Les atypies du sein, alléger le suivi

Traduction et synthèse par Cancer Rose, 10/02/2024

Article atypies et nouvelles recommandations

Opinion libre, Dr C.Bour, radiologue

Article connexe sur les 'in situ'

Atypies détectées lors du dépistage du cancer du sein et développement postérieur d'un cancer : analyse observationnelle de la cohorte prospective Sloane atypia en Angleterre.

BMJ 2024 ; 384 doi : https://doi.org/10.1136/bmj-2023-077039 (Publié le 01 février 2024)
https://doi.org/10.1136/bmj-2023-077039

Karoline Freeman, senior research fellow (Warwick Screening, Division of Health Sciences, Warwick Medical School, University of Warwick, Coventry, UK) ; David Jenkinson, senior research fellow (Screening Quality Assurance Service, NHS England, Birmingham, UK),Karen Clements, breast cancer research manager (Screening Quality Assurance Service, NHS England, Birmingham, UK), Matthew G Wallis, consultant radiologist,  Sarah E Pinder, professor of breast pathology,   Elena Provenzano, lead consultant breast pathologist, Hilary Stobart, patient representative, Nigel Stallard, professor of medical statistics, Olive Kearins, national lead breast screening, Nisha Sharma, consultant breast radiologist,  Abeer Shaaban, consultant pathologist, Cliona Clare Kirwan, consultant oncoplastic breast surgeon, Bridget Hilton, national audit project senior QA officer, Alastair M Thompson, section chief breast surgery, Sian Taylor-Phillips, professor of population health on behalf of the Sloane Project Steering Group.

QU'EST-CE QU'UNE ATYPIE ?

Ce terme regroupe ce qu'on appelle aussi "les lésions frontières", dont le nombre de cas augmente parallèlement au dépistage et depuis la multiplication des biopsies mammaires.
Elles constituent une frange dans les anomalies du sein située entre les lésions strictement bénignes et les lésions strictement malignes, et les limites entre les deux sont souvent floues, conduisant fréquemment l'anatomo-pathologiste à "upgrader" son compte rendu, de peur de sous-traiter. Ces lésions alimentent beaucoup la problématique du surtraitement généré par le dépistage systématique du cancer du sein.

Les lésions frontières sont variées, portent diverses dénominations selon leur caractérisation sous le microscope, et sont classées dans le tableau ci-dessous, en fonction du risque de cancer du sein qu'on leur attribue, le deuxième tableau listant les propositions thérapeutiques jusqu'à présent en vigueur.

PROBLEMES ET CONTEXTE

Ces lésions frontières ("borderline") soulèvent de multiples problèmes.
D’abord pour l'anatomo-pathologiste, leur identification diagnostique nécessite de la part du pathologiste une bonne expérience, une technique infaillible, une solide connaissance des critères de classifications garantissant que le résultat de l'analyse histologique puisse être reproductible et identique si lecture par une autre pathologiste, ce qui n'est pas toujours garanti....

Ensuite pour la patiente, la prise en charge thérapeutique se fait en fonction de ce qu'on a identifié dans le prélèvement d’une biopsie guidée. Mais les différentes entités trouvées dans un prélèvement sont parfois intriquées et les limites peu nettes ; dans un foyer d'atypie peut se retrouver un micro-foyer in situ, rendant les décisions de classification très difficiles et conduisant dans le sens d'un traitement plus lourd. Et très fréquemment on procède à l'exérèse de la plupart de ces lésions dont on estimait qu'elles conduiraient de facto à des lésions cancéreuses du sein, comme l'illustre la figure 1 de l'article sur l'étude dont nous allons parler. (Cliquez sur l'image)

Il s'agit d'une étude portant sur une cohorte de 3 238 femmes ayant reçu un diagnostic d'atypies épithéliales, appelée la cohorte anglaise 'Sloane'. Cette cohorte est reliée au registre anglais du cancer et au système d'information sur la mortalité et les naissances, pour obtenir des informations sur les cancers du sein subséquents et la mortalité.

L'objectif de l'étude était de comparer le nombre et le type de cancers du sein développés après le dépistage de l’atypie aux 11,3 cancers qu'on estime trouver ensuite par dépistage pour 1000 femmes au cours d’un cycle de dépistage de trois ans, au Royaume-Uni.
Plus précisément : On veut savoir si les femmes porteuses d'atypie ont un risque supplémentaire de développer davantage de cancers, si oui lesquels, et si oui quelles atypies prédisposent davantage au cancer.
A cet effet les données de cette cohorte ont été recueillies sur les formulaires de radiologie, d'histopathologie, de chirurgie et de radiothérapie, afin de fournir des preuves solides et généralisables sur le comportement des atypies.
On a comparé la survenue de cancers ultérieurs en comparant les femmes de la base de données du projet 'Sloane Atypia' aux données du Registre national des cancers, et les informations sur la mortalité ont été ajoutées.

Les principaux critères de suivi sont le nombre et le type des cancers du sein invasifs détectés un an, trois ans et six ans après le diagnostic de l'atypie, par type d'atypie, par âge et par année de diagnostic.

RAPPEL DES CONSTATS ACTUELS SUR LES ATYPIES

Les auteurs observent tout d'abord :
" La détection des atypies a été multipliée par quatre après l'introduction de la mammographie numérique entre 2010 (n=119) et 2015 (n=502)."

C'est ce qu'on voit très bien sur les graphiques détaillés ci-dessous, rassemblés dans la figure 3 de l'article. (Cliquez sur l'image)

Globalement on observe facilement ce bondissement des surdétections lors du passage au procédé de mammographie numérique vers 2010, beaucoup plus sensible notamment à la détection des microcalcifications. Les microcalcifications font partie des trois grands signes radiologiques que l'on recherche sur les clichés, qui peuvent annoncer la présence d'un cancer, et qui sont : les masses, les distorsions architecturales et les microcalcifications, que le procédé numérique détecte particulièrement bien.

Les explications avancées pour l'excès des détections de ces lésions sont les suivantes :

" Nous estimons que l'introduction progressive de la mammographie numérique en Angleterre depuis 2010, qui identifie davantage de microcalcifications, pourrait expliquer une grande partie de l'augmentation des atypies à partir de 2012....
Le reste de l'augmentation de l'incidence des atypies pourrait être dû à une modification des définitions des atypies et au fait que les pathologistes affinent leurs critères de diagnostic..."

" Un autre facteur pouvant être lié à l'augmentation des atypies pourrait être l'augmentation de la taille de l'aiguille de biopsie qui a pu être utilisée ces dernières années, augmentant la probabilité de trouver des atypies et diminuant la probabilité d'une classification erronée des atypies en carcinome in situ."

RESULTATS DE L'ETUDE

L'analyse a porté sur les questions clés suivantes :

1.         Combien de femmes développent un cancer après un diagnostic d'atypie et à quel moment ?
2.         Quel type de cancer se développe ?
3.         Combien de cancers ne sont pas détectés lors du diagnostic d'atypie ?
4.         Le risque de développer un cancer dépend-il du type d'atypie ?
5.         Quelle est la comparaison avec les femmes dépistées sans diagnostic d'atypie ?

Les résultats sont les suivants :

"-Le nombre de cancers après le diagnostic d'atypie (à 3 et 6 ans) était faible et ces cancers étaient similaires à ceux de la population générale de dépistage, avec un risque homolatéral et controlatéral similaire.
-Peu de cancers ont été manqués lors d'un diagnostic d'atypie et la VAE (excision mini-invasive assistée par le vide) n'a pas entraîné plus de cancers manqués que la prise en charge chirurgicale.
-Le nombre de cancers ne diffère pas significativement selon le type d'atypie, la densité mammaire ou l'âge après ajustement sur l'année du diagnostic.
-Le nombre de cancers après 3,5 ans suite au diagnostic d’atypie était égal au nombre de cancers dans la population générale de dépistage.
-Le risque de cancer au cours des dernières années était inférieur au risque historique, probablement en raison de l'introduction de la mammographie numérique qui identifie davantage de microcalcifications, d'un changement dans la nomenclature des atypies et de l'affinement des critères de diagnostic par les pathologistes, ainsi que de l'augmentation de la taille de l'aiguille de biopsie.

Pour résumer : " Les femmes dont les atypies ont été détectées plus récemment présentent des taux plus faibles de cancers subséquents détectés dans les trois ans" et " le grade, la taille et l'atteinte ganglionnaire des cancers invasifs ultérieurs étaient similaires à ceux des cancers détectés dans la population générale de dépistage, avec un nombre égal de cancers homolatéraux et controlatéraux."

Les analyses ont confirmé qu'à court terme, de nombreuses lésions atypiques peuvent représenter des facteurs de risque plutôt que de véritables précurseurs d'un cancer invasif et ont conclu qu'une mammographie annuelle pendant 5 ans après le diagnostic d'une atypie pourrait ne pas être bénéfique pour les femmes dans le cadre de l'actuel programme de dépistage du cancer du sein du NHS anglais. En outre, les changements récents apportés aux techniques de mammographie et de biopsie semblent identifier les cas d'atypie qui sont plus susceptibles de représenter un surdiagnostic."

CONCLUSION

Les auteurs concluent de la façon suivante :

" Il apparaît que peu de cancers ont été méconnus au moment du diagnostic de l'atypie et que la prise en charge non chirurgicale se révèle aussi sûre que l'excision chirurgicale de l'atypie dans cette cohorte.
Les caractéristiques des cancers détectés après une atypie étaient similaires à celles des cancers détectés dans la population générale de dépistage et aucun sous-groupe présentant un risque accru de développer un cancer invasif n'a été identifié.
Par conséquent, le signalement des atypies lors du dépistage pourrait contribuer au problème du surdiagnostic dans le cadre du dépistage du cancer du sein
."

Et de ce fait ils suggèrent :

"De nombreuses atypies pourraient représenter des facteurs de risque plutôt que des précurseurs de cancers invasifs...
Une mammographie annuelle à court terme après un diagnostic d'atypie pourrait ne pas être bénéfique. ..."

IMPLICATIONS POUR LA PRATIQUE CLINIQUE

Les recommandations pour le suivi de ces lésions nécessitent vraisemblablement un changement conséquent.
Les auteurs écrivent :
"Les résultats suggèrent qu'une mammographie annuelle supplémentaire pendant les trois premières années suivant un diagnostic d'atypie épithéliale pourrait ne pas être nécessaire en plus de la pratique de dépistage standard du Royaume-Uni proposée à toutes les femmes (c'est-à-dire une fois tous les trois ans).
Le nombre de femmes ayant reçu un diagnostic d'atypie et ayant développé un cancer au cours des trois premières années était faible."

Les lignes directrices au Royaume-Uni, en Europe et en Amérique recommandent généralement l'excision des atypies par biopsie ou par biopsie-exérèse chirugicale, suivie d'une surveillance rapprochée par imagerie.
En fonction de ce que cette étude rajoute comme connaissances sur ces lésions, les auteurs, dans une deuxième publication que nous allons voir, suggèrent une modification des recommandations.

Les connaissances supplémentaires que l'étude de cohorte Sloane apporte sont :
"- Le diagnostic de cancer du sein dans les trois ans suivant l'atypie était faible, en particulier dans les années les plus récentes (depuis 2012), et pourrait contribuer à l'augmentation du surdiagnostic dans le cadre du dépistage du cancer du sein.
- Des mammographies plus fréquentes pendant cinq ans après le diagnostic d'atypie pourraient ne pas être bénéfiques dans les programmes de dépistage du cancer du sein dont la qualité est assurée et qui prévoient l'utilisation universelle de la mammographie numérique et l'excision assistée par aspiration des lésions indéterminées ; ces protocoles de surveillance devraient être revus.
- Il n'a pas été démontré que l'ablation chirurgicale des atypies était nécessaire pour éviter les cancers manqués ; l'excision assistée par aspiration semble être aussi sûre que l'excision chirurgicale dans la prise en charge des atypies."

Des recommandations fondées sur ces nouvelles données doivent être envisagées.

Recommandations fondées sur des données probantes concernant la prise en charge des atypies dans le dépistage du cancer du sein : perspectives d'une réunion de consensus d'un groupe d'experts examinant les résultats du projet Sloane Atypia

British Journal of Radiology, Volume 97, Issue 1154, February 2024, Pages 324–330, https://doi.org/10.1093/bjr/tqad053

Karoline Freeman, PhD,  Alice Mansbridge, BSc,  Hilary Stobart, MSc,  Karen Clements, BSc, Matthew G Wallis, MBChB,  Sarah E Pinder, MBChB,  Olive Kearins, MSc, Abeer M Shaaban, MBBCh, MSc, PhD,  Cliona C Kirwan, MBBS, BSc, PhD, Louise S Wilkinson, BMBCh,  Sharon Webb, MPH,  Emma O’Sullivan, BSc, Jacquie Jenkins, MSc,  Suzanne Wright, PhD,  Kathryn Taylor, DCR, MSc, Claire Bailey, BNurs,  Chris Holcombe, MD,  Lynda Wyld, BMedSci, MBChB, PhD, Kim Edwards, MBBCh, DMRD,  David J Jenkinson, PhD,  Nisha Sharma, MRCP, Elena Provenzano, MB BS, PhD,  Bridget Hilton, BSc,  Nigel Stallard, PhD, Alastair M Thompson, BSc, MBChB, MD, Sian Taylor-Phillips, PhD on behalf of the Sloane Project Steering Group

Une réunion de consensus d'une demi-journée a été organisée ; elle réunissait 11 experts cliniques, un représentant de 'l'Independent Cancer Patients Voice', six représentants du NHS England, et deux chercheurs ; cette réunion a permis des discussions sur les résultats de l' analyse du projet Sloane Atypia, étude dont nous venons de parler plus haut, afin de re-considérer les lignes directrices et les conduites à tenir existantes.

Jusqu'à présent, expliquent les auteurs, " Les lignes directrices étaient basées sur les preuves existantes sur les taux de reclassification en « cancer » lors de l'excision, et sur le risque de cancer à long terme. Cependant, aucune preuve de l'efficacité de la mammographie de surveillance régulière à court terme n'était disponible et les lignes directrices incluaient un commentaire indiquant que cela devrait être modifié lorsque "davantage de données et de directives nationales seront disponibles".
Ce qui est maintenant le cas.

RECOMMANDATIONS REVUES POUR LES FEMMES AU ROYAUME UNI

Le groupe a décidé à une majorité de 17/19 (89,5 %, une personne ayant quitté le groupe) sur les données actuelles, que la mammographie de surveillance annuelle pendant les cinq premières années n'est pas bénéfique pour les femmes présentant des atypies, quel que soit le type d'atypie ou l'âge de la femme.

Le groupe recommande que les femmes présentant des atypies détectées au dépistage puissent se voir proposer un dépistage systématique tous les trois ans (comme cela est pratiqué pour la population des femmes âgées de 50 à 70 ans  au Royaume Uni), avec un message clair indiquant qu'elles n'avaient pas un cancer, et que leur prise en charge devait donc être la même que pour celles qui n'avaient pas d'atypie.

