Histoire du dépistage mammographique

Dr M.Gourmelon, Dr C.Bour, 19 octobre 2020

Historique de mise en place du dépistage organisé du cancer du sein par mammographie

Cet article est le premier d’une série qui va démontrer que, en opposition totale aux preuves scientifiques qui s’accumulent avec le temps, les autorités françaises, sourdes et aveugles, continuent plus que jamais la promotion du dépistage du cancer du sein par mammographie.

Premier volet, le déroulement de la stratégie de mise en place du dépistage, son développement jusqu’à aujourd’hui

1-On assiste à une intensification du recours au dépistage par mammographie entre 1980 et 2000.

Mais déjà en 2001 des scientifiques ont fait paraître une méta-analyse qui remet en cause les réalités de ce dépistage. La HAS (Haute Autorité de Santé), début 2002 qui a évalué cette étude écrit : « La méta-analyse de Gotzsche et Olsen remet en cause le consensus sur l’efficacité du dépistage du cancer du sein. » et conclut « L’évaluation de la méta-analyse de Gotzsche et Olsen, réalisée par l’ANAES avec l’aide d’un groupe d’experts pluridisciplinaire, conclut qu’il n’est pas légitime de remettre en question les recommandations de l’ANAES en faveur du dépistage du cancer du sein. » (1)

2-Publication des taux d’incidence qui sont en croissance sévère, et de la mortalité qui est stable, dans une revue d’épidémiologie, laquelle demande des « changements importants dans la pratique médicale »et « une analyse plus approfondie. » (2)

3- Jacques CHIRAC annonce dans le premier plan cancer 2003/2007, mesure 21 « Respecter l'engagement de généralisation du dépistage organisé du cancer du sein d’ici fin 2003,

en impliquant la médecine générale et libérale. ». Ce sera chose faite avec en 2004 le lancement en France du dépistage organisé du cancer du sein par mammographie. (3)

4-Lucien ABENHAÏM, Directeur général de la santé et Président de la Commission d’Orientation sur le Cancer annonce que d’un point de vue scientifique, une controverse est ouverte (4) (5).

5- Parution d’un article, en 2003, du lanceur d’alerte Bernard JUNOD, épidémiologiste, ancien médecin enseignant et chercheur à l'Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique de Rennes (6) relayé par une revue de santé publique française demandant à ne pas clore le débat. (7)

6-En 2004, le « British Medical Journal » publie des résultats démontrant le surdiagnostic du cancer du sein en Norvège et en Suède (8)

7-En 2006, article dans European Journal of Cancer (EJC) : les données officielles suédoises d’incidence et de mortalité sont incompatibles avec les résultats de l’essai des deux Comtés suédois (1985). Il consolide la méta-analyse de l’institut COCHRANE nordique de 2000. L’article est retiré puis re-publié. (9) (10)

8-Septembre 2006, l’Institut national du cancer (INCa) et l’institut de la veille sanitaire ont produit un document commun minimisant le surdiagnostic et mettant en doute la validité de l’article de l’EJC sur les biais de l’étude suédoise, et mentionne son retrait. (InVS, INCA. Dépistage du cancer du sein : que peut-on dire aujourd’hui des bénéfices attendus ? Septembre 2006. (11)

9-Malgré la re-publication de l’article, L’Institut National du Cancer et l’INstitut de la Veille Sanitaire ne sont pas revenus sur leurs affirmations.

Bien que les appels aient été de plus en plus pressants à partir de 2007, le débat sur la pertinence du dépistage du cancer du sein par mammographie, n’a pas été ouvert en France avant 2016.

10- de 2007 à 2009, différents dossiers de synthèse :

  • « L’Etat refuse le débat » Revue Prescrire ainsi que les dossiers Prescrire de 2006 avec leurs propres méta-analyses  (accès uniquement accessible aux abonnés)
  • « Aspects éthiques de l’ouverture d’un débat sur le dépistage du cancer du sein en France », module interprofessionnel de santé publique, ENSP, Rennes (12)
  • « Faut-il arrêter le dépistage du cancer du sein en France ? »-Revue Médecine (13)
  • L’action du Formindep (14)

11- En novembre 2011, la Haute Autorité de Santé se positionne clairement en faveur de la poursuite du dépistage :

« De ce point de vue, la HAS recommande aux pouvoirs publics : de maintenir le cap du dépistage organisé tout en le renforçant » (15)

Depuis cette date, la HAS n’a pas varié dans son soutien au dépistage (16)

Pourtant, des voix de plus en plus nombreuses affirment que le dépistage n’est pas bénéfique.

Un livre d’une kinésithérapeute Rachel CAMPERGUE a ainsi marqué les esprits en cette fin d’année 2011. (17)

12- Octobre 2012, Que choisir et Prescrire montent au créneau. 

On parle enfin du surdiagnostic (18)

13- Des liens d’intérêt très présents chez les partisans du dépistage :

Publication scientifique dans le Lancet, où ont été mises à jour les fausses déclarations d'intérêt de TABAR (19) qui était l'investigateur principal des essais suédois...

le Lancet et TABAR sont contraints d’effectuer des rectifications.

Le Docteur Jérome VIGUIER directeur du pôle santé publique et soins de l’Institut national du cancer jusqu’en fin décembre 2018:

  • Il est leader d’opinion et apparaît souvent dans les médias (20) (21)
  • Il est membre du conseil scientifique d’EDIFICE de Roche depuis 2007. (22)

Les enquêtes EDIFICE-Roche sont réalisées selon
« Une méthodologie robuste pour suivre l’évolution de l’adhésion au dépistage des cancers depuis dix ans. » -
(EDIFICE : Etude sur le dépistage des cancers et ses facteurs de compliance qui a pour objectif « d’agir pour favoriser le dépistage précoce des cancers et notamment ceux du sein, du colon et de la prostate. » )

14- Dès la mi 2013, la COCHRANE, collaboration indépendante de chercheurs nordiques, connue pour son sérieux et son indépendance vis à vis de tous les lobbies, publiait une étude qui fait encore aujourd’hui autorité sur le peu d’intérêt du dépistage du cancer du sein par mammographie (23)

15- La concertation citoyenne française conclut à l'arrêt du dépistage dans ces deux scénarios

(24) ;  voir page 132 du rapport :

Scénario 1 : arrêt du programme de dépistage organisé, la pertinence d’une mammographie étant appréciée dans le cadre d’une relation médicale individualisée.

Scénario 2 : Arrêt du dépistage organisé tel qu’il existe aujourd’hui et mise en place d’un nouveau dépistage organisé, profondément modifié.

16- Les « contre-feux » sont alors allumés :

  • Le président de l’INCa, Norbert IFRAH intervient sur le plateau du Magazine de la Santé de France 5 du 04 octobre 2016. (25)
  • La lettre du président de l’INCa à la Ministre, est censée faire la synthèse du rapport.

Norbert IFRAH y dénigre violemment le premier scénario qu’il rejette d’emblée.

Il affirme que « de l’aveu même des rédacteurs du rapport»… celui-ci serait « très risqué, générateur d’iniquités et de pertes de chance ». (26)

Mais on ne trouve nulle trace de ces propos dans le rapport de la concertation.

La préférence du président de l’INCa va au second scénario, qu’il ré-interprète de façon malhonnête (25), le réduisant à un simple ajustement des pratiques actuelles. Dans sa lettre sa on peut ainsi lire :

Or, rappelons-le, le deuxième scénario est formulée de la façon suivante :

La proposition de réajustement ne vient qu’en complément de l’arrêt du dépistage actuel.

Cette interprétation malhonnête n’est sûrement pas un hasard, elle s’inscrit dans la logique du Plan Cancer 2014-2019.

17- Mme la Ministre Touraine se félicite du bon déroulement d’Octobre Rose dans la presse et exprime, dans son communiqué de presse du 3 octobre 2016 « La meilleure chance pour guérir du cancer du sein, c’est le dépistage. Pourtant, encore trop peu de femmes, d’après les autorités, ont recours au dépistage organisé. » (27)

18- Le plan d’action en 12 points de Mme Marisol Touraine annonce en préambule (avril 2017)  (28):

 « Son dépistage (celui du cancer du sein NDLR) est donc un enjeu majeur de santé publique ; pour réduire la mortalité et la morbidité liées au cancer du sein, mais également pour améliorer la qualité des prises en charges des personnes concernées. »

19 -Mme Agnes BUZYN, ancienne présidente de l’INCa est nommée ministre de la santé en mai 2017,dans le premier gouvernement PHILIPPE du nouveau président de la république Emmanuel MACRON.

20- L’inspection de l’IGAS a été missionnée le 31 octobre 2019, par la ministre de la santé de l’époque le Dr Agnes BUZYN suite aux décisions du  comité de pilotage du plan cancer 2014/2019.

Au total, 20 ans de développement en France du dépistage du cancer du sein par mammographie, au mépris des connaissances scientifiques.

