Chimiothérapies anticancéreuses : un marché de dupes

Chimiothérapies anticancéreuses : un marché de dupes

ANNETTE LEXA , Docteur en Toxicologie

8 MARS 2016

A priori, si l’on en croit les messages officiels diffusés dans le plan national cancer 2014-2019 (1), nous assistons à de véritablement progrès dans le domaine des thérapies anticancéreuses et la société (via les associations de patients) est prête à permettre à tout un chacun – au nom de la sacrosainte « égalité des chances » - de pouvoir disposer des meilleurs traitements, en particulier expérimentaux. Dans le cas contraire, la société et les associations de patients considère même que cela s’apparenterait à une « perte de chance ».

Face à l’essor de la chimiothérapie orale, le plan national cancer 2014-2019 – qui est muet sur l’origine de cet essor - donne une grande importance (bien plus qu’à la prévention) à l’amélioration de la «  compliance (adhésion au traitement ) et à la gestion des événements indésirables » des nouvelles thérapeutiques anticancéreuses « innovantes » .

Le terme « compliance » (page 16 du rapport) donne froid dans le dos et en dit long sur la nécessité gestionnaire de les faire accepter coûte que coûte au corps et au psychisme des patients rétifs en « sécurisant » leur « parcours » de soin.

Nous assistons en effet depuis 10-15 ans à un empressement quasi frénétique à mettre sur le marché de nouvelles molécules anticancéreuses. Parallèlement le prix de ces nouvelles molécules explose. Les patients sont quasiment contraints de se voir enrôler dans des essais thérapeutiques. Ce que les patients ignorent, c’est qu’il n’y a pas de corrélation entre le prix, le coût de mise sur le marché et l’efficacité en terme de taux de survie. De plus, ces nouvelles molécules ne font pas l’objet d’une grande rigueur en matière d’essais cliniques ni de recherche de la preuve de leur efficacité. Leur efficacité - si elle existe - est purement statistique et c’est l’uniformisation des traitements qui prévaut par type de cancer et non par type de patient. Une lecture attentive des articles scientifiques parus sur ce sujet ces dernières années laisse même entendre qu’il est plus important de les mettre sur le marché que de s’assurer de leur efficacité et de leur sécurité (3). Ces médicaments bénéficient d’une procédure accélérée de mise sur le marché. Pourtant, il est prouvé que ces médicaments mis prématurément sur le marché ont plus d’effets indésirables graves que ceux mis sur le marché de manière plus rigoureuse. Pire, une fois la molécule mise sur le marché (comme le bevacizumab), il est difficile de les retirer du marché.

Aux USA, sur les 71 molécules approuvées par la FDA (Food and Drug Administration) entre 2002 et 2014 , l’amélioration de la survie, tous cancers confondus, est de 2 mois (5). En ce qui concerne les tumeurs solides, une revue de l’EMA (Agence Européenne du médicament) atteste d’une amélioration de 1,5 mois (3) .

Actuellement, en Europe et aux USA , les agence de régulation acceptent des essais non randomisés, des essais sans témoin, des protocoles biaisés, des essais en phase III alors que la phase II n’était pas convaincante et elles ferment les yeux sur la qualité des publications de ces essais. Pire, elles acceptent comme preuve d’ « efficacité » des nouvelles molécules « innovantes » des « surrogate end points » , mesures de sous-paramètres biochimiques, moins coûteux à mettre à en œuvre, et venus se substituer au seul critère qui devrait prévaloir en oncologie, la survie comme critère d’efficacité. Peu importe que vous mourriez dans 10 jours, l’oncologue regardera avec satisfaction vos biomarqueurs remonter.

Le ciel s’assombrit encore un peu plus lorsque l’on apprend (9) qu’un grave retour en arrière est annoncé dans la nouvelle loi de santé aux USA (21st Century Cures Act) dont l’objectif avoué est de rentabiliser au mieux les investissements en réduisant le temps et le nombre de patients des essais cliniques voire de supprimer tout essai clinique pour le remplacer par des « surrogate end point » ( sous-paramètres biochimiques) , des études in vitro et in silico. Les USA ouvrent la voie d’une régression d’autant plus grave qu’actuellement, aux USA, un tiers de médicaments sont approuvés après des essais de moins de 6 mois et que le nombre moyen de patients est de 760. Les négociations en sous-main autour du futur traité transatlantique rendent ce scenario de plus en plus probable en ce qui nous concerne.

Aux USA, un certains nombre d’experts en oncologie pensent même que la ligne rouge morale entre profits raisonnables et bénéfices a été dépassée 3, 6. D’une part parce que les plus pauvres ne peuvent se permettre de payer, n’ayant plus assurance médicale (un traitement de cancer coûte à l’assuré environ 20000 à 30 000 $). En France, les coûts sont les mêmes mais nous ne nous en rendons pas compte car nous sommes tous couverts par une assurance maladie et un remboursement optimal.

En matière de « combat contre le cancer », il est important de rappeler aussi que 85% de la recherche est publique donc financée par le contribuable et les dons, le marché oligopolistique (qui a trait à l'oligopole, marché caractérisé par un petit nombre de vendeurs face à un grand nombre d'acheteurs ) de ces entreprises pharmaceutiques ne dépensant que 1.5% de ses revenus à cette recherche, entre 5 à 13% pour les essais cliniques et entre 20 à 45% en marketing.

Après cette petite mise au point, on a une lecture toute différente du dernier plan cancer 2014-2019 : l’explosion du recrutement de patients dans les essais cliniques de phase précoce de médicaments « innovants » (ont-ils d’ailleurs réellement le choix ?), la participation financière publique à cette marche forcée saluée comme il se doit, laissent un étrange goût amer : est-ce la santé des patients ou le marché qui prime? Non seulement on ment aux patients mais cela dessert gravement et les patients et la recherche. Ne serait ce que pour leur sécurité, les patients et les médecins doivent exiger une plus grande rigueur. Il en va aussi de l’équilibre budgétaire de la santé. Enfin il est permis de se demander si les agences de santé sont au service de l'intérêt des patients ou de celle des laboratoires : à la lumière de la nomination du Pr Agnès Buzyn à la tête de la Haute Autorité de Santé, on peut raisonnablement s’interroger 7 8. Les agences de santé devraient retrouver leur vocation première qui est d’assurer la protection du public et elles lui devraient une information claire et transparente.

