Cancer du sein, le risque du travail de nuit

7 août 2023

Lorsqu'on parle des facteurs de risque des cancers, pour certains, ces facteurs de risque sont facilement identifiables : l'amiante pour le mésothéliome (un cancer de la plèvre), le tabac pour le cancer broncho-pulmonaire.

Dans le cadre du cancer du sein les choses sont plus complexes. Il y a les facteurs de risque connus, et ceux dits 'probables'.

Les facteurs de risque reconnus comme tels :

✹  l’âge (cancer statistiquement plus fréquent au-delà de 50 ans) ;
✹  le sexe (cancer très nettement plus fréquent chez la femme) ;
✹  les personnes ayant une prédisposition génétique (altération du gène BRCA1 ou BRCA2, dont la fonction est de réparer des lésions de l’ADN que la cellule du sein a pu subir) ;
✹  des examens irradiants répétés de la zone thoracique (radios, scanners).

Les facteurs de risque possibles :

✹ l’obésité ;
✹ l’activité physique insu sante ;
✹ la prise de contraceptifs œstroprogestatifs (la pilule)
✹ un environnement industriel ou agricole nocif ;
✹ le travail en horaires décalés et le travail de nuit ;
✹ le tabagisme, actif ou passif
✹ la consommation d’alcool ;
✹ une puberté précoce ;
✹ une première grossesse tardive ;
✹ le choix de l’allaitement artificiel
✹ une ménopause tardive ;
✹ la prise d’un traitement hormonal de la ménopause

Extrait du livre "Mammo ou pas mammo?", Ed. T.Souccar, pages 20/21

En 2012, des chercheurs de l’Inserm (Unité Inserm 1018 « centre de recherche en épidémiologie et santé des populations ») publient dans l’International Journal of Cancer une étude montrant que le risque de cancer du sein est augmenté chez les femmes travaillant de nuit.
L’étude réalisée en France et baptisée CECILE a comparé le parcours professionnel de 1200 femmes ayant développé un cancer du sein entre 2005 et 2008 à celui de 1300 autres femmes.

Déjà en 2010, le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC) avait classé le travail entraînant des perturbations du rythme circadien comme « probablement cancérigène ».
Stevens RG, Hansen J, Costa G et al. Considerations of circadian impact for defining ‘shift work’ in cancer studies: IARC Working Group Report. Occup Environ Med. 2010; 68: 154-162. Rapport du groupe de travail du CIRC pour proposition sur la façon d’évaluer le travail posté dans le cadre des futures études épidémiologiques.

Les chercheurs de l'INSERM mettent en évidence un risque de cancer du sein augmenté d’environ 30% chez les femmes ayant travaillé de nuit par rapport aux autres femmes.
Cette augmentation du risque, disent encore les scientifiques, était particulièrement marquée chez les femmes ayant travaillé de nuit pendant plus de 4 ans, ou chez celles dont le rythme de travail était de moins de 3 nuits par semaine, entraînant ainsi des décalages de phase plus fréquents entre le rythme de jour et le rythme de la nuit.

Une autre conclusion était que cette association entre travail de nuit et cancer du sein semblait plus marquée lorsqu'il s'agissait de travail de nuit effectué avant la première grossesse, probablement en raison d'une plus grande vulnérabilité des cellules mammaires chez la femme avant le premier accouchement.

Les mécanismes de cet impact du travail de nuit sur le sein seraient les suivants :

  • l’exposition à la lumière durant la nuit qui supprime le pic nocturne de mélatonine, hormone ayant une action anti-cancérigène ;
  • la perturbation du fonctionnement des gènes de l’horloge biologique qui contrôlent la prolifération cellulaire ;
  • les troubles du sommeil pouvant affaiblir le système immunitaire luttant contre les cellules cancéreuses que l'organisme peut produire.

Un cas faisant jurisprudence

Un article dans Libération au mois de mars dernier nous apprend le cas d'une ancienne infirmière de 62 ans, ayant travaillé au Centre hospitalier de Sarreguemines (Moselle) au service de radiologie puis de gynécologie entre 1981 et 2009. Pendant 28 ans, elle a ainsi cumulé 873 nuits de travail - soit environ une par semaine, et elle a contracté un cancer du sein.
La pathologie de cette femme vient de lui être reconnue comme maladie professionnelle.

Un médecin-expert dans le dossier relate : «On peut affirmer qu’il existe un lien direct et essentiel entre le cancer du sein dont elle est victime et le travail effectué auparavant» 

Ce cas pourrait faire jurisprudence et si le cancer du sein est inscrit dans le tableau de reconnaissance de maladies professionnelles, ceci amènerait à d'autres reconnaissances de maladies professionnelles chez les travailleurs de nuit.
Et c'est important car ainsi les victimes n’auraient plus besoin de prouver le lien entre leur maladie et leur travail.

Mauvaise documentation de l'impact du travail de nuit et mauvaise reconnaissance chez la femme.

En 2016 nous avions déjà publié un article sur le sujet.

En Europe et aux États-Unis, le travail de nuit a augmenté ces dernières décennies et concerne 19 à 25 % de l’ensemble des travailleurs.
Pourtant les études sur le risque de cancer du sein en milieu professionnel fait l’objet de peu d’attention, et le manque d’intérêt est d’autant plus paradoxal que le dépistage précoce du cancer du sein chez la femme, lui, fait l’objet de campagnes et d'effort de stimulations extrêmes de la part des autorités sanitaires pour augmenter la participation des femmes, et ce en dépit de résultats bien décevants du dépistage.

Alors que la pathologie cancéreuse est identifiée comme première cause de décès par le travail en Europe et alors que cette maladie est en progression constante depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique ignorent la contribution de l’activité 'travail' à ce phénomène, comme le détaille très bien cet article dans The Conversation.

Il faut attendre 2023 pour voir menés des travaux sur l'impact du travail sur la santé des femmes, l'étude des risques au travail s'étant jusqu'à présent concentrée sur la population masculine.
"Le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes est à l’origine d’impensés féminins dans la conception et la mise en œuvre des politiques de santé au travail." dit le rapport.
Un des grands axes de ce travail est de "chausser les lunettes du genre" pour comprendre, mais aussi pour développer une vraie prévention du cancer à l'attention des femmes, le dépistage, rappelons-le, n'en étant pas une.

L'article dans The Conversation rapporte :
"La récente médiatisation autour de la reconnaissance d’un cancer du sein en maladie professionnelle chez une infirmière ayant travaillé de nuit permet par exemple de rappeler que loin d’être une fatalité pour les femmes, ce cancer peut aussi être le résultat de conditions de travail pathogènes, comme le travail de nuit, l’exposition aux rayonnements ionisants et, selon l’Anses, plusieurs dizaines de molécules chimiques présentes dans l’espace productif. Et qu’il est, à ce titre, lui aussi évitable, à condition de prévenir ces risques cancérogènes à leur source, au travail."

Vraie volonté politique ou affichage ?

C'est aussi la question que pose The conversation.

"Inscrite dans la feuille de route du gouvernement et des partenaires sociaux au sein du Plan santé travail 2021-2025, et dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers, la prévention des cancérogènes en milieu de travail pourrait ne demeurer qu’un simple affichage.
La pénurie actuelle de médecins du travail et d’inspecteurs du travail en fait craindre l’hypothèse. Pour mettre un terme à cette épidémie silencieuse de cancers du travail, il y a urgence à remettre en cause les conditions de travail pathogènes et à revendiquer une intervention plus contraignante de l’État dans le monde du travail pour garantir le droit à ne pas y perdre sa vie."

Conclusion

Dans le dossier de l'infirmière mosellane, d’autres facteurs de risque probables ont été notés : rayonnements ionisants, perturbateurs endocriniens et produits chimiques pour stériliser du matériel médical.

En effet, très fréquemment, les causes de cancer sont multiples et intriquées, et des milliers de personnes sont exposées à des cancérogènes, en toute légalité dans l’exercice de leur profession. 

Mais, alors que le cancer est identifié comme la première cause de décès par le travail en Europe et en constante progression depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique occultent soigneusement l'impact du travail, et notamment celui du travail de nuit féminin sur un organe particulièrement sensible, le sein, préférant largement focaliser sur un dépistage du cancer du sein qui a failli à sa mission de diminution des formes graves et d'allègements thérapeutiques.
Les campagnes de prévention primaire, quand elles existent, mettent l'accent également très lourdement sur les facteurs comportementaux individuels, qui ne sont certainement pas à ignorer, mais qui ne sont pas exclusifs.

Seule bonne nouvelle, la mortalité par ce cancer diminue depuis les années 90, dépistage ou pas, concernant même les cancers avancés, en premier lieu imputable aux avancées thérapeutiques ce que suggère une étude parue récemment, malheureusement régulièrement citée comme victoire du dépistage dans la presse.

Mais ce serait quand-même tellement plus logique et plus intelligent de lutter en amont contre les facteurs de risques de la maladie plutôt qu'en aval, et notamment contre les facteurs de risque au travail, plutôt que de gaspiller tant de moyens logistiques, humains et financiers pour un dépistage décevant, dont la faillite est aggravée d'une désinformation des femmes inexcusable, non éthique, et de campagnes marketing outrancières à chaque mois d'octobre.

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Leçons à tirer de la guerre des mammos

15 juillet 2023

Synthèse Cancer Rose

Lessons from the Mammography Wars

https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmsb1002538

https://joelvelasco.net/teaching/2330/Lessons_from_the_Mammography_W.pdf

Les auteurs :

  • Kerianne H. Quanstrum, M.D., Rodney A. Hayward, M.D. chirurgienne à l'University of Michigan;
  • Rodney A. Hayward, M.D., professeur de santé publique et de médecine interne à L'Université de Michigan.

Selon ces auteurs, la controverse sur le dépistage du cancer du sein était prévisible.

En 2002, L'USPSTF[1]recommandait des mammographies annuelles pour les femmes de 40 ans ou plus.
Tout à coup, voilà qu'un groupe indépendant financé par le gouvernement laisse entendre que ce barème était peut-être trop élevé, et que 'moins', en fait, c’était peut-être mieux.[2]

Les partisans du dépistage du cancer du sein, en particulier les radiologistes du sein, ont immédiatement pris des mesures, dénonçant les déclarations des membres du groupe comme velléités de rationnement des soins par le gouvernement, suggérant que les membres du panel avaient ignoré les preuves médicales, et même sous-entendant qu'ils étaient coupables d’un mépris total pour la vie et le bien-être des femmes.

Les sociétés savantes de spécialistes n'ont pas tardé à réagir et ont rapidement émis des lignes directrices contraires.[3]

En réalité,

Ce groupe de travail sur les services préventifs, groupe indépendant, avait simplement recommandé que la mammographie de dépistage systématique commence à l’âge de 50 ans, alors que les femmes âgées de 40 à 49 ans devraient décider individuellement avec leur médecin si leurs préférences et leurs facteurs de risque imposaient une indication de dépistage à un âge plus précoce.
Le comité avait également recommandé que les mammographies de dépistage soient effectuées tous les deux ans, ce qui, selon lui, réduirait les méfaits de la mammographie de près de la moitié tout en maintenant la plupart des avantages de l’imagerie annuelle. . .

En résumé, le groupe de travail avait conclu implicitement que nous avions déjà surestimé la valeur de la mammographie : la mammographie est bonne, mais pas si bonne; peut-être utiles à des femmes, mais pas à toutes; et qu’elle devrait être effectuée à une certaine fréquence, mais pas chaque année, ou pour chaque femme.

Derrière les conclusions du groupe d’experts au sujet de la mammographie se cache une réalité malvenue que notre profession a souvent omis de reconnaître.

Chaque intervention médicale, aussi bénéfique soit-elle pour certains patients, entraînera une diminution continue des rendements à mesure que le seuil d’intervention baissera, c'est à dire plus on élargit l'indication de cette intervention (ici le dépistage) à tout une population.
La mammographie n’est qu’un exemple, expliquent les auteurs.

Chez les femmes âgées de 40 à 49 ans, le taux de faux positifs est assez élevé et les avantages attendus sont faibles : plus de 1900 femmes devraient être invitées à subir une mammographie de dépistage afin de prévenir un seul décès dû au cancer du sein pendant 11 ans. . .Avec un coût direct de plus de 20 000 visites en imagerie mammaire et d’environ 2 000 mammographies faussement positives.
À l’inverse, pour les femmes âgées de 60 à 69 ans, moins de 400 femmes devraient être invitées à se soumettre à un dépistage afin de prévenir un décès par cancer du sein au cours des 13 années de suivi, tout en accumulant environ 5000 visites et 400 fausses mammographies positives.[4]
Cela signifie qu'à mesure que le risque de cancer du sein augmente (avec l'âge), les avantages de la mammographie augmentent, tandis que les préjudices relatifs, qui existent toujours, deviennent néanmoins progressivement moins importants.
Et l'inverse est vrai, à mesure que le risque de cancer du sein diminue (tranches d'âge jeunes et au-delà de 74 ans), les risques existants et connus deviennent prééminents.

Pour de nombreuses interventions, si le risque de ne pas traiter est suffisamment faible, alors ce sont les effets secondaires et les risques du traitement lui-même qui domineront, et le traitement induira des dommages bruts

Comme le risque de ne pas traiter varie considérablement chez les patients pour presque toutes les maladies ou affections, même une intervention dite très efficace montrera une variation des bénéfices dans une population donnée par rapport aux risques, lesquels sont inhérents à cette intervention.

Dans la situation d'une prise de décision médicale et pour le cas d’un patient donné, nous devons choisir de traiter ou non, de dépister ou non.
Pour nous aider à faire ces choix, notre profession s’efforce constamment d’élucider des seuils d’intervention clairs, comme des taux biologiques lors d'examens sanguins, ou l’âge, ou des intervalles de temps standard, comme pour le dépistage.

Ce dont nous ne nous souvenons pas assez souvent, nous disent les auteurs, c’est que ces seuils — par exemple, l’âge de 40 ans ou 50 ans, ou la mammographie annuelle par rapport à la mammographie de routine biennale — sont dans une certaine mesure subjectifs et arbitraires.
Après tout, les preuves scientifiques ne peuvent que nous aider à décrire le continuum entre bénéfices et risques.
L’évaluation de la question de savoir si le bénéfice est suffisant pour justifier le préjudice — c’est-à-dire la décision quand "faire" — cette évaluation se base nécessairement sur un jugement de valeur.

Dans la guerre de la mammographie de dépistage, chaque camp affirme que les données probantes suggèrent que les femmes devraient ou ne devraient pas subir une mammographie de routine à partir de l’âge de 40 ans.  
Mais ainsi on prive le public, selon les auteurs, de ce que les données probantes peuvent nous dire.
Les camps adverses ne font que porter des jugements de valeur différents sur l’endroit où fixer le seuil.
Mais qui a raison? Qui devrait porter ces jugements?
La réponse évidente pourrait être « la patiente et son médecin ». Mais il serait insensé de suggérer que chaque décision médicale devrait être prise à nouveau pour chaque patient sans des lignes directrices, et sans normes professionnelles.
On tourne en rond, puisque les lignes directrices dépendent aussi du panel du groupe d'étude....

Notre profession doit commencer à faire la distinction entre les choix qui sont clairs et ceux qui nécessitent une prise de décision personnalisée.


Extrait :

"A cette fin, pour la plupart des interventions, plutôt que de rechercher un seuil unique et universel d’intervention (ici le dépistage NDLR) (Fig. 1A), nous devrions argumenter sur un minimum de deux seuils distincts; nous devrions argumenter sur minimum deux âges distincts : un âge au-dessus duquel les avantages l’emportent clairement sur le risque de préjudice, auquel cas les cliniciens devraient recommander l'intervention; et un âge au-dessous duquel des préoccupations dominent clairement quant aux préjudices. Dans ce cas, les cliniciens devraient déconseiller cette intervention.
Entre ces deux seuils se trouve une zone grise de bénéfice net indéterminé, dans laquelle les cliniciens devraient s’en remettre aux préférences de la patiente, comprenant par exemple la réaction émotionnelle d’une femme au risque de cancer du sein, afin de décider d’intervenir ou non (Fig. 1B).

C'est justement une zone grise dans laquelle les femmes de la quarantaine se retrouvent avec les nouvelles directives mammographiques.
Lire à ce sujet : https://cancer-rose.fr/2023/05/15/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/

Les auteurs avancent que nous, praticiens, préférons généralement ignorer ces zones grises. Il est plus facile, après tout, de simplement abaisser le seuil d’intervention, de recommander la mammographie à toutes les femmes de 40 ans ou plus, plutôt que de se fier à des jugements individuels quant à savoir laquelle de ces femmes mérite réellement un dépistage.

Rentabilité

Mais, disent aussi les auteurs, l'approche actuelle est plus qu’une simple quête d’uniformité. Lorsqu’un service donné est étendu avec succès à un plus grand nombre de personnes avec plus d’intensité, la profession qui fournit ce service tend à croître en importance et en rentabilité.
Et de citer l'exemple américain : Aux États-Unis, où les médecins spécialistes jouissent souvent d’un statut élevé dans l’esprit de la population, si les experts crient haut et fort que chaque femme de 40 ans ou plus DOIT être dépistée annuellement pour le cancer du sein, alors le cancer du sein doit être important, le dépistage doit être un droit humain fondamental, et les médecins qui fournissent ce service doivent avoir une grande valeur et grande autorité (dans l'esprit du public).

On peut dire qu'en France nous connaissons les mêmes tendances, avec des "experts" ou des leaders d'opinions aux conflits d'intérêts bien celés qui ont néanmoins pignon sur rue à peu près librement dans n'importe quel média (radio, écrit, télévisé), surtout au moment d'octobre rose.(NDLR)

Dans toute industrie, nous acceptons l’idée comme naturelle que ceux qui fournissent un service ou un produit détiennent leurs propres intérêts et ceux de leurs actionnaires comme objectif principal.

Les auteurs avancent qu'il se passe le même mécanisme dans les soins de santé. Selon eux et bien qu’il soit vrai que les professionnels de la santé se soucient profondément de leurs patients, la tentation est grande des sociétés savantes professionnelles (par exemple pour le dépistage mammographique il s'agit des sociétés savantes de radiologie) de privilégier les intérêts de ses membres, et de gonfler la valeur réelle d'un dispositif, surtout lorsque cela est facile à faire (promotion sociétale et médiatique).

Des protections nécessaires


C’est pour cette raison qu’un certain degré de réglementation du marché est nécessaire, comme les lois sur la vérité dans la publicité.
Ce n’est que dans le domaine de la santé que nous n’avons pas reconnu la nécessité de protections analogues, critiquent les auteurs.
Ce n’est que dans le domaine des soins de santé, après tout, que le même groupe qui fournit un service nous dit aussi à quel point ce service est utile et combien nous en avons besoin, comme lorsque la Society of Breast Imaging établit les recommandations pour la mammographie.[5]

En cas de sur-utilisation dans les soins de santé, nous pouvons être sûrs que le système continuera tant que ceux qui ont un intérêt direct seront autorisés à gagner les guerres de la communication publique en criant au « rationnement » alors qu'on souhaite tout simplement rationaliser les soins de santé. Ou ils accuseront les membres des groupes de travail de « jury de la mort » dès lors que le panel émettra des conseils de prudence, ou à chaque fois que quelqu’un laissera entendre que plus de soins de santé, en fait, eh bien non, ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de meilleur.

NDLR : nous assistons en ce moment sur les réseaux sociaux à une guerre de communication sans merci entre le groupe canadien des soins préventifs, le CanTaskForce, en train de travailler sur des nouvelles recommandations, et des leaders d'opinion très bien relayés par la presse.[6]


Il est temps de changer les choses.

Les auteurs avancent :

"Nous devons reconnaître que, comme dans toute autre profession ou industrie, l’intérêt personnel est inévitablement à l’oeuvre dans le domaine des soins de santé. Plutôt que de reconnaître les lignes directrices de pratique offertes par les experts, nous devrions nous inspirer de la sagesse d’une saine gouvernance et mettre en place un système de freins et de contrepoids en ce qui concerne l’interprétation et l’application des données probantes médicales.
En même temps, nous devons reconnaître que ces deux tâches (interprétation et application) sont distinctes.

Bien que l’interprétation de la preuve médicale soit (ou devrait être) un exercice scientifique, l’application de cette preuve, comme dans l'élaboration de lignes directrices, est en définitive un exercice social."

Les décisions concernant les lignes directrices sur la pratique peuvent et doivent certainement être fondées sur des données probantes. Mais elles exigeront toujours des jugements de valeur émanant de patients pour dicter les soins, et se réfèreront à des réflexions sur : dans quelle mesure les coûts pour leur application pourront être engagés ?

En séparant l'examen des données probantes et la formation de lignes directrices, les désaccords fondés sur la qualité ou la substance des données probantes peuvent s'exprimer séparément des désaccords concernant les répercussions de ces lignes directrices sur les soins cliniques et sur les patients.


"Idéalement, nous devrions avoir un système dans lequel des groupes de généralistes indépendants, possédant une expertise dans les méthodes d’examen et de synthèse des données probantes, seraient chargés de synthétiser objectivement les données médicales sur une question ou un processus de soins donné.
Ces groupes indépendants pourraient ensuite solliciter les commentaires des groupes de cliniciens concernés afin de savoir ce qu’ils pensent des données probantes et où ils situeraient les seuils pour recommander les soins par rapport au processus décisionnel individualisé.
Pour faciliter l’impartialité et la visibilité politique, il serait peut-être préférable de créer une alliance entre les secteurs public et privé, avec un financement et une représentation des groupes indépendants provenant du gouvernement, de fondations privées et de groupes de fournisseurs et de payeurs.
En outre, contrairement aux groupes spéciaux ponctuels ou occasionnels, ce processus d’examen des preuves et de formation de lignes directrices devrait être financé adéquatement pour permettre des mises à jour régulières à mesure que de nouvelles preuves seront disponibles.
Les récentes propositions visant à accroître les dépenses de recherche sur l’efficacité comparative sont certainement louables, mais il est irréaliste de penser qu’un investissement dans la recherche à lui seul aura un effet considérable sur la pratique de la médecine, sans un investissement concomitant dans un processus crédible d’examen des preuves médicales et des lignes directrices en matière de soins cliniques."

