Une vidéo sur le site Le Monde

2 mars 2020

Une vidéo de 2016 avec, déjà, l'avis critique du président du Conseil ­scientifique du Collège national des généralistes enseignants sur le dépistage

https://www.lemonde.fr/sante/video/2016/10/18/cancer-du-sein-pourquoi-son-depistage-fait-il-debat_5015696_1651302.html

L'information pour les femmes sur les dangers du dépistage est tronquée, et le reste toujours dans la brochure donnée aux femmes concernant l'étude sur un dépistage personnalisé MyPEBS, où l'explication du surdiagnostic est fragmentée et ne fait pas l'objet d'un paragraphe à part entière, et où le surtraitement n'est pas du tout abordé.

Lire ici : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/03/10/une-brochure-dinformation-conforme-a-la-loi/

Curieusement, cette video critique n'est plus lisible sur le site dédié de l'étude MyPEBS en cours : https://mypebs.eu/fr/2019/03/18/depistage-lechange-entre-les-femmes-et-les-medecins-evolue/

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30 000 cancers surdiagnostiqués par an dans une étude australienne : un enjeu de santé publique

Synthèse Dr C.Bour 28 janvier 2020

https://www.mja.com.au/journal/2020/212/4/estimating-magnitude-cancer-overdiagnosis-australia

Auteurs de l'étude australienne publiée dans le Medical journal of Australia :

Paul P Glasziou, Mark A Jones, Thanya Pathirana, Alexandra L Barratt and Katy JL Bell
Med J Aust || doi: 10.5694/mja2.50455

L'obsession de nos sociétés modernes à traquer les maladies par une détection toujours plus précoce entraîne une crise de santé publique, selon les auteurs australiens qui ont publié en ce mois de janvier 2020 leur évaluation des diagnostics en excès pour cinq différents cancers.

La méthode

 

Les données nationales recueillies régulièrement par l'Australian Institute of Health and Welfare (agence nationale australienne pour l'information et les statistiques sur la santé et le bien-être de l'Australie) ont été analysées afin d'estimer en population les risques de contracter un cancer durant la vie, en comparant la période actuelle (données de 2012) et le passé (données de 1982). Cela permet de mesurer les changements de ces risques durant ces 30 dernières années. Il y a eu un ajustement pour tenir compte du risque de décès et des variations des facteurs de risque dans le temps.

Les cinq différents cancers étudiés sont : cancer de la prostate, du sein, cancer rénal, thyroïdien et mélanome.

Les auteurs proposent ainsi une estimation de la proportion de diagnostics de cancers en Australie  raisonnablement attribuables à un surdiagnostic .

 

Les résultats

 

Les chercheurs ont estimé que, pour les femmes, 22% des cancers du sein (dont 13% de cancers invasifs), 58% des cancers rénaux, 73% des cancers de la thyroïde et 54% des mélanomes (dont 15% de mélanomes invasifs) étaient surdiagnostiqués.

Chez les hommes, ils ont estimé que 42% des cancers de la prostate, 42% des cancers du rein, 73% des cancers de la thyroïde et 58% des mélanomes (dont 22% de mélanomes invasifs) étaient surdiagnostiqués.

Malgré une  relative incertitude autour de ces estimations concédée par les auteurs eux-mêmes, ce résultat équivaudrait à un surdiagnostic représentant environ 18% des diagnostics de cancer chez les femmes, et environ 24% des diagnostics chez les hommes en Australie en 2012, autrement dit on arrive à environ 11 000 cancers chez les femmes et 18 000 cancers chez les hommes surdiagnostiqués chaque année en Australie.

Les taux absolus de surdiagnostics étaient les plus élevés pour le cancer du sein et le cancer de la prostate en raison de leur prévalence de référence (taux de nouveaux cas + taux de cas déjà présents) plus élevée.

 

Les causes

 

La population vieillit certes, mais les programmes de dépistage sont les grands pourvoyeurs du surdiagnostic. En dehors du dépistage systématisé, il y a aussi un surdiagnostic possible lors d'examens réalisés non liés au cancer trouvé ; par exemple un cancer de la thyroide découvert fortuitement lors d'examens d'imagerie non liés à la thyroïde, ou les découvertes fortuites de cancers du rein lors d'imageries scanographiques abdominales effectuées pour d'autres causes.

 

Les problèmes

 

Le surdiagnostic est important à connaître et à maîtriser en raison des inconvénients qu'il entraîne en matière de  iatrogénie (pathologie induite par les traitements) et de surcoûts associés.

Les préjudices comprennent l'impact psychosocial des diagnostics de cancer inutiles, tels que le risque accru de suicide chez les hommes après avoir reçu un diagnostic de cancer de la prostate. Les traitements contre le cancer tels que la chirurgie, la radiothérapie, la thérapie endocrinienne et la chimiothérapie peuvent causer des dommages physiques. Les risques pourraient être considérés comme acceptables lorsque le diagnostic est approprié. A contrario, lorsqu'une personne est diagnostiquée inutilement d'un cancer qui n'aurait pas compromis sa santé ni sa vie (définition du surdiagnostic), elle ne peut que subir un dommage à cause du traitement, au lieu de jouir d'un bénéfice d'avoir été détectée.

 

Dans d'autres pays

 

Cette étude est la première à estimer le surdiagnostic global du cancer au niveau national.

Une récente analyse britannique a constaté que l'incidence de dix des vingt cancers les plus courants au Royaume-Uni a augmenté de plus de 50% dans les deux sexes depuis les années 1980. Ces cancers incluaient le sein, le rein, les cancers de la prostate, de la thyroïde et le mélanome, mais aussi les lymphomes non hodgkiniens, les cancers buccaux, cervicaux, hépatiques et utérins.

L'étude ici présentée a estimé le surdiagnostic uniquement pour les cancers présentant une signature épidémiologique typique de surdiagnostic : cancer du sein, de la prostate, du rein, de la thyroïde et mélanome ( c'est à dire la constatation d'un pic d'incidence dès l'instauration du dépistage, mais mortalité peu changée).

Les statistiques britanniques sur le cancer publiées en janvier 2019 montrent des taux de survie très élevés pour les personnes atteintes de cancers à leur stade précoce, fournissant des preuves supplémentaires d'un surdiagnostic probable : survie à 5 ans de 99% pour le cancer du sein de stade 1, 100% pour le cancer de la prostate de stade 1, 100% pour le mélanome de stade 1, 89% pour le cancer du rein de stade 1 et 88% pour le cancer de la thyroïde de tout stade.

NDLR : la survie, souvent mise en avant par l'INCa pour justifier le dépistage du cancer du sein n'est pas un indicateur d'efficacité du dépistage mais un bon marqueur du surdiagnostic. La survie mesure la durée de vie avec un cancer, si le cancer n'est pas destiné à tuer son hôte, comme c'est le cas des cancers majoritairement détectés par dépistage, qui sont de bas stade, la survie ne pourra qu'être importante puisque ces cancers trouvés n'auraient jamais conduit au décès. Plus il y a du surdiagnostic, plus il y a de cancers qui auraient pu être ignorés, et meilleurs sont les taux de survie automatiquement. Le seul indicateur recevable d'efficacité d'un dépistage est la mortalité, plus exactement même la mortalité totale.

 

Conclusion des auteurs

 

Le surdiagnostic du cancer a des implications importantes pour la santé publique.

Premièrement, les taux de surdiagnostics évitables doivent être réduits au niveau le plus bas par des dépistages plus ciblés, plutôt que des dépistages de masse.

Il convient de s'atteler à des stratégies visant à réduire les traitements trop excessifs des cancers de la prostate, du sein et de la thyroïde de bas stade, donc à faible risque.

Une deuxième implication, et peut-être la plus importante, est que les services de santé doivent être attentifs à l'exposition à du surdiagnostic dans d'autres nouveaux secteurs de la santé et les détecter.

 

NDLR : L'Australie a déjà initié un plan d'action contre le surdiagnostic https://cancer-rose.fr/2018/10/15/un-plan-daction-national-contre-le-surdiagnostic-en-australie/

 

NDLR : L'exemple australien devrait nous inciter à revoir à la baisse notamment les campagnes commerciales d'octobre rose qui causent de façon coupable une incitation et un entraînement des foules à la pratique du dépistage de masse, incitant même des femmes en dehors des tranches d'âge à se faire dépister.

 

 

 

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Contributions de Dr B.Duperray sur le surdiagnostic dans le cancer du sein

17 décembre 2019

Bernard Duperray est médecin radiologue spécialiste du cancer du sein, retraité après quarante et un an de pratique à l’hôpital Saint-Antoine à Paris.