SITUATION EN FRANCE

Nous espérons grandement que les recommandations françaises évoluent aussi sagement vers une désescalade des suivis.
Voilà pour l'instant ce qui est préconisé par l'Institut National du Cancer et la Haute Autorité de Santé :

Au delà d'amoindrir ce suivi mammographique annuel prévu pendant 10 ans en France (seulement 5 ans en Angleterre jusqu'à présent), d'amenuiser les risques qui en découlent (irradiation, surdiagnostics), il s'agirait aussi de réduire l'anxiété liée à ce suivi excessif, et de libérer ces femmes de l'étiquette "femme à haut risque".

Les recommandations de la HAS de 2019 concernant les "modalités spécifiques de dépistage pour les femmes à haut risque", sont basées sur la recommandation de 2014, avec en bibliographie une note de cadrage datant, elle, de 2011 ; on ne peut pas dire que les sources soient très récentes.

Il est grand temps de moderniser tout cela, et, évidemment, de fournir aux femmes une information claire sur le surdiagnostic galopant et les surtraitements, qui surviennent à cause du dépistage lui-même, selon les demandes  de la concertations citoyenne de 2016, ce qui est soigneusement resté lettre morte jusqu'à présent.

Opinion libre, Dr Cécile Bour, radiologue

Je me permets ici quelques considérations personnelles, issues de ma propre pratique et des constatations que j'ai pu accumuler, ayant suivi de près ce dépistage depuis sa genèse et sa généralisation en 2004 en tant que jeune radiologue installée, jusqu'à l'aboutissement de nos jours, à un âge où ma carrière vient toucher à sa fin.

Il convient de rappeler, encore et toujours, que le but premier d'un dépistage n'est pas de récolter des lésions à foison, n'est pas de trouver un maximum de choses, mais d'en tirer des bénéfices de trois sortes :
réduire la mortalité par la maladie,
diminuer le nombre des formes avancées de cancer du sein,
alléger les traitements en faisant reculer les mastectomies totales et les traitements les plus lourds.

L’effet sur la mortalité par cancer du sein est non démontré (selon diverses hypothèses et diverses méta-analyse, il faudrait, en gros, suivre 700 à 2 500 femmes pendant quatorze ans à 20 ans pour trouver un seul décès évité). En parallèle :
Les diagnostics en excès, appelés les surdiagnostics, selon les évaluations les plus pessimistes atteignent 30 à 50 %.
les cancers de l’intervalle, malgré tous les efforts de détection précoce, qui sont les plus néfastes et agressifs, représentent toujours un tiers des cas de cancers .
* les traitements agressifs sont en augmentation. (Environ 30 à 35% de chimio- et radiothérapies en plus. Les procédures chirurgicales ne diminuent en rien, au contraire).

À partir, déjà des années 1990, au fur et à mesure que se développe le dépistage, on observe une flambée de cancers canalaires in situ.
Cet accroissement spectaculaire du nombre de cancers in situ diagnostiqués est signalé déjà en 1996 par Virginia Ernster, une épidémiologiste de l’université de Californie, San Francisco (ernster vl, Barclay J et al. Incidence of and treatment for ductal carcinoma in situ of the breast. JAMA. 1996 Mar 27;275(12):913-8. )

Les atypies et lésions frontières sont mises en évidence déjà par Nielsen ce que relate une méta-analyse d'études d'autopsies, sur 13 études  de 10 pays différents, sur 6 décades (de 1948 à 2010), incluant  2363 autopsies avec 99 cas de cancers dits "incidentalomes" (cancers de découverte fortuite), de lésions précancéreuses, de cancers in situ et d'hyperplasies atypiques, mais parallèlement peu de cancers invasifs.

Deux études apportent elles aussi une lumière sur ces lésions et sur le fait que leur présence dans le sein est fréquente, sans que la vie des femmes soit impactée : l’étude de Nashville au Tennessee (page Dl, dupont WD et al. Continued local recurrence of carcinoma 15-25 years after a diagnosis of low grade ductal carcinoma in situ of the breast treated only by biopsy. Cancer. 1995 Oct 1;76(7):1197-200. ), et l’étude de Bologne en Italie (euseBi v, FoscHini mp et al. Long-term follow-up of in situ carcinoma of the breast. Seminars in Diagnostic Pathology. 1989;6(2):165-173. )

Elles relatent les cas de femmes pour qui le diagnostic de carcinome in situ a été fait avec un retard de dix à vingt ans. Lors de la première lecture effectuée des biopsies, faite dans les années 1950 pour l'une et en 1960 pour l'autre étude, les lésions avaient été classées bénignes.
Les femmes n’avaient donc pas été traitées.
Mais après la relecture plus récente ensuite de ces mêmes biopsies, il s’est avéré que ces femmes étaient en fait bel et bien porteuses d’un cancer in situ.
Comment ces cancers qui avaient échappé à la vigilance des médecins ont-ils évolué ? Parmi les femmes du Tennessee, dix ans plus tard, 25 % d'entre elles, vivantes, avaient un cancer invasif et parmi les Italiennes, vingt ans plus tard, 11 % avaient un cancer invasif, ce qui revient à dire que respectivement 75 % et 89 % de ces femmes porteuses d’un carcinome in situ n’avaient PAS développé de cancer invasif.

On peut bien sûr objecter que c'est dommage pour la majorité de femmes porteuses d’un cancer in situ de se voir traitées inutilement pour sauver la petite minorité avec CIS et qui, elle, va présenter un cancer invasif. Mais que c'est un dommage somme toute acceptable.
Si cela était bien le cas et que les traitements des CIS étaient bénéfiques, on observerait chez les femmes dépistées une diminution des formes les plus graves de cancers et une baisse drastique de la mortalité par cancer du sein. Or, cela ne se produit pas.

Une étude très récente démontre que les dépistages ne prolongent pas la durée de la vie.
L'étude de Toronto montre que traiter les cancers canalaires in situ ne réduit pas la mortalité par cancer du sein, et que la prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduit pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

Le diagnostic par dépistage d’un cancer in situ impacte profondément la qualité de la vie des femmes, qui, non informées de ces potentiels dangers auxquels le dépistage les expose, subissent toujours des traitements agressifs et une profonde angoisse de maladie sans bénéfice prouvé.

Où en sommes-nous à présent ?

Nous essayons de "rattraper le coup". On s'est fourvoyés, on a promis l'impossible aux femmes et comme ce Titanic de dépistage ne peut plus faire marche arrière, alors nous essayons de lui lancer quelques bouées de sauvetage en tentant, tant bien que mal, de limiter les dégâts et de prôner une désescalade thérapeutique.
Mais nous poussons le cynisme à faire cela "en accord avec la patiente", en lui donnant la possibilité de faire sa "propre décision". Alors oui c'est très bien et très moderne la décision partagée, nous-mêmes militons pour, car qui pourrait être contre.
Mais finalement, après avoir terrorisé les femmes pendant des décennies sur la possibilité de contracter un cancer du sein si on relâchait ne serait-ce qu'un tantinet la pression, après leur avoir corné que chaque minute compte, qu'il ne faut pas laisser la moindre petite cellule dégradée dans un sein, là maintenant on freine des quatre fers pour réduire nos traitements abusifs, et nous faisons peser tout le poids de la décision que la femme estimera toujours lourde de conséquences sur ses épaules, à elle.
Les interrogations "ai-je bien fait?" lui pèseront comme une épée de Damoclès toute sa vie durant, et de contrôle en contrôle.
Nous ne pourrons pas, en rien, avec cette désescalade thérapeutique que nous appelons de nos voeux, pour autant soulager les femmes d'une angoisse mortelle, nous avons juste lâchement glissé la responsabilité du terrain du médecin vers celui de la femme.

Cela au lieu d'avoir le courage, tous, d'avouer aux femmes que les campagnes de dépistage ont été instaurées trop vite, trop tôt, sans preuve suffisante, qu'on a fait fausse route, qu'on s'est plantés, qu'il n'y a pas de perte de chance réelle à ne pas aller au dépistage, qu'on peut faire sans, que finalement plus on avance, et plus on bidouille, plus on change notre "cuisine thérapeutique" sans parvenir à bout du cancer tueur, le seul qu'il nous fallait juguler, ce que le dépistage a complètement échoué à faire.

Je trouve cette lâcheté et ce culot à faire tout peser sur les épaules des femmes d'un cynisme confondant.

Article connexe : Changer le discours sur le carcinome canalaire in situ et le risque de cancer du sein

Nous avons maintes fois parlé du cas particulier du carcinome in situ (CIS), considéré comme un non-cancer, ou comme un cancer "stade 0", à ce point qu'il n'est pas comptabilisé dans les chiffres des nouveaux cas de cancers du sein dans les statistiques des instituts surveillant l'épidémiologie des maladies, ni par l'Institut National du Cancer.
Certains scientifiques pensent qu'il faudrait le "débaptiser", et ne plus le nommer "carcinome". Il est davantage considéré actuellement comme un facteur de risque non obligatoire de faire un cancer du sein ultérieur.
Il faut changer le discours sur cette entité particulière, et re-considérer le risque auquel il exposerait les femmes de cancer invasif, et de ce fait changer aussi les attitudes de suivi et les préconisations thérapeutiques.
Même démarche à faire, en somme, que pour les atypies, en tous cas pour aller au final vers une désescalade thérapeutique, et une vision moins affolante pour les femmes sur leur état de "malade".

C'est ce qui ressort de cette publication d'octobre 2023, que nous vous traduisons ci-dessous, et qui donne les résultats d'un travail de recherche, appelé PRECISION. Le but de ce projet de recherche est de savoir comment le CIS à faible risque diffère du CIS à plus haut risque, pour aider les femmes à mieux adapter les traitements et éviter les surtraitements.

L'article :

En ce mois de sensibilisation au cancer du sein, les nouvelles découvertes de l'équipe PRECISION du Cancer Grand Challenges montrent que le développement d'un cancer du sein à partir d'un CCIS est un événement rare et soulignent le besoin urgent de marqueurs pronostiques précis pour lutter contre le surtraitement du CCIS.

En 2015, Cancer Grand Challenges a lancé le défi Cancers létaux et non létaux dans le but de trouver des moyens de distinguer les cancers létaux qui doivent être traités des cancers non létaux qui ne doivent pas l'être. Depuis 2017, l'équipe PRECISION, dirigée par le professeur Jelle Wesseling de l'Institut néerlandais du cancer (NKI), relève ce défi dans le cas du carcinome canalaire in situ ( CCIS).

Le CCIS est caractérisé par la présence de cellules anormales dans les canaux lactifères du sein. Par définition, ces cellules anormales ne sont pas invasives, mais dans un petit nombre de cas, elles peuvent se transformer en cancer du sein invasif ipsilatéral (même sein).
Bien que le risque d'évolution vers un cancer du sein soit faible, le CCIS est souvent considéré comme un cancer du sein précoce et donc traité comme tel. Une partie des efforts de PRECISION a consisté à affiner cette description.
Dans une nouvelle étude multinationale portant sur plus de 47 000 femmes atteintes de CCIS aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux États-Unis, publiée dans le British Medical Journal, l'équipe a rapporté que l'incidence cumulée sur 10 ans du cancer du sein invasif ipsilatéral après un CCIS était de 3,2 %.
"Je pense que notre résultat le plus important est que le cancer invasif ipsilatéral après un CCIS est vraiment un événement rare et qu'il est donc d'autant plus important de déterminer qui sont les femmes à risque. Le CCIS en lui-même ne met pas la vie en danger et nous ne voulons pas traiter toutes les femmes de manière intensive et inutile", déclare le professeur Marjanka Schmidt du NKI, co-chercheur dans PRECISION et auteur principal de l'article.

Cette découverte s'inscrit dans le cadre d'une étude visant à déterminer l'association entre la taille du CCIS et l'état de la marge avec le risque de développer un cancer du sein invasif dans le côté ipsilatéral. Ces deux facteurs cliniques sont souvent utilisés en clinique pour stratifier le risque de lésions CCIS et déterminer la marche à suivre pour le traitement.
Actuellement, le traitement est généralement recommandé pour toutes les femmes atteintes de CCIS et peut inclure la chirurgie, la radiothérapie et l'hormonothérapie. Les médecins peuvent utiliser le grade du CCIS pour décider de la meilleure approche thérapeutique.
Mais dans la plupart des cas, les femmes auront subi un traitement pour un CCIS qui n'aurait pas évolué en cancer. Pour réduire le fardeau du surtraitement, il est urgent de trouver des moyens de distinguer les cas de CCIS qui présentent un risque élevé d'évoluer vers un cancer du sein invasif de ceux qui présentent un risque faible.

L'équipe a combiné les données de quatre cohortes de patientes - une des Pays-Bas, une du Royaume-Uni et deux des États-Unis - comprenant 47 695 femmes diagnostiquées avec un CCIS entre 1999 et 2017 et ayant subi soit une chirurgie conservatrice du sein, soit une mastectomie, souvent suivie d'une radiothérapie ou d'un traitement hormonal, soit les deux.
Ils n'ont trouvé qu'une faible relation entre la taille du CCIS et l'état des marges et le risque de cancer du sein invasif ultérieur dans le même sein, concluant que les caractéristiques cliniques telles que celles-ci étaient limitées dans la discrimination entre les CCIS à faible risque et à haut risque.
"Nous avons conclu que ces associations ne sont pas suffisamment importantes pour guider, dans la pratique clinique, les décisions concernant les personnes à traiter et celles à ne pas traiter", déclare Marjanka.

Cette étude est la plus importante du genre à ce jour pour explorer la valeur des facteurs de risque pronostiques après un CCIS. Elle a été rendue possible grâce aux collaborations internationales établies entre les groupes de recherche de PRECISION et au financement à grande échelle de l'initiative "Cancer Grand Challenges".
"En combinant et en comparant les différentes cohortes de patients, nous avons constaté que le risque de cancer du sein invasif ultérieur dans le même sein est très similaire au Royaume-Uni, aux États-Unis et aux Pays-Bas, et que d'autres variables cliniques sont également très comparables. Bien que les cohortes aient été constituées de manière différente et que les traitements soient quelque peu différents d'un pays à l'autre, les risques réels pour les femmes sont très similaires", ajoute le Dr Esther Lips du NKI, co-chercheur de PRECISION et auteur principal de l'article.

Souligner la nécessité de relever le défi des cancers létaux ou non létaux

L'objectif du défi "Cancers létaux ou non létaux" était d'identifier les changements qui distinguent une tumeur non létale d'une tumeur potentiellement létale, puis de déterminer comment ces changements peuvent être détectés avec précision.
Les travaux de l'équipe PRECISION soulignent la nécessité de relever ce défi dans le cas du CCIS et soulèvent des considérations importantes pour la gestion clinique du CCIS.
"Tout ce que nous savions sur le CCIS dans la pratique quotidienne avant PRECISION était largement basé sur des séries relativement petites, souvent biaisées, qui ne pouvaient pas avoir l'impact nécessaire pour informer les lignes directrices dans la clinique", déclare Jelle.
"Tout en voulant préserver les excellents résultats des traitements pour les femmes présentant un CCIS à haut risque, nous devons savoir exactement quelles sont les femmes qui courent un risque élevé. Je pense que cet article montre que certains facteurs clés utilisés en clinique, tels que la taille et l'état des marges, ne sont en fait pas vraiment indicatifs du risque. Même s'ils font une légère différence, ils n'ont pas d'utilité clinique".