Quanstrum et Hayward écrivent :
"Le Groupe de travail sur les services préventifs américain adopte le format que les auteurs proposent ici, car le groupe est composé d’experts généralistes.
Toutefois, ce groupe d’experts a tendance à interpréter les preuves et à rédiger les recommandations comme un processus unique, créant l’apparence, et peut-être la réalité, de permettre trop peu de commentaires de la part des intéressé(e)s, et de confondre souvent les désaccords sur les preuves et les désaccords sur les recommandations."

En conclusion

En tant que profession de santé, concluent les auteurs, nous avons le potentiel de jouer un rôle très réel dans l’amélioration de notre système de santé.
Nous pouvons choisir de reconnaître les zones grises de la médecine et insister pour qu’elles soient reflétées dans les guides de pratique clinique.

Et nous pouvons travailler pour empêcher que les intéressé(e)s ne se fassent entendre au plus fort dans le domaine des soins de santé — même lorsque ces voix émanent de notre propre spécialité — en accordant foi à des groupes comme le Groupe de travail sur les services préventifs qui cherche à formuler des lignes directrices objectives.

Et ce, ajoutent-ils, au lieu de poursuivre une guerre de la mammographie dès lors qu'une recommandation d'application prudente est ressentie comme menaçant la rentabilité et la stature de nos propres spécialités.

Références


[1] U.S. Preventive Services Task Force. Screening for breast cancer: recommendations and rationale. Ann Intern Med 2002; 137:344-6.
Le groupe de travail sur les services préventifs des États-Unis est "un groupe indépendant d'experts en soins primaires et en prévention qui examine systématiquement les preuves d'efficacité et élabore des recommandations pour les services cliniques de prévention". (Traduction Wikipédia anglais)- il est composé de cliniciens de soins primaires volontaires et ayant des compétences en biostatistique et épidémiologie.

[2] https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/0003-4819-137-5_Part_1-200209030-00011 "Chez les femmes de 40 à 49 ans, les données probantes selon lesquelles la mammographie de dépistage réduit la mortalité due au cancer du sein sont plus faibles, et les avantages absolus de la mammographie sont plus faibles que chez les femmes âgées. La plupart des études, mais pas toutes, indiquent un avantage sur le plan de la mortalité chez les femmes qui subissent une mammographie entre 40 et 49 ans, mais le retard observé chez les femmes de moins de 50 ans rend difficile la détermination de l’avantage supplémentaire du dépistage à 40 ans plutôt qu’à 50 ans. L’avantage absolu est moindre parce que l’incidence du cancer du sein est plus faible chez les femmes dans la quarantaine que chez les femmes âgées."
L'article cite les recommandation du bureau d'études canadien qui, en 2001 conclut à des preuves insuffisantes pour recommander la mammographie de dépistage pour les femmes de 40 à 49 ans.

[3] Society of Breast Imaging, American College of Radiology etc...

[4] Nelson HD, Tyne K, Naik A, et al. Screening for breast can- cer: an update for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2009;151:727-37.

[5] Lee CH, Dershaw DD, Kopans D, et al. Breast cancer screen- ing with imaging: recommendations from the Society of Breast Imaging and the ACR on the use of mammography, breast MRI, breast ultrasound, and other technologies for the detection of clinically occult breast cancer. J Am Coll Radiol 2010;7:18-27.

[6] Les recommandations du CanTaskForce, groupe canadien d'étude des données probantes dans les soins préventifs, sont celles-ci :
CantaskForce

«  Le dépistage est une décision personnelle. Chaque femme doit discuter des bénéfices et des préjudices du dépistage en fonction de son groupe d’âge avec un professionnel de la santé. Ainsi, elle sera en mesure de décider de ce qui est le mieux pour elle. Certaines femmes pourraient ne pas vouloir un dépistage si elles estiment les préjudices potentiels sont supérieurs aux bénéfices. » 

Trois articles de la presse canadienne ont donné très largement et majoritairement la parole à une leader d'opinion aux conflits d'intérêts manifestes, Dr P. Gordon.

1- https://theprovince.com/opinion/op-ed/dr-paula-gordon-new-breast-cancer-screening-guidelines-are-going-to-kill-many-women"Dre Paula Gordon : De nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein vont tuer de nombreuses femmes"

2-https://medicinematters.ca/breast-cancer-screening-mammogram-policies-are-based-on-flawed-research-dr-paula-gordon/
"LES POLITIQUES SUR LES MAMMOGRAPHIES DE DÉPISTAGE DU CANCER DU SEIN SONT FONDÉES SUR DES RECHERCHES ERRONÉES : DRE PAULA GORDON"

3-
https://globalnews.ca/news/8239335/breast-cancer-screening-canada-report/
"Des lignes directrices « dépassées » sur le dépistage du cancer du sein laissent tomber les femmes canadiennes."

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Tromperie dans les indicateurs et les mesures du dépistage

Mesures trompeuses sur les progrès dans le plan à long terme de lutte contre le cancer du NHS : mesures basées sur des cas et mesures basées sur la population

Oke, J.L., Brown, S.J., Senger, C. et al. Deceptive measures of progress in the NHS long-term plan for cancer: case-based vs. population-based measures. Br J Cancer (2023). https://doi.org/10.1038/s41416-023-02308-9
Jason L. Oke 1, Sarah Jo Brown 2, Chris Senger 2, and H. Gilbert Welch 3
1.Nuffield Department of Primary Care Health Sciences, Oxford University, Oxford, England
2. Manchester, NH, USA
3.The Center for Surgery and Public Health, Department of Surgery, Brigham and Women’s Hospital, Boston, MA, USA

Dans cet article, les auteurs nous expliquent comment, en prenant l'exemple du plan "long terme pour la lutte contre le cancer" du NHS*, des indicateurs et des mesures non pertinents en trompeurs sont mis en avant pour valoriser un "succès" des campagnes de dépistage.

Le NHS est le système de santé du Royaume-Uni, système universel financé par les impôts et d'accès gratuit pour tous les résidents légaux du Royaume-Uni.

Traduction Cancer Rose, 25 juin 2023

Résumé

Le plan à long terme du NHS pour la lutte contre le cancer vise à augmenter de 50 % à 75 % le nombre de diagnostics à un stade précoce et à accroître de 55 000 le nombre de personnes qui, chaque année, survivent à leur cancer pendant au moins cinq ans après le diagnostic. Les mesures de ces objectifs-cibles sont imparfaites et pourraient être atteintes sans améliorer pour autant les résultats qui comptent vraiment pour les patients.
La proportion de diagnostics à un stade précoce pourrait augmenter, alors que le nombre de patients se présentant à un stade avancé resterait le même. Davantage de patients pourraient survivre plus longtemps à leur cancer, mais les délais et le biais de surdiagnostic empêchent de savoir si quelqu'un a vu sa vie prolongée.
Les objectifs-cibles devraient être modifiés pour remplacer les mesures biaisées basées sur des cas, par des mesures non biaisées basées sur la population et qui reflètent les objectifs clés des soins du cancer sui sont : la réduction de l'incidence et de la mortalité à un stade avancé.

Introduction

En juin 2018, le Premier ministre britannique a annoncé un nouveau plan de financement quinquennal pour le National Health Service (NHS) afin d'élaborer un plan à long terme pour ce service. L'un des objectifs du plan à long terme du NHS est de "sauver des milliers de vies supplémentaires chaque année en améliorant considérablement la façon dont nous diagnostiquons et traitons le cancer"[1]. [En janvier 2019, le ministre de la santé Matt Hancock a défini deux objectifs clés pour 2028 afin d'atteindre ce but :

1.         La proportion de tous les cancers diagnostiqués à un stade précoce devrait augmenter de 50% environ actuellement à 75%.

2.         55 000 personnes supplémentaires par an devraient survivre à leur cancer pendant au moins 5 ans après le diagnostic.

Ces objectifs seraient atteints grâce à la mise en œuvre d'une série d'initiatives, notamment la révision et l'extension des programmes de dépistage du cancer existants, l'introduction de nouveaux tests, des unités mobiles de dépistage du cancer du poumon et des investissements importants dans l'intelligence artificielle (IA) afin de mieux cibler les populations à risque.

Si nous saluons l'objectif, les mesures ciblées sont imparfaites.
Si ces objectifs peuvent être atteints grâce à des améliorations significatives pour les patients atteints de cancer, ils pourraient bien aussi être atteints sans qu'il y ait une seule amélioration de ces résultats qui comptent vraiment pour les patients :

  • une réduction du risque de souffrir de symptômes du cancer ou
  • une réduction du risque de mourir d'un cancer.

En outre, la poursuite de ces objectifs pourrait même nuire directement aux patients, en diagnostiquant et en traitant des cancers qui n'étaient pas destinés à causer des problèmes, et indirectement, en détournant les ressources d'initiatives plus efficaces en matière de santé.

Paradigmes du cancer : la vision traditionnelle

Diagnostiquer le cancer plus tôt est un objectif recherché par les individus, les systèmes de santé et les gouvernements du monde entier. Le raisonnement est familier : les cancers détectés à un stade précoce sont apparemment plus "curables" et nécessitent un traitement moins agressif, avec moins d'effets secondaires.

Cette stratégie est logique si l'on se réfère à un modèle largement répandu de progression du cancer, généralement attribué à William Stewart Halsted [2]. Selon Halsted, le cancer progresse de manière ordonnée : il survient à un seul endroit, s'y développe et finit par s'étendre à d'autres parties du corps (Fig. 1, panneau de gauche). En termes de détection précoce, ce modèle repose sur l'hypothèse que les métastases ne surviennent qu'à un stade avancé de la maladie, plusieurs années après l'apparition du cancer. En outre, ce modèle homogène de progression suggère que tous les cancers, s'ils ne sont pas traités, progresseront inexorablement jusqu'à former des métastases et conduire au décès. Selon le modèle traditionnel, il en résulte que la découverte d'un plus grand nombre de cancers à un stade précoce est toujours bénéfique.

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NDLR : nous vous proposons un autre illustration des deux schémas d'évolution des cancers

Paradigmes du cancer : la vision contemporaine

Le modèle traditionnel est dépassé. Il est beaucoup trop simple pour représenter correctement la multitude de maladies actuellement désignées sous le nom de "cancer" [3]. Le modèle contemporain de progression du cancer est nécessairement plus complexe et hétérogène (figure 1, panneau de droite).

Dans les années 1960 et 1970, Bernard Fisher a remis en question le point de vue de Halsted sur la progression ordonnée du cancer. Il a émis l'hypothèse que le cancer du sein pouvait être une maladie systémique dès le départ : les cellules tumorales pouvaient être disséminées dans tout l'organisme au moment de la détection [4]. Des recherches récentes en génomique du cancer suggèrent que l'hypothèse de Fisher s'étend au-delà du cancer du sein. Dans une analyse de 118 biopsies provenant de 23 patients atteints de cancer colorectal et présentant des métastases à distance, il a été estimé que la dissémination se produisait bien avant que la tumeur primaire ne soit suffisamment importante pour être cliniquement détectable [5]. Ces cancers agressifs, "nés pour être mauvais", échapperaient à tout effort de détection précoce réalisable, et pourtant ce sont ceux qui sont les plus susceptibles de causer la mort.

Les cancers situés à l'autre extrémité du spectre de croissance sont apparus avec l'avènement du dépistage généralisé du cancer de la prostate aux États-Unis dans les années 1990. Certains cancers localisés de la prostate se développent si lentement qu'ils ne sont pas destinés à provoquer des symptômes avant que le patient ne meure en raison de risques de décès concurrents, en particulier chez les hommes plus âgés [6, 7]. Par ailleurs, certaines lésions répondant aux critères pathologiques du cancer peuvent ne pas évoluer du tout. Le même phénomène est rapidement apparu dans les essais randomisés de dépistage du cancer du poumon par radiographie pulmonaire [8]. Des observations ultérieures suggérant que certains cancers du sein [9], de la thyroïde [10] et du rein [11] régressent ont ajouté à la complexité de la situation. Collectivement, la détection de ces cancers à croissance très lente, non progressifs et en régression est devenue un surdiagnostic, c'est-à-dire le diagnostic d'une "maladie" qui n'est pas destinée à être vécue par le patient.
NDLR Lire : https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

Nous commençons à peine à connaître l'hétérogénéité de la progression du cancer. Mais il semble probable que cette hétérogénéité existe au niveau des sites primaires du cancer. En d'autres termes, certains cancers du sein, du côlon et du poumon sont déjà systémiques lorsqu'ils sont détectables, tandis que d'autres ne sont pas destinés à former des métastases. Selon le modèle contemporain, il en résulte que la découverte d'un plus grand nombre de cancers à un stade précoce n'est pas toujours bénéfique et peut même être néfaste.

Comment la répartition des stades peut être trompeuse

"La proportion de tous les cancers diagnostiqués à un stade précoce augmenterait pour passer de 50% environ aujourd'hui à 75%. "

Le modèle contemporain admet que certains cancers à un stade précoce ne sont pas destinés à devenir des cancers à un stade avancé. Ainsi, il est possible de trouver plus de cancers au stade précoce, mais sans aucun effet sur le nombre de personnes qui d'emblée présentent un cancer au stade avancé.
Néanmoins, la mesure de la distribution des stades basée sur les cas deviendra apparemment plus favorable simplement en trouvant plus de maladies à un stade précoce.

Deux exemples marquants de ce phénomène sont présentés dans la figure 2. L'introduction d'un dépistage généralisé par mammographie aux États-Unis dans les années 1980 a permis de détecter beaucoup plus de cancers du sein à un stade précoce, alors que l'incidence du cancer du sein à un stade avancé est restée quasiment la même [12]. Néanmoins, la distribution des stades est devenue apparemment plus favorable : avant le dépistage, 55 % des cancers du sein étaient diagnostiqués à un stade précoce, après le dépistage, 75 % étaient diagnostiqués à un stade précoce.
L'affirmation sans doute plus pertinente est celle reformulée : avant le dépistage, 45 % des cancers du sein étaient diagnostiqués à un stade tardif, tandis qu'après le dépistage, 25 % étaient diagnostiqués à un stade tardif. Pourtant, les deux affirmations sont trompeuses, car l'incidence de la maladie à un stade avancé n'a pratiquement pas changé.

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NDLR- explication imagée

Avec le dépistage, la proportion des cancers peu graves, peu avancés (en orange) augmente fortement tandis que celle des cancers les plus graves, les cancers avancés (en rouge) stagne.
Dans cette population des cancers peu avancés, augmentée à cause du dépistage, il y a une importante proportion de surdiagnostics.
(Extrait du livre "mammo ou pas mammo?" de C.Bour, ed.T.Souccar)
La proportion des cancers graves est donc moindre avec dépistage, puisque diluée dans l'ensemble des cancers, alors que leur taux réel n'a pas baissé.

Une tendance similaire a récemment été observée lors de la promotion du dépistage du cancer du poumon par tomodensitométrie à faible dose chez les femmes taïwanaises, dont la majorité n'a jamais fumé [13]. Beaucoup plus de cancers du poumon ont été détectés à un stade précoce, tandis que l'incidence des cancers du poumon à un stade avancé est restée stable. Là encore, la répartition des stades est devenue apparemment plus favorable : avant le dépistage, 90 % des cancers du poumon étaient diagnostiqués à un stade avancé, alors qu'après le dépistage, 58 % d'entre eux étaient diagnostiqués à un stade avancé. Ces deux exemples montrent comment une évolution favorable de la répartition des stades peut être trompeuse et pourquoi un changement dans la répartition des stades n'apporte pas en soi la preuve que les patients en ont bénéficié.

Comment la survie peut être trompeuse

"55 000 personnes de plus par an survivraient à leur cancer pendant au moins 5 ans après le diagnostic". Même dans le cadre du modèle traditionnel de progression du cancer, il est possible de détecter des cancers plus tôt sans pour autant avoir un effet sur le moment où les patients meurent de leur cancer, simplement parce que le traitement entrepris plus tôt ne confère aucun avantage par rapport à un traitement entrepris plus tard. Néanmoins, une détection plus précoce fausse la mesure de la durée de survie basée sur le nombre de cas. La durée de survie étant mesurée à partir du moment du diagnostic, le dépistage du cancer fera toujours "démarrer l'horloge plus tôt" - et donc allongera toujours la durée de survie. La question de savoir si la vie est prolongée (c'est-à-dire si la mort est retardée) est distincte. Dans le cas le plus simple - aucun changement dans le délai de survenue du décès - la durée de survie s'allonge et indique un bénéfice alors qu'il n'y en a pas.

Cependant, même si le décès a été retardé, le temps de survie exagérera l'efficacité apparente du dépistage. En raison de ce "biais du temps d'avance" [14], un taux de survie plus élevé ne signifie pas nécessairement qu'une détection plus précoce a permis de prolonger la vie des patients.
NDLR, lire ici explication illustrée et détaillé sur survie et biais d'vance au diagnostic : https://cancer-rose.fr/2021/10/18/quest-ce-que-la-survie/

Mais il existe un autre biais, potentiellement plus important, associé au modèle contemporain de progression du cancer : la détection de cancers qui ne sont pas destinés à provoquer des symptômes ou la mort. L'introduction du dépistage tend à découvrir ces cancers subcliniques qui passaient auparavant inaperçus. Le surdiagnostic fait des dégâts dans les statistiques de survie (Fig. 3).

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L'ampleur de ce problème ne doit pas être sous-estimée. Par exemple, lorsque les prestataires de services payants ont introduit le dépistage de la thyroïde par échographie en Corée du Sud, l'incidence du cancer de la thyroïde a été multipliée par 15 en l'espace d'une décennie. La totalité de l'augmentation concernait de petits cancers papillaires de la thyroïde, dont on sait depuis longtemps qu'ils sont fréquents à l'autopsie, mais qui constituent une cause de décès extrêmement rare [15].
NDLR, lire : https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/
Plus de 40 000 personnes ont été diagnostiquées avec la maladie rien qu'en 2011, et la quasi-totalité d'entre elles ont survécu 5 ans ou plus. En fait, un site web promouvant le tourisme médical coréen a présenté la Corée comme l'endroit où l'on peut être traité pour un cancer de la thyroïde, en vantant "le taux de survie au cancer de la thyroïde le plus élevé au monde" [16].

Rien ne prouve que le dépistage ait profité à qui que ce soit, mais beaucoup ont certainement souffert d'interventions chirurgicales inutiles et de la perte de la fonction thyroïdienne. Pourtant, grâce à ces actions, la Corée du Sud, un pays dont la population est inférieure à celle du Royaume-Uni, a presque réussi à faire en sorte que 55 000 personnes de plus par an survivent à leur cancer pendant au moins 5 ans après le diagnostic, simplement en dépistant le cancer de la thyroïde.

Si la survie est une mesure parfaitement valable dans un essai de traitement randomisé, les comparaisons de survie dans le temps (par exemple 1980 vs aujourd'hui) ou dans l'espace (par exemple Royaume-Uni vs États-Unis) peuvent en dire plus sur la pratique diagnostique que sur la qualité du traitement ou le risque de décès [17]. Dans le cas du cancer de la thyroïde, par exemple, la survie à 5 ans est de 87 % au Royaume-Uni et de 98 % aux États-Unis [18, 19]. Alors qu'il est tentant d'imaginer que le traitement du cancer de la thyroïde doit être meilleur aux États-Unis, la mortalité par cancer de la thyroïde est en fait plus faible au Royaume-Uni (2,4 contre 3,0 par million d'habitants, standardisé par rapport à l'âge de la population mondiale) [20].
(NDLR : la survie n'est donc pas un bon indicateur d'efficacité du dépistage, elle est fallacieusement améliorée par les surdiagnostics, et par les améliorations thérapeutiques en vigueur. )

Aller de l'avant - mesures basées sur la population

Les mesures cibles du NHS, la répartition des stades et la survie, surestiment régulièrement la contribution de la détection précoce du cancer. Le problème de ces mesures basées sur les cas est que les efforts de détection précoce influencent à la fois le numérateur et le dénominateur, ce qui rend impossible de discerner si de véritables progrès ont été réalisés. Ce qu'il faut, c'est un dénominateur stable, qui ne soit pas affecté par la détection précoce, à savoir la population (tableau 1).

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Incidence à un stade avancé

La diminution de l'incidence des cancers à un stade avancé suggère que le dépistage remplit sa mission : avancer le moment du diagnostic pour les cancers qui, autrement, seraient destinés à se manifester cliniquement à un stade avancé. (Il est important de souligner que l'incidence à un stade avancé ne prend en compte que les patients chez qui le cancer est diagnostiqué pour la première fois à un stade avancé ; elle ne concerne pas les patients chez qui le cancer est diagnostiqué à un stade précoce, mais qui évolue néanmoins vers un stade avancé [21]).
Les cancers destinés à se manifester cliniquement à un stade avancé sont les plus agressifs et les plus mortels. Ce sont ceux que nous souhaitons le plus découvrir tôt, dans l'espoir qu'un traitement précoce confère un certain avantage par rapport à un traitement plus tardif.

La diminution de l'incidence des stades tardifs peut cependant ne pas conduire à une diminution du nombre de décès, car le traitement amorcé plus tôt n'est pas toujours plus efficace que le traitement amorcé plus tard. L'essai de dépistage du cancer de l'ovaire UKCTOCS, par exemple, a permis de réduire de 25 % l'incidence au stade avancé (stade IV), mais cette détection et ce traitement plus précoces ne se sont pas traduits par une diminution du nombre de décès dus au cancer de l'ovaire [22]. Les auteurs expliquent cela par le fait que "les cancers passés à un stade plus précoce avaient un mauvais pronostic intrinsèque" - en d'autres termes, ils étaient nés pour être mauvais.
Des essais randomisés sur la surveillance du cancer du sein [23] et du cancer du côlon [24] ont donné des résultats similaires : une surveillance agressive a permis de détecter plus tôt la récidive du cancer, mais une détection et un traitement plus précoces n'ont pas modifié le risque de décès. Ainsi, si la réduction de l'incidence à un stade avancé prouve que le dépistage permet d'avancer le moment du diagnostic pour les cancers les plus graves, elle ne signifie pas nécessairement que les patients sont aidés.

