comme base pour l'amélioration du taux de participation, faisant fi de la dénonciation du caractère non-éthique des techniques d'influence par les auteurs de l'étude : https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Veille-bibliographique/Nota-Bene-Cancer/Nota-Bene-Cancer-460/Categories-of-systematic-influences-applied-to-increase-cancer-screening-participation-a-literature-review-and-analysis
"Menée à partir d'une revue systématique de la littérature (19 articles) et à l'aide d'experts, cette étude identifie les différents types d'influence permettant d'améliorer le taux de participation aux programmes de dépistage".
Le caractère critique de l'étude Rahbek et al. n'est en aucun cas évoqué, alors que l'INCa est cité quand-même dans deux catégories d'influence du public : "Présentation trompeuse des statistiques", et "Représentation erronée des dommages par rapport aux bénéfices."

Examinons l'information donnée aux femmes à l'aune des 6 catégories d'influence analysés dans l'article.

a) Présentation trompeuse des statistiques

Rahbek et collaborateurs citent, dans le tableau 5 de la partie "suppléments" de leur étude (TABLE 5. GREY LITERATURE SEARCH RESULTS) justement le livret de l'INCa[9] comme exemple d'une information fallacieuse des données statistiques, et ils dénoncent la présentation faite par la brochure française de la mortalité en risques relatifs. En effet, dans le livret français la réduction du risque de décéder par cancer du sein, (ce soi-disant gain de mortalité) est annoncé par l'INCa entre 15 et 20%. Nous avions nous-mêmes également analysé ce livret et émis les mêmes constats sur cette information trompeuse et enjolivante concernant le gain de mortalité supposé du dépistage du cancer du sein [10].

Lorsqu'on se rend sur le site de l'INCa[11], censé garantir la bonne information des populations, nous tombons d'emblée sur le même travers dénoncé par la publication, ici : https://cancersdusein.e-cancer.fr/infos/pourquoi-les-autorites-de-sante-recommandent-de-realiser-un-depistage/ : "Les études internationales estiment que ces programmes permettent d’éviter entre 15 % et 21 % des décès par cancer du sein."

Même présentation retrouvée encore et toujours sur le site de l'Assurance Maladie, malgré les demandes citoyennes d'éviter cet écueil, superbement ignorées et méprisées par ces instances pourtant lourdement épinglées pour leurs manquements, comme on peut le constater sur le site ameli, ici : https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/cancer-sein/depistage-gratuit-50-74-ans

b) Représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux bénéfices

Sur le site de l'Assurance Maladie, il est impossible pour une patiente d'obtenir des renseignements sur surdiagnostic ou surtraitement. Dans la loupe de recherche il n'y a aucune occurrence.

Mais dans l'onglet "dépistage organisé du cancer du sein" vous trouverez une vidéo faite par l'INCa ainsi qu'un renvoi vers la page de l'Institut.

Les avantages, sur le site officiel de l'INCa, y sont largement développés, et les risques s'appellent ici pudiquement les "limites du dépistage". Dans le petit paragraphe 'LE DIAGNOSTIC ET LE TRAITEMENT DE CANCERS PEU ÉVOLUTIFS' le surtraitement, concrétisation directe pour les femmes du surdiagnostic, n'est jamais évoqué.

Le surdiagnostic est indiqué à un pourcentage de 10 à 20%, chiffres complètement obsolètes et revus à la hausse depuis bien longtemps[12]

Apparaissent même des chiffres encore plus bas sur la page destinée aux professionnels : « Selon les études publiées, le surdiagnostic pourrait être de l'ordre de 1 à 10 %, voire 20 %. » https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Depistage-et-detection-precoce/Depistage-du-cancer-du-sein/Les-reponses-a-vos-questions


Même constat sur le site dédié au dépistage du cancer du sein (Prévention et dépistage du cancer du sein) ou vous trouvez exactement une rédaction identique.[13]
Nous avions réalisé nous-mêmes également une évaluation chiffrée de la valeur informative de ce site où l'incitation pour le dépistage est manifeste.[14]
On retrouve à nouveau citées les brochures françaises dans les "suppléments" de l'étude de Rahbek et al, item  'MISREPRESENTATION OF HARMS VS BENEFITS' (mauvaise représentation des bénéfices et risques) ; les auteurs dénoncent l'omission du surdiagnostic dans les brochures officielles. Pour être plus exact, le surdiagnostic est mentionné dans le livret mais très minimisé, et la description du surtraitement, corollaire du surdiagnostic, est complètement manquante.

Toujours dans la même rubrique, Rahbek et al. dénoncent l'omission par les brochures françaises officielles du risque d'exposition aux rayonnement ionisant. Nous avions également relevé ce point dans l'analyse du livret (référence 11). Mais en fait ce point est réellement évoqué page 12 du livret de l'INCa, qui indique que : "le risque de décès par cancer radio-induit est de l’ordre de 1 à 10 pour 100000 femmes ayant réalisé une mammographie tous les 2 ans pendant 10 ans."
C'est vrai mais il convient néanmoins de préciser que ce risque augmente avec la répétition des examens et des incidences. Rappelons que 3 mSv sont reçus en moyenne avec une mammographie (entre 2 et 3 clichés par sein selon les besoins), ce qui correspond à déjà 9 mois d'irradiation annuelle (laquelle est de 4,5 mSv par an pour un Français). 

c) Système opt-out

Comme nous le disions plus haut, ce système n'a pas cours en France, en revanche si la femme ne se présente pas au dépistage elle sera relancée plusieurs fois, parfois même par sms, donnant souvent aux femmes l'impression d'un caractère obligatoire de ce dépistage. Il n'en est rien et nous mettons en page d'accueil un formulaire pré-rempli que les femmes souhaitant se soustraire au dépistage mammographique peuvent renvoyer à leur structure départementale de dépistage.[15]

A la fin fin du livret de l'INCa, il est bien  indiqué «Vous ne pouvez pas ou ne souhaitez pas vous faire dépister. Remplissez le questionnaire figurant dans le courrier d’invitation et retournez-le à l’adresse indiquée. Sachez qu’il vous est possible à tout moment de revenir sur votre choix. »

d) Recommandations à participer

L'argument d'autorité est largement véhiculé par des leaders d'opinion, un radiologue prend la parole sur la page d'accueil du site "préventions et dépistage des cancers du sein".

En pleine pandémie Covid, nous avons vu un cancérologue de renom appeler les femmes à poursuivre leur dépistage, en les effrayant et en soutenant à cors et à cris que le cancer du sein tuerait davantage que la pandémie. Lorsqu'on lit que la barre des 100 00 décès par covid a été franchie en une année (le cancer du sein provoque 12 000 décès/an), on se rend compte à quel point ces comptabilités semblent sordides et surtout à quel point certains médecins médiatiques ne reculent devant aucune exagération pour véhiculer des messages incitatifs et angoissants.[16]

Les stars en France ne sont pas en reste, comme l'atteste l'émission "stars à nu" où des célébrités se dévoilent pour "la bonne cause" avec des messages indigents intellectuellement et insuffisants sur le plan de l'information scientifique.[17]

En 2011, Marie-Claire publiait de multiples photos de stars françaises qui se laissaient photographier dénudées pour "sensibiliser" au dépistage du cancer du sein, et permettant à ce média une considérable et profitable augmentation de ses ventes.[18]

e)Appel à la peur

L'association Ruban Rose, anciennement 'Cancer-du-Sein-Parlons-en' , diffusait un spot en 2015 fondé sur des messages relatifs à la mort (le cancer du sein, le plus fréquent, le plus meurtrier).[19]

L'INCa n'est pas en reste et en 2018 était éditée cette affichette : "Ce cancer est à la fois le plus fréquent et le plus mortel chez les femmes. Pourtant s’il est détecté tôt, les traitements sont en général moins lourds et les chances de guérison plus importantes"

https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Depistage-du-cancer-du-sein-2018-Affiche-sans-zone-de-repiquage

Le cancer est constamment associé à un verdict de mort, tellement les messages médicaux, sociétaux, médiatiques sont basés sur un jargon militaire et belliqueux : le cancer est un ennemi qui inexorablement va envahir l'organisme. Le malade vainc ou y succombe, malgré "l'arsenal thérapeutique" ou le "combat" mené par la patiente.

Dès qu'un cancer est diagnostiqué à la mammographie, la fébrilité que le médecin manifeste à engager pour sa patiente des prises de rendez-vous à d'autres examens et à la consultation chirurgicale renforce l’idée d’imminence de mort pour la patiente. Chaque nouvelle femme diagnostiquée se sent bannie du monde des "normales" et se sent menacée d’expulsion du corps social (travail, famille, assurance, banque..). Le stress manifesté par certaines femmes après une annonce est tel que certaines perdent tout contrôle de leur vie, professionnelle, affective, familiale. Et cela est très bien perçue par les autres femmes de l'entourage familial, amical ou professionnel.

f) Influence sur les médecins généralistes et les autres professionnels de santé

En France il s'agit du système de la ROSP (rémunération sur les objectifs de santé publique).[20]

Voir ici :

https://www.ameli.fr/seine-saint-denis/medecin/exercice-liberal/remuneration/remuneration-objectifs/medecin-traitant-adulte

Remarquons que sur le site dédié aux  professionnels [21], le risque de "mutilation inutile de femmes dépistées par excès" est bien reconnu, la controverse et la concertation de 2016 sont évoquées, néanmoins la prime est maintenue (selon page web du 29 décembre 2020)


Mais pire encore est l'incitation financière sur les femmes elles-mêmes. En effet en 2020 l'INCa organisait une mascarade de concertation[22] où un item a retenu notre attention, car il proposait de rémunérer cette fois les femmes afin de les amener au dépistage.

Une citoyenne s'en est d'ailleurs émue dans un article publié dans le JIM, dénonçant l'absence de considération éthique dans cette proposition de "participation tarifée".[23]

La manipulation des femmes est une thématique scientifique à part entière

A lire ici : https://cancer-rose.fr/2020/09/02/manipulation-de-linformation-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein-comme-thematique-scientifique/

CONCLUSION

Rahbek et al ont parfaitement identifié les manquements de l'information délivrée au public sur les dépistages d'une manière générale, information qui reste globalement souvent incitative, ce qui va à l'encontre des objectifs d'éthique que l'on doit au patient.

Les lacunes et manquements des brochures officielles françaises sont relevés, y compris ceux de l'INCa, institut censé pourtant protéger le patient.
La brochure-livret de l'INca, déjà bien imparfaite, est envoyée aux femmes éligibles au dépistage une seule fois lors de leur première convocation quand elles ont 50 ans. En 2017 donc, date de la publication de ce livret, les femmes de 50 ans primo-convoquées l'ont reçues, mais les femmes au-delà de 50 ans de cette époque ne la recevront ainsi jamais.

Et que dire de la brochure multi-langues de l'INCa, encore plus succincte..?[24]

De notre point de vue on ne peut être qu'atterrés et affligés de constater à quel point les demandes des citoyennes françaises, qui avaient, lors de la concertation de 2016, identifié les mêmes problèmes, sont restées non entendues et méprisées par les autorités françaises.

ANNEXE :

Vous trouverez ici une la traduction du tableau mis en annexe avec la publication d'origine, faisant figurer les recherches de la littérature dite 'grise' (les brochures et les sites web d'information). Nous avons sélectionné pour présentation dans notre article seulement les exemples concernant le cancer du sein par mammographie.

Nous avons constaté que ces exemples représentaient environ 60% de la totalité des exemples pour tous les cancers confondus : prostate, sein, cervical et colorectal. On peut conclure sur une communication préférentielle, un matraquage autour du dépistage du cancer du sein, par rapport aux autres cancers.

Tableau ; https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/04/nouveau-tableau.pdf

A propos des auteurs

Thomas Ploug
Thomas Ploug est professeur d'éthique des TIC (technologies de l'information et de la communication) au département de communication et de psychologie de l'université Aalborg de Copenhague. Il est titulaire d'une maîtrise en philosophie de l'université de Copenhague et d'un doctorat en éthique des TIC de l'université du Danemark du Sud. Ses intérêts et projets de recherche portent sur des sujets couvrant différents domaines relevant de l'éthique appliquée, tels que l'éthique des TIC, l'éthique médicale et la bioéthique. Il participe actuellement à des projets sur le comportement de consentement en ligne et hors ligne dans le contexte de la santé, et le "nudging" dans le secteur de la santé. Il est chef du groupe de recherche sur la communication et les études de l'information, directeur du Centre d'éthique appliquée et de philosophie des sciences, membre du Conseil danois d'éthique et du comité d'éthique clinique du Rigshospitalet, à Copenhague.

Joseph Rahbek

Master student Department of Public Health, Section of General Practice
Research Unit for General Practice, Section of General Practice, Department of Public Health, University of Copenhagen, Copenhagen K, Denmark

Christian P. Jauernik

The Research Unit for General Practice, Section of General Practice, Department of Public Health, University of Copenhagen, Copenhagen K, Denmark

John Brodersen, Professor, Université de Copenhague
https://publichealth.ku.dk/staff/?pure=en%2Fpersons%2Fjohn-brodersen(0f06ffbd-c5c4-4560-aac7-f0bfdf8e86e7).html

John Brodersen, l'auteur sénior de cet article est médecin généraliste et possède plus de dix ans d'expérience en pratique clinique. Le Dr Brodersen est titulaire d'un doctorat en santé publique et en psychométrie et travaille en tant que professeur de recherche associé dans le domaine du dépistage médical à l'Université de Copenhague, au département de santé publique, à l'unité de recherche et à la section de médecine générale.
Ses travaux ont servi pour la rédaction du Guide de dépistage de l'OMS de 2020, qui s’appuie sur les documents de référence rédigés par John Brodersen pour la Consultation technique européenne 2019 de l’OMS sur le dépistage.
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/330852/9789289054799-fre.pdf

Il est également co-auteur de la brochure Cochrane de 2012 sur le dépistage mammographique.https://www.cochrane.dk/sites/cochrane.dk/files/public/uploads/images/mammography/mammografi-fr.pdf

Il est membre du Board et Comité scientifique de l'organisation non-profit  "Preventing Overdiagnosis"https://www.preventingoverdiagnosis.net/?page_id=6

Ses recherches sont axées sur le développement et la validation de questionnaires destinés à mesurer les conséquences psychosociales des résultats de dépistage faussement positifs. Le Dr Brodersen a publié de nombreux articles dans des revues à comité de lecture.
En ce qui concerne l'autodiagnostic et le dépistage, le Dr Brodersen est spécialisé dans les domaines de la sensibilité, de la spécificité, des valeurs prédictives, du surdiagnostic, du consentement éclairé et des conséquences psychosociales pour les personnes en bonne santé lorsqu'elles subissent un test.
Il enseigne également au niveau national et international la médecine fondée sur les preuves.
Thèse de doctorat :Brodersen, J 2006 , Mesurer les conséquences psychosociales des résultats de dépistage faussement positifs - le cancer du sein comme exemple, thèse de doctorat, Månedsskrift for Praktisk Lægegerning, Département de médecine générale, Institut de santé publique, Faculté des sciences de la santé, Université de Copenhague. Copenhague


REFERENCES

[1] European Network for Prevention and Health Promotion in Family Medicine and General Practice. Available at: http://europrev.woncaeurope.org/

[2] Nordic Risk Group. Available at: http://nordicriskgroup.net/

[3] Preventing Overdiagnosis. Available at: http://www.preventingoverdiagnosis.net/

[4] Wiser Healthcare. Available at: http://wiserhealthcare.org.au/

[5] https://cancer-rose.fr/2017/01/03/la-perception-et-la-realite/

[6] Gotzsche PC, Hartling OJ, Nielsen M, et al. Breast screening: the facts–or maybe not. BMJ 2009;338:b86.