Prochain article : comment l’IGAS, dans son rapport d’inspection, valide la stratégie de propagande du dépistage du cancer du sein par mammographie en demandant son intensification « ...quelles que soient ses modalités... » .

Références

(1) https://www.has-sante.fr/jcms/c_433803/fr/depistage-du-cancer-du-sein-par-mammographie-evaluation-de-la-meta-analyse-de-gotzsche-et-olsen

(2) Remontet L, Esteve J, Bouvier AM, et al. Cancer incidence and mortality in France
over the period 1978-2000. Rev Epidemiol Sante Publique, 2003, 51, 3-30.

(3) https://www.e-cancer.fr/content/download/59052/537324/file/Plan_cancer_2003-2007_MILC.pdf

(4)  Abenhaim L. Progrès contre le cancer ! Rev Epidemiol Sante Publique 2003, 3-30

(5) Abenhaïm L. Rapport de la Commission d'orientation sur le cancer. Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, janvier 2003, 336 p.)

(6) Junod B, Masse R. Dépistage du cancer du sein et médicalisation en santé publique.
Santé publique 2003, 2, N°15 :125-129.

(7) Alla F, Deschamps JP. Dépistage des cancers : ne pas clore le débat… » Santé
Publique 2/2003 (Vol 15), p.123-124.

(8) Zahl PH, Strand GH, Maehlen J. Incidence of breast cancer in Norway and Sweden
during introduction of nationwide screening : prospective cohort study. BMJ 2004 Apr 17 ;328(7445) :921-4.

(9) Zahl PH, Gotzsche PC, Andersen JM, Maehlen J. Withdrawn : Results of the Two-County trial of mammography screening are not compatible with contemporaneous official Swedish breast cancer statistics. Eur J Cancer. 2006 Mar 9. Epub ahead of print.

(10) Zahl PH, Gotzsche PC, Andersen JM, Maehlen J. Results of the Two-County trial of
mammography screening are not compatible with contemporaneous official Swedish breast cancer statistics. Dan Med Bull. 2006 Nov ;53(4) :438-40.

(11) http://www.invs.sante.fr/publications/2006/cancer_sein_inca/cancer_sein_inca_invs.pdf

Document n’est plus accessible suite à son remplacement par Santé Publique France dès 2016.

(12) https://documentation.ehesp.fr/memoires/2007/mip/groupe_23.pdf

(13)https://www.jle.com/fr/revues/med/e-docs/faut_il_arreter_le_programme_francais_de_depistage_du_cancer_du_sein_par_mammographie__271191/article.phtml

(14) https://formindep.fr/?s=d%C3%A9pistage+cancer+sein

(15) https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2012-02/fiche_de_synthese_-_4_pages_-_participation_depistage_cancer_du_sein_2012-02-03_09-41-16_837.pdf

(16) https://www.has-sante.fr/jcms/fc_2875171/fr/resultat-de-recherche-antidot-2019?text=depistage+du+cancer+du+sein&tmpParam=&opSearch=&types=guidelines

(17) https://formindep.fr/no-mammo-enquete-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein/

(18 ) https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-information-autour-du-depistage-du-cancer-du-sein-les-epines-d-octobre-rose-n13783/

(19) https://formindep.fr/le-prestigieux-the-lancet-pris-en-defaut/

(20) https://www.youtube.com/watch?v=YxUqlGykMRw

(21) https://www.youtube.com/watch?list=PLdfhbAjnzbSnotLJaCVXunWbGakt21am_&v=6pwhVxZN7zg

(22) https://www.roche.fr/fr/pharma/cancer/depistage-cancers-france/depistage-cancer-sein.html

(23) https://www.cochrane.org/fr/CD001877/BREASTCA_depistage-du-cancer-du-sein-par-mammographie

(24) https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf.

(25) https://formindep.fr/cancer-du-sein-la-concertation-confisquee/

(26) https://www.atoute.org/n/IMG/pdf/Courrier-Ministre-concertation-depistage-cancer-sein---.pdf

(27) http://solidarites-sante.gouv.fr/archives/archives-presse/archives-communiques-de-presse/article/marisol-touraine-salue-la-mobilisation-contre-le-cancer-du-sein-et-engage-la

(28) http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan-actions-renov-cancer-sein-2.pdf

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Inefficacité de la mammographie de dépistage pour détecter les cancers les plus graves

https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2770959

publiée le 25 septembre 2020 ;

Saroj Niraula, MD, MSc1,2Natalie Biswanger, BSc3PingZhao Hu, PhD4; et alPascal Lambert, MSc2Kathleen Decker, PhD2,5

  • 1 Section d'oncologie médicale et d'hématologie, Université du Manitoba, Winnipeg, Manitoba, Canada
  • 2 Institut de recherche en oncologie et hématologie, CancerCare Manitoba, Winnipeg, Manitoba, Canada
  • 3 Programme de dépistage du cancer, CancerCare Manitoba, Winnipeg, Manitoba, Canada
  • 4 Département de biochimie et de génétique médicale, Université du Manitoba, Winnipeg, Manitoba, Canada
  • 5 Département des sciences de la santé communautaire, Université du Manitoba, Winnipeg, Manitoba, Canada

Synthèse Dr C.Bour

Objectif de l'étude   

Evaluer les différences et les similitudes des caractéristiques et les résultats des cancers du sein détectés par le dépistage mammographique par rapport à ceux détectés entre les mammographies de dépistage (c'est à dire les cancers d'intervalle) chez les femmes participant à un programme de dépistage.

Résultats de l'étude

 Dans cette étude de cohorte portant sur 69 025 femmes, les cancers du sein d'intervalle représentaient un quart des cancers du sein chez les femmes soumises au dépistage systématique, et étaient 6 fois plus susceptibles d'être de grade III (haut grade) et présentaient 3,5 fois plus de risques de décès par cancer du sein par rapport aux cancers détectés lors du dépistage.

Interprétation :   

L'hétérogénéité du cancer du sein contredit l'hypothèse selon laquelle la mammographie de dépistage sous sa forme actuelle est efficace. D'autres stratégies en dehors de la mammographie de dépistage sont nécessaires pour prévenir, détecter et éviter les vrais cancers qui tuent, à savoir les cancers du sein d'intervalle, ratés par le dépistage et plus mortels.

Explication :

Le cancer du sein ne suit pas le schéma linéaire est mécanique qu'on lui supposait.

L'histoire naturelle du cancer

L'hypothèse d'un cancer maîtrisable parce qu'on l'aura débusqué tout petit paraît intuitive, elle est flatteuse, mais contredite par l'observation (cas cliniques, études d'autopsies). En matière de dépistage du cancer du sein, on a à faire encore de nos jours à une véritable croyance, sous-tendue par des mantras répétés à l'envi comme "le cancer peut frapper à toutes les portes", "plus petit c'est mieux c'est", "prévenir c'est guérir". L'est-ce vraiment ?

Ces poncifs se basent sur une théorie linéaire et mécaniciste de l'histoire naturelle du cancer.

On pense que le cancer évolue de façon inéluctable selon un schéma tout tracé. Cellule cancéreuse, puis nodule, puis gros nodule, puis envahissement loco-régional puis métastases avec décès inéluctable.

Mais la réalité est bien plus complexe. :

Petit ne signifie pas pris à temps, il peut s'agir simplement d'un cancer quiescent, peu ou jamais évolutif, régressif même, qu'on aura débusqué lors du dépistage mais qui n'aurait jamais tué.

Ou au contraire, il peut être déjà métastatique au moment de son diagnostic alors que de petite taille ou parfois même occulte.

Gros ne signifie pas pris trop tard, mais simplement le fait d'un cancer véloce qui sera gros au moment du diagnostic parce qu'à croissance rapide. En général ces lésions sont en moyenne plus agressives c'est vrai, mais ce n'est pas absolu. De volumineux cancers chez des femmes âgées renonçant à consulter peuvent avoir des répercussions locales importantes comme des érosions à la peau ou des rétractions importantes, mais sans avoir essaimé à distance. Nous voyons tous les jours ces cas en consultation que nous jugeons "paradoxaux".

Tous les cancers n'évoluent pas et la majorité ne devient pas métastatique, ils peuvent stagner, régresser, avancer tellement lentement que la patiente décèdera d'autre chose avant.

On le voit, l'histoire naturelle du cancer du sein n'obéit pas à la théorie pré-établie, au modèle intellectuel qui correspond à ce que les théoriciens ont opportunément imaginé pour coller à leur vision simpliste.

Voir la présentation destinée aux femmes que je présentée lors de diverses réunions d'information.

Lire aussi ceci pour bien comprendre : https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

Ici les auteurs aboutissent à cette conclusion : beaucoup des petites tumeurs détectées de façon excessive par le dépistage ont un très bon pronostic en raison d'une croissance intrinsèquement lente, qui fait qu'elles n'ont pas vocation à devenir de grosses tumeurs et qu'elles sont de par nature favorables. Ce sont elles qui constituent un surdiagnostic résultant directement de l'activité de dépistage. Elles ne se développeront pas assez pour être dangereuses.

