Surdiagnostic, une préoccupation en médecine d’urgence aussi

Traduction et commentaires par Cancer Rose, 27 mars 2024

A propos d'un article de Justin Morgenstern
https://first10em.com/overdiagnosis-would-we-better-better-off-not-looking/

Le paradoxe de l'imagerie médicale et des avancées technologiques d'explorations modernes réside dans leur capacité d'imager et mesurer le corps humain de manière toujours plus détaillée, mais aboutissant à des détections biologiques et des images qui deviennent la source de l'un de nos plus grands défis en médecine, résumé dans le titre de cet article : Surdiagnostic : Serait-il préférable de ne pas chercher ?
Ce questionement se pose également en médecine d'urgence.

Justin Morgenstern est médecin d’urgence, il est aussi le créateur, le webmaster et le rédacteur en chef du media First10EM.
Passionné de médecine factuelle, il est également professeur adjoint à l'Université de Toronto.

Nous restituons sont point de vue publié le 25 mars dans First10EM sur les surdiagnostics en médecine d'urgence.
(Article connexe : https://first10em.com/overdiagnosis-in-the-emergency-department/)

Une augmentation du recours aux examens dans le cadre de la médecine d'urgence

Il ne fait aucun doute que le recours aux examens a considérablement augmenté en médecine d'urgence au cours de ma carrière.
Entre 2001 et 2010, l'utilisation du scanner dans les services d'urgence a été multipliée par 3 (et l'utilisation de l'IRM a été multipliée par 9, mais pour une raison quelconque, il m'est encore presque impossible d'en obtenir un) (Carpenter 2015)
La question est de savoir si tous ces tests aident réellement les patients. L'imagerie moderne est extraordinaire, et je suis heureux de travailler à une époque où le scanner est facilement accessible, mais il semble assez clair qu'au moins une partie des tests médicaux effectués chaque jour n'aide pas les patients. Par exemple, malgré l'augmentation massive de l'utilisation du scanner angiographique pulmonaire et de l'augmentation du taux de diagnostic de l'embolie pulmonaire, la mortalité due à l'embolie pulmonaire n'a pas du tout changé. (Carpenter 2015)

Ainsi, nous effectuons des tests, qualifions les patients de malades, les soumettons à une anticoagulation à long terme, mais sans aucun bénéfice en fin de compte. Une partie du problème réside dans le fait que les médecins n'ont pas compris l'importance de la probabilité pré-test, et la médecine est inondée de faux positifs. L'autre problème est le surdiagnostic.

(NDLR, l'importance de la compréhension des probabilités pré-tests de dépistage :
Imaginons un nouveau scanner qui ne rate jamais un cas de cancer du sein (sensibilité à 100 %), mais qui entraîne un faux positif chez 5 % des femmes en bonne santé (spécificité 95 %). Cet examen peut être considéré alors comme un test excellent et très précis que nous pourrions utiliser comme dépistage pour détecter le cancer du sein plus tôt. Chez les femmes de moins de 50 ans, le taux de cancer du sein est de 1 sur 1000.
Prenons le cas d'une femme de 45 ans qui aurait ce test positif, quelle est la probabilité qu’elle ait le cancer du sein réellement?
Calcul : dans un échantillon de 1 000 femmes, nous nous attendons à ce que 1 d’entre elles ait le cancer. La tomodensitométrie est parfaite et identifie la seule femme atteinte du cancer. Cependant, le taux de faux positifs de 5 % signifie que sur ce groupe de 1000 femmes, 50 recevront des résultats faux positifs. Il y a 51 tests positifs et seulement 1 cas réel de cancer. Par conséquent, le risque réel de cancer pour cette femme de 45 ans, malgré son scanner positif, est de 1/51, soit environ de 2 %.
Un résultat positif avec un test de dépistage extrêmement sensible ne procure encore que 2% de chances que le patient ait réellement et effectivement la maladie....
)

"Il y a surdiagnostic lorsqu'un test trouve une anomalie qui est techniquement "vraie positive", dans la mesure où l'individu présente la pathologie diagnostiquée, mais qui, dans ce cas particulier, n'aurait jamais causé de maladie réelle, même si elle n'avait pas été découverte et traitée." (Hoffman 2017)

Le problème du sur-dépistage et du surdiagnostic est que, bien que nous puissions facilement identifier ces patients dans les données statistiques globales, ils ne peuvent pas vraiment être identifiés cliniquement au stade du soin (NDLR :on peut identifier le surdiagnostic à l'échelle populationnelle, en comparant des populations soumises à des intensités différentes de dépistage, mais pas à l'échelle individuelle ; lors de la prise en charge d'une personne, il n'y a pour le clinicien, le biologiste et le radiologue seulement un diagnostic).
Contrairement aux faux positifs, qui peuvent potentiellement être identifiés (NDLR : le faux positif est une non-pathologie mise en évidence par des examens complémentaires) , le surdiagnostic se produit en présence d'une pathologie réelle, de sorte que les tests supplémentaires ne peuvent jamais remettre le "génie dans la boîte". Ainsi, le surdiagnostic conduit nécessairement à un surtraitement, et les patients ne sont donc pas seulement exposés aux inconvénients des tests, mais aussi à ceux de nos traitements (inutiles).

(NDLR : en mammographie, la fausse alerte ou faux positif est la suspicion d'un cancer sur une image mammographique, mais qui ne se confirmera pas après d'autres examens complémentaires. C'est donc un non-cancer, ce que l'on sait après avoir réalisé d'autres examens que la mammographie.
Le surdiagnostic c'est l'identification en mammographie d'un réel cancer authentifié par la biopsie, mais qui n'aurait pas évolué en l'absence de dépistage et n'aurait pas mis en danger la vie de la femme s'il était resté ignoré).

Bien que cela puisse sembler trop philosophique pour les médecins urgentistes en exercice (sic), nous devons vraiment nous pencher sur la définition de la maladie. Le langage a le pouvoir de façonner la réalité. En appliquant un diagnostic à un patient, nous rendons les choses telles qu'elles sont. Or, d'un point de vue physiologique, de nombreuses affections se présentent sous la forme d'un spectre (ou éventail de pathologies, NDLR), et s'il est logique de parler de 'maladie' pour une partie de ce spectre, il n'est certainement pas judicieux de qualifier tout le monde de malade.
(NDLR, la terminologie d'une lésion a une grande importance car elle détermine l'attitude plus ou martiale que la médecine va employer pour la traiter. Lors d'une réunion du National Cancer Institute américain en 2012, un groupe d'experts a discuté des stratégies visant à atténuer les préjudices du surdiagnostic et du surtraitement. Le fait qu'une large proportion de carcinomes in situ du sein, par exemple, est peu susceptible d'évoluer vers un cancer invasif a conduit à la proposition de modifier la terminologie pour supprimer le mot "carcinome" (et le mot 'cancer de stade 0') afin que le nom corresponde mieux à la compréhension croissante de la biologie sous-jacente, en les désignant simplement comme des "néoplasies intraépithéliales".
Les termes "cancer" et "carcinome" devaient être réservés aux lésions susceptibles de progresser. Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/04/25/ne-mappelez-plus-cancer/)

Par exemple, il existe certainement un niveau à partir duquel l'hypertension artérielle est nocive et à partir duquel les avantages d'une intervention dépassent les risques. Toutefois, le seuil exact fait l'objet d'un vif débat. Devrions-nous vraiment qualifier de malade une personne dont la pression artérielle systolique est de 142 ? Cela se traduit-il par un bienfait global ?
(NDLR : la question. de"quand est-on malade?" est posée dans le livre de Dr B.Duperray, "dépistage du cancer du sein, la grande illusion" aux éditions Souccar, extrait page 249
"Vouloir dépister sans savoir répondre à la question à partir de quand est-on malade ? conduit inévitablement au surdiagnostic. Si l’on ne peut pas encore se soustraire à tout coup à la mort par cancer du sein, on peut, en évitant le surdiagnostic, ne pas avoir à vivre l’agression médicale face à une maladie hypothétique fabriquée de toute pièce."
)

En ce qui concerne la médecine d'urgence, nous savons que les petits caillots sanguins sont extrêmement fréquents dans le corps humain. Il existe un équilibre permanent entre la coagulation et la lyse qui est intrinsèquement normal (pas de maladie). Si une embolie pulmonaire sous-segmentaire (affectant une toute partie très minime d'un poumon, NDLR) est découverte fortuitement sur un scanner de traumatologie, ce patient doit-il être considéré comme malade ? Lorsque nous trouvons des nodules fortuits sur un scanner de traumatologie, à partir de quel seuil devons-nous les qualifier d'anormaux ? Plus nous demandons d'examens, plus ces questions deviennent pressantes.
(Article connexe à lire à partir de la partie B, incidentalomes et soins de faible valeur)

L'explosion des informations diagnostiques dont nous disposons souligne "l'importance de faire la distinction entre les données (une collection de faits isolés), l'information (la reconnaissance du modèle que ces données impliquent), la connaissance (une compréhension de ce que ces informations signifient) et la sagesse (savoir comment appliquer les connaissances d'une manière qui améliore les résultats)". (Hoffman 2017)

Preuves de surdiagnostics

La plupart des preuves de surdiagnostic proviennent du domaine des soins primaires et du dépistage. Bien qu'ils ne relèvent pas de la médecine d'urgence, ces exemples permettent d'élucider les problèmes posés par le dépistage dans les populations à faible risque.

Le cancer de la thyroïde est un exemple classique.
(Article connexe : https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/)
L'incidence du cancer de la thyroïde est restée relativement stable pendant des décennies, jusqu'à ce que le dépistage commence à devenir populaire dans les années 1990. L'incidence a ensuite triplé entre 1990 et 2009, mais la mortalité est restée totalement inchangée. "Nous avons constaté qu'il existe une épidémie de cancer de la thyroïde aux États-Unis. Cependant, il ne semble pas s'agir d'une épidémie de maladie. Nos résultats démontrent que le problème est dû au surdiagnostic du cancer papillaire de la thyroïde, une anomalie souvent présente chez des personnes qui n'en développent jamais les symptômes." (Davies 2014)
La situation est encore pire en Corée du Sud, où un programme de dépistage financé par le gouvernement a entraîné une multiplication par 15 des diagnostics de cancer de la thyroïde, sans qu'il y ait de preuve d'une amélioration de l'état de santé des patients. (Lee 2014 ; Park 2016)

NDLR : nous voyons de ce schéma tiré de la référence Davies 2014 (voir réfs en bas d'article) qu'avec le sur-dépistage des cancers thyroïdiens nous avons un paradoxe entre l'inflation des diagnostics de cancers et une mortalité pourtant non améliorée.
On trouve des preuves similaires de surdiagnostic pour le cancer du sein, le cancer de la prostate et le cancer du poumon. (Draisma 2009 ; Welch 2010 ; Patz 2014)

(Lire aussi : https://cancer-rose.fr/2023/01/09/le-surdiagnostic-des-cancers-un-defi-a-lere-du-depistage/)

Surdiagnostic en médecine d'urgence

Dans un article précédent sur le surdiagnostic, j'ai parlé d'un document examinant des exemples de surdiagnostic dans les services d'urgence (Vigna 2022). (Vigna 2022)
Cet article présente des exemples de surdiagnostic d'embolie pulmonaire, de maladie coronarienne, d'hémorragie sous-arachnoïdienne et d'anaphylaxie. En d'autres termes, le surdiagnostic est probablement présent dans les affections les plus courantes que nous évaluons chaque jour.

En réponse à une étude de base de données suggérant que nous pourrions manquer des fractures cervicales dans la population gériatrique, Hoffman et ses collègues présentent des données suggérant que de nombreuses fractures vertébrales chez les personnes âgées sont asymptomatiques, et donc "non seulement une intervention de routine ne conduirait pas à un bénéfice, mais elle produirait presque certainement un préjudice substantiel (et évitable) pour beaucoup de ces personnes."  (Hoffman 2017)
En d'autres termes, bien que la découverte d'une fracture cervicale semble toujours importante, les fractures cervicales pourraient représenter un autre exemple de surdiagnostic.

Une fracture du rachis cervical peut-elle faire l'objet d'un "surdiagnostic" ? À première vue, cette affirmation semble étrange. Les fractures du rachis cervical sont importantes à détecter, n'est-ce pas ? Cependant, je pense que Hoffman a tout à fait raison. Au cours de la dernière décennie, les radiographies du rachis cervical sont tombées en désuétude, remplacées presque entièrement par la tomodensitométrie. On nous a dit que c'était nécessaire, car la sensibilité des rayons X n'était tout simplement pas suffisante. Cela ne m'a jamais semblé correct. Il est évident que le scanner trouvera beaucoup plus de choses que la radiographie, mais était-ce vraiment un problème que nous devions résoudre ? Dans les années 1990, combien de patients ont été renvoyés de l'hôpital après une radiographie normale et sont devenus paralysés à cause d'une fracture de la colonne cervicale manquée ? Si le scanner était vraiment meilleur, nous devrions être en mesure de mettre en évidence les véritables préjudices subis par les patients à l'époque où il n'existait pas encore, mais le pouvons-nous ? Ou bien toutes les lésions supplémentaires détectées par le scanner sont-elles sans importance pour nos patients, sans qu'il soit nécessaire de modifier la prise en charge ? (Je ne demande pas d'imagerie pour les fractures nasales, parce que cela ne va pas changer la pratique. Peut-être que le scanner du rachis cervical est similaire).

Si le surdiagnostic est possible pour les fractures du rachis cervical, il semble qu'il le soit pour tous les diagnostics que nous posons.

Aidons-nous vraiment nos patients en identifiant et en réalisant un plâtre pour une fracture /avulsion ? Une admission pour une petite augmentation de la troponine est-elle une bonne ou une mauvaise chose (NDLR le dosage de la troponine est utilisé dans le diagnostic d'infarctus)? Avions-nous besoin de trouver cette culture d'urine positive ? Pour presque tous les tests que nous demandons, il y a probablement des exemples de patients qui feraient mieux de ne pas en connaître les résultats.

Comment pouvons-nous nous améliorer ?

Les causes de surtesting sont complexes et variées, notamment le risque de faute professionnelle, les incitations financières, les préférences des praticiens, le manque de suivi disponible, les attentes des patients, la complexité croissante de la médecine d'urgence et la culture de la perfection qui prévaut en médecine. (Carpenter 2015)
Carpenter et ses collègues suggèrent également que le manque de connaissance des règles de décision pourrait entraîner un surtest, mais personnellement je pense que l'exact opposé est probablement vrai ; les règles de décision avec des preuves imparfaites, et l'accent mis sur une sensibilité parfaite, mais une spécificité médiocre, entraînent probablement un surtesting.
(NDLR : l'auteur fait allusion aux recommandations émises sur des conduites à tenir pour des situations cliniques précises, et fait référence aux protocoles et référentiels recommandés dans telle ou telle situation clinique, auxquels on incite les cliniciens à se référer pour la prise en charge des pathologies)

Nous avons besoin d'une meilleure recherche. De nombreux arguments concernant les tests sont fondés sur des opinions plutôt que sur des données. Par exemple, de nombreux médecins urgentistes pensent que la prescription de tests prend moins de temps que la prise de décision partagée, mais de bonnes données sur ce sujet pourraient prouver qu'ils ont tout à fait tort. (La prescription de tests nécessite au moins une rencontre supplémentaire avec le patient, sans parler du temps consacré à l'interprétation du test, à la documentation des résultats et à l'inefficacité souvent liée à la recherche de patients dans la salle d'attente une fois les tests terminés).

Nous devons également encourager les essais cliniques randomisés sur les tests. Trop souvent, les tests sont introduits sur la base de leurs seules caractéristiques, mais sans information sur les résultats pour les patients. (Ou pire encore, des essais contrôlés randomisés sont réalisés et ne montrent aucun avantage, mais nous ignorons ces essais parce que la sensibilité du test est assez bonne. ...
En l'absence de recherches appropriées, il est impossible pour les cliniciens de savoir quand un test est approprié ou non.