[7] https://cancer-rose.fr/2020/11/03/propagande-du-depistage/, voir la partie LEADERS D'OPINION ET MEDIAS

[8] http://www.concertation-depistage.fr/wp-content/uploads/2016/10/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf

  • page 125, le constat d'une information inadaptée.
  • page 57 : les incitations financières
  • pages 85, 92, 93, 115 : la communication "lacunaire" de l'INCa
  • pages 95, 96 jusqu'à 100 : la communication 'simpliste' de l'Assurance Maladie
  • page 133 : les deux scénarios proposés par le comité de pilotage pour l'arrêt du dépistage mammographique.

[9] https://cancersdusein.e-cancer.fr/infos/un-livret-sur-le-depistage-pour-sinformer-et-decider/ ou https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Livret-d-information-sur-le-depistage-organise-du-cancer-du-sein

[10] https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/

[11] https://cancersdusein.e-cancer.fr/

[12] https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

[13] https://cancersdusein.e-cancer.fr/infos/les-benefices-et-les-limites-du-depistage/

[14] https://cancer-rose.fr/2018/02/11/10552/

[15] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/Droit-dopposition_Mammos.pdf

[16] https://cancer-rose.fr/2020/11/03/propagande-du-depistage/

[17] https://cancer-rose.fr/2020/02/06/ah-mais-quelle-aubaine-ce-cancer/

[18] https://cortecs.org/wp-content/uploads/2016/03/CorteX_mammo_sophie_davant.png

[19] https://www.youtube.com/watch?v=y7widbIFUb8

[20] https://cancer-rose.fr/2020/04/20/la-nouvelle-rosp-quel-changement-pour-le-medecin-concernant-le-depistage-du-cancer-du-sein/

[21] https://www.ameli.fr/seine-saint-denis/medecin/exercice-liberal/remuneration/remuneration-objectifs/medecin-traitant-adulte

[22] https://cancer-rose.fr/2020/12/17/la-concertation-citoyenne-de-linca-sur-le-futur-plan-cancer-une-mascarade/

[23] https://cancer-rose.fr/2021/02/13/etre-paye-pour-se-faire-depister/

[24] https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Depliant-d-information-en-langues-etrangeres-sur-le-depistage-organise-du-cancer-du-sein

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Aveugles et sourds

Dans la revue Pratiques Dr Marc Gourmelon brosse l'histoire du dépistage du cancer du sein en France, depuis le lancement de la campagne organisée en passant par la concertation citoyenne, jusqu'à la situation actuelle du nouveau plan cancer 2021/2025 entériné par le Président Macron, dans un climat de surdité des autorités aux demandes citoyennes et malgré l'échec de ce dépistage.
Le tout à l'encontre du droit des femmes à l'information loyale des données sur la balance bénéfice-risques de ce dépistage.

A lire ici : https://pratiques.fr/Aveugles-et-Sourds

English version : Blind and Deaf

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La baisse du dépistage du cancer pendant la Covid 19 permettrait la recherche sur le surdiagnostic

Un article publié le 11 février dans la revue STAT nous fait part d'un projet d'étude qui consiste à examiner une "expérience naturelle" pour évaluer des données comme la mortalité ou le surdiagnostic dans les dépistages des cancers.
Cette expérience naturelle, c'est la diminution des dépistages pendant la pandémie, on pourrait alors examiner et jauger les surdiagnostics des cancers, véritables fléaux des dépistages, puisque projetant des personnes saines abusivement dans l'enfer de la maladie.

Cet examen se ferait ainsi à l'issue de la pandémie, ce qui apparaît plus éthique qu'une étude prospective où il faudrait randomiser les patients pour les soumettre ou non à un dépistage.

(NDLR : une telle étude nous semble pourtant tout à fait envisageable avec une bonne information des participants, mais plus coûteuse et plus compliquée à mettre en place[1]. On peut tout aussi bien considérer que faire une étude randomisée sur le surdiagnostic avec deux groupes de personnes, parfaitement informées avant participation à l'étude, est certainement plus éthique que de soumettre des populations entières, comme c'est actuellement le cas, à des dépistages très controversés quant à leur efficacité, sans aucune information loyale sur la balance bénéfice-risques. C'est le cas pour le dépistage du cancer de la prostate (beaucoup d'hommes se voient prescrire un dosage de PSA sans aucune explication) et pour le cancer du sein (beaucoup de femmes, non informées, pensent que le dépistage du cancer du sein est obligatoire et leur sauvera la vie.)

L'auteure de l'article, Mme E.Cooney, est journaliste de mission générale à STAT, revue d'analyse de biotechnologie, de pharmacie, des politiques et des sciences de la vie qu'elle a rejoint en 2017. Auparavant elle était blogueuse au Boston Globe, avant de passer à la rédaction scientifique du Broad Institute of MIT and Harvard(centre de recherche biomédical et génomique situé à Cambridge, Massachusetts, États-Unis.)

Contexte

Ned Sharpless, actuel directeur du National Cancer Institute américain (NCI), professeur de médecine et de génétique, s'est beaucoup alarmé de la chute brutale du nombre des dépistages par coloscopies, mammographies ou par d'autres tests de dépistage des cancers. Son inquiétude était motivée par des modélisations prédisant une explosion des taux de cancers en cas de non dépistage. Nous avons eu dans l'Hexagone aussi nos cassandres nationales nous promettant les pires avanies en cas de non-dépistages[2].

Pourtant ce seront davantage les retards et décalages de venue des patients qui auront le plus de conséquences, selon l'étude Grouvid[3] présentée par la statisticienne Aurélie Bardet de l'institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne).

Mais en janvier dernier, Mr Sharpless s'est alors interrogé sur les revers de la médaille de la détection précoce : le surdiagnostic, lorsque l'on détecte des cancers asymptomatiques qui peuvent ne pas se développer et ne pas nuire au patient, et le surtraitement qui l'accompagne. La pandémie, selon lui, pourrait être l'occasion de régler une controverse de longue date sur l'ampleur de la prédominance des inconvénients du dépistage du cancer par rapport à ses bénéfices. "Savoir dans quelle mesure le surdiagnostic et le surtraitement se produisent réellement lors du dépistage du cancer est un sujet très compliqué" a-t-il déclaré, pour lui cette pandémie a permis une une expérience naturelle intéressante, où nous pourrions examiner certaines de ces tumeurs, diagnostiquées plus tard. Le sort des patients est-il réellement moins favorable du fait d'un diagnostic de leur tumeur fait ultérieurement ?

Si des retards dans le dépistage - en fonction du cancer et du test de dépistage - n'entraînent pas de plus mauvais résultats pour la plupart des patients, alors ils pourraient apporter des informations intéressantes à la sortie de la pandémie. Pour mettre en évidence que le non-recours au dépistage n'est pas préjudiciable, il faudrait que la diminution du taux de dépistage entraîne une baisse des surdiagnostics, et ne se traduise pas concomitamment par une augmentation significative du nombre de patients développant des cancers invalidants ou mortels.

(NDLR : Attention, il faut examiner les données en taux bruts. En effet, si on parvenait à éliminer complètement le surdiagnostic, la part, c'est à dire la proportion des cancers graves apparaîtrait alors plus importante dans le total cancers amputé des surdiagnostics, qui amplifient d'ordinaire le total des cancers. En effet, la proportion des cancers graves est diluée dans le total-cancer lorsque, dans ce total, on rajoute la part des surdiagnostics.

Il faudra donc bien examiner le taux brut et non pas le pourcentage des cancers graves dans l'ensemble des cancers recensés.)

Pour Mr Sharpless est venu le temps d'examiner l'histoire naturelle des cancers pendant la période de report et les surtraitements de plus près.

Observations déjà disponibles

Pour Clifford Hudis, un spécialiste du cancer du sein, PDG de la Société américaine d'oncologie clinique, des tests comme la coloscopie sont clairement utiles. Mais pour d'autres cancers, l'impact sur la survie a été moins évident.

Mr Hudis insiste sur la différence entre dépistage d'une personne sans symptôme et diagnostic d'une personne avec signes cliniques. (Il va de soi qu'un symptôme clinique en aucun cas ne doit faire reporter la consultation du malade.)
Pour lui, les preuves sont irréfutables : les frottis et les tests HPV pour détecter les cellules précancéreuses dans le col de l'utérus ont permis de réduire considérablement les taux de mortalité. La coloscopie et d'autres tests de dépistage du cancer colorectal chez les adultes ont connu un succès similaire, à tel point qu'un groupe d'experts préconise le dépistage du cancer colo-rectal chez des personnes plus jeunes.
(NDLR : cet avis est nettement plus nuancé selon experts et études.[4] Peut-être manquons-nous encore de recul).

Il y a beaucoup moins de certitudes d'efficacité pour la mammographie et le dépistage du cancer du poumon par scanner, tandis que le recours au dépistage du PSA pour le cancer de la prostate continue d'être houleux[5]. Pourtant nous disposons d'une "expérience naturelle" pour ce dépistage.
Le dosage systématique du PSA a ouvert la porte à une forte augmentation de l'incidence des diagnostics de cancer de la prostate, qui a augmenté d'environ 16 % par an de 1988 à 1992, puis de 9 % par an jusqu'à se stabiliser à la fin des années 1990.
Après que le groupe de travail des services préventifs américains (USPSTF) a modifié sa recommandation en 2012 pour déconseiller aux hommes le test PSA systématique, l'incidence du cancer de la prostate a fini par se stabiliser, à l'inverse de ce qui se passait avant la généralisation des tests. Et la mortalité n'a pas changé !

E.Cooney relate aussi la prise de position de Barnett Kramer, ancien directeur de la division de la prévention du cancer du NCI : il n'y a pas que le cancer de la prostate pour lequel le surdiagnostic et le surtraitement sont préoccupants, déclare-t-il. Il existe d'autres cancers à croissance lente qui n'auraient jamais causé de souffrance pendant la durée de vie naturelle du patient, et il y a aussi des cancers qui ne progressent jamais.
"Vous introduisez un test de dépistage, dans ce cas pour le cancer de la thyroïde[6], le cancer du rein et le mélanome[7], et vous augmentez considérablement l'incidence du cancer et la prévalence de ces cancers", a-t-il déclaré devant une association de journalistes de la santé. "Il y a de plus en plus de personnes chez qui on diagnostique des cancers, et pourtant vous n'avez que très peu d'impact sur la mortalité. Ils sont guéris. Mais ils ne seraient jamais morts de ce cancer de toute façon".

Pour l'instant, si M. Kramer voit de réels préjudices à un surdiagnostic, lui aussi ne veut pas que ce message incite les gens à éviter les soins en cas de cancer symptomatique. "Les gens devraient être avertis de la nécessité de consulter un médecin dès les premiers signes de symptômes", a-t-il déclaré. "Nous savons qu'il est dangereux d'ignorer l'évolution des symptômes de la maladie".

L'auteure cite encore Otis Brawley, anciennement directeur médical et scientifique de l'American Cancer Society et aujourd'hui professeur à l'université Johns Hopkins : "Il y a des cancers qui n'ont pas besoin d'être guéris. Et c'est au moins 60% de tous les cancers de la prostate et peut-être 20% des cancers du sein qui n'ont pas besoin d'être guéris".
(NDLR : l'estimation des 20% concerne les carcinome invasif selon les premières études randomisées sur les essais canadiens par exemple[8], mais d'une part ces estimations sont aujourd'hui revues à la hausse, et d'autre part, si on ajoute les carcinomes in situ dont 80% n'auraient pas besoin d'être traités, le surdiagnostic du cancer du sein s'évalue à presque 50% ce qui signifie que cela pourrait concerner un cancer sur deux détectés par dépistage mammographique[9].)

Selon Dr Sharpless, la plupart des cancers sont découverts à la suite de l'apparition de symptômes.
Néanmoins pour lui "il y a beaucoup de gens en vie aujourd'hui parce qu'ils ont eu une lésion asymptomatique détectée lors d'un examen de dépistage qui a été enlevée, réséquée, traitée, et ils sont guéris de ce qui aurait été un cancer symptomatique. L'argument inverse est également vrai", à savoir : beaucoup des personnes en vie traitées de lésions enlevées, réséquées qui ne seraient jamais devenues symptomatiques.

Il y a un autre facteur à prendre en compte : les thérapies contre le cancer se sont améliorées. Il se peut qu'avec le report du dépistage certains soient diagnostiqués à un stade plus avancé, mais ils sont curables grâce à des thérapies efficaces, explique Sharpless. Ainsi, les grades plus élevés peuvent être appréhendés par les nouvelles approches thérapeutiques.
(NDLR : l'étude de P.Autier notait : L’influence du dépistage par mammographie sur la mortalité diminue avec l’efficacité croissante des thérapies contre le cancer.)

Quelle méthode pour évaluer ?

Eric Feuer, fondateur et responsable du projet d'évaluation du réseau de modélisation pour la surveillance du cancer au NCI, a travaillé sur les modèles du NCI prédisant la surmortalité du cancer du sein et du cancer colorectal due au retard de dépistage.
Il a déclaré que la généralisation de l'utilisation du test PSA fut aussi une expérience naturelle.
"Lorsque le dépistage progresse rapidement, vous récupérez des cas du futur", a déclaré M. Feuer. "Certains de ces cas n'auraient jamais causé de symptômes, mais ils ont fait augmenter l'incidence. Le problème est que le test PSA ne permet pas de prédire avec précision quels cancers, avec ou sans symptômes, seront nocifs et lesquels ne le seront pas."

Pour le cancer du sein et le cancer colo-rectal, M. Feuer examinera les données du SEER (Surveillance, Epidemiology, and End Results program) et d'autres données du NCI pour voir si la baisse du taux de dépistage a été suivie d'une baisse puis d'une hausse de l'incidence. Il surveillera les taux de tests de dépistage positifs, le stade de confirmation du diagnostic de cancer et les données sur la mortalité.

Outre le SEER, la base de données d'observation PROSPR (Population-based Research to Optimize the Screening Process) sera aussi utilisée pour discerner les effets que la diminution du dépistage du cancer peut avoir sur le stade auquel le cancer est diagnostiqué, entre autres mesures.

Tout cela est censé permettre d'estimer le surdiagnostic, si le retour des données est suffisamment puissant.

M. Kramer (ancien directeur de la division de la prévention du cancer du NCI) a demandé que le PSA soit retiré de son panel d'analyses sanguines habituel.

Pr.Brawley (professeur à l'université Johns Hopkins) pense que la Covid-19 est le danger imminent dont nous devrions tenir compte maintenant. Son hôpital a annulé les opérations non urgentes, y compris les prostatectomies radicales.

L'expérience naturelle sur les tests de dépistage prendra un certain temps avant de donner des résultats.

"Nous le saurons dans 10 ans", a déclaré M. Feuer du NCI. 

Entre temps....