Parallèlement à la recherche de l'équipe, le travail collaboratif de l'équipe PRECISION a suscité d'importantes conversations au-delà des frontières nationales entre les chercheurs, les défenseurs des patients et les cliniciens sur la définition du CCIS et la sensibilisation au risque de cancer du sein.
La compréhension du risque est particulièrement importante pour les femmes atteintes d'un CCIS qui sont confrontées à la décision de poursuivre ou non le traitement.
"Les femmes ont besoin de beaucoup plus d'informations sur leurs risques individuels futurs avant de prendre des décisions de traitement, mais le dilemme est que les cliniciens et les scientifiques ne peuvent toujours pas distinguer en toute sécurité quel CCIS évoluera et lequel n'évoluera pas", déclare Hilary Stobart, une représentante des patientes au sein de l'équipe.
"L'équipe internationale PRECISION travaille d'arrache-pied pour résoudre ce dilemme en collaborant à la recherche d'une combinaison de biomarqueurs qui permettra de distinguer en toute sécurité les femmes dont le CCIS doit être traité de celles qui n'en ont pas besoin. Cette vaste étude internationale en conditions réelles constitue une étape importante vers cet objectif, afin que les femmes et leurs cliniciens puissent prendre des décisions éclairées en matière de traitement et éviter éventuellement un surtraitement. Ce fut un grand privilège pour moi de défendre les intérêts des patientes en travaillant avec l'équipe de PRECISION".

Les résultats soulignent le besoin de nouveaux marqueurs pronostiques, et PRECISION a exploré plusieurs pistes dans le but de trouver des marqueurs biologiques qui peuvent être utilisés comme outils pour évaluer le risque de cancer du sein après un diagnostic de CCIS.

L'équipe PRECISION est financée par Cancer Research UK et la KWF Dutch Cancer Society.
"Au sein d'une équipe pluridisciplinaire, PRECISION tente d'identifier les facteurs de risque permettant de prédire si une femme atteinte d'un CCIS a besoin d'un traitement ou non. La possibilité d'adapter les traitements au risque individuel, dans le but d'éviter le surtraitement, s'inscrit parfaitement dans les objectifs principaux de la KWF, à savoir stimuler un meilleur traitement pour chaque type de cancer et viser une meilleure qualité de vie pour les patients", déclare Carla van Gils, directrice de la KWF Dutch Cancer Society.

Lire l'article complet dans le British Medical Journal.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Cancer du sein invasif et décès par cancer du sein après carcinome canalaire in situ

Synthèse et traduction par Cancer Rose, 30/01/2024

Cancer du sein invasif et décès par cancer du sein après un carcinome canalaire in situ détecté sans dépistage, de 1990 à 2018 en Angleterre

https://www.bmj.com/content/384/bmj-2023-075498

Il s'agit d'une étude de cohorte basée sur la population sur les données du Registre National des maladies, sur toutes les 27 543 femmes en Angleterre qui ont reçu un diagnostic de carcinome canalaire in situ (CIS), et en dehors du programme de dépistage du cancer du sein, de 1990 à 2018.

Le carcinome in situ (CIS) du sein est appelé ainsi car il est défini par la prolifération de cellules cancéreuses à l’intérieur d’un canal galactophore sans que les cellules ne dépassent la paroi du canal pour envahir le reste du sein, au contraire du carcinome invasif.

Objectifs de l'étude:

Évaluer les risques à long terme de cancer du sein invasif et de décès liés au cancer du sein après un carcinome canalaire in situ non détecté.
Les risques ont été comparés pour les femmes de la population générale et pour les femmes diagnostiquées avec un carcinome canalaire in situ via le programme de dépistage.

Résultats et conclusion de l'étude

Au 31 décembre 2018, 3651 femmes présentant un carcinome canalaire (CIS) non détecté ont développé un cancer du sein invasif, soit plus de quatre fois le taux national attendu d’incidence du cancer du sein invasif.

Dans l'étude, pendant au moins 25 ans après leur diagnostic, les femmes présentant un carcinome canalaire non détecté in situ présentaient des risques de carcinome invasif et de décès par cancer du sein à long terme plus élevés que les femmes de la population générale.
Elles présentaient aussi des risques à long terme plus élevés que les femmes présentant un carcinome canalaire in situ dépisté.

La mastectomie était associée à des risques plus faibles de cancer du sein invasif que la chirurgie conservatrice du sein, même accompagnée de radiothérapie. Cependant, les risques de décès par cancer du sein semblaient similaires pour la mastectomie, la chirurgie conservatrice du sein avec radiothérapie et la chirurgie conservatrice du sein sans radiothérapie enregistrée.

Deux questions majeures que pose l'étude

1- Faut-il s'étonner que les femmes avec un CIS diagnostiqué hors dépistage ont un risque considérablement accru (x 4) de développer par la suite un cancer invasif et d'en décéder ?

Arnaud Chiolero, professeur de santé publique du Laboratoire de santé des populations à l' Université de Fribourg, (Suisse), et de l'École des populations et de la santé mondiale, Université McGill, Montréal, Canada, répond à l'article.

" Faut-il s'étonner que le carcinome canalaire in situ (CCIS) du sein non détecté lors du dépistage entraîne un risque relativement élevé de mortalité par cancer du sein ? Pas vraiment.
Par analogie avec le risque de mortalité plus élevé des cancers du sein invasifs d'intervalle - c'est-à-dire les cancers détectés entre les examens de dépistage - et en comparaison avec les cancers invasifs détectés par dépistage on s'attend à ce que le CCIS détecté par dépistage et non détecté par dépistage présente un contraste de risque analogue.
C'est le résultat, du moins en partie, du biais de lenteur d’évolution (ou biais de sélection des cas de meilleur pronostic ou "length time bias").
Cela s'explique également par le fait que les cas dépistés et non dépistés proviennent de sous-populations différentes."

Ce qui est expliqué là signifie que le dépistage a tendance à sélectionner les cancers de meilleurs pronostic. Les cancers à évolution rapide, de moins bon pronostic, invasifs ou in situ, apparaissent souvent dans "l'intervalle", c'est à dire entre deux mammographies, ce sont des cancers non dépistés.
Selon A. Chiolero, le sur-risque auquel un cancer d'intervalle invasif expose une femme est à mettre en parallèle avec un sur-risque qu'on constatera pour un cancer in situ d'intervalle, de façon analogue.

Ce cancer d'intervalle auquel A.Chiolero fait allusion est par définition un cancer qui n’était pas là lors de l’examen mammographique, ou qui y a échappé.
Ces tumeurs sont de stade plus avancé et à caractéristiques biologiques d'emblée, structurellement, plus défavorables que les cancers détectés par mammographie.
Ils ne sont pas issus de cancers de stade plus bas, mais proviennent d'une sous-population de cellules d'emblée plus agressives.

En effet, 43 % (41/96) des cancers d'intervalle sont des tumeurs primaires de stade 2 ou plus, contre seulement 12 % (139/1136) des cancers du sein détectés par dépistage (p < 0,001).
Par rapport aux cancers détectés par dépistage, les cancers d'intervalle peuvent être in situ, mais sont plus souvent des cancers invasifs que des carcinomes canalaires in situ (88 % contre 75 %, p = 0,007.
(Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/02/20/cancers-dintervalle-incidentalomes-les-perdants-des-depistages/ )

Le fait-même d'avoir eu un carcinome in situ est considéré comme facteur de risque 'non obligatoire' de cancer du sein invasif. Ces populations de femmes avec antécédent de carcinome in situ sont, de façon connue, plus à risque de refaire soit un in situ, soit un invasif, et probablement davantage encore lorsqu'elles ont connu une forme de CIS échappant au dépistage.

Comme le formule Dr V.Robert, notre statisticien, ce constat "n'est pas un scoop, Il y a longtemps qu'on sait que le fait d'avoir fait un 1er épisode de cancer du sein témoigne de l'existence de facteurs de risque et augmente la probabilité de faire de nouveaux épisodes. Et ces nouveaux épisodes ne seront pas forcément eux aussi des CIS."

2-Deuxième question, plus importante encore à poser : devons-nous considérer que le dépistage du cancer du sein échoue parce qu'il n'identifie pas ces cas ?

A nouveau professeur Chiolero y répond :

"... Devons-nous considérer que le dépistage du cancer du sein échoue parce qu'il n'identifie pas ces cas ? Non.
Le véritable objectif du dépistage du cancer n'est ni de trouver des cas ni d'établir un diagnostic précoce ; il est de réduire la mortalité liée au cancer.
La découverte d'un plus grand nombre de cas, à un stade précoce, résulte du dépistage mais n'est pas utile en soi. Par conséquent, si de nombreux dépistages, par exemple du cancer de la thyroïde ou du mélanome, augmentent le nombre de cas identifiés et modifient la distribution en faveur des cancers à un stade précoce, ils ne réduisent pas la mortalité par cancer - et c'est pourquoi ils ne sont pas recommandés.

Il serait possible, et relativement simple, de relever le nombre de cas détectés par le dépistage en augmentant la fréquence des examens, par exemple en passant d'un examen tous les deux ou trois ans à un examen annuel. Le coût, cependant, sera un plus grand nombre de faux positifs et de cas surdiagnostiqués, sans pour autant réduire davantage la mortalité par cancer du sein."

Le carcinome in situ possède un très bon pronostic comparé au carcinome invasif, il est de stade de malignité moindre.
la plupart des CIS sont considérés, comme dit plus haut, comme des lésions- précurseurs non obligatoires du cancer invasif ; paradoxalement l’augmentation spectaculaire de leur détection suivie de leur ablation chirurgicale n’a pas été suivie de baisses proportionnelles de l’incidence des cancers invasifs. Et leur hyper-détection par la multiplication des dépistages n'a pas réduit la mortalité par cancer du sein.

Comme le résume Dr Robert :
"Prétendre que les réductions de risque observées dans l'étude sont dues au fait que le CIS a été découvert par dépistage, c'est prêter au dépistage des vertus préventives qu'il n'a pas et ne peut pas avoir (la mammographie de dépistage n'évite pas le cancer, elle en fait le diagnostic plus tôt)."
Or, comme le souligne Pr Chiolero, le but premier d'un dépistage est avant tout de réduire la mortalité par la maladie.

De ces interrogations en résulte une troisième : comment expliquer les réductions de risque observées dans l'étude ?

Ou autrement dit comment expliquer le sur-risque de cancer du sein en cas de CIS non détecté ?
Comme on l'a vu plus haut, les cancers découverts dans l'intervalle, donc loupés par le dépistage, sont d'emblée à caractéristiques plus péjoratives, et exposent à un risque accru.

On peut rajouter une autre explication que donne Dr Robert :

" Comme il ne s'agit pas d'une étude randomisée, les groupes ne sont pas comparables. Les femmes avec CIS non diagnostiqués par le dépistage n'ont pas les mêmes facteurs de risque que les femmes avec CIS diagnostiqués par le dépistage.
Dans un pays où plus de 70% des femmes concernées participent au dépistage sur invitation, les 30% de femmes qui ne participent pas ont très vraisemblablement des profils socioculturels différents des autres femmes et ces profils différents pourraient très bien expliquer un risque accru de cancers invasifs (soit plus de risque de cancers, soit plus de risque de le diagnostiquer à un stade invasif) et de décès."

Pour conclure

Il n'est pas étonnant que les femmes ayant un antécédent de carcinome in situ aient davantage de risques de carcinome invasif, il est connu que le fait d'avoir eu un "in situ" constitue un potentiel facteur de risque de connaître un "vrai" cancer du sein ultérieurement.
Depuis une étude de l'université de Toronto on sait que le traitement des CIS ne fait pas de différence sur la survie des femmes et n'a pas permis de réduire la mortalité par cancer du sein invasif.

Les cancers se manifestant hors dépistage sont souvent de stade plus avancé, car le dépistage recrute de façon préférentielle les cancers de bas stade, et pas ceux de stade plus évolué qu'ils soient invasifs ou in situ, car ces cancers échappent au dépistage, sont d'emblée plus agressifs et se manifestent souvent dans l'intervalle de deux mammographies.
Ces cancers évoluant hors dépistage exposent certainement à un sur-risque de cancer invasif et de risque décès.

Le but d'un dépistage n'est pas de recruter toujours plus de ces lésions "in situ", qui sont globalement de pronostic meilleur et de stade de malignité moindre que les invasifs, de par le fait qu'ils ne franchissement pas la membrane des canaux du sein.
Le but d'un dépistage est de réduire la mortalité par cancer de façon drastique, et aucune étude récente ne parvient à démontrer cela en matière de cancer du sein.

Les réponses d'autres scientifiques à l'article

Dr Vincent Robert, statisticien du groupe Cancer Rose

Mannu et al. (1) ont publié un article évaluant les risques de cancer du sein invasif et de décès par cancer du sein après découverte, en dehors du dépistage, d’un carcinome canalaire in situ (DCIS). L’étude confirme que les risques de cancer invasif et de décès sont fortement augmentés, multipliés par 4 par rapport à la population générale, après un 1er épisode de DCIS non découvert par mammographie de dépistage dans le cadre du programme de dépistage du NHS.

L’étude compare également les risques de cancer du sein invasif et de décès par cancer du sein chez les femmes ayant eu un DCIS découvert en dehors du dépistage et chez les femmes ayant eu un DCIS découvert à l’occasion du dépistage. Ces risques sont significativement augmentés lorsque le DCIS a été découvert en dehors du dépistage.

Pour éviter toute erreur d’interprétation, il est important de rappeler pourquoi ces résultats, intéressants pour organiser au mieux la surveillance après un 1er épisode de DCIS, ne permettent aucune conclusion sur l’efficacité du dépistage.
Il s’agit d’une étude observationnelle et, en l’absence de randomisation et d’informations sur les facteurs de risque de cancer du sein et de décès par cancer du sein, une répartition équilibrée de ces facteurs de risque entre les groupes dépistés et non dépistés n’est pas garantie.

La comparaison ne porte pas sur des DCIS dépistés versus des DCIS non dépistés. La comparaison concerne en fait, d’un côté, des DCIS découverts à l’occasion du dépistage sur invitation dans le cadre du programme de dépistage du NHS, et, de l’autre côté, des DCIS découverts en dehors de tout dépistage, plus des DCIS découverts à l’occasion d’un dépistage hors programme du NHS, plus des DCIS découverts durant l’intervalle entre 2 dépistages chez des femmes participant au dépistage du NHS.
Ainsi, la fréquence plus élevée des récurrences et des décès après DCIS « non dépistés » pourraient s’expliquer par des facteurs de risque plus élevés chez les femmes dépistées en dehors du programme du NHS et chez les femmes avec un DCIS de l’intervalle, plutôt que par l’efficacité du dépistage.

A juste titre, les auteurs se gardent bien de tirer de leur étude toute conclusion sur l’efficacité du dépistage et il convient de respecter cette prudence.