BIBLIOGRAPHIE

1. Plan Cancer 2014-2019 , 2E RAPPORT AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE , Février 2016

2. Au nom de tous les seins, documentaire France 5

3. Light D.W., Lexchin J., Editorials, Why do cancer drugs get such an easy ride? Rushed approvals result in a poor deal for both patients and cancer research , BMJ 2015;350:h2068

4. Prasad V et coll., The Strength of Association Between Surrogate End Points and Survival in Oncology: A Systematic Review of Trial-Level Meta-analyses. JAMA Intern Med. 2015 Aug;175(8):1389-98

5.Fojo T, Mailankody S, Lo A. Unintended consequences of expensive cancer therapeutics

- the pursuit of marginal indications and a me-too mentality that stifles innovation and

creativity, JAMA Otolaryngol Head Neck Surg 2014;140:1225-36.

6. Hagop Kantarjian et coll., High Cancer Drug Prices in the United States: Reasons and Proposed Solutions J Oncol Pract 2014 Jul 6;10(4):e208-11.

7. Les petits arrangements de la nouvelle présidente de la Haute autorité de santé (7 mars 2016) https://www.mediapart.fr/journal/france/070316/les-petits-arrangements-de-la-nouvelle-presidente-de-la-haute-autorite-de-sante

8. Le professeur Agnès Buzyn nommée Directeur de la HAS. La victoire de big onco (8 mars 2016) http://docteurdu16.blogspot.fr/2016/03/le-professeur-agnes-buzyn-nommee.html

9. Avorn J and Kesselheim A.S., The 21st Century Cures Act — Will It Take Us Back in Time? N Engl J Med 2015; 372:2473-2475

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Présentation à la journée sur la surmédicalisation du 12 janvier 2016, organisée par le groupe Princeps

Accès à la présentation : https://cancer-rose.fr/2016/07/30/tribulations-dune-radiologue-en-depistoland/

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Comprendre les conflits d’intérêts en cinq minutes

Comprendre les conflits d’intérêts en 5 minutes

Par Dr NICOT PHILIPPE-

À propos des liens entre le laboratoire Roche et l’Institut National du Cancer

Dans un communiqué du 08 octobre 2013, le laboratoire Pharmaceutique Roche annonce que l’étude EDIFICE menée par un comité scientifique indépendant a montré que « La controverse [sur l’intérêt des mammographies systématiques] a un impact modeste sur les intentions de dépistage des femmes ».

Quels sont les trois acteurs de ce communiqué ? Il s’agit du laboratoire Roche, de l’étude EDIFICE, et de la controverse. Le Laboratoire Roche commercialise des médicaments et des tests sanguins destinés au traitement, au diagnostic ou au suivi du cancer du sein.http://www.roche.fr/home/nos_medicaments/o ncologie.html EDIFICE (Etude sur le dépistage des cancers et ses facteurs de compliance) a pour objectif « d’agir pour favoriser le dépistage précoce des cancers et notamment ceux du sein, du colon et de la prostate. » Une controverse est un débat scientifique qui bouscule les idées reçues et les données qui semblaient acquises ; elle peut induire des changements radicaux et utiles dans les pratiques et les prescriptions.

Lorsqu’une firme pharmaceutique s’intéresse à une controverse c’est généralement pour protéger ses intérêts. L’enjeu que Roche défend est la participation de 80% des femmes à une action de santé qui permettra de réaliser de nombreuses radiographies, échographies, dosages de marqueurs sanguins et d’examens de cytologie, puis de traiter de nombreuses femmes, par de la chirurgie, de la radiothérapie et de la chimiothérapie.

Ce communiqué de presse défend d’autres intérêts moins lisibles. Intéressons-nous aux membres de ce comité scientifique présenté comme indépendant. Il est composé de plusieurs médecins : « Pr Jean-Yves Blay, Dr Yvan Coscas, Pr Jean-François Morère, Pr Xavier Pivot, Pr François Eisinger, Dr Jérôme Viguier. »

Cherchons maintenant les liens d’intérêts de ces confrères qualifiés d’indépendants par le laboratoire Roche.

A minima, voici ce que nous trouvons :
Le Professeur Jean-Yves Blay est, d’après sa déclaration publique d’intérêt (DPI) de l’Institut National du Cancer (INCa), membre du conseil scientifique international de l’INCa. Il est par ailleurs consultant et investigateur principal pour divers laboratoires pharmaceutiques dont le laboratoire Roche, desquels il reçoit régulièrement des rémunérations personnelles.

Le Docteur Yvan Coscas est rémunéré par le laboratoire Roche pour l’étude EDIFICEdepuis 2005. Il est membre du comité de l’étude CALISTA.

Le Professeur Jean-François Morère est leader d’opinion pour l’erlotinib, un médicament anticancéreux de Roche, médicament pour lequel Roche, d’après La Revue Prescrire, a pu compter sur les faveurs de l’EMEA (l’agence européenne du médicament). Il est également rémunéré par le laboratoire Roche pour sa participation à l’étude EDIFICE.

Le Professeur Xavier Pivot est, d’après sa DPI de l’INCA de 2011, président du groupe recherche clinique sein de l’INCa, consultant pour Roche, membre de comités de pilotage de médicaments Roche, investigateur principal de Roche pour des médicaments indiqués dans divers cancers notamment ceux du sein et du cancer colo-rectal. Roche a également pris en charge des frais de déplacements un congrès aux USA. Il est le coordonnateur de l’étude PHARE, promue par l’INCa, qui évalue l’un des traitements majeurs de Roche : le trastuzumab (Herceptin ®). Il est également rémunéré par le laboratoire Roche pour sa participation à l’étude EDIFICE.