La directrice de la Société canadienne d'imagerie mammaire a déclaré que son groupe avait déjà une étude en cours.
La transcription complète de l'entrevue se trouve dans ce lien: https://www.cbc.ca/radio/thecurrent/the-current-for-feb-9-2021-1.5906730/february-9-2021-episode-transcript-1.5907645

MATT GALLOWAY: Au cours des six mois où cette pandémie aurait peut-être déraillé, ralenti ou arrêté le dépistage, quel serait le changement en ce qui concerne, vous savez, où pourrait se trouver le cancer, mais aussi, comme vous le dites, les taux de survie?

JEAN SEELY: Eh bien, il est trop tôt pour que nous le sachions. Et nous commençons une étude pour examiner cela parce que nous croyons que c'est un facteur qui se produit dans tout le pays. Une étude de modélisation a été réalisée par le groupe de Sunnybrook et ils ont utilisé un modèle mathématique appelé OncoSim, où ils ont estimé qu'un retard de six mois dans le dépistage entraînerait 670 cancers du sein plus avancés au Canada et 250 décès supplémentaires par cancer du sein dans le les 10 prochaines années. Et retarder cela même plus de six mois, ce qui peut arriver avec des personnes arrêtant ou naturellement ne se référant pas, entraînerait un nombre encore plus élevé de décès. Nous constatons donc cela partout au pays.

Nous pouvons donc aisément imaginer comment les imageurs du sein vont concevoir la recherche à leur avantage, et comment ils la promouvront. Le débat ne s'arrêtera jamais, et une bataille de "modèles" va s'engager.

Avis de Dr Vincent, notre statisticien :

"Outre le fait qu'il ne s'agit que d'une modélisation (et avec un autre modèle on trouverait certainement autre chose), quel statisticien, et avec quel outil, serait capable de repérer une augmentation de 250 décès parmi les fluctuations aléatoires du nombre annuel de décès (avec 12000 décès par an en moyenne, l'intervalle de confiance du nombre annuel de décès en France a une amplitude d'environ 500 décès,  autrement dit le nombre de décès annuel fluctue naturellement de bien plus que 250 ; ou, si vous préférez, une augmentation de 250 décès n'apparaitra pas comme statistiquement significative)."

A suivre.....

Références


[1] https://cancer-rose.fr/my-pebs/methodologie/ - choisir l'article : l'étude dont on rêvait

[2] https://cancer-rose.fr/2020/10/06/langoisse-des-thuriferaires-du-rose-face-a-la-decroissance-de-participation/

[3] https://cancer-rose.fr/2020/11/11/pandemie-covid-19-et-prise-en-charge-des-cancers/

[4] https://cancer-rose.fr/2019/10/14/en-parallele-dans-lactualite-la-faillite-du-depistage-colo-rectal/

[5] https://cancer-rose.fr/2017/01/05/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/

[6] https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/

[7] https://www.youtube.com/watch?v=068KMIe-gys&feature=emb_logo

Le constat de Dr. Adewole Adamson est affolant : pas de réduction de mortalité et un surdiagnostic massif en raison du fait que les seuils de tolérance des dermatologues et des anatomo-pathologistes s'abaissent devant les lésions cutanées.

Les premiers demandent de plus en plus et de plus en plus vite des prises en charge avec biopsies, les seconds préférent "upgrader" leur diagnostic des lésions examinées sous microscope ( c’est à dire dans le doute classer comme malignes des lésions simplement douteuses et qu'on pourrait seulement surveiller ), donnant lieu à une apparente épidémie de mélanomes avec d'autant plus de "survivors" artificiels.
Le cercle vicieux est sans fin, incitant patients et médecins à faire de plus en plus d'examens cutanés de routine.

[8] https://cancer-rose.fr/2016/11/20/etude-miller/

[9] https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

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Être femme et tabagique : des rayons en perspective

Dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose, ou histoire d'une déconvenue annoncée.

Dr C.Bour

En février 2020, une revue d'imagerie[1] publiait victorieusement les résultat d'un essai clinique sur le dépistage du cancer du poumon par scanner thoracique à faibles doses, repris ensuite abondamment dans la presse, promouvant cette haute technologie pour en faire une méthode de dépistage systématique dans la population des fumeurs.

Il s'agit d'une technique de scanner utilisant de faibles doses, analogues à celles délivrées par une radiographie thoracique simple (en deux incidences, face et profil, équivalentes à 20-40 µSv, au lieu de 5,8 mSv pour un scanner du thorax standard), donnant une image un peu plus dégradée, peu performante pour l'analyse des pneumopathies interstitielles, mais suffisante pour un diagnostic de petits nodules.

L'article de cette revue concluait ainsi : "Cette étude semble donc en faveur d’un dépistage organisé du cancer du poumon, à une époque où les modalités ont atteint des niveaux d’irradiation très bas."

Qu'en est-il vraiment ?

Deux essais essentiellement (il y a eu plusieurs études) sont censés apporter la preuve d'une diminution significative de la mortalité spécifique par cancer broncho-pulmonaire. Il s'agit de l'essai étatsunien National Lung Screening Trial (NLST), et de l’essai NELSON mené en Belgique et aux Pays Bas.

Déjà en 2014, dans une note de cadrage, la HAS[2] notait : ".... il est probable que la faible spécificité du dépistage par TDM faible dose restera un obstacle majeur à la mise en place d’un dépistage dans la pratique clinique et d’un programme de dépistage."
"Les inconvénients et risques associés au dépistage du TDM FD incluent l'exposition aux radiations allant de 0,61 à 1,5 mSv, un certain degré de sur-diagnostic variable selon les études, et un taux élevé d'examens faux positifs, généralement exploré avec davantage d'imagerie."

Lorsqu'on examine l'étude publiée dans le NEJM [3] sur l'essai NELSON, on peut lire sur la dernière ligne du tableau n°4 ceci : All-cause mortality — deaths per 1000 person-yr 13.93 (screening group) 13.76 (control group)  RR 1.01 (0.92–1.11).
Ceci signifie en clair qu'il n'y a aucun retentissement sur la mortalité toutes causes, et c'est la seule donnée qui doit intéresser le public et les médias lorsqu'ils rapportent les résultats d'une telle étude.

Rappelons que la donnée "mortalité globale" inclut tout, le cancer, son traitement et son non traitement, et reflète d'autant mieux les données en "vraie vie".
Cette donnée est rarement mise en avant, les promoteurs des dépistages relatant préférentiellement le gain en terme de mortalité spécifique, c'est à dire par la maladie seule[4].

Mais l'Académie de Médecine l'a retenu, et fait part dans un rapport publié de ses préoccupations [5] [6]. Elle note plusieurs problèmes pour ne pas généraliser ce dépistage :

  • Les deux essais principaux sur le dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose ont grandement sous-estimé les effets nocifs potentiels (faux positifs, surdiagnostics, faux négatifs, irradiations et surtraitements). On ne connaît pas l'ampleur du bénéfice ni l'ampleur des risques, et même si on obtient ce taux de 25% de guérison parmi les sujets inclus dans l'étude, la majorité des malade décèdera précocement des autres pathologies du tabagisme (autres cancers, cardiopathies, emphysème etc...) sans que leur espérance de vie ne soit allongée.
  • Pour qu'un dépistage soit efficace, il faut avoir des cancers à latence suffisamment longue pour les "rattraper" lors d'un dépistage (donc le moins possible de cancers d'intervalle) ; or la proportion des cancers à latence longue dans le poumon est faible.
  • "Ces cancers sont majoritairement dus au tabagisme actif et, marginalement au tabagisme passif : plus de 85% des cas peuvent être attribués au tabac. La diminution progressive du tabagisme chez les hommes (60% de fumeurs dans les années 60 à 33% actuellement) se traduit par la diminution de l’incidence et de la mortalité dues à ces cancers", ce qui équivaut à dire que ce cancer est tout bonnement accessible à de bonnes campagnes de prévention primaire, et aux incitations d'arrêt du principal facteur de risque, le tabac.
    "L’histoire naturelle et évolutive de la maladie doit être connue et les diverses formes définies"." Entre 50 et 74 ans les cancers du poumon sont donc essentiellement composés d’adénocarcinomes qui semblent les plus facilement détectables. Par exemple, dans l’essai européen NELSON, 61% des CBP du groupe dépisté sont des adénocarcinomes contre 44% dans le groupe témoin ce qui pourrait expliquer un meilleur effet du dépistage chez les femmes." explique l'Académie.
  •  Des inconnues : sur la population cible, sur le taux de participation souhaitable, la fréquence des scanners, les indications thérapeutiques pour les cancers découverts lors du scanner, l'acceptabilité par les patients, la motivation et le respect de l'arrêt du tabac etc..
  • les personnes qui participent aux essais ne sont pas représentatives de l’ensemble de la population éligible au dépistage ultérieurement, ce qui peut entrainer une surestimation de l’efficacité dans l'étude Nelson.
  • Une évaluation économique s'impose aussi, l'Académie soulignant fort justement que la prévention primaire est certainement plus efficace et moins coûteuse.

Pour rebondir sur les arguments de l'Académie de Médecine, il faut garder à l'esprit l'enjeu économique de ce dépistage, non seulement de l'examen initial mais de l’importance des dépenses occasionnées par les examens itératifs en cas de nodules intermédiaires (qu’il faut suivre durant les années pour en contrôler l’évolution). Le dépistage du cancer bronchique par CT serait 4 fois plus cher que le dépistage du cancer du sein et 10 fois plus que le dépistage du cancer colorectal.

Concernant spécifiquement les femmes

Les résultats sur l'efficacité du dépistage par scanner faible dose à 10 ans sont plus variables et difficilement interprétables chez la femme, l'Académie là aussi émet des réserves notamment dans l'essai NELSON, soulignant qu'ils ne sont pas significatifs en raison du faible nombre des femmes incluses dans les deux essais et suivies en 10 ans.

De notre côté nous soulignons que ce dépistage, s'il est lancé dans la population féminine tabagique, se superposera à la mammographie biennale, là aussi dans une ignorance totale de l'effet du cumul des doses d'examens itératifs[7] [8]pour une réduction de mortalité non prouvée[9].

L'irradiation retient encore l'attention

Encore une fois, et comme pour le dépistage du cancer du sein, ayons à l'esprit que nous infligeons des irradiations, fussent-ils à faible dose, à des personnes sans plainte, a priori saine, et que ces irradiations vont être amenées à se répéter.
Pour les nodules suspects (5 à 10 mm) et indéterminés, un contrôle à 3 mois sera effectué. Les nodules qui augmentent de volume (+ 25% en volume en 3 mois) et les nodules de plus de 10 mm doivent être investigués d'emblée (biopsie ou chirurgie). Les nodules stables seront contrôlés, eux, pendant 3 ans.
Certains nodules encore, semi-solides peuvent être de croissance lente et suivis plus longtemps, pendant 5 ans.

Tout cela pour un gain nul en terme de mortalité globale.

Les rayonnements ionisants induisent deux types d’effets : « effet déterministe », c'est à dire conditionné directement et de façon certaine selon la dose de rayonnements reçue, par exemple si on dépasse un certain seuil comme lors d'une catastrophe nucléaire ou lors de traitements par la radiothérapie.
L' autre effet est « aléatoire » (apparition de cancers avec une certaine probabilité pour un individu mais sans certitude, sans seuil connu, dépendant de la radiosensibilité individuelle).


Pour la radiologie diagnostique, les doses utilisées sont certes bien moindres par rapport à une radiothérapie, mais l’exposition, surtout répétitive, pourrait être néfaste de façon "probabiliste", par un cumul d'altérations de l'ADN cellulaire et de la sensibilité individuelle. La plupart des estimations se basant sur des extrapolations de risques constatés à partir des accidents nucléaires et atomiques, les effets à long terme des doses même minimes et répétées sont certainement très variables selon les individus, et véritablement toujours inconnus à l’heure actuelle.

A ce sujet lire les travaux de N.Foray, radiobiologiste, INSERM : https://www.sfmn.org/drive/CONGRES/JFMN/2016%20GRENOBLE/SCIENTIFIQUE/CommunicationsOrales/N._FORAY_MembreWeb.pdf

et https://its.aviesan.fr/getlibrarypublicfile.php/cd704e89988a4e3bcf2e1217566876cf/inserm/_/collection_library/201800012/0001/J1-098ITS-2017.foray.lyon.ITMO.TS..21.nov.2017.pdf.pdf

Pour conclure

Pour les académiciens, ce qui est primordial est la lutte contre le principal facteur de risque : le tabagisme, l'acceptation de sa réduction est la condition-même pour les candidats sélectionnés pour un éventuel dépistage régulier.

Les examens par scanner thoracique pourraient alors servir plutôt de motivation à prendre une décision de se sevrer pour les patients tabagiques.

Il ne s'agira alors plus d'un dépistage systématique sur toute une population, mais plutôt un recours à l'imagerie dans le cadre d'un bilan de santé du fumeur, et dans le cadre du colloque singulier au sein de la consultation médicale.

Enfin, dans le contexte d'expositions professionnelles reconnues le scanner thoracique faible dose pourrait être un moyen de surveillance des sujets exposés.

Les réactions

Elles ne se sont pas fait attendre, une dépêche apm du 24 février 2021 nous apprend que trois sociétés savantes prennent position.

" Les trois sociétés savantes sont l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique, la Société de pneumologie de langue française et la Société d’imagerie thoracique.
Dans ce texte, qui actualise de précédentes recommandations, les sociétés savantes réaffirment leur position en faveur d'un dépistage individuel, par scanner thoracique à faible dose sans injection de produit de contraste, dont elles précisent les modalités." ......
"Contrairement à l'Académie de médecine qui propose un scanner faible dose une fois lors d'un bilan de santé d'un fumeur, les sociétés savantes envisagent un examen récurrent. Elles estiment qu'il faudrait 2 examens tomodensitométriques espacés d'un an puis un tous les 2 ans, sauf en cas de facteurs de risque ou d'examen antérieur avec un résultat intermédiaire ou cela devrait continuer tous les ans.
Et ce dépistage devrait être poursuivi "pour une période minimale d’au moins 5,5 à 10 ans".

Notons encore la regrettable et peu scientifique réaction du président de la Fédération Nationale des Médecins Radiologues :

L'Académie répond, persiste et signe

Trois radiologues contestant avis de l’Académie de Médecine, celle-ci persiste et signe : https://lequotidiendumedecin.fr/specialites/cancerologie/controverse-sur-le-depistage-du-cancer-du-poumon-lacademie-de-medecine-repond-aux-prs-revel-lederlin… avec un argument qui devrait prévaloir dans tout dépistage : à savoir celui de la mortalité GLOBALE.
"Les auteurs mentionnent que la mortalité par CBP (cancer broncho-pulmonaire) est diminuée dans les essais Nelson et NLST mais sans prendre en compte la mortalité générale de la population de fumeurs, seul paramètre important pour envisager un dépistage organisé et qui elle ne change pas dans les divers essais".
Ce paramètre, rappelons-le, englobe la mortalité par CBP mais aussi celle due aux traitements et celle imputable à d'autres causes de mortalité, les fumeurs étant exposés à d'autres pathologies (emphysème, autres cancers, maladies cardio-vasculaires).

L'Académie dit encore ne pas revenir sur " la polémique de l’irradiation", les auteurs écrivent : "..notre rapport étant sur ce point totalement factuel et nous vous encourageons à relire ce paragraphe. Il est toutefois regrettable que dans aucun des essais une dosimétrie précise n’ait pas été faite."