A l'inverse, les tumeurs de grande taille, responsables des décès et le plus souvent à pronostic défavorable le sont aussi d'emblée, elles échappent malheureusement à la détection mammographique en raison d'une cinétique de croissance trop rapide.

Une étude antérieure analogue :

L'étude de cohorte de Sarauj Niraula et col. n'est pas sans rappeler la très importante et exhaustive étude de Pr.Autier. Le dépistage mammographique : un enjeu majeur en médecine 

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959804917313850

Un chapitre dans cette revue d'envergure concerne la particularité des cancers détectés lors du dépistage mammographique, qui sont des cancers moins agressifs et de meilleur pronostic ; ce sont ceux qui sont "sélectionnés" par le dépistage, dont la moitié seraient des surdiagnostics, des diagnostics inutiles qui n'auraient jamais tué leur porteuse..

La mammographie présente une sensibilité élevée pour les cancers canalaires in situ par exemple, et une sensibilité relativement faible pour certains cancers agressifs comme le cancer du sein ‘triple négatif ‘ . La mammographie ne détecte pratiquement pas  les carcinomes lobulaires in situ ou invasifs qui représentent 8-14% de tous les cancers du sein. Les carcinomes lobulaires s’infiltrent dans les tissus sans former de masses, ce qui rend difficile leur détection par mammographie.

Comparativement aux cancers d’intervalle, c.à d. ceux qui progressent vite entre deux mammographies, échappent au dépistage et qui présentent des caractéristiques agressives, les cancers invasifs détectés par mammographie présentent, eux, les caractéristiques cliniques et anatomo-pathologiques de tumeurs moins agressives. De plus, après examen des caractéristiques de ces tumeurs et de l’extension de la maladie au moment du diagnostic, le risque de mourir d’un cancer du sein dépisté est inférieur au risque de décéder d’un cancer d’intervalle..

Les auteurs de cette étude écrivaient encore que les cancers d’intervalle étaient similaires aux cancers du sein diagnostiqués en l’absence du dépistage. 

Alors, si les cancers d’intervalle sont similaires aux cancers diagnostiqués en l’absence de tout dépistage, et si les cancers dépistés ont en moyenne un meilleur pronostic que les cancers d’intervalle, il s’ensuit logiquement qu’une proportion de cancers dépistés sont des cancers non mortels qui n’auraient jamais été symptomatiques durant la vie de la femme. Ces lésions ont les caractéristiques morphologiques de cancer au microscope, mais seraient restées asymptomatiques au cours de la vie de la femme si le dépistage n’avait pas eu lieu. 

Les auteurs ajoutent : "Le surdiagnostic du cancer correspond à l’excès de cancers chez les femmes invitées au dépistage divisé par le nombre total de cancers qui auraient été diagnostiqués en l’absence de dépistage (sur une population de même profil, de même tranche d’âge, sans dépistage)."

"Si on calcule le surdiagnostic en utilisant le nombre de cancers détectés au dépistage comme dénominateur, alors pour 100 cancers du sein dépistés par dépistage, 30 à 50 seraient surdiagnostiqués."

Notre conclusion

On voit bien que le cancer du sein est une maladie très hétérogène;  des cancers indolents avec probabilité de meilleurs résultats de guérison sont facilement détectés par la mammographie de dépistage, augmentant abusivement l'incidence globale du cancer du sein, donnant l'illusion qu'il y en a toujours davantage alors que c'est ce procédé de santé publique qui les génère. Et donnant aussi l'illusion que le taux de guérison s'améliore, alors que tous ces cancers n'auraient jamais tué leur hôte. Bon nombre des formes agressives et mortelles de cancers du sein passent en revanche inaperçues à la mammographie ou se développent dans l'intervalle entre les mammographies. 

L'amélioration des décès par cancer du sein et de la mortalité globale de la population nécessite d'autres stratégies, en particulier une meilleure connaissance de l'histoire naturelle du cancer, ce qui suppose de revenir aux études fondamentales sur les modèles de croissance des cancers.

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Manipulation de l’information sur le dépistage du cancer du sein comme thématique scientifique.

Par Dr M.Gourmelon, Dr C.Bour

2 septembre 2020

La manipulation de l’information donnée aux femmes sur le dépistage du cancer du sein par mammographie est scientifique.

En ce début juillet 2020 est paru un article scientifique expliquant comment manipuler de façon efficace les femmes pour les faire participer toujours plus au dépistage organisé du cancer du sein par mammographie sous le titre :

« Une expérience de terrain sur le formatage des lettres d'invitation au dépistage du cancer du sein » [1]

Cet article d’auteurs italiens est publié dans une revue qui se définit ainsi :

« L'American Journal of Health Economics (AJHE) offre un forum pour l'analyse approfondie des marchés des soins de santé et des comportements individuels en matière de santé.

Les articles publiés dans l'AJHE sont rédigés par des universitaires, des organismes de recherche privés, le gouvernement et l'industrie. Les sujets d'intérêt comprennent la concurrence entre les assureurs privés, les hôpitaux et les médecins, l'impact des programmes d'assurance publics, l'innovation et la réglementation pharmaceutiques, l'approvisionnement en dispositifs médicaux, la hausse de l'obésité et ses conséquences, l'influence et la croissance des populations vieillissantes, et bien d'autres encore.

La revue est publiée pour l'American Society of Health Economists (ASHEcon), une organisation professionnelle à but non lucratif qui se consacre à la promotion de l'excellence dans la recherche en économie de la santé aux États-Unis. Tous les membres de l'ASHEcon reçoivent la revue dans le cadre de leur adhésion. »[2]

Il ne s'agit pas d'une analyse scientifique médicale de la pertinence du dépistage des femmes par mammographie, mais bien d'une étude sous l'angle de l'économie de la santé réalisée par des économistes. Le dépistage est partie intégrante du "marché de soins de santé" et le comportement des femmes y est analysé, selon la manipulation (sic) de l'information qui leur est donnée.

« Nous montrons que le fait de donner des informations renforcées sur les risques liés à l'absence de mammographie, augmente le taux de participation. Cette manipulation est plus efficace dans les sous-groupes où la prise en charge de base est plus faible, ce qui réduit les inégalités en matière de dépistage. »

OBJECTIF ET METHODES DE L'ETUDE

Il s'agit d'évaluer l'influence de l'interaction entre le "cadre" de la lettre d'invitation et le "niveau" des informations qui y sont divulguées, sur les taux de participation à un programme national de dépistage du cancer du sein.

Quatre "manipulations" sont testées, en fonction du cadre et du niveau de l'information. Le cadre de l'information désigne, dans ce cas ici, le fait de délivrer une information sous forme de « gains » à se faire dépister, ou bien plutôt selon une grille « de pertes » à ne pas se faire dépister.

Le niveau désigne quant à lui la qualité et l'exhaustivité de l'information.

  • On valorise le « gain » de la procédure de dépistage avec une information de qualité
  • On valorise le « gain » de la procédure de dépistage avec une information basique.
  • On met l'accent sur la « perte » de n'être pas dépistée avec une information de qualité
  • On met l'accent sur la « perte » de n'être pas dépistée avec une information basique.

"À notre connaissance, il s'agit de la première étude expérimentale évaluant l'influence de l'interaction entre le cadre de la lettre d'invitation et les informations qui y sont divulguées sur les taux de participation", expliquent les auteurs.

RESULTAT PRINCIPAL

"Les résultats montrent que le taux de participation dans le groupe qui a reçu la lettre combinant la grille de perte et une meilleure information sur les conséquences négatives en l'absence de mammographie est d'environ 2,5 points de pourcentage plus élevé que dans le groupe de base." Selon les auteurs "il s'agit d'un effet considérable".

Les rédacteurs de l'article se félicitent sur "cette manipulation (sic) (qui) contribue également à réduire les inégalités en matière de dépistage" puisqu'elle permet un effet manipulateur plus important pour les sujets qui, selon eux, sont à "faible niveau d'éducation moyen, sans expérience de dépistage récente, et pour lesquels les caractéristiques observables disponibles nous conduiraient à prédire une faible probabilité de dépistage en l'absence de toute manipulation."

LES PROBLEMES POSES

A-LE PROBLEME ETHIQUE

Il nous semble majeur.

Tout d'abord les intentions d'un accroissement de la participation des femmes, et cela coûte que coûte, est clairement affiché.