Mortalité : toutes causes confondues ou cancer ciblé

"Le risque de décès est le risque qui préoccupe le plus l'individu", a déclaré Sir Richard Doll il y a 30 ans, lorsqu'il s'est demandé si des progrès étaient accomplis dans la lutte contre le cancer [25]. C'est toujours vrai aujourd'hui : la réduction de la mortalité reste la mesure la plus importante des progrès accomplis dans la lutte contre le cancer.

Le langage est subtil mais sans ambiguïté : c'est le risque de mourir de toutes les causes qui préoccupe les patients, et pas seulement le risque de mourir d'un cancer. Éviter de mourir d'un cancer pour succomber à une autre cause n'est pas vraiment un progrès - certains ont même affirmé que mourir d'autres causes pourrait être pire [26].

Des essais randomisés sur le dépistage du cancer du poumon [27], du colon [28] et de la prostate [29] ont montré que le dépistage réduisait de manière significative le risque de mourir du cancer cible, mais n'avait aucun impact sur la mortalité toutes causes confondues. Ce paradoxe apparent peut résulter à la fois (1) des décès hors cible (c'est-à-dire des décès qui sont la conséquence du dépistage et de l'intervention ultérieure, mais qui ne sont pas attribués au cancer cible) et (2) des risques concurrents de décès associés au vieillissement (c'est-à-dire que les personnes qui courent un risque élevé de mourir d'un cancer courent également un risque élevé de mourir d'autres causes) [30].
Les patients et les décideurs du NHS qui entendent que le dépistage "sauve des vies" peuvent raisonnablement s'attendre à ce que le dépistage améliore leur longévité (c'est-à-dire qu'il réduise la mortalité toutes causes confondues). Mais ce n'est peut-être pas le cas.

Le paradoxe apparent peut également s'expliquer plus simplement : comme étant le résultat du jeu du hasard. La mortalité toutes causes confondues est une mesure peu sensible pour les interventions à l'échelle de la population ciblant un seul cancer (par exemple, le cancer du côlon ou du poumon), car les décès dus au cancer ciblé ne représentent qu'une petite partie de l'ensemble des décès. Un essai de dépistage d'un seul cancer visant à détecter l'effet sur l'ensemble des décès nécessiterait un effort herculéen - des centaines de milliers de personnes suivies pendant une décennie ou plus.

Ainsi, lorsque le NHS envisage d'abaisser l'âge de début du dépistage du cancer du côlon (de 60 ans à 50 ans) ou d'étendre le dépistage du cancer du poumon en ajoutant des unités mobiles, il est raisonnable de mesurer les progrès en termes de mortalité par cancer du côlon ou du poumon. Mais lorsque le NHS envisage des interventions destinées à lutter contre tous les cancers combinés - comme l'IA pour mieux cibler les populations à risque et les tests de détection précoce de plusieurs cancers (biopsies liquides) - nous pourrions affirmer que non seulement la réduction de la mortalité toutes causes confondues est la meilleure mesure du progrès, mais qu'elle est également atteignable, car tous les cancers combinés représentent une part importante de l'ensemble des décès [31].

Conclusion

Le décès n'est pas le seul résultat pertinent pour la détection précoce du cancer, d'autres résultats sont également importants. Il est concevable, par exemple, qu'une détection précoce réduise la charge symptomatique de certains patients atteints de cancer sans prolonger leur vie. Mais il est beaucoup plus probable que le dépistage entraîne un fardeau supplémentaire pour d'autres personnes. Tout d'abord, de nombreuses personnes en bonne santé doivent être persuadées qu'elles ont "besoin" de se faire dépister - trop souvent à l'aide de messages effrayants suggérant que les personnes qui meurent d'un cancer auraient pu éviter cette issue grâce à une détection plus précoce. Ensuite, il y a les problèmes causés par des résultats anormaux : le stress émotionnel et psychologique chez les personnes alarmées à tort, les tests ultérieurs de routine chez les personnes considérées comme présentant un "risque élevé" en raison d'une anomalie détectée, et la toxicité et les complications d'un traitement inutile chez les personnes surdiagnostiquées.

L'énigme du dépistage du cancer réside dans le fait que si seuls quelques participants peuvent potentiellement en bénéficier, tous peuvent potentiellement en pâtir. Les arguments en faveur d'un dépistage plus intensif exigent donc que les bénéfices soient suffisamment importants pour justifier les préjudices et les coûts d'opportunité qui y sont associés. Comme nous l'avons montré ici, les mesures indirectes des bénéfices peuvent être trompeuses - ce qu'il faut, c'est prouver que le dépistage permet en fait de sauver des vies. Cela sera difficile à réaliser car l'effet recherché est nécessairement faible. Compte tenu de l'évolution des connaissances selon lesquelles la biologie de la tumeur et la réponse de l'hôte sont plus pertinentes pour le pronostic que le moment du diagnostic, nous pensons qu'il est temps de remettre en question l'affirmation selon laquelle un dépistage plus intensif est la meilleure stratégie pour progresser dans la lutte contre le cancer.

Références

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Abaisser l’âge du début du dépistage, mais à quel prix ?

Synthèse Cancer Rose, 15 mai 2023

En fin d'article : réaction de la NBCC

Comme l'annonçait, en ce début mai 2023, le journal Globe and Mail ainsi que beaucoup d'autres médias nord-américains, il serait dorénavant recommandé pour les femmes à risque moyen de cancer du sein de passer des mammographies de dépistage tous les deux ans à partir de 40 ans, et cela en vertu d'une proposition de mise à jour des lignes directrices de l'USPSTF, le groupe de travail américain sur les services préventifs.
La nouvelle a fait grand bruit car il s'agit d'un abaissement des recommandations au dépistage de 10 années par rapport aux modalités de dépistage antérieures, qui préconisaient le dépistage du cancer du sein à 50 ans seulement, en raison de risques majorés pour les populations plus jeunes et pour un bénéfice trop restreint.
C'est donc un changement conséquent.

Selon la présidente sortante de l'USPSTF, le Dr Carol Mangione, "les choses ont changé" : les taux de cancer du sein chez les jeunes femmes ont augmenté, les progrès de la mammographie numérique ont amélioré leur précision de détection et de meilleurs traitements se traduisent par une amélioration de la survie.

Déjà à ce stade nous relevons deux affirmations qui devraient faire poser la question de la pertinence d'un dépistage :

Comme on pouvait s'y attendre " L'American Cancer Society (ACS) applaudit le retour des recommandations de l'USPSTF de commencer le dépistage à 40 ans" dans un communiqué.
Les fournisseurs du secteur de l'imagerie de la femme, tels que Hologic et iCAD, ont vu le cours de leurs actions grimper en flèche à la suite de cette annonce, car les volumes de mammographies de dépistage vont significativement augmenter. 

Et puis allez, pourquoi ne pas recommander que les femmes effectuent un dépistage par mammographie à partir de l'âge de 40 ans ET annuel, et même toute leur vie durant sans l'arrêt préconisé à 74 ans, donc sans limite supérieure ?
Voilà un pas allègrement franchi par l'Américan Cancer Society "car l'âge ne devrait pas être un facteur déterminant pour l'arrêt du dépistage, mais plutôt l'état de santé général ...", comme l'a déclaré Stamatia V. Destounis, MD, présidente de la Commission du sein de l'ACR (American College of Radiology)et membre du Réseau des conseillers en information publique de la société nord-américaine de radiologie.
(Pour les conflits d'intérêts de Mme Destounis avec iCAD, industriel de l'imagerie, voir ici : https://www.rsna.org/-/media/Files/RSNA/Annual%20meeting/2022-AMPPC-Planners-Disclosure)

JUSTIFICATION ET CONSEQUENCES DE CE CHANGEMENT

Judith Garber, journaliste scientifique et analyste politique du Lown Institute dans un article ainsi que John Horgan, également rédacteur scientifique dans un autre article essaient tous deux d'analyser les raisons invoquées par l'agence américaine, qui sont essentiellement de l'ordre de deux :
-augmentation des cancers du sein chez des femmes plus jeunes, et
-augmentation des cancers les plus agressifs chez les femmes noires.

Judith Garber relève avec justesse que "la modification des lignes directrices de l'USPSTF a surpris de nombreux experts de la santé, car il n'y a pas eu de nouveaux essais cliniques sur le dépistage du cancer du sein qui justifieraient un ajustement des lignes directrices."

A-le dépistage pourrait raccourcir plus de vies qu'il n'en "sauve"

"Le groupe de travail", explique Horgan,"justifie sa décision en citant l'augmentation récente du nombre de cancers du sein chez les femmes de 40 ans et les taux de mortalité plus élevés que la moyenne chez les femmes noires. Cette justification n'a aucun sens, car les mammographies n'aident pas les femmes à vivre plus longtemps - selon le groupe de travail lui-même ! En fait, il est prouvé que la mammographie raccourcit plus de vies qu'elle n'en sauve.*" selon ce travail de synthèse citée par Horgan, paru en 2021.
De toute façon, expliquent aussi bien Garber que Horgan, même en ajustant les modèles prédictifs pour tenir compte des taux plus élevés de cancers chez les jeunes femmes, la balance bénéfice/risque n'est toujours pas très différente des résultats précédents de l'USPSTF de 2016, avec toujours une prépondérance des inconvénients par rapport au bénéfice escompté.
* "L'examen de la tendance de la mortalité toutes causes confondues révèle que le compromis entre les inconvénients et les avantages de la mammographie s'est déplacé vers les inconvénients au fil du temps." 

"Le changement se produit toujours au fil du temps, évidemment, au fur et à mesure que les preuves évoluent" déclare Ruth Etzioni, biostatisticienne travaillant au Fred Hutchinson Cancer Center, dans le media STAT.
"En même temps, il doit y avoir une raison convaincante et dans les documents ici, je ne vois pas encore de raison convaincante. Lorsque je me suis penchée sur les études de modélisation de 2016, l'analyse des bénéfices et des risques était très similaire."

B-L'excès de cancers agressifs chez les femmes noires

"L'USPSTF a également voulu souligner que les femmes noires sont diagnostiquées avec un cancer du sein à un stade plus avancé et qu'elles sont confrontées à un taux de mortalité par cancer du sein plus élevé que les autres groupes raciaux", reprend J.Garber ; "par conséquent, une date de début de dépistage plus précoce pour ces patientes pourrait sauver des vies et réduire les disparités raciales dans les résultats du cancer du sein. Cependant, bien que l'USPSTF ait utilisé de nouveaux modèles explorant les bénéfices et les risques du dépistage chez les femmes noires, elle s'est abstenue de recommander un dépistage plus précoce pour les femmes noires en particulier."
Pour Mme Garber :
-l'abaissement de l'âge ne résoudra pas le problème de l'accès aux soins pour certaines populations.
- pour réduire les disparités raciales, il ne suffit pas d'abaisser l'âge du dépistage. Les disparités dans la mortalité par cancer du sein sont la résultante, aux Etats Unis, souvent de disparité de nature structurelles, sociales et économiques, avec de moindres chances pour l'accès aux soins pour les populations noires.

C-bénéfice sur la mortalité, mais quelle contrepartie ?


L'agence étatsunienne de son côté affirme que les avantages de la mammographie, qui permet idéalement de détecter le cancer à un stade précoce où il est plus facile à traiter, l'emportent sur les inconvénients ( que sont les faux positifs et les surdiagnostics). Mais ces prétendus avantages du dépistage, très hypothétiques et de plus en plus remis en question, n'apparaissent que dans les études qui mesurent la mortalité due au cancer du sein, et ils ne tiennent pas compte des préjudices liés au surdiagnostic. Ils ne tiennent pas compte des cancers secondaires radio-induits, suite à la radiothérapie (cancers bronchiques secondaires, leucémies), des cardiopathies ayant significativement augmenté chez les survivantes du cancer, des suicides, des syndromes anxio-dépressifs, etc..

"Pour ces raisons," écrit Horgan," les chercheurs privilégient de plus en plus la "mortalité toutes causes confondues", c'est-à-dire le décès quelle qu'en soit la cause, comme mesure de l'efficacité du dépistage. La mort, point final, est un critère strict, qui ne laisse aucune marge de manœuvre subjective. Diverses études ont montré que la mammographie ne prolonge pas la vie lorsque la mortalité toutes causes confondues est mesurée. C'est pourquoi certains experts préconisent l'abandon du dépistage par mammographie."

J.Horgan cite Amanda Kowalski, économiste spécialisée dans les soins de santé, qui présente ces données dans "Mammograms and Mortality : How Has the Evidence Evolved ?", publié dans le Journal of Economic Perspectives en 2021.
"Sur une période de vingt ans, les femmes ayant bénéficié d'un dépistage sont décédées à un rythme nettement plus rapide que les femmes du groupe témoin. Kowalski note que les femmes dépistées avaient un risque élevé de mourir d'un cancer du poumon ou de l'œsophage ; elle cite des preuves que la radiothérapie pour le cancer du sein augmente les risques de cancer mortel du poumon et de l'œsophage pour les patientes."
Voici la mise en garde de J.Horgan : "les mammographies pourraient être bénéfiques aux femmes présentant un risque de cancer du sein supérieur à la moyenne, telles que celles dont des membres de la famille ont succombé à la maladie. Mais les conclusions du professeur Kowalski ont une conséquence dévastatrice : le dépistage des femmes en bonne santé et asymptomatiques finit par tuer plus de femmes qu'il n'en sauve." Ceci corrobore les conclusions de M.Baum, selon lesquelles, dans une publication du BMJ en 2013, les effets néfastes du dépistage du cancer du sein l'emportent sur ses bénéfices si les décès dus au traitement sont pris en compte.

DES SCENARIOS

Le rapport de modélisation de l'USPSTF pour ses nouvelles recommandations présente une multitude de scénarios qui estiment les taux auxquels le dépistage du cancer du sein entraînerait certains avantages et inconvénients, selon différents âges de début, de durée et selon différents rythmes de dépistage.

Mais à chaque fois, une personne sans sur-risque particulier, qui se fait dépister, a plus de chances d'être traitée pour un cancer qui ne lui aurait jamais fait de mal que d'éviter de mourir d'un cancer du sein. Elle a plus de deux fois plus de chances de mourir de toute façon d'un cancer du sein, dit J.Garber, que de se voir détecter et traiter avec succès un cancer agressif. Et les femmes dépistées sont bien plus susceptibles de subir une biopsie inutilement ou de recevoir un résultat faussement positif que d'éviter de mourir d'un cancer du sein.

Tout est une question de compromis, en intensifiant le dépistage, en le débutant plus tôt, en le poursuivant plus tard, on évite peut-être des décès, mais au prix de combien de faux positifs en contrepartie, de surdiagnostics et de surtraitements qui eux-même compromettent la santé et la survie ?
Quels sont les compromis que nous acceptons ? Est-ce que tout individu est prêt à accepter le même compromis que son voisin ?
Une décision prise dans l'intérêt de la santé de la population peut ne pas être acceptable pour tout individu.
Quel est le prix que chaque femme est prête à payer pour qu'un décès par cancer du sein soit évité, sachant que dans le même temps d'autres femmes (dont elle-même) peuvent expérimenter la détection d'un cancer qui ne leur aurait pas été fatal, qui les expose à un surtraitement, à un possible cancer secondaire dû à la radiothérapie pour un cancer qu'on pouvait ignorer ?

Avec l'abaissement de l'âge de début du dépistage de 50 à 40 ans, l'USPSTF affirme concrètement que pour éviter un décès supplémentaire par cancer du sein sur 1 000 femmes dépistées, les femmes doivent accepter 519 faux positifs supplémentaires, 62 biopsies inutiles de plus et deux cas supplémentaires de surdiagnostic" par rapport aux faux positifs, biopsies inutiles et surdiagnostics déjà existants pour un dépistage débutant à 50 ans.
Voilà exactement ce que signifie l'abaissement d'une décennie de l'âge de début du dépistage.

CONCLUSION, un retour en arrière

Selon Horgan, ces changements des recommandations de l'USPSTF ne sont pas justifiés, pour lui "l'appât du gain ne peut être écarté. La prise en charge du cancer du sein est une vaste entreprise rentable, alimentée par la peur que les femmes éprouvent à l'égard de cette maladie." Ce business du cancer est ce qu'il explique longuement dans cet article.

La modélisation utilisée pour apprécier concrètement ce qu'un dépistage va produire "ne tient toujours pas compte des implications négatives à long terme du dépistage du cancer (par exemple, le surdiagnostic) ou du fait que les tumeurs se développent parfois de façon inattendue, ou du fait que les tumeurs se développent et régressent parfois à des rythmes différents." comme l'explique V.Prasad, professeur d' oncologie et hématologie américain dans sa video de 2021".

D'autres réactions notent le caractère très rémunérateur de cette nouvelle recommandation :
https://radiologybusiness.com/topics/medical-imaging/womens-imaging/uspstf-recommends-women-begin-breast-cancer-screening-40-boosting-stocks-mammo-related-firms
Dans Radiology business on peut ainsi lire : " Le groupe de travail américain sur les services préventifs a publié mardi de nouvelles recommandations sur le dépistage du cancer du sein, invitant désormais toutes les femmes à se soumettre à un dépistage tous les deux ans à partir de l'âge de 40 ans.
Ce projet de lignes directrices marque un changement par rapport aux normes précédentes de l'USPSTF, qui préconisait le dépistage à partir de 50 ans. Les fournisseurs du secteur de l'imagerie pour femmes, tels que Hologic et iCAD, ont vu le cours de leurs actions grimper en flèche mardi matin à la suite de cette nouvelle, car les volumes de dépistage devraient augmenter. 
L'influente USPSTF avait précédemment encouragé les femmes à "prendre une décision individuelle" quant au moment de commencer le dépistage avant 50 ans, mais elle fait maintenant marche arrière et s'aligne sur les lignes directrices énoncées par les sociétés médicales."

Onco'Zine titre : "La mise à jour des lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein devrait stimuler la vente d'équipements de mammographie".
Selon ce média, la projection de croissance à escompter est faramineuse : "Évalué à 1,9 milliard de dollars américains en 2021, le marché mondial des équipements de mammographie devrait atteindre un montant stupéfiant de 4,3 milliards de dollars américains en 2030. Cette projection est basée sur une prévision de GlobalData, une importante société de données et d'analyse."

On peut considérer cette mesure, qui, nous pouvons parier, sera sûrement adoptée dans d'autres pays occidentaux, comme une réelle régression, à une époque où la médecine moderne préconise plutôt une réflexion mesurée et pondérée, conjointe avec le patient, où on commençait à se poser plutôt la question de la désescalade des procédures de routine préjudiciables.

L'information des femmes est une fois de plus fortement mise en danger, le message donné étant que davantage de dépistages équivaut à sauver des vies, cela sans preuve aucune, alors qu'à la fois le Conseil de l'Europe appelle à la prudence et que même l'Institut du Cancer Américain encourage les concepteurs de lignes directrices à approfondir leurs recherches avant de mettre à jour leurs lignes directrices, afin de s'assurer que les meilleures données possibles sur les effets néfastes du dépistage sont utilisées pour formuler leurs recommandations.

On en est bien loin....

REACTION DE LA NBCC (National breast cancer coalition, USA)

Il n'y a pas de nouvelles preuves à l'appui des changements proposés par l'USPSTF pour les lignes directrices relatives au dépistage par mammographie

14 juin 2023

National Breast Cancer Coalition demande des stratégies fondées sur des données probantes pour répondre aux questions difficiles et sauver des vies.

"Fondée en 1991, la National Breast Cancer Coalition (NBCC) est une collaboration d'activistes, de survivantes, de chercheurs, de décideurs politiques, de groupes locaux et d'organisations nationales qui se sont rassemblés pour innover de manière radicale en vue d'un changement social. Nous mettons en relation des centaines d'organisations et des dizaines de milliers d'individus de tout le pays au sein d'une coalition dynamique et diversifiée qui donne au cancer du sein une voix significative à Washington, D.C., et dans les capitales des États, dans les laboratoires et les institutions de soins de santé, et dans les communautés locales partout présentes".

"Notre activisme a généré plus de 4 milliards de dollars supplémentaires pour la recherche sur le cancer du sein. Nos initiatives de recherche et notre plaidoyer ont contribué à l'émergence de nouveaux modèles de recherche".

Missions :
- Poser les questions difficiles.
- Interpeller les scientifiques.
- Dire la vérité.
- Faire campagne pour le financement de la recherche et l'accès aux soins.
- Faire avancer la cause pour sauver des vies.

Le dépistage par mammographie est, par définition, destiné aux femmes qui ne présentent aucun symptôme ou signe de cancer du sein. Lors du dépistage du cancer du sein chez les femmes asymptomatiques, les bénéfices doivent être clairs et les préjudices inexistants. Malheureusement, le projet de recommandations de l'United States Preventive Services Task Force (USPSTF) concernant le dépistage du cancer du sein chez les femmes présentant un risque moyen ne répond pas à ces critères.

Les dépistages devraient en fin de compte permettre de réduire le nombre de décès. Mais la question de savoir si le dépistage par mammographie réduit le nombre de décès, en particulier chez les jeunes femmes, est débattue depuis des décennies. Les chercheurs ont mené au moins sept essais cliniques prospectifs randomisés - l'étalon-or des preuves - et aucun n'a résolu la question. 

Aujourd'hui, des méthodes de preuve moins robustes et moins claires, connues sous le nom de modélisation statistique, sont utilisées pour trouver un avantage au dépistage précoce. Ces méthodes sont complexes et nécessitent de nombreuses hypothèses. Pourtant, l'USPSTF utilise les résultats de ces modèles pour recommander des dépistages bisannuels pour toutes les femmes de 40 ans et plus, plutôt que de laisser les femmes décider elles-mêmes. 

Lire notre déclaration officielle sur le projet de lignes directrices.