Actualisation février 2022

La Haute Autorité de Santé, tout d'abord réticente en 2016 change complètement d'attitude et donne à présent son feu vert à une expérimentation sur le dépistage du cancer du poumon, en dépit d'une inefficacité de ce dépistage scannographique à réduire la mortalité toutes causes confondues.

https://www.has-sante.fr/jcms/p_3310940/fr/depistage-du-cancer-bronchopulmonaire-par-scanner-thoracique-faible-dose-sans-injection-actualisation-de-l-avis-de-2016

"La HAS estime que l’état des connaissances est encore incomplet et insuffisamment robuste pour la mise en place d’un dépistage systématique et organisé du CBP (cancer broncho-pulmonaire) en France. Cependant, les données montrant une diminution de la mortalité spécifique et autorisent l’engagement d’un programme pilote visant à documenter : les modalités de dépistage, la performance/efficacité et l’efficience, les contraintes organisationnelles et les dimensions éthiques et sociales, ceci en testant plusieurs scénarios possibles et sur plusieurs rangs de dépistage.
Ainsi, la HAS recommande la réalisation d’expérimentation en vie réelle au regard du système de soin français pour répondre aux questions en suspens."

Dans son rapport page 70 https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-02/rapport_dorientation_depistage_du_cancer_bronchopulmonaire_par_scanner_thoracique_faible_dose_sans_injection_actualisation_d.pdf
la HAS estime que "Les méta-analyses ne montrent pas de diminution significative de la mortalité toutes causes confondues quelles que soient les procédures comparées : ce critère de jugement est peu pertinent du fait de l’interférence sur la mortalité de l’âge et du tabagisme chronique, et de la nécessité d’avoir un suivi à très long terme sur une importante cohorte."

Ce qui signifie que si la HAS ne reconnait pas la mortalité globale comme critère principal d'efficacité, met avant la mortalité spécifique par cancer du poumon faisant fi des autres causes de mortalité et de morbidité liées au tabagisme, et considère que des études randomisées avec un suivi de 10 ans sont insuffisantes, alors n'importe quel dépistage non probant peut-être défendu et maintenu, à l'instar de celui du cancer du sein, incapable de prouver à l'heure actuelle son efficacité.
Nul n'est besoin de faire des recherches de preuves d'utilité des dispositifs de santé pour en imposer un à la population, et l'avis de l'Académie de Médecine peut être également superbement ignoré.

Nouvelle étude mars 2022

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35040922/#:~:text=Conclusions%20and%20relevance%3A%20This%20population,indolent%20early%2Dstage%20lung%20cancers.

Cette étude de cohorte écologique basée sur la population a révélé que le dépistage par tomodensitométrie à faibles doses de femmes asiatiques à faible risque, pour la plupart non-fumeuses, était associé à un surdiagnostic considérable du cancer du poumon. La survie à cinq ans est biaisée par la détection accrue de cancers du poumon indolents à un stade précoce. À moins que des essais randomisés puissent démontrer une certaine valeur pour les groupes à faible risque, le dépistage par scanner faibles doses devrait rester ciblé uniquement sur les gros fumeurs.

Pour vous aider à y voir plus clair

Il existe donc bien un vaste débat sur le dépistage du cancer du poumon.
L’incidence croissante du cancer du poumon et le faible taux de survie lorsque la maladie est avancée, et ce malgré les progrès de la pharmacothérapie, ont accru l’intérêt pour la mise en œuvre d’un dépistage étendu du cancer du poumon.

Certaines études, comme l’Essai National britannique de dépistage du cancer du poumon, le Programme international de dépistage précoce du cancer du poumon et d’autres études de dépistage importantes, poussent en avant le dépistage par tomodensitométrie à faibles doses et ont montré une réduction de la mortalité spécifique au cancer du poumon.

Cependant les préoccupations concernant le flux de travail d’imagerie accru qu'impose ce dépistage, le fait que la mortalité totale reste non modifiée, la dose de rayonnement reçue, la gestion des petits nodules présentant un biais de surdiagnostic potentiel, le biais de longueur de temps (sélection préférentiellement des tumeurs à croissance lente) et la rentabilité continuent d'alimenter le débat.

Un outil d'aide à la décision est proposé par le Ministère de la Santé et des Services sociaux canadien, cet outil est consultable et téléchargeable, cliquez ici : https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-003076/

Références


[1] http://www.thema-radiologie.fr/actualites/2592/l-etude-nelson-promeut-le-depistage-du-cancer-du-poumon-par-scanner.html

[2] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-12/note_de_cadrage_cancer_du_poumon.pdf

[3] https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1911793

[4] Et encore souvent ce "gain" est exprimé en réduction relative du risque de décéder, c'est à dire en comparant un groupe dépisté à un groupe non dépisté.
En matière de cancer du sein, la manipulation est d'exprimer ce gain, de façon répétée, dans les médias notamment, en pourcentages. Ainsi on vous dit que le dépistage du cancer du sein réduit la mortalité de 20%, tout le monde comprend alors que 20 personnes sur 100 dépistées, en moins, meurent de ce cancer, or il n'en est rien, en chiffrage absolu il n'y a qu'une seule vie sauvée. Sur un groupe de 2000 femmes dépistées en 10 années on constate un décès par cancer du sein, sur un groupe de 2000 femmes non dépistées en 10 années on constate 5 décès, le passage de 5 à 4 constitue effectivement une réduction de 20%, mais en vraie vie, il ne s'agit que d'une seule personne....

[5] https://www.academie-medecine.fr/le-depistage-du-cancer-du-poumon-par-scanner-thoracique-faible-dose-stfd-reste-non-justifie-mais-peut-etre-utile-pour-un-bilan-de-sante-des-fumeurs/

[6] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/02/RAPPORT-Académie-de-médecine.pdf

[7] http://agora.qc.ca/documents/radiation_des_depistages_aux_accidents_nucleaires

[8] https://cancer-rose.fr/2019/07/18/radiotoxicite-et-depistage-de-cancer-du-sein-prudence-prudence-prudence/

[9] https://cancer-rose.fr/2019/10/20/le-depistage-de-masse-du-cancer-du-sein-bafoue-les-valeurs-ethiques-et-les-principes-fondamentaux-du-systeme-de-radioprotection/

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Etre payé pour se faire dépister ?

Dr C.Bour, 13 février 2021

Voilà la question posée dans le JIM[1], le 13 février, par à une citoyenne participante à la consultation citoyenne de l’INCA[2] organisée pour "mettre fin aux cancers".
Cette citoyenne prend position à propos d'un item proposé par l'INCa qui lui a paru particulièrement manquant d'éthique.
Elle est ingénieure agroalimentaire et titulaire d’un doctorat en Sciences de la Vie et de la Santé. 
Elle s'exprime conjointement avec deux autres scientifiques, Dr. Theodore Bartholomew  médecin à l’hôpital public Royal Surrey County en Grande-Bretagne et titulaire d'un Master en Bioéthique, et Mr Harald Schmidt, professeur au Department of Medical Ethics and Health Policy et Research Associate au Center for Health Incentives and Behavioral Economics, à l' Université de Pennsylvanie, aux États-Unis.

Nous nous étions déjà émus de cette consultation citoyenne, censée appuyer le prochain plan cancer décennal, lors de deux articles[3] [4] publiés au moment de son lancement dans lesquels nous dénoncions la collusion avec l'industrie pharmaceutique et la très faible participation citoyenne malgré la présentation dythirambique des communiquants de l'INCa.

Non seulement le citoyen n'a pu voter que pour des items fallacieusement formulés (voir nos articles), sans information préalable sur les tenants et les aboutissants de certaines mesures proposées, mais en plus le taux de participation n'est en aucun cas représentatif de la population française (2478 participants effectifs pour 3.8 millions de personnes touchées par le cancer en France, et 47 millions de français inscrits sur les listes électorales...), démentant ainsi "l'adéquation" qui existerait entre "les objectifs et mesures présentés et les attentes de nos concitoyens" proclamée par les communiquants de l'INCa.

Et nous nous étions déjà étonnés de cet item[5]en particulierqui a aussi retenu l'attention du trio d'auteurs dans le JIM : Expérimenter des incitatifs matériels pour faciliter la participation des personnes au dépistage :

Les mécanismes incitatifs tels que la motivation financière ou le défraiement des personnes (transport, garde d’enfant, travail) très peu utilisés jusqu'ici seront expérimentés pour évaluer leur apport dans le développement de la participation au programme.
L’adhésion aux programmes ou démarches de dépistage nécessite également la mobilisation des professionnels, que ce soit dans la réalisation de l’acte ou dans l’information et la sensibilisation au dépistage sinon l’incitation.

Actualisation novembre 2021 : Les accès à la concertation listés dans l'article ci-dessous ayant été désactivés, nous reproduisons la capture d'écran de cette proposition.

Cela n'est pas sans rappeler des mesures similaires déjà en place aux Etats-Unis où de nombreuses compagnies d'assurance maladie privées incitent les femmes à réaliser des mammographies de dépistage, en leur offrant des compensations sous différentes formes.

Que dénoncent les auteurs dans l'article ?

Cette citoyenne française et les deux co-auteurs dénoncent ensemble le cynisme de cette mesure d'incitation financière proposée par l'INCa qui fait fi des revendications de la véritable concertation citoyenne [6] dédiée au dépistage du cancer du sein organisée en 2016, laquelle demandait, outre l'arrêt de ce dépistage, une meilleure information donnée aux femmes sur la balance bénéfice-risques de ce dépistage du cancer du sein.("Prise en considération de la controverse dans l’information fournie aux femmes et dans l’information et la formation des professionnels".)

C'est ce que soulignent les trois auteurs, rappelant que l'enjeu est bien d'informer les femmes sur la balance bénéfice-risques du dépistage, notamment sur les risques du surdiagnostic, pour leur permettre un meilleur choix, optimal à chacune d'entre elles : "Le risque de ces incitations est que le processus de décision soit court-circuité, que les femmes prennent des décisions qu'elles regretteront et qu’elles n’auraient pas prises en l'absence d'incitations."

Les auteurs pointent le caractère non éthique de cet item: " ... le choix du dépistage doit être fait par des femmes correctement informées et non par leurs médecins, ni par les assureurs santé, ni par les décideurs des politiques de santé publique ou d’autres acteurs. Cette initiative ne devrait pas être promue, mais il faudrait plutôt s'assurer que les femmes puissent avoir accès à des informations réellement utiles sur les avantages et les inconvénients du dépistage. Nous préconisons plutôt d’encourager un choix actif et éclairé en incitant les femmes à utiliser des outils d’aide à la décision fondés sur des preuves."

En début d'article les auteurs rappellent l'analyse de la collaboration Cochrane[7] et le risque du surdiagnostic inhérent à ce dépistage, qui devrait être connu de chaque femme avant de s'engager dans un dépistage. Et ils posent tout à fait logiquement la question : "au lieu d'essayer à tout prix de renforcer les dépistages comme le nouveau plan cancer décennal le prévoit, ne pourrait-on pas mobiliser davantage de ressources pour l'accès égalitaire de toutes les femmes à des supports et des documents informatifs sur la balance bénéfice-risques de ce dépistage, afin de leur permettre de décider en leur âme et conscience de participer ou non au dépistage mammographique?"

Les demandes citoyennes entendues ? L'information des populations une préoccupation du nouveau plan ?

Que nenni.

L'item proposé sur l'incitation financière pour les femmes afin d'accroitre leur participation est une preuve de plus que L'institut National du Cancer fait royalement ce qu'il a envie de faire, promeut la poursuite de ses objectifs obsolètes, formule les items de telle sorte que les citoyens ne peuvent qu'approuver faute d'explications, et  enterre les demandes des citoyennes de 2016 dans une brutalité anti-démocratique.

Nous constations en outre que dans le petit groupe des 24 personnes ayant concocté ces items de la consultation, on trouve le représentant des entreprises du médicament (LEEM) Mr Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques.

La triste suite de tout ceci, la voilà formulée dans le nouveau plan cancer européen, publié très peu de temps après cette "consultation citoyenne", censé s'appuyer sur les avis des citoyens mais déjà élaboré depuis longtemps, proclamant l'intensification des dépistages :

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_342

".....faire en sorte que 90 % de la population de l'Union remplissant les conditions requises pour le dépistage du cancer du sein, du col de l'utérus et du cancer colorectal se voient proposer un dépistage d'ici à 2025. Pour y parvenir, un nouveau programme de dépistage du cancer cofinancé par l'Union sera proposé."

L'industrie pharmaceutique et de l'imagerie peut se frotter les mains :

"En outre, pour soutenir les nouvelles technologies, la recherche et l'innovation, un nouveau Centre de connaissances sur le cancer sera fondé afin de contribuer à la coordination des initiatives scientifiques et techniques liées au cancer à l'échelle de l'Union. Une «initiative européenne en matière d'imagerie sur le cancer» sera mise en place pour soutenir le développement de nouveaux outils assistés par ordinateur afin d'améliorer la médecine personnalisée et les solutions innovantes."

Tout continue comme prévu, tout va bien dans le meilleur des mondes.

Références


[1] https://www.jim.fr/medecin/debats/e-docs/des_incitations_financieres_pour_le_depistage_du_cancer_du_sein_sont_contraires_a_l_ethique_186433/document_edito.phtml?reagir=1#formulaire-reaction

[2] https://consultation-cancer.fr/

[3] https://cancer-rose.fr/2020/12/15/inca-une-consultation-citoyenne-pourquoi/

[4] https://cancer-rose.fr/2020/12/17/la-concertation-citoyenne-de-linca-sur-le-futur-plan-cancer-une-mascarade/

[5] https://consultation-cancer.fr/consultations/axe-1-ameliorer-la-prevention/consultation/consultation/opinions/12-ameliorer-lacces-aux-depistages/mesures-proposees/experimenter-des-incitatifs-materiels-pour-faciliter-la-participation-des-personnes-au-depistage

[6] https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/

[7] https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD001877.pub5/full

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Nouveau plan cancer 2021-2030, une planification « soviétique »

7 février 2021
Dr C.Bour

Emmanuel Macron vient de lancer jeudi 4 février une stratégie nationale décennale (pour 2021-2030) de lutte contre les cancers, financée à hauteur de 1,74 milliard d’euros sur 5 ans, à savoir 20 % de plus que les trois précédents plans cancer. 
https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030

Il s'agit de faire baisser de 60 000 cas par an le nombre de nouveaux cancers dits "évitables" d’ici à 2040.

Plusieurs médias en parlent mais nous prenons appui sur la relation assez exhaustive faite par le journal Le Monde[1]du 4 février 2021 et sur le 6ème rapport au président élaboré par l'INCa[2].

Nous allons faire un bilan des "plans" de leur origine jusqu'à aujourd'hui, et nous verrons les évolutions à travers les âges, depuis les grands objectifs démagogiques d'antan jusqu'aux....grands objectifs démagogiques d'aujourd'hui agrémentés de l'intrusion des industriels du médicament.

En 2013 déjà le laboratoire Roche n'était pas bien loin du dépistage du cancer du sein et aux aguets en analysant la "compliance des femmes" au dépistage qu'il étudiait par le biais de l'étude EDIFICE[3].

Et lorsqu'un laboratoire pharmaceutique s'intéresse de si près à un dispositif controversé, c'est souvent pour voir comment protéger ses intérêts...

Plus il y a de malades, plus on vend de la pharmacopée.