Le Professeur François Eisinger, est d’après sa DPI de l’INCA de 2011, expert auprès de l’INCa, consultant rémunéré depuis 2003 par Roche pour une enquête sur le dépistage et pour la rédaction d’article depuis 2008, et effectue pour Roche des interventions dans différents congrès internationaux. Il est également rémunéré par le laboratoire Roche pour sa participation à l’étude EDIFICE.

Le Docteur Jérome Viguier, est d’après sa DPI, détaché à l’INCa depuis 2006. Il est depuis 2013, directeur adjoint au pôle santé publique et soins de l’INCa. Il est membre du conseil scientifique d’EDIFICE de Roche depuis 2007, pour lequel il s’est dessaisi de ses honoraires.

Les intérêts de Roche, de ces experts et de l’INCa sont donc étroitement intriqués, et le mot « indépendant » pour qualifier le comité scientifique de l’étude EDIFICE ne paraît pas adapté.

Le laboratoire Roche ne fait qu’atteindre ses objectifs, comme il l’écrit lui-même :
« Le fait que la branche pharmaceutique du Groupe Roche (Roche Pharma) propose des médicaments oncologiques a facilité la transition vers les nouveaux tests. Les conseillers scientifiques biomarqueurs de Roche Pharma accompagnent les plateformes, en coopération étroite avec Roche Diagnostics. « Avoir un interlocuteur privilégié et pouvoir faire le lien entre le diagnostic et les médicaments est très enrichissant ».
La Revue Prescrire du 01 novembre 2012 relate qu’une inspection de routine menée en 2012 pour le compte de l’Agence européenne du médicament (EMA) a révélé que la firme Roche n’avait pas analysé ni transmis aux agences du médicament plus de 80000 cas suspectés d’effets indésirables, dont plus de 15 000 chez des patients décédés.

Le procès de l’affaire Médiator®, met en lumière le danger de la confusion des intérêts d’une firme pharmaceutique avec ceux d’une agence sanitaire. Aussi le comportement de l’INCa et de ces experts est-il particulièrement surprenant et inquiétant. Philippe Nicot est médecin généraliste à Panazol, conventionné en secteur 1. Il a refusé le paiement à la performance (ROSP). Il a participé à la recommandation de la HAS « La participation au dépistage du cancer du sein des femmes de 50 à 74 ans en France. Février 2012. » Il participe à la controverse sur ce thème. Il fut longtemps membre du conseil d’administration du Formindep. Son épouse est médecin conseil à l’ELSM 87.

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Une « multi-casquettes »

Dans le système du dépistage organisé, on peut être "multi-casquettes" ; ainsi par exemple on peut à la fois coordoner la mise en place du dépistage et former les radiologues.

Mme le Dr Anne Tardivon, radiologue à l’Institut Curie est membre du groupe de liaison pour les dépistages organisés auprès de la DGS (Direction Générale de la Santé), et dans le même temps formatrice à Forcomed, structure délivrant un diplôme permettant au médecin radiologue d’obtenir l’agrément pour être lecteur et/ou relecteur des clichés mammographiques dans le cadre du DO.

Ex-présidente de la SIFEM (ancienne SOFMis, en 2012, société savante de l’imagerie de la femme), Mme le Dr Tardivon est aussi responsable « international relationship » de EUSOBI (European Society of Breast Imaging). Eusobi délivre un diplôme de qualification pour l’imagerie du sein au niveau européen et cette société est soutenue par les sociétés Kubtec, Mammotome et Hologic, fabricants de matériel radiologique et de biopsie, mais également par la MSL (mammography saves lives), une communauté américaine de patients approuvée par le ACR (American College of Radiology). Sur le site de MSL nous retrouvons encore et toujours ce chiffre mythique d’un tiers des femmes dont la vie aurait été sauvée par le dépistage mammographique ; (je vous renvoie à l’article « mortalité et sur-diagnostic » contenant la controverse de ce chiffre asséné régulièrement dans les associations et articles promoteurs de la campagne rose).

ci-contre cliquez sur l'image pour accéder au tableau synthétique

 

Pour en revenir à la société savante SIFEM , nous retrouvons en 2015 Mme le Dr Tardivon dans son conseil d’administration ainsi que dans son conseil scientifique. La société savante avait édité en 2001 un cahier des charges destiné aux radiologues pour l’installation du dépistage et plus récemment un deuxième opus concernant un programme opérationnel pour le dépistage, en tenant compte des remontées des difficultés rencontrées sur le terrain. Elle est soutenue par plusieurs fabricants de matériel de radiologie, parmi lesquels la société Mammotome ainsi que Hologic.

Nous retrouvons Dr Tardivon comme experte désignée par la Société Française de Radiologie dans le cadre d’un travail pour l’HAS portant sur l’association mammographie/échographe dans le DO en 2013. La Société Française de Radiologie correspond à une société savante représentant la profession, et les représentants des sociétés comme la SIFEM siègent à la commission nationale de la SFR.

Europa Donna, coalition européenne oeuvrant pour la santé de la femme est un soutien actif de l’INCA pour la campagne Octobre Rose, et emploie dans son conseil scientifique le Dr Tardivon. Europa Donna est soutenue par le laboratoire Roche pour lequel Dr Tardivon étudie également « l’apport de l’imagerie dans l’évaluation de l’efficacité des anti-angiogéniques » durant l’année 2013.

La radiologue apparaît aussi comme membre du conseil scientifique de l’ADECA75, association pour la promotion du dépistage des cancers du sein à Paris. Sur le site de l’ADECA 75 le Dr Tardivon évoque les problèmes actuels de sur-diagnostics, mais assure que le bénéfice du dépistage dépend du taux de participation qu’il faut donc accroître, selon elle.

Enfin, elle est membre du groupe national du suivi du cancer du sein auprès de l’INCA, ce qui permet d’être à l’origine de la campagne pour le dépistage, dans son suivi et dans la formation des futurs promoteurs de la campagne, les radiologues.

En conclusion, c’est à plusieurs reprises que nous retrouvons cette radiologue à la fois dans des structures de promotion du dépistage et dans des organismes de formation, également dans une position de lien entre les sociétés savantes entre elles ainsi qu’avec les institutions publiques comme l’INCA et l’HAS.