Position du NBCC sur le dépistage par mammographie
Le dépistage du cancer du sein par mammographie chez les femmes présentant un risque moyen et ne présentant aucun symptôme est un sujet extrêmement complexe et controversé. Parce qu'il a lieu dans une population en bonne santé, la National Breast Cancer Coalition (NBCC) estime depuis longtemps que les bénéfices du dépistage doivent être nettement supérieurs aux risques. 

Dans ses recommandations antérieures, que la NBCC a soutenues avec réticence, l'USPSTF préconisait un dépistage mammographique bisannuel pour les femmes âgées de 50 à 74 ans, avec l'option d'un dépistage bisannuel pour les femmes âgées de 40 à 49 ans à la suite d'une conversation avec leur médecin sur les risques et les bénéfices. Les femmes pouvaient choisir. Ces lignes directrices reconnaissaient les préjudices connus du dépistage et le fait que les données des essais contrôlés randomisés ont montré des bénéfices limités pour toutes les femmes, en particulier dans ce groupe d'âge.

Les preuves n'ont pas changé-
Aucune nouvelle donnée expérimentale n'est apparue concernant les bénéfices et les risques du dépistage par mammographie. Qu'est-ce qui a motivé ces nouvelles recommandations ?

La situation est complexe et les données scientifiques sont denses. L'USPSTF a fondé ses recommandations sur une analyse de modélisation collaborative utilisant les six modèles de cancer du sein du réseau CISNET (Cancer Intervention and Surveillance Modeling Network). 
Ces six modèles statistiques ont été utilisés pour estimer indépendamment les résultats du cancer du sein dans un groupe hypothétique de 1 000 femmes de 40 ans à risque moyen, avec ou sans dépistage du cancer du sein (soit par mammographie numérique, soit par tomosynthèse mammaire numérique). L'USPSTF a examiné les résultats pour les femmes de toutes races et les femmes noires, respectivement.
Les modèles ne concordent pas. Chaque approche de modélisation a donné lieu à des estimations différentes pour chaque résultat et préjudice. La valeur médiane de tous les modèles a été utilisée pour fournir les meilleures estimations des bénéfices et des dommages dans chaque scénario.

Un examen plus approfondi des chiffres

En 2016, en utilisant la même approche de modélisation statistique et les six mêmes modèles CISNET, l'USPSTF a donné au dépistage des personnes âgées de 40 à 49 ans une recommandation de niveau "C", laissant la décision aux femmes.  
En 2023, l'analyse du modèle collaboratif a fait passer la force de la recommandation de "C" (nécessitant une décision éclairée) à "B" (une pratique que le prestataire devrait fortement encourager et sur laquelle il sera noté). Quelle était la différence ? Ils ont constaté que 0,3 décès supplémentaire par cancer du sein était évité pour 1 000 femmes dépistées au cours de leur vie.

Quels sont les risques du dépistage ?

Les estimations du modèle de l'USPSTF comprennent
- Une augmentation d'environ 60 % des résultats faux positifs (de 873 à 1 376).
- Une augmentation d'environ 6 % des biopsies bénignes (environ 148 à 210).  
- Deux cas supplémentaires de surdiagnostic (de 12 à 14), bien qu'il y ait eu une grande variation entre les modèles, de seulement 4 à 37 cas.

Le surdiagnostic - et par conséquent le surtraitement - est l'un des principaux préjudices du dépistage. La détection, l'ablation et le traitement de cancers du sein qui, autrement, n'auraient jamais porté préjudice aux femmes ne sauvent pas des vies. En revanche, il soumet les femmes à des traitements toxiques qui pourraient entraîner des problèmes de santé importants tout au long de la vie, y compris d'autres cancers. 

Tant que les chercheurs ne pourront pas déterminer quels cancers du sein finiront par se propager, par réduire la qualité de vie ou par entraîner la mort, le surdiagnostic restera une conséquence des technologies de dépistage actuelles.

L'approche par modélisation ne reflète pas la réalité 

L'une des principales limites de l'approche par modélisation est que tous les modèles supposent une adhésion totale au dépistage, une évaluation rapide des résultats de dépistage anormaux et un accès approprié et rapide au traitement. Malheureusement, ce n'est pas ainsi que les choses se passent dans le monde réel, si bien que les bénéfices potentiels représentent une hypothèse optimiste et peu probable.

L'USPSTF a cité des données épidémiologiques qui montrent que le taux d'incidence (le nombre de nouveaux cas) du cancer du sein invasif chez les femmes âgées de 40 à 49 ans a augmenté de 2,0 % par an entre 2015 et 2019. Mais cette augmentation est probablement due, en grande partie, au dépistage intensif qui est déjà pratiqué chez les femmes de ce groupe d'âge. 

Selon les Centers for Disease Control and Prevention, entre 2008 et 2018, plus de 60 % de toutes les femmes âgées de 40 à 49 ans aux États-Unis ont subi une mammographie au cours des deux dernières années. Cela augmenterait bien sûr le nombre de cas diagnostiqués.

L'abaissement de l'âge du dépistage ne résoudra pas les disparités raciales

Il apparaît que l'USPSTF a modifié sa recommandation principalement pour combler l'écart de mortalité entre les femmes blanches et les femmes noires. Bien que l'objectif ne soit évidemment pas que les femmes noires décèdent au même rythme que les femmes blanches, mais que la mortalité par cancer du sein soit éliminée pour tous, nous devons nous pencher sur cet écart.  

Bien que l'incidence du cancer du sein soit comparable, le taux de mortalité par cancer du sein est 40 % plus élevé chez les femmes noires. Cependant, il n'est pas clair comment le fait de commencer le dépistage du cancer du sein à 40 ans aura un effet sur l'écart de mortalité, d'autant plus que, comme indiqué ci-dessus, environ 60 % des femmes de toutes les races dans cette tranche d'âge sont déjà soumises à un dépistage. L'écart persiste même si les femmes noires et blanches de cette tranche d'âge sont dépistées au même rythme. 

Le dépistage par mammographie n'éliminera pas les disparités de longue date en matière de cancer du sein, quel que soit l'âge de début et de fin du dépistage. Ces disparités sont le résultat d'un racisme structurel et des politiques de santé qui créent un accès inéquitable à des soins appropriés, opportuns et de qualité.

Que faudra-t-il vraiment pour mettre fin au cancer du sein et sauver des vies ?

Dépenser des milliards de dollars supplémentaires chaque année pour des interventions inefficaces - ou, au mieux, faiblement efficaces - détourne les ressources des questions difficiles, concernant par exemple sur la façon de prévenir le cancer du sein ou de l'empêcher de se métastaser et sur la façon de créer un système de soins de santé équitable. 

Le dépistage par mammographie n'est pas la solution pour mettre fin au cancer du sein et sauver des vies, et il est malvenu de continuer à le considérer comme une stratégie primordiale.

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La tomosynthèse intégrée dans le dépistage

C.Bour, 24 mars 2023

Dans l'actualité de ce mois de mars 2023 nous apprenons que la HAS admet l'adjonction de la tomosynthèse* dans le dépistage du cancer du sein, à certaines conditions, après avoir pourtant fait preuve de prudence jusqu'à présent, cette technique posant plusieurs problèmes.
L’analyse des données de la littérature disponible ne permet en effet pas de savoir si le fait d’intégrer la tomosynthèse dans le dépistage organisé permettrait d’améliorer le dépistage du cancer du sein, notamment en ce qui concerne le surdiagnostic et le surtraitement.

*La tomosynthèse est une technique d'imagerie qui permet d'obtenir un cliché numérique reconstitué en trois dimensions à partir d'images du sein obtenues par la réalisation de multiples coupes, ce qui jusqu'à présent conditionnait une irradiation importante supplémentaire. Parfois cette technique est effectuée dans les cabinets de radiologie sans que la patiente en soit informée.

Se pose aussi, encore et toujours en 2023, du fait de la diversité des dispositifs de mammographie numérique et de leurs fabricants, la question de la performance, de la fiabilité et de la sécurité de tous les dispositifs de tomosynthèse.

Après un deuxième volet d'analyse publié par la HAS, cette autorité valide finalement l'utilisation de la tomosynthèse (TDS) à la condition que ne soit réalisée qu'une acquisition en 3D permettant une reconstruction secondaire des images en 2D, épargnant à la patiente une double irradiation.

La HAS base donc son argumentation sur deux éléments : l'augmentation du taux de détection, et la non-augmentation de l'irradiation des femmes lors de cette procédure.
"Cette procédure permet en effet d’améliorer les performances du dépistage organisé, notamment son taux de détection des cancers, sans pour autant augmenter le nombre d’actes d’imagerie et la dose d’exposition."

Hélas, le véritable problème du surdiagnostic, pourtant évoqué dans la feuille de route de 2018, disparaît complètement des préoccupations.

Les véritables problèmes du dépistage systématique du cancer du sein restent entiers.

Tout d'abord, en aucun cas la TDS ne pourra régler le problème des cancers occultes à la mammographie standard, qui peuvent être occultes même dans des seins graisseux, et elle ne règlera pas non plus tous les problèmes des cancers d'intervalle qui peuvent se produire en très peu de temps entre deux mammographies.
Le véritable problème est que la découverte d'une image encore plus petite n'est qu'une image de l'instant T, et ne peut préjuger d'une maladie évolutive. C’est la leçon essentielle que nous donne le surdiagnostic.

En 2022 était paru un article de synthèse sur la TDS (lire ici), de tout ce que les études nous apprenaient :

  • Concernant les faux positifs, selon le résultat d'une étude de mars 2022 ici synthétisée, le dépistage répété du cancer du sein par mammographie 3D ne diminue que modestement le risque d'avoir un résultat faussement positif par rapport à la mammographie numérique standard. 
  • Une enquête portant sur huit études menées entre 2016 et 2021 montrait  que la tomosynthèse ne réduisait pas les taux de cancer d’intervalle.

Les mammographies 3D présentent donc de graves inconvénients qui doivent être clairement expliqués aux patientes, et compte tenu de l'absence totale d'information des femmes sur les risques du dépistage, ne le seront jamais. 
Aucune étude n'a été menée pour déterminer si l'utilisation de mammographies 3D améliore réellement la morbidité, la mortalité ou la qualité de vie. Cette technique peut détecter plus de cancers, mais rien ne prouve que les cancers détectés auraient réellement nui aux patientes et ne seraient pas des diagnostics inutiles, de sorte que les mammographies 3D peuvent également entraîner davantage de surdiagnostics et de surtraitements. 

D'autres problèmes existent, plus techniques, notamment pour les logiciels de 3D il n'y a pas de 'contrôle qualité image' comme c'est le cas pour la mammographie numérique habituelle, uniquement une dosimétrie est effectuée qui contrôle l'irradiation émise.
Le marché est de qualité inégale avec des constructeurs proposant des appareils moins onéreux mais dont on ne connaît pas la performance par rapport aux études du constructeur initial.

Derrière l'abdication de la HAS de toute prudence, on peut malheureusement y lire l’opportunité pour l’industrie de s’ouvrir de nouveaux marchés et pour les investisseurs d’accélérer l'émergence et la multiplication de méga-structures médicales pouvant investir dans un tel matériel, sur fond de bêtise médicale qui fait que les leçons des erreurs passées de "toujours plus de dépistage" ne seront jamais tirées.
Le salut, pour les femmes, n'est pas dans l'amélioration des techniques de détection qui fait bondir les diagnostics de cancers, mais dans la compréhension de ce que nous faisons et dans le questionnement de la pertinence et de l'utilité de nos pratiques, et de nos "découvertes".

Pour l'instant nous allons naviguer, avec la bénédiction de la HAS, vers toujours plus de diagnostics inutiles, d'interventions inutiles, de souffrances féminines inutiles.

Des oppositions

Des oppositions sur des arguments techniques de réalisation et de mise en pratique sont exprimées par l'association des centres régionaux de coordination des dépistages.
Voici son communiqué de presse :

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La densité mammaire, implications et sur-utilisation

Traduction par Cancer Rose, article publié par Judith Garber, scientifique en sciences politiques au Lown Institute, groupe de réflexion non partisan pour un système de santé plus juste et équitable.

18 mars 2023

DES SOINS DE FAIBLE VALEUR

Nouvelles lignes directrices de la FDA sur les notifications de densité mammaire et les implications d'une sur-utilisation - PAR Judith Garber | 10 mars 2023

Le contexte

Le critère radiologique de la "densité mammaire", c'est à dire la prédominance de tissu fibro-glandulaire par rapport au tissu graisseux dans le sein féminin, est maintenant considéré comme étant, à lui seul, un facteur de risque de cancer du sein, en dépit de l'absence d'études probantes.
La densité mammaire est élevée généralement chez les femmes jeunes non ménopausées (mais peut persister après la ménopause), chez les femmes plus maigres à faible capital graisseux, chez les femmes sous traitement hormonal substitutif de la ménopause.

Une loi, adoptée en 2019 par le Congrès Américain, demandait à la FDA* (Food and Drug Administration) américaine, dans le cadre du processus réglementaire, de veiller à ce que tous les comptes rendus de mammographie et les résumés fournis aux patientes incluent l' information de la densité mammaire des femmes. Déjà auparavant cette autorité qui supervise la réglementation des installations et les normes de qualité de la mammographie, demandait la communication de la densité mammaire dans les comptes rendus des radiologues.
*FDA : La Food and Drug Administration est l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments.

C'est chose faite, la FDA a récemment mis à jour ses lignes directrices sur la mammographie afin d'exiger que les établissements de mammographie informent les patientes de leur densité mammaire.

Pourquoi est-ce une préoccupation émergente également pour les populations féminines européennes ?
Parce qu'avec l'avènement de logiciels dits prédictifs, le critère radiologique de la densité mammaire est intégré en tant que facteur de risque à part entière dans des études comme celle européenne MyPEBS pour un dépistage individualisé, alors qu'au vu d'études publiées (voir article) l'augmentation du risque de cancer du sein associé à la densité mammaire est modeste, et que pour les femmes chez lesquelles un cancer du sein a été diagnostiqué, l'augmentation de la densité mammaire n'était pas liée à un sur-risque de cancer de mauvais pronostic ou de décès du cancer du sein.
La décision de la FDA est censée, selon la société Volpara qui commercialise des logiciels de mesure automatique de la densité mammaire, servir d'exemple "au reste du monde". (Voir le tout dernier chapitre de cet article, "commentaires Cancer Rose")

L'USPSTF (groupe groupe de travail indépendant examinant les services préventifs des États-Unis), soulevait déjà en 2016 plusieurs points de préoccupation de cette législation obligeant à notifier aux femmes l'information sur leur densité mammaire.

  • Variabilité importante et reproductibilité limitée dans la détermination des seins denses. Cette variabilité existe sur un examen qu'il soit lu par un radiologue ou par des radiologues différents. L'examen pour une patiente donnée peut avoir des classifications différentes et entraîner des incompréhensions conduisant à une réduction de la confiance d'une femme dans le dépistage en général, et une confusion quant à son propre risque de cancer du sein.
  • Incertitude sur les initiatives entreprises par les femmes auxquelles on a notifié une densité mammaire importante pour réduire leur risque de mourir du cancer du sein. Il s'agit de la demande d'examens complémentaires dont l'indication n'est pas étayée par des preuves, aucune donnée n'ayant prouvé que l'adjonction d'imageries autres que la mammographie chez les femmes à seins denses réduirait la mortalité par cancer ; en revanche ces adjonctions augmentent les faux positifs, les biopsies inutiles et le surdiagnostic. Le taux de rappel (pour faux positifs) est significativement augmenté par l'adjonction de l'échographie (de 14%), et par l'adjonction de l'IRM (de 9 à 23%) avec des VPP faibles[16] et un surcoût évident. Les auteurs rappellent que l'IRM, jugée souvent anodine, serait susceptible d'un (faible) sur-risque de fibrose systémique néphrogénique, et de risques incertains de dépôt de gadolinium dans le cerveau lorsque les examens sont répétés. La tomosynthèse (TS) est évoquée comme technique supplémentaire utilisée, mais les auteurs rappellent que des études à plus long terme sont nécessaires pour déterminer si l'utilisation systématique de la TS chez les femmes à seins denses entraînent une réelle amélioration des résultats du cancer du sein (mortalité, diminution du taux des cancers graves).
  • Difficulté de communiquer les informations sur la densité mammaire aux patientes. Les experts jugent cette communication difficile et dépendante du niveau d'alphabétisation des populations. Les résultats d'études montrent une médiocre compréhension et une source de confusion et de désinformation des patientes lors des informations données sur la densité mammaire.

Article de Judith Garber

La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a récemment mis à jour ses lignes directrices sur la mammographie afin d'exiger que les établissements de mammographie informent les patientes de leur densité mammaire. Ce changement, qui entrera en vigueur en septembre 2024, est la version finale d'une directive proposée en 2019 .

Les lignes directrices de la FDA contiennent des suggestions de formulation pour les notifications relatives à la densité mammaire :  "Le tissu mammaire peut être dense ou non dense. Un tissu dense rend plus difficile la détection d'un cancer du sein lors d'une mammographie et augmente également le risque de développer un cancer du sein. Votre tissu mammaire est dense. Chez certaines personnes présentant des tissus denses, d'autres examens d'imagerie, en plus de la mammographie, peuvent aider à détecter les cancers. Parlez à votre médecin de la densité mammaire, des risques de cancer du sein et de votre situation personnelle".

Il y a beaucoup de problèmes ici. La densité mammaire est un facteur de risque de développer un cancer du sein, mais c'est l'un des nombreux facteurs de risque. Il peut y avoir des femmes qui présentent un risque de cancer beaucoup plus élevé en raison de leur âge, de leurs antécédents familiaux, de leur consommation d'alcool, etc. et qui n'ont pas de seins denses, alors que d'autres femmes qui ont des seins denses présentent un risque globalement plus faible.

Si la FDA se contente de dire que "le tissu mammaire peut être dense ou non dense", la situation n'est pas aussi tranchée.

L'American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) a souligné dans un commentaire adressé à la FDA qu'"il n'existe pas de méthode normalisée pour évaluer la densité mammaire", et que la classification d'une patiente comme ayant des seins denses dépend donc de l'opinion du radiologue qui lit le test. La densité mammaire peut également changer avec le temps, ce qui signifie qu'une notification peut ne pas être vraie des années plus tard. La notification incite également les patientes à subir des examens d'imagerie supplémentaires en affirmant qu'ils "peuvent aider à trouver un cancer", mais ne mentionne pas que ces examens d'imagerie augmentent également le risque de faux positifs et d'autres événements en cascade. Aucun essai ne montre que le dépistage complémentaire du cancer par IRM ou échographie améliore la réduction de la mortalité ou de la morbidité chez les femmes ayant des seins denses. Des recherches antérieures sur les politiques de notification de la densité mammaire montrent un risque de surutilisation. Les études portant sur les politiques nationales de notification de la densité mammaire montrent qu'elles augmentent fortement la probabilité que les patientes abordent la question du dépistage complémentaire avec leur médecin et qu'elles augmentent modestement la probabilité d'un dépistage complémentaire et de biopsies mammaires. Si le dépistage complémentaire fonctionnait comme prévu et permettait de détecter les cancers dangereux à un stade précoce, on pourrait s'attendre à une réduction des taux de cancer à un stade avancé dans les États où la densité mammaire est notifiée. Cependant, une étude de 2017 sur ces politiques n'a pas montré de différence dans les taux de cancers localisés ou métastatiques entre les États avec et sans notification.

En raison de leur taux élevé de faux positifs et de l'absence de bénéfices avérés, l'ACOG ne recommande pas l'utilisation systématique d'autres examens tels que l'échographie ou l'IRM pour le dépistage du cancer du sein chez les femmes dont les seins denses constituent le seul facteur de risque. Le groupe de travail américain sur les services préventifs (US Preventive Services Task Force), un groupe indépendant qui émet des recommandations fondées sur des données probantes concernant les services préventifs, a conclu que les données probantes étaient insuffisantes pour recommander un dépistage supplémentaire chez les femmes ayant des seins denses.

Les médecins se trouvent donc dans une situation délicate, car lorsque les patientes les consulteront pour savoir ce qu'elles doivent faire, ils devront soit leur conseiller de ne rien faire (ce qui est probablement frustrant et insatisfaisant pour les patientes), soit leur dire de procéder à un dépistage supplémentaire (ce qui n'est pas universellement recommandé et pourrait les exposer à des risques d'événements en cascade).
"Les médecins de premier recours dans les États qui ont adopté de telles lois se sentent souvent mal préparés à conseiller les femmes sur les mesures à prendre, le cas échéant, pour une femme ayant des seins denses et une mammographie normale”.
Kenneth Lin, Medscape

Cette politique a également des répercussions importantes sur les coûts, tant au niveau individuel qu'au niveau du système. On estime que 40 à 50 % des femmes aux États-Unis ont des seins denses. Si toutes ces femmes subissaient un dépistage supplémentaire, cela pourrait avoir un impact important sur les dépenses de santé. Si les mammographies de dépistage sont couvertes par la plupart des assurances, les IRM supplémentaires peuvent augmenter les frais à la charge des patients et les biopsies encore davantage.

Nous connaissons au moins un groupe pour qui cette modification des lignes directrices est une aubaine : les fabricants d'appareils d'imagerie, qui financent depuis des années des groupes de défense des notifications de densité mammaire (le groupe Dense Breast Info).

Commentaires Cancer Rose

On peut voir ici les conflits d'intérêts des membres de Dense Breast info dans la liste en suivant ce lien : https://www.rsna.org/-/media/Files/RSNA/Annual%20meeting/2022-AMPPC-Planners-Disclosure
RSNA : Radiological Society of North America, c'est une organisation à but non lucratif et une société internationale de radiologues, de physiciens médicaux et d'autres professionnels de l'imagerie médicale

Parmi les "supports éducatifs" nous trouvons la société Volpara. Volpara est une Société néo-zélandaise, société cotée en bourse, (Volpara Solutions Ltd), qui commercialise des logiciels permettant de générer automatiquement des mesures normalisées de la densité mammaire.