Il enseigne à l’université Paris-Descartes. Il a très longtemps travaillé avec un éminent épidémiologiste, Mr Bernard Junod. Le résultat de ses travaux sont à retrouver dans son livre publié cette année aux éditions Souccar : https://cancer-rose.fr/2019/08/29/communique-de-presse-livre-b-duperray-depistage-du-cancer-du-sein-la-grande-illusion/

Cette collaboration entre B.Duperray et B.Junod a donné lieu par ailleurs à une publication en 2006 dans la revue Médecine, et plus récemment à un diaporama présenté par Dr Duperray à Bruxelles en novembre à l'occasion d'une soirée organisée par l'association "Femmes et Santé":

Article dans Medecine 2006

diaporama présentation Bruxelles novembre 2019, "Dépistage, surdiagnostic, cancer, de quoi parle-t-on ? "

Présentation Bruxelles version anglaise : "Screening, overdiagnosis, cancer, what are we talking about ?"

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Protégé : Poster Don Benjamin

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Pourquoi il faut prendre d’abord une décision éclairée avant de recourir au dépistage

Dr C.Bour,  4 juin 2019

Nous recevons sur notre formulaire contact du site de nombreux témoignages de femmes mais aussi des demandes de conseils, ainsi qu'une interrogation récurrente, "et si ma situation, c'était une lésion surdiagnostiquée ? "

Pourquoi on ne peut pas y répondre.

 

Le surdiagnostic n’est identifiable ni par le médecin, ni par l’anatomopathologiste, ni par la patiente. Pour eux, il n’y a qu'un "diagnostic".

La recherche diagnostique à l'échelle individuelle ne permet pas de prendre conscience de la notion de cancers en "excès", c'est à dire ce qu'on appelle le surdiagnostic, car le surdiagnostic se voit dans un "réservoir" de cancers qui ne se manifesteraient pas.

Il faut pour cela examiner des cohortes, et c'est seulement à l'échelle populationnelle qu'on peut prendre conscience et mesurer les cancers en "trop".

C'est donc uniquement l'épidémiologiste, examinant les populations dans leur globalité, "d'en haut", comme un entomologiste, qui peut être alerté par une différence de taux de cancers surprenante et inhabituelle sur des populations soumises à des intensités différentes de dépistage. La réalité du surdiagnostic est comptable ( c'est l’excès de cancers dépistés rapporté à ce qui était attendu dans la population en l’absence de dépistage), le surdiagnostic est étayé à la fois par des études de haut niveau de preuves ainsi que des études d'autopsie. [1] [2]

Le concept de surdiagnostic émerge directement de l'examen des populations, l’épidémiologiste est le seul capable de nous le montrer et de le quantifier. Sa perspective ( prise de recul, examen de foules) n'est pas du tout celui du clinicien (examen en colloque singulier d'une seule patiente, qui présente un diagnostic individuel de cancer ou pas).

 

Conséquences

 

Le surdiagnostic généré par un dépistage trompe l’opinion, les médecins et les femmes quant à l'efficacité du dépistage.

La mise en lumière de cancers du sein en excès, qui ne se seraient pas manifestés sans le dépistage et n'auraient jamais mis en danger la vie ou la santé de la femme permet aux autorités sanitaires de valoriser des résultats statistiques de survie avantageux mais fallacieux, car en détectant des lésions non tueuses, on donne l'illusion que davantage de femmes "guérissent", alors que ces femmes n'auraient jamais dû être impactées par le surtraitement qui s'ensuit automatiquement du surdiagnostic. C'est lui qui est l'expression concrète et tangible pour les femmes le problème du surdiagnostic.

En attendant les taux de cancers graves ne diminuent pas et la mortalité globale n'est en rien modifiée.

Pire encore, le dépistage, avec ce pseudo-succès s'auto-entretient exposant des femmes à des irradiations répétées dont l'effet sur l'ADN est cumulatif, dans l'immédiat par la répétition de clichés sur l'organe radio-sensible qu'est le sein, et dans le temps par la répétition de ces examens radiologiques.

 

Ce qu'il faut bien comprendre

 

L'information loyale et complète doit être délivrée à la patiente AVANT toute prise de décision, cette information doit se faire de façon claire et visuelle, par exemple par des images à points [3], lesquels symbolisent les surdiagnostics, les vies "sauvées", les fausses alertes etc..

Une fois la décision prise par une patiente de se faire dépister, elle ne peut plus faire marche arrière. Une image vue dans son sein par le radiologue fera l'objet obligatoirement d'une imagerie supplémentaire pour affirmer le diagnostic, le radiologue n'étant qu'un 'imageur', et d'une biopsie qui retirera un fragment inerte que l'anatomo-pathologiste examinera sous le microscope et pour lequel il donnera un verdict binaire : il y a ou il n'y a pas de cellule cancéreuse.

Mais une fois l'examen réalisé, il faut en tirer toutes les conséquences. Une fois le diagnostic posé, on ne peut faire marche arrière, et il faut appliquer la conduite à tenir préconisée, à savoir, traiter.

 

Donc oui, la décision de se faire dépister se prend avant, avec une information solide et circonstanciée.

 

 

Biblio

 

[1]  On compare lors d'essais randomisés un groupe dépisté à un groupe non dépisté, et on constate que le groupe dépisté a plus de cancers détectés que le groupe témoin. H.G. Welch, C. Black  « Overdiagnosis in cancer »  J.Nat Cancer Inst 2010,102 : 605-613 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20413742

 

Ou alors on compare deux groupes de femmes en faisant varier l’intensité du dépistage, l’un des groupes aura des contrôles multipliés. Etude d'Oslo « The natural history of invasive breast cancers detected by screening mammography », Archives of Internal Medicine, 24/11/08 Per-Henrik Zahl, Jan Mæhlen, H. Gilbert Welch https://pss17.files.wordpress.com/2009/01/historianatural_invasivosmama.pdf

[2] Etudes d'autopsies https://www.cancer-rose.fr/frequence-des-cancers-latents-de-decouverte-fortuite/

 

[3] https://www.cancer-rose.fr/le-sur-diagnostic-un-graphique-pour-expliquer/

Lire aussi le DIU destiné aux étudiants, par Dr B.Duperray, avec l'aimable autorisation de l'auteur. (voir pièce attachée)

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Ce que les statistiques du dépistage du cancer nous disent vraiment

Ce texte pédagogique sur le site de l'institut du cancer américain explique que le discours sur le dépistage du cancer se modifie parmi la communauté médicale.

https://www.cancer.gov/about-cancer/screening/research/what-screening-statistics-mean

MOINS DE RECOMMANDATIONS A DEPISTER

Globalement, les récentes tendances vont dans le sens d'une moindre recommandation de dépistage de routine, plutôt que d'en faire davantage. Ces recommandations sont basées sur l'évolution, même contre-intuitive, de la compréhension du fait que plus de dépistage ne se traduit pas nécessairement par moins de morts par cancers, et que certains dépistages feraient en réalité plus de mal que de bien.

Pour certains types de cancers courants, comme le cancer du col de l'utérus, le cancer colorectal, le poumon et le cancer du sein, des essais cliniques avaient montré que le dépistage sauvait des vies. Néanmoins, l'ampleur du bénéfice était largement incompris. Dans le cas des mammographies de femmes entre 50 et 59 ans par exemple, il est nécessaire de dépister plus de 1300 femmes pour sauver une vie. De tels calculs ne prennent pas en compte le potentiel dommage du dépistage, comme les suivis inutiles et invasifs après tests de dépistage et l'anxiété causée par les faux positifs.

Beaucoup de confusion autour du bénéfice du dépistage provient de l'interprétation des statistiques qui sont souvent utilisées pour décrire les résultats d'études sur le dépistage. L'augmentation de la survie (le temps pendant lequel une personne survit après son diagnostic de cancer) parmi la population qui s'est soumise à un dépistage du cancer est souvent considérée comme impliquant que ce test sauve la vie.

Mais la survie ne peut être utilisée avec précision dans ce but, en raison de multiples sources de biais.

LE BIAIS D'AVANCE AU DIAGNOSTIC

Le biais d'avance au diagnostic survient lorsque le dépistage permet de trouver un cancer plus tôt que le moment où le cancer aurait été trouvé en raison de l'apparition de symptômes, mais que ce diagnostic plus précoce ne change rien à l'évolution de la maladie.

Graphique 1

Dans le scénario montré ici, un homme présentant une toux persistante et une perte de poids se voit diagnostiqué un cancer du poumon à l'âge de 67 ans, il décède à l'âge de 70 ans. La survie à 5 ans pour un groupe de patients analogue à cet homme est de 0%.