Ce n’est donc pas vraiment étonnant que la patiente n’ait aucune possibilité en consultation d’échapper au discours incitateur du praticien, que ce soit le généraliste (qui reçoit une prime à l’incitation à la participation des patients au dépistage) , ou que ce soit le radiologue, formé par les promoteurs mêmes du dépistage, lui ainsi que ses manipulateurs d’ailleurs.

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Le dépistage du cancer du sein, dernier avatar de la misogynie médicale

ANNETTE LEXA - 21 Août 2015

 L’intérêt du dépistage dans cancer du sein n’est pas scientifiquement prouvé

Le dépistage du cancer du sein semble une évidence pour les femmes et nous avons tous été bercées de ces « évidences » :  le cancer du sein serait  la première cause de mortalité chez la femme, le cancer est une horrible maladie qui nous menace toutes, plus un cancer est détecté tôt, plus on guérit, le dépistage permet de détecter de petits cancers qu’on peut soigner , si on s’y prend tôt on aura moins d’ablations mutilantes .

Or contrairement à ce qui est affirmé partout, et même sur les sites institutionnels lorsqu’ils entendent promouvoir le DOCS (dépistage organisé du cancer du sein),  les femmes meurent bien plus en France de maladies cardio- vasculaires. Si la mortalité par cancer du sein a légèrement baissé (passant de 4% à 3%),  les mortalités par cancers du côlon et du poumon n’ont pas changé durant cette même période[1] . Cette petite baisse est due principalement aux fait que les femmes sont devenues plus attentives et mieux informées et que les traitements chirurgicaux et radiothérapiques ont fait de gros progrès.

Depuis 2009, une controverse scientifique (ici, ici, ici, ici)  s’est développée autour de la balance bénéfice/risque du dépistage du cancer du sein, présenté comme l’examen de choix censé réduire cette mortalité. Cette controverse est née de vastes études épidémiologiques dans différents pays occidentaux (pas en France où l’épidémiologie est une science politiquement incorrecte à éviter). Cette polémique enfle actuellement avec cette récente étude américaine (ici) qui démontre de plus magistralement que le dépistage précoce non seulement n’a pas fait baisser la mortalité devenue stable, mais qu’il n’a pas fait baisser les ablations du sein.

On continue de vanter les ‘atouts’ du dépistage avec sa double lecture en cas de résultat négatif qui serait le top du top de la rigueur scientifique alors que personne ne semble s’interroger  sur cette simple question de bon sens : « pourquoi pas de double lecture en cas de résultat positif ? » . Quelle confiance arrogante et asymétrique dans la lecture infaillible du spécialiste ! Le risque de faux positifs (faux cancers) avec ses prescriptions lourdes et invalidantes et le risque de faux négatifs (avec la découverte récurrente par les femmes elles-mêmes des fameux « cancers de l’intervalle » entre 2 examens) sont systématiquement sous-estimés. Et pour finir, le risque de développer un cancer par excès d’examens et de radiothérapies (ici) est très certainement sous-estimé alors que de récents travaux (ici) devraient au contraire inciter à la plus grande prudence avec les femmes radiosensibles .

Mais, manifestement, le sacro saint principe de précaution – surtout lorsque la balance bénéfice risque n’est pas prouvée - est bien plus scrupuleusement appliqué pour les poulets, les steacks ou les céréales que pour le corps des femmes bien portantes (voire aussi la prise de la pilule, le traitement hormonal de la ménopause, les prothèses mammaires, les césariennes, les tampons périodiques, etc.)

Des techniques de manipulation pour imposer le dépistage à une clientèle féminine docile et captive.

Mais, alors, pourquoi assistons-nous depuis des années à cette véritable opération militaire de recrutement national quasi-stalinien[2] des femmes jusqu’au fond des campagnes les plus reculées et par tous les moyens ?  Médecins, Institutions, associations, politiques, tous enrôlés pour la Grande Cause Nationale avec l’objectif chiffré de porter le recrutement idéalement à 70 voire 80%.  On va jusqu’à user de « mammobiles » arpentant le département de l’Hérault dans ces villages les plus reculés pour vaincre les « réticences » des femmes « vulnérables » et « ayant une mauvaise image de soi» (je n’invente rien, allez lire ici)  et proposer gratuitement un examen « utile » aux femmes dès 40 ans).

Tous les ans, nous avons droit  à la supercherie de la campagne Octobre rose  avec  le déferlement de messages indécents, manipulateurs, culpabilisants, infantilisants, pour toucher les femmes par l’émotionnel censé être leur vecteur principal de communication et visant à les transformer toutes en bécassines cancéreuses qui s’ignorent. Quitte à broyer au passage des vies individuelles, des intimités, des sexualités épanouies,  détruire des couples et des familles (un surtraitement de cancer n’est pas une épreuve banale sans risque, c’est un drame personnel) et à laisser des femmes dans des difficultés financières insurmontables car définitivement étiquetées  ex-cancéreuses (perte d’emploi, assurances…). On va déployer des trésors d’imagination pour améliorer l’image de soi des femmes en bonne santé  qu’il s’agit de recruter par tous les moyens. Mais cela ne semble plus vraiment être une priorité pour une ex-cancéreuse de plus de 50 ans qui doit s’estimer encore heureuse d’être encore en vie.

Vous me direz que les hommes ont aussi leur Movember pour « lutter contre le cancer de la prostate ». La campagne de dépistage par dosage du PSA dans le sang a été un échec et son intérêt a vite été remis en question . Il est vrai que les hommes (dont les médecins) tenant à leur virilité plus que tout, ont vite compris le risque de surdiagnostic et de surtraitement avec son lot d’impuissance et d’incontinence…. pas touche à ma virilité .

Le contrôle du corps des femmes par la médecine: une longue histoire

Je répondrai que cet acharnement à contrôler le corps des femmes n’est pas nouveau dans la médecine française :

- Le XIXe siècle vit l’invention de l’hystérie de Charcot, toute féminine, devenue névrose sexuelle des femmes censées être privées de pénis avec Freud.