1. Mannu GS, Wang Z, Dodwell D, Broggio J, Charman J, Darby SC. Invasive breast cancer and breast cancer death after non-screen detected ductal carcinoma in situ from 1990 to 2018 in England: population based cohort study. BMJ 2024; 384:e075498

Hazel Thornton, Independent Citizen Advocate for Quality in Research and Healthcare ,University of Leicester (Hon. DSc. (Leicester)) Colchester

Richard Smith se demande [dans son blog non médical du 29 janvier] si la complexité de la question du carcinome canalaire in situ (CCIS) s'est améliorée depuis 2011, date à laquelle il a assisté à une conférence à Édimbourg qui traitait de ce sujet[1]. [Je partage ses doutes quant à l'amélioration de la situation. Je dirais même que c'est pire. L'étude rapportée par Mannu et ses collègues renforce cette conclusion[2] Les incertitudes continuent d'augmenter en ce qui concerne la prise de décision, les meilleurs traitements, sa pathologie, son potentiel de progression, etc.

Arnaud Chiolero, professeur de santé publique et épidémiologiste à Fribourg (Suisse), explique de manière concise et claire pourquoi il n'est pas utile de détecter le cancer à un stade précoce et pourquoi les conclusions de Mannu et de ses collègues ne sont pas surprenantes. [3]

Inévitablement, le processus décisionnel des professionnels de la santé et des citoyens est tout aussi nébuleux - si ce n'est plus - qu'il l'a été depuis l'introduction du programme de dépistage mammographique, car toute cette activité préjudiciable, produisant ces citoyens iatrogènes devenus patients, n'a que peu ou pas d'effet sur l'objectif du dépistage du cancer du sein, qui est de réduire la mortalité liée au cancer. La Suisse, par exemple, a sagement mis fin à cette pratique en 2016[4]. [4]

Imaginez le nombre considérable d'heures-femmes libérées de cette anxiété particulière si le Royaume-Uni faisait de même ! Sans parler des ressources du NHS qui pourraient être utilisées à bien meilleur escient pour soigner les malades au lieu que de laisser les milliers de femmes étiquetées inutilement " cancéreuses " porter le fardeau trop longtemps, avec tous ses effets néfastes, si nous suivions l'exemple de la Suisse !

[1] Richard Smith. Communicating with patients about ductal carcinoma in situ: confusing for all. 31st January 2024. https://blogs.bmj.com/bmj/2011/09/07/richard-smith-communicating-with-pa...

[2] Mannu GS, Wang Z, Dodwell D, Broggio J, Charman J, Darby SC. Invasive breast cancer and breast cancer death after non-screen detected ductal carcinoma in situ from 1990 to 2018 in England: population-based cohort study. BMJ 2024; 384:e075498.

[3] Arnaud Chiolero. Finding all cases not the role of cancer screening. BMJ rapid response 28th January 2024. https://www.bmj.com/content/384/bmj.q22/rr

[4] Shelley Lane. Mammography Screening is being abolished in Switzerland. October 16 2016. https://www.beaconthermography.com/resources/2016/10/16/mammography-scre...

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

D’abord ne pas nuire

29/01/2024

L'un des paradoxes de l'imagerie médicale moderne est que la capacité de multiplier les images du corps humain de manière toujours plus détaillée et toujours plus fine, avec une résolution de plus en plus haute, est aussi la source de nuisances et de cascades d'examens dont beaucoup sont inutiles.
Les progrès technologiques ont conduit à une augmentation de détections et de découvertes d'images qui ne sont pas liées au motif principal de l'examen, et qui sont appelées " fortuites ", ou incidentalomes.

Beaucoup d'entre eux sont inoffensifs, mais ces découvertes fortuites ont des conséquences importantes pour la santé du patient, lui occasionnant un parcours médicalisé coûteux et excessif.

Nous avions déjà abordé ce problème dans un article en février 2023 ; le sujet est repris dans une publication en décembre dernier.
Synthèse et traduction par Cancer Rose-

« D'abord ne pas nuire » en réponse à des résultats d'imagerie fortuits

Ian A Scott, John Slavotinek and Paul P Glasziou Med J Aust ||  doi: 10.5694/mja2.52177

Les incidentalomes

"Vous demandez une angiographie pulmonaire par tomodensitométrie (CTPA) pour un patient suspecté de thromboembolie pulmonaire. Le rapport radiologique indique qu'aucune thromboembolie pulmonaire n'est observée mais signale la présence d'un nodule pulmonaire non apparenté. Que faire de cette découverte fortuite, ou "incidentalome" ?" Demandent les auteurs.

"Les incidentalomes sont des lésions, généralement asymptomatiques, détectées par hasard chez des patients qui subissent un examen d'imagerie pour une raison sans rapport.1 Ils apparaissent dans environ 15 à 30 % de tous les examens d'imagerie diagnostique et dans 20 à 40 % des examens de tomodensitométrie (TDM) et d'imagerie par résonance magnétique (IRM).1,2,3 L'utilisation croissante de ces examens d'imagerie, le vieillissement de la population et l'amélioration de la résolution d'image des appareils modernes sont à l'origine d'une augmentation des incidentalomes."1,4,5

Le problème pour radiologues et cliniciens est de trouver le bon équilibre entre sous-investigation de lésions potentiellement graves et surdiagnostic de lésions bénignes conduisant à leur sur-investigation.
L'article vise à analyser les lignes directrices actuelles et à proposer des recommandations pour les radiologues et les médecins traitants, afin de minimiser les prises en charge délétères et des soins de faible valeur ajoutée, n'apportant aucun bienfait au patient, et qui sont induits par ces incidentalomes.

Avantages et inconvénients de la détection précoce

Détecter une maladie grave ou évolutive pour mieux la traiter est évidemment un bénéfice des investigations et de la technologie modernes que personne ne conteste, mais ces améliorations sont à la source d'un nouveau défi, à savoir ne pas nuire à la personne examinée.

"..la plupart des incidentalomes s'avèrent bénins mais provoquent l'anxiété du patient et des préjudices dus aux cascades d'investigations, y compris les complications des procédures invasives telles que les biopsies, le risque de radiation de l'imagerie de suivi, les coûts indirects et l'utilisation des ressources pour les systèmes de soins de santé.6 Les incidentalomes résultent du fait qu'une technique d'imagerie a détecté par inadvertance des organes du corps humain qui n'étaient pas les organes cibles d'intérêt."

Les dépistages sont pourvoyeurs de ce genre de détections, bénignes et asymptomatiques.
Les auteurs reprennent l'exemple sus-cité :
"Par exemple, dans une étude sur les CTPA (angiographie pulmonaire par tomodensitométrie) réalisées dans un service d'urgence d'un hôpital tertiaire sur des patients suspectés de thromboembolie pulmonaire, un examen sur quatre a révélé une découverte fortuite (nodule pulmonaire ou glande lymphatique hypertrophiée), alors que la thromboembolie pulmonaire n'a été observée que chez un patient sur dix.7
D'après d'autres études, la majorité de ces nodules (85 % ou plus) s'avèreront bénins.8,9

La question qui se pose est donc celle de la stratification du risque de chaque incidentalome en fonction des facteurs de risque du patient, du contexte clinique et de la morphologie de l'image. Un nodule pulmonaire dense et spiculé sur un CTPA d'un gros fumeur de 58 ans est probablement malin et justifie une intervention. En revanche, une opacité molle mal définie chez un non-fumeur de 30 ans qui subit un CTPA est très probablement bénigne et l'intervention peut lui être préjudiciable."

Bien qu'il s'avère que ces découvertes bénignes sont en nombre croissant et prédominent largement par rapport aux "vraies" pathologies, la judiciarisation actuelle de la médecine, le traitement médiatiques des sujets de santé incitant à de la sur-consommation médicale, la conviction répandue qu'il vaut mieux faire trop que pas assez, le manque cruel d'information médicale et du public et des milieux journalistiques vont favoriser la surmédicalisation nuisible des personnes.
Même si par hasard on tombe sur une découverte fortuite de réelle lésion, à l'échelle populationnelle on ne constate aucune réduction de la mortalité.
Ce que les auteurs résument ici :

"Malgré la prédominance des maladies bénignes sur les maladies cliniquement importantes, l'incertitude diagnostique, les estimations inexactes du risque de maladie10, la réduction des préjudices potentiels en aval11, la médecine défensive12, la peur du patient et du clinicien13, les normes professionnelles14 et les biais cognitifs15 poussent les radiologues et les cliniciens traitants à "jouer la carte de la sécurité" et à favoriser l'intervention.

Pour un individu, la détection et l'ablation d'une masse fortuite considérée comme bénigne mais confirmée ultérieurement comme cancéreuse est considérée comme un avantage évident. Mais au niveau de la population, les études montrant une augmentation substantielle des diagnostics de cancer du rein au cours des 20 dernières années en raison de l'augmentation de l'imagerie ne montrent aucune réduction de la mortalité associée au cancer mais plutôt une augmentation des taux de néphrectomies en cas de suspicion de cancer."16,17

(Cette notion contre-intuitive selon laquelle toujours plus de dépistages ne se traduisent pas, comme attendu, par un gain de survie a été mise en lumière dans cette récente meta-analyse d'essais cliniques randomisés. )

Fréquences variables des incidentalomes

"La caractérisation des incidentalomes et l'évaluation de leur potentiel d'évolution vers une maladie grave se sont avérées difficiles. La fréquence rapportée des incidentalomes détectés dans les mêmes organes varie considérablement.1,2,3 Cela peut refléter une prévalence* différente des incidentalomes dans différentes populations de patients (par exemple, l'ethnie et l'âge), ou des différences dans la façon dont les radiologues effectuent les prises de vue, classent et rapportent les incidentalomes.
*Prévalence : nombre de cas d'une maladie dans une population à un moment donné, comprenant les anciens cas plus les nouveaux cas arrivants.

La proportion d'incidentalomes qui s'avèrent malins varie également considérablement, en raison de la variation de la durée et du type de suivi, et de l'ampleur de la confirmation histologique motivée par le biais de l'investigation.18
Moins de 5 % des lésions impliquant le cerveau, la parotide et la glande surrénale s'avèrent malignes, tandis que les incidentalomes rénaux, thyroïdiens, ovariens, pancréatiques et mammaires sont classés comme malins dans 25 à 40 % des cas.1,2,19
Cependant, les cancers se répartissent entre tumeurs indolentes ou in situ et de tumeurs à croissance rapide, si bien que la classification binaire cancer/non-cancer est trompeuse sur le plan du pronostic et favorise le surtraitement des cancers non évolutifs."

Autrement dit, le surdiagnostic est aussi le fait des analyses anatomo-pathologiques, conduisant à un surclassement des lames examinées, par prudence, pour être sûr que le maximum sera fait pour le patient, "au cas où".

En effet, l'évolution d'une tumeur trouvée incidemment est un paramètre inconnu.
Le schéma de la croissance linéaire et prévisible du cancer est mis à mal par les connaissances modernes en cancérologie. Le modèle intuitif et intellectuellement commode selon lequel une tumeur est d'abord petite, puis va croître de façon prévisible et va pouvoir être empêchée de menacer la vie grâce à la détection précoce ne tient pas, confronté aux faits.
Les tumeurs réellement dangereuses et agressives sont souvent à croissance très rapide et d'emblée à caractéristiques biologiques péjoratives, les tumeurs indolentes sont à croissance plutôt lente, l'hôte meurt "avec" son cancer et pas "à cause" de lui.
Certaines tumeurs croissent puis cessent leur évolution, d'autres régressent.
Certaines métastasent avant même d'être visibles en imagerie.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

Mais l'évolution de la tumeur qu'on a fortuitement découverte, ce qu'on appelle son "histoire naturelle", son potentiel évolutif ne sont pas connus, ne sont pas prévisibles, ce qui fait que toute découverte sera traitée puisqu'on ne peut pas prendre de pari sur son potentiel évolutif.
Ainsi le surtraitement de lésions bénignes est nettement plus fréquent parce que la présence de lésions cancéreuses in situ ou latentes et non évolutives est beaucoup plus fréquente que ce qu'on imaginait. Tout cancer ne se manifeste pas et ne menace pas la vie, être porteur d'une lésion cancéreuse ne signifie pas automatiquement et inéluctablement être "malade" du cancer.
En revanche toute découverte conduira à une prise en charge médicalisée de même
agressivité, que la lésion soit de faible potentiel malin ou pas.

Prise en charge des incidentalomes

Les auteurs écrivent :

"Les recommandations des radiologues aux cliniciens référents sur la manière de gérer un incidentalome doivent reposer sur une prédiction précise du risque et sur la prise en compte du rapport bénéfice/risque des examens et procédures complémentaires, des préférences du patient, de la durée de vie escomptée, de la lourdeur des comorbidités20 et de l'utilisation des ressources. Il manque souvent une compréhension de l'histoire naturelle et des caractéristiques pronostiques de nombreux incidentalomes (peu d'études de cohortes à long terme)21 , ainsi que des avantages, des inconvénients et du rapport coût-efficacité d'une prise en charge spécifique (peu d'essais contrôlés)22.

Les lignes directrices pour la prise en charge des incidentalomes, inexistantes pour de nombreux organes, s'adressent généralement aux radiologues et mettent l'accent sur la taille, la localisation et l'anatomie de la lésion pour estimer la probabilité de malignité.23 Cependant, cette probabilité n'est pas autrement quantifiée dans la plupart des rapports que : "probablement bénin", "suspect" ou "très suspect".
Pour certaines lésions, comme les kystes du pancréas, les comptes rendus "probablement bénins" comportent encore trop souvent des recommandations pour une imagerie plus sensible afin d'obtenir une caractérisation plus fine, des scanners en série pour évaluer les changements structurels au fil du temps, ou même une imagerie du corps entier pour exclure les métastases.24
Dans les cas impliquant d'autres organes, les radiologues peuvent émettre des recommandations très différentes, reflétant l'incertitude persistante autour du pronostic.
Les lésions très suspectes ou celles qui présentent des biomarqueurs nettement élevés (par exemple, l'antigène prostatique spécifique dans le cancer de la prostate, les taux hormonaux dans les cancers de la surrénale) justifient clairement une intervention, mais il s'agit là de rares exceptions plutôt que de la règle."1,2,3

Recommandations pour réduire les soins de faible valeur induits par
les incidentalomes

Les auteurs concluent leur article en émettant des recommandations afin de limiter ces sur-détections inutiles qui impacteront lourdement la vie, sur le plan et physique et psychologique, des patients. Les voici traduites et restituées :

Éviter les examens d'imagerie injustifiés

Les incidentalomes seront moins nombreux si l'on demande moins d'imagerie dans les situations où des règles de décision validées permettent d'exclure certains diagnostics sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'imagerie.
Dans une étude menée dans un hôpital, 55 % des CTPA demandés pour exclure une thromboembolie pulmonaire auraient pu être évités en utilisant les scores de Wells (score diagnostiques pour évaluer la probabilité des phlébites et d'une embolie pulmonaire, NDLR), et les dosages de D-dimères (recherche de fragments de fibrine dans le sang, principale composante des caillots sanguins, NDLR).25

Sensibiliser aux risques potentiels

Les cliniciens doivent être conscients du risque de préjudice lié à l'utilisation d'imagerie hyper-précise et en discuter explicitement avec les patients, qui sont actuellement rarement informés du risque de découverte fortuite lors de la prescription d'examens radiologiques26.