Si cet homme est dépisté et son cancer détecté plus tôt, disons à 60 ans, mais qu'il décède à 70 ans (ligne du bas), sa vie n'est pas prolongée, mais la mesure de la survie à 5 ans d'un groupe de patients correspondant au cas de cet home est de 100%.

Credit: O. Wegwarth et al., Ann Intern Med, March 6, 2012:156

L'apparente importante augmentation de la survie à 5 ans du graphique est une illusion, expliquée par Lisa Schwartz, MD, MS, professeur de médecine et codirectrice du Centre de médecine et des médias de l'Institut Dartmouth : "dans cet exemple, cet homme ne vit pas même une seconde supplémentaire. Cette distorsion représente un biais de délai (d'avance au diagnostic)."

Le biais d'avance au diagnostic est intrinsèque à toute comparaison de survie. Il fait du temps de survie après détection par dépistage- et, par extension, après diagnostic précoce du cancer - une mesure intrinsèquement inexacte du fait que le dépistage sauve des vies.

Malheureusement, la perception d'un allongement de vie après détection peut-être très puissante sur les médecins, note Donald Berry, Ph.D., professeur de biostatistique au MD Anderson Cancer Center de l'Université du Texas.

"Un brillant ocnologiste me disait, 'Don, tu dois comprendre, il y a 20 ans, avant la mammographie, je voyais une patiente avec cancer du sein et 5 ans après elle était morte. Maintenant je vois des patientes avec cancer du sein, et 15 ans plus tard elle reviennent sans récidive ; il est évident que le dépistage a provoqué ce miracle.' Voilà ce qu'il racontait. Et je me devais de dire 'non, ce biais d'avance au diagnostic peut tout à fait expliquer la différence entre ces deux groupes de patients'."

BIAIS DE LONGUEUR DE TEMPS (ou BIAIS DE SELECTION (de cancers) PAR LENTEUR D'EVOLUTION) / SURDIAGNOSTIC DANS LE DEPISTAGE.

Un autre phénomène trompeur dans les études de dépistage est l'échantillonnage biaisé par le biais de longueur de temps (length bias). Ce biais se réfère au fait que le dépistage est propre à sélectionner davantage les cancers à croissance lente et les moins agressifs, qui peuvent séjourner dans le corps plus longtemps que les cancers à croissance rapide avant apparition des symptômes.

Avec n'importe quel test de dépistage « vous allez détecter les cancers à croissance lente de façon disproportionnée, parce que la période préclinique où ils peuvent être détectés par le dépistage mais sans provoquer de symptômes - ce qu'on appelle le temps de séjour - est plus longue» , explique Dr Berry.

L'exemple extrême du length bias est le surdiagnostic, dans lequel un cancer à croissance lente trouvé par dépistage n'aurait jamais occasionné de dommage ou n'aurait jamais requis de traitement durant toute la vie de la patiente.

A cause du surdiagnostic, le nombre de cancers de stade précoce trouvés représente également une mesure inadéquate pour juger si le dépistage sauve des vies. (voir le graphique pour explication suivante.)

Graphique 2

Dans le scénario ci-dessus(encart du bas), 2 000 personnes sont surdiagnostiquées après l'introduction d'un test de dépistage. Cela veut dire que le test détecte les cancers qui ne sont jamais destinés à tuer. L'ajout des 2 000 patients surdiagnostiqués au groupe de 1 000 patients atteints d'un cancer agressif découvert à cause de symptômes gonfle artificiellement le taux de survie à 5 ans de 40% à 80%.(NDLR : on additionne les survivants du dépistage (qui ne seraient pas décédés de leur cancer) aux malades survivants de cancers graves, cela fait que le rapport augmente ainsi artificiellement). L'augmentation spectaculaire apparente de la survie à cinq ans est une illusion. Il y a exactement le même nombre de personnes décédées. Cette distorsion montre le biais du surdiagnostic.

Crédit: O. Wegwarth et autres, Ann Intern Med, 6 mars 2012: 156

NDLR : le surdiagnostic en matière de cancer du sein est évalué, selon les études internationales les plus récentes, au-delà des 20% allégués par les autorités sanitaires françaises, voir dans notre rubrique "études" ; actuellement le surdiagnostic en matière de dépistage du cancer du sein serait plutôt aux alentours de 40%.

COMMENT MESURER LES VIES SAUVEES

En raison de tous ces biais, la seule façon fiable de savoir si un test de dépistage du cancer réduit la mortalité par cancer est de faire des essais randomisés qui montrera une réduction de mortalité par cancer dans la population soumise au dépistage comparée à celle appartenant au groupe témoin (non dépistée).

Dans l'essai ' National Lung Screening Trial (NLST) ', le dépistage par tomodensitométrie spiralée à faible dose a permis de réduire de 15% à 20% les décès par cancer du poumon par rapport aux radiographies pulmonaires chez les gros fumeurs. (Des études antérieures ont montré que le dépistage par radiographie thoracique ne réduisait pas la mortalité par cancer du poumon.)

Néanmoins, les améliorations de mortalité attribuable au dépistage semblent souvent minces-et elles sont minces-parce que la probabilité pour une personne de décéder d'un cancer donné, heureusement, est aussi mince. "Si le risque de décéder d'un cancer est faible au départ, il n'y a pas beaucoup de risque à réduire. Ainsi l'effet même d'un bon test de dépistage doit être minime en termes absolus. "(Dr Schwartz).

Par exemple, dans le cas du NLST, une diminution de 20% du risque relatif de décéder du cancer du poumon se traduit par approximativement 0,4% de réduction de mortalité par cancer du poumon au bout de 7 années de suivi, explique Barry Kramer, MD, MPH, directeur de la Division de la prévention du cancer du NCI .

(NDLR : par exemple La réduction du risque relatif attribuable au dépistage de décéder par cancer du sein est de 20% ; le risque de décéder d'un cancer du sein est environ de 5 % à l’âge de 50 ans; une diminution de 20 % fait donc passer ce risque à 4 %.)

Une étude publiée en 2012 dans Annals of Internal Medicine par le Dr Schwartz et ses collègues a montré comment ces réductions relativement faibles de la mortalité dues au dépistage peuvent dérouter même les médecins expérimentés, par rapport au paramètre de l'amélioration importante de la survie, potentiellement trompeur.

Pour bien comprendre la différence entre risque relatif et absolu, lire ici : https://web.archive.org/web/20170623084247/http://hippocrate-et-pindare.fr/2017/01/01/resolution-2017-non-au-risque-relatif-oui-au-risque-absolu/

DIFFICILE, MÊME POUR DES MEDECINS EXPERIMENTES

Pour évaluer le niveau de compréhension des statistiques de dépistage par les médecins, le Dr Schwartz, le directeur du centre de Médecine et Media de l'Institut de Darmouth (Dr Steven) et des collaborateurs de l'Institut Max Planck pour le Développement Humain (Allemagne) ont conçu un questionnaire en ligne basés sur deux tests de dépistage hypothétiques. Ensuite ils ont soumis le questionnaire à 412 médecins, spécialistes de médecine interne ou médecins généralistes, recrutés par l'intermédiaire du Harris Interactive Physician PanelExit Disclaimer. (institut de sondages et analyses).

Les effets de ces deux tests de dépistage hypothétiques sont décrits aux participants de deux façons : en termes de survie à 5 ans, et en terme de réduction de mortalité. Les participants recevaient aussi en sus d'autres informations comme le nombre de cancers détectés et la proportion de cas de cancers détectés à un stade précoce.

Les résultats de l'enquête montre un malentendu généralisé.. Presque autant de médecins (76% des sondés) croient (faussement) que l'augmentation de survie à 5 ans démontre l'efficacité du test à sauver des vies que de médecins qui croient (à juste titre) que ce sont les données de mortalité qui en fournissent la preuve (81% des sondés). (on suppose qu'on pouvait cocher les deux...)

Environ la moitié des médecins induits en erreur pensaient que simplement le fait de trouver plus de cas de cancers dans un groupe de population soumis au dépistage comparé à un groupe non dépisté, cela démontrait que le dépistage sauvait des vies. Et 68% des médecins sondés ont répondu qu'ils seraient plus enclins à recommander le dépistage si la preuve était faite qu'il détectait davantage de cancers à un stade précoce.

Les médecins interrogés étaient également trois fois plus susceptibles de recommander le test étayé par des données de survie non pertinentes que le test étayé par des données de mortalité pertinentes.