Malheureusement, même avec une recherche correctement financée, nous risquons de nous retrouver avec d'importantes lacunes dans nos connaissances. "Les essais contrôlés randomisés (ECR), considérés à juste titre comme le critère de référence pour évaluer le bénéfice potentiel d'une intervention, sont notoirement médiocres pour évaluer les dommages potentiels. Les RCT ont presque toujours une puissance insuffisante pour rechercher les préjudices, ils recherchent rarement (et ne parviennent donc pas à identifier) les préjudices qui n'étaient pas prévisibles avant la réalisation de l'étude, ils ne durent presque jamais assez longtemps pour évaluer les préjudices qui se produisent au fil du temps, et (comme les gériatres le savent si bien) ils excluent généralement précisément les personnes qui sont les plus à risque." (Hoffman 2017)

NDLR, extrait du livre de C.Bour "mammo ou pas mammo ?" aux éditions Souccar, page 168 :
"De 1970 à 1980, dans divers pays (Norvège, Danemark, Canada, New York, Suède) des femmes ont été incluses dans des études expérimentales, ce qu’on appelle des essais. Ces essais consistaient à comparer tout simplement le devenir de femmes dépistées à celui de femmes non dépistées. À l’époque c’était possible, les femmes n’ayant jamais été radiographiées au niveau des seins. On disposait de ce qu’on peut appeler des « cohortes pures ». Ces études montraient une soi-disant formidable diminution de mortalité grâce au dépistage, jusqu’à 30 % de moins de risque de décéder d’un cancer du sein. Le résultat semblait enthousiasmant. Or ces premières expériences comportaient de bien nombreux biais, c’est-à-dire des irrégularités dans la méthode, dans la répartition des femmes entre les deux groupes et dans les analyses statistiques. La méthodologie n’obéissait pas aux critères de qualité actuels. Les résultats les meilleurs étaient obtenus avec les moins bonnes mammographies. D’ailleurs, aucun des appareils utilisés alors n’obtiendrait l’agrément pour être utilisé de nos jours."

Nous avons besoin de systèmes financiers qui récompensent les médecins pour leurs bons soins, et pas seulement pour leur efficacité ou leur rapidité. Nous avons besoin de systèmes juridiques plus raisonnables, capables de reconnaître les avantages à long terme de l'évitement des tests, plutôt que de simplement sanctionner les médecins lorsque des tests ne sont pas demandés.

Nous avons besoin d'une culture médicale qui reconnaisse les seuils des tests et le taux d'échec...
Une bonne éducation ne peut se contenter de mettre l'accent sur la mentalité du "envisager le pire d'abord" ou sur les erreurs de diagnostics, sans insister sur les nombreux inconvénients des tests supplémentaires.

Pour que le service des urgences réduise le nombre de tests, nous avons besoin de systèmes de santé fonctionnels, avec un suivi fiable, afin de ne pas rester les seuls médecins auxquels les gens peuvent avoir accès. Nous devons reconnaître que les tests sont utiles lorsque nous choisissons le bon test. Nous devons avoir accès aux tests appropriés dans les services d'urgence. Je n'ai pas accès à l'IRM en temps voulu, si bien que mes patients souffrant d'une possible syndrome de la queue de cheval (compression des nerfs inférieurs de la moelle épinière dans le bas du dos, aux étages vertébraux S2, S3, S4 et S5) subissent souvent d'abord un scanner, puis une IRM, ce qui accroît les risques potentiels d'un test sans aucun bénéfice.

Bien que cela ne concerne pas vraiment la médecine d'urgence, toute la logique derrière le dépistage et la détection précoce doit être reconsidérée, et les programmes de dépistage ont besoin de preuves solides de l'amélioration des résultats réels orientés vers le patient (et non pas des résultats ridicules et artificiels comme la mortalité spécifique à la maladie).
Nous devons reconnaître que tous les tests peuvent être nocifs (par le biais de faux positifs et de surdiagnostics) et qu'aucun test ne devrait être effectué "systématiquement". (Oui, j'en appelle à mes bons amis, les aficionados de l'échographie aux urgences).

Si des règles de décision doivent être utilisées, elles doivent être conçues avec des objectifs rationnels ... elles doivent être testées de manière approfondie par le biais d'études de mise en œuvre qui démontrent réellement le bénéfice pour le patient, plutôt que de s'arrêter simplement lorsque nous constatons une sensibilité décente (tout en ignorant également la faible spécificité qui conduira à des tests excessifs).

Nous avons besoin d'une meilleure éducation. Les problèmes de surdiagnostic ne sont pas bien connus en médecine, et il est logique de commencer par là, mais nous ne progresserons pas sur cette question tant que les patients n'auront pas compris que les tests peuvent être nocifs.

Les médecins urgentistes reconnaissent le gaspillage des tests et acceptent que la prise de décision partagée soit nécessaire et réaliste. Nous voulons tous ce qu'il y a de mieux pour nos patients. Cependant, les solutions à ces problèmes ne seront pas trouvées au niveau individuel. L'éducation est une approche nécessaire, mais insuffisante. Les décisions actuelles en matière de tests diagnostiques sont largement motivées par des pressions sociétales ou culturelles. La résolution de ces problèmes nécessitera un changement sociétal ou culturel.
(Article connexe à lire : https://cancer-rose.fr/2023/01/26/article-pour-les-usagers-les-tests-de-routine-juste-pour-se-rassurer-cest-une-mauvaise-idee/

Pour l'instant, tout ce que vous pouvez faire en tant que médecin praticien, c'est de vous rappeler de vous poser la question suivante : mon patient pourrait-il se porter mieux si on ne cherchait pas ?

References

Carpenter CR, Raja AS, Brown MD. Overtesting and the Downstream Consequences of Overtreatment: Implications of “Preventing Overdiagnosis” for Emergency Medicine. Acad Emerg Med. 2015 Dec;22(12):1484-92. doi: 10.1111/acem.12820. Epub 2015 Nov 14. PMID: 26568269

Davies L, Welch HG. Current thyroid cancer trends in the United States. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg. 2014 Apr;140(4):317-22. doi: 10.1001/jamaoto.2014.1. PMID: 24557566

Draisma G, Etzioni R, Tsodikov A, Mariotto A, Wever E, Gulati R, Feuer E, de Koning H. Lead time and overdiagnosis in prostate-specific antigen screening: importance of methods and context. J Natl Cancer Inst. 2009 Mar 18;101(6):374-83. doi: 10.1093/jnci/djp001. Epub 2009 Mar 10. PMID: 19276453

Hoffman JR, Carpenter CR. Guarding Against Overtesting, Overdiagnosis, and Overtreatment of Older Adults: Thinking Beyond Imaging and Injuries to Weigh Harms and Benefits. J Am Geriatr Soc. 2017 May;65(5):903-905. doi: 10.1111/jgs.14737. Epub 2017 Feb 7. PMID: 28170085

Hoffman JR, Cooper RJ. Overdiagnosis of disease: a modern epidemic. Arch Intern Med. 2012 Aug 13;172(15):1123-4. doi: 10.1001/archinternmed.2012.3319. PMID: 22733387

Lee JH, Shin SW. Overdiagnosis and screening for thyroid cancer in Korea. Lancet. 2014 Nov 22;384(9957):1848. doi: 10.1016/S0140-6736(14)62242-X. Epub 2014 Nov 21. PMID: 25457916

Park S, Oh CM, Cho H, Lee JY, Jung KW, Jun JK, Won YJ, Kong HJ, Choi KS, Lee YJ, Lee JS. Association between screening and the thyroid cancer “epidemic” in South Korea: evidence from a nationwide study. BMJ. 2016 Nov 30;355:i5745. doi: 10.1136/bmj.i5745. PMID: 27903497

Patz EF Jr, Pinsky P, Gatsonis C, Sicks JD, Kramer BS, Tammemägi MC, Chiles C, Black WC, Aberle DR; NLST Overdiagnosis Manuscript Writing Team. Overdiagnosis in low-dose computed tomography screening for lung cancer. JAMA Intern Med. 2014 Feb 1;174(2):269-74. doi: 10.1001/jamainternmed.2013.12738. Erratum in: JAMA Intern Med. 2014 May;174(5):828. PMID: 24322569

Vigna M, Vigna C, Lang ES. Overdiagnosis in the emergency department: a sharper focus. Intern Emerg Med. 2022 Mar 5. doi: 10.1007/s11739-022-02952-8. Epub ahead of print. PMID: 35249191

Welch HG, Black WC. Overdiagnosis in cancer. J Natl Cancer Inst. 2010 May 5;102(9):605-13. doi: 10.1093/jnci/djq099. Epub 2010 Apr 22. PMID: 20413742

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Risque accru de cancers cutanés après irradiation pour cancer du sein

12/03/2024

La radiothérapie pour le traitement du cancer du sein entraîne un risque accru de cancer de la peau sur le site d'irradiation, selon une recherche publiée le 8 mars dans JAMA Network Open.
Une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford dirigée par Shawheen Rezaei a constaté que le risque de diagnostic de cancer de la peau non kératinocytaire, comme le mélanome et l’hémangiosarcome, après un traitement du cancer du sein par radiothérapie, était de plus de 50 % plus élevé par rapport à la population générale

L'épiderme comprend deux types de cellules, les kératinocytes et les mélanocytes.
Les kératinocytes sont des cellules de l'épiderme (couche superficielle de la peau), jointives, et distribuées en plusieurs couches. 
Les mélanocytes sont situés, eux, à la base de l’épiderme. Ils synthétisent les pigments de la peau qu'on regroupe sous le terme de mélanines, fabriquées dans les mélanosomes. 

Chacun de ces types cellulaires de la peau peut être à l’origine de tumeurs cutanées dont la fréquence et l'agressivité sont variables. Les tumeurs qui se développent à partir des kératinocytes épidermiques sont les plus fréquentes et peuvent occasionner des carcinomes baso‐cellulaires et des carcinomes spino‐cellulaires. Ce sont tumeurs d’origine kératinocytaire, que l’on regroupe sous l’appellation « cancers de la peau non mélanocytaires ».

Les cancers non kératocytaires, à l'opposé, regroupent les mélanomes qui se produisent au dépens des mélanocytes et qui sont beaucoup plus agressifs avec un potentiel métastatique.
Ces cancers non kératocytaires comprennent aussi les hémangiosarcomes, beaucoup plus rares, qui sont des néoplasmes malins caractérisés par des cellules infiltrantes à prolifération rapide, à partir des parois des vaisseaux sanguins ou lymphatiques.
L' antécédent de radiothérapie, même ancienne, est déjà connu comme étant un facteur de risque, de même que la présence d'un lymphœdème infectieux ou séquellaire après un traitement chirurgical.
Le sarcome de Kaposi par exemple, plus fréquent chez les patients atteint de SIDA, est une forme particulière de ces cancers.

L'étude

Il s'agit d'une étude de cohorte, incluant des données recueillies entre 2000 et 2019 auprès de 875880 patientes atteintes d’un cancer du sein nouvellement diagnostiqué.
Au total, 99,3 % des patients étaient des femmes, 51,6 % avaient plus de 60 ans et 50,3 % ont reçu une radiothérapie.

Les chercheurs ont examiné si la radiothérapie dans le traitement du cancer du sein augmentait ultérieurement le risque de cancers de la peau non kératinocytaires, c'est à dire les plus graves.
Ils se sont concentrés sur les cancers localisés à la peau du sein ou du tronc, donc des sites d'irradiation, et ont comparé les résultats aux patients traités par chimiothérapie et chirurgie.

Les auteurs avancent un risque de 57% plus élevé de cancer non kératocytaire pour les patients traités par radiothérapie par rapport à celui de la population générale, lorsque l’on considère la peau du sein ou du tronc.
Le traitement par radiothérapie était également lié à un risque plus élevé de cancer de la peau non kératinocytaire par rapport à la chimiothérapie et aux interventions chirurgicales, selon l’étude.

Les auteurs appellent à de futures études sur les effets de la dose du rayonnement et sur les profils génétiques des patientes atteintes d’un cancer du sein, comme facteurs favorisants possibles pour ce risque accru.

Ils expliquent que les résultats de l'étude peuvent aider les médecins à informer leurs patientes atteintes d’un cancer du sein qu'elles présentent certes un risque faible de cancers cutanés secondaires mais néanmoins plus élevé (de plus du double) par rapport à la population générale, après leur radiothérapie.
Selon eux « il faut mieux définir et intégrer le risque subséquent de tumeurs malignes dans les processus de consultation des patients et les plans de soins de suivi des survivants. »

Considérations subséquentes

Le surdiagnostic est donc bien évidemment à nouveau au centre de la problématique. Dire aux femmes que détecter davantage de cancers petits leur promet un traitement plus "léger" est inacceptable lorsqu'on sait que ce traitement "léger" comprend très fréquemment de la radiothérapie après chirurgie pour cancer du sein.
Les effets carcinogènes de la radiothérapie sont bien connus, et l'enjeu pour les femmes n'est pas d'avoir un traitement plus "léger", mais de n'avoir pas de traitement du tout lorsque celui-ci n'était pas nécessaire et découle d'une détection elle aussi non nécessaire de cancers qui n'auraient pas menacé la vie.

Cette question d'un surtraitement se pose de façon accrue lors de la détection de carcinomes in situ, lésions ne menaçant pas la vie dans la très grande majorité des cas et dont la sur-détection est majorée par le dépistage intempestif que nous connaissons, les femmes y étant incitées à présent de plus en plus jeunes et hors recommandations, une pratique se répandant demandant aux femmes de réaliser, déjà jeune, une "mammographie de référence", ce qui n'a absolument aucun intérêt puisque le sein est un organe variable selon l'état hormonal de la femme, selon le poids, les grossesses etc ....

Plusieurs éléments sont à rappeler, et à avoir en tête lorsqu'on est médecin prescripteur :
* Le dépistage est proposé à des femmes ne se plaignant de rien, saines, à qui l'ont doit l'information loyale sur l'éventualité de surdiagnostic et de possibilité de pathologies induites par les traitements.
* L'enjeu d'un dépistage n'est pas de recruter de plus en plus de cancers, cet argument est souvent à la base de la promotion du dépistage ; or son rôle est avant tout d'éviter de mourir des cancers graves.
* Pour la patiente concernée, même si les cancers secondaires sont globalement rares, ils existent et sont toujours plus fréquents que dans la population générale, et pour la femme concernée, quoi que soient les fréquences des évènements indésirables, pour elle ce sera toujours du 100% vécu...

Nous rajouterons pour finir que les cancers cutanés secondaires à la radiothérapie du sein ne sont pas les seules pathologies induites, des études ont montré l'augmentation significative de maladies cardio-vasculaires après radiothérapie, et l'augmentation des maladies malignes du sang.
Les mécanismes sont expliqués dans cet article sur le site : https://cancer-rose.fr/2021/06/01/les-cancers-radio-induits-apres-radiotherapie-du-cancer-du-sein/

Conclusion

Cette étude fait émerger deux point essentiels :
1- la nécessité incontournable d'informer les femmes des tenants et aboutissants du dépistage et des surtraitements qui en découlent, dont certains avec des conséquences fâcheuses sur la santé.
2- La nécessité de la mise en balance du surdiagnostic induit par le dépistage organisé ou hors-recommandations, pratiqué souvent trop tôt, trop fréquemment, parfois trop répété, avec les bénéfices du dépistage qui, de nos jours, peine à montrer une quelconque efficacité dans la réduction des cancers les plus graves et les plus mortels.

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Réflexion d’une radiologue

11 février 2024, Dr Cécile Bour, radiologue

A la suite de publications récentes sur les carcinomes in situ et les lésions du sein dites 'frontières', constituant une surdétection inutile du dépistage car n'impactant pas la vie des femmes, je me permets ici quelques considérations personnelles, issues de ma propre pratique et des constatations que j'ai pu accumuler, ayant suivi de près ce dépistage depuis sa genèse et sa généralisation en 2004 en tant que jeune radiologue installée, jusqu'à l'aboutissement de nos jours, à un âge où ma carrière vient toucher à sa fin.