Ainsi ces chercheurs allèguent que des «  lettres envoyées aux femmes à leur domicile et l'invitation à une mammographie gratuite et pré-réservée augmentent le taux de participation au dépistage du cancer du sein ».
« À cet égard, la présente étude vise …..à fournir des indications sur la manière de concevoir des lettres d'invitation efficaces pour promouvoir les activités de dépistage du cancer. »

Les intentions sont clairement énoncées, les auteurs sont bien conscients qu’informer le plus complètement possible les femmes incitées à se faire dépister réduit la participation à ce dépistage :
« des études antérieures ont analysé l'impact de la fourniture d'une grande quantité d'informations médicales détaillées concernant la maladie (par exemple, comme dans Bourmaud et al. 2016 et Wardle et al. 2016, en incluant une brochure dans l'enveloppe de la lettre d'invitation) sur le taux de participation et ont généralement constaté un effet négatif ou nul. »

Ils formulent donc l’hypothèse que « ... les lettres d'invitation contenant un message encadré de perte (c’est à dire « perte » pour la femme, ou encore danger en cas de sa soustraction au dépistage, NDLR) avec une information renforcée sur les conséquences de la non-participation au programme sont plus efficaces pour augmenter le taux de participation que les lettres avec un contenu encadré de gain ou avec un contenu informationnel restreint... »

La manipulation est parfaitement revendiquée puisque le terme lui-même est bien répété dans le corps du texte, et que les auteurs justifient cette manipulation comme nécessaire pour qu'on «  limite la surcharge cognitive des femmes ».
La surcharge cognitive est définie ainsi :
« La surcharge cognitive correspond à un état mental où un individu est engagé dans la réalisation d’une tâche extrêmement exigeante pour lui : il ne dispose pas des ressources cognitives suffisantes à une mise en œuvre aisée de cette tâche. » [3]
Si l’on comprend bien, les femmes n’auraient pas un état mental susceptible de comprendre les informations exhaustives sur le dépistage du cancer du sein.

B- VALORISATION DU DEPISTAGE ET NEGATION DE SES RISQUES

Dès l'introduction, le doute sur la pertinence du dépistage du cancer du sein par mammographie est balayé, en dépit du questionnement scientifique sur l'intérêt du dépistage, qui ne fait qu'enfler depuis les années 2000.

 « Les programmes de dépistage par mammographie au niveau de la population sont un élément clé de la lutte contre le cancer du sein dans de nombreux pays. La mise en œuvre continue de ces politiques au cours des dernières décennies reflète le consensus actuel sur l'efficacité du dépistage par mammographie. »

Les auteurs sont tout de même obligés de concéder qu’il y a bien une «  incertitude quant à l'ampleur des effets du dépistage sur la mortalité (voir par exemple Welch et al. 2016) et des preuves croissantes de surdiagnostic... » en citant une étude de 2015, et en s'empressant de minimiser l'ampleur du surdiagnostic qui en fait pourtant l'effet adverse majeur :
 « Toutefois, à notre connaissance, l'ampleur estimée du surdiagnostic en Italie est faible, puisqu'elle se situe entre 1 et 4,6 % (voir l'étude de Puliti et al. 2012). Ces données nous amènent à considérer le phénomène comme négligeable pour notre population d'intérêt. »

Les auteurs font délibérément fi des nombreuses et plus récentes études [4]  qui ne parviennent plus à démontrer une quelconque utilité du dépistage pour réduire la mortalité des femmes, pour réduire le taux des cancers les plus graves ou encore pour alléger les traitements qui leur sont infligés.

Surtout, parallèlement à l'absence de bénéfice, il ne faut pas oublier que de nombreux effets adverses du dépistage sont à déplorer, comme les fausses alertes entraînant une surmédicalisation des femmes à outrance et un surdiagnostic chiffré actuellement plutôt entre 30 et 50%, ce qui signifie qu'un cancer sur trois détectés, voire un cancer sur deux détectés est une détection inutile.[5] [6]

A ce propos, voici un lien vers une étude supplémentaire tout à fait actuelle dont nous avons parlé :

Cette étude, (une analyse d' études transversales) a montré que le dépistage mammographique n'a pas permis d'abaisser le stade des cancers, et n'a pas permis une rétrogradation des cancers des stades élevés vers les stades précoces. Les résultats suggèrent fortement que le traitement adjuvant et non le dépistage mammographique est associé à la baisse de mortalité spécifique par cancer du sein qu'on observe depuis l'introduction de ces thérapies (années 90).

C-CYNISME ET INFORMATION CONFISQUÉE

Il ne faut donc, en aucun cas, informer correctement les femmes ou évoquer les risques de participer au dépistage, telle est la démonstration de l'étude.
Le faire, c’est diminuer la participation à ce même dépistage, ces auteurs italiens l’ont bien compris et prennent appui sur une étude d'auteurs français :
« Bourmaud et ses collaborateurs (2016) [7] ont évalué l'effet de la fourniture d'une brochure d'information de 12 pages sur le taux de participation au dépistage du cancer du sein sur un échantillon de femmes françaises sélectionnées au hasard. Ils ont constaté un effet négatif significatif sur le taux de participation. »

Un peu plus loin dans le texte de la publication l'escamotage volontaire de l'information est avoué  : « Notre lettre d'invitation de base ne contient aucune information sur les conséquences du dépistage. »
« Nous montrons qu'un message encadré négativement, qui ajoute des informations "bon marché" sous la forme de déclarations brèves et générales sur les conséquences du dépistage à la lettre d'invitation initiale, est susceptible d'améliorer le taux de participation. »

Et enfin la conclusion :  « En outre, l'effet de la manipulation que nous proposons est plus fort pour les sujets identifiés par la littérature comme présentant un risque élevé de non-participation, tels que ceux qui vivent loin des sites de dépistage, les personnes peu instruites et celles qui n'ont pas d'expérience récente du dépistage. »

Donc, moins les femmes sont instruites, plus leur cacher des informations et les manipuler est efficace.

LE PARALLELE FRANçAIS

A-L'INTERESSEMENT DES MEDECINS

Le rôle potentiel d'influence du corps médical n'est pas oublié : « l'approbation du programme de dépistage par les médecins généralistes dans la lettre d'invitation augmentait le taux global de participation, tandis qu'une lettre de rappel était particulièrement efficace pour augmenter le taux de participation des sujets résidant dans des zones socio-économiquement défavorisées. »

Les promoteurs du dépistage en France le savent eux-aussi très bien, eux qui ont fait rentrer l’item « mammographie de dépistage » dans la rémunération à la performance des médecins généralistes [8]

B-LA CARENCE DE L'INFORMATION DELIVREE PAR LES ORGANISMES OFFICIELS

Les auteurs de cette étude italienne notent que des «  lettres envoyées aux femmes à leur domicile et l'invitation à une mammographie gratuite et pré-réservée augmentent le taux de participation au dépistage du cancer du sein ».

Il est à remarquer que c’est exactement ce qui est fait en France aussi avec le programme de dépistage organisé du cancer du sein.

La concertation citoyenne avait bien identifié les lacunes effarantes dans l'information donnée aux femmes, et en France nous ne sommes pas en reste pour ce qui est de considérer les patientes comme indignes à recevoir une information médicale de qualité qui leur est due.[9]

Nous avions d'ailleurs analysé l'indigence de cette information dans les supports délivrés par l'INCa. [10] [11]

EN CONCLUSION

  • Négation des risques de la mammographie de dépistage du cancer du sein.
  • Affirmation contre une grande majorité d’études scientifiques de l ‘efficacité du dépistage.
  • Manipulation de la lettre d’invitation au dépistage.
  • Sexiste et paternalisme.

Cette étude économique d'auteurs italiens, avec des références à d'autres études analogues y compris françaises, parue en ce mois de juillet 2020 laisse un goût amer tant sur l’éthique que sur la vision des femmes dans les milieux universitaires, ou sur le comportement des promoteurs du dépistage du cancer du sein par mammographie.

Il est à noter que la majorité des acteurs du dépistage justifient une manipulation assumée des femmes à la seule fin d'accroître leur participation à un dispositif de santé publique, lequel non seulement n'a pas fait preuve d'efficacité mais en plus comporte des effets délétères à la santé des femmes, avec une information insuffisante .

A lire, en lien avec cet article : https://cancer-rose.fr/2020/09/08/information-objective-et-moindre-soumission-des-femmes-au-depistage/


Références

[1]                              https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/708930

[2]                          https://www.journals.uchicago.edu/journals/ajhe/about

[3]                              https://www.universalis.fr/encyclopedie/surcharge-cognitive/

[4]                              https://cancer-rose.fr/category/etudes/

[5]                                 https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

[6]                                 https://cancer-rose.fr/2020/01/28/30-000-cancers-surdiagnostiques-par-an-dans-une-etude-australienne-un-enjeu-de-sante-publique/

[7]                              https://www.oncotarget.com/article/7332/text/

[8]                               https://cancer-rose.fr/2020/04/20/la-nouvelle-rosp-quel-changement-pour-le-medecin-concernant-le-depistage-du-cancer-du-sein/

[9]                                 https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/

[10]                               https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/

[11]                               https://cancer-rose.fr/2018/02/11/2175-2/

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Etude australienne, un argument factuel de plus sur l’inutilité du dépistage mammographique

Évaluation des tendances de la mortalité par cancer du sein associées au dépistage mammographique et à la thérapie adjuvante de 1986 à 2013 dans l'État de Victoria, Australie

  Robert Burton, MD; Christopher Stevenson, PhD

https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2767514

Contexte

Le diagnostic du cancer du sein précoce chez les femmes dépistées et ayant eu une endocrinothérapie adjuvante et une chimiothérapie (appelée thérapies adjuvantes[1]) après chirurgie a commencé simultanément dans de nombreux pays dans les années 1990. Les déclins subséquents de la mortalité par cancer du sein ont été attribués soit au dépistage mammographique ou au traitement adjuvant de façon variable.