Pour résumer «la majorité des médecins de soins primaires ne savaient pas quelles statistiques de dépistage fournissaient des preuves fiables sur le fonctionnement du dépistage», écrit le Dr Schwartz et ses collègues. "Ils étaient plus enclins de recommander un test de dépistage étayé par des preuves non pertinentes ... que celui étayé par les preuves pertinentes, à savoir la 'réduction de la mortalité par cancer grâce au dépistage'."

Cette lacune dans la compréhension empêchent les patients d'obtenir une information dont ils ont besoin pour leur choix éclairé sur le dépistage du cancer. Dans une étude de suivi réalisée par un chercheur https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24145597, un peu moins de 10% de patients interrogés disaient que leur médecin leur avait expliqué le problème du surdiagnostic et du surtraitement lorsqu'ils ont parlé du dépistage de cancers.

Par opposition, 80% disaient qu'ils souhaiteraient obtenir une information de la part de leur médecin sur le potentiel dommage du dépistage autant que sur son bénéfice.

ENSEIGNER AUX DEPISTEURS

Selon Dr Schwartz : "D'une certaine manière ces résultats ne sont pas surprenants, car je ne pense pas que ces statistiques font partie du cursus des études médicales standard." "Nous devrions enseigner aux étudiants en médecine comment interpréter correctement ces statistiques et de déjouer l'exagération."

Certaines facultés ont commencé (plusieurs universités de médecine US).

L'équipe UNC (université Caroline du Nord) a également reçu une subvention de recherche de l' Agence pour la recherche et la qualité en soins de santé pour financer un Centre de recherche sur l'excellence en services cliniques préventifs de 2011 à 2015. «Une partie de notre mandat était de parler non seulement aux étudiants en médecine mais aussi aux médecins des communautés, pour les aider à comprendre les avantages et les inconvénients du dépistage », a déclaré le Dr Harris.

....

Drs. Schwartz et Woloshin pensent également qu'une meilleure formation des journalistes, des défenseurs et de quiconque diffuse les résultats des études de dépistage est essentielle. "

Beaucoup de gens constatent ces messages, alors les gens qui les écrivent doivent comprendre [ce que les statistiques de dépistage du cancer signifient vraiment]", a déclaré le Dr Woloshin.

Les patients également ont besoin de connaître les bonnes questions à poser à leur médecin. Toujours demander les vraies valeurs, ce qu'on doit demander n'est pas la survie à 5 ans mais "quelle est ma probabilité de décéder de la maladie lorsque je suis dépisté et lorsque je ne le suis pas ?"

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Le surdiagnostic, par Dr Bernard Duperray

2015

Le dépistage des cancers du sein et son objectif, un diagnostic plus précoce pour mieux guérir : un leurre pervers ?

Par Dr Bernard Duperray

Médecin radiologue retraité après 41 ans de pratique sénologique

à l’hôpital Saint Antoine, Paris.

Ancien président du comité scientifique pour la mise en place du dépistage du cancer du sein (à titre expérimental) dans l’Oise, a démissionné de ces fonctions en 1995, quand il s’est agi d’étendre le dépistage sur le plan national.

Pas de lien d’intérêt.

Abstract

The average tumor size at diagnosis has been declining but one cannot see any drastic drop in mortality. Where a decline in mortality is observed, it is the same among screened and unscreened women. There is no decline in advanced forms nor in the number of total mastectomy. Epidemiological studies generated by screening provided evidence of its failure far above clinical findings. Trying to obtain an early diagnosis by screening mammography is an illusion.

In addition, the setting up of mass screening revealed a significant pernicious effect : overdiagnosis and its corollary, overtreatment. Overdiagnosis is an explanation of the contradiction between the apparent success of the treatment on so called early diagnosed cancer thanks to screening and the absence of significant mortality reduction within the population.

The need for a new definition of the cancerous breast disease and its natural history becomes evident.

Voir aussi la présentation de Dr Duperray : présentation le surdiagnostic

Tout a commencé par une évidence à priori intuitivement inébranlable

Plus on détecte tôt un cancer du sein, plus la lésion est petite au moment du diagnostic, meilleur est le pronostic.

C’est l’impression que donne l’observation clinique superficielle en dehors de toute considération épidémiologique.

A partir de cette impression s’est élaborée l’hypothèse d’une histoire naturelle du cancer du sein qui a toujours cours aujourd’hui.

Selon cette conception, une lésion de petit volume signifie une lésion diagnostiquée précocément. Petit et précoce sont synonymes de curable.

Si l’on n’intervient pas, la progression de la maladie est inéluctable et linéaire dans le temps avec un enchaînement mécanique :

Cellule atypique > carcinome in situ > cancer invasif > métastases > décès par cancer.

Le cancer est perçu comme une maladie d’organe à extension progressive, loco régionale puis générale secondairement avec des métastases.

Ce schéma est validé par Halsted, un chirurgien nord américain qui annonce en 1894 qu’une chirurgie radicale enlevant le sein, le plan pectoral, les ganglions, etc… diminue les récidives et permet de guérir la maladie.

Dans le schéma « Halstedien» :

la dissémination tumorale se fait mécaniquement.
le type d’intervention détermine le devenir de la patiente.
tout retard de diagnostic est préjudiciable.
Le dépistage et, grâce à celui-ci, le diagnostic précoce devaient aboutir à une baisse drastique de la mortalité, à l’éradication des formes évoluées et à la diminution du nombre de mastectomies totales. Grâce au dépistage, on ne devait plus mourir prématurément d’un cancer du sein.

Cette hypothèse paraissait d’autant plus plausible que le cancer du sein constitue un modèle pur pour la cancérologie qui revendique ce schéma : il siège dans un organe externe, facile d’accès, non vital, susceptible d’une chirurgie radicale. Tous les ingrédients d’un succès du dépistage étaient réunis.

Quelles sont les constatations cliniques et épidémiologiques après 25 ans de pratique du dépistage à la recherche du fameux diagnostic précoce ?

La lutte contre le cancer du sein a eu pour priorité la recherche d’un diagnostic précoce. Ainsi, la taille des tumeurs au moment du diagnostic n’a cessé de se réduire : on se plait à dire qu’on est passé entre les années 50 et 80 “ de la prune au noyau” avec une diminution du nombre de creux axillaires envahis.

Aujourd’hui, la taille moyenne des tumeurs au moment du diagnostic est inférieure à 2 cm. Mais on n’observe pas la baisse drastique de mortalité attendue. Là où une baisse de mortalité est constatée, elle est identique chez les femmes dépistées et les femmes non dépistées. Il n’y a pas de recul des formes évoluées ni de recul du nombre de mastectomies totales. (1), (2), (3) (4)

Le cancer du sein reste une préoccupation majeure de santé publique.

La polémique sur les résultats des méta analyses des études randomisées est dépassée. Il faut inclure les études les plus biaisées pour montrer une baisse de mortalité, d’ailleurs constamment revue à la baisse. L’absence de résultat sur les études en population va dans le même sens pour affirmer que le dépistage et la recherche d’un diagnostic précoce sont un échec. (5) (6) (7)

De même, la mastectomie radicale mutilante de Halsted a été un échec.

Il a fallu attendre les années 1970/80 pour que Fisher et Veronesi remettent en cause l’hypothèse « Halstédienne » par des études randomisées et avancent une hypothèse alternative, qui ouvrait la voie à la chirurgie conservatrice :

« Il n’y a pas d’ordre dans la dissémination de la tumeur. Les variations de traitement n’affectent pas la survie. »

Ces constatations n’ont abouti ni à une remise en question du schéma retenu de l’histoire naturelle des cancers du sein ni à un changement des pratiques. Pourtant, il est évident que petit ne signifie pas précoce, volumineux n’exclut pas un diagnostic précoce, petit ne signifie pas obligatoirement bon pronostic.

Deux constatations paraissent totalement contradictoires :

1) Plus petite est la lésion découverte, meilleur est le pronostic.
2) La diminution de la taille moyenne des lésions obtenue en population ne s’accompagne pas d’une baisse significative de la mortalité.
Par ailleurs, parallèlement à cette diminution de taille, on constate une augmentation considérable de l’incidence de la maladie, c'est-à-dire du nombre de nouveaux cas découverts chaque année. L’incidence des cancers du sein en France a été multipliée par 2,3 entre 1980 et 2000.

Deux hypothèses sont envisageables : une simple coïncidence entre la mise en place du dépistage et la survenue d’une épidémie de cancers du sein ou l’apparition de diagnostics de cancer du sein en excès liée au dépistage : le surdiagnostic. (8)

Si l’accroissement continu des nouveaux diagnostics annuels correspondait à une épidémie de cancers à évolution létale, il faudrait alors que la réduction de mortalité grâce au dépistage soit considérable : on aurait un cancer guéri pour un décès en 1980 et trois cancers guéris pour un décès en 2000. Or ni les résultats les plus optimistes des essais contrôlés concernant la réduction de mortalité ni les progrès thérapeutiques durant cette période ne peuvent soutenir cette hypothèse.