Voici la Déclaration de Volpara à l’intention des  investisseurs le 30 sept 2022 :
https://wcsecure.weblink.com.au/pdf/VHT/02601721.pdf

Volpara enregistre une forte croissance en ligne avec ses prévisions révisées à la hausse, entre 33,5 et 34,5 millions de dollars néo-zélandais.
Nous poursuivons notre stratégie visant à équilibrer les objectifs et la croissance rentable en nous concentrant sur nos produits les plus rentables, nos marchés les plus lucratifs et en offrant la meilleure valeur aux " éléphants ", c'est-à-dire aux grandes entreprises. Nous attendons la publication de la législation de la FDA sur la densité mammaire, attendue d'ici début 2023 selon le dernier communiqué de la FDA

Attente du Mandat sur la densité mammaire par FDA

- fin 2022/début 2023
- Valide l'importance de la densité mammaire
- Donne l'exemple au reste du monde
- Décision fédérale = tout le monde doit être informé
- La densité des seins est prise en compte dans l'évaluation des risques

https://wcsecure.weblink.com.au/pdf/VHT/02601721.pdf

Par exemple, une radiologue extrêmement médiatique au Canada, Dr Paula Gordon, militant pour un dépistage du cancer du sein dès le jeune âge et contestant les recommandations de prudence du CanTaskForce**, est actionnaire de cette société et y détient des actions.
On peut ainsi lire ses prises de positions régulières dans la presse canadienne, qualifiant ni plus ni moins le groupe canadien CanTaskForce de "tueurs de femmes" :

1- https://theprovince.com/opinion/op-ed/dr-paula-gordon-new-breast-cancer-screening-guidelines-are-going-to-kill-many-women "Dre Paula Gordon : De nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein vont tuer de nombreuses femmes"
2-https://medicinematters.ca/breast-cancer-screening-mammogram-policies-are-based-on-flawed-research-dr-paula-gordon/
"Les politiques sur les mammographies de dépistage du cancer du sein sont fondées sur des recherches erronées / Dr Paula Gordon
3-https://globalnews.ca/news/8239335/breast-cancer-screening-canada-report/
"Des lignes directrices « dépassées » sur le dépistage du cancer du sein laissent tomber les femmes canadiennes."

** Le Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs a été mis sur pied par l'Agence de la santé publique du Canada (ASPC) pour élaborer des lignes directrices de pratique clinique qui appuient les fournisseurs de soins primaires dans la prestation de soins de santé préventifs.

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Scores polygéniques pour prédire les cancers ? Trop d’enthousiasme, beaucoup de limites

Synthèse d'une publication , par Cancer Rose, 9 mars 2023

https://www.bmj.com/content/380/bmj-2022-073149

Il s'ait là d'une publication d'auteurs britanniques, parue dans le BMJ le 1er mars 2023 concernant les attentes qui ont été placées dans les scores polygéniques pour prédire la survenue de cancers chez un individu.

Qu'est un score polygénique ?

Les scores polygéniques examinent des milliers de variantes génétiques dans le génome d'une personne pour estimer son risque de développer une maladie spécifique.
C'est une analyse effectuée dans un laboratoire de génétique, habituellement sur un prélèvement salivaire.
Chaque variant génétique a un effet sur le risque de développer une maladie pour un individu, mais en examinant toutes les variantes ensemble on estime pouvoir dire quelque chose de significatif sur le risque global, pour le porteur, de développer une maladie.

Contrairement aux variantes monogéniques (comme par exemple les mutations BCRA impliquant clairement un sur-risque pour le cancer du sein, cette variation ayant un effet très marqué sur le risque de cancer), les scores polygéniques, eux, peuvent être établis pour toutes sortes de maladies ; les deux applications les plus importantes, disent les auteurs, concernent le risque de cancer et le risque de maladie coronarienne.
Mais on trouve actuellement d'autres utilisations, par exemple la prédiction de la réponse aux médicaments antipsychotiques chez les patients atteints de schizophrénie.

Nous examinerons la problématique en cancérologie que les auteurs ont analysée.
Leurs messages clés :

  • Les scores polygéniques seront toujours limités dans leur capacité à prédire la maladie, car une grande partie du risque de maladie d'une personne est déterminée par des facteurs que les scores polygéniques ne peuvent pas mesurer.
  • Il faut communiquer efficacement sur ces limitations.
  • L'enthousiasme suscité par les scores polygéniques ne doit pas détourner l'attention des efforts visant à lutter contre les facteurs de risque modifiables d'une maladie (par exemple la lutte sur des facteurs environnementaux, ou hygiéno-diététiques favorisant cette maladie)

Les auteurs écrivent :

"Dans l'espoir que les scores polygéniques "changeront tout le paradigme des soins de santé", nous devons reconnaître que ces scores sont limités dans leur capacité à prédire la maladie. Si nous ne définissons pas nos attentes en conséquence, elles pourraient nuire plutôt qu'aider."

Les scores polygéniques seront toujours limités dans leur capacité à prédire la maladie

En introduction de ce paragraphe les auteurs écrivent :

" Les scores polygéniques offrent la possibilité d'évaluer simultanément le risque génétique d'une personne pour plusieurs maladies, à tout moment de son parcours de vie. Mais ils ne tiennent pas compte des effets des facteurs environnementaux ou non-génétiques mal compris qui contribuent à la plupart des maladies courantes. Ainsi, les scores polygéniques resteront toujours l'un des nombreux facteurs de risque et n'atteindront jamais un point où ils pourront prédire avec précision qui développera et qui ne développera pas la maladie."

Pour évaluer l'utilité d'un test ou d'une procédure de dépistage on utilise deux paramètres, la sensibilité et la spécificité.
Commençons par la spécificité :
Elle mesure la capacité d'un test à donner un résultat négatif lorsque l'hypothèse de maladie n'est pas vérifiée.
Mais le test peut-être dans certains cas positif alors que la personne n’est pas malade, c'est ce qu'on appelle un faux positif.

la sensibilité :
Il s’agit de la probabilité que le test soit positif pour un sujet vraiment malade.
Mais il arrive que le test soit négatif alors que la personne est réellement porteuse de cancer, c'est alors un faux négatif.

Les auteurs donnent un exemple concret pour comprendre la complexe relation entre ces deux paramètres, qui rend l'utilisation des scores imparfaite.

Il a été évalué que les scores polygéniques ont une capacité de prévenir des maladies avec une spécificité fixée à 95 % ; ceci signifie que pour 5 % des personnes il y aura un score élevé alors qu'il n'y aura pas de développement pas la maladie (5% de faux positifs).
La sensibilité typique pour un score polygénique, selon cette évaluation, est de 10-15 % ; ce qui signifie que seulement 10 à 15 % des personnes qui développeront la maladie auront un score polygénique élevé. 
Lorsqu'on cherche à augmenter la sensibilité d'un score polygénique on en réduit la spécificité, et inversement.
Pour exemple, un score polygénique développé pour détecter les femmes présentant un risque de cancer du sein au cours de leur vie supérieur à 17 % a une sensibilité de 39 % ; il identifiera donc 39 % des femmes qui développeront un cancer du sein, mais en ratera 61 % ; avec sa spécificité de 78 % , il y aura 22 % des femmes classées comme ayant un «score de risque élevé» alors qu'elles ne développeront pas de cancer du sein.

Dans le cas du cancer du sein, si on part sur une spécificité fixée à 95 %, la meilleure sensibilité atteignable serait de 19 %. Il aura une meilleure spécificité que dans l'exemple ci-dessus, on réduira les faux positifs, mais la capacité du score à identifier des femmes avec risque (sa sensibilité) sera plus faible.
Les variantes polygéniques seront toujours limitées dans leur capacité à différencier les personnes qui développeront la maladie de celles qui ne la développeront pas.

Équilibrer les avantages et les inconvénients des scores polygéniques dans la pratique clinique

Dans ce deuxième paragraphe, les auteurs étudient la capacité des scores à améliorer la prédiction lorsqu'ils sont intégrés dans la prédiction avec d'autres facteurs de risque, dans le but de donner un aperçu plus holistique du risque de maladie.

Selon les auteurs : " En utilisant cette stratégie, les scores polygéniques améliorent légèrement la prédiction du risque."

Par exemple pour l'étude MyPebs cherchant à étudier la pertinence d'un dépistage individualisé du cancer du sein basé sur le risque individuel de chaque femme, le score polygénique est intégré parmi d'autres facteurs dits de risque de cancer du sein comme l'âge, les antécédents familiaux, la densité des seins.

Les auteurs de cette publication toutefois alertent :
" Beaucoup espèrent que les scores polygéniques amélioreront les programmes de dépistage du cancer grâce à un dépistage précoce ou plus fréquent pour les personnes à risque polygénique plus élevé. Il a par exemple été proposé de proposer une mammographie annuelle aux femmes âgées de 40 à 50 ans présentant des scores polygéniques indiquant qu'elles présentent un risque modéré ou élevé de cancer du sein. Cela a le potentiel de détecter 1 700 cancers supplémentaires, mais au prix de 5 722 résultats faussement positifs et de 4 112 cancers encore manqués."

Les auteurs proposent une illustration parlante. Il s'agit d'une projection sur 100 personnes indiquant comment les scores polygéniques fonctionneraient pour la détection de cancers, pour trois types de cancers, le sein, la prostate, le cancer colo-rectal.

  • Colonne de gauche : projection pour le test polygénique seul (un score haut est un test positif)
  • Colonne du milieu : projection pour le test de dépistage habituel positif (pour le sein il s'agit de la mammographie montrant une image, pour la prostate c'est un taux de PSA sanguin élevé, pour le cancer colo-rectal, il s'agit de la présence de sang dans les selles).   
  • Colonne de droite : score élevé et test de dépistage habituel positif (score élevé+mammographie avec image, score élevé+PSA élevés, score élevé+sang dans les selles)

Les points colorés représentent, pour les rouges, les vrais positifs, à savoir les personnes à test positif et réellement malades.
Pour les jaunes, il s'agit des tests négatifs pour une personne pourtant malade, les faux négatifs donc.
Les points bleus représentent les personnes à test positif mais non malades, les faux positifs.
Enfin les points grisés correspondent aux tests négatifs pour des personnes qui ne seront pas malades, donc les vrais négatifs.

On constate que l'adjonction des deux tests (test classique plus score polygénique) apporte essentiellement une amélioration sur les faux positifs.

Pour les auteurs, globalement les scores polygéniques apportent un bénéfice modeste.
Une étude portant sur le dépistage du cancer colorectal dans la population a révélé que l'ajout d'un score polygénique aux tests immunochimiques fécaux n'améliorait pas la précision du diagnostic, avertissent-ils, mais augmentait la complexité et les coûts en santé.

D'autre part expliquent-ils, les scores polygéniques ne peuvent pas lutter contre le surdiagnostic, un préjudice majeur du dépistage (découvertes de cancers non évolutifs, d'aucune utilité pour le patient). 

Il y a un autre aspect qu'ils évoquent, ce sont les tests faussement positifs qui peuvent entraîner des cascades d'examens inutiles. Explication :
La plupart des scores polygéniques pour le cancer sont basés sur des variants associés à l'incidence( survenue de nouveaux cas dans la population), et non à la mortalité, ce qui compromet leur utilité pour des maladies comme le cancer de la prostate, dont de nombreux hommes meurent avec leur cancer plutôt qu'à cause de ce cancer.
Le dépistage existant (taux de PSA sanguin) a déjà des limites, la probabilité que le sujet testé soit réellement malade avec un test positif est faible.
Le test, parfois (que ce soit la mammo ou le taux de PSA), peut être positif avec une personne pourtant non malade. A la question « Docteur, j’ai une mammographie anormale, quel est le risque que j’aie vraiment un cancer du sein ? », la valeur (qu'on appelle valeur prédictive positive) du dépistage de base est déjà très faible (10% pour la mammo de dépistage, ce qui signifie signifie que pour une femme pour laquelle la mammographie est jugée positive et à laquelle on réalise une biopsie de l’image incriminée, il y a 90% de chances pour que la biopsie revienne négative et donc ait été proposée excessivement...).

Cette valeur prédictive positive pour les scores polygéniques est aussi très limitée et rajoute peu de précision diagnostique. Ce manque pourrait ainsi augmenter le nombre de personnes positives au test, mais qui ne développeront pas de cancer, mais qui néanmoins se verront proposer des investigations de confirmation invasives, puisque le test objectivement est positif. Cela occasionnerait des explorations sans fin :
"L'ambition d'introduire un score polygénique généralisé pour le cancer de la prostate nécessiterait un investissement sans précédent dans l'imagerie diagnostique, telle que l'imagerie par résonance magnétique..." selon les auteurs.

Qu'est-ce que la population peut attendre des scores polygéniques ?

Dans ce paragraphe est pointée la vulnérabilité des scores polygéniques. La communication sur les risques des maladies envers la population est en général très complexe.
La personne peut avoir certes un risque absolu autour d'un certain pourcentage pour une maladie, mais on doit tenir compte du risque relatif par rapport au risque sous-jacent de la maladie dans la population générale.
Par exemple, les personnes dans les 5 % des scores polygéniques les plus élevés pour le cancer du sein ont un risque, au cours de leur vie, de 19 % , mais le risque de la population est de 11,8 %, ce dont il faut tenir compte.

Pour des affections moins courantes, expliquent les auteurs, " l'effet sur le risque absolu est souvent plus modeste. Les personnes dans les 5 % supérieurs des scores polygéniques pour le cancer de l'ovaire, par exemple, ont un risque durant leur vie de 2,1 %, contre un risque de 1,6 % dans la population."
Même lorsqu'un risque absolu d'une personne est faible, cette personne pourrait être tentée de discuter de ce résultat avec un clinicien, demander des consultations occasionnant des coûts supplémentaires et mettant à rude épreuve les services de santé.

À l'inverse, on peut craindre que des personnes qui n'ont pas de scores polygéniques «à haut risque» pourraient être faussement rassurées et moins susceptibles de consulter un médecin pour des symptômes pourtant existants et préoccupants qu'elles négligeront.

Les auteurs mettent en garde :

Les résultats des scores polygéniques" peuvent être mal compris et causer de la détresse. Une enquête auprès de 227 personnes accédant aux scores polygéniques en ligne sans conseil, pour une grande variété de maladies (dont certaines sans options claires de prévention ou de traitement) a révélé que seulement 25,6 % ont répondu correctement à toutes les questions relatives à la compréhension et à l'interprétation des scores polygéniques, mais que 60,8 % vivaient l'expérience d'une réaction négative (sujet bouleversé, anxieux ou triste sur l'échelle des « sentiments à propos des résultats des tests génomiques »), après avoir reçu leurs résultats. 
Une compréhension plus faible des scores polygéniques était associée à une réaction psychologique négative."

De plus, si l'utilisation de ces tests étaient généralisée, on pourrait craindre que des assureurs cherchent à utiliser ces scores afin de déterminer l'éligibilité à l'assurance des personnes demandeuses. 

Les facteurs de risque non génétiques nécessitent une plus grande attention

Dans cette ultime partie, les auteurs soulignent le fait que si les scores polygéniques apparaissent attractifs pour prédire un risque de maladie, ils ne doivent pas faire oublier des facteurs de risque "peu prestigieux" mais bien établis comme le tabagisme, l'obésité et la privation socio-économique, qui comptent plus que les antécédents génétiques d'une personne, certains de ces facteurs étant évitables. 
Il faut investir davantage dans la lutte contre les facteurs de risque de maladie liés au mode de vie avec des initiatives et des politiques d'arrêt du tabac p.ex., et donner aux populations les moyens de faire des choix sains en matière d'alimentation et d'exercice. 

La plupart des maladies surviendront chez des personnes n'ayant pas de score polygénique élevé.
De plus écrivent les rédacteurs de cette publication, autant les scores polygéniques n'améliorent au mieux que bien légèrement la prédiction du risque de chaque personne, l'utilisation de scores polygéniques profitent encore moins aux personnes d'ascendance non européenne, auxquelles ils n'ont pas été adaptés.

Pour les auteurs, " l'enthousiasme autour des scores polygéniques ne doit pas nuire aux efforts visant à lutter contre les grands facteurs de risque modifiables, qui ont une utilité généralisable à l'échelle de la population."

Résumé des auteurs

  • Les scores polygéniques présentent des avantages modestes et des inconvénients.
  • Ils ne doivent pas détourner les ressources en santé et l'attention mise sur d'autres facteurs de risques qui contribuent, eux, bien plus aux maladies.
  • Cliniciens et public doivent être conscients du fait que l'intérêt des scores est très limité et son impact décevant sur la prédiction des risques.

" Les scores polygéniques ont le potentiel d'améliorer légèrement la prédiction du risque pour les maladies courantes, mais les avantages de leur utilisation seront modestes. 
Une discussion plus large concernant les limites des scores polygéniques est essentielle, ainsi que des recherches solides qui examinent leur utilité clinique dans le monde réel. 
Cela est nécessaire pour garantir qu'une concentration excessive sur les risques génétiques ne détourne pas le temps, l'argent et l'attention portés à d'autres contributeurs de maladie beaucoup plus importants. Contrairement à ce à quoi de nombreuses personnes pourraient s'attendre compte tenu des discours déterministes habituels sur la génomique, un score polygénique élevé aura généralement un impact plutôt décevant sur le risque absolu, et les cliniciens et le public doivent le savoir."

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Cancers d’intervalle, incidentalomes, les perdants des dépistages

Synthèse Cancer Rose, 20 février 2023

Traduction d'un article de M.Davenport, (Départements de radiologie et d'urologie, Michigan Medicine)

A-les cancers de l'intervalle

https://www.academicradiology.org/article/S1076-6332(23)00020-X/fulltext

Une étude de cohorte rétrospective* publiée en février 2023 dans "Academic Radiology" compare les caractéristiques des cancers du sein d'intervalle, ceux qu'on appelle les faux négatifs, c'est à dire des cancers qui n'ont pas été détectés à la mammographie et se déclarent entre deux mammographies de dépistage, avec les cancers du sein détectés à la mammographie de dépistage.

Qu'est-ce qu'un cancer de l'intervalle, pourquoi est-il très frustrant pour les femmes participant au dépistage et quelles sont les constatations de l'étude sur leurs caractéristiques ?

* Type d'enquête qui consiste à examiner, sur la base de données présentes dans les dossiers médicaux ou dans des registres de données une population définie (la cohorte), et de comparer un critère ou un évènement (ici les caractéristiques des cancers du sein) observé avec un ou plusieurs autres groupes d'individus définis en fonction de critères (âge, conditions de vie, etc..)

le faux négatif

illustration issue du livre de C.Bour "mammo ou pas mammo?" édition Souccar

Il peut y avoir deux cas de figures :

1° le cancer existant déjà et réellement "loupé"-
l’examen mammographique n’est pas infaillible. Les seins denses sont difficiles à explorer et la trame glandulaire très présente entraîne une sorte d'opacité à la mammographie empêchant de discerner un cancer. Certains cancers dits « infiltrants » se confondent avec le tissu mammaire. D’autres sont de forme atypique, d’autres encore sont carrément occultes : on ne les voit pas ; la femme ressent un beau jour une boule alors que le cancer n’est toujours pas identifiable en mammographie.

2° le cancer d'intervalle
Le cancer d'intervalle à proprement parler est  un cancer qui n’était effectivement pas là lors de l’examen mammographique, ou alors au simple stade de cellules. Mais son agressivité et sa croissance sont telles qu’il se développe très rapidement, en quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, donc dans l’intervalle théorique entre deux mammographies de dépistage, d’où son nom.
Cette situation est très frustrante pour la patiente à laquelle on a fait valoir le caractère protecteur et salvateur du dépistage, avec une impression pour elle d'avoir "tout bien fait", et d'être malgré tout mal récompensée de son assiduité.

illustration du livre de C.Bour "Mammo ou pas mammo ?", édition T.Souccar

Résultats de l'étude réalisée

Les conclusions majeures retirées par les auteurs sont que les cancers d'intervalle, en comparaison avec ceux détectés à la mammographie sont en moyenne :

  • Plus fréquents chez les femmes à seins denses (presque trois fois plus)
    Pour les auteurs, la densité mammaire est restée significativement associée au développement d'un cancer de l'intervalle.
    Lorsqu'elle est stratifiée par âge, la densité mammaire n'est significative que pour les femmes âgées de plus de 50 ans. Cela peut s'expliquer par le fait que le tissu mammaire dense est plus fréquent chez les femmes plus jeunes, puisqu'il est présent chez plus de 50 % des femmes de moins de 50 ans, mais seulement chez moins de 30 % des femmes de plus de 70 ans.
  • De stade plus avancé et à caractéristiques biologiques plus défavorables que les cancers détectés par mammographie. Autrement dit, le dépistage détecte surtout des cancers de stade peu agressif et des carcinomes in situ, dont bon nombre alimentent le réservoir des surdiagnostics.
    Par rapport aux cancers détectés par dépistage, les cancers d'intervalle étaient plus souvent des cancers invasifs que des carcinomes canalaires in situ (88 % contre 75 %, p = 0,007).
    En outre, 43 % (41/96) des cancers d'intervalle étaient des tumeurs primaires de stade 2 ou plus, contre seulement 12 % (139/1136) des cancers du sein détectés par dépistage (p < 0,001).
    Les cancers de l'intervalle étaient le plus souvent diagnostiqués en raison de symptômes et d'anomalies dans le sein.
  • Le fait de femmes avec des antécédents familiaux de cancer du sein, notamment au premier degré (mère, soeur, fille) par rapport aux femmes diagnostiquées avec un cancer détecté par dépistage, bien que les antécédents familiaux ne soient pas significatifs dans l'analyse multivariée (méthode statistique utilisée lorsque plusieurs facteurs influent potentiellement sur un résultat.)

 Conclusion des auteurs

Le phénotype agressif des cancers d'intervalle permet d'expliquer pourquoi ils n'étaient pas visibles lors de l'examen de dépistage initial mais détectables moins d'un an plus tard. Ces cancers ont probablement une croissance rapide et sont soit nouveaux, soit trop petits pour être visibles au moment du dépistage. Les auteurs relèvent que ce point a été spécifiquement étudié par Gilliland et al.