Focus sur les dépistages

Les grands axes de ce nouveau plan cancer sont déployés dans l'article du journal Le Monde et nous nous intéresserons aux dépistages, notre cœur de cible, dont le président nous promet le renforcement dans le premier axe appelé "prévention". 

 "Chaque année en France", dit l'article, "9 millions de personnes participent à l’un des trois programmes de dépistage organisé (sein, côlon et col de l’utérus). Le but est de porter ce nombre à 14 millions en 2025."

"Chaque année, plus de 157 000 personnes meurent d’un cancer en France. Au total, 3,8 millions de personnes vivent avec la maladie. Quatre nouveaux cancers sur dix seraient évitables. Soit 153 000 nouveaux cancers par an qui seraient prévenus, si la population adhérait aux programmes de dépistage organisé, s’alimentait de façon équilibrée, pratiquait une activité physique régulière."

La « légende urbaine » des dépistages" préventifs" chère aux communicants de l'INCa se heurte à la définition-même de la prévention, à savoir faire en sorte que la maladie ne survienne pas. Or le dépistage vise à trouver, à traquer une maladie, qui est donc déjà là.

Les procédures de dépistage, que ce soit celles du côlon, du sein ou de la prostate n'anticipent pas la maladie mais détectent une lésion qui est bel et bien déjà présente dans l'organisme.
Cette confusion trompeuse entre "prévention" et "dépistage" est retrouvée dans l'axe "améliorer la prévention"[4] de la consultation citoyenne que l'INCa (Institut national du cancer) a proposée à la population en fin d'année dernière.[5] [6]

Pourtant les citoyennes française, lors de la concertation citoyenne et scientifique de 2016 sur le dépistage du cancer du sein, pointaient du doigt cette confusion malhonnête entre les deux termes.[7]

  • Page 5 : Le comité a constaté également des dysfonctionnements, des anomalies dans l’organisation actuelle du dépistage et les conséquences qu’il engendre : inégalités d’accès, incompréhension des enjeux, confusion entre prévention primaire, dépistage, et diagnostic précoce, absence d’information sur les risques et les incertitudes du dépistage dans la lettre d’invitation envoyée tous les 2 ans,
  • Page 125  " De plus, l’information délivrée au sujet du DO entretient une confusion entre prévention et diagnostic précoce. "

Difficile d'admettre une simple maladresse cette fois, cet amalgame de vocables est entretenu au contraire sciemment, servant à attribuer fallacieusement aux dépistages un pouvoir préventif qu'ils n'ont bien évidemment pas.

Revue des précédents plans cancers

Faisons une revue de ce qui a été concocté antérieurement dans les différents plans-cancer successifs, en suivant l'évolution du cancer du poumon et celui du sein.[8]

1°Plan 2003-2007[9]

Libellé

"Le Plan a permis de faire reculer la consommation de tabac, grâce à une stratégie complète de lutte contre le tabagisme associant l'augmentation des prix, l'interdiction de la vente aux moins de 16 ans, des campagnes d'information et des actions ciblées vers les jeunes et les femmes et le développement des aides à l'arrêt du tabac."
"Le programme de dépistage organisé du cancer du sein a été généralisé en 2004 tandis que le programme de dépistage organisé du cancer colorectal faisait l'objet d'une expérimentation de 2002 à 2007 dans 23 départements pilotes."

Résultat épidémiologiques des années 2000

  • Poumon (Rapport Remontet 2013 page 79[10])

"L’incidence du cancer du poumon augmente de façon constante au cours des deux dernières décennies. Cette évolution est plus marquée chez la femme, même si l’incidence comme la mortalité restent beaucoup plus élevées chez l’homme. ... Dans le même temps, la mortalité suit une tendance identique.... Le nombre de décès passe de 15 473 à 22 649 chez l’homme et de 1 997 à 4 515 chez la femme."

Page 84 tableaux 5 et 6

  • Sein (Page 99 du rapport)


"L’incidence du cancer du sein a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies. Entre 1978 et 2000, le taux annuel moyen d’évolution de l’incidence est de +2,42 %. Le nombre de nouveaux cas a pratiquement doublé en 20 ans, puisqu’il est passé de 21 211 cas en 1980 à 41 845 cas en 2000.
Dans le même temps, la mortalité est restée stable (légère augmentation annuelle de 0,42 %). Le nombre de décès est passé de 8 629 en 1980 à 11 637 en 2000."

Tableau 5 page 104

  • Au total : Quelles déductions s'imposent à l'examen de ces données ?

    Duperray note[11] : "Pour le sein et la prostate, on observe une mortalité stable et une incidence qui s’envole suivant l’intensité du dépistage, alors que pour le cancer du poumon qui ne fait pas l’objet d’un dépistage systématique, le nombre de décès est proportionnel à celui des diagnostics. L’incidence du cancer du poumon augmente parallèlement à la cause réelle de la maladie, la consommation de tabac."

Tableau page 155

En effet pour les cancers dépistés comme sein et prostate, le surdiagnostic généré par le dépistage en s'intensifiant fait s'envoler l'incidence des cancers en 2005, sans répercussion sur la mortalité qui reste comparable à celle des années précédentes sans dépistage. Par comparaison, le cancer du poumon qui ne bénéficie d’aucun dépistage, montre un taux comparable de décès et de diagnostic.

Dans ce graphique on voit que le taux des cancers graves reste inchangé, alors qu'il était censé diminuer avec l’instauration du dépistage. (figure 9 du livre , page 121).

L'enthousiasme débridé et idéologique du dépistage, malgré les mises en gardes émergentes de lanceurs d'alerte dès 2000, rend ce fait inaudible et pousse à la poursuite des programmes, surtout devant la participation décevante des femmes.

2° Plan 2009-2013 [12] [13]

Libellé

P.56 :" Les actions menées n’ont pas permis de faire progresser la participation aux programmes de dépistage organisé du cancer du sein et du cancer colorectal. Les campagnes d’information et de mobilisation « Octobre rose » et « Mars bleu » ont été renouvelées chaque année en adaptant les messages. ... La participation aux programmes de dépistage organisé ne progresse pas tant pour le cancer du sein (taux de participation national de 52,7 % en 2012, pour une cible de 65 % fixée par le Plan) que pour le cancer colorectal (31,7 % en 2012 pour une cible de 60 %)."

Devant ce constat il apparaît alors importants aux technocrates de la santé d'intensifier la participation comme on peut le lire dans les pages suivantes ; ainsi les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) sont de maintenir le cap du dépistage organisé tout en renforçant les conditions permettant aux femmes, qui ne présentent pas un haut risque de développer un cancer du sein, de limiter les pratiques du dépistage individuel. (page 81 du rapport).

Sur le volet tabagisme, le rapport constate, page 47 :

Ainsi, si 76 % des enquêtés jugent « certains » les risques liés au tabagisme, la prévalence du tabac est encore de 32 % parmi les 15-85 ans. Soixante-cinq pour cent des personnes interrogées continuent par ailleurs de penser que « respirer l’air des villes est aussi mauvais pour la santé que de fumer des cigarettes."

Résultats des données épidémiologiques

  • Poumon

On peut lire dans le rapport Remontet [14]sur incidence et mortalité des tumeurs solides, page 176 "L'incidence et la mortalité du cancer du poumon sont encore deux fois plus élevées chez l’homme que chez la femme en 2018."

Le rapport écrit :

"L’évolution de la mortalité du cancer du poumon est quant à elle étroitement liée à l’évolution de l’incidence dans les deux sexes et pour tous les âges...La mortalité est toujours en augmentation chez les femmes pour tous les âges et de façon plus importante pour celles de 50-60 ans"

  • Sein

Rapport Remontet Page 204 tableaux 4 et 5

Rapportée à l'incidence on note une légère inflexion de la mortalité spécifique par cancer du sein, mais cela, comme on le voit ci-dessous, s'opère dès les années 90, donc bien avant la généralisation du dépistage, et ne peut lui être attribuée.

Le rapport dit ceci (page 207): "La mise en place d’un dépistage organisé s’accompagne habituellement d’une augmentation temporaire de l’incidence et d’une part de surdiagnostic (cancer qui n’aurait pas évolué avant le décès du patient et qui concerne davantage les cancers in situ non pris en compte dans cette étude)."

Concernant la mortalité le rapport affirme :

"Une diminution du taux de mortalité est observée depuis le milieu des années 1990, en lien avec des progrès thérapeutiques majeurs (hormonothérapie, taxanes, traitements ciblés adaptés au profil moléculaire de la tumeur) et avec une augmentation de la proportion de cancers diagnostiqués à un stade précoce, notamment grâce au dépistage. "

Mais ce dernier point est fortement contesté par plusieurs chercheurs internationaux qui objectent que le surdiagnostic augmente avec toujours plus de dépistage de façon quasi proportionnelle[15] .

D'autres suggèrent que les dépistage pourrait être pourvoyeur d'une surmortalité non comptabilisée du fait des effets du surtraitement.[16] Un fait troublant : il n'y a pas de différence constatée entre les groupes de femmes dépistées et non dépistées.[17] Et en tous cas la mortalité toutes causes confondues n'est pas réduite.

  • Au total : En regardant et en comparant la globalité des données sur le cancer du poumon et celles du sein, on constate donc que la consommation de tabac, première cause de décès lié au cancer en France, n’a pas diminué et qu'elle contribue aux inégalités, en progressant chez les femmes et parmi les chômeurs. On voit clairement que les mesures d'interdiction de vente des cigarettes aux mineurs de moins de 18 ans et les avertissements graphiques sur les paquets sont largement insuffisantes.
    Pendant ce temps, malgré l'observation d'une augmentation flagrante de l'incidence du cancer du sein toujours sans retentissement massif sur la mortalité, ce qu'on attend d'un dépistage réussi*, les campagnes d'octobre rose pour sensibiliser et inciter au dépistage du cancer du sein vont bon train et sans lésiner sur les moyens (illuminations des villes, courses organisées par les communes, placardages de slogans), sans aucune remise en cause ni réflexion sur le surtraitement généré en population.

*PS : (Lorsqu'on a une discordance aussi marquée entre une incidence (nombre de nouveaux cas) augmentant et une mortalité que ne chute pas dans les mêmes proportions, alors cette inflation des cas est attribuable à une seule chose : l'activité débridée du dépistage).

Encore une fois on peut constater que malgré la débauche de moyens mis en oeuvre pour les campagnes d'octobre rose, la mortalité par cancer du sein, surtout féminine, ne fait que croître.
Et le tabagisme à lui seul tue plus que les cancers du sein et de la prostate réunis ![18]

La lutte contre le tabagisme n’est visiblement pas à la hauteur des intentions affichées, sans doute parce que le tabac rapporte beaucoup sous forme de taxes[19]. Il est clair qu'en mettant l’accent sur l’intensification des dépistages on fait oublier que la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme n’est pas à la hauteur de ce qui serait possible si les politiques, au lieu de ménager les lobbies, souhaitaient réellement faire baisser les cancers.

3° Plan 2014-2019[20] [21]

Ce plan-là a mis l’accent sur le fait de faciliter l'accès des femmes les plus éloignées et par tous les moyens, au dépistage du cancer du sein.

Les femmes facilement accessibles, elles paraissaient récalcitrantes à ce dépistage, les autorités décidèrent qu’il fallait stimuler des femmes d'ordinaire peu sollicitées ou géographiquement inaccessibles à y participer.

Libellés, les ides ne manquent pas :

-Mettre en place des formations-actions régionales de femmes relais pour relayer la sensibilisation au dépistage des cancers (dépistage organisé du cancer du sein) en direction des  femmes en précarité (partenariat avec IREPS2 ) (Picardie) 

-favoriser l’accès au dépistage des femmes les plus éloignées du dépistage en organisant la prise en charge des frais de transport pour une mammographie à Cayenne (Guyane) et lutter contre les inégalités d’accès et de recours (Martinique). »

-Réaliser des états des lieux de l'accès au dépistage organisé du cancer du sein des personnes handicapées dans les établissements sociaux et médico-sociaux (Franche-Comté). 
-faciliter l’accès au dépistage des personnes détenues en sensibilisant les équipes des Unités de consultations et de soins ambulatoires (Océan Indien)

Pages 72 et 74:

«  l’objectif d’un taux de couverture du dépistage organisé ou spontané du cancer du sein des femmes de 50-74 ans de 75% au 31/12/2018» « accroître l’efficacité des programmes de dépistage organisé du cancer du sein »

Il faut accroître l'adhésion des femmes, toujours et encore ; ce plan cancer 2014-2019 n’aborde que le côté technocratique du dispositif et anticipe dans ses termes ce que les hautes instances ont envie de promouvoir, au mépris de l’information à laquelle la population féminine a droit et qu'elle a réclamée entre temps lors de la concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein et ses méfaits[22]. Il s'agit de maintenir ce programme de dépistage sur les rails fixés en 2013, dirigé vers des objectifs quinquennaux intangibles.

Résultats épidémiologiques

En 2017(voir sur le site officiel de l'INVS), en France, parmi les causes de décès par cancer chez la femme, le cancer du sein, responsable de 11 883 décès vient en tête, suivi du cancer du poumon (10 176 décès) puis du cancer colo-rectal (8 390 décès).

4°-Plan 2021-2030

Ce plan-là semble s'inscrire dans le grand plan européen censé élargir la participation des populations européennes au maximum à divers dépistages, au mépris de nombreux scientifiques demandant une information accrue sur la balance bénéfice-risques de ces dispositifs de santé.
L'objectif étant qu'à l'horizon 2025, 90% de la population de l'UE participe aux dépistages du cancer du sein, de la prostate, du col de l'utérus et du cancer colo-rectal.

Dans le nouveau plan décennal français 2021-2030 on peut lire (https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030):

L’amélioration de l’accès au dépistage sera renforcée.

"Il s’agira de mieux connaître les déterminants de la réticence aux dépistages et de simplifier l’accès au dépistage (commande directe, professionnels de santé diversifiés, équipes mobiles notamment). Des approches seront développées, proposant un dépistage après une intervention de prévention ou de soins non programmés. Des partenariats seront envisagés, par exemple avec des associations d’aide alimentaire, pour réaliser des opérations de sensibilisation, notamment auprès des plus précaires. Les professionnels de santé, médico-sociaux et sociaux seront dotés d’outils d’information de premier contact et des applications mobiles délivrant des informations et des rappels seront développées. Des incitatifs matériels seront expérimentés pour faciliter la participation des personnes au dépistage. Enfin, les bornes d’âge du dépistage seront requestionnées."

Les incitatifs pécuniers dont on parle dans le texte permettent de recruter notamment les plus faibles économiquement, là aussi au mépris de toute information médicale, ce qui a été dénoncé dans un article du BMJ, dont une des auteurs est une citoyenne française

Au total

Le constat est encore sans appel : En France, le recul de la mortalité spécifique (par cancer du sein) n'est pas significatif, en dépit du fait qu’on a fait du cancer du sein une priorité de santé publique et qu’on lui a consacré plus de moyens qu’à d’autres pathologies.

La mortalité par cancer du poumon, quant à elle, reste une préoccupation importante, notamment chez les jeunes auquel le plan actuel veut s'emparer, à nouveau...