Est-ce le dépistage mammographique en population ou bien le traitement endocrinien et la chimiothérapie (thérapies adjuvantes) après la chirurgie curative pour un cancer du sein précoce qui est associé à la baisse de la mortalité par cancer du sein

Est-ce que le stade des cancers a pu être abaissé grâce au dépistage mammographique expliquant la réduction de la mortalité ?

Objectif de l'étude

L'étude ici présentée a été réalisée dans l'état de Victoria, en Australie.

On essaie de trouver le lien entre la réduction de mortalité relative ou bien avec la thérapie adjuvante ou bien avec le dépistage, et de déterminer lequel de ces deux évènements serait associé à cette baisse de mortalité constatée, cela chez des femmes atteintes de cancer du sein précoce et qui ont été exposées aux deux options (dépistage mammographique et traitement adjuvant après la chirurgie de leur cancer).

Méthodes

Il s'agit de l'analyse d'études transversales[2] sur la mortalité par cancer du sein, sur 76 630 femmes enregistrées avec cancer du sein invasif, ayant suivi le programme de dépistage et ayant eu un traitement adjuvant. La population était composée de participantes à des études de population antérieures sur le cancer du sein, de 1986 à 2013. Les données de 4 enquêtes de population sur le traitement du cancer du sein de 1986 à 1999 ont été utilisées.

Les comparaisons portaient sur les stades du cancer au moment du diagnostic et sur la prise d'un traitement adjuvant après l'intervention chirurgicale.

Résultats

L'incidence du cancer du sein avancé a doublé de 1986 à 2013, et la mortalité par cancer du sein brut a diminué de 30% après 1994 ; en 1999, la plupart des femmes recevaient un traitement adjuvant, ce qui pourrait être associé à ce déclin de la mortalité.

Conclusions

Cette analyse des études transversales a montré que le dépistage mammographique n'a pas permis d'abaisser le stade des cancers, et n'a pas permis une rétrogradation des cancers des stades élevés vers les stades précoces.

Les résultats montrent que le traitement adjuvant et non le dépistage mammographique est associé à la totalité des 30% de la baisse de la mortalité par cancer du sein observée dans l'état de Victoria, en Australie.

Les auteurs de l'étude soulèvent le fait que le programme australien de dépistage systématique du cancer du sein (BreastScreen Victoria) continue d'exposer les femmes à une morbidité et une mortalité inutiles. 

Le traitement adjuvant expliquant toute la baisse de mortalité observée (- 30%), les auteurs proposent que le programme BreastScreen soit cessé. 

La mesure continue des stades du cancer du sein au moment du diagnostic, les mesures de la mortalité toutes causes et mortalité spécifique par cancer du sein ainsi que l'évaluation du recours au traitement adjuvant devraient être obligatoires dans le suivi et l'évaluation des programmes de dépistage mammographique.

Références


[1]  Traitement qui complète un traitement principal afin de prévenir un risque de récidive locale ou de métastases. Une chimiothérapie, une radiothérapie, une hormonothérapie, une immunothérapie peuvent être des traitements adjuvants après la chirurgie du cancer du sein.

[2] Une étude transversale est une étude qui :
- concerne une population dans sa globalité (globalité, c'est à dire qui comprend toutes les composantes de la population, à ne pas confondre avec totalité ; c'est la plupart du temps simplement un échantillon qui est étudié, mais qui est représentatif de l'ensemble de la population)
- est menée à un instant précis (il n'y a pas de suivi de l'évolution de la population dans le temps, par opposition aux études longitudinales).

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La mammographie numérique pas plus efficace dans la réduction des cancers les plus graves, selon méta-analyse australienne

par Dr C.Bour, 28 juin 2020

https://academic.oup.com/jnci/article/doi/10.1093/jnci/djaa080/5859630

Il s'agit d'un travail de chercheurs australiens, à savoir une méta-analyse de 24 études portant sur plus de 16 millions de mammographies de dépistage (10 968 843 mammographies sur films et 5 614 900 numériques), qui a donné les résultats suivants :

Avec la mammographie numérique on assiste à :

  • Une augmentation statistiquement significative des rappels et des faux positifs ; en sachant que les faux positifs peuvent générer une anxiété considérable chez les femmes faussement identifiées comme ayant un cancer du sein, et que ce n'est donc pas sans conséquence. Après la transition vers la mammographie numérique, débutée vers l'an 2000, le taux de rappels a augmenté de 6,96 pour 1000 dépistages.
  • Aucun effet sur les taux des cancers d’intervalle, ces cancers non anticipés par le dépistage car souvent très véloces et évolutifs, qui apparaissent entre deux mammographies de dépistage, malgré une précédente mammographie négative. Il ne sont pas diminués par la technologie numérique.
  • Une augmentation modeste mais statistiquement significative du taux de détection du cancer, en revanche ce meilleur taux de détection porte en grande partie sur une plus grande détection des carcinomes in situ dont la grande majorité est de détection inutile, avec peu de différence dans la détection des cancers invasifs.

Précisions et quelques rappels

1°passage de l'analogique au numérique

Initialement la mammographie était de type analogique, c'est à dire utilisant des films que l’on devait développer. Le signal radiologique, pour faire simple, est alors transformé en 'visuel', cela comportant des aléas techniques pouvant altérer la qualité du film à interpréter (artéfacts de film, qualité et fragilité des films, problème des bains de développement etc..) . Avec le procédé numérique, utilisé dans le cadre du dépistage depuis 2008, des capteurs récupèrent l’image, la mettent en mémoire, il n'y a pas de transformation du signal et l'image est projetée en temps réel sur l'écran d'ordinateur (ou console). La diffusion du signal est limitée au maximum (technique de 'comptage des photons') pour ne garder que l'information utile. Cette technologie a été encensée pour son meilleur taux de détection par rapport au système analogique notamment en cas de seins denses, et par sa moindre irradiation.

Ce dernier aspect étant certes non négligeable, mais à relativiser, les radio-biologistes nous ayant fait comprendre les mécanismes de la radio-toxicité, bien moins dose-dépendante que sujet-dépendante. Voir : https://cancer-rose.fr/2019/07/18/radiotoxicite-et-depistage-de-cancer-du-sein-prudence-prudence-prudence/

2° L'impact du numérique en terme de bénéfices

Déjà en 2010 on s'interrogeait sur l'impact réel pour les femmes en terme de réduction de la mortalité, car l'intérêt du dépistage est de recruter les cancers qui mettent le plus en danger la vie des femmes, et ainsi de réduire la mortalité, ce que peine à prouver le dépistage du cancer du sein. (Réduction de mortalité par cancer du sein depuis les années 90, grâce aux avancées thérapeutiques, réduction bien antérieure à l'avènement des campagnes de dépistages).

Or une augmentation du taux de détection allant de 20 à 28 % avec le numérique (en fait d'après l'étude australienne, il s'agit de 25% de détection en plus pour les carcinomes in situ et de 4% de plus seulement pour les carcinomes invasifs), cela ne représente qu'un cancer de plus détecté grâce à cette nouvelle technique pour 1000 femmes, et cela ne veut pas dire qu'on sauve une vie de plus.

La performance du dépistage se mesure sur la mortalité et non pas par le taux de détection. Le problème est qu'on détecte ainsi préférentiellement un cancer qui sera peu ou pas mortel et qui de toute façon aurait été détecté par la mammographie analogique un an plus tard, ou même en l'absence de tout dépistage par l'apparition d'un symptôme clinique sans que cela change le résultat thérapeutique. Ou encore on détecte davantage de cancers qui ne se seraient jamais manifestés. On soulevait déjà le problème de surdétection par découverte préférentielle des cancers peu ou pas évolutifs , alimentant ainsi le surdiagnostic.

3°le problème de la surdétection des carcinomes in situ (CIS)

Ci-dessous un rappel de ce que nous expliquions sur les carcinomes in situ du sein : https://cancer-rose.fr/2020/06/10/un-blog-pour-les-femmes-avec-cis-carcinomes-in-situ/ 

Le carcinome in situ du sein est défini par la prolifération de cellules cancéreuses à l’intérieur d’un canal galactophore sans que les cellules ne dépassent la paroi du canal pour envahir le reste du sein.