Par ailleurs, lors de  l'analyse des sous-ensembles, les cancers d'intervalle diagnostiqués lors d'une IRM de dépistage à haut risque étaient plus susceptibles d'être des carcinomes canalaires in situ et des tumeurs primaires de stade 0 ou 1, comparés aux cancers d'intervalle qui étaient symptomatiques..
Pour les auteurs, cela confirmerait l'utilité de l'IRM de dépistage pour les femmes à haut risque et présentant une densité mammaire élevée, car l'IRM s'avérait utile pour identifier certains cancers d'intervalle à un stade plus précoce que les cancers d'intervalle identifiés par les patientes à la suite d'un symptôme apparu dans le sein.

(Mais on peut objecter que la découverte d'un cancer de stade plus précoce chez les femmes à haut risque ne nous dit pas s'il s'agit d'un cancer d'intervalle détecté réellement plus tôt et qu'on empêchera ainsi d'évoluer ou s'il s'agit d'un cancer intrinsèquement à caractéristiques favorables qui n'aurait pas ou peu évolué.
Pour en savoir plus sur la problématique des IRM supplémentaires (surdiagnostics, cascades d'examen, faux positifs) lire :
Grosse déconvenue de l'IRM mammaire, 2022, et
Dépistage supplémentaire par IRM pour les femmes avec seins denses, 2019)

Commentaire Cancer Rose

Nous reprenons le commentaire de l'excellent blog de notre confrère Dr Agibus -

Dans son billet Dragiwebdo n°386, chapitre 5, Dr Agibus résume très bien la conclusion de l'étude en rappelant le schéma dit de la "basse-cours" ; barnyard analogy breast cancer screening -
Voici ce qu'il écrit :

" Un article s'intéresse à la mammographie et aux cancers d'intervalles. Les auteurs ont comparé les cancers diagnostiqués sur les mammographies par un dépistage et ceux diagnostiqués  alors qu'une autre mammographie de dépistage avait été faite précédemment. Ils trouvent que les cancers d'intervalle sont de stades plus élevés et de moins bon pronostique (triple négatifs, adénopathies) que les cancers découverts lors du dépistage. Cette étude confirme (en tous cas apparait en faveur) du fait que la mammographie de dépistage dépiste des cancers peu agressifs (les lapins et tortues, parfois trop tortue d'ailleurs), alors que les cancers agressifs (les oiseaux) passent entre les mailles et sont dépistés sur des symptômes même en cas de mammographies régulières. Pour mémoire " :

Cliquez sur l'image

En d'autres termes, les cancers agressifs sont intrinsèquement agressifs et c'est pour cela qu'on ne les anticipe pas, ceux détectés par mammographies répétées correspondent à des cancers moins graves et curables, avec un temps de séjour suffisamment long dans le sein de telle sorte que le dépistage peut les déceler, mais dont une grande partie alimente les surdiagnostics (notamment les in situ).
Pour comprendre, lire https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

B-les incidentalomes

https://www.birpublications.org/doi/10.1259/bjr.20211352

Ici les auteurs alertent sur les découvertes inutiles lors d'examen de routine, et qui débouchent sur ce qu'on appelle des "cascades d'examens".

L'un des paradoxes de l'imagerie médicale moderne, disent-ils, est que la source de notre plus grand accomplissement - la capacité d'imager le corps humain de manière toujours plus détaillée - est également la source de l'un de nos plus grands défis.
Le succès de l'imagerie médicale comme outil de diagnostic a entraîné une augmentation considérable de son utilisation. Les progrès technologiques permettent d'acquérir des images à plus haute résolution et en plus grand nombre que jamais auparavant. Cela a conduit à une augmentation de la détection de découvertes qui ne semblent pas être liées à l'objectif principal de l'examen et qui ont été appelées " fortuites ", et c'est surtout le fait des scanners et de l'IRM. Beaucoup d'entre elles sont inoffensives, mais certaines ont des conséquences importantes pour la santé du patient.

Les radiologues, selon eux, doivent se familiariser avec les découvertes fortuites les plus courantes afin d'évaluer au mieux leur importance dans chaque cas, et de pouvoir recommander des examens complémentaires appropriés, lorsque cela est justifié, car ces découvertes fortuites ont des implications pour le patient et le service dans son ensemble et doit être mûrement réfléchie.

On qualifie de découvertes fortuites toutes les découvertes qui ne sont pas directement liées à l'objectif principal pour lequel l'examen d'imagerie a été effectué, par exemple la découverte d'un nodule surrénalien sans aucune plainte du patient, lors d'un scanner ou d'une échographie pour douleurs abdominales, symptôme répandu et pas toujours très spécifique. Ou la découverte d'un nodule rénal lors d'un scanner pour maladie pulmonaire.
Le développement et l'introduction potentiellement généralisée dans la pratique clinique de tests sanguins pour détecter l'ADN tumoral circulant peuvent ajouter une autre couche de complexité.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2022/09/15/biopsie-liquides-le-graal-2/

Cette augmentation du taux de détection s'accompagne d'un certain nombre de problèmes. Les auteurs expliquent :
" Parfois, les images elles-mêmes peuvent inclure des caractéristiques qui nous permettent d'être raisonnablement sûrs qu'une découverte particulière est importante ou non - le site, la taille, la morphologie, l'atténuation ou les caractéristiques du signal peuvent tous être utiles. Dans de nombreux autres cas, il y aura un doute et une décision devra être prise sur la meilleure façon de gérer cette incertitude.
S'il est décidé qu'une lésion particulière ne peut être considérée comme non pertinente, une imagerie supplémentaire ou d'autres tests plus invasifs peuvent être recommandés. L'impact sur le patient peut aller de l'anxiété et d'un désagrément mineur à un préjudice réel en cas de complication d'une procédure invasive telle qu'une biopsie ou une endoscopie. On a beaucoup écrit sur le concept de surdiagnostic - la détection et le traitement ultérieur d'une maladie qui, si elle n'était pas traitée, ne causerait pas de problèmes au cours de la vie du patient. Bien que ce terme soit le plus souvent utilisé en relation avec les programmes de dépistage, il s'applique également aux découvertes fortuites trouvées chez les patients symptomatiques.

La personne vit avec et mourra avec son cancer, pas à cause de lui.
illustration du livre de C.Bour "mammo ou pas mammo?", édition T.Souccar


Le récit du diagnostic précoce est séduisant, mais le terme de cancer - tel qu'il est actuellement utilisé - couvre de nombreuses maladies très différentes, y compris certaines lésions indolentes qui seraient surtraitées par les stratégies thérapeutiques traditionnelles. (NDLR : une référence citée concerne le CCIS de bas grade). On espère que les développements de l'intelligence artificielle nous aideront à l'avenir à mieux stratifier ces patients en fonction de différentes stratégies de prise en charge, dont certaines pourraient impliquer une observation plutôt qu'une intervention.
Pour l'instant, il existe toujours un risque important que la détection et le signalement d'une découverte fortuite entraînent un surtraitement. Outre l'impact sur le patient individuel, les implications pour les services de radiologie sont importantes, en particulier dans un système financé par l'impôt ...
Le coût direct des examens de suivi est un élément à prendre en compte, mais un risque encore plus grand est que l'augmentation du nombre d'examens réalisés pour suivre des découvertes fortuites rende inévitablement les services plus difficiles d'accès pour d'autres patients, dont certains peuvent avoir des besoins plus importants."

Et de conclure :

"Tout d'abord, nous devons accepter qu'étant donné les incertitudes inhérentes à la pratique de la radiologie et les limites des tests que nous utilisons, nous n'aurons pas toujours raison.
Ensuite, nous devons veiller à être en mesure de faire la meilleure évaluation possible de la pertinence de chaque découverte. Nous devons nous familiariser avec les aspects de la découverte fortuite commune dans chaque organe, .... ainsi qu'avec les caractéristiques qui, dans chaque cas, donnent la meilleure orientation possible quant à leur importance probable.
Enfin, nous devons reconnaître que le choix de mentionner un résultat particulier dans un rapport radiologique n'est pas un acte neutre - il a des conséquences pour le patient, pour le service et pour les autres patients.
Pour le patient, nous l'engageons potentiellement à subir d'autres examens, dont certains peuvent être préoccupants, voire réellement préjudiciables.
Pour le service, nous imposons un fardeau supplémentaire...."

Notre conclusion

Nous avons tous un devoir et une responsabilité dans les décisions médicales concernant les examens que nous demandons et réalisons pour l'intérêt du patient. Les prescripteurs mais aussi les radiologues doivent se poser la question sur la portée de ce qu'ils cherchent et ensuite, pour les radiologues, de ce qu'ils décrivent. Quel poids et quelle importance donner à ce qu'ils découvrent.
Simplement énumérer des images et laisser au médecin traitant le soin de décider quoi faire de ces images fait peser la responsabilité des suites au seul prescripteur seul.

Les patients aussi doivent être dûment informés de ce que les examens systématiques, de routine, ou les examens, comme on peut le lire parfois sur des ordonnances, de "réassurance",  peuvent impliquer pour leur santé.

Les examens de dépistage ne sont pas infaillibles ni anodins, ils ne sont pas des boucliers imparables contre les maladies, ils peuvent "rater" des lésions authentiques, ils peuvent faire découvrir des choses inutiles au patient, et aussi le faire basculer dans une maladie qu'il n'aurait jamais connue sans eux.

Traduction de l'article de M.Davenport, "Découvertes fortuites et soins de faible valeur"

Découvertes fortuites et soins de faible valeur

Perspective clinique sur invitation, Matthew S Davenport, MD, 2023 Jan 11.
Départements de radiologie et d'urologie, Michigan Medicine, Ann Arbor MI 48108.
doi : 10.2214/AJR.22.28926. Epub avant impression.
PMID : 36629303.
https://www.ajronline.org/doi/abs/10.2214/AJR.22.28926

Points clés :

La détection d’incidentalomes dans une population à faible risque entraîne généralement des soins de faible valeur et potentiellement nuisibles, y compris paradoxalement pour de nombreux cancers.

Introduction

Les découvertes fortuites en imagerie sont courantes [1-3]. Elles peuvent être définies comme des résultats d'imagerie non attendus et non liés à la raison de consultation principale du patient [1-3]. Environ 15 à 30 % de tous les examens d'imagerie diagnostique et 20 à 40 % des examens de scanner comportent au moins une découverte fortuite [1]. Des groupes comme par exemple l'American College of Radiology et d'autres ont déployé des efforts considérables pour fournir des algorithmes de gestion des découvertes fortuites, mais il manque de données sur les conséquences ou le ratio coût-efficacité pour justifier la plupart des algorithmes recommandés [3-7]. En général, la précision du diagnostic (c'est à dire, la découverte fortuite a-t-elle permis de diagnostiquer un cancer ?) et le taux de détection (c'est à dire, l'imagerie a-t-elle permis de mettre en évidence une découverte fortuite pour laquelle une prise en charge supplémentaire est recommandée dans une ligne directrice ?) sont utilisés pour valider les lignes directrices pour les incidentalomes.
Cependant, on se rend de plus en plus compte que la détection d'un cancer à un stade précoce n'est pas toujours un résultat idéal [6,8-15].

La poursuite des examens d'imagerie et du suivi clinique, interventionnel ou chirurgical des découvertes fortuites a pour but la prévention des risques, grâce à un diagnostic précoce. Mais dans de nombreux cas, il s'est avéré que cela provoquait l'effet inverse, c'est-à-dire une augmentation des risques sans bénéfice pour le patient [6,8-15]. C'est paradoxalement vrai pour de nombreux patients pour lesquels on diagnostique un cancer incident à un stade précoce (par exemple, un cancer de la prostate de grade I, un cancer kystique du rein, un cancer micropapillaire de la thyroïde, autres) [8-15]. Outre les dommages physiques causés par les complications iatrogènes, les examens de suivi des incidentalomes entraînent des dommages émotionnels et une toxicité financière dus aux "cascades d’examens", où l’examen de référence engendre une série de tests et d'interventions supplémentaires coûteux, qui eux-mêmes déclenchent toujours plus de tests et d'interventions [14-23]. Il peut paraître étonnant que la détection précoce d'un cancer ou la collecte d'informations supplémentaires sur la santé d'un patient aient un impact négatif.

Pourtant, aussi déroutant que cela puisse être, ce phénomène s'est confirmé dans de nombreux contextes [6,8-15]. Il semble lié à de multiples facteurs, comme par exemple : les biais du dépistage, les estimations humaines inexactes du risque, une connaissance incomplète du risque, une médecine défensive, la peur du patient et du prestataire de soins, et la pression sociale et économique en faveur d'un diagnostic excessif.

Il est difficile de re-calibrer la perception humaine (par exemple, l'estimation du risque, la médecine défensive), ou de résoudre la question de la connaissance incomplète du risque sans des études pluriannuelles coûteuses (par exemple, la réalisation de tests biochimiques sur les nodules surrénaliens fortuits permet-elle d'améliorer la santé de manière efficace par rapport au coût ? [actuellement recommandé par [4-5]]).

Par la suite, nous verrons comment les biais connus du dépistage nous aident à prédire les conséquences observées liées aux incidentalomes - diagnostic préférentiel d'une maladie indolente et à faible risque, augmentation des coûts et de la morbidité, et mortalité inchangée. [29-30]. En d'autres termes, des soins à faible valeur ajoutée.

Découvertes fortuites et liens avec le dépistage

 Les découvertes fortuites sont souvent le résultat d'un examen d'imagerie sensible, comme le scanner ou l'IRM, qui permet de visualiser des organes et d'autres parties du corps présentant un faible risque de maladie grave. Il existe de fortes similitudes entre les résultats cliniques de cette approche et les résultats du dépistage intentionnel des patients à faible risque par imagerie du corps entier, une pratique qui a été réfutée par l'American College of Radiology et contestée par la FDA américaine en raison de la faible probabilité d'identifier une maladie sérieuse et de la forte probabilité de soins en cascade à faible valeur ajoutée.[31-32].

Les découvertes fortuites ne sont pas liées au problème principal [1-3]. Par conséquent, le patient est considéré comme étant à faible risque du point de vue d'une découverte fortuite, à moins qu'il ne présente une comorbidité qui coïncide avec celle-ci (par exemple, antécédents de tabagisme à haut risque et nodule pulmonaire fortuit identifié chez un patient examiné pour une douleur du quadrant inférieur droit). Dans la plupart des cas, une découverte fortuite ne sera pas liée à un antécédent, un signe ou un symptôme à haut risque, car l'examen d'imagerie est, par définition, réalisé pour une autre indication.

 Ces facteurs permettent de prédire la faible valeur des soins que nous observons après l'identification et la prise en charge des découvertes fortuites [1,6,8-15,31-32]. Si le patient présente un faible risque de maladie (c'est le cas de la plupart des découvertes fortuites qui, par définition, n'ont aucun rapport avec la maladie suspectée) et si l'examen est sensible (par exemple, le scanner ou l'IRM), les faux positifs seront fréquents, les maladies indolentes seront détectées plus souvent que les maladies agressives, et le surdiagnostic et le surtraitement domineront, tout en donnant l'illusion d'une amélioration des soins grâce à une identification précoce.
Ce résultat est analogue à celui qui résulte du dépistage d'une population à faible risque.
Bien que la plupart des découvertes fortuites résultent d'examens diagnostiques (et pas de dépistage) cliniquement indiqués, la probabilité qu'une découverte fortuite soit importante est fortement influencée par les biais analogues au dépistage.
Considérons ceci.
Le test de dépistage idéal est peu coûteux (coût faible pour le patient, coût faible pour le système), valide (peu de faux positifs, peu de faux négatifs), ciblé (destiné aux patients avec une prévalence de la maladie élevée) et utile (c'est-à-dire qu'il détecte une maladie préclinique qui, autrement, deviendrait cliniquement importante, dans des délais suffisants pour intervenir avec un traitement efficace qui conduit à un meilleur résultat ) [29-30]. Dans la section suivante, les biais courants du dépistage seront associés aux découvertes fortuites pour aider à expliquer pourquoi nous observons des soins de faible valeur en cascade à partir de leur détection [1,6,8-25,28,31-37].

Biais du dépistage

Le dépistage comporte plusieurs biais courants et bien connus [29-30]. Ces biais amplifient l'efficacité apparente du dépistage et donnent un aperçu de la gestion des découvertes fortuites. En effet, les découvertes fortuites résultent du dépistage par inadvertance de parties du corps, à faible risque de maladie.

Biais de longueur de temps (ou biais de sélection des cancers d’évolution lente)

Le biais de longueur de temps désigne la tendance d'un test de dépistage à identifier plus souvent une maladie indolente qu'une maladie agressive [29-30]. La maladie indolente se développe lentement ou pas du tout, tandis que la maladie agressive se développe ou progresse rapidement. Si l'on procède à des examens d'imagerie chez un patient à un intervalle aléatoire, il est beaucoup plus probable qu'une maladie indolente soit fortuitement trouvée plutôt qu'une maladie agressive.

L'indolence d'une découverte, c'est-à-dire la probabilité qu'elle ne cause aucun effet négatif ou symptôme pendant de nombreuses années, pondère proportionnellement sa prévalence par rapport à une découverte qui n'est présente que pendant une brève période avant de produire des symptômes (eg à partir du moment où elle n'est plus fortuite). Par exemple, prenons le cas d'un patient présentant une découverte indolente (eg un néoplasme papillaire brachial mucineux intraductal de 1,5 cm  [BD-IPMN]) qui est examiné par imagerie à des intervalles aléatoires entre 50 et 69 ans. Au cours de ces vingt années, si à un moment donné le patient est examiné par un scanner ou une IRM de l'abdomen, la découverte sera probablement détectable et peu changée. Considérons maintenant un autre patient qui a une découverte agressive (eg un adénocarcinome pancréatique de 1,5 cm). Si le patient est soumis à des examens d'imagerie à des intervalles aléatoires entre 50 et 69 ans, la fenêtre pendant laquelle la découverte sera identifiable et résécable est brève, probablement moins d'un an. D'un point de vue probabiliste, indépendamment de la prévalence de la maladie, une maladie indolente a beaucoup plus de chances d'être visible qu'une maladie agressive lors d'un examen effectué à un intervalle aléatoire. Il s'agit d'un biais de longueur de temps, qui contribue à expliquer pourquoi la plupart des découvertes fortuites que nous observons ont une importance clinique faible ou négligeable, même si notre intuition nous dit le contraire (eg lorsque l'on parle d'un cancer).

Biais lié au temps d'avance

Le biais lié au temps d'avance se réfère à la détection précoce d'un cancer, avant qu'il ne soit cliniquement détectable, mais sans aucune possibilité d'influer sur l'évolution de la maladie [29-30]. Un test de dépistage idéal détectera un cancer avant qu'il ne soit symptomatique, mais aussi dans un délai où un traitement efficace pourra modifier l'évolution de la maladie. Pour éviter le biais lié au temps d'avance, il faut que le cancer soit détecté avant l'apparition des symptômes cliniques, qu'un traitement efficace soit disponible et que l'effet du traitement soit différentiel si ce dernier est appliqué avant l'apparition des symptômes. Si le traitement a la même efficacité s'il est administré avant ou après l'apparition des symptômes, la détection du cancer avant l'apparition des symptômes n'est pas bénéfique.

Prenons l'exemple d'un patient qui développe un cancer présentant les caractéristiques temporelles suivantes : 2 ans entre le début du cancer et la détectabilité par imagerie, 3 ans entre le début du cancer et les symptômes cliniques, 5 ans entre le début du cancer et le décès par cancer. Si aucune imagerie n'est réalisée, le patient aura une survie perçue de 2 ans (5-3 = 2), définie comme le délai entre les symptômes cliniques et le décès. Cependant, si l'imagerie est réalisée à l'année 2 après le début de la maladie, le patient aura une survie perçue de 3 ans (5-2 = 3), correspondant au délai entre la détection et le décès.  Trois ans, c'est 50 % de plus que le cas de référence (2 ans), même si aucun traitement n'a été administré pour modifier l'évolution de la maladie. Il s'agit d'un biais lié au délai d'avance, qui contribue à expliquer pourquoi la prolongation de la survie apparente après la détection d'une découverte fortuite à un stade précoce n'implique pas nécessairement un bénéfice pour le patient.

Surdiagnostic

Le biais de surdiagnostic est la détection d'une maladie qui ne serait jamais dangereuse pour le patient [34]. Il peut être considéré comme un exemple hyperbolique du biais de longueur [29-30,34]. De nombreuses découvertes fortuites correspondent à des surdiagnostics. Lorsque les surdiagnostics sont associés à des diagnostics de cancer agressifs sans tenir compte de l'agressivité de la maladie, cela peut impliquer un effet bénéfique du dépistage (c'est-à-dire la détection des découvertes fortuites). Un groupe enrichi par le surdiagnostic semblera vivre plus longtemps et avoir une maladie moins avancée parce que la maladie dans le groupe dépisté sera moins agressive. Prenons l'exemple d'un patient présentant une masse rénale kystique accidentelle de type Bosniak IIF. Les masses Bosniak IIF sont fréquentes, mais rarement cancéreuses (environ 15 % des masses réséquées, moins de 5 % de toutes les masses identifiées) [6,35]. Celles qui sont cancéreuses sont très probablement indolentes et peu susceptibles de provoquer une morbidité ou une mortalité non liée aux effets du traitement [6,35].

Le carcinome rénal kystique indolent incident survenant dans une masse kystique Bosniak IIF n'est pas comparable à un carcinome rénal solide à cellules claires agressif de type Fuhrman 3 sur 4. Si l'on ne tient pas compte de l'agressivité de la maladie, l'inclusion de masses kystiques indolentes Bosniak IIF dans une population générale de carcinomes à cellules rénales biaisera les résultats et laissera supposer un effet bénéfique de la détection fortuite (c'est-à-dire un faible risque de récidive ou de métastase, une survie apparente plus longue). Il s'agit d'un biais de surdiagnostic, qui explique en partie pourquoi la prise en compte binaire du cancer par rapport à l'absence de cancer peut être trompeuse et entraîner des soins de faible valeur.