André Brouillet, Le Dr Charcot à la SalpêtrièreAndré Brouillet, le Dr Charcot à la Salpêtrière

- Dans le but louable pour lutter contre la syphilis, l’hygiénisme pasteurien conduisit au contrôle des prostituées captives des maisons closes qui devaient subir mensuellement des visites médicales dégradantes que n’eurent jamais à subir les clients pourtant eux-mêmes tout aussi vecteurs (de la transmission) de la bactérie .

La visite médicale , Toulouse Lautrec

- Le contrôle des accouchements par les hommes dès le début du XIXe siècle se traduisit par une hécatombe de mortalités en couche causées par l’orgueil excessif des médecins à l’hôpital qui s’étaient appropriés l’accouchement des femmes. Cette hécatombe a perduré jusque dans les années 1930. Alors que 80% des grossesses sont normales, nous avons ensuite assisté à la médicalisation croissante de la grossesse et de l’accouchement, dont le caractère anxiogène, froid et déshumanisé n’a pas échappé à toute femme ayant vécu cet évènement. A quoi s’est ajouté une obsession de la gestion et de la normalisation de cet acte naturel avec son lot d’épisiotomies, péridurales, césariennes. Signalons que cette hypertechnicisation médicale ne s’est pas accompagnée d’une diminution de la mortalité maternelle en France[3] .

- L’invention de la « pilule » à visée contraceptive orale destinée aux femmes (pourquoi pas aux hommes ?) est devenue le symbole d’émancipation féminine, de libération sexuelle. Pourtant, depuis 4 décennies, le corps médical minimise et sous-informe les femmes des effets secondaires de ce médicament pris par des femmes non malades. Pourtant ce médicament est un véritable perturbateur endocrinien classé cancérogène du groupe 1 (cancérogène certain) par l’IARC en 2012. La liste des effets indésirables dont les femmes acceptent docilement le risque est long comme un poème à la Prévert :  prise de poids, cellulite, acné,  maux de tête, dépression, baisse de libido, problèmes veineux et thrombo-emboliques mortels, légère augmentation de cancers du sein et de l’utérus, etc.  Pourtant aucune féministe, passé l’euphorie des années 70-80, n’a paru voir la violence symbolique de cette médicalisation des corps et de la sexualité des femmes, ce que nous avons de plus intime en fait.  Dans une asymétrie relationnelle terrible, les hommes ont ainsi pu disposer de manière dé-responsabilisée du corps des femmes et de très jeunes filles emmenées par leur propres mères, et se pliant régulièrement à la visite médicale chez « leur» gynécologue exigeant pour les plus scrupuleux d’entre eux des prises de sang régulières destinées à surveiller leur taux de cholestérol, acceptant sans broncher ce contrôle de leur corps et de leur sexualité, et les effets indésirables parfois graves de cette prise contraignante. Comment parler de libération des femmes (« mon corps m’appartient ») avec ce passage de la soumission patriarcale à la soumission médicale et au désir de l’homme dès lors qu’elles sont censées être désormais « disponibles » à 100% , et qu’en cas de baisse de libido provoquée par la prise de la pilule elles s‘en culpabiliseront d’elles-mêmes auprès de leur médecin-confident-sexologue ? On s’est inquiété récemment des rejets urinaires de métabolites de la pilule (17β-estradiol) présents dans les milieux aquatiques à une concentration de l’ordre du ng/L et responsable dès cette dose de trouble de la fertilité et d’hermaphrodisme chez les poissons. Il n’est pas même pas exagéré de dire qu’on s’est plus inquiété de l’impact de ces métabolites sur les poissons et sur le fonctionnement des stations d’épuration que sur le corps des femmes.

La société française n’a cessé de s’émouvoir de l’impact de certains pesticides, des agents ignifuges bromés, des phtalates, des éthers de glycols, du nonylphénol, du Bisphénol A (molécule mimant les hormones oestrogènes) dans les plastiques alimentaires, des phyto-oestrogènes, etc.,  sur le système reproductif des hommes et des animaux) mais elle continue à autoriser la vente de contraceptifs oraux « sous contrôle médical »  quand elle ne les donne pas gratuitement aux adolescentes à peine pubères en collège, préparées par les cours officiels de SVT où la pilule est présentée comme un simple moyen d’avoir des règles régulières[4]… allez comprendre. Enfin, combien de femmes, peinant à démarrer une grossesse après 10 années ou plus de contraception orale,  sans s’interroger plus que ça, se plient aux lourdes méthodes de procréation médicalement assistée (PMA) dont la violence et la contrainte n’ont rien à envier à ce qui vient d’être décrit ? Que penser d’un ministère de la santé qui fait de la publicité sur le don d’ovocytes[5] sans évoquer la lourdeur du traitement hormonal et ses possibles conséquences ? Que dire de société telles que Facebook et Google qui encouragent leurs salariées à la congélation de leurs ovocytes pour lutter contre l’horloge biologique en banalisant les traitements hormonaux du prélèvement et de la réimplantation ?

- Dans la foulée, on a réussi à convaincre les femmes que la ménopause était une pathologie et on a inventé la médicalisation de la ménopause avec le traitement hormonal substitutif censé avoir un rôle préventif d’une foultitude de maladies à venir. Encore aujourd’hui , le TSH est trop souvent donné pour régler de simples troubles transitoires anodins parfois ressentis à cette période comme les bouffées de chaleur , des sueurs nocturnes, une baisse de libido ou une sécheresse vaginale, ou même il est donné (et réclamé par certaines femmes) à titre « préventif » avec la promesse de rester jeune.  Rappelons tout de même que le  traitement de la ménopause est classé cancérigène et que même les autorités de santé incitent aujourd’hui à la plus grande prudence d’utilisation. On a réussi à faire croire aux femmes que, désormais, manquant d’hormones, il était naturel qu’elles subissent toutes sortes de désagréments qu’il était nécessaire de corriger si elles voulaient continuer à paraître socialement jeunes et sexuellement désirables (à défaut de s’interroger naturellement à cet âge sur leur vie affective, le départ de leurs enfants, leur désir et leur sexualité, etc.) . Comme chaque femme  est unique et est son propre témoin, aucune  ne peut se targuer de l’efficacité réelle du TSH  sur sa ménopause et il est plus que probable qu’une bonne partie de l’efficacité ressentie relève de l’effet kisscool.