Il est essentiellement de découverte mammographique, en effet 90 % des femmes ayant un diagnostic de CCIS présentaient des microcalcifications à la mammographie. Dans leur grande majorité ces lésions ne mettent pas en danger la vie des femmes s'il ne sont pas détectés, leur pronostic est très bon, la survie à 10 ans, paramètre très utilisé par les autorités sanitaires, est supérieure à 95%. Il existe la forme canalaire et la forme lobulaire considérée plutôt comme un facteur de risque de cancer du sein.

Les CIS alimentent les surdiagnostics. Les essais et études montrent que la croissante détection des CIS n’a pas contribué à la réduction de la mortalité par cancer du sein. Avant l’ère des dépistages, le CIS représentait moins de 5% de tous les cancers du sein pour passer à 15 à 20% dans tous les pays où les campagnes de dépistage existent. Ils ne sont pas comptabilisés dans les chiffres d'incidence (taux des nouveaux cas) donnés par l'Institut National du Cancer, car considérés à part, et non en tant que cancers "vrais".

En plus on manque d’un réel consensus parmi les anatomo-pathologistes pour le classement de ces lésions lors de l'analyse des biopsies qu'ils reçoivent, avec une tendance à les surclasser dans des catégories de pronostic plus défavorables, de peur de sous-estimer une "maladie".

la plupart des CIS sont considérés comme des lésions- précurseurs non obligatoires du cancer invasif ; paradoxalement l’augmentation spectaculaire de leur détection suivie de leur ablation chirurgicale n’a pas été suivie de baisses proportionnelles de l’incidence des cancers invasifs.

Le problème majeur est que ces entités particulières des cancers du sein sont traitées avec la même lourdeur qu'un cancer du sein.

En novembre 2016, une étude de l'université de Toronto arrive aux résultats suivants :

  • Leur traitement ne fait pas de différence sur la survie des femmes.
  • Les femmes atteintes de CIS sont lourdement traitées (parfois par mastectomie bilatérale) et ont la même probabilité de décéder d’un cancer du sein par rapport aux femmes dans la population générale.
  • Traiter les CIS ne diminue pas leurs récidives.
  • La prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduirait pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

De même, notre étude sur les mastectomies en France objectivait une augmentation régulière des actes chirurgicaux, notre hypothèse première étant le surtraitement de lésions qui ne sont pas des cancers invasifs, mais des lésions dites pré-cancéreuses et les CIS.[3] [4]

Les conséquences à long terme du surtraitement peuvent mettre la vie des femmes en danger. Par exemple, la radiothérapie faite sur ces lésions semble incapable de réduire le risque de décès par cancer du sein, mais elle est associée à une augmentation dose-dépendante (de 10 à 100% sur 20 ans) du taux d’événements coronariens majeurs. [5]

D'ailleurs dans plusieurs pays sont entrepris des essais cliniques visant à tester une simple surveillance active notamment pour le CIS de bas grade plutôt qu'un traitement agressif :

Pour Philippe Autier[6], de l'International Prevention Research Institute (IPRI) le problème est indubitablement inhérent à la mammographie routinière, en particulier la mammographie numérique qui est trop performante concernant la détection des petites calcifications ; celles-ci sont le signe radiologique le plus fréquent de ces formes, et la mammogaphie présente une excellente sensibilité pour la détection de ces microcalcifications.

Vous trouverez dans notre médiathèque plusieurs cas cliniques de carcinomes in situ, appelées abusivement carcinomes.

Conclusion des auteurs de la métaanalyse australienne :

L'augmentation de la détection des cancers après le passage à la mammographie numérique ne s'est pas traduite par une réduction du taux de cancer d' intervalles. Les taux de rappel ont été augmentés.

Ces résultats suggèrent que la transition de la mammographie sur film à la mammographie numérique, essentiellement motivée pour des raisons de meilleure performance technologique, n'a pas entraîné de bénéfices pour la santé des femmes dépistées.

Cette analyse renforce la nécessité d'évaluer soigneusement les effets des futurs changements technologiques, tels que la tomosynthèse[1] [2], pour s'assurer que les nouvelles technologies conduisent à de meilleurs résultats pour la santé, et cela au-delà des gains seulement sur le plan technique.

[1] Lire : https://cancer-rose.fr/2019/11/28/avis-de-la-haute-autorite-de-sante-sur-la-performance-de-la-mammographie-par-tomosynthese-dans-le-depistage-organise/

[2] Lire aussi : https://cancer-rose.fr/2019/03/09/association-de-la-tomosynthese-versus-mammographie-numerique-dans-la-detection-des-cancers/

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Régression cancéreuse

25 juin 2020, résumé Dr C.Bour

G Welsch, professeur au Center for Surgery and Public Health Brigham and Women's Hospital nous propose une analyse du dépistage du cancer du sein par IRM dans une vidéo pédagogique, à partir des données de l'essai "DENSE" (résultats parus en 2019), présenté sur notre site au moment de sa publication, avec les réserves (voir en fin d'article) qui ont été émises à l'issue de la parution des résultats dans le NEJM.

Quel est cet essai ?

C'est un essai randomisé, de bonne qualité

Explication de la méthode dans la vidéo à 1:12 ou ici.

Les chercheurs ont réparti 40 373 femmes entre 50 et 75 ans, présentant un tissu mammaire extrêmement dense ainsi que des résultats négatifs lors de la mammographie initiale de dépistage, en deux groupes :  dans le groupe "IRM supplémentaire" ou dans le groupe  "dépistage par mammographie uniquement" ;  plus exactement 8061 femmes dans le groupe "invitation à l'IRM" et 32 ​​312 femmes dans le groupe " mammographie seule".

Une mammographie de contrôle est ensuite effectuée au bout de deux ans pour les deux groupes afin de comparer les résultats du nombre de cancers trouvés.

Le résultat principal était la différence entre les groupes dans l'incidence des cancers d'intervalle au cours d'une période de dépistage de deux ans.

Le dépistage par IRM supplémentaire apparait associé à moins de cancer d' intervalles par rapport à la mammographie seule chez les femmes présentant un tissu mammaire extrêmement dense

Plus exactement les chercheurs ont constaté que le taux de cancer par intervalle était de 2,5 pour 1 000 dépistages chez 4 783 femmes du groupe d'invitation à l'IRM, comparativement à 5 pour 1 324 femmes dans le groupe mammographie seule.

Néanmoins dans l'analyse de ces résultats il manque un élément important selon G.Welsch : le décompte exhaustif de tous les cancers dans les deux groupes.

Le fait qu'il y ait davantage de cancers dans le groupe dépistage-IRM par rapport au groupe sans-IRM suggère bien qu'il y a davantage de détections avec l'IRM. Mais ce constat pourrait suggérer aussi autre chose, corroborant la théorie de la cinétique variable des cancers du sein, tous ne s'exprimant pas de même façon, certains pouvant régresser.

Regression des cancers ?

Rappelons qu'il s'agit d'un essai randomisé. Comme les femmes sont attribuées dans l'un ou dans l'autre groupe de façon aléatoire, il est attendu qu'au bout des deux ans nous devrions avoir le même taux global de cancers dans les deux groupes.Vidéo à 2:03

Les cancers non anticipés par le dépistage chez les femmes du groupe sans-IRM devraient forcément s'exprimer au bout des deux ans sur la mammographie réalisée pour les deux groupes à l'issue de l'étude.

Qu'observe-t-on en réalité ?

  • Pas de cancer trouvé à la mammo initiale dans aucun des deux groupes
  • Globalement plus de cancers trouvés dans le groupe IRM
  • Moins de cancers d'intervalle dans le groupe IRM
  • Au bout des deux ans à la mammographie de contrôle de fin de l'étude, davantage de cancers d'intervalle dans le groupe non IRM, puisque non anticipés par l'IRM
  • Moins de cancers mammographiques au bout des deux ans pour le groupe IRM puisque une partie anticipée à l'IRM.
===> Au total, nous obtenons un excédent de 5.4 cancers trouvés dans le groupe IRM (Vidéo 3:34)

G.Welsch explique : dans un essai randomisé avec deux groupes à distribution aléatoire, ce qui est attendu c'est qu'au bout de l'étude nous ayons un taux de 'total cancers' analogue, puisque les cancers non anticipés par l'IRM dans le groupe non-IRM se retrouvent détectés logiquement plus tard sur la mammo de contrôle faite au bout des deux ans.

Voici en image, à gauche le groupe de femmes dépistées avec IRM supplémentaire et à droite le groupe témoin sans IRM. Nous voyons dans la colonne rouge tous les cancers détectés par l'IRM entraînant un excédent de détection ; les carrés verts matérialisent les cancers d'intervalle davantage présents dans le groupe sans-IRM puisque non anticipés par cet examen ; les carrés jaunes symbolisent les cancers vus deux ans plus tard à la mammo de fin de l'essai qui sont plus nombreux chez les femmes sans l'IRM anticipatoire. Mais le comparatif du 'total-cancers' des deux groupes montre bien un excédent de cancers pour le groupe avec IRM additionnelle.