Améliorer la caractérisation des incidentalomes et la
stratification des risques

Tous les radiologues devraient se familiariser avec les revues d'études systématiquement développées pour les incidentalomes communs et spécifiques aux organes, qui mettent l'accent sur les caractéristiques permettant de distinguer les lésions bénignes des lésions cliniquement importantes, en fonction de la modalité d'imagerie.

Plusieurs études de ce type ont été publiées récemment.27 Les modèles de prédiction des risques multiples qui intègrent les caractéristiques des lésions et des patients méritent d'être davantage utilisés, tandis que les nouvelles applications d'imagerie basées sur l'apprentissage automatique peuvent être encore plus performantes pour prédire la malignité des nodules thyroïdiens et pulmonaires, par exemple.28,29
A un niveau plus élémentaire, lors de l'interprétation d'une nouvelle image, la récupération d'images ou de rapports antérieurs permet d'identifier les incidentalomes préexistants et tout changement d'intervalle suggérant une maladie évolutive. Cela nécessite une meilleure mise en réseau et une plus grande inter-opérabilité des différents systèmes électroniques de radiologie afin de permettre un transfert transparent de ces informations.
L'accès des radiologues aux dossiers médicaux électroniques peut également rendre les facteurs de risque pertinents plus visibles pour les radiologues (par exemple, fumeur, cancers antérieurs) lors de l'interprétation des incidentalomes, plutôt que de s'appuyer sur des formulaires de demande qui peuvent parfois être obscurs.

Optimiser les recommandations de prise en charge

Au niveau du système, les radiologues et les spécialistes d'organes devraient collaborer à l'élaboration de recommandations explicites pour la prise en charge d'incidentalomes spécifiques,30 plutôt que de confier ces décisions aux médecins traitants.
Aux États-Unis, l'American College of Radiology a mis en place un 'Incidental Findings Committee' qui, à ce jour, a produit 14 lignes directrices pour les incidentalomes, créées par consensus entre les spécialistes de l'imagerie et les cliniciens31.

En pratique, dans une étude ciblant les kystes ovariens fortuits, une telle collaboration a vu l'adhésion aux lignes directrices passer de 50 % à 80 %.
La prise en charge excessive des cas (c'est-à-dire le suivi inutile ou trop fréquent) a diminué de 34 % à 10 %.32
Au niveau du patient individuel, la prise en charge des lésions indéterminées pourrait impliquer une équipe multidisciplinaire de radiologues, de spécialistes d'organes et de cliniciens référents, dans laquelle le partage d'informations sur les facteurs de risque du patient et d'autres variables contextuelles pourrait aider l'interprétation et les conseils du radiologue, et assurer un bilan diagnostique opportun des incidentalomes.33
Ces efforts peuvent être facilités par un logiciel en réseau qui permet de transmettre aux cliniciens traitants et au personnel chargé d'assurer le suivi du patient des rapports radiologiques standardisés contenant des textes relatifs aux incidentalomes et à leur prise en charge mis en évidence 34.

Emettre des rapports médicaux précis et prudents

Les incidentalomes considérés comme probablement bénins doivent être explicitement signalés comme tels, sans pré-supposé d'un potentiel malin. Les recommandations faites aux médecins traitants de procéder à des examens complémentaires doivent, dans la mesure du possible, citer la directive pertinente, tout en tenant compte des préférences du patient.

Inclure dans les essais cliniques des rapports sur les résultats
des incidentalomes

Les essais cliniques impliquant des examens d'imagerie (par exemple, l'utilisation de la coronarographie par tomodensitométrie pour stratifier le risque chez les patients souffrant de douleurs thoraciques) devraient recueillir des données sur les incidentalomes identifiés et les conséquences pour les patients résultant de leurs investigations.
Cela fournirait ainsi des données prospectives supplémentaires sur leurs
caractéristiques et leur histoire naturelle.

Conclusion des auteurs

"L'utilisation croissante de l'imagerie médicale va probablement entraîner la détection d'un plus grand nombre d'incidentalomes, ce qui peut conduire à un interventionnisme inapproprié.
Une meilleure sensibilisation des cliniciens et des patients à ce risque, l'application d'une approche plus factuelle et basée sur le risque aux demandes d'imagerie, l'application d'une approche plus factuelle et basée sur le risque à la déclaration des incidentalomes sont des stratégies de correction potentielles.

Étant donné que la certitude dans l'interprétation de tous les incidentalomes restera difficile à atteindre, toutes les parties concernées devront peut-être accepter un certain niveau de risque lorsqu'elles décideront de la nécessité d'un examen plus approfondi.
Il est impératif de prévenir les préjudices psychologiques et physiques causés aux patients par la surdétection et la surinvestigation des incidentalomes d'imagerie, ainsi que de limiter les coûts liés à ces pratiques, rendant inévitablement les soins de santé plus difficiles d'accès pour d'autres patients qui en ont davantage besoin."

En d'autres termes, la surmédicalisation d'une partie de la population a pour corollaire la sous-médicalisation d'une autre.

Si on veut aboutir à un juste accès des soins pour toute la population, il faut déjà éviter la surconsommation inutile d'imagerie et de suivis qui en découlent.

Références

  • 1. Lumbreras B, Donat L, Hernández‐Aguado I. Incidental findings in imaging diagnostic tests: a systematic review. Br J Radiol 2010; 83: 276‐289.

  • 2. O'Sullivan JW, Muntinga T, Grigg S, Ioannidis JPA. Prevalence and outcomes of incidental imaging findings: umbrella review. BMJ 2018; 361: k2387.

  • 3. Evans CS, Arthur R, Kane M, et al. Incidental radiology findings on computed tomography studies in emergency department patients: a systematic review and meta‐analysis. Ann Emerg Med 2022; 80: 243‐256.

  • 4. Smith‐Bindman R, Miglioretti DL, Larson EB. Rising use of diagnostic medical imaging in a large integrated health system. Health Aff (Millwood) 2008; 27: 1491‐502.

  • 5. Deyo R. Cascade effects of medical technology. Annu Rev Public Health 2002; 23: 23‐44.

  • 6. Ganguli I, Simpkin AL, Lupo C, et al. Cascades of care after incidental findings in a US national survey of physicians. JAMA Netw Open 2019; 2: e1913325.

  • 7. Hall WB, Truitt SG, Scheunemann LP, et al. The prevalence of clinically relevant incidental findings on chest computed tomographic angiograms ordered to diagnose pulmonary embolism. Arch Intern Med 2009; 169: 1961‐1965.

  • 8. Benjamin MS, Drucker EA, McLoud TC, Shepard JA. Small pulmonary nodules: detection at chest CT and outcome. Radiology 2003; 226: 489‐493.

  • 9. Iribarren C, Hlatky MA, Chandra M, et al. Incidental pulmonary nodules on cardiac computed tomography: prognosis and use. Am J Med 2008; 121: 989‐996.

  • 10. O'Neill CJ, Spence A, Logan B, et al. Adrenal incidentalomas: risk of adrenocortical carcinoma and clinical outcomes. J Surg Oncol 2010; 102: 450‐453.

  • 11. de González SAB, Mahesh M, Kim KP, et al. Projected cancer risks from computed tomographic scans performed in the United States in 2007. Arch Intern Med 2009; 169: 2071‐2077.

  • 12. Berlin L. The incidentaloma: a medicolegal dilemma. Radiol Clin North Am 2011; 49: 245‐255.

  • 13. Ganguli I, Simpkin AL, Colla CH, et al. Why do physicians pursue cascades of care after incidental findings? A national survey. J Gen Intern Med 2020; 35: 1352‐1354.

  • 14. Brown SD. Professional norms regarding how radiologists handle incidental findings. J Am Coll Radiol 2013; 10: 253‐257.

  • 15. Busby LP, Courtier JL, Glastonbury CM. Bias in radiology: the how and why of misses and misinterpretations. Radiographics 2018; 38: 236‐247.

  • 16. Turner RM, Morgan TM, Jacobs BL. Epidemiology of the small renal mass and the treatment disconnect phenomenon. Urol Clin North Am 2017; 44: 147‐154.

  • 17. Welch HG, Skinner JS, Schroek FR, et al. Regional variation of computed tomographic imaging in the United States and the risk of nephrectomy. JAMA Intern Med 2018; 178: 221‐227.

  • 18. Fu T, Plecha D, Sommer J. System‐driven longitudinal follow‐up of incidental imaging findings. Br J Radiol 2023; 96: 20220573.

  • 20. Raphel TJ, Weaver DT, Berland LL, et al. Imaging follow‐up of low‐risk incidental pancreas and kidney findings: effects of patient age and comorbidity on projected life expectancy. Radiology 2018; 287: 504‐514.

  • 21. Podbregar A, Kocjan T, Rakuša M, et al. Natural history of nonfunctioning adrenal incidentalomas: a 10‐year longitudinal follow‐up study. Endocr Connect 2021; 10: 637‐645.

  • 22. Lee RA, Uzzo RG, Anaokar J, et al. Pathological and clinical outcomes in a large surveillance and intervention cohort of radiographically cystic renal masses. J Urol 2023; 209: 686‐693.

  • 23. Johnson PT, Horton KM, Megibow AJ, et al. Common incidental findings on MDCT: survey of radiologist recommendations for patient management. J Am Coll Radiol 2011; 8: 762‐767.

  • 24. Bobbin MD, Ip IK, Sahni VA, et al. Focal cystic pancreatic lesion follow‐up recommendations after publication of ACR white paper on managing incidental findings. J Am Coll Radiol 2017; 14: 757‐764.

  • 25. Perera M, Aggarwal L, Scott IA, Cocks N. Underuse of risk assessment and overuse of computed tomography pulmonary angiography in patients with suspected pulmonary thromboembolism. Intern Med J 2017; 47: 1154‐1160.

  • 26. Kole J, Fiester A. Incidental findings and the need for a revised informed consent process. AJR Am J Roentgenol 2013; 201: 1064‐1068.

  • 27. Given‐Wilson R, Screaton N, Taylor SA. Incidental imaging findings from head to toe: challenges and management: introductory editorial. Br J Radiol 2023; 96: 20239002.

  • 28. Peng S, Liu Y, Lv W, et al. Deep learning‐based artificial intelligence model to assist thyroid nodule diagnosis and management: a multicentre diagnostic study. Lancet Digit Health 2021; 3: e250‐e259.

  • 29. Baldwin DR, Gustafson J, Pickup L, et al. External validation of a convolutional neural network artificial intelligence tool to predict malignancy in pulmonary nodules. Thorax 2020; 75: 306‐312.

  • 30. Fassnacht M, Arlt W, Bancos J, et al. Management of adrenal incidentalomas: European Society of Endocrinology clinical practice guideline in collaboration with the European Network for the Study of Adrenal Tumors. Eur J Endocrinol 2016; 175: G1‐G34.

  • 32. Kim DC, Bennett GL, Somberg M, et al. A multidisciplinary approach to improving appropriate follow‐up imaging of ovarian cysts: A quality improvement initiative. J Am Coll Radiol 2016; 13: 535‐541.

  • 33. Farmer CI, Bourne AM, O'Connor D, et al. Enhancing clinician and patient understanding of radiology reports: a scoping review of international guidelines. Insights Imag 2020; 11: 62.

  • 34. Emerman CL, Gallagher MA, Diaz PJ. Incidental radiology findings: effectiveness of a radiology–electronic medical records interface system for improving communication. J Clin Outcomes Manag 2012; 19: 111‐115.

  • 35. Crable EL, Feeney T, Harvey J, et al. Management strategies to promote follow‐up care for incidental findings: a scoping review. J Am Coll Radiol 2021; 18: 566‐579.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Réduction de mortalité imputable au dépistage ? On en reparle

Publication JAMA

Synthèse par Cancer Rose, 18/01/2024

Question

Quelles sont les associations entre dépistage du cancer du sein, traitement du cancer du sein de stade I à III et traitement du cancer du sein métastatique avec l’amélioration de la mortalité par cancer du sein aux États-Unis entre 1975 et 2019?

Résultats

Les améliorations du traitement et du dépistage après 1975 ont été associées à une réduction de 58 % de la mortalité par cancer du sein en 2019, passant d’environ 64 décès sans intervention à 27 pour 100 000 femmes (ajusté en fonction de l’âge). Environ 29 % de cette réduction était associée au traitement du cancer du sein métastatique, 25 % au dépistage et 47 % au traitement du cancer du sein de stade I à III.

Signification et conclusion

Sur la base de 4 modèles de simulation, le dépistage du cancer du sein, le traitement du cancer du sein de stade I à III et le traitement du cancer du sein métastatique ont été associés à une réduction de la mortalité par cancer du sein entre 1975 et 2019 aux États-Unis.

Limites et critiques

Selon les auteurs :

Cette étude comporte plusieurs limites.
Premièrement, l’exactitude du modèle dépend des hypothèses formulées, pour lesquelles les données exactes n’étaient pas toujours disponibles.
Deuxièmement, les modèles ne tenaient pas compte des disparités potentielles, par exemple, selon l’âge, la race et l’origine ethnique, dans la diffusion ou l’efficacité du dépistage et des traitements. Les disparités dans le dépistage du cancer du sein, ainsi que la rapidité et la qualité du traitement, peuvent contribuer aux taux différentiels de mortalité par cancer du sein.
Troisièmement, les coûts du traitement et leurs liens avec les résultats n’ont pas été inclus dans les modèles.

Critique Cancer Rose, par Dr V.Robert, statisticien

Il y a surtout au moins un problème majeur : l'estimation des réductions de mortalité est faite par rapport à la  mortalité sans intervention (en l'absence de dépistage et de chimiothérapie) estimée par les modèles .
Pour obtenir cette mortalité sans intervention en 2019, on applique la létalité de 1975 (avant dépistage et chimiothérapie, donc sans intervention) aux cancers de 2019 (le processus est un peu plus complexe mais ça revient à ça).
Comme l'incidence des cancers a augmenté, du fait du dépistage, cela conduit à une mortalité théorique en augmentation, passant de 48 décès / 100 000 (mortalité réelle sans
intervention) en 1975 à 65 décès / 100 000 (mortalité sans intervention estimée par le modèle) en 2019.
Le problème c'est que l'augmentation de l'incidence des cancers est essentiellement due au dépistage, donc pour une large part à des surdiagnostics dont la létalité est nulle. La
létalité modélisée de 1975 n'a donc aucun sens pour les cancers de 2019 qui comportent des surdiagnostics.

Une meta-analyse récemment publiée faisait état d'aucun gain en durée de vie par dépistages, ce qui posait des questions plus perturbantes sur la pertinence du maintien et surtout de la promotion des dépistages sans information auprès des populations-
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/10/17/pas-de-prolongement-de-la-duree-de-vie-grace-aux-depistages/

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Faire sa mammo et puis ses courses, ou inversément…

Synthèse et traduction par Cancer Rose, 10 janvier 2024

Walmart pilote un centre de dépistage du cancer du sein en magasin

https://chainstoreage.com/walmart-pilots-store-breast-cancer-screening-center

L'article relate un projet de la société d'imagerie diagnostique ambulatoire RadNet Inc. qui a ouvert un centre de dépistage par mammographie à l'intérieur du supercentre Walmart de Milford, dans l'État de Delaware.
Walmart est une multinationale américaine spécialisée dans la grande distribution, 

"Le centre "MammogramNow", qui propose des dépistages de base par mammographie, s'appuie sur une technologie de pointe, alimentée par l'intelligence artificielle (IA), qui permet d'améliorer le niveau de performance des dépistages et de favoriser une détection plus précoce, selon RadNet." relate l'article.
"En plaçant le programme MammogramNow dans le supercentre Walmart, RadNet et Walmart cherchent à rendre les dépistages de la santé du sein plus accessibles, en encourageant des soins de santé proactifs et communautaires", a déclaré la société dans un communiqué.
Dans le cadre de ce projet pilote, RadNet encouragera activement les initiatives d'éducation et de sensibilisation à la santé du sein, en fournissant à la communauté de Milford des informations essentielles sur la santé du sein et sur la nature cruciale des dépistages réguliers."