Il convient de rappeler, encore et toujours, que le but premier d'un dépistage n'est pas de récolter des lésions à foison, n'est pas de trouver un maximum de choses, mais d'en tirer des bénéfices de trois sortes :
 réduire la mortalité par la maladie,
 diminuer le nombre des formes avancées de cancer du sein,
• alléger les traitements en faisant reculer les mastectomies totales et les traitements les plus lourds.

L’effet sur la mortalité par cancer du sein est non démontré (selon diverses hypothèses et diverses méta-analyse, il faudrait, en gros, suivre 700 à 2 500 femmes pendant quatorze ans à 20 ans pour trouver un seul décès évité). En parallèle :
• Les diagnostics en excès, appelés les surdiagnostics, selon les évaluations les plus pessimistes atteignent 30 à 50 %.
• les cancers de l’intervalle, malgré tous les efforts de détection précoce, qui sont les plus néfastes et agressifs, représentent toujours un tiers des cas de cancers .
* les traitements agressifs sont en augmentation. (Environ 30 à 35% de chimio- et radiothérapies en plus. Les procédures chirurgicales ne diminuent en rien, au contraire).

À partir, déjà des années 1990, au fur et à mesure que se développe le dépistage, on observe une flambée de cancers canalaires in situ.
Cet accroissement spectaculaire du nombre de cancers in situ diagnostiqués est signalé déjà en 1996 par Virginia Ernster, une épidémiologiste de l’université de Californie, San Francisco (Ernster Vl, Barclay J et al. Incidence of and treatment for ductal carcinoma in situ of the breast. JAMA. 1996 Mar 27;275(12):913-8. )

Les atypies et lésions frontières sont mises en évidence déjà par Nielsen ce que relate une méta-analyse d'études d'autopsies, sur 13 études  de 10 pays différents, sur 6 décades (de 1948 à 2010), incluant  2363 autopsies avec 99 cas de cancers dits "incidentalomes" (cancers de découverte fortuite), de lésions précancéreuses, de cancers in situ et d'hyperplasies atypiques, mais parallèlement peu de cancers invasifs.

Deux études apportent elles aussi une lumière sur ces lésions et sur le fait que leur présence dans le sein est fréquente, sans que la vie des femmes soit impactée : l’étude de Nashville au Tennessee (Page Dl, Dupont WD et al. Continued local recurrence of carcinoma 15-25 years after a diagnosis of low grade ductal carcinoma in situ of the breast treated only by biopsy. Cancer. 1995 Oct 1;76(7):1197-200. ), et l’étude de Bologne en Italie (Eusebi V, , Feudale E, Foschini MP et al. Long-term follow-up of in situ carcinoma of the breast. Seminars in Diagnostic Pathology. 1989;6(2):165-173. )

Elles relatent les cas de femmes pour qui le diagnostic de carcinome in situ a été fait avec un retard de dix à vingt ans. Lors de la première lecture effectuée des biopsies, faite dans les années 1950 pour l'une et en 1960 pour l'autre étude, les lésions avaient été classées bénignes.
Les femmes n’avaient donc pas été traitées.
Mais après la relecture plus récente ensuite de ces mêmes biopsies, il s’est avéré que ces femmes étaient en fait bel et bien porteuses d’un cancer in situ.
Comment ces cancers qui avaient échappé à la vigilance des médecins ont-ils évolué ? Parmi les femmes du Tennessee, dix ans plus tard, 25 % d'entre elles, vivantes, avaient un cancer invasif et parmi les Italiennes, vingt ans plus tard, 11 % avaient un cancer invasif, ce qui revient à dire que respectivement 75 % et 89 % de ces femmes porteuses d’un carcinome in situ n’avaient PAS développé de cancer invasif.

On peut bien sûr objecter que c'est dommage pour la majorité de femmes porteuses d’un cancer in situ de se voir traitées inutilement pour sauver la petite minorité avec CIS et qui, elle, va présenter un cancer invasif. Mais que c'est un dommage somme toute acceptable.
Si cela était bien le cas et que les traitements des CIS étaient bénéfiques, on observerait chez les femmes dépistées une diminution des formes les plus graves de cancers et une baisse drastique de la mortalité par cancer du sein. Or, cela ne se produit pas.

Une étude très récente démontre que les dépistages ne prolongent pas la durée de la vie.
L'étude de Toronto montre que traiter les cancers canalaires in situ ne réduit pas la mortalité par cancer du sein, et que la prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduit pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

Le diagnostic par dépistage d’un cancer in situ impacte profondément la qualité de la vie des femmes, qui, non informées de ces potentiels dangers auxquels le dépistage les expose, subissent toujours des traitements agressifs et une profonde angoisse de maladie sans bénéfice prouvé.

Où en sommes-nous à présent ?

Nous essayons de "rattraper le coup". On s'est fourvoyés, on a promis l'impossible aux femmes et comme ce Titanic de dépistage ne peut plus faire marche arrière, alors nous essayons de lui lancer quelques bouées de sauvetage en tentant, tant bien que mal, de limiter les dégâts et de prôner une désescalade thérapeutique.
Mais nous poussons le cynisme à faire cela "en accord avec la patiente", en lui donnant la possibilité de faire sa "propre décision". Alors oui c'est très bien et très moderne la décision partagée, nous-mêmes militons pour, car qui pourrait être contre.
Mais finalement, après avoir terrorisé les femmes pendant des décennies sur la possibilité de contracter un cancer du sein si on relâchait ne serait-ce qu'un tantinet la pression, après leur avoir corné que chaque minute compte, qu'il ne faut pas laisser la moindre petite cellule dégradée dans un sein, là maintenant on freine des quatre fers pour réduire nos traitements abusifs, et nous faisons peser tout le poids de la décision que la femme estimera toujours lourde de conséquences sur ses épaules, à elle.
Les interrogations "ai-je bien fait?" lui pèseront comme une épée de Damoclès toute sa vie durant, et de contrôle en contrôle.
Nous ne pourrons pas, en rien, avec cette désescalade thérapeutique que nous appelons de nos voeux, pour autant soulager les femmes d'une angoisse mortelle, nous avons juste lâchement glissé la responsabilité du terrain du médecin vers celui de la femme.

Cela au lieu d'avoir le courage, tous, d'avouer aux femmes que les campagnes de dépistage ont été instaurées trop vite, trop tôt, sans preuve suffisante, qu'on a fait fausse route, qu'on s'est plantés, qu'il n'y a pas de perte de chance réelle à ne pas aller au dépistage, qu'on peut faire sans, que finalement plus on avance, et plus on bidouille, plus on change notre "cuisine thérapeutique" sans parvenir à bout du cancer tueur, le seul qu'il nous fallait juguler, ce que le dépistage a complètement échoué à faire.

Je trouve cette lâcheté et ce culot à faire tout peser sur les épaules des femmes d'un cynisme confondant.

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Les atypies du sein, alléger le suivi

Traduction et synthèse par Cancer Rose, 10/02/2024

Article atypies et nouvelles recommandations

Opinion libre, Dr C.Bour, radiologue

Article connexe sur les 'in situ'

Atypies détectées lors du dépistage du cancer du sein et développement postérieur d'un cancer : analyse observationnelle de la cohorte prospective Sloane atypia en Angleterre.

BMJ 2024 ; 384 doi : https://doi.org/10.1136/bmj-2023-077039 (Publié le 01 février 2024)
https://doi.org/10.1136/bmj-2023-077039

Karoline Freeman, senior research fellow (Warwick Screening, Division of Health Sciences, Warwick Medical School, University of Warwick, Coventry, UK) ; David Jenkinson, senior research fellow (Screening Quality Assurance Service, NHS England, Birmingham, UK),Karen Clements, breast cancer research manager (Screening Quality Assurance Service, NHS England, Birmingham, UK), Matthew G Wallis, consultant radiologist,  Sarah E Pinder, professor of breast pathology,   Elena Provenzano, lead consultant breast pathologist, Hilary Stobart, patient representative, Nigel Stallard, professor of medical statistics, Olive Kearins, national lead breast screening, Nisha Sharma, consultant breast radiologist,  Abeer Shaaban, consultant pathologist, Cliona Clare Kirwan, consultant oncoplastic breast surgeon, Bridget Hilton, national audit project senior QA officer, Alastair M Thompson, section chief breast surgery, Sian Taylor-Phillips, professor of population health on behalf of the Sloane Project Steering Group.

QU'EST-CE QU'UNE ATYPIE ?

Ce terme regroupe ce qu'on appelle aussi "les lésions frontières", dont le nombre de cas augmente parallèlement au dépistage et depuis la multiplication des biopsies mammaires.
Elles constituent une frange dans les anomalies du sein située entre les lésions strictement bénignes et les lésions strictement malignes, et les limites entre les deux sont souvent floues, conduisant fréquemment l'anatomo-pathologiste à "upgrader" son compte rendu, de peur de sous-traiter. Ces lésions alimentent beaucoup la problématique du surtraitement généré par le dépistage systématique du cancer du sein.

Les lésions frontières sont variées, portent diverses dénominations selon leur caractérisation sous le microscope, et sont classées dans le tableau ci-dessous, en fonction du risque de cancer du sein qu'on leur attribue, le deuxième tableau listant les propositions thérapeutiques jusqu'à présent en vigueur.

PROBLEMES ET CONTEXTE

Ces lésions frontières ("borderline") soulèvent de multiples problèmes.
D’abord pour l'anatomo-pathologiste, leur identification diagnostique nécessite de la part du pathologiste une bonne expérience, une technique infaillible, une solide connaissance des critères de classifications garantissant que le résultat de l'analyse histologique puisse être reproductible et identique si lecture par une autre pathologiste, ce qui n'est pas toujours garanti....

Ensuite pour la patiente, la prise en charge thérapeutique se fait en fonction de ce qu'on a identifié dans le prélèvement d’une biopsie guidée. Mais les différentes entités trouvées dans un prélèvement sont parfois intriquées et les limites peu nettes ; dans un foyer d'atypie peut se retrouver un micro-foyer in situ, rendant les décisions de classification très difficiles et conduisant dans le sens d'un traitement plus lourd. Et très fréquemment on procède à l'exérèse de la plupart de ces lésions dont on estimait qu'elles conduiraient de facto à des lésions cancéreuses du sein, comme l'illustre la figure 1 de l'article sur l'étude dont nous allons parler. (Cliquez sur l'image)

Il s'agit d'une étude portant sur une cohorte de 3 238 femmes ayant reçu un diagnostic d'atypies épithéliales, appelée la cohorte anglaise 'Sloane'. Cette cohorte est reliée au registre anglais du cancer et au système d'information sur la mortalité et les naissances, pour obtenir des informations sur les cancers du sein subséquents et la mortalité.

L'objectif de l'étude était de comparer le nombre et le type de cancers du sein développés après le dépistage de l’atypie aux 11,3 cancers qu'on estime trouver ensuite par dépistage pour 1000 femmes au cours d’un cycle de dépistage de trois ans, au Royaume-Uni.
Plus précisément : On veut savoir si les femmes porteuses d'atypie ont un risque supplémentaire de développer davantage de cancers, si oui lesquels, et si oui quelles atypies prédisposent davantage au cancer.
A cet effet les données de cette cohorte ont été recueillies sur les formulaires de radiologie, d'histopathologie, de chirurgie et de radiothérapie, afin de fournir des preuves solides et généralisables sur le comportement des atypies.
On a comparé la survenue de cancers ultérieurs en comparant les femmes de la base de données du projet 'Sloane Atypia' aux données du Registre national des cancers, et les informations sur la mortalité ont été ajoutées.

Les principaux critères de suivi sont le nombre et le type des cancers du sein invasifs détectés un an, trois ans et six ans après le diagnostic de l'atypie, par type d'atypie, par âge et par année de diagnostic.

RAPPEL DES CONSTATS ACTUELS SUR LES ATYPIES

Les auteurs observent tout d'abord :
" La détection des atypies a été multipliée par quatre après l'introduction de la mammographie numérique entre 2010 (n=119) et 2015 (n=502)."

C'est ce qu'on voit très bien sur les graphiques détaillés ci-dessous, rassemblés dans la figure 3 de l'article. (Cliquez sur l'image)

Globalement on observe facilement ce bondissement des surdétections lors du passage au procédé de mammographie numérique vers 2010, beaucoup plus sensible notamment à la détection des microcalcifications. Les microcalcifications font partie des trois grands signes radiologiques que l'on recherche sur les clichés, qui peuvent annoncer la présence d'un cancer, et qui sont : les masses, les distorsions architecturales et les microcalcifications, que le procédé numérique détecte particulièrement bien.

Les explications avancées pour l'excès des détections de ces lésions sont les suivantes :

" Nous estimons que l'introduction progressive de la mammographie numérique en Angleterre depuis 2010, qui identifie davantage de microcalcifications, pourrait expliquer une grande partie de l'augmentation des atypies à partir de 2012....
Le reste de l'augmentation de l'incidence des atypies pourrait être dû à une modification des définitions des atypies et au fait que les pathologistes affinent leurs critères de diagnostic..."

" Un autre facteur pouvant être lié à l'augmentation des atypies pourrait être l'augmentation de la taille de l'aiguille de biopsie qui a pu être utilisée ces dernières années, augmentant la probabilité de trouver des atypies et diminuant la probabilité d'une classification erronée des atypies en carcinome in situ."

RESULTATS DE L'ETUDE

L'analyse a porté sur les questions clés suivantes :

1.         Combien de femmes développent un cancer après un diagnostic d'atypie et à quel moment ?
2.         Quel type de cancer se développe ?
3.         Combien de cancers ne sont pas détectés lors du diagnostic d'atypie ?
4.         Le risque de développer un cancer dépend-il du type d'atypie ?
5.         Quelle est la comparaison avec les femmes dépistées sans diagnostic d'atypie ?

Les résultats sont les suivants :

"-Le nombre de cancers après le diagnostic d'atypie (à 3 et 6 ans) était faible et ces cancers étaient similaires à ceux de la population générale de dépistage, avec un risque homolatéral et controlatéral similaire.
-Peu de cancers ont été manqués lors d'un diagnostic d'atypie et la VAE (excision mini-invasive assistée par le vide) n'a pas entraîné plus de cancers manqués que la prise en charge chirurgicale.
-Le nombre de cancers ne diffère pas significativement selon le type d'atypie, la densité mammaire ou l'âge après ajustement sur l'année du diagnostic.
-Le nombre de cancers après 3,5 ans suite au diagnostic d’atypie était égal au nombre de cancers dans la population générale de dépistage.
-Le risque de cancer au cours des dernières années était inférieur au risque historique, probablement en raison de l'introduction de la mammographie numérique qui identifie davantage de microcalcifications, d'un changement dans la nomenclature des atypies et de l'affinement des critères de diagnostic par les pathologistes, ainsi que de l'augmentation de la taille de l'aiguille de biopsie.

Pour résumer : " Les femmes dont les atypies ont été détectées plus récemment présentent des taux plus faibles de cancers subséquents détectés dans les trois ans" et " le grade, la taille et l'atteinte ganglionnaire des cancers invasifs ultérieurs étaient similaires à ceux des cancers détectés dans la population générale de dépistage, avec un nombre égal de cancers homolatéraux et controlatéraux."

Les analyses ont confirmé qu'à court terme, de nombreuses lésions atypiques peuvent représenter des facteurs de risque plutôt que de véritables précurseurs d'un cancer invasif et ont conclu qu'une mammographie annuelle pendant 5 ans après le diagnostic d'une atypie pourrait ne pas être bénéfique pour les femmes dans le cadre de l'actuel programme de dépistage du cancer du sein du NHS anglais. En outre, les changements récents apportés aux techniques de mammographie et de biopsie semblent identifier les cas d'atypie qui sont plus susceptibles de représenter un surdiagnostic."