Alors, où sont passés ces 5.4 cancers excédentaires qu'on ne retrouve pas dans le groupe non-IRM, sont-ce des cancers qui apparaitront plus tard ? Ou alors ont-ils disparu ?

En général l'explication mise en avant est la croissance hyper-lente de ces cancers- là, n'apparaissant ainsi pas lors de la mammo à 2 ans, stagnants ou très très lents. Cela voudrait donc dire que plus de la moitié des cancers trouvés par IRM sont des cancers à croissance hyper-lente de telle sorte qu'ils sont indétectables à la mammographie. Rappel à 3/30 de la vidéo :  on trouve dans l'essai 9,8 cancers dans le groupe IRM , 5.4 d'excédent cancers /9.8 total cancers du groupe IRM = 0,5

L'explication alternative existe , et c'est la régression cancéreuse, à savoir la disparition de ces cancers non trouvés sur le contrôle mammo au bout des deux ans. ils disparaissent simplement. (NDLR, cette hypothèse ressort également de l'étude d'Oslo de 2008, ou le groupe de femmes dépistées tous les deux ans présente un excédent de 22% de cancers détectés en plus par rapport au groupe de femmes non dépistées, les deux groupes étant comparés au bout de 6 ans avec une mammographie effectuée pour chaque groupe. Or si tous les cancers évoluaient inexorablement et avaient pour vocation de s'exprimer tous, on devrait trouver autant de cancers au bout des 6 années d'observation chez les femmes dépistées régulièrement et chez les non-dépistées, chez lesquelles les cancers non détectés par les dépistages antérieurs devraient alors se voir sur la mammographie à la fin de l'étude, au bout des 6 ans. Si tel n'est pas le cas et qu'il y a un excédent de cancers dans le groupe dépisté, c'est que certains cancers, ne s'étant pas manifestés chez les femmes non dépistées ont vraisemblablement disparu entre temps ).

La régression cancéreuse est observée pour d'autres formes de cancers : le cancer du rein (1/4 des lésions cancéreuses régressent) de la thyroïde (1/3 des lésions cancéreuses régressent). Alors pourquoi pas pour le sein ???

La balance bénéfice/risques

Alors faisons la balance bénéfice/risques d'une surveillance accrue par IRM :

vidéo : 6/08.

Au total, la balance penche en faveur des risques liés à la surveillance accrue des seins denses par IRM par rapport à ses bénéfices.

Bonnes et mauvaises nouvelles

Il y a une bonne nouvelle en matière de cancer du sein. Depuis les années 90 la mortalité par cancer du sein a chuté de 40% (donc déjà avant l'arrivée des campagnes nationales de dépistages, NDLR).

C'est une réduction importante, selon G.Welsch qui rappelle que cette chute de mortalité est attribuable aux avancées thérapeutiques, et non pas au dépistage

Vidéo : 6:20

La mauvaise nouvelle selon lui est que le dépistage est la cible d'une course à l'armement technologique, depuis la première mammographie analogique, puis la mammographie, l'arrivée de la 3D (tomosynthèse) et à présent l'avènement de l'IRM, toutes visant à trouver davantage de cancers. Pour quel bénéfice ??

Conclusion de l'auteur

L'enjeu n'est pas de trouver de plus en plus de cancers induisant des surtraitements inutiles, mais bien de détecter ces cancers qu'il importe de trouver, car constituant une menace pour la vie d'une patiente.

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Et si vous retiriez bénéfice de l’arrêt des dépistages ?

C.Bour, 15 juin 2020

La question est posée par des scientifiques québécois dans le journal Le Devoir.

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/580791/et-si-la-covid-19-vous-avait-sauve-e

 

Tout le monde ne bénéficie pas d'un dépistage, surtout s'il s'agit d'un dépistage dont la balance bénéfice-risques est de plus en plus remise en questions au vu des risques cumulatifs, et au vu du bénéfice de moins en moins avéré avec le recul que nous avons à présent sur les campagnes de dépistages du cancer du sein.

Cette pause dans les dépistages pourrait constituer une opportunité pour la recherche, pour réfléchir à l'information des femmes sans alarmisme ou menace envers elles, pour se poser les bonnes questions de l'utilisation des ressources financières en santé vers des procédés et dispositifs qui sont avérés bénéfiques aux populations, comme les signataires québécois concluent :

"Le contexte actuel doit servir à remettre en question plus largement nos choix dans l’offre de services cliniques de manière à prioriser les interventions qui ont démontré une efficacité et des bénéfices concrets pour les patients et patientes."

 

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Le surdiagnostic du cancer de la thyroïde, une préoccupation féminine aussi

5 juin 2020

Résumé Dr C.Bour

https://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/cancerologie/le-circ-sinquiete-du-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide

Le CIRC s’inquiète du surdiagnostic du cancer de la thyroïde

 

Le surdiagnostic est un réel problème dans nos sociétés modernes surmédicalisées. Il devient un vaste enjeu de santé publique, car il entraîne des populations entières dans les affres de la maladie que ces populations n'auraient pas connue sans les surdétections inutiles par des dépistages en tous genres, dont la médecine dite "préventive" est si friande.

Le médecin et méthodologiste D.Sackett est très critique sur la médecine préventive qu'il qualifie :

  • D'affirmative sur des individus sains sans aucun symptôme, leur disant quoi faire pour rester en bonne santé ;
  • De présomptueuse, prétendant que ses interventions vont généralement faire mieux plutôt que pire à ceux qui y souscrivent ;
  • De tyrannique, faisant tout pour exercer son autorité par des campagnes médiatiques basées sur les peurs du public, et en attaquant ses contestataires.

Concernant le dépistage du cancer de la thyroïde dont nous allons parler ci-dessous, la population féminine fait une fois de plus les frais, comme pour le cancer du sein, d'une surmédicalisation débridée.

Le surdiagnostic des cancers

Le surdiagnostic est l'invité surprise et indésirable des dépistages massifs des populations. Pour le dépistage du cancer du sein, le Dr B.Duperray a énormément contribué à sa meilleure connaissance.

Le dépistage du cancer de la prostate, encore toujours prescrit, n'est plus recommandé par les autorités sanitaires en raison de dommages graves sur la santé des hommes, nous traitions en 2017 de son surdiagnostic.

Les choses semblent plus nuancées pour le dépistage du cancer du colon, avec un dépistage dont la logique de promotion se déplace d'un dépistage pour tous à une proposition plutôt aux patients les plus à risque (avec risque de cancer colorectal à 15 ans ≥3%), cela avec une information loyale du patient et une décision partagée.

Le surdiagnostic du cancer de la thyroïde

Le surdiagnostic du cancer de la thyroïde est un phénomène bien connu, déjà évoqué dès 2016 [1] déjà par le CIRC [2] lui-même[3].

Dans une étude du NEJM de 2016  on estimait à plus d’un demi-million le nombre de patients surdiagnostiqués entre 1988 et 2007 dans 12 pays à revenu élevé, avec une dominante dans la population féminine. A l'époque le CIRC dénonçait déjà la très forte hausse du nombre de petits cancers papillaires de la thyroïde (forme la plus fréquente et la moins dangereuse) , et ce depuis les années 80-90 .

Selon des chercheurs cette augmentation affolante du nombre de petits cancers papillaires, constatée en France et dans plusieurs pays développés (Etats-Unis, Corée du Sud, Italie, Japon), est avant tout la conséquence de l’utilisation croissante de moyens d’imagerie de plus en plus précis, en particulier l’échographie cervicale, et non la conséquence d’autres facteurs invoqués parfois comme l’impact des accidents nucléaires.

Toujours selon les chercheurs, jusqu’à 90 % des cancers de la thyroïde diagnostiqués ces dernières décennies, chez les femmes majoritairement (84 % en France), sont le plus souvent des surdiagnostics.

Nouvelle alerte du CIRC

 « Le surdiagnostic du cancer de la thyroïde augmente rapidement dans le monde et est devenu un grand défi de santé publique », alertent à nouveau les chercheurs du Centre international de recherche sur le cancer.

En collaboration avec l'Institut national du cancer Aviano en Italie, les registres de cancer de 26 pays sur quatre continents ont été étudiés. Publiée récemment dans « The Lancet Diabetes & Endocrinology », l' étude constate une augmentation très importante de l’incidence (taux des nouveaux cas) du cancer de la thyroïde entre les périodes de 1998 à 2002 et de 2008 à 2012, et ceci dans tous les pays analysés.

Ce surdiagnostic du cancer de la thyroïde est plus marqué chez les femmes d'âge moyen (entre 35 et 64 ans). La proportion du surdiagnsotic de 2008-2012 variait autour de 40 % en Thaïlande et à plus de 90 % en Corée du Sud.

En France

En France, le taux de surdiagnostic chez les femmes est évalué par les auteurs à 83 %, ce qui correspond en chiffres bruts à 25 000 patientes entre 2008 et 2012.