Le projet est promu comme une innovation capitale, en permettant un accès encore plus grand et plus pratique aux femmes.

Dans les 366 centres d'imagerie que possède déjà RadNet les personnes se voient proposer mammographies, des tomodensitométries, des imageries par résonance magnétique (IRM), des échographies et d'autres examens d'imagerie diagnostique.
Entre 2019 et la fin de l'année dernière, Walmart a ouvert 30 centres de santé dans des magasins de l'Arkansas, de la Floride, de la Géorgie, de l'Illinois et du Texas. Chacun de ces centres de santé offre aux clients un accès à des cliniques de soins primaires et dentaires, à certains services de soins urgents et, dans certains endroits, à des services de santé mentale.
"Le géant de la distribution Walmart poursuit son expansion dans le domaine des soins de santé par le biais de ses magasins indépendants et prévoit d'ouvrir 28 nouveaux centres de santé Walmart en 2024," peut-on encore lire. 

Dans un autre media (https://labusinessjournal.com/featured/radnet/) on apprend encore que "contrairement à ses centres d'imagerie diagnostique autonomes, le centre pilote de mammographie de RadNet, qui vient d'ouvrir ses portes dans le supercentre Walmart de Milford, dans le centre-sud de l'État du Delaware, ne propose que des examens de base par mammographie, sans possibilité de suivi si la mammographie donne un résultat positif."

L'entreprise RadNet se targue de mettre ainsi la mammographie à la portée de toutes, et, "pour les femmes qui n'ont pas d'assurance maladie, RadNet facture un prix au comptant pour la mammographie de dépistage ; ce prix est généralement égal ou inférieur au taux de remboursement de l'assurance susmentionné."

Voilà donc une entreprise extrêmement lucrative autant pour étendre l'implantation de RadNet, mais aussi pour Walmart, dont on ne connait pas les détails de l'accord financier conclu avec la société RadNet ; mais Walmart bénéficie bien évidemment financièrement du projet. On ignore exactement si Walmart partage les revenus encaissés par RadNet ou encaisse simplement les paiements de la location.
Selon l'article sus-cité "l'augmentation du nombre de dépistages par mammographie devrait également accroître les recettes de RadNet. Pour les neuf premiers mois de l'année, RadNet a déclaré près de 1,2 milliard de dollars de recettes provenant de ses centres d'imagerie, soit une augmentation de 14 % par rapport à la même période de l'année précédente.
Le bénéfice net pour ces neuf mois a été de 4,9 millions de dollars..."

Préoccupations

Sous couvert de meilleur accès à des soins, les femmes sont ainsi à nouveau les enjeux d'un business lucratif, sans aucune information sur la balance bénéfice-risque du dépistage, sur le surdiagnostic, sur le risque de fausses alertes.   
De quelle nature seront ces "informations essentielles sur la santé du sein et sur la nature cruciale des dépistages réguliers" ? Comprendront-elles les informations tout aussi cruciales sur la radiotoxicité, le danger de multiplier les examens trop souvent, de les commencer trop jeune, de la possibilité de détections inutiles ?

Les femmes seront abandonnées en cas de test positif et devront refaire ailleurs des investigations pour confirmer le diagnostic établi dans ces centres en cas de diagnostic positif ou suspect, générant des situations de stress, des recherches de rendez-vous et des déplacements supplémentaires.

Ce qu'on ignore également est la question de la traçabilité des examens, est-ce qu'une femme peut faire par exemple plusieurs examens de dépistage tous les ans, ou tous les 6 mois, en fait comme bon lui semble, s'exposant à une radiotoxicité non suivie et non contrôlée ?

Conclusion

Si cette situation s'implante plus largement, comme en Amérique et s'importe sous nos latitudes, il est fort à parier que les appétits débridés des entreprises d'imagerie joints à ceux de ces centres commerciaux évolueront rapidement vers des pôles commerciaux polyvalents offrant des soins de santé, sans contrôle possible. Ces soins de santé seront intégrés dans nos habitudes de consommation, en offrant aux gens des solutions pratiques et banalisant les risques inhérents à tout dispositif de santé utilisé de façon irrationnelle.

Dès que la finance et les intérêts s'invitent dans la médecine, on finit par jouer aux apprentis sorciers.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Innovation ne rime pas avec progrès

8 décembre 2023, à propos d'un article publié dans le BMJ, traduction, synthèse et commentaires par Cancer Rose.

L'industrie du "Big Gene" au sein du NHS* - cela représente-t-il une bonne valeur ?

BMJ 2023; 383 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.p1921 (Published 01 December 2023)

Margaret McCartney, GP-https://www.bmj.com/content/383/bmj.p1921
Margaret Mary McCartney est médecin généraliste, rédactrice indépendante à Glasgow,( Écosse). Elle défend l'EBM, la médecine fondée sur les preuves, et elle est chroniqueuse au British Medical Journal.

*Le NHS est le National Health Service est le système de santé du Royaume-Uni ; il fournit l'essentiel des soins et c'est un système universel basé sur la résidence, financé par les impôts et d'accès gratuit pour tous les résidents légaux du Royaume-Uni.

Selon l'auteure, "la décennie écoulée a été principalement remplie d'idées qui semblent géniales, mais qui ne sont pas étayées par beaucoup de preuves."
Elle mentionne pour exemple le déploiement en médecine pour le triage des patients (lire ici), et "la mise en service du Programme national pour l'informatique (démantelé en 2011 après avoir coûté des milliards)" au pays.

l'ère du "Big Gene", le projet "Our Future Health" (OFH)

L'auteure écrit :

"Il se veut "le plus grand programme de recherche en santé jamais réalisé au Royaume-Uni", "conçu pour aider les gens à vivre plus longtemps en bonne santé grâce à la découverte et à l'expérimentation d'approches plus efficaces en matière de prévention, de détection plus précoce et de traitement des maladies".
Il est principalement financé par l'industrie des sciences de la vie, mais aussi par le gouvernement et les organisations caritatives. Le projet prévoit de recruter environ cinq millions de patients en soins primaires, qui subiront une prise de sang et un prélèvement d'ADN. Leur score de risque polygénique sera calculé et ils seront ensuite invités à participer à d'autres études. Celles-ci seront principalement menées par l'industrie, qui pourra faire accréditer ses propres systèmes pour stocker les données dépersonnalisées des participants."

Des interrogations de fond

"Nous avons besoin d'essais cliniques de haute qualité en médecine, mais nous devons également investir dans les projets de manière judicieuse. Peut-on raisonnablement s'attendre à ce que les scores de risque polygénique répondent aux objectifs du projet ? Il s'agit d'un dépistage, c'est-à-dire d'une intervention complexe dans laquelle un test n'est qu'une petite partie d'un processus plus large. Les scores de risque polygénique classent les personnes selon un risque plus ou moins élevé, mais il faut se rappeler les statistiques de base sur les valeurs prédictives."

Que sont les scores polygéniques ? Vous trouverez toutes les explications détaillées dans notre article ; les scores polygéniques examinent des milliers de variantes génétiques dans le génome d'une personne pour estimer son risque de développer une maladie spécifique.
C'est une analyse effectuée habituellement sur un prélèvement salivaire.
Chaque variant génétique a un effet sur le risque de développer une maladie pour un individu, mais en examinant toutes les variantes ensemble on espère et on pense pouvoir dire quelque chose de significatif sur le risque global, pour le porteur, de développer une maladie.
Mais ces scores auront toujours des limites pour prédire avec exactitude et ils soulèvent beaucoup de déceptions et de doutes dans la communauté scientifique qui appelle à ce que cliniciens et le public soient conscients de ces limites.

Dr MacCartney résume ici de façon on ne peut plus synthétique ces fameuses "statistiques de base sur les valeurs prédictives":
"plus on essaie de ne pas rater des personnes atteintes d'une maladie grave, plus il faut dépister de personnes ; plus il y a de personnes dépistées, plus il y a de faux positifs. En limitant le test aux personnes à haut risque, le nombre de faux positifs diminuera, mais comme les maladies se déclarent généralement dans le groupe plus large des personnes à faible risque, vous les manquerez également en grande partie. C'est pourquoi un dépistage efficace des maladies est exceptionnel : il fonctionne rarement assez bien pour faire plus de bien que de mal."

Une réflexion de fond sur les dépistages, sur les conséquences des tests multi-cancers et sur la nécessité de conduire des essais de grande envergure est conduite par Gilbert Welsch, oncologue américain, ici : "le dépistage sauve-t-il des vies? "
L'auteur y détaille les raisons biologiques qui font que les dépistages peuvent augmenter d'autres causes de décès, notamment par les surdétections qu'il engendre.
G.Welsch écrit : "Le dépistage a des effets négatifs sur beaucoup plus de personnes (plus de tests et de procédures, plus de fausses alertes et de surdiagnostics, et plus de chances de subir les effets toxiques financiers des paiements directs ou de l'augmentation des primes d'assurance maladie) qu'il ne pourrait en avoir de positifs.
La question cruciale est donc de savoir si les bénéfices pour quelques-uns sont suffisamment importants pour justifier les inconvénients qui en découlent pour le plus grand nombre."

Toujours plus de médecine, pour quels résultats ?

Les inconvénients sont les cascades d'examens qui vont découler des résultats de ces tests, il faudra orienter les patients "suspects" d'être porteurs de maladies vers toujours plus d'investigations, avec un effet anxiogène certain et pour des résultats souvent non-concluants. C'est ce que soulève Dr MacCartney :

"Il y a ensuite l'essai Galleri, dans lequel on analyse le sang des participants pour détecter une méthylation anormale de l'ADN, dans ce qui est décrit comme un "test de détection précoce multicancéreux". Toutefois, la suite donnée à ces informations est similaire : il s'agit à nouveau de stratifier le risque, les participants étant orientés vers des examens d'imagerie ou d'autres investigations pour détecter des "signaux de cancer".

Lorsque les faux positifs sont si fréquents, il ne s'agit pas seulement de l'argent dépensé pour le contrat ou des fausses promesses potentielles de projets surestimés, mais aussi du temps nécessaire pour gérer les retombées au sein du NHS.
La réalisation des scanners et les discussions sur les résultats des tests prendront énormément de temps au personnel, qui sera en concurrence avec des personnes présentant des symptômes et se morfondant sur des listes d'attente.

Bien que ces projets soient financés en grande partie par l'industrie, c'est le NHS qui devra ramasser les morceaux - est-ce que cela représente vraiment une bonne valeur pour le NHS ?"

En conclusion

Une grande majorité des dépistages aboutit à un échec en matière de réduction de mortalité globale et réduction des formes les plus graves des cancers.
De plus en plus de scientifiques, face à l'enthousiasme des laboratoires et d'une certaine presse alertent sur les risques auxquels trop d'innovation sans suffisamment d'essais cliniques nous exposent.
Nous aboutissons dans nos sociétés modernes à deux sortes de maladies : les maladies réelles vécues par le patient, avec symptômes précis et identifiées par le clinicien.
Et des maladies non vécues, mais détectées par un dépistage et définies comme maladies.

Mais dans ce deuxième cas on ne sait plus définir ce qu'est être 'malade'. Quand est-on malade ? Quand l'anatomo-pathologiste a trouvé sous son microscope une cellule cancéreuse ?  Un amas cellulaire cancéreux qui ne se manifestera peut-être jamais?

Le paradoxe est qu'avec un dépistage de masse de plus en plus de personnes sont déclarées "malades" sans l'être, et surtout traitées et "guéries" avant de n'avoir jamais été malade cliniquement. Et même d'une maladie qu'elles n'auraient jamais connue sans dépistage. Est-ce réellement le progrès ?

D'une part les traitements eux, peuvent rendre bel et bien malades, et d'autre part, la connaissance de leur "cancer" expose les personnes à un taux de suicide cinq fois plus élevé. L'annonce multiplie par 12 le risque de décès par accident cardio-vasculaire.
Avons-nous vraiment envie d'un futur où tout le monde sera "malade", de vivre dans un niveau d'angoisse jamais égalé, en raison de testings de plus en plus fréquents mais peu fiables qui ne fonctionnent pas aussi bien qu'annoncé ?

Même si les tests multi-cancers sont efficaces à trouver davantage de cancers ou de risques de cancers, le sont-ils suffisamment pour que cela en vaille la peine ?
Il faut toujours garder à l'esprit que les dépistages s'adressent à des personnes saines, qui ne se plaignent de rien.
Et garder à l'esprit aussi que dans le contexte actuel d'effondrement du système de santé, la surmédicalisation à outrance des populations entraîne de facto une sous-médicalisation ou au moins un plus difficile accès aux soins pour des personnes réellement malades.

Article connexe : https://cancer-rose.fr/2022/09/15/biopsie-liquides-le-graal-2/

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Instantané d’oncologie, interview de Steven Woloshin

Oncoinfo - Instantanés d'oncologie : http://oncoinfo.it

L'auteur

Steven Woloshin est codirecteur du Center for Medicine and Media du Dartmouth Institute (New Hampshire) et interniste.
Lui et sa partenaire de recherche, Lisa Schwartz, ont travaillé pour améliorer la communication des preuves médicales auprès des médecins, des journalistes, des décideurs politiques et du public afin d'aboutir à une communication médicale plus honnête et neutre.
Grâce à lui le terme 'surdiagnostic' a été inclus dans le "MeSH" , un thésaurus de références dans le domaine biomédical.utilisé pour indexer, cataloguer et rechercher des articles de revues, des livres et d'autres informations biomédicales liées à la santé.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/12/13/le-surdiagnostic-cest-officiel/

Steven Woloshin a été interviewé lors de la réunion Medicine & the Media à Florence, à l'instar de K.J.Jorgensen, sur la décision du groupe américain sur les services préventifs d'abaisser l'âge du dépistage à 40 ans

Transcription

Oncoinfo : Le groupe de travail américain sur les services préventifs (U.S. Preventive Services Task Force) a récemment modifié sa recommandation concernant l'âge de début du dépistage par mammographie, le faisant passer de 50 à 40 ans. Pourquoi cette décision n'est-elle pas aussi bonne qu'elle le paraît ? Nous avons posé la question à Steven Woloshin (Center for Medicine and Media - The Dartmouth Institute) lors de la conférence Medicine & the Media à Florence.