Les plans se sont succédés, et aucun problème n'a été réglé : le tabagisme poursuit ses ravages, et les cas de cancers du sein ont grimpé à 54 000/ans de façon inquiétante avec un surdiagnostic reconnu par les autorités certes, mais largement minimisé et paraissant, pour ces autorités, ne remettre en aucune façon en question nos pratiques médicales, alors qu'on enregistre toujours, malgré le dépistage organisé, entre 11000 et 12000 décès/an, ce chiffre étant stable depuis 1996[23].

Remarques annexes avant de conclure

1°L'image d'illustration de l'article du Monde en ligne est une situation de dépistage du cancer de la peau.


Nous relayons ici un intéressant podcast [24]en anglais, sur le surdiagnostic du mélanome, tumeur cutanée cancéreuse.

Le constat de Dr. Adewole Adamson est affolant : pas de réduction de mortalité et un surdiagnostic massif en raison du fait que les seuils de tolérance des dermatologues et des anatomo-pathologistes s'abaissent devant les lésions cutanées.

Les premiers demandent de plus en plus et de plus en plus vite des prises en charge avec biopsies, les seconds préférent "upgrader" leur diagnostic des lésions examinées sous microscope ( c’est à dire dans le doute classer comme malignes des lésions simplement douteuses et qu'on pourrait seulement surveiller ), donnant lieu à une apparente épidémie de mélanomes avec d'autant plus de "survivors" artificiels.

Le cercle vicieux est sans fin, incitant patients et médecins à faire de plus en plus d'examens cutanés de routine.

2°spécifiquement sur le cancer du sein

Nous lisons dans le 6ème rapport au président de la République publié au mois de mars 2020  par l'INCa, page 7, prélude au plan cancer 2021/2025 présenté le 4 février 2021[25]:

Un renforcement de la qualité du dépistage organisé du cancer du sein.

« En termes d’organisation, en vertu d’un arrêté publié le 22 février 2019, seules les installations de mammographie numérique sont désormais autorisées dans le programme. L’arrêté confirme que le radiologue, premier lecteur, analyse obligatoirement les clichés sur une console d’interprétation. »

En reprenant les aménagements imposés aux radiologues tout au long de l'histoire du dépistage, il est flagrant de constater à quel point les décideurs ont délibérément opté pour l'amélioration de la forme, mais jamais pour la remise en question du fond -même de ce dispositif.
Au cours de ma carrière de radiologue, et depuis les années 90 j'ai ainsi assisté au passage de deux clichés par sein à trois, pour pallier au problème des cancers d'intervalles, survenant entre deux mammographies et échappant au dépistage.

Puis nous avons dû compléter ce "mammotest" par l'adjonction de l'échographie et de l'examen clinique. Nous sommes donc passés, devant la défaillance de la méthode, bel et bien d'un "test" à un examen finalement individuel !

Ensuite nous avons assisté à l'avènement de la mammographie numérique, technologie d'abord coexistant avec la mammographie analogique selon les cabinets de radiologie, et à présent imposée à tous.

Nul doute que nous ne tarderons pas à voir arriver la tomosynthèse[26] [27], hautement irradiante et souvent réalisée en complément des mammographies à l'insu de la patiente dans certains cabinets, avec une perspective de l'envolée des fausses alertes et des surdiagnostics.

Le soutien d’une étude expérimentant un dépistage personnalisé du cancer du sein.

« Une expérimentation internationale de dépistage ciblé du cancer du sein a été initiée. Soutenue par l’Institut national du cancer, la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer et la Ligue contre le cancer, et financée par l’Union européenne, l’étude MyPeBS (My Personal Breast Screening) entend évaluer si un dépistage personnalisé du cancer du sein pourrait être une meilleure option de dépistage pour les femmes de 40 à 70 ans. »

Meilleure preuve de la faillite du dépistage actuel : à présent on essaie un dépistage "individualisé", véritable piège pour les femmes notamment des tranches d'âge jeunes, puisque, si jugées à risque, elles auront des mammographies pouvant être annuelles et dès 40 ans....

Quelle meilleure façon, par le biais d'une étude d'un montage autant hermétique que pernicieux[28], d'étendre le dépistage à des catégories d'âges jusqu'à présent non concernés en raison d'une balance bénéfice-risques avérée néfaste pour ces femmes jeunes.

Voilà les "améliorations" continuelles apportées au dépistage du cancer du sein, véritable course absurde en lieu et place d'une interrogation de fond, à savoir repenser la pertinence fondamentale des dépistages.[29]

Mentionnons encore l'édition de la "feuille de route 2021-2030" concernant la "STRATÉGIE DÉCENNALE DE LUTTE CONTRE LES CANCERS 2021-2030", où on peut lire, page 20, une proposition d'incitation financière des femmes pour augmenter leur participation, revenant de façon décomplexée à une sorte d'achat du consentement des femmes : "Expérimenter des incitatifs matériels pour faciliter la participation des personnes au dépistage (action I.12.7)".

3°Concernant le cancer de la prostate[30],

nous avions évoqué déjà le problème du surdiagnostic, et avions également parlé de celui de la thyroïde [31], ce dernier avec un impact préférentiellement sur la vie des femmes.

Surprenant de lire dans l'article du Monde " Autre enjeu : accentuer les recherches pour trouver de nouveaux dépistages, notamment vis-à-vis des cancers du poumon ou de la prostate."

Un nouveau dépistage pour la prostate ? C'est bien que l'ancien n'était effectivement pas bien brillant en matière d'efficacité....

Et comme les questions critiques ne sont posées dans aucun média, l'information médicale peut sans vergogne se poursuivre au travers de l'émission "stars à nu", où des stars se déshabillent pour "sensibiliser" aux dépistages et pour la "bonne cause", sans aucun respect des données scientifiques.

La présentatrice, Mme Sublet, affirme en interview dans une minauderie de modestie feinte que son émission est "d'utilité publique"[32].
L'année dernière, dans la semaine qui a suivi l'émission, nos consultations en radiologie ont été littéralement assaillies de jeunes hommes découvrant des "boules" dans leurs bourses (absolument véridique), et de jeunes femmes en larmes ayant décelé elles aussi diverses tuméfactions dans leur poitrine.

Aucun diagnostic n'a été établi, toutes ces personnes étaient saines bien heureusement. Toute cette effervescence inutile a bien mobilisé le temps-médecin déjà compté, au détriment d'une patientèle réellement nécessiteuse de soins.

Conclusion :

Une planification « soviétique » qui se moque des données scientifiques

Il n'est nullement question d'informer mieux les femmes ou de diminuer les dépistages, nous retrouvons encore et toujours des objectifs fixés à l'avance, pré-décidés, échafaudés dans la tête de technocrates centrés sur un inventaire de chiffrages à atteindre.

On constate les malheureux résultats de la défaillance en matière de véritables campagnes de prévention (tabac, alcool, obésité), avec des cancers du poumon en augmentation inexorable et des décès en parallèle.     

Pourquoi n'a-t-on pas privilégié l'éducation à la santé avec de véritables campagnes d'envergure au lieu d'une débauche de moyens pour valoriser des dépistages dont la plupart, il faut bien en convenir, n'ont aucun retentissement perceptible sur la mortalité globale, et au contraire entraînent des surdiagnostics dans des populations saines, les plongeant dans des situations inutiles de malades ?

Pourquoi ?

Dans un billet d'humeur Annette Lexa, toxicologue donne des pistes[33] :

  • " les conduites destructrices ont longtemps été valorisées ;
  • l’hygiène et la prévention sont supposées ne pas être hédonistes ;
  • le champ du curatif est économiquement plus intéressant ;
  • les cancers professionnels continuent d’être négligés et minimisés par les caisses de santé elles-mêmes (CPAM,MSA) obligeant à des procédures longues, improbables et coûteuses ;
  • la société, si prompte pourtant à contrôler ses citoyens lorsque le système politico-économique est en danger, prétend craindre que cela s’apparente à de la réduction des « libertés » individuelles (libertés de fumer, de boire…) ;
  • tabac, alcool, aliments industriels marketés par la publicité rapportent énormément en TVA ;
  • la pilule contraceptive, symbole d’émancipation féminine, pourtant cancerogène avéré par l’IARC (http://www.cancer-environnement.fr/479-Classification-par-localisations-cancereuses.ce.aspx#Seins) et perturbateur endocrinien est encore et toujours présentée comme le moyen de contraception le plus populaire tout en minimisant savamment les effets indésirables, tant l’enjeu collectif sur la sexualité est majeur.
  • Combien de jeunes femmes achètent des cosmétiques « bio » garantis sans bisphénol A et sans parabène supposé cancérogène tout en prenant la pilule et fumant ? Nos sociétés modernes n’ont pas su réinventer de rituel de passage à l’âge adulte, enfermant ses adolescents dans des conduites à risque (addiction au tabac, à l’alcool, aux drogues, banalisation et précocité des pratiques sexuelles à risque...) .

Enfin, le marketing opportuniste visant à développer une connivence avec les femmes (cosmétiques, mutuelles, professionnels de l’e-santé, évènements « sportifs ») symbolise à lui seul le pouvoir de manipulation et de désinformation ainsi que le cynisme d’une société toute entière affairée à développer les affaires en se donnant une caution vertueuse et même parfois pensant sincèrement réparer maladroitement les dégâts qu’elle a elle-même créés, alors qu’elle devrait mettre toute son énergie (moins rentable certes) dans la prévention des cancers et fournir à chacun dès le plus jeune âge les clés d’une vie et d’une santé optimales."

Enfin, ce nouveau plan cancer a été élaboré sous l'égide de l'industrie pharmaceutique.

Et c'est notre collègue le Dr Gourmelon qui explique :

"Ce qui frappe d’emblée, dans les deux documents de presse, outre les moyens mis en œuvre, c’est la place que les « lobbys » du cancer ont prise dans le groupe prospectif qui a élaboré auprès du Pr IFRAH, les 220 propositions. (Voir l’annexe 3 du dossier de presse de 29 pages).  Dans ce petit groupe de 24 personnes, on trouve le représentant des entreprises du médicament Mr Eric Baseilhac. Il s’agit du directeur des affaires économiques."

Article complet disponible ici : https://cancer-rose.fr/2020/12/15/inca-une-consultation-citoyenne-pourquoi/

En gros, les objectifs varient peu, les données épidémiologiques non plus, démontrant l'inanité de ces grands plans invariables de quinquennat en quinquennat, d'un président à l'autre.

A la fin il ne reste que les causes faciles et démagogiques, donnant l'illusion de "faire", d'empoigner les problèmes, au grand bonheur des firmes et de leurs "innovations".

Lire ici : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_342
".....faire en sorte que 90 % de la population de l'Union remplissant les conditions requises pour le dépistage du cancer du sein, du col de l'utérus et du cancer colorectal se voient proposer un dépistage d'ici à 2025. Pour y parvenir, un nouveau programme de dépistage du cancer cofinancé par l'Union sera proposé.

En outre, pour soutenir les nouvelles technologies, la recherche et l'innovation, un nouveau Centre de connaissances sur le cancer sera fondé afin de contribuer à la coordination des initiatives scientifiques et techniques liées au cancer à l'échelle de l'Union. Une «initiative européenne en matière d'imagerie sur le cancer» sera mise en place pour soutenir le développement de nouveaux outils assistés par ordinateur afin d'améliorer la médecine personnalisée et les solutions innovantes."

Références


[1] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/04/une-nouvelle-strategie-nationale-pour-faire-reculer-le-cancer_6068728_3244.html

[2] https://www.e-cancer.fr/Presse/Dossiers-et-communiques-de-presse/L-Institut-national-du-cancer-publie-le-dernier-rapport-annuel-au-president-de-la-Republique-du-Plan-cancer-3-et-precise-les-echeances-de-la-strategie-decennale-de-lutte-contre-le-cancer

[3] https://www.roche.fr/fr/pharma/cancer/depistage-cancers-france.html

[4] https://consultation-cancer.fr/project/axe-1-ameliorer-la-prevention/consultation/consultation

[5] https://cancer-rose.fr/2020/12/15/inca-une-consultation-citoyenne-pourquoi/

[6] https://cancer-rose.fr/2020/12/17/la-concertation-citoyenne-de-linca-sur-le-futur-plan-cancer-une-mascarade/

[7] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf

[8] https://www.e-cancer.fr/Plan-cancer/Les-Plans-cancer-de-2003-a-2013

[9] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/02/Plan_cancer_2003-2007_MILC.pdf

[10] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-colon-rectum/documents/rapport-synthese/evolution-de-l-incidence-et-de-la-mortalite-par-cancer-en-france-de-1978-a-2000

[11] B.Duperray "le dépistage du cancer du sein, la grande illusion" Ed Thierry Souccar, page 155

[12] https://www.e-cancer.fr/Plan-cancer/Les-Plans-cancer-de-2003-a-2013/Le-Plan-cancer-2009-2013

[13] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/02/2009-2013.pdf

[14] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-sein/documents/rapport-synthese/estimations-nationales-de-l-incidence-et-de-la-mortalite-par-cancer-en-france-metropolitaine-entre-1990-et-2018-volume-1-tumeurs-solides-etud

[15] https://cancer-rose.fr/2015/07/06/analyse-etude-jama/

[16] https://cancer-rose.fr/2019/08/08/synthese-detudes-un-exces-de-mortalite-imputable-aux-traitements-lemportant-sur-le-benefice-du-depistage/

[17] https://cancer-rose.fr/2016/11/20/etude-miller/

[18] http://www.unicancer.fr/le-groupe-unicancer/les-chiffres-cles/les-chiffres-du-cancer-en-france#:~:text=Cancer%20colorectal%20%3A%209%20294%20d%C3%A9c%C3%A8s,la%20prostate%20%3A%208%20207%20d%C3%A9c%C3%A8s

[19] https://www.who.int/tobacco/economics/taxation/fr/

[20] https://cancer-rose.fr/2016/10/10/a-propos-du-plan-cancer-2014-2019/

[21] https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Plan-Cancer-2014-2019

[22] https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/

[23] https://cancer-rose.fr/2016/07/30/mortalite-donnees-de-la-base-cepidc-de-1996-a-2012/

[24] Podcast dermato https://www.youtube.com/watch?v=068KMIe-gys&feature=emb_logo

[25] https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Sixieme-rapport-au-president-de-la-Republique-Mars-2020

[26] https://cancer-rose.fr/2019/11/28/avis-de-la-haute-autorite-de-sante-sur-la-performance-de-la-mammographie-par-tomosynthese-dans-le-depistage-organise/

[27] https://cancer-rose.fr/2019/03/09/association-de-la-tomosynthese-versus-mammographie-numerique-dans-la-detection-des-cancers/

[28] https://cancer-rose.fr/my-pebs/

[29] l'étude dont on rêvait : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/03/09/letude-dont-on-re%cc%82vait/

[30] https://cancer-rose.fr/2017/01/05/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/

[31] https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/

[32] https://m.youtube.com/watch?v=7NQOTNDeM1c

[33] https://cancer-rose.fr/2016/11/05/la-vraie-prevention-parent-pauvre-du-plan-de-lutte-contre-le-cancer-du-sein/

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Haut risque de cancer du sein et mammographie, en pratique

Nous avons consacré deux articles à cette problématique spécifique, voici un condensé pratique à la demande d'une de nos lectrices.[i] [ii]

Le premier problème consiste à définir tout d'abord ce qu'est une femme à haut risque potentiel de déclarer un cancer du sein au cours de sa vie. Et ce qu'est une "famille à risque".
Un antécédent familial seul, même direct, ne constitue pas, contrairement à ce qui est souvent agité comme épouvantail aux femmes, la preuve d'être une personne "à risque".
Nous recevons suffisamment de témoignages de femmes jeunes inquiétées inutilement et surtout incitées à des surmédicalisations inutiles et dangereuses.