- L’engouement pour le TSH à peine retombé, nous avons assisté à la soumission en masse, parfois dès l’âge de 40 ans , au dépistage mammographique, examen douloureux  et anxiogène au bénéfice incertain pour réduire la mortalité, et qui n’a eu comme résultat que d’augmenter de manière vertigineuse le nombre de petits cancers qui ne se seraient pas développées, ou  très lentement ou qui auraient régressé , et le nombre d’ablations inutiles et traumatisantes de seins .

Notons que ces 2 dernières violences faites aux corps des femmes concernent les « plus toutes jeunes » ne représentant plus l’idéal de jeunesse et de fécondité de la jeune femme, objet éternel de fantasme masculin, et auxquelles doit se soumettre la femme 50+.

- La banalisation de lourdes, douloureuses et parfois dangereuses interventions chirurgicales pour se faire implanter des prothèses mammaires en silicone dans le but  d’améliorer leur image d’elles-mêmes, de se conformer à une norme sociale totalement construite (la femme très mince à seins très gros) et de répondre aux fantasmes masculins. Imaginerions-nous un seul instant 400 000 hommes en France se prêtant à des interventions chirurgicales pour gonfler leurs pénis ou leurs testicules ?

- La soumission aux vaccins du cancer du col de l’utérus au bénéfice incertain, à grand renfort de campagnes culpabilisant les mères de jeunes adolescentes. Là encore, pourquoi la femme serait-elle le principal vecteur du papillomavirus en question ? pourquoi n’a-t-on pas engagé une campagne mixte visant à la fois les jeunes garçons hétérosexuels  - et homosexuels particulièrement concernés - et les jeunes filles, si ce n’est parce que le monde médical dispose avec la femme et ses filles d’un marché captif, docile, facile à culpabiliser et éduqué à obéir ?

Contrôle social et soumission aux normes

Cette docilité des femmes au regard du monde médical a peu évolué malgré l’émancipation féminine. Et les industriels et les publicitaires chargés des campagnes de promotion le savent très bien, lorsqu’il illustrent l’importance du dépistage du cancer du sein avec des femmes jeunes au buste parfait quand ce ne sont pas des messages culpabilisants mettant en scène la famille et les « bonnes copines ». Elles continuent  d’aller courir «contre le cancer du sein» (qui serait pour, je vous le demande ??) en arborant une épinglette rose, effroyable couleur genrée, et n’hésitent pas à participer aux réunions Tupperware estampillées  Octobre rose  pour convaincre leurs copines réticentes à se rendre à la mammobile la plus proche.

Pourquoi cet acharnement excessif de la médecine avec la complicité des plus hautes autorités de l’Etat et de leurs escadrons de fonctionnaires en Régions à vouloir contrôler la normalité des seins des femmes et les soumettre jusque dans leur intimité ?

Pourquoi ne trouve t–on pas le début d’un commencement d’équivalent d’un tel contrôle du corps masculin et d’une telle soumission chez les hommes ? Pourquoi la médecine ne s’acharne-t-elle pas avec le même déploiement de moyens à faire baisser la mortalité par maladie cardio-vasculaire chez les femmes qui représente presque 7 fois plus de mortes annuelles que par cancer du sein ?  Ou à faire baisser la mortalité féminine par cancer du poumon et du colon ?  Cœur, poumon et côlon sont des organes nettement moins sexués il est vrai.

Les femmes, contrairement à ce qu’elles prétendent ne se sont pas émancipées du contrôle que la société exerce sur leur corps et leur sexualité. Elles ont troqué un Maître (père, époux, prêtre…) pour un autre, représentant le pouvoir technoscientifique prométhéen censé veiller sur leur corps forcément détraqué, facilement déréglé, siège, si elles n’y prennent pas garde, de toutes sortes de pathologies féminines effrayantes, cette soumission leur obscurcissant la perspective d’une vie de femme , d’amante , de mère pleinement épanouie. Pire, les femmes sont les pires ennemies des femmes :  faire prendre la pilule à sa fille, recruter ses bonnes copines revient à se rendre complices de leur soumission, tout comme les femmes sont complices des excisions des plus jeunes dans d’autres cultures.

Certains (ici et ici) se sont récemment interrogés sur la misogynie du corps médical français, mais paradoxalement ces thèses n’ont pas séduit nos journalistes des magazines féminins, pourtant prompts à libérer la sexualité de leurs lectrices.  Cette thèse n’a pas semblé non plus plaire aux  mouvements féministes divers, refusant de voir dans cette pseudo -émancipation une autre forme d’aliénation comme l’a très bien démontré Marc Girard. Il y a dans cette soumission comme un impensé absolu, un tabou, une tache aveugle que le combat pour l’émancipation des femmes a été incapable de voir.

Encore aujourd’hui, la majorité des femmes ne sont pas très curieuses et critiques face aux recommandations qui leurs sont faites : adeptes soumises, contraintes ou carrément exaltées de l’Eglise de Dépistologie (Europa Donna et autres Octobre rose avec le soutien de Sephora, Tupperware et Esthé Lauder),  elles ne vont pas se renseigner sur les blogs critiques (à ceux précédemment cités, je rajouterai ici et ) pour disposer d’un autre point de vue et réfléchir par elles- mêmes.

Le contrôle de l’Eglise

Même si nous vivons aujourd’hui dans une société sécularisée, l’influence passée de l’Eglise imprègne encore inconsciemment notre morale et nos mentalités. Pendant des siècles, l’Eglise catholique - comme toutes les institutions religieuses monothéistes - a cherché à insister sur l’infériorité des femmes. Elle a cherché à contrôler les corps et les esprits des femmes, pour qui elle a toujours éprouvé des sentiments contradictoires : à la fois docile, soumise, modeste et maternelle, la femme reste pour l’Eglise aussi une putain tentatrice, une sorcière ou une imbécile incapable de jugement et de décision par elle-même.