"Récemment, le groupe de travail sur les services préventifs américain a modifié la recommandation concernant le début du dépistage par mammographie pour les femmes. Auparavant, il était recommandé de commencer à l'âge de 50 ans. Désormais la recommandation est de débuter à l'âge de 40 ans. Beaucoup d'entre nous ont été surpris lorsque le groupe de travail a fait cette recommandation. Nous nous sommes demandé quelle en était la raison, existe-t-il des preuves que la mortalité due au cancer du sein augmente chez les femmes de 40 ans ?
Existe-t-il des preuves que le dépistage mammographie est devenu plus efficace pour ces femmes ?
Nous nous sommes également demandé si l'un des arguments du groupe de travail était que la mise en œuvre de ce changement permettrait également de remédier aux disparités raciales aux États-Unis ? Car malheureusement, on sait que les femmes noires ont un taux de mortalité par cancer du sein plus élevé. Le fait est qu'en examinant chacune de ces questions, la réponse était non pour chacune d'entre elles."

Des preuves pour justifier l'abaissement de l'âge du dépistage ?

"Nous avons donc écrit un article dans le New England Journal pour exprimer nos inquiétudes et tenter de nous opposer à cette recommandation qui, selon nous, n'était pas justifiée. ("A dissenting view")

La première question
que nous nous sommes posée était de savoir s'il existait des preuves d'une augmentation de la mortalité par cancer du sein dans cette population.. En fait, c'est tout le contraire, la mortalité par cancer du sein a baissé de façon spectaculaire chez les femmes dans la quarantaine, en fait ceci est aussi le cas pour les femmes dans la cinquantaine et plus.
Mais la baisse était encore plus importante surtout chez les femmes de 40 ans. Et si l'on considère des pays ayant des stratégies de dépistage différentes, on constate que la baisse est la même.
Il est donc difficile d'affirmer que la baisse de la mortalité est liée au dépistage. Ainsi, aux États-Unis, où le dépistage est très répandu chez les femmes de 40 ans, il est difficile de dire que la baisse de la mortalité est liée au dépistage par rapport à la Suisse, par exemple, où il n'y a presque pas de dépistage.
La baisse de la mortalité est presque la même, et c'est donc un argument qui nous avait fait penser qu'il n'était pas exact.

Cliquez sur l'image pour agrandir

La deuxième question était de savoir s'il existait des preuves que le dépistage par mammographie protégeait mieux les femmes de ce groupe d'âge.
Et il n'y a pas de nouvelles preuves par rapport aux essais qui ont été réalisés. Il n'y a pas de nouveaux essais randomisés.
Et pour ceux qui ont inclus des femmes dans la quarantaine, une méta-analyse réalisée par mon collègue Karsten Jorgenson et al. sur l'effet de la mammographie montre qu'il n'y a vraiment pas d'effet sur la mortalité par cancer du sein dans cette tranche d'âge.

Enfin, en ce qui concerne les  disparités raciales et sur la question de savoir si ce changement les améliorerait, nous pensons qu'en réalité, c'est le contraire qui se produirait. La raison en est qu'aux  États-Unis, environ 60 % des femmes dans la quarantaine se font dépister pour le cancer du sein, qu'elles soient noires ou blanches. Il n'y a donc pas de disparité dans le dépistage. La disparité se situe au niveau des suites. Cela ne peut donc pas être dû à une différence de dépistage, puisque les taux (de dépistage NDLR) sont les mêmes, cela doit être dû à d'autres facteurs.
Eh bien, malheureusement, il y a de nombreuses preuves montrant qu'il existe d'autres facteurs limitants, tels que l'accès limité aux meilleurs traitements disponibles, ou l'accès à un traitement en temps utile, aux thérapies avancées que nous connaissons, aux meilleures nouvelles options thérapeutiques personnalisées".

Les problèmes de l'extension du dépistage

"Le problème, c'est que par l'extension du dépistage, nous allons détourner des ressources  vers un dépistage qui n'aidera pas, au détriment de mesures qui aideraient.
À mon avis, l'investissement dans le dépistage devrait plutôt être utilisé à améliorer l'accès aux meilleurs soins disponibles. Le seul élément nouveau proposé par le groupe de travail était un nouveau modèle.
Et ce nouveau modèle contenait beaucoup d'hypothèses qui, selon nous, ne sont pas justifiées.
En particulier, on a supposé que le dépistage réduisait le risque relatif de mortalité par cancer du sein de 25 %. Ce chiffre est beaucoup plus élevé que celui observé dans les essais et surtout dans la méta-analyse.  

Cliquez sur l'image pour agrandir


Ceci dit, dans notre tableau (voir ci-dessous) nous avons essayé de donner le meilleur scénario pour la mammographie, afin que les femmes puissent décider, en sachant que le bénéfice de la mammographie est probablement moindre.
Et dans ce cas, la différence sur 10 ans en termes de risque de décès avec la mammographie passe d'environ 3 pour mille à environ 2 pour mille.

Cliquez sur l'image pour agrandir

On peut donc argumenter qu'il s'agit d'un grand nombre, ou d'un petit nombre, mais de cette façon, en fournissant des chiffres aux femmes, elles peuvent prendre une décision en connaissance de cause.

Le tableau met également en évidence les inconvénients de la mammographie, car vous savez qu'il y a toujours des inconvénients dues aux interventions et aux traitements.
Dans ce cas les fausses alertes sont parmi les plus fréquents : environ un tiers des femmes qui subissent une mammographie tous les deux ans sur une période de 10 ans finissent par avoir au moins une fausse alerte. Environ 7 % d'entre elles auront une fausse alerte nécessitant une biopsie, ce qui est important car il s'agit d'un examen très difficile et anxiogène.
Il y a quelques années, nous avons réalisé une étude, une enquête sur les femmes américaines en leur demandant comment cela se passait pour celles qui avaient eu une fausse alerte nécessitant une biopsie. Et la plupart de ces femmes ont déclaré que c'était l'une des choses les plus effrayantes qu'elles aient jamais vécues jusqu'à ce que la biopsie soit négative.
Il s'agit donc vraiment d’un aspect  important.

Enfin, la dernière question concerne les surdiagnostics, c'est-à-dire le diagnostic de cancers ou de ce qui ressemble à des cancers au microscope, mais qui n'auraient jamais été destinés à causer des préjudices s'ils n'avaient pas été découverts ou traités.
Les fourchettes des estimations concernant le surdiagnostic sont très larges, le groupe de travail a utilisé des chiffres qui sont très conformistes.
Nous pensons qu'ils sont sous-estimés, mais même ainsi il y aurait environ deux surdiagnostics pour mille femmes, ce qui est plus élevé que l'estimation des bénéfices de la mammographie."

En conclusion

NDLR
L'extension de l'âge du dépistage ne peut pas résoudre les différences dans la biologie du cancer : l'incidence des cancers de stade avancé reste stable malgré le dépistage en raison-même de leur biologie qui en fait des cancers d'emblée véloces et agressifs et qui échappent au dépistage ; l'incidence du cancer du sein triple négatif chez les femmes noires est deux fois plus élevée que chez les femmes blanches, selon l'Institut national du cancer américain. Ce sous-type est le plus agressif, son traitement est le moins efficace et il est le plus sujet à être non détecté par le dépistage.

Un dépistage plus précoce dans les tranches d'âge plus jeunes ne permettrait pas non plus de résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les femmes pauvres, souvent les femmes noires aux Etats Unis, problèmes tels qu'un accès moindre aux services de santé, des retards de traitement et un plus faible recours aux thérapies adjuvantes.
En fait, l'abaissement de l'âge du dépistage pourrait exacerber les problèmes contribuant à la disparité, en détournant les ressources vers un dépistage élargi au lieu d'une amélioration de l'accès pour ces femmes plus défavorisées.

Pour finir les deux scientifiques (Woloshin et Jorgensen) sont préoccupés par l'exposition des femmes de façon majorée aux fausses alertes et aux surdiagnostics, les effets indésirables majeurs de ce dépistage.

Articles connexes

Abaisser l'âge du dépistage, mais à quel prix ?

Abaisser l'âge du dépistage, une boîte de Pandore

Interview de K.J.Jorgensen, co-auteur de l'article "a dissenting view"

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Evénements Cancer Rose de décembre 2023

13 décembre à Nancy

Cliquez pour agrandir

"Dépistage du cancer du sein, aspects médicaux, épidémiologiques, sociaux et psychologiques."

Présentation, ici : Download/Télécharger

Conférence par Dr C.Bour le 13 décembre 2023 , à 17h30 au siège de la métropole du Grand Nancy, viaduc Kennedy, dans la salle du conseil à la Métropole du Grand Nancy.

Captation video ici, à partir de 1/14 -

14 décembre à Nice

On fête les 100 ans de la pièce Dr Knock dans un ciné-débat à la Faculté de Médecine de Nice, dès 18h30, avec la participation de Dr J.Doubovetzky, auteur du site d'information médicale Anti-Knock-

Communication et article sur le site Anti-Knock

Communication sur le site CI3P-Nice, cliquez sur l'image :

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

Les mythes du dépistage

29 novembre 2023
Synthèse Cancer Rose https://www.cfp.ca/content/69/11/e216

Réfutation des mythes entourant le dépistage

Le dépistage est fréquemment présenté au public de façon très positive et comme un dispositif salvateur, cette idée est portée par des campagnes promotionnelles massives d'octobre et par des personnalités en vue qui en assurent le marketing. 

Cet article d'auteurs canadiens *(voir en fin d'article) décortique 4 mythes principaux qui sous-tendent les dépistages, mythes mis à mal dans la vraie vie, confrontés à la réalité, ce dont il faudrait informer le public afin de lui éviter des déconvenues impactant la santé des personnes.

"Nous avons présumé", disent les auteurs, "que nous pourrions nous attaquer aux maladies chroniques de la même manière que nous avons lutté contre les maladies infectieuses; cependant, non seulement la prise en charge des maladies chroniques n’est pas aussi simple, mais les résultats des tests diagnostiques pour ces maladies sont rarement certains. Cette incertitude est davantage amplifiée dans les résultats des tests de dépistage."
Cette incertitude malheureusement est très peu est insuffisamment relayée au public, ce qui constitue en soi une problématique de santé publique.

"Auparavant, on ne se rendait chez le médecin que pour des symptômes gênants : douleur, fièvre, toux, indigestion, etc. Les médecins établissaient alors un diagnostic sur la base de ces symptômes, ainsi que des signes associés et des tests diagnostiques disponibles."

La médecine moderne a ensuite fait émerger l'idée d'anticiper les problèmes et d'intervenir avant l'apparition des symptômes.

"Cependant, le passage d'une médecine axée sur les symptômes à une médecine d'anticipation a eu un effet secondaire inattendu pour les patients : la possibilité d'avoir un diagnostic qui n'est pas destiné à provoquer des symptômes. La différence énorme entre une maladie diagnostiquée en raison de symptômes et la même maladie détectée en l'absence de symptômes est apparue très clairement dans le cas du cancer."

En effet, les auteurs rappellent que pour qu'on puisse déclarer un dépistage comme efficace, il doit y avoir, en face des préjudices engendrés par ce dépistage, des bénéfices compensatoires, comme : aboutir à une moindre mortalité, une diminution des cas graves et une réduction des traitements lourds, tout ceci rendant les inconvénients des dépistages (fausses alertes, diagnostics inutiles) comme "acceptables".

4 grands mythes sont ainsi décortiqués.

Mythe 1 : le dépistage ne cause pas de préjudices

Les auteurs rappellent les préjudices du dépistage dont nous parlons souvent sur le site, fausses alertes et surdétections inutiles, et demandent à ce qu'ils soient discutés avec le patient, avant que celui-ci ne s'engage dans ces dispositifs de santé.

"Le surdiagnostic est une conséquence inhérente à toute forme de dépistage. Son occurrence, de même que d’autres préjudices potentiels comme les résultats faux positifs, devraient être estimés et discutés avec le patient au même titre que les bienfaits possibles pour déterminer si on procède ou non au dépistage. La compréhension par le patient et sa contribution à la prise de décision sont des composantes essentielles."

Il existe d'autres effets adverses du dépistage, comme l'anxiété liée à l'examen lui-même, ou encore à l'attente des résultats en cas de fausses alertes.
Il y a des effets adverses générés par le surdiagnostic aussi, que vous trouverez listés dans des documents téléchargeables de notre article sur le surdiagnostic.

Mythe 2 : la détection précoce se traduit par de meilleures issues cliniques

"L’une des croyances les plus courantes est qu’une détection précoce de la maladie produit toujours de meilleures issues cliniques chez les patients. Une détection précoce est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour que le dépistage soit bénéfique."

En effet, une lésion petite est plus facile à traiter qu'une lésion de gros volume.
Cependant une première question est : le dépistage est-il apte à détecter les cancers les plus graves alors qu'ils sont encore petits ?
Une autre faille est que la taille des lésions n'est pas automatiquement corrélée au temps et n'est pas automatiquement corrélée non plus à la gravité de la lésion. Petit n'est pas "précoce", et surtout n'est pas toujours "à temps".

L'histoire naturelle du cancer nous apprend que les cancers n'ont pas tous la même vélocité, certains, agressifs, peuvent être d'emblée très rapides et ainsi ratés par le dépistage parce qu'ils se développent entre deux mammographies, en quelques semaines.
Et certains cancers même petits peuvent être d'emblée agressifs et métastatiques.

Les auteurs ajoutent l'exemple du mélanome
"Bell et Nijsten ont expliqué dans un commentaire comment le dépistage des mélanomes avait augmenté la détection précoce du problème sans avoir de répercussion sur le nombre de maladies à un stade plus avancé.
De même, l’histoire du dépistage des neuroblastomes au Japon (à partir de 1985) constitue une mise en garde. Ce cancer a un meilleur pronostic s’il est diagnostiqué avant l’âge de 1 an, et le programme avait pour but de détecter plus tôt les neuroblastomes, lorsque le pronostic est plus favorable. Le dépistage a fait croître l’incidence des neuroblastomes, mais n’a pas changé le nombre d’enfants diagnostiqués plus tard (après 1 an), et la mortalité est demeurée semblable"

Un autre exemple cité est celui du dépistage du cancer de la thyroïde où on a une même problématique de surdétection de cancers inoffensifs et lentement évolutifs sans menace pour les patients, en raison d'une multiplication de l'imagerie, échographique essentiellement :
".....des hausses remarquables de l’utilisation de l’imagerie durant les années 1990 et le début des années 2000, surtout chez les femmes d’âge moyen, ont été observées, une fois de plus sans qu’il y ait de changement dans la mortalité."

Le dépistage peut 'rattraper' des cancers qui ne se seraient jamais développés créant un surdiagnotic important et 'rater' des véritables cancers qui menacent la vie et la santé de la personne, parce que ces derniers se développent très vite, entre deux dépistages, comme les schémas reproduits dans cet article l'expliquent, ou la figure 1 issu de l'article canadien.

Comme on le voit dans le graphique ci-dessus, les cancers rapides se développent si vite que le dépistage les rate. Les cancers plus lents sont détectés par un dépistage, mais cette détection ne sert à rien car ces cancers n'auraient jamais nui, et leur détection alimente le surdiagnostic.