En outre, les études épidémiologiques et les résultats d’autopsies systématiques dans une population sans pathologie mammaire connue montrent un excès de cancers par rapport à ce qui est observé dans le même temps dans la population générale. (9) Plus on cherche, plus on trouve !

L’hypothèse d’une majoration du surdiagnostic liée au dépistage n’a pas de contre argument objectif. L’augmentation de l’incidence est essentiellement due au surdiagnostic même si des facteurs environnementaux interviennent également. Mais les facteurs environnementaux ne peuvent pas expliquer la brutalité de l’accélération. (10) (11)

Le surdiagnostic a une définition encore trop vague.

Le surdiagnostic est le diagnostic histologique d’une “maladie” qui, si elle était restée inconnue, n’aurait jamais entraîné d’inconvénients durant la vie de la patiente.

Dans le contexte de nos connaissances actuelles, ce n’est pas une erreur de diagnostic, c’est un diagnostic correct mais sans utilité pour la patiente. (12) (13)

Ce concept pose un problème, il est totalement contre intuitif. Le surdiagnostic n’est identifiable ni par le soignant ni par l’anatomopathologiste ni par la patiente. Pour eux, il n’y a que des diagnostics.

Sa réalité est mise en lumière par l’épidémiologie, en comparant des populations soumises à un dépistage d’intensité variable. Sans l’aide de l’épidémiologiste, la confusion entre taux de létalité et taux de mortalité est inévitable et elle masque la réalité du surdiagnostic.

Le taux de létalité est le nombre de décès rapporté au nombre de diagnostics de cancer du sein. L’augmentation de l’activité diagnostique (dépistage) induit une augmentation des cas prévalents et du surdiagnostic noyé dans la masse des diagnostics, elle contribue ainsi à la diminution du taux de létalité et à l’impression d’un succès.

C’est la perception qu’a le clinicien de la maladie chez un individu.

Le taux de mortalité est le nombre de décès rapporté à l’ensemble de la population. C’est ce qui mesure vraiment l’efficacité d’une opération de santé publique. C’est la perception qu’a l’épidémiologiste de la maladie en population.

Ce sont deux approches différentes de la maladie. En prendre conscience permet de comprendre la difficulté qu’éprouve le clinicien à ne pas se laisser égarer par le surdiagnostic.

Le surdiagnostic est une explication de la contradiction entre le succès apparent des traitements sur des cancers diagnostiqués soi-disant “précocément” grâce au dépistage et l’absence de réduction significative de la mortalité en population. (14)

Le surdiagnostic, plus fréquent parmi les petites tumeurs sans envahissement ganglionnaire, donne l’illusion de l’efficacité d’un diagnostic précoce, du dépistage et des traitements inutiles subis par les patientes surdiagnostiquées. (15)

Dans l’état actuel de nos connaissances, il nous est impossible de différencier un cancer évolutif létal d’un cancer surdiagnostiqué mais ce que nous pouvons dire, pour en finir avec des pratiques médicales qui détruisent la vie de femmes bien portantes, c’est qu’une femme asymptomatique n’a aucun intérêt à risquer un surdiagnostic par le dépistage, qu’il soit de masse ou individuel, dans l’espoir d’un diagnostic précoce car le dépistage n’a aucun résultat probant, qu’il s’agisse de la baisse de mortalité ou de la réduction des formes avancées.

La recherche d’un diagnostic précoce par le dépistage de masse organisé a été le catalyseur du surdiagnostic mais, en même temps, ce dépistage de masse a permis grâce aux études épidémiologiques qu’il a suscitées, d’apporter des éléments de preuve supérieurs à la simple observation clinique et il a mis en lumière la nécessité d’une nouvelle définition de la maladie cancéreuse du sein et de son histoire naturelle.

Une conception de la définition et de l’histoire naturelle de la maladie à réécrire.

Les pratiques diagnostiques et thérapeutiques actuelles sont liées à une définition de la maladie et à une hypothèse de son histoire naturelle erronées, qui perdurent depuis la fin du XIX siècle bien qu’elles soient contredites depuis des décennies par les faits et bien que leur bilan soit désastreux : la mortalité par cancer du sein a peu baissé, celui-ci reste un des cancers féminins les plus meurtriers, alors qu’on lui a consacré plus de moyens qu’à d’autres pathologies. (16)

Rien dans l’histoire naturelle de la maladie que l’on observe avec les outils d’aujourd’hui ne permet de caractériser la notion de précocité du diagnostic. On ne connait pas l’élément fondateur de la maladie.

Par ailleurs, il n’y a pas de lien de proportionnalité entre la taille tumorale et l’écoulement du temps. Du lien constaté entre la taille de la tumeur et le pronostic, on a déduit abusivement une corrélation entre petite taille tumorale et précocité du diagnostic, sous prétexte qu’une lésion a été petite avant d’être grosse.

Or l’évolution de la maladie n’est pas linéaire : des tumeurs peuvent rester stables, régresser, disparaître, devenir grosses en quelques jours, des tumeurs millimétriques être métastasées. L’augmentation considérable du nombre de cancers in situ diagnostiqués et traités ne s’est pas accompagnée d’une diminution du nombre des cancers invasifs.

La présence du surdiagnostic est la preuve que la maladie évolutive ne débute pas obligatoirement avec la découverte de l’anomalie histologique qui fait porter le diagnostic de cancer du sein. Cela vaut aussi bien pour des cancers invasifs que des in situ. Comment dans ces conditions parler de diagnostic précoce qui améliorerait le pronostic ?

La quête d’un diagnostic précoce réalise simplement un biais de sélection, qui favorise le surdiagnostic. Cela explique que la mortalité ne soit pas influencée par le dépistage dans la population malgré la diminution de la taille tumorale observée en moyenne.

La spécificité du dépistage de masse organisé est le paradoxe suivant : plus il s’améliore techniquement (et on ne cesse de l’améliorer), plus il devient pervers.

En effet, la définition purement histologique du cancer du sein est insuffisante pour caractériser la maladie mortelle. Avec un même symptôme, la tumeur épithéliale, le cancer du sein apparaît comme une maladie hétérogène aux modalités évolutives multiples et opposées, allant de la régression à la mort, sans lien avec la précocité du diagnostic.

Conclusion :

Ces positions à contre courant découlent simplement de l’observation des résultats du dépistage. Le choix de celui-ci dans l’optique d’un diagnostic le plus précoce possible est un cul de sac.

Le diagnostic « précoce » obtenu par la mammographie de dépistage est un leurre qui catalyse l’effet pervers le plus grave du dépistage : le surdiagnostic avec son corollaire, le surtraitement, intolérable compte-tenu de la nature des soins prodigués.

Différer le diagnostic chez des femmes asymptomatiques est sans conséquence sur leur avenir, bien au contraire. L’heure est à la reconstruction d’une théorie de l’histoire naturelle du cancer du sein plus conforme aux faits et connaissances actuelles.

Il faut en premier lieu répondre aux questions suivantes :

- Qu’est – ce qu’un cancer ? Une maladie mortelle qui finit par tout envahir ou une anomalie cellulaire repérée au microscope à un moment t sans préjuger de son devenir ?

- A partir de quand est-on malade ?

- Pourquoi certains cancers ne se développent-ils pas ou régressent ?

- Quel est le rôle réel de la tumeur épithéliale dans la maladie cancéreuse ?

D’ores et déjà, la reconnaissance du surdiagnostic et de toutes ses conséquences devrait modifier les pratiques médicales, les résultats thérapeutiques étant actuellement mal interprétés du fait du surdiagnostic, dédramatiser l’urgence diagnostique, déculpabiliser les sceptiques, inciter le corps médical à être moins péremptoire dans ses propositions diagnostiques et thérapeutiques.

Biblio

(1) - BMJ 2014; 349 doi: http://dx.doi.org/10.1136/bmj.g6358 (Published 26 November 2014) Cite this as: BMJ 2014;349:g6358 Mammography screening Stable incidence of advanced breast cancer argues against screening effectiveness. Philippe Autier, Cécile Pizot, Mathieu Boniol, professor and senior statistician1

(2) - Autier P., Boniol M., Gavin A., Vatten L. J. « Breast cancer mortality in neighbouring European countries with different levels of screening but similar access to treatment: trend analysis of WHO mortality database » BMJ 2011;343:d4411

(3) - « Mammography screening. Truth, lies and controversy » ; P.C. Gotzsche ; Radcliffe Publishing, Londres, Prix Prescrire 2012

(4) - Nikola Biller-Andorno,MD. Ph.D, Peter Jüni,MD ; “Abolishing Mammography Screening Programs ? A View from the Swiss Medical Board. N Engl J Med 2014 ;370 :1967 ; May 22, 2014 ; DOI : 10.1056/ NEJM p 140 1875.