Sans remonter très loin, retournons quelques 150 ans en arrière. On met souvent en avance les quelques femmes progressistes de l’époque, mais c’est oublier qu’au XIXe siècle, alors que les esprits républicains principalement masculins s’attaquent à l’Eglise, la femme dans son immense majorité continua d’être maintenue à l’écart du monde, cantonnée à son rôle de mère, de consolatrice, d’aide sociale. Pudeur, retenue, modestie, dévouement, vertu, telles étaient les qualités principales qu’on exigeait des femmes qui n’avaient qu’à plaire à Dieu et à leur mari . L’éducation leur était interdite ou alors très limitée, on la croit d’ailleurs incapable de vie intellectuelle. Mises à l’écart des loisirs, du sport, de l’étude, la femme était considéré comme faible et la société devait la protéger contre elle- même. La femme adultère était coupable alors que l’homme pouvait agir le plus naturellement du monde.  La femme est exclue de toute fonction religieuse, incapable de se relier à la transcendance et facilement pervertie par le Diable. Longtemps les règles, le mystère de la gestation, la séduction et l’attirance sexuelle, le pouvoir des femmes sur la vie domestique (où on l’avait  enfermée) ont terriblement fait peur aux hommes.

Encore au début du XXe siècle, les prêtres interrogeaient les jeunes adolescentes sur leurs pratiques de la masturbation violemment prohibée (témoignage de ma propre mère qui vécut cela dans les années 30 à l’âge de 10 ans)

Depuis l’affaiblissement des sociétés guerrières et celui du pouvoir religieux, la femme a progressivement connu une émancipation et d’immenses progrès ont eu lieu ces dernières décennies. La misogynie a-t-elle disparu pour autant ? Rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, les femmes étudient, divorcent, travaillent, ont les enfants qu’elles veulent, peuvent avorter, votent et connaissent en théorie les mêmes droits que les hommes. Mais des différences existent encore, réminiscence d’un monde passé, paternaliste, misogyne qui survit encore dans l’univers médical où la différence de traitement entre hommes et femmes, bien qu’ayant pris une forme moins coercitive et plus incitative, demeure criante.

La médecine et l’Eglise  

Longtemps  médecine et religion étaient confondues, dans une même crainte de la mort .

Le siècle des Lumières a vu les germes d’une nouvelle médecine qui se voulait rationnelle. Le médecin avec ses nouveaux rites de la visite médicale n’a-t-il pas remplacé le prêtre dans son immense foi dans le progrès médical et dans la science, son intérêt pour les questions dites éthiques, son obsession du contrôle des corps féminins de la naissance à la mort, que se soit dans le domaine physiologique , psychologique, psychiatrique, psychanalytique ?

L‘Eglise voyait la femme du XIXe siècle comme une pondeuse, constamment enceinte ou en train d’allaiter. Depuis  50 ans, elle est mise sous camisole chimique en état de constante stérilité artificielle, désormais sommée de connaître une vie sexuelle permanente où toute baisse de libido est vécue comme suspecte. Sommée aussi de ne pas se plaindre des effets indésirables (« c’est dans leur tête »). Un progrès ? En un sens oui bien sûr, mais il n’est pas certain que la femme n’ait pas troqué sa dépendance pour une autre aliénation. Et que le corps masculin de la société n’essaie pas encore consciemment ou non de contrôler ces corps si différents de celui des hommes par leur formidable capacité cyclique à séduire, à engendrer la vie.

Sainte, putain, sorcière et bécassine,  les quatre femmes de Dieu , n’est -ce pas ce que les diktats contemporains exigent de la femme ? Tout à la fois être vierge soumise et ignorante mais aussi tentatrice et séductrice.

L’ère du biopouvoir

Aujourd’hui nous sommes entrés dans l’ère du biopouvoir, du contrôle étatique des corps de la naissance à la mort. La santé publique est une vaste opération de planifications,  une suite de recommandations qui cherche à contrôler toute forme d’épidémie (avec son obsession vaccinale) ou de développement de facteurs agressifs (comme le cancer) ;  Pour cela, elle doit aussi contrôler le pouvoir médical, les médecins.

Par nécessité de gestion, le biopouvoir s’est doté d’outils de performance. Il n’y a plus d’individu, il n’y a plus que des imageries médicales, des protocoles, des populations, des statistiques. Pire, ce biopouvoir est entaché de consumérisme cynique et sans âme et il sait parfaitement parler aux « consommatrices de soins de santé » sous couvert d’arguments simplistes, douçâtres et culpabilisants mêlant peur, sécurité et précaution et enjoignant au bien-être individuel comme seul horizon eschatologique.

Le droit de dire « NON »

Pourtant, non, nous ne sommes pas condamnées à vivre notre vie de femme sous une épée de Damoclès médicale, tétanisées par les troubles de la fertilité et de la ménopause, des cancers féminins et des grossesses médicalisées.

Non, nous ne sommes pas condamnées à vivre notre vie après 50 ans cahin-caha, déprimées et pétries d’angoisse entre une mammographie et une biopsie avec la peur de se retrouver un jour mutilée (et reconstruite ?), tout en avalant notre TSH avec un verre d’alcool pour faire passer.

Nous pouvons nous ré-approprier nos corps dans toute leur beauté et leur puissance fécondante et érotique.

Nous avons la liberté de ne pas accepter d’être une précancéreuse qui s’ignorait, de ne pas accepter de céder au fatalisme , à la peur et au contrôle, à la surenchère d’examens longs, douloureux, parfois humiliants, parfois dangereux , et nous pouvons construire nos vies avec nos compagnons dans une relation complémentaire, responsable et respectueuse sans s’en remettre à des médecins désinformés qui n’ont été formés que pour répondre à nos interrogations de femmes normales et en bonne santé par des prescriptions d’examens et des ordonnances.