CONCLUSION

Les auteurs concluent de la façon suivante :

" Il apparaît que peu de cancers ont été méconnus au moment du diagnostic de l'atypie et que la prise en charge non chirurgicale se révèle aussi sûre que l'excision chirurgicale de l'atypie dans cette cohorte.
Les caractéristiques des cancers détectés après une atypie étaient similaires à celles des cancers détectés dans la population générale de dépistage et aucun sous-groupe présentant un risque accru de développer un cancer invasif n'a été identifié.
Par conséquent, le signalement des atypies lors du dépistage pourrait contribuer au problème du surdiagnostic dans le cadre du dépistage du cancer du sein
."

Et de ce fait ils suggèrent :

"De nombreuses atypies pourraient représenter des facteurs de risque plutôt que des précurseurs de cancers invasifs...
Une mammographie annuelle à court terme après un diagnostic d'atypie pourrait ne pas être bénéfique. ..."

IMPLICATIONS POUR LA PRATIQUE CLINIQUE

Les recommandations pour le suivi de ces lésions nécessitent vraisemblablement un changement conséquent.
Les auteurs écrivent :
"Les résultats suggèrent qu'une mammographie annuelle supplémentaire pendant les trois premières années suivant un diagnostic d'atypie épithéliale pourrait ne pas être nécessaire en plus de la pratique de dépistage standard du Royaume-Uni proposée à toutes les femmes (c'est-à-dire une fois tous les trois ans).
Le nombre de femmes ayant reçu un diagnostic d'atypie et ayant développé un cancer au cours des trois premières années était faible."

Les lignes directrices au Royaume-Uni, en Europe et en Amérique recommandent généralement l'excision des atypies par biopsie ou par biopsie-exérèse chirugicale, suivie d'une surveillance rapprochée par imagerie.
En fonction de ce que cette étude rajoute comme connaissances sur ces lésions, les auteurs, dans une deuxième publication que nous allons voir, suggèrent une modification des recommandations.

Les connaissances supplémentaires que l'étude de cohorte Sloane apporte sont :
"- Le diagnostic de cancer du sein dans les trois ans suivant l'atypie était faible, en particulier dans les années les plus récentes (depuis 2012), et pourrait contribuer à l'augmentation du surdiagnostic dans le cadre du dépistage du cancer du sein.
- Des mammographies plus fréquentes pendant cinq ans après le diagnostic d'atypie pourraient ne pas être bénéfiques dans les programmes de dépistage du cancer du sein dont la qualité est assurée et qui prévoient l'utilisation universelle de la mammographie numérique et l'excision assistée par aspiration des lésions indéterminées ; ces protocoles de surveillance devraient être revus.
- Il n'a pas été démontré que l'ablation chirurgicale des atypies était nécessaire pour éviter les cancers manqués ; l'excision assistée par aspiration semble être aussi sûre que l'excision chirurgicale dans la prise en charge des atypies."

Des recommandations fondées sur ces nouvelles données doivent être envisagées.

Recommandations fondées sur des données probantes concernant la prise en charge des atypies dans le dépistage du cancer du sein : perspectives d'une réunion de consensus d'un groupe d'experts examinant les résultats du projet Sloane Atypia

British Journal of Radiology, Volume 97, Issue 1154, February 2024, Pages 324–330, https://doi.org/10.1093/bjr/tqad053

Karoline Freeman, PhD,  Alice Mansbridge, BSc,  Hilary Stobart, MSc,  Karen Clements, BSc, Matthew G Wallis, MBChB,  Sarah E Pinder, MBChB,  Olive Kearins, MSc, Abeer M Shaaban, MBBCh, MSc, PhD,  Cliona C Kirwan, MBBS, BSc, PhD, Louise S Wilkinson, BMBCh,  Sharon Webb, MPH,  Emma O’Sullivan, BSc, Jacquie Jenkins, MSc,  Suzanne Wright, PhD,  Kathryn Taylor, DCR, MSc, Claire Bailey, BNurs,  Chris Holcombe, MD,  Lynda Wyld, BMedSci, MBChB, PhD, Kim Edwards, MBBCh, DMRD,  David J Jenkinson, PhD,  Nisha Sharma, MRCP, Elena Provenzano, MB BS, PhD,  Bridget Hilton, BSc,  Nigel Stallard, PhD, Alastair M Thompson, BSc, MBChB, MD, Sian Taylor-Phillips, PhD on behalf of the Sloane Project Steering Group

Une réunion de consensus d'une demi-journée a été organisée ; elle réunissait 11 experts cliniques, un représentant de 'l'Independent Cancer Patients Voice', six représentants du NHS England, et deux chercheurs ; cette réunion a permis des discussions sur les résultats de l' analyse du projet Sloane Atypia, étude dont nous venons de parler plus haut, afin de re-considérer les lignes directrices et les conduites à tenir existantes.

Jusqu'à présent, expliquent les auteurs, " Les lignes directrices étaient basées sur les preuves existantes sur les taux de reclassification en « cancer » lors de l'excision, et sur le risque de cancer à long terme. Cependant, aucune preuve de l'efficacité de la mammographie de surveillance régulière à court terme n'était disponible et les lignes directrices incluaient un commentaire indiquant que cela devrait être modifié lorsque "davantage de données et de directives nationales seront disponibles".
Ce qui est maintenant le cas.

RECOMMANDATIONS REVUES POUR LES FEMMES AU ROYAUME UNI

Le groupe a décidé à une majorité de 17/19 (89,5 %, une personne ayant quitté le groupe) sur les données actuelles, que la mammographie de surveillance annuelle pendant les cinq premières années n'est pas bénéfique pour les femmes présentant des atypies, quel que soit le type d'atypie ou l'âge de la femme.

Le groupe recommande que les femmes présentant des atypies détectées au dépistage puissent se voir proposer un dépistage systématique tous les trois ans (comme cela est pratiqué pour la population des femmes âgées de 50 à 70 ans  au Royaume Uni), avec un message clair indiquant qu'elles n'avaient pas un cancer, et que leur prise en charge devait donc être la même que pour celles qui n'avaient pas d'atypie.

SITUATION EN FRANCE

Nous espérons grandement que les recommandations françaises évoluent aussi sagement vers une désescalade des suivis.
Voilà pour l'instant ce qui est préconisé par l'Institut National du Cancer et la Haute Autorité de Santé :

Au delà d'amoindrir ce suivi mammographique annuel prévu pendant 10 ans en France (seulement 5 ans en Angleterre jusqu'à présent), d'amenuiser les risques qui en découlent (irradiation, surdiagnostics), il s'agirait aussi de réduire l'anxiété liée à ce suivi excessif, et de libérer ces femmes de l'étiquette "femme à haut risque".

Les recommandations de la HAS de 2019 concernant les "modalités spécifiques de dépistage pour les femmes à haut risque", sont basées sur la recommandation de 2014, avec en bibliographie une note de cadrage datant, elle, de 2011 ; on ne peut pas dire que les sources soient très récentes.

Il est grand temps de moderniser tout cela, et, évidemment, de fournir aux femmes une information claire sur le surdiagnostic galopant et les surtraitements, qui surviennent à cause du dépistage lui-même, selon les demandes  de la concertations citoyenne de 2016, ce qui est soigneusement resté lettre morte jusqu'à présent.

Opinion libre, Dr Cécile Bour, radiologue

Je me permets ici quelques considérations personnelles, issues de ma propre pratique et des constatations que j'ai pu accumuler, ayant suivi de près ce dépistage depuis sa genèse et sa généralisation en 2004 en tant que jeune radiologue installée, jusqu'à l'aboutissement de nos jours, à un âge où ma carrière vient toucher à sa fin.

Il convient de rappeler, encore et toujours, que le but premier d'un dépistage n'est pas de récolter des lésions à foison, n'est pas de trouver un maximum de choses, mais d'en tirer des bénéfices de trois sortes :
réduire la mortalité par la maladie,
diminuer le nombre des formes avancées de cancer du sein,
alléger les traitements en faisant reculer les mastectomies totales et les traitements les plus lourds.

L’effet sur la mortalité par cancer du sein est non démontré (selon diverses hypothèses et diverses méta-analyse, il faudrait, en gros, suivre 700 à 2 500 femmes pendant quatorze ans à 20 ans pour trouver un seul décès évité). En parallèle :
Les diagnostics en excès, appelés les surdiagnostics, selon les évaluations les plus pessimistes atteignent 30 à 50 %.
les cancers de l’intervalle, malgré tous les efforts de détection précoce, qui sont les plus néfastes et agressifs, représentent toujours un tiers des cas de cancers .
* les traitements agressifs sont en augmentation. (Environ 30 à 35% de chimio- et radiothérapies en plus. Les procédures chirurgicales ne diminuent en rien, au contraire).

À partir, déjà des années 1990, au fur et à mesure que se développe le dépistage, on observe une flambée de cancers canalaires in situ.
Cet accroissement spectaculaire du nombre de cancers in situ diagnostiqués est signalé déjà en 1996 par Virginia Ernster, une épidémiologiste de l’université de Californie, San Francisco (ernster vl, Barclay J et al. Incidence of and treatment for ductal carcinoma in situ of the breast. JAMA. 1996 Mar 27;275(12):913-8. )

Les atypies et lésions frontières sont mises en évidence déjà par Nielsen ce que relate une méta-analyse d'études d'autopsies, sur 13 études  de 10 pays différents, sur 6 décades (de 1948 à 2010), incluant  2363 autopsies avec 99 cas de cancers dits "incidentalomes" (cancers de découverte fortuite), de lésions précancéreuses, de cancers in situ et d'hyperplasies atypiques, mais parallèlement peu de cancers invasifs.

Deux études apportent elles aussi une lumière sur ces lésions et sur le fait que leur présence dans le sein est fréquente, sans que la vie des femmes soit impactée : l’étude de Nashville au Tennessee (page Dl, dupont WD et al. Continued local recurrence of carcinoma 15-25 years after a diagnosis of low grade ductal carcinoma in situ of the breast treated only by biopsy. Cancer. 1995 Oct 1;76(7):1197-200. ), et l’étude de Bologne en Italie (euseBi v, FoscHini mp et al. Long-term follow-up of in situ carcinoma of the breast. Seminars in Diagnostic Pathology. 1989;6(2):165-173. )

Elles relatent les cas de femmes pour qui le diagnostic de carcinome in situ a été fait avec un retard de dix à vingt ans. Lors de la première lecture effectuée des biopsies, faite dans les années 1950 pour l'une et en 1960 pour l'autre étude, les lésions avaient été classées bénignes.
Les femmes n’avaient donc pas été traitées.
Mais après la relecture plus récente ensuite de ces mêmes biopsies, il s’est avéré que ces femmes étaient en fait bel et bien porteuses d’un cancer in situ.
Comment ces cancers qui avaient échappé à la vigilance des médecins ont-ils évolué ? Parmi les femmes du Tennessee, dix ans plus tard, 25 % d'entre elles, vivantes, avaient un cancer invasif et parmi les Italiennes, vingt ans plus tard, 11 % avaient un cancer invasif, ce qui revient à dire que respectivement 75 % et 89 % de ces femmes porteuses d’un carcinome in situ n’avaient PAS développé de cancer invasif.

On peut bien sûr objecter que c'est dommage pour la majorité de femmes porteuses d’un cancer in situ de se voir traitées inutilement pour sauver la petite minorité avec CIS et qui, elle, va présenter un cancer invasif. Mais que c'est un dommage somme toute acceptable.
Si cela était bien le cas et que les traitements des CIS étaient bénéfiques, on observerait chez les femmes dépistées une diminution des formes les plus graves de cancers et une baisse drastique de la mortalité par cancer du sein. Or, cela ne se produit pas.

Une étude très récente démontre que les dépistages ne prolongent pas la durée de la vie.
L'étude de Toronto montre que traiter les cancers canalaires in situ ne réduit pas la mortalité par cancer du sein, et que la prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduit pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

Le diagnostic par dépistage d’un cancer in situ impacte profondément la qualité de la vie des femmes, qui, non informées de ces potentiels dangers auxquels le dépistage les expose, subissent toujours des traitements agressifs et une profonde angoisse de maladie sans bénéfice prouvé.

Où en sommes-nous à présent ?

Nous essayons de "rattraper le coup". On s'est fourvoyés, on a promis l'impossible aux femmes et comme ce Titanic de dépistage ne peut plus faire marche arrière, alors nous essayons de lui lancer quelques bouées de sauvetage en tentant, tant bien que mal, de limiter les dégâts et de prôner une désescalade thérapeutique.
Mais nous poussons le cynisme à faire cela "en accord avec la patiente", en lui donnant la possibilité de faire sa "propre décision". Alors oui c'est très bien et très moderne la décision partagée, nous-mêmes militons pour, car qui pourrait être contre.
Mais finalement, après avoir terrorisé les femmes pendant des décennies sur la possibilité de contracter un cancer du sein si on relâchait ne serait-ce qu'un tantinet la pression, après leur avoir corné que chaque minute compte, qu'il ne faut pas laisser la moindre petite cellule dégradée dans un sein, là maintenant on freine des quatre fers pour réduire nos traitements abusifs, et nous faisons peser tout le poids de la décision que la femme estimera toujours lourde de conséquences sur ses épaules, à elle.
Les interrogations "ai-je bien fait?" lui pèseront comme une épée de Damoclès toute sa vie durant, et de contrôle en contrôle.
Nous ne pourrons pas, en rien, avec cette désescalade thérapeutique que nous appelons de nos voeux, pour autant soulager les femmes d'une angoisse mortelle, nous avons juste lâchement glissé la responsabilité du terrain du médecin vers celui de la femme.

Cela au lieu d'avoir le courage, tous, d'avouer aux femmes que les campagnes de dépistage ont été instaurées trop vite, trop tôt, sans preuve suffisante, qu'on a fait fausse route, qu'on s'est plantés, qu'il n'y a pas de perte de chance réelle à ne pas aller au dépistage, qu'on peut faire sans, que finalement plus on avance, et plus on bidouille, plus on change notre "cuisine thérapeutique" sans parvenir à bout du cancer tueur, le seul qu'il nous fallait juguler, ce que le dépistage a complètement échoué à faire.

Je trouve cette lâcheté et ce culot à faire tout peser sur les épaules des femmes d'un cynisme confondant.

Article connexe : Changer le discours sur le carcinome canalaire in situ et le risque de cancer du sein

Nous avons maintes fois parlé du cas particulier du carcinome in situ (CIS), considéré comme un non-cancer, ou comme un cancer "stade 0", à ce point qu'il n'est pas comptabilisé dans les chiffres des nouveaux cas de cancers du sein dans les statistiques des instituts surveillant l'épidémiologie des maladies, ni par l'Institut National du Cancer.
Certains scientifiques pensent qu'il faudrait le "débaptiser", et ne plus le nommer "carcinome". Il est davantage considéré actuellement comme un facteur de risque non obligatoire de faire un cancer du sein ultérieur.
Il faut changer le discours sur cette entité particulière, et re-considérer le risque auquel il exposerait les femmes de cancer invasif, et de ce fait changer aussi les attitudes de suivi et les préconisations thérapeutiques.
Même démarche à faire, en somme, que pour les atypies, en tous cas pour aller au final vers une désescalade thérapeutique, et une vision moins affolante pour les femmes sur leur état de "malade".

C'est ce qui ressort de cette publication d'octobre 2023, que nous vous traduisons ci-dessous, et qui donne les résultats d'un travail de recherche, appelé PRECISION. Le but de ce projet de recherche est de savoir comment le CIS à faible risque diffère du CIS à plus haut risque, pour aider les femmes à mieux adapter les traitements et éviter les surtraitements.