Bénéfices et risques des découvertes fortuites

La détection de certaines découvertes fortuites peut améliorer la morbidité ou la mortalité grâce à une détection précoce. Ceci est particulièrement vrai si le patient présente par coïncidence des facteurs de risque pour la maladie détectée (par exemple, une masse rénale solide accidentelle de 3,2 cm chez un patient atteint du syndrome de von Hippel-Lindau et examiné par tomodensitométrie pour une suspicion de diverticulite). En effet, les facteurs de risque coïncidents enrichissent la prévalence de la maladie significative et, par conséquent, la probabilité qu'une découverte fortuite soit significative. Dans ce contexte, le terme "significatif" fait référence au résultat idéal d'un test de dépistage : la détection préclinique, lorsqu'un traitement efficace donnerait un résultat supérieur s'il était administré avant l'apparition des symptômes. Cependant, les facteurs de risque coïncidents sont rares car, par définition, les découvertes fortuites n'ont aucun rapport avec le problème principal. Le manque de preuves et la compréhension incomplète de l'interaction complexe entre le risque diagnostique et le risque en aval font qu'il est très difficile de déterminer, dans la pratique clinique courante, si la recherche de la plupart des découvertes fortuites produira des soins de grande valeur. Cette incertitude conduit généralement les radiologues et les prestataires de soins à privilégier la sensibilité diagnostique et à négliger les risques de dommages collatéraux [2,9,16-19].

Dans ce contexte commun, le bénéfice attribué à la prise en charge d'une découverte fortuite est instinctif ou gestuel plutôt que fondé sur des preuves. Par exemple, on peut attribuer un bénéfice à la détection d'une masse rénale ou thyroïdienne qui a été enlevée et dont il a été confirmé qu'elle était cancéreuse - la détection du cancer semblant être une preuve suffisante qu'un bénéfice a été apporté.

Cependant, ce n'est pas si évident [1,6,8-25,28,31-37]. De nombreuses études ont montré que l'intervention sur des découvertes fortuites, y compris celles qui concernent le cancer, peut entraîner des soins de faible valeur et causer des dommages [11-12, 14-15, 33, 36-37]. Par exemple, la détection d'un cancer qui, s'il n'avait pas été identifié, n'aurait pas affecté la vie du patient ou la détection d'un cancer pour lequel l'intervention ne change pas la trajectoire de la maladie. Ces facteurs diminuent l'efficacité de la gestion des découvertes fortuites. Outre une efficacité douteuse, il existe également des inconvénients, notamment des faux positifs, la nécessité d'un test de confirmation ou d'un suivi, le coût, les complications du diagnostic et du traitement, ainsi que l'anxiété aiguë et chronique [1,6,8-25,28,31-33,37].
Le défi de la gestion des découvertes fortuites est de déterminer lesquelles nécessitent une prise en charge et lesquelles n'en nécessitent pas.
De plus, si la prise en charge est nécessaire, comment le faire de manière à maximiser la valeur pour le patient. Ceci n'est pas intuitif, nécessite une étude détaillée et l'intégration de nombreux facteurs au-delà des caractéristiques d'imagerie : risque pour le patient, risque de la maladie, préférence du patient, thérapies disponibles, inconvénients d'un diagnostic de confirmation et inconvénients de la thérapie. Elle est compliquée. Il y a de fortes chances que la prise en charge d'une découverte fortuite cause un préjudice. Il existe de nombreux exemples regrettables dans la littérature. Dans la section suivante, trois exemples spécifiques sont présentés.

Études de cas spécifiques à une maladie

Des études en population ont mis en évidence les préjudices et les soins à faible valeur ajoutée résultant de la détection de découvertes fortuites. Ils suivent des thèmes prévisibles, communs et progressifs, tragiquement similaires pour de nombreuses découvertes fortuites courantes [1-3,16-19,21-32,35].
Au départ, on s'enthousiasme à l'idée d'un diagnostic précoce du cancer grâce à la détection d'une découverte fortuite.

La découverte fortuite est alors considérée comme un avantage secondaire de l'imagerie. Des lignes directrices et des recommandations pour la prise en charge sont élaborées afin que les patients tirent le maximum de bénéfices de la détection précoce. Des systèmes sont mis en place pour assurer une imagerie et un suivi clinique appropriés. Cependant, les grandes études de population qui ont suivi ont eu du mal à prouver les avantages du dépistage, surtout lorsqu'on les considère dans le contexte des biais de dépistage, et ont mis en évidence les préjudices subis par les populations qui étaient censées être aidées. La découverte fortuite est associée à une prépondérance de faux positifs, au diagnostic d'une maladie indolente ou cliniquement sans importance, et sans changement significatif de la mortalité liée à la maladie. Après un processus de plusieurs années et beaucoup de coûts et de dommages collatéraux, une représentation plus complète des soins à faible valeur ajoutée qui en découlent émerge. L'approche initialement agressive tend à diminuer et la découverte fortuite est désormais perçue comme un inconvénient de l'imagerie. En général, les lignes directrices régissant la prise en charge des découvertes fortuites ne disposent pas d'arguments en faveur d'un rapport coût-efficacité favorable à des soins de haute valeur. Si les découvertes fortuites chez les patients à faible risque sont courantes et importantes - comme l'indiquent les lignes directrices sur la prise en charge des découvertes fortuites - on pourrait alors argumenter qu'un dépistage à grande échelle devrait être effectué dans la population générale (c'est à dire étendre la prise en charge des découvertes fortuites aux efforts de détection au niveau de la population).
Cela a été tenté et s'est révélé néfaste [10-11, 31-32]. On pourrait prétendre que la proposition de valeur s'améliore si l'incidentalome est déjà découvert (eg plutôt que d'essayer de le chercher). Voici trois exemples parmi tant d'autres où cette approche a également entraîné des dommages et des soins de faible valeur.

Le cancer de la thyroïde

L'échographie thyroïdienne à haute résolution identifie au moins un nodule thyroïdien chez 19 à 68 % des patients adultes sélectionnés au hasard, avec une probabilité plus élevée chez les femmes et les personnes âgées [38-39]. En outre, le cancer de la thyroïde est souvent détecté lors du prélèvement de nodules thyroïdiens [40-42]. Un résultat d'imagerie commun qui présente une forte association avec le cancer suggérerait superficiellement un fort avantage clinique pour l'imagerie de la thyroïde, le signalement fastidieux des nodules thyroïdiens lorsqu'ils sont découverts fortuitement et le prélèvement agressif de nodules thyroïdiens pour identifier les cancers prévalents. Cette logique est intuitive et reflète ce qui s'est passé au cours des 50 dernières années.

Aux États-Unis, entre 1975 et 2009, l'incidence du cancer de la thyroïde a presque triplé (de 4,9 à 14,3 pour 100 000 patients ; taux relatif : 2,9 [IC 95 % : 2,7-3,1]) et a été associée à un coût estimé à des dizaines de milliards de dollars [10,43]. Cette augmentation s'explique quasi entièrement par l'augmentation des diagnostics de cancer papillaire de la thyroïde, asymptomatique et indolent (l'incidence du cancer papillaire est passée de 3,4 à 12,5 pour 100 000) [10].

L'augmentation absolue a été environ 4 fois plus élevée chez les femmes malgré une prévalence plus faible du cancer de la thyroïde dans les études d'autopsie [10]. Pendant la même période, la mortalité due au cancer de la thyroïde est restée inchangée (0,5 pour 100 000) [10]. Une augmentation notable de l'incidence avec une mortalité inchangée implique fortement un surdiagnostic [10,34]. En Corée du Sud, de 1993 à 2011, ce même problème s'est produit [11]. Cependant, contrairement aux États-Unis, où une grande partie des nodules thyroïdiens sont détectés de manière fortuite, la Corée du Sud a mis en place un programme de dépistage financé par le gouvernement [11].
La logique, comme nous l'avons déjà noté, était apparemment sensée : les nodules thyroïdiens sont répandus et sont couramment porteurs de cancer ; le dépistage est donc intuitivement logique. Or, le taux de diagnostic du cancer de la thyroïde a été multiplié par 15 sans que le taux de mortalité ne change [11].

Des milliers de patients ont dû subir une thyroïdectomie avec le risque associé de lésion du nerf laryngé récurrent et la nécessité subséquente d'un remplacement à vie des hormones thyroïdiennes sans bénéfice apparent [11].  Malgré les meilleures intentions et la logique intuitive, des préjudices à la population, des coûts énormes et des soins de faible valeur ont suivi. Heureusement, l'épidémie de surdiagnostic en Corée du Sud a été reconnue [12]. Une campagne de messages publics a été entreprise en 2014 pour décourager les citoyens de se soumettre au dépistage. Cela mérite d'être répété. Les patients ont été activement avertis d'éviter de connaître le cancer qu'ils pourraient avoir, car le fait de le savoir était plus nuisible qu'utile. À la suite de cette campagne de messages, les thyroïdectomies ont diminué d'environ 35 % et l'incidence du cancer de la thyroïde a diminué d'environ 30 % (12).

Néoplasmes intracanalaires papillaires et mucineux du pancréas (BD-IPMN)

Chez les patients adultes asymptomatiques âgés de plus de 40 ans, environ 5 à 25 % d'entre eux présentent une lésion pancréatique kystique uniloculaire qui est présumée être un BD-IPMN [44-48]. Ces lésions sont 2 à 3 fois plus fréquentes à l'IRM qu'au scanner (en raison de la meilleure résolution du contraste) et sont plus fréquentes chez les patients plus âgés [44-48]. La plupart sont subcentimétriques. Des études ont révélé une légère augmentation du risque de développement d'un adénocarcinome pancréatique chez les patients présentant des BD-IPMN plus larges [49].

Le risque de survenue d'un adénocarcinome pancréatique chez un patient atteint d'un BD-IPMN a été résumé dans une méta-analyse de 2016 à 0,007 par années-personnes de suivi [49]. Parmi les 13 études de cette méta-analyse qui incluaient la taille [49], le diamètre moyen ou médian était ≥20 mm dans 7 études et ≥10 mm dans 12 études. En d'autres termes, la méta-analyse était biaisée en faveur des BD-IPMN de plus grande taille, et a donc probablement amplifié le risque d'adénocarcinome (même si l'estimation du risque était malgré tout faible). Ceci est compréhensible car les séries histologiques sont généralement constitués de BD-IPMN de plus grande taille.

Dans une étude de modélisation utilisant ces données, l'avantage en termes d'espérance de vie de la surveillance des BD-IPMN de plus grande taille chez les patients de plus de 60 ans était en général inférieure à 6 mois, l'avantage calculé en termes d'espérance de vie diminuant à un peu plus d'un mois chez les patients d'âge avancé et présentant des comorbidités (50).

Étant donné la prévalence des BD-IPMN et leur association potentielle avec l'adénocarcinome pancréatique mortel, la surveillance et l'intervention pour prévenir les dommages ont suscité un intérêt fort et compréhensible. Pour qu'un programme de dépistage secondaire des BD-IPMN soit efficace et produise une valeur élevée, chacune des quatre considérations suivantes doit être vraie : la BD-IPMN observée doit augmenter le risque de cancer ; la cadence de surveillance doit permettre l'identification précise et fiable d'une découverte qui indique un adénocarcinome pancréatique à un stade précoce ; il doit exister une thérapie efficace qui permet de traiter l'adénocarcinome à un stade précoce avec de meilleurs résultats que si l'imagerie avait attendu l'apparition des symptômes ; et le programme doit être abordable. Chacun de ces éléments s'appuie sur la logique du dépistage [29-30]. Malheureusement, l'adénocarcinome pancréatique est agressif et se développe rapidement, et la cadence de surveillance recommandée dans la plupart des directives du BD-IPMN est annuelle.

Il est peu probable que l'imagerie de surveillance annuelle permette d'identifier un adénocarcinome asymptomatique dans une fenêtre où le traitement efficace serait différent de celui qui serait mis en place après l'apparition des symptômes.

 De plus, l'imagerie est coûteuse pour les BD-IPMN car elle implique généralement une IRM ou une échographie endoscopique. En 2019, le groupe de travail américain sur les services préventifs a attribué la note " D : il y a une certitude modérée ou élevée que le dispositif ne présente aucun bénéfice net ou que les risques l'emportent sur les bénéfices " pour le dépistage du cancer du pancréas chez les adultes asymptomatiques dont on ne sait pas s'ils présentent un risque élevé de cancer du pancréas (c'est-à-dire les patients présentant un syndrome génétique héréditaire ou des antécédents de cancer du pancréas) [51].

Un commentaire spécifique a été fait sur le fait que les directives existantes pour les BD-IPMN sont à risque de surdiagnostic et de surtraitement [51]. Ces directives devraient continuer à évoluer. En attendant, il est probable que la poursuite de la surveillance agressive des petits BD-IPMN perpétue les soins à faible valeur ajoutée.

Cancer du rein

Des masses rénales incidentes sont présentes sur plus de 50 % des examens de tomodensitométrie et d'IRM [14-15,37,52-53]. Une proportion faible mais significative de ces masses est associée à un risque de carcinome des cellules rénales (par ex. masses solides sans graisse macroscopique ; et masses kystiques de Bosniak IIF, Bosniak III et Bosniak IV) [53-54]. Lorsqu'une masse rénale incidente indéterminée est identifiée, des algorithmes sont suivis pour déterminer  la probabilité d'un cancer [3,5,53]. Ces algorithmes comprennent généralement une imagerie supplémentaire, et parfois une biopsie ou un traitement extirpateur [53]. La prévalence élevée des masses rénales incidentes, le potentiel cancéreux et l'incapacité à différencier de manière fiable les masses bénignes, indolentes et agressives ont conduit à une augmentation considérable du nombre de patients subissant une imagerie et une intervention rénale [6,8,14-15,36,53].

Les données SEER de 1975 à 2019 montrent une augmentation marquée de l'incidence du cancer du rein en raison de l'augmentation des détections incidentes (6,82 pour 100 000 en 1975 contre 15,85 pour 100 000 en 2019) mais malheureusement une mortalité inchangée (3,61 pour 100 000 en 1975 contre 3,44 pour 100 000 en 2020) [55]. L'augmentation de l'incidence est largement expliquée par la détection de masses incidentes ≤4 cm [15]. L'augmentation de la détection sans diminution de la mortalité implique fortement un surdiagnostic.

Les efforts déployés pour diagnostiquer et traiter les masses rénales à un stade précoce ont été associés à des coûts et des préjudices substantiels [6,8,36,50,56-57]. Entre 2000 et 2009, on estime que le nombre de masses rénales bénignes réséquées par chirurgie a augmenté de 82 % (de 3098 à 5624) aux États-Unis [36]. Dans une étude portant sur 15 millions de bénéficiaires de Medicare âgés de 65 à 85 ans entre 2010 et 2014, 43 % ont subi un examen tomodensitométrique du thorax ou de l'abdomen [8]. Dans cette population, l'imagerie de 1000 bénéficiaires supplémentaires a été associée à 4 néphrectomies supplémentaires (IC 95 % : 3-5 ; ce qui correspond à environ 25 000 néphrectomies supplémentaires au total). Le taux de mortalité associé à la néphrectomie était de 2,1 % à 30 jours et de 4,3 % à 90 jours [8]. Ces données impliquent que plus d'imagerie conduit à plus de détection, plus de chirurgie et plus de complications [8].

Pendant ce temps, la mortalité due au cancer du rein reste stable [14-15,55]. La reconnaissance du surdiagnostic et du surtraitement des petites masses rénales a conduit à l'émergence de la surveillance active comme stratégie de prise en charge acceptée [58].

Autres pathologies

Les trois études de cas mises en évidence (c'est-à-dire le cancer de la thyroïde, les BD-IPMN, le cancer du rein) ne sont que quelques exemples parmi tant d'autres de découvertes fortuites causant des soins de faible valeur et des préjudices potentiels (par exemple, des variantes normales à l'IRM de la colonne lombaire [33], le surdiagnostic d'un cancer de la prostate de grade I à faible risque détecté lors d'une biopsie systématique [59], la détection et la caractérisation fortuites de nodules bénins surrénaliens [avec pour conséquence des recommandations de tests biochimiques universels] [4-5,60-61], des découvertes fortuites bénignes à l'IRM du cerveau [62], et d'autres [63]). Dans chacun de ces cas, un raisonnement similaire s'applique. Le biais de longueur de temps, le biais de temps d'avance et le surdiagnostic chez les patients à faible risque nous aident à comprendre pourquoi les découvertes fortuites que nous observons et renons en charge produisent généralement des soins de faible valeur.

Alors, que devons-nous faire ?

Il est de plus en plus reconnu que les découvertes fortuites sont incomplètement comprises, coûteuses et étonnamment nuisibles. Plutôt que d'être un avantage de l'imagerie, ils constituent un facteur de risque pour les patients à faible risque.  Elles ne sont pas recherchées, la probabilité qu'elle soient importantes est faible, et elles créent une grande incertitude et des soins de faible valeur. Le défi pragmatique est de savoir ce qu'il faut faire à ce sujet à court et à moyen terme.

Certains se sont demandé si certaines découvertes fortuites ne devraient pas être signalées du tout [64]. L'environnement médico-légal complique les choses [2,35,64]. Certaines découvertes fortuites sont des cancers. Il n'est pas raisonnable d'attendre de la part des patients ou du système juridique en 2022 une compréhension sophistiquée des biais qui prédisent des soins de faible valeur - à savoir que la détection précoce de certains cancers peut paradoxalement produire un pire résultat que si ces cancers n'avaient jamais été détectés - et il est difficile pour les praticiens médicaux de comprendre. Mais nous ne devons pas simplement maintenir le statu quo. Voici plusieurs recommandations.

Tout d'abord, nous devrions tenir compte de l'appel à l'action lancé par certains qui nous demandent d'être plus conscients des méfaits du surdiagnostic et du surtraitement découlant de la détection de résultats fortuits [16-19]. Les découvertes fortuites sont une complication de l'imagerie diagnostique - un préjudice involontaire malgré une intention positive - comme un saignement après une biopsie guidée par l'image. Les préjudices spécifiques de la prise en charge des découvertes fortuites sont plus opaques que les saignements et plus difficiles à comprendre. Mais cela signifie simplement que nous (les radiologues) devons jouer un rôle plus actif dans leur étude et leur prise en charge. C'est notre difficulté et notre défi à relever.

Deuxièmement, nous devons plaider pour que les lignes directrices sur les découvertes fortuites, en particulier les nôtres mais aussi celles des autres, intègrent et recommandent explicitement des études appropriées pour confirmer qu'elles fonctionnent comme prévu. Travailler comme on le souhaiterait signifie "produire des soins de grande valeur".
Nous devrions nous attendre à ce que les directives sur les découvertes fortuites mettent l'accent sur la création de soins de grande valeur plutôt que de se concentrer exclusivement ou de manière excessive sur la maximisation de la sensibilité diagnostique. Il ne s'agit pas d'un dilemme propre à la radiologie. Des directives sur les découvertes fortuites existent dans de nombreuses spécialités médicales et chirurgicales, et nous devrions travailler en collaboration avec ces dernières pour promouvoir une approche de grande valeur.

Troisièmement, nous devons plaider auprès des organismes de financement pour qu'ils donnent la priorité à l'étude de la prise en charge des découvertes fortuites. Nous avons un argument convaincant. Les découvertes fortuites sont omniprésentes et représentent un énorme fardeau pour le système de soins de santé [1,3]. Des essais randomisés pourraient être menés dans lesquels on prévoit un groupe de patients bénéficiant d'un report de la prise en charge. A ce titre l'émergence de la surveillance active comme stratégie valide pour de nombreux types de cancers est un précédent qu'on pourrait appliquer et développer.

Quatrièmement, nous devons éviter d'être alarmistes dans nos rapports. A l'heure actuelle, nous devons suivre les directives que nous soutenons jusqu'à ce que des preuves plus solides apparaissent, mais nous devons également reconnaître que la plupart des découvertes fortuites ne sont pas dangereuses si elles sont ignorées chez les patients à faible risque.
La faible prévalence de la maladie et les biais inhérents au dépistage contribuent à expliquer pourquoi il en est ainsi. En cas de doute sur l'importance d'une découverte fortuite, et si les lignes directrices ne sont pas claires ou laissent une certaine marge de manœuvre, il convient d'opter pour la minimisation.

Cinquièmement, comme l'importance clinique d'une découverte fortuite dépend fortement du risque pour le patient, nous devrions rechercher des solutions informatiques, en collaboration avec les prestataires de soins référents, afin de rendre les facteurs de risque pertinents plus visibles pour les radiologues (par exemple, hypertension non contrôlée par plusieurs médicaments [nodule surrénalien], cancer de la tête et du cou non signalé [lésion hépatique]). Dans l'état actuel des choses, les radiologues s'appuient souvent sur un bref rappel historique centré sur la préoccupation principale pour interpréter un examen. Les découvertes fortuites sont par définition sans rapport avec la préoccupation principale et ne sont donc pas toujours éclairées par celle-ci.

Sixièmement, dans nos rapports, nous devons essayer d'équilibrer la sensibilité diagnostique avec d'autres risques concurrents.
Nous devons comprendre les dommages en cascade qui peuvent résulter de la prise en charge d'une découverte fortuite. Nous ignorons encore largement quelles découvertes fortuites sont importantes et comment les gérer (ou les ignorer) au mieux. Pendant les années à venir en attendant une véritable solution, nous devrions faire notre possible pour minimiser les dommages collatéraux aux patients que nous essayons d'aider.

Résumé

Les découvertes fortuites sont analogues aux résultats des tests de dépistage lorsque le dépistage est effectué sur des patients non sélectionnés et à faible risque. Ils entraînent généralement des soins de faible valeur et potentiellement dangereux. Les patients présentant des découvertes fortuites mais un faible risque de maladie sont susceptibles d'être victimes d'un biais de longueur de temps, d'un biais de temps d'avance au diagnostic, d'un surdiagnostic et d'un surtraitement qui créent une illusion de bénéfice tout en causant un préjudice. Il s'agit notamment de la détection fortuite de nombreux types de cancers qui, bien que de nature maligne, auraient été peu susceptibles d'affecter la santé du patient si le cancer n'avait pas été détecté. La détection de certaines incidentalomes peut donner lieu à des soins de grande valeur, mais ce n'est pas le cas pour  la plupart d'entre elles, et la différenciation n'est souvent pas claire au moment de l'identification. Des risques plus élevés liés au patient et à la maladie augmentent la probabilité qu'une découverte fortuite soit importante. Les directives cliniques pour les découvertes fortuites devraient intégrer plus en détail les facteurs de risque du patient et l'agressivité de la maladie pour informer la prise en charge. Cependant, le manque de données sur les répercussions et le rapport coût-efficacité conduit à des stratégies de gestion réflexes qui créent des soins de faible valeur, coûteux et potentiellement dangereux. La radiologie a besoin de données sur les conséquences et le rapport coût-efficacité pour formuler ses recommandations de prise en charge des découvertes fortuites.