Qu’en est-il de la recherche de mutations génétiques chez les femmes ? Quand doit-on la réaliser ?

C’est la question que s'est posée la revue indépendante Prescrire, tome 36 N°388/février 2016

Les mutations génétiques portant sur les gènes BCRA1 et BCRA2 sont de transmission autosomique dominante, la femme porteuse de ces mutations est exposée au risque de cancer du sein ou de l’ovaire, à la fois plus élevé, mais aussi plus précoce que dans la population générale.

-L'âge médian de survenue est de 40 ans et le risque cumulé à 70 ans de connaître un cancer est de 51 % à 75 % pour la mutation BRCA1,
-L'âge médian est de 43 ans et le risque cumulé estimé de 33 % à 55 % pour la mutation BRCA2.

La revue Prescrire propose de retenir comme antécédents significatifs, pour proposer une consultation d’onco-génétique, les critères suivants :

-Trois personnes de la même branche ayant un cancer du sein avant 70 ans,

-Deux personnes de la même branche avec un cancer avant 50 ans

-Une personne ayant eu un cancer de l’ovaire

-Une personne atteinte du cancer du sein avec un diagnostic avant 40 ans, ou une forme bilatérale, le premier avant 50 ans, ou un cancer négatif aux récepteurs hormonaux et survenu avant 60 ans.

Score d'Eisinger

Le score d'Eisinger est une aide à la décision pour demander une consultation d'onco-génétique.

Nous le reproduisons ci-dessous (téléchargeable) :

Analyse de l arbre généalogique selon le score d Eisinger : Additionner les scores pour chaque branche de la famille. Score > 3. Consultation d oncogénétique. Score < 3. Examen clinique annuel à partir de 25 ans. Dépistage à partir de 50 ans.

Plusieurs situations peuvent se présenter dans les familles présentant ainsi plusieurs cas de cancer du sein :

A-  Mutation mise en évidence chez une femme de la famille, présentant un cancer du sein.

Cette recherche de mutation génétique apporte une information précieuse aux femmes de la parentèle : les femmes qui en sont porteuses ont un risque plus élevé, les femmes de la même famille qui ne l’ont pas se retrouvent avec le risque de la population générale.
Si en raison d’une généalogie chargée une femme de la famille décide d’effectuer une recherche de mutation sur les gènes BCRA1 ou BCRA2, et se retrouve porteuse de mutation délétère sur ces gènes, alors son risque apparaît important de faire un cancer du sein, et ce risque est aussi très important pour la parentèle.

B-  Pas de mutation mise en évidence chez la femme présentant un cancer du sein.

Soit il n’y a réellement aucune mutation et la patiente a fait une forme de cancer sans cause génétique, ou alors il y en a bien une, mais il peut s'agir d’une cause génétique non identifiée.

Il y aura donc alors une incertitude pour les femmes de sa famille quant au caractère héréditaire ou non de ce cancer, le risque du caractère familial de ce cancer n’est pas aussi élevé qu’en cas de mutation identifiée notamment BRCA mais peut-être un peu plus haut que celui de la population générale.
L’incertitude fait qu’il y a lieu alors d’analyser la généalogie, comportant elle aussi son lot d’incertitudes et d’imprécisions..

C-  La personne porteuse du cancer du sein n’a pas effectué de recherche génétique.

Pour les femmes de la parentèle cela donne une information inexploitable : soit la personne malade peut avoir eu une mutation non recherchée, soit elle est indemne de mutation mais la mutation pourrait bien exister chez les membres de la famille.

Au total retenons :

  • Soit la personne présente un cas familial porteur de mutation mais est indemne de toute mutation elle-même, son risque sera proche de celui de la population générale.
  • Soit elle est porteuse de la mutation et on peut lui estimer son risque de faire un cancer du sein, lequel sera plus élevé que dans la population générale.
  • Mais pour d’autres femmes il peut persister bien des incertitudes sur le risque familial de contracter un cancer du sein :

-Chez les femmes dont des membres de la famille ont eu un cancer du sein mais sans mutation mise en évidence sur un seul des cas familiaux,

-Chez les femmes avec une recherche génétique personnelle de mutation négative, avec une généalogie présentant plusieurs cas de cancers du sein, mais sans recherche effectuée sur les personnes malades.

Lire : https://cancer-rose.fr/2016/11/20/observations-femmes-a-risques/

Propositions de conduites à tenir, différentes options selon situations

Qui sont les sujets à plus haut risque théorique ?

-Femme avec un cas de cancer du sein chez une parente au premier degré (mère, sœur, fille) avant 40 ans.

-Deux femmes avec cancer du sein dans la famille au premier ou au deuxième degré.

-Homme de la famille atteint, du premier ou deuxième degré

-Femme de la famille au premier ou deuxième degré atteinte d’un cancer de l’ovaire.

Synthèse selon le dossier Prescrire paru dans la Revue Prescrire Mai 2016/Tome 36 N°391-p.355 à p.361

Voici un tableau récapitulatif des propositions de conduites à tenir selon la présence de mutation ou pas, et propositions d'imagerie complémentaire (tableau téléchargeable) :

TABLEAU

LES RECOMMANDATIONS EXISTANTES

1°La Haute Autorité de Santé a émis en 2014 des recommandations encore actuellement en vigueur :

https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-05/depistage_du_cancer_du_sein_chez_les_femmes_a_haut_risque_synthese_vf.pdf

2° Les recos de L'Institut National du Cancer, cliquez (tableau p.10 du doc)

Comme vous le lirez, la mammographie précoce et annuelle est préconisée, faisant fi d'un risque plus important de cancer radio-induit, pouvant survenir, selon les mutations, dès la première mammographie. [iii] [iv]

Pour ces femmes à risque particulier les recommandations sont émises sans aucune donnée objective sur la portée des différentes stratégies de dépistage, sur les données de mortalité globale, mortalité par cancer du sein, mastectomies, effets des traitements, surdiagnostics et fausses alertes pour cette population à risque. En leur absence, ces femmes et leurs soignants sont dans une incertitude quant aux conduites à tenir et se débrouillent tant bien que mal de façon empirique.

Si des évaluations sont réalisées sur la population générale, il est tout aussi important de les réaliser chez ces populations particulières, mais il n'y en a pas.

Des réserves générales

Une discussion de fond est à entreprendre avec la patiente car la connaissance de ce haut risque conditionnera pour elle, outre une charge psychologique importante :

-Une anxiété permanente

-De nombreuses fausses alertes (faux positifs)

-Des surdiagnostics très probables mais non évalués puisqu’aucune étude n’a été réalisée pour les quantifier.

Pour citer la revue Prescrire de ce numéro de mai 2016 : "Pour s’assurer qu’un dépistage ait une balance bénéfices-risques favorable, il ne suffit pas de déterminer la méthode de détection la plus performante : un diagnostic plus précoce ne change pas toujours le poids du traitement pour les patients, ni forcément le pronostic de la maladie."

"Il faut aussi établir dans quelles conditions cela se traduit par des bénéfices cliniques tangibles pour les personnes dépistées. Il importe aussi de mesurer les effets indésirables auxquels exposent tous les dépistages : diagnostics et traitements par excès, sources d’effets indésirables parfois graves ; iatrogénie des examens ; faux positifs à l’origine d’angoisses et d’examens inutiles ; médicalisation de l’existence des bien-portants."

Et plus loin, sur l'aspect éthique :

"Éthique. L’ampleur du risque de cancers du sein chez ces femmes à risque plus élevé que la population générale ne rend pas contraire à l’éthique la réalisation d’essais cliniques randomisés, au contraire. Des essais cliniques comparant les effets de diverses stratégies de dépistage sur des critères cliniques tels que la mortalité totale, la mortalité par cancer du sein, la fréquence des amputations des seins, celle des traitements cytotoxiques, apporteraient les réponses qui font défaut, au lieu de laisser les femmes et les soignants sans éléments solides pour ces décisions importantes."

D’après la revue Prescrire une estimation étatsunienne parle de 125 cas de cancer du sein radio-induits pour 100 000 femmes de 40 à 74 ans dépistées par mammographie tous les ans, dont 16 mortels. Et pour des femmes à haut risque, on a mis en évidence que les cancers du sein ont été deux fois plus fréquents chez des femmes exposées à des examens radiographiques avant l’âge de 30ans que pour les non exposées.

D'autres examens complémentaires

D'autres examens que la mammographie, chacun ayant ses limites, et un suivi adapté peuvent être proposés, lire ici : https://cancer-rose.fr/2016/11/20/depistage-et-risque-familial-eleve-de-cancer-du-sein/

AUTRE ARTICLE EN LIEN AVEC LE SUJET :

A qui proposer une mastectomie prophylactique ?

Présentations de Nicolas Foray, radiobiologiste sur la radiotoxicité :
* http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/3b_-_foray_23_mars_2016_hctisn_cle03eb88.pdf
et
*https://its.aviesan.fr/getlibrarypublicfile.php/cd704e89988a4e3bcf2e1217566876cf/inserm/_/collection_library/201800012/0001/J1-098ITS-2017.foray.lyon.ITMO.TS..21.nov.2017.pdf.pdf

Présentation C.Colin INSERM : https://sfrp.asso.fr/wp-content/uploads/2021/11/09-CatherineCOLIN-1.pdf

Références


[i] https://cancer-rose.fr/2016/11/20/observations-femmes-a-risques/

[ii] https://cancer-rose.fr/2016/11/20/depistage-et-risque-familial-eleve-de-cancer-du-sein/

[iii] https://cancer-rose.fr/2019/07/18/radiotoxicite-et-depistage-de-cancer-du-sein-prudence-prudence-prudence/

[iv] https://its.aviesan.fr/getlibrarypublicfile.php/cd704e89988a4e3bcf2e1217566876cf/inserm/_/collection_library/201800012/0001/J1-098ITS-2017.foray.lyon.ITMO.TS..21.nov.2017.pdf.pdf

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Communiqué de presse : lancement de notre nouveau site anglophone

7 janvier 2021

Après plusieurs mois de travail, de temps et d'énergie dédiés, nous avons le plaisir de vous annoncer le lancement de la version anglaise du site web de l’association Cancer Rose.

Cancer Rose est une association à but non lucratif de droit français composée de médecins indépendants, d'un docteur en toxicologie et d'une représentante des patientes, dont l'objectif est de fournir aux femmes françaises une information loyale, transparente et objective sur le dépistage de masse du cancer du sein, fondée sur des preuves scientifiques.

Nous avons participé à la consultation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein organisée par Mme la Ministre de la santé en 2015, suite à la controverse sur ce sujet en France. Nous avons fondé l'association Cancer Rose et crée son site web en 2016.

Au niveau international, nous échangeons et partageons des informations sur des questions médicales, notamment le surdiagnostic et le surtraitement qui en résulte, avec les membres de différentes organisations telles que HealthWatch Charity au Royaume-Uni,  Institute of Scientific Freedom  au Danemark,  l'organisation de santé Choosing Wisely au Canada, le group de chercheurs collaborateurs Wiser Healthcare en Australie, ainsi que la défenseure des droits des patients Donna Pinto aux Etats-Unis, membre du comité directeur du Projet International «Precision».

Notre objectif avec cette version en anglais est d'informer les visiteurs internationaux sur nos activités, d'établir des liens et partager nos points de vue concernant la controverse sur le dépistage de masse du cancer du sein, avec les femmes et les professionnels du monde entier.

Nous mettrons à jour le contenu de notre site avec de nouvelles informations, articles, annonces, activités.

Nous espérons que vous trouverez ce site utile et facile d'accès.

Veuillez nous suivre sur Twitter et Facebook pour les actualités.

Pour toute question, suggestion, retour d'information ou commentaire, veuillez nous contacter sur la page contact.

Les membres de Cancer Rose ne bénéficient d'aucun parrainage, honoraires, soutien financier ou conflit d'intérêt provenant de sources commerciales. Ils consacrent bénévolement leur temps à cette activité. Les fonds nécessaires au fonctionnement de ce site web et à la production de matériel d'information (films éducatifs, brochures, affiches) sont générés par des dons individuels et les contributions des membres.

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DIABETE ET CANCER

Par Dr C.Bour, 5 janvier 2021

La relation entre diabète et cancer en général, diabète et cancer du sein en particulier est bien connue, comme le montre une méta-analyse de 2012 [1].

Cette méta-analyse révélait une augmentation significative du risque de cancer du sein chez les femmes diabétiques par rapport aux non-diabétiques. Mais l’association entre le diabète et le risque de cancer du sein semblait limitée aux femmes ménopausées. Le diabète de type 1 et le diabète chez les femmes pré-ménopausées n’étaient pas associés à une augmentation significative du risque de cancer du sein.

Les personnes atteintes de diabète de type 2 ont un risque plus élevé de développer des cancers du sein, du pancréas, du foie, des reins, de l'endomètre et du colon.
Alors que les patients atteints de diabète de type 1 sont plus susceptibles de développer des cancers du col de l'utérus et de l'estomac.

Plusieurs études ont également démontré que les patients atteints de diabète et de cancer ont un pronostic moins favorable que ceux qui ne sont pas diabétiques.
Le diabète et l'hyperglycémie sont associés à des taux d'infection plus élevés, des périodes de rémission plus courtes et des durées médianes de survie plus courtes, ainsi que des taux de mortalité plus élevés[2].


On incrimine plusieurs mécanismes qui pourraient expliquer pourquoi le diabète de type 2 pourrait augmenter le risque de cancer : l’hyperinsulinémie, l’hyperglycémie et l’inflammation. L’augmentation de la glycémie aurait des effets cancérigènes en provoquant des dommages sur l’ADN.

Cas particulier du cancer du sein

La méta-analyse dont nous parlions en début d'article a été entreprise à l'aide d'un modèle à effets aléatoires pour étudier l'association entre le diabète et le risque de cancer du sein.[3]

Le risque de cancer du sein chez les femmes atteintes de diabète de type 2 est augmenté de 27%, un chiffre qui a diminué à 16% après ajustement de l'IMC. L'obésité est un facteur aggravant comme le montrent d'autres études.  

Aucune augmentation du risque n'a été observée chez les femmes à l'âge pré-ménopausique ou atteintes de diabète de type 1.

Outre le sur-risque de cancer chez le patient diabétique, qu'en est-il de la prise en charge du patient avec ET un diabète ET un cancer ?[4] [5]

La prise en charge du patient diabétique nécessite un traitement non seulement par des mesures hygiéno-diététiques mais également par un protocole médicamenteux finement réglé pouvant inclure de l'insuline et un ou plusieurs agents oraux.

La chimiothérapie et les analgésiques peuvent affecter l'homéostasie[6] du glucose et la sensibilité à l'insuline, les interactions médicamenteuses peuvent interférer avec la tolérance du patient aux médicaments contre le diabète ; la diminution de l'appétit, les nausées, les vomissements et la perte de poids consécutifs à la fois à la maladie et au traitement du cancer peuvent causer des déséquilibres sur la glycémie.