L'article :

En ce mois de sensibilisation au cancer du sein, les nouvelles découvertes de l'équipe PRECISION du Cancer Grand Challenges montrent que le développement d'un cancer du sein à partir d'un CCIS est un événement rare et soulignent le besoin urgent de marqueurs pronostiques précis pour lutter contre le surtraitement du CCIS.

En 2015, Cancer Grand Challenges a lancé le défi Cancers létaux et non létaux dans le but de trouver des moyens de distinguer les cancers létaux qui doivent être traités des cancers non létaux qui ne doivent pas l'être. Depuis 2017, l'équipe PRECISION, dirigée par le professeur Jelle Wesseling de l'Institut néerlandais du cancer (NKI), relève ce défi dans le cas du carcinome canalaire in situ ( CCIS).

Le CCIS est caractérisé par la présence de cellules anormales dans les canaux lactifères du sein. Par définition, ces cellules anormales ne sont pas invasives, mais dans un petit nombre de cas, elles peuvent se transformer en cancer du sein invasif ipsilatéral (même sein).
Bien que le risque d'évolution vers un cancer du sein soit faible, le CCIS est souvent considéré comme un cancer du sein précoce et donc traité comme tel. Une partie des efforts de PRECISION a consisté à affiner cette description.
Dans une nouvelle étude multinationale portant sur plus de 47 000 femmes atteintes de CCIS aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux États-Unis, publiée dans le British Medical Journal, l'équipe a rapporté que l'incidence cumulée sur 10 ans du cancer du sein invasif ipsilatéral après un CCIS était de 3,2 %.
"Je pense que notre résultat le plus important est que le cancer invasif ipsilatéral après un CCIS est vraiment un événement rare et qu'il est donc d'autant plus important de déterminer qui sont les femmes à risque. Le CCIS en lui-même ne met pas la vie en danger et nous ne voulons pas traiter toutes les femmes de manière intensive et inutile", déclare le professeur Marjanka Schmidt du NKI, co-chercheur dans PRECISION et auteur principal de l'article.

Cette découverte s'inscrit dans le cadre d'une étude visant à déterminer l'association entre la taille du CCIS et l'état de la marge avec le risque de développer un cancer du sein invasif dans le côté ipsilatéral. Ces deux facteurs cliniques sont souvent utilisés en clinique pour stratifier le risque de lésions CCIS et déterminer la marche à suivre pour le traitement.
Actuellement, le traitement est généralement recommandé pour toutes les femmes atteintes de CCIS et peut inclure la chirurgie, la radiothérapie et l'hormonothérapie. Les médecins peuvent utiliser le grade du CCIS pour décider de la meilleure approche thérapeutique.
Mais dans la plupart des cas, les femmes auront subi un traitement pour un CCIS qui n'aurait pas évolué en cancer. Pour réduire le fardeau du surtraitement, il est urgent de trouver des moyens de distinguer les cas de CCIS qui présentent un risque élevé d'évoluer vers un cancer du sein invasif de ceux qui présentent un risque faible.

L'équipe a combiné les données de quatre cohortes de patientes - une des Pays-Bas, une du Royaume-Uni et deux des États-Unis - comprenant 47 695 femmes diagnostiquées avec un CCIS entre 1999 et 2017 et ayant subi soit une chirurgie conservatrice du sein, soit une mastectomie, souvent suivie d'une radiothérapie ou d'un traitement hormonal, soit les deux.
Ils n'ont trouvé qu'une faible relation entre la taille du CCIS et l'état des marges et le risque de cancer du sein invasif ultérieur dans le même sein, concluant que les caractéristiques cliniques telles que celles-ci étaient limitées dans la discrimination entre les CCIS à faible risque et à haut risque.
"Nous avons conclu que ces associations ne sont pas suffisamment importantes pour guider, dans la pratique clinique, les décisions concernant les personnes à traiter et celles à ne pas traiter", déclare Marjanka.

Cette étude est la plus importante du genre à ce jour pour explorer la valeur des facteurs de risque pronostiques après un CCIS. Elle a été rendue possible grâce aux collaborations internationales établies entre les groupes de recherche de PRECISION et au financement à grande échelle de l'initiative "Cancer Grand Challenges".
"En combinant et en comparant les différentes cohortes de patients, nous avons constaté que le risque de cancer du sein invasif ultérieur dans le même sein est très similaire au Royaume-Uni, aux États-Unis et aux Pays-Bas, et que d'autres variables cliniques sont également très comparables. Bien que les cohortes aient été constituées de manière différente et que les traitements soient quelque peu différents d'un pays à l'autre, les risques réels pour les femmes sont très similaires", ajoute le Dr Esther Lips du NKI, co-chercheur de PRECISION et auteur principal de l'article.

Souligner la nécessité de relever le défi des cancers létaux ou non létaux

L'objectif du défi "Cancers létaux ou non létaux" était d'identifier les changements qui distinguent une tumeur non létale d'une tumeur potentiellement létale, puis de déterminer comment ces changements peuvent être détectés avec précision.
Les travaux de l'équipe PRECISION soulignent la nécessité de relever ce défi dans le cas du CCIS et soulèvent des considérations importantes pour la gestion clinique du CCIS.
"Tout ce que nous savions sur le CCIS dans la pratique quotidienne avant PRECISION était largement basé sur des séries relativement petites, souvent biaisées, qui ne pouvaient pas avoir l'impact nécessaire pour informer les lignes directrices dans la clinique", déclare Jelle.
"Tout en voulant préserver les excellents résultats des traitements pour les femmes présentant un CCIS à haut risque, nous devons savoir exactement quelles sont les femmes qui courent un risque élevé. Je pense que cet article montre que certains facteurs clés utilisés en clinique, tels que la taille et l'état des marges, ne sont en fait pas vraiment indicatifs du risque. Même s'ils font une légère différence, ils n'ont pas d'utilité clinique".

Parallèlement à la recherche de l'équipe, le travail collaboratif de l'équipe PRECISION a suscité d'importantes conversations au-delà des frontières nationales entre les chercheurs, les défenseurs des patients et les cliniciens sur la définition du CCIS et la sensibilisation au risque de cancer du sein.
La compréhension du risque est particulièrement importante pour les femmes atteintes d'un CCIS qui sont confrontées à la décision de poursuivre ou non le traitement.
"Les femmes ont besoin de beaucoup plus d'informations sur leurs risques individuels futurs avant de prendre des décisions de traitement, mais le dilemme est que les cliniciens et les scientifiques ne peuvent toujours pas distinguer en toute sécurité quel CCIS évoluera et lequel n'évoluera pas", déclare Hilary Stobart, une représentante des patientes au sein de l'équipe.
"L'équipe internationale PRECISION travaille d'arrache-pied pour résoudre ce dilemme en collaborant à la recherche d'une combinaison de biomarqueurs qui permettra de distinguer en toute sécurité les femmes dont le CCIS doit être traité de celles qui n'en ont pas besoin. Cette vaste étude internationale en conditions réelles constitue une étape importante vers cet objectif, afin que les femmes et leurs cliniciens puissent prendre des décisions éclairées en matière de traitement et éviter éventuellement un surtraitement. Ce fut un grand privilège pour moi de défendre les intérêts des patientes en travaillant avec l'équipe de PRECISION".

Les résultats soulignent le besoin de nouveaux marqueurs pronostiques, et PRECISION a exploré plusieurs pistes dans le but de trouver des marqueurs biologiques qui peuvent être utilisés comme outils pour évaluer le risque de cancer du sein après un diagnostic de CCIS.

L'équipe PRECISION est financée par Cancer Research UK et la KWF Dutch Cancer Society.
"Au sein d'une équipe pluridisciplinaire, PRECISION tente d'identifier les facteurs de risque permettant de prédire si une femme atteinte d'un CCIS a besoin d'un traitement ou non. La possibilité d'adapter les traitements au risque individuel, dans le but d'éviter le surtraitement, s'inscrit parfaitement dans les objectifs principaux de la KWF, à savoir stimuler un meilleur traitement pour chaque type de cancer et viser une meilleure qualité de vie pour les patients", déclare Carla van Gils, directrice de la KWF Dutch Cancer Society.

Lire l'article complet dans le British Medical Journal.

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Cancer du sein invasif et décès par cancer du sein après carcinome canalaire in situ

Synthèse et traduction par Cancer Rose, 30/01/2024

Cancer du sein invasif et décès par cancer du sein après un carcinome canalaire in situ détecté sans dépistage, de 1990 à 2018 en Angleterre

https://www.bmj.com/content/384/bmj-2023-075498

Il s'agit d'une étude de cohorte basée sur la population sur les données du Registre National des maladies, sur toutes les 27 543 femmes en Angleterre qui ont reçu un diagnostic de carcinome canalaire in situ (CIS), et en dehors du programme de dépistage du cancer du sein, de 1990 à 2018.

Le carcinome in situ (CIS) du sein est appelé ainsi car il est défini par la prolifération de cellules cancéreuses à l’intérieur d’un canal galactophore sans que les cellules ne dépassent la paroi du canal pour envahir le reste du sein, au contraire du carcinome invasif.

Objectifs de l'étude:

Évaluer les risques à long terme de cancer du sein invasif et de décès liés au cancer du sein après un carcinome canalaire in situ non détecté.
Les risques ont été comparés pour les femmes de la population générale et pour les femmes diagnostiquées avec un carcinome canalaire in situ via le programme de dépistage.

Résultats et conclusion de l'étude

Au 31 décembre 2018, 3651 femmes présentant un carcinome canalaire (CIS) non détecté ont développé un cancer du sein invasif, soit plus de quatre fois le taux national attendu d’incidence du cancer du sein invasif.

Dans l'étude, pendant au moins 25 ans après leur diagnostic, les femmes présentant un carcinome canalaire non détecté in situ présentaient des risques de carcinome invasif et de décès par cancer du sein à long terme plus élevés que les femmes de la population générale.
Elles présentaient aussi des risques à long terme plus élevés que les femmes présentant un carcinome canalaire in situ dépisté.

La mastectomie était associée à des risques plus faibles de cancer du sein invasif que la chirurgie conservatrice du sein, même accompagnée de radiothérapie. Cependant, les risques de décès par cancer du sein semblaient similaires pour la mastectomie, la chirurgie conservatrice du sein avec radiothérapie et la chirurgie conservatrice du sein sans radiothérapie enregistrée.

Deux questions majeures que pose l'étude

1- Faut-il s'étonner que les femmes avec un CIS diagnostiqué hors dépistage ont un risque considérablement accru (x 4) de développer par la suite un cancer invasif et d'en décéder ?

Arnaud Chiolero, professeur de santé publique du Laboratoire de santé des populations à l' Université de Fribourg, (Suisse), et de l'École des populations et de la santé mondiale, Université McGill, Montréal, Canada, répond à l'article.

" Faut-il s'étonner que le carcinome canalaire in situ (CCIS) du sein non détecté lors du dépistage entraîne un risque relativement élevé de mortalité par cancer du sein ? Pas vraiment.
Par analogie avec le risque de mortalité plus élevé des cancers du sein invasifs d'intervalle - c'est-à-dire les cancers détectés entre les examens de dépistage - et en comparaison avec les cancers invasifs détectés par dépistage on s'attend à ce que le CCIS détecté par dépistage et non détecté par dépistage présente un contraste de risque analogue.
C'est le résultat, du moins en partie, du biais de lenteur d’évolution (ou biais de sélection des cas de meilleur pronostic ou "length time bias").
Cela s'explique également par le fait que les cas dépistés et non dépistés proviennent de sous-populations différentes."

Ce qui est expliqué là signifie que le dépistage a tendance à sélectionner les cancers de meilleurs pronostic. Les cancers à évolution rapide, de moins bon pronostic, invasifs ou in situ, apparaissent souvent dans "l'intervalle", c'est à dire entre deux mammographies, ce sont des cancers non dépistés.
Selon A. Chiolero, le sur-risque auquel un cancer d'intervalle invasif expose une femme est à mettre en parallèle avec un sur-risque qu'on constatera pour un cancer in situ d'intervalle, de façon analogue.

Ce cancer d'intervalle auquel A.Chiolero fait allusion est par définition un cancer qui n’était pas là lors de l’examen mammographique, ou qui y a échappé.
Ces tumeurs sont de stade plus avancé et à caractéristiques biologiques d'emblée, structurellement, plus défavorables que les cancers détectés par mammographie.
Ils ne sont pas issus de cancers de stade plus bas, mais proviennent d'une sous-population de cellules d'emblée plus agressives.

En effet, 43 % (41/96) des cancers d'intervalle sont des tumeurs primaires de stade 2 ou plus, contre seulement 12 % (139/1136) des cancers du sein détectés par dépistage (p < 0,001).
Par rapport aux cancers détectés par dépistage, les cancers d'intervalle peuvent être in situ, mais sont plus souvent des cancers invasifs que des carcinomes canalaires in situ (88 % contre 75 %, p = 0,007.
(Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/02/20/cancers-dintervalle-incidentalomes-les-perdants-des-depistages/ )

Le fait-même d'avoir eu un carcinome in situ est considéré comme facteur de risque 'non obligatoire' de cancer du sein invasif. Ces populations de femmes avec antécédent de carcinome in situ sont, de façon connue, plus à risque de refaire soit un in situ, soit un invasif, et probablement davantage encore lorsqu'elles ont connu une forme de CIS échappant au dépistage.

Comme le formule Dr V.Robert, notre statisticien, ce constat "n'est pas un scoop, Il y a longtemps qu'on sait que le fait d'avoir fait un 1er épisode de cancer du sein témoigne de l'existence de facteurs de risque et augmente la probabilité de faire de nouveaux épisodes. Et ces nouveaux épisodes ne seront pas forcément eux aussi des CIS."

2-Deuxième question, plus importante encore à poser : devons-nous considérer que le dépistage du cancer du sein échoue parce qu'il n'identifie pas ces cas ?

A nouveau professeur Chiolero y répond :

"... Devons-nous considérer que le dépistage du cancer du sein échoue parce qu'il n'identifie pas ces cas ? Non.
Le véritable objectif du dépistage du cancer n'est ni de trouver des cas ni d'établir un diagnostic précoce ; il est de réduire la mortalité liée au cancer.
La découverte d'un plus grand nombre de cas, à un stade précoce, résulte du dépistage mais n'est pas utile en soi. Par conséquent, si de nombreux dépistages, par exemple du cancer de la thyroïde ou du mélanome, augmentent le nombre de cas identifiés et modifient la distribution en faveur des cancers à un stade précoce, ils ne réduisent pas la mortalité par cancer - et c'est pourquoi ils ne sont pas recommandés.

Il serait possible, et relativement simple, de relever le nombre de cas détectés par le dépistage en augmentant la fréquence des examens, par exemple en passant d'un examen tous les deux ou trois ans à un examen annuel. Le coût, cependant, sera un plus grand nombre de faux positifs et de cas surdiagnostiqués, sans pour autant réduire davantage la mortalité par cancer du sein."

Le carcinome in situ possède un très bon pronostic comparé au carcinome invasif, il est de stade de malignité moindre.
la plupart des CIS sont considérés, comme dit plus haut, comme des lésions- précurseurs non obligatoires du cancer invasif ; paradoxalement l’augmentation spectaculaire de leur détection suivie de leur ablation chirurgicale n’a pas été suivie de baisses proportionnelles de l’incidence des cancers invasifs. Et leur hyper-détection par la multiplication des dépistages n'a pas réduit la mortalité par cancer du sein.

Comme le résume Dr Robert :
"Prétendre que les réductions de risque observées dans l'étude sont dues au fait que le CIS a été découvert par dépistage, c'est prêter au dépistage des vertus préventives qu'il n'a pas et ne peut pas avoir (la mammographie de dépistage n'évite pas le cancer, elle en fait le diagnostic plus tôt)."
Or, comme le souligne Pr Chiolero, le but premier d'un dépistage est avant tout de réduire la mortalité par la maladie.

De ces interrogations en résulte une troisième : comment expliquer les réductions de risque observées dans l'étude ?