Figure 1 de l'article canadien (cliquez pour agrandir)

Lire à ce propos : https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

Mythe 3 : les nouvelles technologies procurent plus de bienfaits

L'exemple pris est celui de la tomosynthèse en complément de la mammographie numérique dans le dépistage du cancer du sein.
Il s'agit d'une sorte de 'scanner' du sein, davantage irradiante, et sujette à controverse. D'abord non validée pour être intégrée dans le dépistage, la HAS l'admet finalement en 2023, sans que soient réglées les questions soulevées par cette technologie, notamment pourvoyeuse de davantage de surdiagnostics.

"Dans le dépistage, la mammographie numérique, combinée à la tomosynthèse mammaire, peut détecter plus de cancers du sein que la mammographie seule, mais cela ne devrait pas être considéré comme la garantie de meilleures issues cliniques pour les patientes. Cette nouvelle technologie pourrait être bénéfique, mais des renseignements sur la magnitude des bienfaits et des préjudices potentiels sont nécessaires pour informer nos patientes."

Les auteurs ont listé sous forme de tableau les approches qui sont utilisées pour augmenter les possiblités de détection précoce des maladies, avec les réserves qui s'imposent dans la colonne de droite.(Cliquez sur l'image pour agrandir)

Mythe 4 : le dépistage sauve des vies

 « le dépistage du cancer du sein sauve des vies », alors que le message entier devrait être que, pour chaque tranche de 1000 femmes dépistées à répétition, « le dépistage du cancer du sein peut réduire le nombre de décès dus au cancer du sein ». Le nombre varie selon l’âge, mais il se situe à environ 1 femme sur 1000 femmes dépistées durant leur cinquantaine ou leur soixantaine."

Il faut faire attention à la présentation des choses, 20% de réduction de mortalité comme souvent avancé cela ne signifie pas que 20 femmes sur 100 en moins mourront de cancer du sein. Ces 20% sont une réduction relative du risque lorsqu'on compare deux populations de femmes.
Comme l'affiche ci-dessous le montre, passer de 5 décès chez les femmes non dépistées à 4 décès chez les dépistées correspond bien à 20% de réduction du risque (5-4/5=0,2), mais dans la vraie vie, il ne s'agit que d'une vie "sauvée" à la condition d'avoir dépisté une grande cohorte de femmes et sur un long laps de temps (10 années) . Durant le même temps, surdiagnostics et fausses alertes s'accumulent aussi.

Plusieurs études et notamment une étude d'impact ont déjà montré le rôle prépondérant des avancées thérapeutiques pour réduire la mortalité par cancer du sein depuis les années 90, bien indépendamment du dépistage.

En effet depuis les années 90 la mortalité par cancer du sein décroit, avant même l'instauration des campagnes (seulement en 2004 en France) et cette réduction n'a pas vu d'amplification lors des déclenchement des campagnes de dépistage nationales.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/06/14/risque-de-deces-par-cancer-du-sein-en-baisse-depistage-ou-pas/

De plus on ne constate aucun impact sur la mortalité toutes causes confondues. Ce critère serait plus fiable pour révéler une efficacité d'un dépistage car il intègre les décès par la maladie, les décès pour autres causes survenues chez les porteurs de cancers et aussi les décès consécutifs aux traitements et à leurs conséquences. Il est donc un meilleur marqueur de l'impact du dépistage sur la mortalité dans la population.
Toutefois l'estimation de la réduction globale de mortalité est difficile à obtenir, comme l'expliquent les auteurs.

"La démonstration d’une réduction dans la mortalité toutes causes confondues est un défi global, mais en particulier pour les tests de dépistage pour lesquels la plupart des patients sont à risque très bas de décès. Il faudrait que les essais randomisés contrôlés soient très larges ou que la taille des effets soit considérable. Comme stratégie, nous pouvons combiner des essais multiples pour augmenter la puissance statistique.
Ce faisant, le seul test de dépistage du cancer pour lequel il a été démontré qu’il réduisait la mortalité toutes causes confondues de manière statistiquement significative est la sigmoïdoscopie flexible pour le cancer colorectal (risque relatif=0,97; IC à 95 % de 0,959 à 0,992, p=,004) avec une réduction du risque absolu de 3,0 décès par 1000 dépistages (IC à 95 % de 1,0 à 4,0) sur 11,5 ans de suivi. Puisque le dépistage du cancer du col réduit l’incidence de la maladie, il est probable que son dépistage réduise aussi la mortalité."

A ce propos lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/10/17/pas-de-prolongement-de-la-duree-de-vie-grace-aux-depistages/

En conclusion :

"Avec les connaissances que nous avons acquises depuis, nous nous rendons compte que ce que nous pensions être relativement simple est bien plus compliqué." Ecrivent les auteurs à propos des dépistages.

Ceci nous amène à l'importance de communiquer ces incertitudes sur la réelle balance entre les bénéfices et les nuisances des dépistages au public.
Les principe du choix éclairé, de l'autonomie dans la décision de la personne à participer aux dépistages est simple et peu coûteuse à mettre en place, notamment par le biais de pictogrammes, d'outils d'aides à la décision et de visuels simples, comme nous vous en proposons en page d'accueil du site.
Celui de Cancer Rose
Les outils internationaux

Malgré quelques efforts consentis dans la communication, l'Institut national français du cancer enfreint l'éthique, rechignant à fournir une information sur le surdiagnostic et ses conséquences, sur le bénéfice très douteux et relatif du dépistage du cancer du sein, contrebalancé par des risques maintenant bien connus, en tordant les données, et ce malgré les demandes publiques comme celles de la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein de 2016.

Il est plus que temps d'accorder aux personnes cette information loyale avant qu'elles ne s'exposent aux dépistages qui leur sont recommandés sans transparence sur la balance bénéfices/risques, ou parfois qui leur sont même imposés.

*Les auteurs

Guylène Thériault, Directrice du volet Rôle du médecin et directrice du Centre de pédagogie au Campus Outaouais de la Faculté de médecine de l’Université McGill à Montréal (Québec).

Donna L. Reynolds, Professeure adjointe au Département de médecine familiale et communautaire et à l’École Dalla Lana de santé publique de l’Université de Toronto (Ontario).

Roland Grad, Professeur agrégé au Département de médecine familiale de l’Université McGill.

James A. Dickinson, Professeur au Département de médecine familiale et au Département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Calgary (Alberta).

Harminder Singh, Professeur agrégé au Département de médecine interne et au Département des sciences de la santé communautaire de l’Université du Manitoba à Winnipeg, et au Département d’oncologie et d’hématologie médicale à Action Cancer Manitoba.

Olga Szafran, Directrice adjointe de recherche au Département de médecine familiale de l’Université de l’Alberta à Edmonton.

Viola Antao, Professeure agrégée au Département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto. 

Neil R. Bell, Professeur au Département de médecine familiale de l’Université de l’Alberta.

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.

L’information des femmes, ça ne s’arrange pas…

Par Cancer Rose, 5/11/2023

L'infographie contenue dans l'article reçu dans le mail d’information envoyé régulièrement par la CNAM à destination des professionnels regroupe les motifs pour lesquels les femmes rechigneraient à participer au dépistage mammographique.

ABSENCE DE MENTION DES RISQUES MAJEURS DU DEPISTAGE

Les véritables motifs majeurs qui devraient éloigner les femmes du dépistage mammographique, surdiagnostics, fausses alertes et radiotoxicité, n'ont visiblement pas été prévus à être des items du sondage. Et les femmes ne les ont apparemment pas évoqués.
Dans la mesure où pour Ameli les risques du dépistage n'existent tout bonnement pas, ce n'est pas inattendu. Et dans la mesure où les femmes sont informées le moins possible de ces risques, ce n'est pas étonnant.

L'objectif avoué d'Ameli est d'augmenter les chiffres de participation , alors il vaut mieux laisser de côté les éléments dissuasifs.
(Lire : https://cancer-rose.fr/2022/12/29/un-courrier-dameli/)

En revanche il n'est plus acceptable qu'Ameli poursuive les travers que la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein avait déjà pointés du doigt en 2016, entre autres le fait qu'il y ait un amalgame constamment fait dans la communication de la caisse entre dépistage et prévention, comme on peut à nouveau le constater puisque l'article contenant l'infographie est titré "prévention".

La critique de la communication de la caisse primaire d'assurance maladie est clairement détaillée dès la page 95 du rapport de concertation.et notamment en page 99 :

1. le choix a été fait par l’Assurance maladie, aussi bien sur son site que dans les conventions médicales de considérer le dépistage du cancer du sein comme une modalité de prévention, conception critiquable341, car elle véhicule l’idée auprès des femmes que le dépistage serait un moyen d’échapper au cancer du sein ....

2. La femme qui fait appel à son médecin traitant pour qu’il la soigne et qui est incitée par ce dernier à prendre part au dépistage organisé se trouve dans une situation voisine de celle à qui est adressée une invitation à réaliser une mammographie : pas plus que cette dernière, elle ne l’a sollicitée ; toutefois, sa situation est beaucoup plus pernicieuse, car c’est à l’occasion d’une démarche pour laquelle elle attend une réponse qu’une proposition lui est faite à laquelle elle ne s’attend pas, car elle est sans rapport avec sa demande.

OMISSION DE LA PREOCCUPATION SUR LE RISQUE RADIQUE

C'est une préoccupation féminine très souvent exprimée, et complètement occultée dans cette infographie.

La mammographie est irradiante, même si partout on clame que l'irradiation est "minime", là n'est pas le problème. Elle EST, elle n'est pas si 'minime', elle est cumulative et nul ne connaît la radio-susceptibilité de chacune.

Selon les travaux des radiobiologistes, les microdoses répétées présentent une radiotoxicité plus élevée sur les brins d'ADN (qui se cassent sous l'effet du rayonnement ionisant et qui n'ont le temps ni de se reformer ni de se réparer entre les différents clichés) qu’une dose équivalente délivrée en une seule fois. Avec des cassures mal réparées la cellule peut dégénérer en cellule cancéreuse.

Bien identifiée par le travail des radiobiologistes, la radiotoxicité est d'autant plus forte que les premières mammographies ont lieu tôt dans la vie d’une femme, que les examens sont fréquents et que l'on multiplie le nombre de clichés par séance.
Le risque est plus important chez les femmes porteuses de mutations favorisant le cancer du sein (BRCA1 ou BRCA2), femmes davantage radiosensibles, et qui souvent débutent les mammographies très jeunes.
Mais même chez les femmes n’ayant pas de mutation particulière il faut tout de même prendre en compte ce risque d'exposition aux faibles doses.
Par ailleurs il faut considérer le fait qu'une femme dans son existence subira probablement d’autres examens à rayons X, comme les scanners par exemple et dont les doses se cumulent avec les examens mammographiques.

Lire ici : https://cancer-rose.fr/2018/11/03/quest-ce-que-la-radiotoxicite/

LA SURVIE

L'infographie met en avant la survie, qui n'est en aucun cas un indicateur d'efficacité du dépistage.

La survie dépend du surdiagnostic et de l'efficacité des traitements. Plus on diagnostique des patientes qui par définition ne seraient jamais décédées de leur cancer détecté, plus la survie est fallacieusement améliorée.
Pour une maladie où les traitements gagnent en efficacité comme le cancer du sein, la survie ne fait également qu'augmenter.

Mais elle ne nous renseigne pas sur l'efficacité-même du dépistage, pour cela les deux seuls indicateurs sont la diminution drastique de mortalité et la diminution drastique des cas graves, ce qui n'est pas le cas pour le cancer du sein.

La survie à 5 ans est une proportion dans laquelle le dénominateur est le nombre de patients chez lesquels un cancer a été diagnostiqué et le numérateur est le nombre de patients qui sont encore en vie 5 ans plus tard.
Le surdiagnostic augmente à la fois le dénominateur (nombre de personnes diagnostiquées) et le numérateur (nombre de personnes en vie 5 ans plus tard), ce qui entraîne une augmentation de la survie à 5 ans même si le nombre de décès reste inchangé.
Exemple :
Imaginons que sans dépistage, un cancer du sein soit diagnostiqué chez 100 femmes, et que 20 d'entre elles soient encore en vie cinq ans après. La survie à 5 ans est donc de 20 % (= 20/100).
Imaginons à présent un dépistage qui fait passer l'incidence du cancer du sein à 125 femmes, si les 25 femmes supplémentaires détectées sont toutes des surdiagnostics, alors ces 25 femmes s'ajoutent à la fois au numérateur et au dénominateur de la statistique de survie.
La survie à 5 ans est désormais de 36 % (20+25=> 45/125).
Elle apparaît bien meilleure alors même que le nombre de personnes décédées 5 ans après diagnostic est le même dans l'hypothèse 'pas dépistage' comme dans l'hypothèse 'dépistage' : 80 personnes des deux côtés (= 100-20 et = 125-45).

Le texte avance également qu' "On observe 99 % de survie à 5 ans pour un cancer détecté à un stade précoce et seulement 26 % pour un cancer diagnostiqué à un stade tardif."
C'est exact, mais la question fondamentale est que le dépistage ne parvient pas à détecter suffisamment tôt ces cancers au stade tardif, qui sont d'emblée de mauvais pronostic et d'emblée, de par leur caractéristiques biologiques, déjà péjoratifs, et surtout si véloces qu'ils échappent à une détection suffisamment précoce, d'où une survie médiocre.

DISTORSION DE LA PERCEPTION DES FEMMES

L’augmentation de l'incidence (il y a plus de diagnostics de cancers) à cause d'un dépistage débridé, la répartition plus favorable des stades (une plus grande proportion de cancers sont diagnostiqués à un stade bas) et l'augmentation de la survie à 5 ans sont pour les médecins et les décideurs politiques des preuves numériques manifestes de la pertinence du dépistage, mais sont des données trompeuses, entraînant un biais majeur pour les femmes dans la compréhension de l'efficacité du dépistage.

Le chapitre "évaluation et critères de qualité" masque l'indigence du programme sur les vraies questions que se posent les femmes (aurais-je moins de risques d'avoir un cancer grave en participant ? Pourrais-je mourir moins d'un cancer grâce au dépistage ?), en mettant en avant comme vernis de façade le suivi des procédures et "la qualité de la chaîne mammographique ... contrôlée deux fois par an par des organismes agrées selon les recommandations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé."
Tout cela ne nous dit rien du tout sur l'efficacité du dispositif, mais ça en jette.... 

Et illustre aussi à quel point l'information donnée aux femmes est biaisée, racoleuse, trompeuse et bien loin de ce que la loi exige :

En conclusion

Une thèse sur les freins et résistances des femmes au dépistage a déjà été réalisée en 2018, que nous avons relatée ici.

Le plus intéressant qui ressortait de l'enquête était qu’à force d’injonctions répétées les femmes se sentent harcelées, et que certaines finissent par se désengager complètement des insistances médicales.

Le principal levier des campagnes roses est la peur du cancer toujours renouvelée et insufflée aux femmes. Finalement, elle semble contre-productive.
L'incitation ne semble pas plus performante.

Et si, au lieu de nous préoccuper de la participation des femmes, de leur faire peur, de les inciter, de tordre les données pour les rendre plus flatteuses, on leur octroyait tout simplement l'information loyale claire et appropriée que la loi rend obligatoire et que les citoyennes ont revendiquée, afin que la participation ou non au dépistage devienne LEUR choix ?

Article connexe

Participation au dépistage mammographique en France 2005-2022, cliquez sur l'image ci-dessous :

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.