Agents chimiothérapeutiques

Plusieurs chimiothérapies sont connues pour causer ou exacerber ces mauvaises conditions. Par exemple, le cisplatine est connu pour provoquer une insuffisance rénale, et les anthracyclines peuvent provoquer une cardiotoxicité. Le cisplatine, le paclitaxel et la vincristine peuvent être neurotoxiques. Malheureusement, beaucoup de ces effets secondaires peuvent rester permanents.

Pour que le traitement du cancer soit efficace, il faut généralement administrer au moins 85 % de la dose de chimiothérapie. Les patients atteints de diabète doivent être soigneusement surveillés avant le début et pendant la chimiothérapie. Les décisions relatives au traitement doivent se fonder sur le tableau clinique du patient, mais toujours en sachant que toute modification de la dose, ou la modification du moment de l'administration, ou encore la substitution d'un autre agent chimiothérapeutique peuvent compromettre les résultats en réduisant le taux de réponse au traitement.

Corticostéroïdes

Ils constituent une partie importante du traitements dans les pathologies cancéreuses et sont largement utilisés pour améliorer les nausées et vomissements associés à la chimiothérapie, ainsi que pour supprimer les symptômes neurologiques lorsque le cancer s'est métastasé dans la colonne vertébrale ou le cerveau. Et ils provoquent une hyperglycémie de manière significative dans les heures suivant leur administration. 

Le traitement de l'hyperglycémie résultant des glucocorticoïdes dépend alors du type de diabète, de l'importance des taux d’hyperglycémie, de la dose et de la durée de la thérapie. Administrer des stéroïdes en plusieurs doses tout au long de la journée au lieu d'une seule dose en bolus, ou administrer la totalité de la dose quotidienne de stéroïdes par voie intraveineuse sur 24 heures, peuvent aider à contrôler l'hyperglycémie.

Les patients souffrant de diabète préexistant peuvent être maintenus sous leurs hypoglycémiants oraux et surveillés de près. Toutefois, ces médicaments sont généralement inadaptés pour gérer l'hyperglycémie dans ce contexte et on a recours à l'insuline.

Les patients utilisant de l'insuline avant une thérapie glucocorticoïde nécessiteront typiquement à la fois de l'insuline basale et de l'insuline préprandiale. Ces patients peuvent avoir besoin de deux à trois fois leur dose habituelle d'insuline. L'insuline est le médicament préféré pour gérer l'hyperglycémie induite ou exacerbée par les stéroïdes chez les patients avec un diabète connu.

Les patients diabétiques de type 1 devront ajuster leur dose. Les patients de type 2 qui prennent déjà des agents oraux au départ rajouteront de l'insuline, mais uniquement pendant cette période où leur glycémie est élevée.

Plusieurs études sur des cancers aussi disparates que le cancer du poumon à petites cellules et le cancer du sein notent une association entre l'hyperglycémie mal contrôlée et les mauvais résultats chez ces patients à la fois diabétiques et cancéreux. L'hyperglycémie augmente également le risque d'infection.

Chez les patients atteints d'un cancer actif, la gestion de l'hyperglycémie se concentre sur la prévention des complications à long terme pour éviter les issues aiguës et subaiguës, telles que la déshydratation due à la polyurie, l'infection, la perte de poids catabolique, les états hyperosmolaires non cétosiques et l'acidocétose diabétique.[7]

Analgésiques

Les analgésiques peuvent provoquer une constipation qui affecte les patients de deux manières. Cela peut leur donner envie de ne pas manger, mais aussi, en ralentissant la motilité intestinale, il est possible que les narcotiques retardent l'absorption des nutriments. Cela peut entraîner une inadéquation entre l'administration d'insuline et l'absorption du glucose. Le patient encourt le risque d'hypoglycémie.

Statines et chimiothérapie[8]

Les statines et les agents chimiothérapeutiques sont métabolisés par les mêmes enzymes dans le foie. 

Si les enzymes hépatiques sont toutes captées par le traitement par statine, cela peut créer une moindre élimination des chimiothérapies. Certaines recherches suggèrent que cela fonctionne également dans l'autre sens. Si on donne une statine à un patient sous chimio, puis qu'on arrête la statine, il éliminera le médicament de chimiothérapie beaucoup plus rapidement. 

En général on est donc réticent à commencer un traitement par statine chez quelqu'un qui commence juste une chimiothérapie en raison d'une possible hépatotoxicité, explique Pr.Lavis[9] . Si les patients sont déjà sous statines, il convient d'être conscient de leurs effets et de surveiller attentivement. 

Il est pertinent de cibler les interventions thérapeutiques selon le pronostic du patient. S'il est médiocre, il faut être moins exigeant sur les objectifs et ne pas alourdir le traitement du patient en raison d'attentes excessives.

Pronostic et confort

Le pronostic, la longévité et la qualité de vie sont des considérations importantes dans la détermination des objectifs glycémiques. Une approche pragmatique de la gestion de l’hyperglycémie chez ces patients est nécessaire

L'intérêt d'un contrôle glycémique très strict est d'essayer de prévenir les complications dans 10, 15, 20 ans. 

Mais chez une personne avec un mauvais pronostic ou une espérance de vie de quelques années seulement, il faut être plus préoccupé par le confort et la qualité de vie dans les années qui restent.
L'objectif serait alors d'éviter les effets de l'hyperglycémie aiguë, comme la déshydratation et l'acidocétose.

Conclusion

Il existe des preuves épidémiologiques solides que les maladies diabétiques sont associées à un risque accumulé de plusieurs cancers. Il est également de plus en plus évident que le degré d'hyperglycémie et les modalités de traitement de l'hyperglycémie influencent le risque de cancer. 

Le risque de cancer du sein chez les femmes atteintes de diabète de type 2 est augmenté de et l'obésité est un facteur aggravant. En revanche il n'y aurait pas de sur-risque observé chez les femmes à l'âge pré-ménopausique ou atteintes de diabète de type 1.


La gestion de la glycémie chez les patients diabétiques et cancéreux peut poser un défi clinique important. Comme il n'y a pas de preuve claire que le contrôle très rigoureux du glucose améliore les résultats en matière de cancer, l'hyperglycémie doit être gérée de façon pragmatique, afin de s'assurer que le patient reste asymptomatique et à faible risque de décompensation aiguë. 

La prise en charge proactive de l'hyperglycémie induite par les glucocorticoïdes peut aider à réduire les grandes fluctuations des taux de glucose. 

Lire aussi :

https://www.healthline.com/diabetesmine/living-with-cancer-and-diabetes#1

Références


[1] Diabetes and breast cancer risk: a meta-analysis  British Journal of Cancer (2012) 107, 1608–1617

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22996614/

P Boyle M Boniol A Koechlin .....and P Autier1/Prevention Research Institute, 95 cours Lafayette, 69006 Lyon, France

[2] Clinical Challenges in Caring for Patients With Diabetes and Cancer

Helen M. Psarakis, RN, APRN-Diabetes Spectrum Volume 19, Number 3, 2006

https://spectrum.diabetesjournals.org/content/19/3/157

[3] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22996614/

[4] https://endocrinenews.endocrine.org/july-2014-double-jeopardy/

[5] Clinical Challenges in Caring for Patients With Diabetes and Cancer-Helen M. Psarakis, RN, APRN-Diabetes Spectrum Volume 19, Number 3, 2006

https://spectrum.diabetesjournals.org/content/19/3/157

[6]  Phénomène par lequel un facteur clé est régulé pour persister autour d'une valeur bénéfique pour l'organisme.

[7] https://www.cancernetwork.com/view/diabetes-management-cancer-patients

[8] https://endocrinenews.endocrine.org/july-2014-double-jeopardy/

[9] Victor Lavis, MD, professeur au Département de néoplasie endocrinienne et des troubles hormonaux à l'Université du Texas MD Anderson Cancer Center à Houston.( https://endocrinenews.endocrine.org/july-2014-double-jeopardy/)

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La concertation citoyenne de l’INCA sur le futur plan cancer : une mascarade !

Dr M.Gourmelon

Dr C.Bour

17/12/2020

Récemment, l'Institut National du Cancer (INCA) en France a lancé une consultation citoyenne[1], que nous présentions dans un précédent article[2] afin que les Français puissent contribuer aux mesures de lutte contre le cancer proposées par l'INCa pour la prochaine décennie, mais aussi pour que les participants proposent eux-mêmes d'éventuelles idées.

Cette initiative est censée, rapelons-le, aboutir à plusieurs propositions concrètes pour une stratégie décennale de lutte contre le cancer qui sera remise au Gouvernement en décembre ; celui-ci en arrêtera, par décret, son contenu définitif.

Un communiqué de presse vient d'être édité [3], annonçant qu'aux 220 mesures initiales seront rajoutées 11 mesures nouvelles.

Des résultats de participation...enthousiasmants, vraiment ?

Les communicants de l'INCa nous livrent une présentation « victorieuse », mais au regard des chiffres annoncés, cela ressemble bien .... à un "bide" total.

En effet, "l’Institut national du cancer a invité chaque Français à s’exprimer sur le futur de la lutte contre les cancers des 10 prochaines années."

C'est donc une consultation nationale qui s'adresse à tous les français.

Considérant qu'il existe 47 millions de français inscrits sur les listes électorales, 2478 ont participé à cette concertation ce qui fait un pourcentage de participation ... proche de 0.

"Avec plus de 23 200 votes enregistrés sur la plateforme de consultation et un vote positif allant de 85 % à 95 % sur les axes stratégiques et leurs mesures, la mobilisation de nos concitoyens montre l’intérêt qu’ils portent à cet enjeu majeur de santé publique et leur adhésion massive au projet."

"Avec des votes positifs, compris entre 85 % pour l’axe 1 (Améliorer la prévention) et près de 95 % pour les mesures transversales, les participants ont massivement adhéré aux actions présentées dans la proposition de stratégie décennale. Ces résultats montrent l’adéquation entre les objectifs et mesures présentés et les attentes de nos concitoyens"

Un autre chiffre est avancé : "Aujourd’hui en France, 3,8 millions de personnes ont eu ou vivent avec un cancer. La maladie est présente dans le quotidien des Français (patients, proches, aidants)."

3.8 millions de personnes touchées par le cancer, mais il n'y a bien que 2478 participants effectifs.

Entre 85% à 95% d'approbation pour une participation en chiffres réels aussi faible, n'empêche pas l'INCA de se réjouir dans ce communiqué de presse "triomphal" , ni d'affirmer une «mobilisation de nos concitoyens (qui) montre l'intérêt qu’ils portent à cet enjeu majeur de santé publique et leur adhésion massive au projet ».

Notons que l'élaboration des propositions, " approuvée à l’unanimité par le Conseil d’administration de l’Institut, le 27 novembre," s'est faite uniquement au sein de l'INCA et du monde de la santé qui vit du cancer.

La mise en scène de chiffres aussi sensationnels n'est pas sans  rappeler la méthode de comptage chère aux républiques bananières lors d' élections "bidon" et la mise en scènes de chiffres d'adhésion spectaculaires. Il est toujours bien d' utiliser des astuces déjà éprouvées.

Le désolant exemple du dépistage du cancer du poumon

"La mesure la plus soutenue enregistre 257 votes (évaluation de la faisabilité d’un dépistage du cancer du poumon)" dit le communiqué de presse.

Hélas nous lisons que " c’est la mesure qui concerne la recherche sur le tabac et l’alcool qui remporte le moins d’adhésions (49). "

Il est bien connu à présent que la mesure la plus efficace serait une véritable campagne de prévention sur la consommation d'alcool et de tabac. Si ces deux éléments étaient l’objet d’actions bien plus fortes pour leur réduction on obtiendrait des résultats de santé publique importants, comme le souligne un excellent article récemment paru de John Horgan, journaliste scientifique [4] [5]. Selon l' auteur, les constatations sont celles d'une augmentation ou d'une baisse des décès par cancer qui suivent l'augmentation et la baisse du tabagisme, avec un décalage de quelques décennies.  Le tabagisme augmente le risque pour de nombreux cancers mais surtout celui du cancer du poumon qui est de loin le plus grand tueur, responsable de davantage de décès que le cancer du côlon, du sein et de la prostate réunis.

On estime que s'il n'y avait eu aucune réduction du tabagisme, il n'y aurait eu pratiquement aucune réduction de la mortalité globale par cancer, ni chez les hommes ni chez les femmes, depuis le début des années 1990.

Si les items de la consultation proposés aux participants contenaient ce genre d'informations, les votes eussent certainement été tout autres.

Les votes se sont portés majoritairement sur le dépistage proposé comme une avancée, mais même ce surplus de voix (257) ne constitue encore pas un chiffre permettant de saluer une "mobilisation et adhésion" faramineuse de nos concitoyens.

Nous ne pouvons qu'établir un parallèle avec le dépistage du cancer du sein ; nous sommes également en butte avec un enthousiasme débridé dans la présentation de "l'efficacité" de ce dépistage, en dépit d'études multiples, certaines très actuelles, de son échec sur la réduction significative de mortalité et de réduction des cancers graves.[6] [7]

Conclusion

Comme nous le pressentions, cette concertation n'est que poudre aux yeux pour laisser croire à une adhésion citoyenne massive alors que celle-ci est quasi nulle.

Des mesures sont formulées et présentées de façon flatteuse, de telle sorte que le citoyen ne puisse qu'adhérer en ayant une impression de mesures en sa faveur, et le communiqué de presse allègue, dithyrambique, une participation démentielle pour une opération qui s'avère un pétard mouillé.

L'INCA avance ainsi tranquillement ses propres volontés d'action [8] et tant pis si c'est en dépit des données de la science qui ne confirment pas l'efficacité de tous les dépistages mis en avant, et que les participants ont été appelés à voter sans aucune préparation ni information scientifique sur des sujets aussi spécifiques.

Mais c'est dans l'air du temps, l'opinion d'un public profane et surtout soigneusement désinformé sur des sujets de santé a le même poids et même davantage que les avis fondés sur la science et plus pondérés d'épidémiologistes ou de scientifiques indépendants. Nous avons pu constater cette tendance à l'envi lors de la communication désastreuse et débridée durant la période de la pandémie Covid 19, et la voilà concrétisée dans le procédé d'une consultation sans aucun intérêt, organisée par un institut public dans un plan cancer déjà décidé, présentée comme philanthropique et comme représentative des désirs de nos concitoyens.

Dans les régimes dictatoriaux, on s'y prend à peu près de la même façon.

Références


[1] https://consultation-cancer.fr/

[2] https://cancer-rose.fr/2020/12/15/inca-une-consultation-citoyenne-pourquoi/

[3] https://consultation-cancer.fr/pages/consultation-resultats-et-apports-citoyens

[4] https://cancer-rose.fr/2020/02/14/lindustrie-du-cancer-battage-mediatique-versus-realite/

[5] https://blogs.scientificamerican.com/cross-check/the-cancer-industry-hype-vs-reality/

[6] https://cancer-rose.fr/2020/07/26/etude-australienne-un-argument-factuel-de-plus-sur-linutilite-du-depistage-mammographique/

[7] https://cancer-rose.fr/2020/08/18/absence-de-benefice-des-mammographies-chez-les-femmes-agees-de-40-a-50-ans-les-resultats-finaux-de-lessai-uk-age-trial-confirment/

[8]  https://consultation-cancer.fr/projects/axe-3-lutter-contre-les-cancers-de-mauvais-diagnostics/consultation/consultation/opinions/1-developper-la-recherche-sur-les-cancers-de-mauvais-pronostic/mesures-proposees/organiser-le-depistage-du-cancer-du-poumon

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