Ou autrement dit comment expliquer le sur-risque de cancer du sein en cas de CIS non détecté ?
Comme on l'a vu plus haut, les cancers découverts dans l'intervalle, donc loupés par le dépistage, sont d'emblée à caractéristiques plus péjoratives, et exposent à un risque accru.

On peut rajouter une autre explication que donne Dr Robert :

" Comme il ne s'agit pas d'une étude randomisée, les groupes ne sont pas comparables. Les femmes avec CIS non diagnostiqués par le dépistage n'ont pas les mêmes facteurs de risque que les femmes avec CIS diagnostiqués par le dépistage.
Dans un pays où plus de 70% des femmes concernées participent au dépistage sur invitation, les 30% de femmes qui ne participent pas ont très vraisemblablement des profils socioculturels différents des autres femmes et ces profils différents pourraient très bien expliquer un risque accru de cancers invasifs (soit plus de risque de cancers, soit plus de risque de le diagnostiquer à un stade invasif) et de décès."

Pour conclure

Il n'est pas étonnant que les femmes ayant un antécédent de carcinome in situ aient davantage de risques de carcinome invasif, il est connu que le fait d'avoir eu un "in situ" constitue un potentiel facteur de risque de connaître un "vrai" cancer du sein ultérieurement.
Depuis une étude de l'université de Toronto on sait que le traitement des CIS ne fait pas de différence sur la survie des femmes et n'a pas permis de réduire la mortalité par cancer du sein invasif.

Les cancers se manifestant hors dépistage sont souvent de stade plus avancé, car le dépistage recrute de façon préférentielle les cancers de bas stade, et pas ceux de stade plus évolué qu'ils soient invasifs ou in situ, car ces cancers échappent au dépistage, sont d'emblée plus agressifs et se manifestent souvent dans l'intervalle de deux mammographies.
Ces cancers évoluant hors dépistage exposent certainement à un sur-risque de cancer invasif et de risque décès.

Le but d'un dépistage n'est pas de recruter toujours plus de ces lésions "in situ", qui sont globalement de pronostic meilleur et de stade de malignité moindre que les invasifs, de par le fait qu'ils ne franchissement pas la membrane des canaux du sein.
Le but d'un dépistage est de réduire la mortalité par cancer de façon drastique, et aucune étude récente ne parvient à démontrer cela en matière de cancer du sein.

Les réponses d'autres scientifiques à l'article

Dr Vincent Robert, statisticien du groupe Cancer Rose

Mannu et al. (1) ont publié un article évaluant les risques de cancer du sein invasif et de décès par cancer du sein après découverte, en dehors du dépistage, d’un carcinome canalaire in situ (DCIS). L’étude confirme que les risques de cancer invasif et de décès sont fortement augmentés, multipliés par 4 par rapport à la population générale, après un 1er épisode de DCIS non découvert par mammographie de dépistage dans le cadre du programme de dépistage du NHS.

L’étude compare également les risques de cancer du sein invasif et de décès par cancer du sein chez les femmes ayant eu un DCIS découvert en dehors du dépistage et chez les femmes ayant eu un DCIS découvert à l’occasion du dépistage. Ces risques sont significativement augmentés lorsque le DCIS a été découvert en dehors du dépistage.

Pour éviter toute erreur d’interprétation, il est important de rappeler pourquoi ces résultats, intéressants pour organiser au mieux la surveillance après un 1er épisode de DCIS, ne permettent aucune conclusion sur l’efficacité du dépistage.
Il s’agit d’une étude observationnelle et, en l’absence de randomisation et d’informations sur les facteurs de risque de cancer du sein et de décès par cancer du sein, une répartition équilibrée de ces facteurs de risque entre les groupes dépistés et non dépistés n’est pas garantie.

La comparaison ne porte pas sur des DCIS dépistés versus des DCIS non dépistés. La comparaison concerne en fait, d’un côté, des DCIS découverts à l’occasion du dépistage sur invitation dans le cadre du programme de dépistage du NHS, et, de l’autre côté, des DCIS découverts en dehors de tout dépistage, plus des DCIS découverts à l’occasion d’un dépistage hors programme du NHS, plus des DCIS découverts durant l’intervalle entre 2 dépistages chez des femmes participant au dépistage du NHS.
Ainsi, la fréquence plus élevée des récurrences et des décès après DCIS « non dépistés » pourraient s’expliquer par des facteurs de risque plus élevés chez les femmes dépistées en dehors du programme du NHS et chez les femmes avec un DCIS de l’intervalle, plutôt que par l’efficacité du dépistage.

A juste titre, les auteurs se gardent bien de tirer de leur étude toute conclusion sur l’efficacité du dépistage et il convient de respecter cette prudence.

1. Mannu GS, Wang Z, Dodwell D, Broggio J, Charman J, Darby SC. Invasive breast cancer and breast cancer death after non-screen detected ductal carcinoma in situ from 1990 to 2018 in England: population based cohort study. BMJ 2024; 384:e075498

Hazel Thornton, Independent Citizen Advocate for Quality in Research and Healthcare ,University of Leicester (Hon. DSc. (Leicester)) Colchester

Richard Smith se demande [dans son blog non médical du 29 janvier] si la complexité de la question du carcinome canalaire in situ (CCIS) s'est améliorée depuis 2011, date à laquelle il a assisté à une conférence à Édimbourg qui traitait de ce sujet[1]. [Je partage ses doutes quant à l'amélioration de la situation. Je dirais même que c'est pire. L'étude rapportée par Mannu et ses collègues renforce cette conclusion[2] Les incertitudes continuent d'augmenter en ce qui concerne la prise de décision, les meilleurs traitements, sa pathologie, son potentiel de progression, etc.

Arnaud Chiolero, professeur de santé publique et épidémiologiste à Fribourg (Suisse), explique de manière concise et claire pourquoi il n'est pas utile de détecter le cancer à un stade précoce et pourquoi les conclusions de Mannu et de ses collègues ne sont pas surprenantes. [3]

Inévitablement, le processus décisionnel des professionnels de la santé et des citoyens est tout aussi nébuleux - si ce n'est plus - qu'il l'a été depuis l'introduction du programme de dépistage mammographique, car toute cette activité préjudiciable, produisant ces citoyens iatrogènes devenus patients, n'a que peu ou pas d'effet sur l'objectif du dépistage du cancer du sein, qui est de réduire la mortalité liée au cancer. La Suisse, par exemple, a sagement mis fin à cette pratique en 2016[4]. [4]

Imaginez le nombre considérable d'heures-femmes libérées de cette anxiété particulière si le Royaume-Uni faisait de même ! Sans parler des ressources du NHS qui pourraient être utilisées à bien meilleur escient pour soigner les malades au lieu que de laisser les milliers de femmes étiquetées inutilement " cancéreuses " porter le fardeau trop longtemps, avec tous ses effets néfastes, si nous suivions l'exemple de la Suisse !

[1] Richard Smith. Communicating with patients about ductal carcinoma in situ: confusing for all. 31st January 2024. https://blogs.bmj.com/bmj/2011/09/07/richard-smith-communicating-with-pa...

[2] Mannu GS, Wang Z, Dodwell D, Broggio J, Charman J, Darby SC. Invasive breast cancer and breast cancer death after non-screen detected ductal carcinoma in situ from 1990 to 2018 in England: population-based cohort study. BMJ 2024; 384:e075498.

[3] Arnaud Chiolero. Finding all cases not the role of cancer screening. BMJ rapid response 28th January 2024. https://www.bmj.com/content/384/bmj.q22/rr

[4] Shelley Lane. Mammography Screening is being abolished in Switzerland. October 16 2016. https://www.beaconthermography.com/resources/2016/10/16/mammography-scre...

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Réduction de mortalité imputable au dépistage ? On en reparle

Publication JAMA

Synthèse par Cancer Rose, 18/01/2024

Question

Quelles sont les associations entre dépistage du cancer du sein, traitement du cancer du sein de stade I à III et traitement du cancer du sein métastatique avec l’amélioration de la mortalité par cancer du sein aux États-Unis entre 1975 et 2019?

Résultats

Les améliorations du traitement et du dépistage après 1975 ont été associées à une réduction de 58 % de la mortalité par cancer du sein en 2019, passant d’environ 64 décès sans intervention à 27 pour 100 000 femmes (ajusté en fonction de l’âge). Environ 29 % de cette réduction était associée au traitement du cancer du sein métastatique, 25 % au dépistage et 47 % au traitement du cancer du sein de stade I à III.

Signification et conclusion

Sur la base de 4 modèles de simulation, le dépistage du cancer du sein, le traitement du cancer du sein de stade I à III et le traitement du cancer du sein métastatique ont été associés à une réduction de la mortalité par cancer du sein entre 1975 et 2019 aux États-Unis.

Limites et critiques

Selon les auteurs :

Cette étude comporte plusieurs limites.
Premièrement, l’exactitude du modèle dépend des hypothèses formulées, pour lesquelles les données exactes n’étaient pas toujours disponibles.
Deuxièmement, les modèles ne tenaient pas compte des disparités potentielles, par exemple, selon l’âge, la race et l’origine ethnique, dans la diffusion ou l’efficacité du dépistage et des traitements. Les disparités dans le dépistage du cancer du sein, ainsi que la rapidité et la qualité du traitement, peuvent contribuer aux taux différentiels de mortalité par cancer du sein.
Troisièmement, les coûts du traitement et leurs liens avec les résultats n’ont pas été inclus dans les modèles.

Critique Cancer Rose, par Dr V.Robert, statisticien

Il y a surtout au moins un problème majeur : l'estimation des réductions de mortalité est faite par rapport à la  mortalité sans intervention (en l'absence de dépistage et de chimiothérapie) estimée par les modèles .
Pour obtenir cette mortalité sans intervention en 2019, on applique la létalité de 1975 (avant dépistage et chimiothérapie, donc sans intervention) aux cancers de 2019 (le processus est un peu plus complexe mais ça revient à ça).
Comme l'incidence des cancers a augmenté, du fait du dépistage, cela conduit à une mortalité théorique en augmentation, passant de 48 décès / 100 000 (mortalité réelle sans
intervention) en 1975 à 65 décès / 100 000 (mortalité sans intervention estimée par le modèle) en 2019.
Le problème c'est que l'augmentation de l'incidence des cancers est essentiellement due au dépistage, donc pour une large part à des surdiagnostics dont la létalité est nulle. La
létalité modélisée de 1975 n'a donc aucun sens pour les cancers de 2019 qui comportent des surdiagnostics.

Une meta-analyse récemment publiée faisait état d'aucun gain en durée de vie par dépistages, ce qui posait des questions plus perturbantes sur la pertinence du maintien et surtout de la promotion des dépistages sans information auprès des populations-
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/10/17/pas-de-prolongement-de-la-duree-de-vie-grace-aux-depistages/

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Innovation ne rime pas avec progrès

8 décembre 2023, à propos d'un article publié dans le BMJ, traduction, synthèse et commentaires par Cancer Rose.

L'industrie du "Big Gene" au sein du NHS* - cela représente-t-il une bonne valeur ?

BMJ 2023; 383 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.p1921 (Published 01 December 2023)

Margaret McCartney, GP-https://www.bmj.com/content/383/bmj.p1921
Margaret Mary McCartney est médecin généraliste, rédactrice indépendante à Glasgow,( Écosse). Elle défend l'EBM, la médecine fondée sur les preuves, et elle est chroniqueuse au British Medical Journal.

*Le NHS est le National Health Service est le système de santé du Royaume-Uni ; il fournit l'essentiel des soins et c'est un système universel basé sur la résidence, financé par les impôts et d'accès gratuit pour tous les résidents légaux du Royaume-Uni.

Selon l'auteure, "la décennie écoulée a été principalement remplie d'idées qui semblent géniales, mais qui ne sont pas étayées par beaucoup de preuves."
Elle mentionne pour exemple le déploiement en médecine pour le triage des patients (lire ici), et "la mise en service du Programme national pour l'informatique (démantelé en 2011 après avoir coûté des milliards)" au pays.

l'ère du "Big Gene", le projet "Our Future Health" (OFH)

L'auteure écrit :

"Il se veut "le plus grand programme de recherche en santé jamais réalisé au Royaume-Uni", "conçu pour aider les gens à vivre plus longtemps en bonne santé grâce à la découverte et à l'expérimentation d'approches plus efficaces en matière de prévention, de détection plus précoce et de traitement des maladies".
Il est principalement financé par l'industrie des sciences de la vie, mais aussi par le gouvernement et les organisations caritatives. Le projet prévoit de recruter environ cinq millions de patients en soins primaires, qui subiront une prise de sang et un prélèvement d'ADN. Leur score de risque polygénique sera calculé et ils seront ensuite invités à participer à d'autres études. Celles-ci seront principalement menées par l'industrie, qui pourra faire accréditer ses propres systèmes pour stocker les données dépersonnalisées des participants."

Des interrogations de fond

"Nous avons besoin d'essais cliniques de haute qualité en médecine, mais nous devons également investir dans les projets de manière judicieuse. Peut-on raisonnablement s'attendre à ce que les scores de risque polygénique répondent aux objectifs du projet ? Il s'agit d'un dépistage, c'est-à-dire d'une intervention complexe dans laquelle un test n'est qu'une petite partie d'un processus plus large. Les scores de risque polygénique classent les personnes selon un risque plus ou moins élevé, mais il faut se rappeler les statistiques de base sur les valeurs prédictives."

Que sont les scores polygéniques ? Vous trouverez toutes les explications détaillées dans notre article ; les scores polygéniques examinent des milliers de variantes génétiques dans le génome d'une personne pour estimer son risque de développer une maladie spécifique.
C'est une analyse effectuée habituellement sur un prélèvement salivaire.
Chaque variant génétique a un effet sur le risque de développer une maladie pour un individu, mais en examinant toutes les variantes ensemble on espère et on pense pouvoir dire quelque chose de significatif sur le risque global, pour le porteur, de développer une maladie.
Mais ces scores auront toujours des limites pour prédire avec exactitude et ils soulèvent beaucoup de déceptions et de doutes dans la communauté scientifique qui appelle à ce que cliniciens et le public soient conscients de ces limites.

Dr MacCartney résume ici de façon on ne peut plus synthétique ces fameuses "statistiques de base sur les valeurs prédictives":
"plus on essaie de ne pas rater des personnes atteintes d'une maladie grave, plus il faut dépister de personnes ; plus il y a de personnes dépistées, plus il y a de faux positifs. En limitant le test aux personnes à haut risque, le nombre de faux positifs diminuera, mais comme les maladies se déclarent généralement dans le groupe plus large des personnes à faible risque, vous les manquerez également en grande partie. C'est pourquoi un dépistage efficace des maladies est exceptionnel : il fonctionne rarement assez bien pour faire plus de bien que de mal."

Une réflexion de fond sur les dépistages, sur les conséquences des tests multi-cancers et sur la nécessité de conduire des essais de grande envergure est conduite par Gilbert Welsch, oncologue américain, ici : "le dépistage sauve-t-il des vies? "
L'auteur y détaille les raisons biologiques qui font que les dépistages peuvent augmenter d'autres causes de décès, notamment par les surdétections qu'il engendre.
G.Welsch écrit : "Le dépistage a des effets négatifs sur beaucoup plus de personnes (plus de tests et de procédures, plus de fausses alertes et de surdiagnostics, et plus de chances de subir les effets toxiques financiers des paiements directs ou de l'augmentation des primes d'assurance maladie) qu'il ne pourrait en avoir de positifs.
La question cruciale est donc de savoir si les bénéfices pour quelques-uns sont suffisamment importants pour justifier les inconvénients qui en découlent pour le plus grand nombre."

Toujours plus de médecine, pour quels résultats ?