(5) - GOTZSCHE PC NIELSEN M Screening with mammography (Review) Cochrane 7 octobre 2009 issue 4

(6) - Commentary on: Does screening for disease save lives in asymptomatic adults? Systematic review of 5 meta-analyses and randomized trials ; Paul G. Shekelle. International Journal of Epidemiology, 2015, 1–2 doi: 10.1093/ije/dyu267

(7) - Revue Prescrire, (mars, avril, mai 2006, oct 2007)

(8) - Overdiagnosed: Making People Sick in the Pursuit of Health ; H. Gilbert Welch (Author), Lisa Schwartz (Author), Steve Woloshin (Author)

(9) - Nielsen M, Thomsen JL, Primdahls et al. Breast cancer and atypia among young and middle-aged women : a study of 110 medicolegal autopsies. Br J Cancer 1987 ; 56 : 814-819.

(10) - Jorgensen K J, Gotzsche P C Overdiagnosis in publicly organised mammography screening programmes: systematic review of incidence trends BMJ 2009 ; 339:b2587

(11) - Overdiagnosis and Overtreatment in Cancer An Opportunity for improvement. » Laura J. Esserman, MD, MBA, Ian M Thompson, Jr, MD, Brian Reid, JAMA. August 28, 2013; 310(8)

(12) - BMJ 2016 ; 352:h6080 doi: 10.1136/bmj.h6080 (Published 6 January 2016) Why cancer screening has never been shown to “save lives”—and what we can do about it

(13) - « Dois je me faire tester pour le cancer ? Peut-être pas et voici pourquoi. » G. Welch, Les presses de l’université de Laval. 2005

(14) - Médecine (vol 2 N° 8 2006) « Le dépistage : Une bonne intention, une mauvaise théorie de l’histoire naturelle de la maladie, un résultat absurde » Duperray B, Junod B.

(15) - "Twenty five year fellow-up for breast cancer incidence and mortality of Canadian National Breast Screening Study : randomised screening trial" Anthony B Miller, C Wall, C J Baines, P Sun, T To, BMJ / 2014, 348 g366 doi : 10.1136

(16) - Harding C et coll. et coll. Breast Cancer Screening, Incidence, and Mortality Across US Counties. JAMA Intern Med. Published online July 06, 2015. doi:10.1001/jamainternmed.2015.3043

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Tout comprendre sur le surdiagnostic en médecine

Présentation surdiagnostic

Ci-dessus, vous trouverez un PDF du Dr Guylaine Thériault (Canada), qui sert à des conférences pour les médecins de la province, sous l'égide de l'AMQ, l'Association Médicale du Québec.

Il est à destination des professionnels mais nous paraît suffisamment didactique et pédagogique pour un accès également aux profanes s'intéressant à ce sujet du surdiagnostic dans de multiples domaines, phénomème-apanage de la médecine dite préventive, axée sur le dépistage de masse.

A propos de l'auteure :  Dr Guylène Thériault, médecin de famille au Québec, diplômée en evidence-based healthcare, Oxford, certification en cours en value-based healthcare, Darmouth, membre du "Clinical leaders group" de Choosing Wisely Canada.

Site web : http://www.cassf.ca/

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En parallèle au dépistage du sein, celui de la prostate : du surdiagnostic, aussi !

Article

Outils d'aide à la décision, actualisés

Position de EuroPrev, 2023

Nouvelles études 2023

Prostate : attention à l’examen de trop !

A l'instar du dépistage du cancer du sein, un problème analogue est celui du dépistage du cancer de la prostate.
En ce qui concerne le dépistage du cancer de la prostate, les recommandations officielles en sont à ne PAS proposer de dépistage de masse aux hommes. Pourtant il est encore pratiqué.

Philippe Nicot explique dans The Conversation, dans un article publié le 15 novembre 2016, les tenants et les aboutissants. :https://theconversation.com/prostate-attention-a-lexamen-de-trop-68756

Nous le re-publions ici, en suivant les règles de republication émises par The Conversation.

Philippe Nicot, Université de Limoges

On apprend une nouvelle d’importance, dans la livraison ce 15 novembre de la publication scientifique hebdomadaire de Santé publique France. L’institution en charge de la surveillance des maladies dans notre pays glisse, l’air de rien, que les autorités sanitaires ont revu leurs consignes sur le dépistage du cancer de la prostate, le plus fréquent chez l’homme de plus de 50 ans. Et ce, sur la base d’informations scientifiquement fondées. Elles encouragent notamment les médecins à moins prescrire l’examen par prise de sang qui a servi longtemps de juge de paix dans la décision d’enlever, ou non, cette glande de l’appareil génital masculin. Une petite révolution.

Les autorités sanitaires ouvrent enfin les yeux sur une pratique inadéquate, connue et signalée par de nombreux experts depuis près de trois décennies. On dépiste habituellement le cancer de la prostate par le dosage d’une protéine produite par les cellules de cette glande, le PSA, ou antigène spécifique de la prostate (en anglais, prostate specific antigen), à partir d’une simple analyse de sang. Cette glycoprotéine de bas poids moléculaire est l’un des constituants du sperme, destiné à le fluidifier et à faciliter la mobilité des spermatozoïdes. Elle passe, pour partie, dans la circulation sanguine. Sa production est liée à l’activité de la prostate. Dans un bilan sanguin, une hausse du taux de PSA est interprétée comme un indice d’une éventuelle tumeur.

Dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) que Santé publique France (ex Institut de veille sanitaire) consacre au cancer de la prostate, les éditorialistes sont des invités de marque : le président de l’Institut national du cancer (Inca), Norbert Ifrah, associé au directeur général de Santé publique France, François Bourdillon. Ils notent que le dosage du PSA est, d’après les données de l’Assurance maladie, pratiqué très fréquemment. « En 2015, 48 % des hommes de 40 ans et plus avaient réalisé un dosage du PSA dans les trois années précédentes, cette fréquence atteignant 90 % pour les hommes âgés de 65 à 79 ans, » indiquent-ils.

Or cette analyse chez des hommes ne se plaignant d’aucun signe évoquant un cancer n’est recommandée en 2016 par « aucune agence ou autorité sanitaire dans le monde », écrivent-ils noir sur blanc, ni dans un programme de dépistage de ce cancer, ni à l’initiative individuelle du médecin. Autrement dit, c’est le grand écart entre les références officielles et la pratique.

Pas d’effet établi sur la mortalité

On a aujourd’hui le recul nécessaire pour répondre à la seule question qui vaille : la généralisation de cet examen a-t-elle diminué la mortalité liée à ce cancer ? Le bilan dressé par l’Institut national du cancer (Inca) en 2015 affirme que non. « Les deux essais randomisés menés aux États-Unis et en Europe qui avaient pour objectif d’évaluer l’impact d’un programme de dépistage du cancer de la prostate par le PSA sur la mortalité spécifique de ce cancer ont apporté des résultats contradictoires et discutables, écrit l’agence sanitaire ; leur méta-analyse ne met pas en évidence d’effet significatif en termes de réduction de la mortalité par cancer de la prostate, ce qui ne permet pas de conclure en faveur d’un bénéfice à un niveau populationnel ».

Le test comporte par ailleurs de nombreux inconvénients. Il détecte des cancers qui, pour certains, évoluent si lentement qu’une surveillance régulière serait préférable à une opération – seulement on ne sait pas encore les distinguer avec certitude. « Le test expose à un risque important de surdiagnostics et de surtraitements, précise l’Inca. Il détecte de nombreux cancers qui seraient restés asymptomatiques sans que l’on ne dispose actuellement d’outils pour identifier les cancers qui ne nécessiteraient pas de traitement ». Or la chirurgie peut avoir des conséquences graves, rendre l’homme impuissant ou incontinent. « Les traitements sont efficaces, mais leurs effets indésirables peuvent être importants, alors que le maintien d’une qualité de vie acceptable doit être pris en considération », ajoute l’Inca.

Partant de ce constat, l’Inca est passé à l’action – sans tambour ni trompette – auprès des médecins généralistes, les principaux prescripteurs de ce dosage du PSA. L’agence a élaboré avec le Collège de la médecine générale des documents pour permettre à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) d’échanger à ce sujet avec les généralistes. L’objectif : que cet examen, bientôt, ne soit plus automatique.