Nous pouvons réclamer le respect de nos valeurs et de nos préférences, dans une relation digne et respectueuse avec les médecins.

Pour cela, il y a un remède naturel formidable qui s’appelle la confiance en la Vie.

Références

[1] En France (dernière source disponible : INSEE, 2011) , où l’espérance de vie d’une femme est de 85 ans,  les principales causes  recensées  (et non estimées) de mortalité chez le femmes sont les suivantes :

73 842 de maladies cardio vasculaires (28% contre 36% en 1996)

16 106 de maladies pulmonaires (6% contre 8% en 1996)

10 286 de  maladies digestives (4% contre 5% en 1996)

5 800 de maladies infectueuses et parasitaires (2%  contre 2% en 1996)

et pour les cancers  :

7 734 de cancer des  voies respiratoires et du poumon (3%contr 3% en 1996)

8 113 de cancer du côlon, rectum, anus (3%contre  3% en 1996)

11 623 femmes sont mortes de cancer du sein (2% contre  4% en 1996)

[2] la suppression du Dépistage Individuel a même été imaginé par la Haute Autorité de Santé en 2011 (ici)

[3] la France, avec ses 2.3 morts pour 1000 naissances est en 17e position en Europe en 2013

[4]  http://svt.ac-creteil.fr/IMG/pdf/4emecauseregles-.pdf

[5] Campagne de l’agence de biomédecine « Devenez donneuse de bonheur »

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Analyse étude américaine Harding, 2015

A propos de l'étude parue dans le JAMA juillet 2015

« Breast Cancer Screening, Incidencee, and Mortalily Acress US Countrie. »
Auteurs : Harding C, Pompei F., Burmistrov D., et al.
JAMA Intern Med. Published online July 06, 2015. doi:10.1001/jamainternmed.2015.3043

Objectif

L'objectif de cette étude est d'essayer de mesurer les bénéfices et dommages du dépistage du cancer du sein en 2000 avec un suivi de 10 ans, tel qu'il est effectué aux USA (femmes de plus de 40 ans), en comparant les données des différents comtés concernant l'intensité du dépistage, les diagnostics de cancers du sein, la mortalité par cancer du sein, les mastectomies. Elle a été réalisée sur 16 millions de femmes, et sur 60 000 malades.

Résultats

Dans les comtés où le dépistage est plus intensif, on constate :

  • une augmentation du nombre de diagnostics de cancers du sein (+16 % pour une augmentation du participation au dépistage de 10%), essentiellement par des tumeurs de moins de 2 cm.
  • une absence de réduction de la mortalité par cancer du sein
  • une absence de réduction du nombre de cancers du sein avancés
  • une absence de réduction des mastectomies.

Ces données sont difficilement compatibles avec un dépistage par mammographie efficace, dans le cadre duquel l'augmentation des petits cancers du sein doit s'accompagner d'une diminution des cancers avancés et de la mortalité par cancer du sein.

L'explication la plus vraisemblable est que les nombreux petits cancers dépistés par la mammographie systématique sont essentiellement des surdiagnostics c'est à dire des tumeurs non ou très lentement progressive, ou spontanément régressives, dont le diagnostic est inutile et néfaste, alors que le dépistage ne permettrait pas (ou rarement) un meilleur pronostic pour les cancer évolutifs.

Il s'agit d'une étude dont le niveau de preuve est limité par sa nature (les données individuelles ne sont pas connues), mais appuyé par sa vaste ampleur (16 millions de femmes), comme par les analyses complémentaires effectuées par les auteurs.

Les essais sur lesquels reposent le dépistage organisé du cancer du sein par la mammographie sont anciens, et leurs conclusions (fragiles par ailleurs du fait de certains biais et incohérences qui ont été mises en évidence depuis[1]) ne peuvent s'appliquer à la situation actuelle.

Conclusion

En conclusion, l’étude conforte l'absence d'efficacité du dépistage du cancer du sein retrouvée dans d'autres études, y compris en Europe. [2], [3], [4],[5],[6],[7]

Cliquez sur les images pour agrandir

A gauche, en bleu l'incidence du cancer du sein, en rouge la mortalité.

A droite, en bleu les taux des cancers de bas stade, en rouge les taux de cancers de stade élevé.

 

Ici les mastectomies, en bleu les partielles, en rouge les totales.

 

 

Biblio

[1] Gøtzsche PC, Jørgensen KJ « Screening for breast cancer with mammography (Review) » The Cochrane Library 2013, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23737396
[2] Autier P., Boniol M., Gavin A., Vatten L. J. « Breast cancer mortality in neighbouring European countries with different levels of screening but similar access to treatment: trend analysis of WHO mortality database » BMJ 2011;343:d4411 http://www.bmj.com/content/343/bmj.d4411
[3] Autier P., Boniol M., Middleton R., et al. « Advanced breast cancer incidence following poupulation-based mammographic screening » Annals of Oncology 22 : 1726-1735, 2011 http://annonc.oxfordjournals.org/content/22/8/1726.long
[4] Jørgensen K. J., Zahl P.-H., Gøtzsche P. C. « Breast cancer mortality in organised mammography screening in Denmark: comparative study » BMJ 2010;340:c1241 http://www.bmj.com/content/340/bmj.c1241
[5] Jørgensen K. J., Gøtzsche P. C. « Overdiagnosis in publicly organised mammography screening programmes: systematic review of incidence trends » BMJ 2009;339:b2587 http://www.bmj.com/content/339/bmj.b2587
[6] Junod B., Zahl P.-H., Kaplan R. M., et al. « An investigation of the apparent breast cancer epidemic in France: screening and incidence trends in birth cohorts » BMC Cancer 2011, 11:401 doi:10.1186/1471-2407-11-401, adaptation en français sur http://www.formindep.org/Investigation-de-l-epidemie,487.html
[7] Zahl P.-H., Moehlen J., Welch H.G. « The Natural History of Investive Breast Cancers Detected by Sreening Mammography » Arch Inten Med Vol 168 (n°21) Nov 24, 2008 http://archinte.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=773446

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Dépistage organisé du cancer du sein : Information ou Communication ?

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