Les inconvénients sont les cascades d'examens qui vont découler des résultats de ces tests, il faudra orienter les patients "suspects" d'être porteurs de maladies vers toujours plus d'investigations, avec un effet anxiogène certain et pour des résultats souvent non-concluants. C'est ce que soulève Dr MacCartney :

"Il y a ensuite l'essai Galleri, dans lequel on analyse le sang des participants pour détecter une méthylation anormale de l'ADN, dans ce qui est décrit comme un "test de détection précoce multicancéreux". Toutefois, la suite donnée à ces informations est similaire : il s'agit à nouveau de stratifier le risque, les participants étant orientés vers des examens d'imagerie ou d'autres investigations pour détecter des "signaux de cancer".

Lorsque les faux positifs sont si fréquents, il ne s'agit pas seulement de l'argent dépensé pour le contrat ou des fausses promesses potentielles de projets surestimés, mais aussi du temps nécessaire pour gérer les retombées au sein du NHS.
La réalisation des scanners et les discussions sur les résultats des tests prendront énormément de temps au personnel, qui sera en concurrence avec des personnes présentant des symptômes et se morfondant sur des listes d'attente.

Bien que ces projets soient financés en grande partie par l'industrie, c'est le NHS qui devra ramasser les morceaux - est-ce que cela représente vraiment une bonne valeur pour le NHS ?"

En conclusion

Une grande majorité des dépistages aboutit à un échec en matière de réduction de mortalité globale et réduction des formes les plus graves des cancers.
De plus en plus de scientifiques, face à l'enthousiasme des laboratoires et d'une certaine presse alertent sur les risques auxquels trop d'innovation sans suffisamment d'essais cliniques nous exposent.
Nous aboutissons dans nos sociétés modernes à deux sortes de maladies : les maladies réelles vécues par le patient, avec symptômes précis et identifiées par le clinicien.
Et des maladies non vécues, mais détectées par un dépistage et définies comme maladies.

Mais dans ce deuxième cas on ne sait plus définir ce qu'est être 'malade'. Quand est-on malade ? Quand l'anatomo-pathologiste a trouvé sous son microscope une cellule cancéreuse ?  Un amas cellulaire cancéreux qui ne se manifestera peut-être jamais?

Le paradoxe est qu'avec un dépistage de masse de plus en plus de personnes sont déclarées "malades" sans l'être, et surtout traitées et "guéries" avant de n'avoir jamais été malade cliniquement. Et même d'une maladie qu'elles n'auraient jamais connue sans dépistage. Est-ce réellement le progrès ?

D'une part les traitements eux, peuvent rendre bel et bien malades, et d'autre part, la connaissance de leur "cancer" expose les personnes à un taux de suicide cinq fois plus élevé. L'annonce multiplie par 12 le risque de décès par accident cardio-vasculaire.
Avons-nous vraiment envie d'un futur où tout le monde sera "malade", de vivre dans un niveau d'angoisse jamais égalé, en raison de testings de plus en plus fréquents mais peu fiables qui ne fonctionnent pas aussi bien qu'annoncé ?

Même si les tests multi-cancers sont efficaces à trouver davantage de cancers ou de risques de cancers, le sont-ils suffisamment pour que cela en vaille la peine ?
Il faut toujours garder à l'esprit que les dépistages s'adressent à des personnes saines, qui ne se plaignent de rien.
Et garder à l'esprit aussi que dans le contexte actuel d'effondrement du système de santé, la surmédicalisation à outrance des populations entraîne de facto une sous-médicalisation ou au moins un plus difficile accès aux soins pour des personnes réellement malades.

Article connexe : https://cancer-rose.fr/2022/09/15/biopsie-liquides-le-graal-2/

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Instantané d’oncologie, interview de Steven Woloshin

Oncoinfo - Instantanés d'oncologie : http://oncoinfo.it

L'auteur

Steven Woloshin est codirecteur du Center for Medicine and Media du Dartmouth Institute (New Hampshire) et interniste.
Lui et sa partenaire de recherche, Lisa Schwartz, ont travaillé pour améliorer la communication des preuves médicales auprès des médecins, des journalistes, des décideurs politiques et du public afin d'aboutir à une communication médicale plus honnête et neutre.
Grâce à lui le terme 'surdiagnostic' a été inclus dans le "MeSH" , un thésaurus de références dans le domaine biomédical.utilisé pour indexer, cataloguer et rechercher des articles de revues, des livres et d'autres informations biomédicales liées à la santé.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/12/13/le-surdiagnostic-cest-officiel/

Steven Woloshin a été interviewé lors de la réunion Medicine & the Media à Florence, à l'instar de K.J.Jorgensen, sur la décision du groupe américain sur les services préventifs d'abaisser l'âge du dépistage à 40 ans

Transcription

Oncoinfo : Le groupe de travail américain sur les services préventifs (U.S. Preventive Services Task Force) a récemment modifié sa recommandation concernant l'âge de début du dépistage par mammographie, le faisant passer de 50 à 40 ans. Pourquoi cette décision n'est-elle pas aussi bonne qu'elle le paraît ? Nous avons posé la question à Steven Woloshin (Center for Medicine and Media - The Dartmouth Institute) lors de la conférence Medicine & the Media à Florence.

"Récemment, le groupe de travail sur les services préventifs américain a modifié la recommandation concernant le début du dépistage par mammographie pour les femmes. Auparavant, il était recommandé de commencer à l'âge de 50 ans. Désormais la recommandation est de débuter à l'âge de 40 ans. Beaucoup d'entre nous ont été surpris lorsque le groupe de travail a fait cette recommandation. Nous nous sommes demandé quelle en était la raison, existe-t-il des preuves que la mortalité due au cancer du sein augmente chez les femmes de 40 ans ?
Existe-t-il des preuves que le dépistage mammographie est devenu plus efficace pour ces femmes ?
Nous nous sommes également demandé si l'un des arguments du groupe de travail était que la mise en œuvre de ce changement permettrait également de remédier aux disparités raciales aux États-Unis ? Car malheureusement, on sait que les femmes noires ont un taux de mortalité par cancer du sein plus élevé. Le fait est qu'en examinant chacune de ces questions, la réponse était non pour chacune d'entre elles."

Des preuves pour justifier l'abaissement de l'âge du dépistage ?

"Nous avons donc écrit un article dans le New England Journal pour exprimer nos inquiétudes et tenter de nous opposer à cette recommandation qui, selon nous, n'était pas justifiée. ("A dissenting view")

La première question
que nous nous sommes posée était de savoir s'il existait des preuves d'une augmentation de la mortalité par cancer du sein dans cette population.. En fait, c'est tout le contraire, la mortalité par cancer du sein a baissé de façon spectaculaire chez les femmes dans la quarantaine, en fait ceci est aussi le cas pour les femmes dans la cinquantaine et plus.
Mais la baisse était encore plus importante surtout chez les femmes de 40 ans. Et si l'on considère des pays ayant des stratégies de dépistage différentes, on constate que la baisse est la même.
Il est donc difficile d'affirmer que la baisse de la mortalité est liée au dépistage. Ainsi, aux États-Unis, où le dépistage est très répandu chez les femmes de 40 ans, il est difficile de dire que la baisse de la mortalité est liée au dépistage par rapport à la Suisse, par exemple, où il n'y a presque pas de dépistage.
La baisse de la mortalité est presque la même, et c'est donc un argument qui nous avait fait penser qu'il n'était pas exact.

Cliquez sur l'image pour agrandir

La deuxième question était de savoir s'il existait des preuves que le dépistage par mammographie protégeait mieux les femmes de ce groupe d'âge.
Et il n'y a pas de nouvelles preuves par rapport aux essais qui ont été réalisés. Il n'y a pas de nouveaux essais randomisés.
Et pour ceux qui ont inclus des femmes dans la quarantaine, une méta-analyse réalisée par mon collègue Karsten Jorgenson et al. sur l'effet de la mammographie montre qu'il n'y a vraiment pas d'effet sur la mortalité par cancer du sein dans cette tranche d'âge.

Enfin, en ce qui concerne les  disparités raciales et sur la question de savoir si ce changement les améliorerait, nous pensons qu'en réalité, c'est le contraire qui se produirait. La raison en est qu'aux  États-Unis, environ 60 % des femmes dans la quarantaine se font dépister pour le cancer du sein, qu'elles soient noires ou blanches. Il n'y a donc pas de disparité dans le dépistage. La disparité se situe au niveau des suites. Cela ne peut donc pas être dû à une différence de dépistage, puisque les taux (de dépistage NDLR) sont les mêmes, cela doit être dû à d'autres facteurs.
Eh bien, malheureusement, il y a de nombreuses preuves montrant qu'il existe d'autres facteurs limitants, tels que l'accès limité aux meilleurs traitements disponibles, ou l'accès à un traitement en temps utile, aux thérapies avancées que nous connaissons, aux meilleures nouvelles options thérapeutiques personnalisées".

Les problèmes de l'extension du dépistage

"Le problème, c'est que par l'extension du dépistage, nous allons détourner des ressources  vers un dépistage qui n'aidera pas, au détriment de mesures qui aideraient.
À mon avis, l'investissement dans le dépistage devrait plutôt être utilisé à améliorer l'accès aux meilleurs soins disponibles. Le seul élément nouveau proposé par le groupe de travail était un nouveau modèle.
Et ce nouveau modèle contenait beaucoup d'hypothèses qui, selon nous, ne sont pas justifiées.
En particulier, on a supposé que le dépistage réduisait le risque relatif de mortalité par cancer du sein de 25 %. Ce chiffre est beaucoup plus élevé que celui observé dans les essais et surtout dans la méta-analyse.  

Cliquez sur l'image pour agrandir


Ceci dit, dans notre tableau (voir ci-dessous) nous avons essayé de donner le meilleur scénario pour la mammographie, afin que les femmes puissent décider, en sachant que le bénéfice de la mammographie est probablement moindre.
Et dans ce cas, la différence sur 10 ans en termes de risque de décès avec la mammographie passe d'environ 3 pour mille à environ 2 pour mille.

Cliquez sur l'image pour agrandir

On peut donc argumenter qu'il s'agit d'un grand nombre, ou d'un petit nombre, mais de cette façon, en fournissant des chiffres aux femmes, elles peuvent prendre une décision en connaissance de cause.

Le tableau met également en évidence les inconvénients de la mammographie, car vous savez qu'il y a toujours des inconvénients dues aux interventions et aux traitements.
Dans ce cas les fausses alertes sont parmi les plus fréquents : environ un tiers des femmes qui subissent une mammographie tous les deux ans sur une période de 10 ans finissent par avoir au moins une fausse alerte. Environ 7 % d'entre elles auront une fausse alerte nécessitant une biopsie, ce qui est important car il s'agit d'un examen très difficile et anxiogène.
Il y a quelques années, nous avons réalisé une étude, une enquête sur les femmes américaines en leur demandant comment cela se passait pour celles qui avaient eu une fausse alerte nécessitant une biopsie. Et la plupart de ces femmes ont déclaré que c'était l'une des choses les plus effrayantes qu'elles aient jamais vécues jusqu'à ce que la biopsie soit négative.
Il s'agit donc vraiment d’un aspect  important.

Enfin, la dernière question concerne les surdiagnostics, c'est-à-dire le diagnostic de cancers ou de ce qui ressemble à des cancers au microscope, mais qui n'auraient jamais été destinés à causer des préjudices s'ils n'avaient pas été découverts ou traités.
Les fourchettes des estimations concernant le surdiagnostic sont très larges, le groupe de travail a utilisé des chiffres qui sont très conformistes.
Nous pensons qu'ils sont sous-estimés, mais même ainsi il y aurait environ deux surdiagnostics pour mille femmes, ce qui est plus élevé que l'estimation des bénéfices de la mammographie."

En conclusion

NDLR
L'extension de l'âge du dépistage ne peut pas résoudre les différences dans la biologie du cancer : l'incidence des cancers de stade avancé reste stable malgré le dépistage en raison-même de leur biologie qui en fait des cancers d'emblée véloces et agressifs et qui échappent au dépistage ; l'incidence du cancer du sein triple négatif chez les femmes noires est deux fois plus élevée que chez les femmes blanches, selon l'Institut national du cancer américain. Ce sous-type est le plus agressif, son traitement est le moins efficace et il est le plus sujet à être non détecté par le dépistage.

Un dépistage plus précoce dans les tranches d'âge plus jeunes ne permettrait pas non plus de résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les femmes pauvres, souvent les femmes noires aux Etats Unis, problèmes tels qu'un accès moindre aux services de santé, des retards de traitement et un plus faible recours aux thérapies adjuvantes.
En fait, l'abaissement de l'âge du dépistage pourrait exacerber les problèmes contribuant à la disparité, en détournant les ressources vers un dépistage élargi au lieu d'une amélioration de l'accès pour ces femmes plus défavorisées.

Pour finir les deux scientifiques (Woloshin et Jorgensen) sont préoccupés par l'exposition des femmes de façon majorée aux fausses alertes et aux surdiagnostics, les effets indésirables majeurs de ce dépistage.

Articles connexes

Abaisser l'âge du dépistage, mais à quel prix ?

Abaisser l'âge du dépistage, une boîte de Pandore

Interview de K.J.Jorgensen, co-auteur de l'article "a dissenting view"

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Les mythes du dépistage

29 novembre 2023
Synthèse Cancer Rose https://www.cfp.ca/content/69/11/e216

Réfutation des mythes entourant le dépistage

Le dépistage est fréquemment présenté au public de façon très positive et comme un dispositif salvateur, cette idée est portée par des campagnes promotionnelles massives d'octobre et par des personnalités en vue qui en assurent le marketing. 

Cet article d'auteurs canadiens *(voir en fin d'article) décortique 4 mythes principaux qui sous-tendent les dépistages, mythes mis à mal dans la vraie vie, confrontés à la réalité, ce dont il faudrait informer le public afin de lui éviter des déconvenues impactant la santé des personnes.

"Nous avons présumé", disent les auteurs, "que nous pourrions nous attaquer aux maladies chroniques de la même manière que nous avons lutté contre les maladies infectieuses; cependant, non seulement la prise en charge des maladies chroniques n’est pas aussi simple, mais les résultats des tests diagnostiques pour ces maladies sont rarement certains. Cette incertitude est davantage amplifiée dans les résultats des tests de dépistage."
Cette incertitude malheureusement est très peu est insuffisamment relayée au public, ce qui constitue en soi une problématique de santé publique.

"Auparavant, on ne se rendait chez le médecin que pour des symptômes gênants : douleur, fièvre, toux, indigestion, etc. Les médecins établissaient alors un diagnostic sur la base de ces symptômes, ainsi que des signes associés et des tests diagnostiques disponibles."

La médecine moderne a ensuite fait émerger l'idée d'anticiper les problèmes et d'intervenir avant l'apparition des symptômes.

"Cependant, le passage d'une médecine axée sur les symptômes à une médecine d'anticipation a eu un effet secondaire inattendu pour les patients : la possibilité d'avoir un diagnostic qui n'est pas destiné à provoquer des symptômes. La différence énorme entre une maladie diagnostiquée en raison de symptômes et la même maladie détectée en l'absence de symptômes est apparue très clairement dans le cas du cancer."

En effet, les auteurs rappellent que pour qu'on puisse déclarer un dépistage comme efficace, il doit y avoir, en face des préjudices engendrés par ce dépistage, des bénéfices compensatoires, comme : aboutir à une moindre mortalité, une diminution des cas graves et une réduction des traitements lourds, tout ceci rendant les inconvénients des dépistages (fausses alertes, diagnostics inutiles) comme "acceptables".

4 grands mythes sont ainsi décortiqués.

Mythe 1 : le dépistage ne cause pas de préjudices

Les auteurs rappellent les préjudices du dépistage dont nous parlons souvent sur le site, fausses alertes et surdétections inutiles, et demandent à ce qu'ils soient discutés avec le patient, avant que celui-ci ne s'engage dans ces dispositifs de santé.