Le dépistage de masse non recommandé

Le dosage du PSA a suscité la controverse dès 1989 en France. Cette année là, une « conférence de consensus » est réalisée dans les règles de l’art. Organisée par trois urologues, les professeurs François Richard, Guy Vallancien et Yves Lanson, et l’économiste Laurent Alexandre, cette concertation d’experts conclut déjà que « l’organisation d’un dépistage de masse du cancer de la prostate n’est pas recommandée ». Une nouvelle conférence de consensus se tient en 1998 et la même année, une recommandation de pratique clinique statue encore plus clairement : « Le dépistage du cancer de la prostate (qu’il soit de masse, dirigé vers l’ensemble de la population intéressée, ou qu’il soit opportuniste, au cas par cas) n’étant pas recommandé dans l’état actuel des connaissances, il n’y a pas d’indication à proposer un dosage du PSA dans ce cadre. »

Visuel de la première Journée nationale de la prostate, en 2005.
Association française d’urologie

Mais un grain de sable se glisse alors dans le système. La majorité des sociétés savantes et des groupes professionnels à travers le monde statuent contre ce dépistage, sauf trois associations américaines (American Cancer Society, American Urological Society, American College of Radiology). Peu après, l’Association française d’urologie (AFU), regroupant les spécialistes de l’appareil reproducteur masculin, démarre à son tour ce qui peut être qualifié de campagne de promotion du dosage du PSA.

En 2009, deux grandes études, américaine et européenne, viennent pourtant clore le débat scientifique. La Haute autorité de santé (HAS) conclut : « Aucun élément scientifique nouveau n’est de nature à justifier la réévaluation de l’opportunité de la mise en place d’un programme de dépistage systématique du cancer de la prostate par dosage du PSA. » Fermez le ban.
(Actualisation en 2022 : "A ce jour, il n’y a pas de démonstration robuste du bénéfice d’un dépistage du cancer de la prostate par dosage de l’antigène spécifique prostatique (PSA) en population générale, que ce soit en termes de diminution de la mortalité ou d’amélioration de la qualité de vie. Ainsi, aucun programme de dépistage du cancer de la prostate n’est recommandé en population générale, en France comme aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande ou au Royaume-Uni.")

Le médecin américain qui avait mis au point ce dosage en 1970, Richard Albin, s’inquiète lui-même du « désastre de santé publique » provoqué par sa découverte. Dans une tribune publiée en 2010 dans le New York Times, il écrit : « Jamais je n’aurai pu imaginer, quatre décennies plus tôt, que ma découverte allait provoquer un tel désastre de santé publique, engendré par la recherche du profit. Il faut arrêter l’utilisation inappropriée de ce dosage. Cela permettrait d’économiser des milliards de dollars et de sauver des millions d’hommes de traitements inutiles et mutilants. »

Un risque d’impuissance

En 2011, une autorité américaine, l’US Preventive Service Task Force (USPSTF), recommande de cesser le dépistage du cancer de la prostate par le PSA en insistant sur ses effets secondaires. Pour 1000 personnes traitées, il y a 5 décès prématurés un mois après la chirurgie, entre 10 et 70 patients atteints de complications graves mais survivants. La radiothérapie et la chirurgie entraînent des effets à long terme, et 200 à 300 patients deviendront impuissant et/ou incontinent.

À cela s’ajoutent les décès suite à une biopsie de la prostate, un geste loin d’être anodin. Une étude française de 2010 conduite par Paul Perrin fait état d’un chiffre alarmant : 2 pour 1000.

Aujourd’hui, la France en a terminé, officiellement, avec le recours systématique au dosage du PSA. Et les autorités sanitaires ont décidé de s’en remettre aux médecins généralistes pour changer les mentalités, et les pratiques.

Comment expliquer que les généralistes n’aient pas pris les devants ? Parce qu’ils sont mal informés, sans doute. Parce que les patients leur réclament l’examen, aussi. L’Inca le suggère dans sa synthèse sur les bénéfices et les risques du dépistage. « Selon les enquêtes, un homme de plus de 60 ans sur cinq est à l’initiative de son dépistage du cancer de la prostate, écrit l’agence. L’analyse de la pratique des médecins généralistes montre que, partagés entre les recommandations contradictoires des institutions de santé et de plusieurs sociétés savantes et parfois confrontés à une demande appuyée de patients, les médecins généralistes sont plutôt enclins à proposer ou prescrire à leur patientèle masculine un dosage de PSA. »

Le temps compté, dans une consultation, joue certainement. Intervenant sur France Inter en 2011, le généraliste Dominique Dupagne avait résumé le problème dans une formule frappante : il faut 15 secondes au médecin pour expliquer qu’il faut faire ce dépistage, et 30 minutes pour expliquer qu’il ne faut pas faire celui-ci.

Quel rôle pour les urologues ?

S’il est légitime de mobiliser les généralistes pour qu’ils prescrivent le dosage du PSA à meilleur escient, qu’en est-il des urologues ? On peut s’étonner qu’ils ne soient pas intégrés dans la stratégie des autorités sanitaires. Pour le comprendre, il faut revenir sur l’affrontement que se livrent sur ce sujet depuis plus de vingt ans des urologues d’un côté, des épidémiologistes et des médecins généralistes de l’autre.

En 1994, déjà, la revue médicale indépendante Prescrire témoigne des échanges entre les généralistes membres de leur rédaction et l’urologue Bernard Debré. L’ancien ministre et député défend avec vigueur le dépistage et affirme : « Les références médicales vont arriver, elles vont décider que le PSA est un examen fondamental après 50 ans. » Pour le généraliste Jean-Pierre Noiry, « cette opinion est en complète contradiction avec les résultats des études disponibles et des recommandations consensuelles ».

Par la suite, le ton ne va pas cesser de monter. Des chercheurs spécialistes de l’épidémiologie et de la santé publique comme Catherine Hill, Alain Braillon et Bernard Junod, montent au créneau dans des face à face violents avec des urologues incitant à la prescription du dosage du PSA. Christophe Desportes, médecin généraliste dans le Finistère, dans son livre Prostate, le grand sacrifice (Editions Pascal) raconte comment il interpelle en 2005 un confrère professeur d’urologie, et se voit rétorquer : « On y va en attendant que la preuve de l’utilité arrive ». Un pari aussi osé que celui d’administrer un médicament avant de savoir à quoi il sert…

Visuel de la campagne Touche pas à ma prostate, lancée sur le site Atoute.org en 2008.
Formindep

Généraliste engagé et par ailleurs administrateur d’un site de communautés de patients, Dominique Dupagne décide alors de lancer publiquement un appel à un moratoire sur son site : « Touche pas à ma prostate ! » Le mot d’ordre circule parmi les généralistes et au-delà. Mais sur le terrain, le combat est loin d’être gagné. Des urologues ont répandu, par leur autorité, l’idée que ce dépistage devait être réalisé dès 50 ans. Les patients sont nombreux à y adhérer. Quant aux généralistes, la plupart suivent. Soit parce qu’ils se rangent à l’avis des spécialistes, soit par peur d’un procès intenté par un patient. Leur crainte est alimentée par le calvaire judiciaire subi par un confrère, Pierre Goubeau, poursuivi pour ne pas avoir prescrit un dosage du PSA. Ce généraliste installé près de Troyes sortira finalement victorieux d’une affaire qui traînera en longueur, de 2008 à 2015.

Pas de logo de l’Association d’urologie

Aujourd’hui, les urologues apparaissent comme les grands absents de l’action nationale qui s’annonce. L’Association française d’urologie (AFU) n’apparaîtra pas sur les documents qui seront diffusés aux généralistes par l’Assurance maladie. Selon l’Inca, « consultée, l’AFU n’a pas souhaité apposer son logo sur le document médecin, car trouvant que les retombées de ce document présentent le risque d’un défaut d’usage irrationnel du dosage du PSA, et d’une régression dans le stade de révélation des cancers de la prostate et de leurs taux de survie. »

On pourrait penser que les spécialistes de l’urologie ne souhaitent pas voir baisser une partie substantielle de leur activité. Ce serait cependant réducteur. Il ne faut pas oublier que ces confrères sont confrontés à l’image difficile de patients victimes de cancers dans des formes graves, notamment avec des métastases osseuses. Je pense, pour avoir discuté avec nombre d’entre eux, que cette proximité avec les malades les plus gravement atteints les rend hermétiques à des données scientifiques qui leur apparaissent éloignées de leur propre vécu. Si l’Assurance maladie veut voir son action aboutir, elle devra aussi dénouer tous les fils des représentations de cette maladie chez les urologues.