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Un courrier d’Ameli

27 octobre 2022, par Cancer Rose
Actualisé le 29 décembre 2022

Madame, Monsieur,

Votre médecin traitant joue un rôle central dans les actions de prévention. En fonction de votre situation, il peut notamment vous informer et répondre à vos questions sur les dépistages organisés des cancers du sein, du col de l'utérus et colorectal qui permettent de sauver des vies. Plus ces cancers sont détectés tôt, meilleur est le pronostic.

Pour aider votre médecin traitant dans sa mission de conseil en santé auprès de sa patientèle, l'Assurance Maladie va mettre à sa disposition la liste de ses patients concernés par ces dépistages et ne les ayant pas réalisés (1).

Conformément aux dispositions relatives à la protection des données personnelles, vous avez jusqu'au 1er décembre inclus pour vous opposer à cette transmission via le lien suivant : https://www.demarches-simplifiees.fr/commencer/declarer-mon-opposition.
Si vous faites votre demande d'opposition après le 1er décembre, votre demande ne sera pas prise en compte pour la 1ère liste mise à disposition mais le sera pour les prochaines.

Votre situation peut faire que certains de ces dépistages organisés ne vous concernent pas ; dans ce cas, veuillez ne pas tenir compte de ce message.

Soyez assuré(e) de notre attention et de notre disponibilité

Votre correspondant de l'Assurance Maladie

Voici le courrier que tout un chacun aura reçu de son Assurance Maladie-

Rappelons qu'au moment de la concertation citoyenne la communication simpliste de la caisse avait été dénoncée, voir les pages 95 et 96 du rapport de la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein.
On ne peut pas dire que la communication soit davantage sophistiquée en 2022 et laisse la moindre place à toute réflexion ou doute.

Dans ce mail, il est affirmé que ces dépistages sauvent des vies, sans aucune référence scientifique, sans aucune étude citée, sans justification, sans référence aucune. La missive vous informe que votre médecin traitant sera informé des dépistages que vous n'avez pas encore réalisés...

Idéalement on pourrait espérer que cette démarche favorise la discussion avec le médecin traitant sur la pertinence des dépistages, aboutisse à une consultation débouchant sur une décision partagée et une information permettant un choix éclairé.
Mais qu'en est-il dans la vie réelle, une de nos lectrices se demande à juste titre si cela ne donnera pas plutôt l'occasion de remettre un peu plus la pression sur les patientes et patients pour participer à des dépistages en perte de vitesse, plus probablement qu'une consultation de choix éclairé, si déjà la caisse elle-même part d'un pré-supposé que les dépistages sauvent des vies, très loin hélas des réalités. Il n'y a pas beaucoup de communication autour des contestations scientifiques qui se multiplient pourtant, concernant la réelle pertinence des dépistages et leurs risques [1] [2] [3] [4] [5] .

L'utilisateur qui reçoit ce courrier est obligé d'activer le refus ; donc son acceptation, s'il omet de se rendre sur le lien lui permettant de s'opposer, est actée par défaut.

Cette initiative semble s'inscrire dans le grand plan européen censé élargir la participation des populations européennes au maximum à divers dépistages, au mépris de nombreux scientifiques demandant une information accrue sur la balance bénéfice-risques de ces dispositifs de santé.
L'objectif étant qu'à l'horizon 2025, 90% de la population de l'UE participe aux dépistages du cancer du sein, de la prostate, du col de l'utérus et du cancer colo-rectal.

Dans le nouveau plan décennal français on peut lire (https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030):

L’amélioration de l’accès au dépistage sera renforcée.

"Il s’agira de mieux connaître les déterminants de la réticence aux dépistages et de simplifier l’accès au dépistage (commande directe, professionnels de santé diversifiés, équipes mobiles notamment). Des approches seront développées, proposant un dépistage après une intervention de prévention ou de soins non programmés. Des partenariats seront envisagés, par exemple avec des associations d’aide alimentaire, pour réaliser des opérations de sensibilisation, notamment auprès des plus précaires. Les professionnels de santé, médico-sociaux et sociaux seront dotés d’outils d’information de premier contact et des applications mobiles délivrant des informations et des rappels seront développées. Des incitatifs matériels seront expérimentés pour faciliter la participation des personnes au dépistage. Enfin, les bornes d’âge du dépistage seront requestionnées."

Les incitatifs pécuniers dont on parle dans le texte permettent de recruter notamment les plus faibles économiquement, là aussi au mépris de toute information médicale, ce qui a été dénoncé dans un article du BMJ, dont une des auteurs est une citoyenne française[6]. Les conséquences d'un dépistage abusif pour ces personnes plus fragiles peuvent être dramatiques, avec une paupérisation, une perte de revenus, des difficultés à retrouver un emploi. Le problème de ces personnes défavorisées étant bien davantage l'accès aux soins que de leur trouver inutilement des cancers qui ne leur aurait jamais nui, et c'est aussi celui d'une bonne information médicale et de lutte contre des facteurs de risques auxquels elles sont davantage exposées.

Mais parfois le trop étant l'ennemi du bien, avec les autres dépistages du plan européen qui vont se rajouter force nouvelles invitations, lettres de relance, applications mobiles de rappel, consultations médicales démultipliées, l'effet obtenu risque bien d'être l'inverse: une lassitude des populations, déjà de plus en plus méfiantes vis à vis des injonctions médicales à tout va, et qui vont se détourner, comme c'est déjà le cas, d'une médecine traditionnelle de plus en plus coercitive et traquante. 

Trop c'est trop.


Actualisation décembre 2022

https://www.ameli.fr/medecin/actualites/depistages-organises-des-cancers-envoi-aux-medecins-traitants-de-listes-de-patients-eligibles

Le summum est atteint avec une missive du 23 novembre 2022 par laquelle l'assurance maladie demande clairement aux médecins cette fois d'inciter leurs patients aux dépistages.
L'Assurance Maladie, en plus du système de la ROSP (rémunération sur objectifs de santé publique, déjà très contestable et contestée) souhaite renforcer le rôle des médecins traitants dans une incitation aux dépistages en se servant de listes de patients éligibles à des dépistages mais n'y ayant pas participé.

Selon la missive "L’efficacité de ces dépistages a été démontrée car plus les cancers sont détectés tôt, meilleurs sont les pronostics : ils permettent de sauver des vies."
C'est inexact, incomplet, et non éthique dans la mise délibérée sous silence des inconvénients et risques des dépistages, pour lesquels la concertation citoyenne a demandé une claire information pour les femmes. Cette demande de claire information a été renouvelée et exprimée par le Conseil de l'UE tout récemment.

Le médecin est considéré par l'Assurance maladie comme un simple incitateur de patients listés, non compliants aux dépistages ; l'information compréhensible demandée par les citoyennes et qui est le rôle majeur du médecin traitant est donc bel et bien enterrée, le consentement éclairé une utopie....

Texte du courrier :

Dépistages organisés des cancers : envoi aux médecins traitants de listes de patients éligibles

23 novembre 2022

Début décembre, l’Assurance Maladie va envoyer par courrier aux médecins traitants la liste de leurs patients n’ayant pas réalisé leur dépistage du cancer (cancer du col de l’utérus, cancer du sein et cancer colorectal) dans les intervalles recommandés.

Partant du double constat du retard de la France par rapport à ses voisins européens en termes de taux de participation aux dépistages organisés et de la stagnation de ces derniers depuis 2018, l’Assurance Maladie souhaite renforcer le rôle des médecins traitants dans l’incitation aux dépistages en mettant à leur disposition la liste de leurs patients éligibles.

L’efficacité de ces dépistages a été démontrée car plus les cancers sont détectés tôt, meilleurs sont les pronostics : ils permettent de sauver des vies.

Le rôle déterminant que jouent les médecins généralistes dans la participation aux dépistages a été prouvé, à l’étranger et en France. Grâce à sa relation privilégiée avec ses patients, le médecin peut, lors d’une consultation, les inciter à effectuer ces dépistages et répondre à leurs interrogations.

Pour simplifier la réalisation de cette mission de santé publique, la liste mise à disposition des médecins traitants inclut leurs patients n'ayant pas participé aux dépistages auxquels ils sont éligibles, selon les intervalles recommandés, que ce soit dans le cadre des dépistages organisés ou d'une démarche individuelle. Il s’agit :

À noter : malgré toute l'attention portée par l'Assurance Maladie au ciblage des assurés présents sur cette liste, il est possible que certains d'entre eux ne soient finalement pas concernés (suivi spécifique, dépistage récent, etc.). Certains des patients ont également pu exprimer leur opposition à figurer sur ces listes.

Actualisation février et mars 2024

Sur le site, il n'y a toujours pas de chapitre dédié pour présenter les risques du dépistage, l'utilisateur doit faire la démarche de cliquer sur un lien qui l'envoie sur le site de INCA, puis de là cliquer sur un autre lien pour accéder au livret d'information, puis chercher volontairement la page sur les risques du dépistage parmi toutes les pages du livret.
Il est évident que personne ne procèdera à ces démarches complexes. https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/cancer-sein/depistage-gratuit-50-74-ans

Sur le site patient il est dit que le dépistage est un choix personnel

"La décision de s’engager dans une démarche de dépistage est un choix personnel : il est important de prendre connaissance des avantages et des inconvénients de cette démarche avant de décider d’y prendre part."

Sur le site pro en revanche l'incitation des patientes est toujours préconisée auprès des médecins

https://www.ameli.fr/medecin/actualites/depistages-organises-des-cancers-envoi-aux-medecins-traitants-de-listes-de-patients-eligibles

"Pour améliorer la participation au dépistage organisé des 3 cancers cités plus haut (sein, côlon, col de l'utérus, NDLR), l’Assurance Maladie mettra à disposition des médecins traitants, courant 2024, la liste de leurs patients qui n’ont pas effectué les dépistages. Cette liste sera diffusée via amelipro. Les informations fournies leur permettront d’identifier leurs patients éligibles aux dépistages organisés, afin d’échanger avec eux et d’identifier les éventuels freins et leviers à la réalisation des dépistages."

Rien ne change réellement, l'accès à l'information n'est pas facilité à la patiente et doit être une démarche volontairement accomplie de sa part, et le médecin est toujours poussé à opter pour une incitation des patientes à se soumettre au dépistage, incitation privilégiée par rapport à l'information.

Références

[1] https://cancer-rose.fr/2022/09/12/les-risques-des-depistages-un-elephant-dans-un-couloir-2/

[2] https://cancer-rose.fr/2017/01/05/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/

[3] https://cancer-rose.fr/2019/10/14/en-parallele-dans-lactualite-la-faillite-du-depistage-colo-rectal/

[4] https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/

[5] https://cancer-rose.fr/2021/02/24/etre-femme-et-tabagique-des-rayons-en-perspective/

[6] https://cancer-rose.fr/2022/01/11/incitations-financieres-pour-le-depistage/

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Dépistage : il est impératif de faire évoluer l’information des femmes

14/12/2022

Très récemment nous avons relayé les nouvelles recommandations préconisées par le Conseil de l'UE sur les dépistages, constatant qu'elles étaient plutôt prudentes et réfléchies.
Voir le texte du Conseil de l'UE

En grandes lignes, Le Conseil souligne qu'il est nécessaire d'obtenir des preuves supplémentaires de l'efficacité, du rapport coût-efficacité et de la faisabilité de certaines stratégies de dépistage en situation réelle, notamment pour de nouveaux dépistages comme pour le cancer de la prostate, celui du poumon et celui de l'estomac.
Les États membres sont invités à envisager la mise en œuvre des dépistages des cancers sur la base de preuves scientifiques concluantes, en fonction aussi de l'équilibre entre les avantages et les inconvénients des dépistages dont le public doit être dûment informé.

Parution au JO

Le texte est paru au journal officiel, les paragraphes suivants nous semblent capitaux car rejoignent les demandes de la concertation citoyenne de 2016.

(8)       "Le dépistage est le processus consistant à rechercher des maladies dont aucun symptôme n’a été détecté chez une personne. Malgré son effet bénéfique sur la mortalité due à la maladie et sur l’incidence de cancers invasifs, le processus de dépistage présente aussi des limites inhérentes qui peuvent avoir des effets négatifs sur la population dépistée. Il s’agit, entre autres, des faux positifs, qui peuvent être source d’anxiété et nécessiter des tests supplémentaires pouvant présenter des risques potentiels, des faux négatifs, qui apportent une fausse réassurance et retardent le diagnostic, du surdiagnostic (c’est-à-dire la détection d’un cancer qui ne devrait pas entraîner de symptômes au cours de la vie du patient) et du surtraitement qui en découle. Les prestataires de soins de santé devraient être conscients de tous les bénéfices et risques potentiels du dépistage pour un type donné de cancer avant de s’engager dans de nouveaux programmes de dépistage du cancer. En outre, ces bénéfices et ces risques doivent être présentés de manière compréhensible afin de permettre aux citoyens de donner leur consentement éclairé à participer aux programmes de dépistage."

(24) "Il est indispensable, d’un point de vue éthique, juridique et social, que le dépistage du cancer ne soit proposé à des personnes parfaitement informées ne présentant aucun symptôme que si les bénéfices et les risques découlant de la participation au programme de dépistage sont bien connus et les bénéfices sont supérieurs aux risques, et si le rapport coût-efficacité du dépistage est acceptable. Cette évaluation devrait faire partie intégrante de la mise en œuvre au niveau national."

Le Conseil en outre recommande, dans le même texte, aux Etats membres :

4)        "...de veiller à ce que les bénéfices et les risques, y compris les surdiagnostic et surtraitement éventuels, soient présentés d'une manière compréhensible aux personnes participant au dépistage, éventuellement dans le cadre d'un échange entre un professionnel de la santé et le participant, permettant aux personnes d'exprimer leur consentement éclairé lorsqu'elles décident de participer aux programmes de dépistage, et à ce que les principes de l'autodidaxie en matière de santé et de la prise de décision éclairée visant à accroître la participation et l'équité soient pris en considération."

Faire évoluer l'information des femmes, un impératif

Nous avions pointé l'insuffisance d'information du livret de l'INCa destiné aux femmes, qui, malgré quelques améliorations par rapport au précédent, ne fait toujours pas apparaître de pictogramme visuel permettant une compréhension facile de la balance bénéfices/risques, omet de parler de risques du dépistage mais utilise à la place le terme "limites" avec des explications pour les minimiser.

Ce livret ne répond pas aux recommandations du Conseil de l'UE.
Il est envoyé une seule fois à la femme lorsqu'elle atteint l'âge de 50 ans ; ensuite il lui sera envoyé seulement un dépliant lors de chaque dépistage ultérieur, qui ne mentionne aucun des risques du dépistage et qui renvoie vers un site internet, lui aussi très sujet à critiques. Au cours de la vie de la femme, il est évident que le message qui restera ancré dans son esprit sera celui, enjoliveur, du dépliant, dans lequel les risques ne sont tout bonnement pas mentionnés.

Ce qu'on peut constater est que dans le texte émis par le Conseil de l'UE les différents inconvénients du dépistage comme fausse alerte et surdiagnostic sont bien définis (en partie 8), alors que dans le livret de l'INCa la définition de ces notions est parfois très imprécise, souvent minimisée, celle du surdiagnostic est incomplète, le surtraitement non explicité (voir notre analyse).
Dans le dépliant, vous ne trouverez même pas du tout de mention du surdiagnostic.

Il est donc impératif, sur la base de l'exigence de l'UE concernant la présentation des risques du dépistage aux populations ciblées, de faire évoluer l'information des femmes invitées aux dépistages au-delà de 50 ans, dès 52 ans, aussi en respectant les exigences émises pour une bonne litératie, sans occulter les notions de fausse alerte et de surdiagnostic, les deux risques majeurs du dépistage du cancer du sein

En outre tant dans le livret que dans le dépliant, la survie à 5 ans est mise en avant comme "bénéfice", alors que ce n'est pas un indicateur d'efficacité du dépistage.
Dans la recommandation du conseil,  il est indiqué :
6) "Le principal indicateur de l'efficacité du dépistage est une diminution de la mortalité due à la maladie ou de l'incidence de cancers invasifs."

De plus, la présentation des bénéfices et risques n’est pas faite de manière compréhensible, comme recommandé par le Conseil UE.  La baisse de mortalité par cancer du sein est exprimée en pourcentage de réduction relative (15-21%)  alors que le pourcentage du surdiagnostic l'est en pourcentage absolu (10- 20%), ce n'est pas comparable. Ce travers est déjà présent dans le livret de 2017.
20% de diminution de mortalité par cancer ne signifie pas que 20 femmes dépistées sur 100 femmes, en moins, mourront du cancer.
Il s'agit là de l'indication uniquement du risque relatif. Les 20% de décès en moins ne signifient en aucun cas que 20 femmes en moins sur 100 mourront de cancer du sein si elles se font dépister. Ces 20% ne correspondent qu'à une réduction de risque relatif entre deux groupes comparés de femmes.
En fait, selon une projection faite par le Collectif Cochrane basée sur plusieurs études, sur 2 000 femmes dépistées pendant 10 ans, 4 meurent d’un cancer du sein ; sur un groupe de femmes non dépistées dans le même laps de temps 5 meurent d’un cancer du sein, le passage de 5 à 4 constitue mathématiquement une réduction de 20% de mortalité, mais en valeur absolue un seul décès de femme sera évité (risque absolu de 0.1% ou 0.05% ).

Concernant le taux du surdiagnostic, les 10 à 20% indiqués correspondent à l'évaluation la plus basse, d'autres études suggèrent des taux de surdiagnostics bien plus hauts. Ce surdiagnostic disparaît complètement dans le dépliant, et il y manque de façon flagrante une information compréhensible des risques.
Pour en savoir plus lire :
* L'INCa toujours aussi scandaleusement malhonnête et non-éthique
*Le nouveau livret de l'INCa

Que pourrait-on faire mieux ?

Il est temps que les autorités sanitaires répondent enfin de façon rigoureuse aux recommandations du Conseil publiées dans le Journal officiel, qu'elles respectent la population française en respectant ces recommandations.
Celles-ci indiquent que les "bénéfices et ces risques doivent être présentés de manière compréhensible afin de permettre aux citoyens de donner leur consentement éclairé à participer aux programmes de dépistage".

Pour ce faire, une option moderne et validée est l'emploi par exemple d'outils d'aide à la décision, comme celui du Harding Center of Literacy qui explique comment, de façon visuelle, il est possible de communiquer sur les risques.
https://www.hardingcenter.de/en/transfer-and-impact/fact-boxes/early-detection-of-cancer/early-detection-of-breast-cancer-by-mammography-screening

La méthodologie est parfaitement décrite ici :
https://www.hardingcenter.de/de/transfer-und-nutzen/faktenboxen,
avec la référence : https://www.hardingcenter.de/sites/default/files/2021-06/Methods_paper_Harding_Center_EN_20210616_final.pdf

8), page 13 de ce document : "Utilisation des nombres et présentation des risques
Les bénéfices et les risques d'une intervention médicale sont mis en balance dans des encadrés factuels. 
La référence en nombre est toujours la même pour les groupes d'intervention et de contrôle. Les fréquences des événements sont communiquées en nombres absolus. Les risques relatifs ne sont pas communiqués. La valeur de référence choisie (100, 1 000 ou même 10 000) dépend des données de l'étude. Il faut s'assurer que l'indication des nombres entiers soit possible et que les différences statistiquement significatives existantes apparaissent clairement. 
Le changement du risque en termes absolus est indiqué à la fois dans le bref résumé de l'encadré et dans le texte d'accompagnement. 
On ne recourt pas à un format incohérent (présentation des avantages et des inconvénients sous des formats différents). "

Un autre visuel est disponible dans le guide OMS, en page 37/38
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/330852/9789289054799-fre.pdf

"Les profanes aussi bien que les médecins cliniciens tendent à surestimer les bénéfices du dépistage et à sous-estimer ses effets nocifs (36). Former le personnel à la communication sur les risques et à des outils tels que les infographies, les vidéos et les aides à la décision peut faciliter la compréhension et promouvoir le consentement éclairé de même que les pratiques fondées sur des bases factuelles (cf. Figure 15)."
Voir l'infographie en page 38

Nous proposons de notre côté un "outil Cancer Rose", court et illustré, basé sur des données françaises, que vous pouvez consulter ici : https://drive.google.com/file/d/16Y0wGamO_ZKNV0wrereu0rAqSJNw540o/view

____________________________________

Pour conclure

Le Conseil de l'UE a émis des recommandations en particulier sur l'information du public et sur la présentation de l'information qui recoupe les demandes citoyennes.

  • L'OMS demande le respect des principes de Wilson et Junger, (lire ici, milieu d'article) ;
  • la concertation citoyenne et scientifique française demande une amélioration de l'information avec présentation honnête et neutre des données,
  • le Conseil de l'UE recommande de façon appuyée une présentation compréhensible des risques du dépistage ; alors qu'elle est encore l'étape supplémentaire qu'il faudrait à nos autorités sanitaires françaises pour exposer loyalement et sincèrement aux femmes les bénéfices et les risques pour leur permettre de faire un vrai choix éclairé ?

Il faut cesser de camoufler les risques du dépistage auxquels sont honteusement soumises les citoyennes, et les informer que le dépistage peut exposer à des inconvénients et des risques, dont le surdiagnostic, qui les mènera inutilement à une maladie qu'elles n'auraient jamais connue sans lui.

Oui vraiment, il est plus que temps....

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