"Le surdiagnostic est une conséquence inhérente à toute forme de dépistage. Son occurrence, de même que d’autres préjudices potentiels comme les résultats faux positifs, devraient être estimés et discutés avec le patient au même titre que les bienfaits possibles pour déterminer si on procède ou non au dépistage. La compréhension par le patient et sa contribution à la prise de décision sont des composantes essentielles."

Il existe d'autres effets adverses du dépistage, comme l'anxiété liée à l'examen lui-même, ou encore à l'attente des résultats en cas de fausses alertes.
Il y a des effets adverses générés par le surdiagnostic aussi, que vous trouverez listés dans des documents téléchargeables de notre article sur le surdiagnostic.

Mythe 2 : la détection précoce se traduit par de meilleures issues cliniques

"L’une des croyances les plus courantes est qu’une détection précoce de la maladie produit toujours de meilleures issues cliniques chez les patients. Une détection précoce est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour que le dépistage soit bénéfique."

En effet, une lésion petite est plus facile à traiter qu'une lésion de gros volume.
Cependant une première question est : le dépistage est-il apte à détecter les cancers les plus graves alors qu'ils sont encore petits ?
Une autre faille est que la taille des lésions n'est pas automatiquement corrélée au temps et n'est pas automatiquement corrélée non plus à la gravité de la lésion. Petit n'est pas "précoce", et surtout n'est pas toujours "à temps".

L'histoire naturelle du cancer nous apprend que les cancers n'ont pas tous la même vélocité, certains, agressifs, peuvent être d'emblée très rapides et ainsi ratés par le dépistage parce qu'ils se développent entre deux mammographies, en quelques semaines.
Et certains cancers même petits peuvent être d'emblée agressifs et métastatiques.

Les auteurs ajoutent l'exemple du mélanome
"Bell et Nijsten ont expliqué dans un commentaire comment le dépistage des mélanomes avait augmenté la détection précoce du problème sans avoir de répercussion sur le nombre de maladies à un stade plus avancé.
De même, l’histoire du dépistage des neuroblastomes au Japon (à partir de 1985) constitue une mise en garde. Ce cancer a un meilleur pronostic s’il est diagnostiqué avant l’âge de 1 an, et le programme avait pour but de détecter plus tôt les neuroblastomes, lorsque le pronostic est plus favorable. Le dépistage a fait croître l’incidence des neuroblastomes, mais n’a pas changé le nombre d’enfants diagnostiqués plus tard (après 1 an), et la mortalité est demeurée semblable"

Un autre exemple cité est celui du dépistage du cancer de la thyroïde où on a une même problématique de surdétection de cancers inoffensifs et lentement évolutifs sans menace pour les patients, en raison d'une multiplication de l'imagerie, échographique essentiellement :
".....des hausses remarquables de l’utilisation de l’imagerie durant les années 1990 et le début des années 2000, surtout chez les femmes d’âge moyen, ont été observées, une fois de plus sans qu’il y ait de changement dans la mortalité."

Le dépistage peut 'rattraper' des cancers qui ne se seraient jamais développés créant un surdiagnotic important et 'rater' des véritables cancers qui menacent la vie et la santé de la personne, parce que ces derniers se développent très vite, entre deux dépistages, comme les schémas reproduits dans cet article l'expliquent, ou la figure 1 issu de l'article canadien.

Comme on le voit dans le graphique ci-dessus, les cancers rapides se développent si vite que le dépistage les rate. Les cancers plus lents sont détectés par un dépistage, mais cette détection ne sert à rien car ces cancers n'auraient jamais nui, et leur détection alimente le surdiagnostic.

Figure 1 de l'article canadien (cliquez pour agrandir)

Lire à ce propos : https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

Mythe 3 : les nouvelles technologies procurent plus de bienfaits

L'exemple pris est celui de la tomosynthèse en complément de la mammographie numérique dans le dépistage du cancer du sein.
Il s'agit d'une sorte de 'scanner' du sein, davantage irradiante, et sujette à controverse. D'abord non validée pour être intégrée dans le dépistage, la HAS l'admet finalement en 2023, sans que soient réglées les questions soulevées par cette technologie, notamment pourvoyeuse de davantage de surdiagnostics.

"Dans le dépistage, la mammographie numérique, combinée à la tomosynthèse mammaire, peut détecter plus de cancers du sein que la mammographie seule, mais cela ne devrait pas être considéré comme la garantie de meilleures issues cliniques pour les patientes. Cette nouvelle technologie pourrait être bénéfique, mais des renseignements sur la magnitude des bienfaits et des préjudices potentiels sont nécessaires pour informer nos patientes."

Les auteurs ont listé sous forme de tableau les approches qui sont utilisées pour augmenter les possiblités de détection précoce des maladies, avec les réserves qui s'imposent dans la colonne de droite.(Cliquez sur l'image pour agrandir)

Mythe 4 : le dépistage sauve des vies

 « le dépistage du cancer du sein sauve des vies », alors que le message entier devrait être que, pour chaque tranche de 1000 femmes dépistées à répétition, « le dépistage du cancer du sein peut réduire le nombre de décès dus au cancer du sein ». Le nombre varie selon l’âge, mais il se situe à environ 1 femme sur 1000 femmes dépistées durant leur cinquantaine ou leur soixantaine."

Il faut faire attention à la présentation des choses, 20% de réduction de mortalité comme souvent avancé cela ne signifie pas que 20 femmes sur 100 en moins mourront de cancer du sein. Ces 20% sont une réduction relative du risque lorsqu'on compare deux populations de femmes.
Comme l'affiche ci-dessous le montre, passer de 5 décès chez les femmes non dépistées à 4 décès chez les dépistées correspond bien à 20% de réduction du risque (5-4/5=0,2), mais dans la vraie vie, il ne s'agit que d'une vie "sauvée" à la condition d'avoir dépisté une grande cohorte de femmes et sur un long laps de temps (10 années) . Durant le même temps, surdiagnostics et fausses alertes s'accumulent aussi.

Plusieurs études et notamment une étude d'impact ont déjà montré le rôle prépondérant des avancées thérapeutiques pour réduire la mortalité par cancer du sein depuis les années 90, bien indépendamment du dépistage.

En effet depuis les années 90 la mortalité par cancer du sein décroit, avant même l'instauration des campagnes (seulement en 2004 en France) et cette réduction n'a pas vu d'amplification lors des déclenchement des campagnes de dépistage nationales.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/06/14/risque-de-deces-par-cancer-du-sein-en-baisse-depistage-ou-pas/

De plus on ne constate aucun impact sur la mortalité toutes causes confondues. Ce critère serait plus fiable pour révéler une efficacité d'un dépistage car il intègre les décès par la maladie, les décès pour autres causes survenues chez les porteurs de cancers et aussi les décès consécutifs aux traitements et à leurs conséquences. Il est donc un meilleur marqueur de l'impact du dépistage sur la mortalité dans la population.
Toutefois l'estimation de la réduction globale de mortalité est difficile à obtenir, comme l'expliquent les auteurs.

"La démonstration d’une réduction dans la mortalité toutes causes confondues est un défi global, mais en particulier pour les tests de dépistage pour lesquels la plupart des patients sont à risque très bas de décès. Il faudrait que les essais randomisés contrôlés soient très larges ou que la taille des effets soit considérable. Comme stratégie, nous pouvons combiner des essais multiples pour augmenter la puissance statistique.
Ce faisant, le seul test de dépistage du cancer pour lequel il a été démontré qu’il réduisait la mortalité toutes causes confondues de manière statistiquement significative est la sigmoïdoscopie flexible pour le cancer colorectal (risque relatif=0,97; IC à 95 % de 0,959 à 0,992, p=,004) avec une réduction du risque absolu de 3,0 décès par 1000 dépistages (IC à 95 % de 1,0 à 4,0) sur 11,5 ans de suivi. Puisque le dépistage du cancer du col réduit l’incidence de la maladie, il est probable que son dépistage réduise aussi la mortalité."

A ce propos lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/10/17/pas-de-prolongement-de-la-duree-de-vie-grace-aux-depistages/

En conclusion :

"Avec les connaissances que nous avons acquises depuis, nous nous rendons compte que ce que nous pensions être relativement simple est bien plus compliqué." Ecrivent les auteurs à propos des dépistages.

Ceci nous amène à l'importance de communiquer ces incertitudes sur la réelle balance entre les bénéfices et les nuisances des dépistages au public.
Les principe du choix éclairé, de l'autonomie dans la décision de la personne à participer aux dépistages est simple et peu coûteuse à mettre en place, notamment par le biais de pictogrammes, d'outils d'aides à la décision et de visuels simples, comme nous vous en proposons en page d'accueil du site.
Celui de Cancer Rose
Les outils internationaux

Malgré quelques efforts consentis dans la communication, l'Institut national français du cancer enfreint l'éthique, rechignant à fournir une information sur le surdiagnostic et ses conséquences, sur le bénéfice très douteux et relatif du dépistage du cancer du sein, contrebalancé par des risques maintenant bien connus, en tordant les données, et ce malgré les demandes publiques comme celles de la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein de 2016.

Il est plus que temps d'accorder aux personnes cette information loyale avant qu'elles ne s'exposent aux dépistages qui leur sont recommandés sans transparence sur la balance bénéfices/risques, ou parfois qui leur sont même imposés.

*Les auteurs

Guylène Thériault, Directrice du volet Rôle du médecin et directrice du Centre de pédagogie au Campus Outaouais de la Faculté de médecine de l’Université McGill à Montréal (Québec).

Donna L. Reynolds, Professeure adjointe au Département de médecine familiale et communautaire et à l’École Dalla Lana de santé publique de l’Université de Toronto (Ontario).

Roland Grad, Professeur agrégé au Département de médecine familiale de l’Université McGill.

James A. Dickinson, Professeur au Département de médecine familiale et au Département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Calgary (Alberta).

Harminder Singh, Professeur agrégé au Département de médecine interne et au Département des sciences de la santé communautaire de l’Université du Manitoba à Winnipeg, et au Département d’oncologie et d’hématologie médicale à Action Cancer Manitoba.

Olga Szafran, Directrice adjointe de recherche au Département de médecine familiale de l’Université de l’Alberta à Edmonton.

Viola Antao, Professeure agrégée au Département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto. 

Neil R. Bell, Professeur au Département de médecine familiale de l’Université de l’Alberta.

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Ces évènements roses qui nous font vraiment….

Par C.Bour, 4 novembre 2023

...au propre comme au figuré.

On apprend qu'un trek au Maroc, le "Trek rose trip", a viré au cauchemar, et pas bien rose  celui-là.
" Entre 800 et 900 femmes se sont lancées dans un trek "d'orientation et solidaire" à travers les dunes du désert le 26 octobre. Cinq jours de marche proposés par l'opérateur français Désertours pour la bonne cause: la sensibilisation au cancer du sein."

Malheureusement, une gastro-entérite aigüe s'est déclenchée parmi les participantes, atteignant 200 d'entre elles avec une quinzaine d'hospitalisations. Les coureuses fustigent les conditions d'hygiène déplorables, et la description est plutôt apocalyptique notamment sur la page facebook de l'évènement où des participantes témoignent de l'insuffisance des toilettes, au nombre de 16 pour 800 participantes, et surtout de 200 malades transformant les lieux en un bourbier indescriptible.

L'organisateur, Désertours, dans un grand esprit caritatif et selon le mari d'une marcheuse, a déjà pris ses précautions pour ne pas voir sa responsabilité engagée :
"Désertours a essayé d'échapper à tout. ...Là, ils vont essayer de faire quelque chose pour leur communication, mais il n'y a plus rien à faire. Ils ont fait signer des décharges. Ils ont abandonné des gens. Non assistance à personnes en danger."

La "bonne cause"

Déjà, envoyer 800 personnes en avion au Maroc pour courir en rose pose quand-même question, à une époque où on interpelle la société sur la pertinence des voyages, l'empreinte carbone et les répercussions sur la planète etc etc…. 

Nous nous sommes maintes fois émus de l'instrumentalisation et de la glamourisation de la "cause rose", aux dépens des femmes, utilisant leur maladie pour alimenter tout un pink washing et un rose business sur le dos des malades, utilisant leur bonne volonté, les sponsors bénéficiant de cette manne et de cette main-d'oeuvre gratuite de femmes bénévoles lors des évènements, leur permettant d'engranger beaucoup de dons et de frais d'inscriptions, dont on ne sait guère ce qu'il en advient.
https://cancer-rose.fr/2016/11/13/les-courses-roses-charite-bien-ordonnee/

Voir aussi :l'arnaque du pink washing  

Beaucoup de sponsors labellisant des évènements et des produits roses se greffent sur ce mouvement saisonnier, leur permettant une publicité à bon compte, une relance de leurs ventes avec un minimum de reversement à "la cause", et une image de philanthropes.
Nous avions déjà demandé à ce qu'une charte éthique leur soit imposée, dans un article datant de 2016, preuve que les choses n'ont pas changé.

Lire ici : https://cancer-rose.fr/2016/11/13/les-enseignes-roles-et-obligations/

1-Quel pourcentage des dons engrangés est reversé, et quel est le montant maximal donné à la cause ? (certaines enseignes l’affichent)

2-Quel est le budget marketing ? Quelle est sa proportion par rapport à la somme « reversée » à la cause ? Est-ce que ce budget ‘marketing et fonctionnement’ est égal, inférieur ou supérieur à la partie reversée ?

3-Quels sont les destinataires, et surtout quels types de programmes sont financés par ces sommes engrangées ? Cela est parfois affiché, mais les libellés sont …mystérieux voire hermétiques pour le lecteur lambda.

4-Qu’advient-il des résultats de la recherche ? Quelle "recherche" ? Sont-ils publiés ? A qui l’information scientifique est-elle donnée, quelle est la retombée exacte en matière d’avancée sur le cancer du sein ?

Etc....

Comment les femmes perçoivent-elles cela ?

Les courses roses, c'est fait pour les bien portantes. Et pour certaines femmes, c'est le mois le plus cruel. C'est un rappel de leur maladie dans une glamourisation indécente, une instrumentalisation de leur douleur.

Celles qui participent et souvent veulent persuader les autres sont doublement victimes, d'abord dans leur chair, et ensuite en participant à un business dont elles n'ont aucune idée de l'ampleur.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/11/15/octobre-le-mois-le-plus-cruel/

Et les médias dans tout cela  ?

Sur la page facebook de l'évènement Trek Rose Trip une journaliste de BFM se précipite pour couvrir ce bourbier.

Si les médias se précipitaient un peu plus sur les arcanes de ces courses roses, aidaient à l’information des femmes, déficiente sur le sujet du cancer du sein et de son dépistage, enquêtaient pour éviter à ces femmes premières victimes du rose-business de s'exposer à ce genre de catastrophe, enquêtaient plus globalement sur tout ce business délétère et malsain, au lieu de se vautrer dans de l’information de caniveau, ce serait tellement plus pertinent.

Les médias ont une responsabilité colossale, en désinformant, 'pipolisant', glamourisant un sujet qui mérite plus d'attention que les avis de Carla Bruni laquelle, prétendant aider les femmes, donne des informations fausses (on ne fait pas de mammos annuelles), et se permet des conseils sur un sujet qu'elle ne maîtrise pas.

Malheureusement elle est loin d'être la seule...
Lire : https://cancer-rose.fr/2020/02/06/ah-mais-quelle-aubaine-ce-cancer/

Conclusion

De la communication partout, de l'information nulle part.

La bonne cause ? Ce serait bien d'informer les femmes sur le cancer du sein et son dépistage, déjà sur le plan simplement médical, mais aussi de les prémunir de ces pièges et arnaques dont elles sont trop souvent les dociles victimes, au prix de leur santé comme on le voit dans ce consternant épisode trek-rose, plutôt que de les envoyer vomir (et si ce n'était que ça) dans un pays lointain, sous la coupe d'organisateurs qui n'en ont cure, ni de leur "cause", ni de leur souffrance, se dégageant lâchement de toute responsabilité.

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