Trop souvent dans les débats de santé publique, on oublie un acteur loin de jouer un rôle marginal : les assureurs de crédits. Par une recherche rapide sur Internet, j’ai pu vérifier que nombre d’entre eux demandent ce test avant d’accepter la souscription chez les hommes de plus de 46 ans. S’il paraît légitime que l’assureur cherche à limiter le risque de défaillance chez son client, on ne peut tolérer qu’il l’expose ainsi inutilement à des effets secondaires importants.

L’action de santé publique prévoit de « délivrer aux hommes de 40 ans et plus une information équilibrée sur les avantages et les inconvénients du dépistage pour leur permettre de prendre une décision éclairée ». Si je peux me permettre une suggestion, au vu des conséquences possibles sur l’activité sexuelle et la vie de couple, je suggérerais que les conjoints ou les partenaires soient aussi associés à la décision.

Philippe Nicot, médecin généraliste enseignant, Université de Limoges

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Outils d'aide à la décision

Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs déconseille le dépistage du cancer de la prostate au moyen du dosage des PSA et expose la balance bénéfice-risques de ce dépistage :
https://canadiantaskforce.ca/tools-resources/cancer-de-la-prostate/?lang=fr

Trois liens d'information utiles aux patients, et outil d'aide à la décision :

  • Chez les hommes soumis au dépistage par dosage du PSA, le risque de mourir d’un cancer de la prostate est de 5 sur 1000 ; chez les hommes non soumis au dépistage par dosage du PSA le risque de mourir d’un cancer de la prostate est de 6 sur 1000.
  • Pour chaque tranche de 1000 hommes qui reçoivent un traitement pour le cancer de la prostate :
    - de 114 à 214 auront des complications à court terme telles qu’infections, chirurgies additionnelles et transfusions sanguines
    - de 127 à 442 souffriront de dysfonction érectile à long terme
    - jusqu’à 178 souffriront d’incontinence urinaire
    - 4 ou 5 mourront de complications du traitement du cancer de la prostate

Voici un autre outil d'aide à la décision du Harding Center for Literacy, avec sa traduction en français
https://www.hardingcenter.de/sites/default/files/2021-11/fact%20%20box_PSA_EN_new_design_20201123_final.pdf

Recommandations étatsuniennes de 2018, traduction en français

Position EuroPrev


EUROPREV est le Réseau Européen pour la Prévention et la Promotion de la Santé en Médecine de Famille et en Médecine Générale. EUROPREV est l'un des cinq réseaux de WONCA Europe.

WONCA Europe : La branche régionale européenne, WONCA Europe, est la communauté académique et scientifique pour la médecine générale/ médecine de famille en Europe, qui représente 47 organisations membres et plus de 90.000 médecins de famille en Europe.

Déclaration d'EUROPREV sur l'annonce d'une nouvelle approche européenne de la détection du cancer par la Commission européenne
https://europrev.eu/2022/11/27/statement-about-a-new-eu-approach-on-cancer-detection/

"En matière de dépistages, souvent le moins c'est le mieux"

"Compte tenu des meilleures preuves scientifiques disponibles, nous attirons votre attention sur les faits suivants :

Dépistage du cancer de la prostate

- Si on utilise les meilleures preuves disponibles provenant de deux instituts indépendants : la Collaboration Cochrane et l'USPSTF, alors il existe des preuves solides de l'absence de réduction de la mortalité due au dépistage du PSA. Si on sélectionne les preuves ("cherry picking"), alors dans le meilleur des cas, il a été démontré que pour 1000 hommes dépistés par le PSA, deux évitent la mort par cancer de la prostate. Mais, en même temps, 155 hommes connaîtront une fausse alerte. Généralement, cela est associé à une ablation inutile de tissus. Et 51 hommes seront surdiagnostiqués et traités inutilement, avec une détérioration significative de la qualité de vie (incontinence urinaire, dysfonctionnement érectile).(3)
- Les dommages potentiels associés à ce dépistage sont très préoccupants, et c'est pourquoi, jusqu'à présent, aucun programme de dépistage du cancer de la prostate en population n'a été mis en œuvre en Europe. "

PDF version complète

Video : John Brodersen & Carlos Martins
"PSA in prostate cancer screening: more harms than benefits"
"La PSA dans le dépistage du cancer de la prostate : plus de risques que de bénéfices"

Deux nouvelles études 2023

Une étude publiée le 11 mars 2023 dans le NEJM explique que les cancers localisés de la prostate ne sont plus opérés systématiquement ; un choix est laissé aux hommes d'une possible surveillance active (depuis 2011 à l'Institut Gustave Roussy en France).
Il s'agit d'une étude (essai Protect) sur 82000 Britanniques de 50 à 69 ans qui ont eu un PSA élevé et auxquels on propose surveillance IRM et dosages PSA réguliers. Ce groupe est comparé à deux autres groupes d'hommes, les uns traités par prostatectomie et les autres par radiothérapies.
Les auteurs concluent des résultats de l'essai qu'après 15 ans de suivi, la mortalité spécifique par cancer de la prostate était faible dans les trois groupes, donc quel que soit le traitement assigné. 
Ainsi, selon eux, le choix du traitement implique de peser les compromis entre les avantages et les inconvénients associés aux traitements du cancer localisé de la prostate. 

Une deuxième étude, publiée au même moment dans le NEJM, a été réalisée par l'équipe de Bristol pour évaluer l'impact du traitement du cancer de la prostate sur la qualité de vie, sur les mêmes cohortes que l'étude précédente (participants de l'essai ProtecT TRIAL).
Le retentissement fonctionnel sur l'érection et la continence urinaire était significativement plus élevé dans les groupes prosatectomie et radiothérapie. La surveillance active assure ainsi une bien meilleure qualité de vie et plus longtemps.
Parmi les patients "non graves", on peut ainsi proposer parmi les choix et même en première intention l'option de la surveillance active.

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Le surdiagnostic, en un graphique et un tableau

Ci-contre, vous trouverez une représentation sur un poster (home-made, désolée…) des résultats des méta-analyses de la revue indépendante Prescrire, de la Collaboration Cochrane (collectif de chercheurs nordiques indépendants) et de l’US Préventive Task Force, organisme étasunien d’évaluation des programmes de santé publique.

Malgré les quelques variations des données, on remarque deux choses : d’une part les estimations sont assez proches toutes proportions gardées, d’autre part il y a pour chacune de ces trois études une proportion largement plus importante de surdiagnostics et de fausses alertes, ce qui constitue les désavantages du dépistage, par rapport aux décès ‘évités’. La balance bénéfice/risques est donc loin d’être aussi optimiste qu’on le présente aux femmes…

La Cochrane présente ses résultats sur 2000 femmes dépistées à partir de 40 ans sur 10 années,
Prescrire sur 1000 femmes dépistées dès 50ans sur 20 années,
US Task Force sur 1000 femmes également, dépistées de 50 ans à 74 ans, ce qui correspond le plus à la situation française.

Les points marron représentent le nombre de femmes dépistées, suivies. Les points rouges correspondent aux sur diagnostics, les points jaunes au nombre de cancers présumément évités. Les points bleu clair sont les fausses alertes, et les bleu foncé les biopsies inutiles.

Nous reproduisons ici un graphique très parlant démontrant comment se produit un sur diagnostic, sur une idée d'un chercheur américain, Gilbert Welch, adapté ici par le Dr Jean-Baptiste Blanc et avec son aimable autorisation de reproduire cette image.

Cliquez sur le lien pour lire l’article « déconstruction d’une manipulation » du Dr Blanc .

  • Le cancer d'évolution rapide évolue rapidement entre deux sessions de mammographies et sera "loupé" par le dépistage. Souvent ce cancer aura déjà essaimé d'emblée dans les ganglions et organes à distance, même si cela ne se voit pas.
  • Le cancer d'évolution lente sera certes anticipé par le dépistage, mais même sans dépistage il sera décelé un peu plus tard par l'apparition de symptômes cliniques qui conduiront la patiente à consulter en temps et en heure, le temps métastatique étant très long.
  • Pour les trois autres formes de cancer, le cancer très lent, le cancer stagnant et le cancer régressant, le dépistage les décèlera mais c'est une détection inutile, les personnes chez lesquelles ils ont été diagnostiqués seraient décédées avec leur cancer mais pas à cause de lui.

A ce propos voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=pbGZdyUCITc

Et la présentation : https://cancer-rose.fr/2020/02/04/cancer-et-cancer-cest-pas-pareil/

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