Dans l'ensemble des pays

Plus de 830 000 femmes et  plus de 220 000 hommes pourraient avoir été surdiagnostiqués entre 2008 et 2012.

L'origine du problème

Elle est à chercher dans la médecine elle-même, les auteurs invoquent la surveillance accrue de la glande thyroïde notamment par l'échographie cervicale conduisant à une sur détection de nombreuses tumeurs inoffensives, mais qui seront toutes traitées une fois découvertes.

En Corée du Sud où le phénomène a été bien suivi, le surdiagnostic était la conséquence de l'examen de la thyroïde pratiqué systématiquement dans les programmes de dépistage.

Recommandation du CIRC

Les chercheurs du CIRC invitent les États à la vigilance et à revoir les recommandations du dépistage chez les patients asymptomatiques.

Le surdiagnostic engendre des dommages à vie, les lésions surdiagnostiquées sont toutes traitées avec une ablation radicale de la thyroïde et des traitements de sustitution pour tout le reste de l'existence du patient. Les conséquences psychologiques de l'annonce d'un cancer sont souvent dramatiques et il ne faut pas les sous-estimer.

Une considération financière n'est pas négligeable : les coûts générés par le surdiagnostic détournent les ressources des pays pour d'autres pôles de soins plus appropriés à la santé des populations.

EN PRATIQUE-A RETENIR

  • Les micronodules sont extrêmement fréquents : dans les séries autopsiques on trouve 60% de micronodules et 35% de microcarcinomes.
  • 10% à 15% de ces nodules seulement vont grossir
  • NE PAS BIOPSIER si le nodule est < 1 cm
  • OPTER POUR UNE SURVEILLANCE ACTIVE (même en cas de microcarcinome papillaire avéré) si le nodule est inférieur à 1cm, et situé loin de la capsule de la thyroïde (au moins à 2mm). P.ex. :
  • La surveillance active des microcarcinomes thyroïdiens : annuelle les 5 premières années, espacée ensuite si stabilité à raison d'une fois à 7 ans, puis ensuite à 10 ans.
  • Pas de surveillance active si un microcarcinome papillaire augmente en taille.
  • La localisation isthmique n'est pas une condition idéale pour une surveillance active.
  • La présence de microcalcifications est un facteur péjoratif (augmentent la probabilité de métastases ganglionnaires).
  • La surveillance active est possible chez un patient consentant et bien informé, à partir de l'âge de 40 ans, sans adénopathie, avec un nodule qui reste stable et qui est éloigné de la capsule thyroïdienne.
  • Dans les cas idéaux on réfléchit à une extension de la surveillance active aux nodules < 15 mm.

NDLR

Ce problème est très bien évoqué par l'article de John Horgan , journaliste scientifique sur ce qu'il nomme l'industrie du cancer, dont nous nous sommes fait le relai.

Références

[1] https://www.revmed.ch/RMS/2016/RMS-N-528/Surdiagnostic-de-cancer-de-la-thyroide-560-000-cas-en-vingt-ans

[2] Centre international de recherche sur le cancer de l'OMS, basé à Lyon

[3] https://www.vidal.fr/actualites/19934/cancer_de_la_thyroide_face_au_surdiagnostic_massif_et_ses_consequences_le_circ_appelle_a_la_prudence/

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Les seigneurs de la peur

Dr C.Bour, 4 juin 2020

Les vieux réflexes de s'appuyer sur la peur du cancer pour inciter à recourir aux dépistages ont la vie dure.

Après l'angoisse partagée par la population en raison d'une épidémie meurtrière, non anticipée, qui a dépassé les capacités des structures hospitalières et plonge à présent les peuples dans une angoisse de l'avenir, voici nos Cassandre nationales à l'oeuvre, nous servant le spectre d' une surmortalité à craindre en raison des deux mois de suspension des dépistages. https://www.bfmtv.com/sante/coronavirus-les-medecins-redoutent-une-surmortalite-en-raison-des-depistages-tardifs-des-cancers-1926274.html

Cela commence par le titre " les médecins redoutent une surmortalité en raison des dépistages tardifs des cancers"

L'article dit :

"Nous craignons 5.000 à 10.000 morts supplémentaires du cancer", indique "le professeur Jean-Yves Blay, directeur du centre d'oncologie Léon Bérard à Lyon et président de la fondation Unicancer. "

"Ceux qui nous inquiètent sont donc les nouveaux patients, explique le directeur du centre d'oncologie Léon Bérard à Lyon. Par exemple, les femmes qui, en mars, ont senti une petite boule dans le sein et se sont dit qu'il valait mieux attendre la fin de l'épidémie pour consulter." En moyenne, 30.000 cancers sont dépistés chaque mois en France."

Plus loin nous lisons  : "Au Royaume-Uni, le centre de recherche sur le cancer estime qu'environ 2,1 millions de personnes auraient dû passer un dépistage de routine et que 23.000 cas de cancers auraient pu être diagnostiqués pendant la période du confinement. "

Et en fin d'article : "....un retard dans le diagnostic d'un cancer du sein ou des ovaires implique des risques plus importants de rechute ou de mortalité." "Le retard peut conduire à une perte de chances", confirme sur RTL Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer."

Déjà l'INCa, dans un élan d'obsession toute technocratique lançait, à peine le confinement terminé, un grand plan de "rattrapage" des dépistages comme si nos vies en dépendaient. https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2020/05/2020-05-05-REPRISE-CRCDC-COVID.pdf

Décryptage d'une manipulation

La présentation dans l'article est manipulatoire, sous-entendant qu'avoir un cancer résulte du fait de ne pas recourir au dépistage.

Une assimilation est faite entre les femmes "qui sentent une boule dans le sein" , donc AVEC symptômes, et celles en attente d'un dépistage. Pour les premières, c'est à dire porteuses d'un cancer qui "parle", ne pas avoir accès à des soins peut devenir un problème. En revanche il est certain que différer son dépistage n'est pas une perte de chance, contrairement à ce qu'avance le Pr A.Kahn, président de la Ligue contre le cancer, à la fin de l'article. Par définition une femme en attente d'un dépistage est une femme sans symptôme qui doit passer une mammographie parce qu'elle y est convoquée de façon routinière, mais qui ne se plaint de rien. L'examen n'est pas vital.

Juxtaposer les cas de femmes qui ont un signe d'appel avec les 30 000 cas de cancers/mois trouvés par dépistages est une ruse, une méchante ruse pour faire peur,  insinuant que la femme qui a palpé une boule dans son sein est dans cette situation parce que non dépistée. Le problème principal de l'article est là, dans cet amalgame.

Il faut surtout revenir à la réalité des choses, celle qui est soigneusement et de façon coupable celée aux femmes.

Les taux de cancers du sein augmentent d'année en année à cause du dépistage. Parallèlement, il n'y a aucune diminution de la mortalité globale grâce aux dépistages, il n'y a pas non plus de diminution de la mortalité par cancer du sein qui serait attribuable au dépistage des cancers du sein.

On constate bien une diminution de la mortalité par cancer du sein mais déjà bien avant la mise en place de la campagne de dépistage, et qui n'y est pas liée. De plus, les programmes de dépistages des cancers du sein, s'ils étaient efficaces, auraient dû accentuer cette décrue de mortalité. Or ce n'est pas ce qu'on constate. Dans le même temps, la diminution de mortalité par cancer du sein est contrebalancée par une augmentation de mortalité d'autres causes, et dans ces autres causes il y a les effets indésirables du dépistage[1].

Au maximum, sur la base de l'estimation Cochrane, si 2000 femmes se font dépister par mammographie pendant 10 ans, on aurait 4 décès par cancer du sein au lieu de 5. Alors avant d'arriver à 5 000 ou 10 000 morts supplémentaires en deux mois de confinement, et cela à cause d'une absence de dépistage, il y a une bonne marge !

Le problème est dans l'amalgame trompeur des cancers "parlants", où le non-accès aux soins en raison d'un confinement peut porter préjudice aux patients, et les cancers trouvés lors d'un dépistage, chez des patients sans symptôme, non en danger de mort, et dont une grande partie ne devrait pas être détectée car de découverte inutile (les surdiagnostics). Ces surdiagnostics, écueils majeurs des dépistages, alimentent le chiffre des 30 000 cas de cancers dépistés/mois, et n'est même pas évoqué dans l'article.

Au contraire, une possible réduction de mortalité à attendre

D'autres chercheurs en revanche, et non des moindres, estiment au contraire que cette suspension des dépistages pourrait être tout à fait bénéfique.

En effet, on élimine une bonne partie des cancers surdiagnostiqués, et on élimine ainsi le surtraitement qui plonge tant d'individus dans le drame d'une "maladie" qu'il n'auraient pas connue sans lui, et qui aboutit parfois au décès en raison des complications des traitements lourds.

Le dépistage ne réduit pas la mortalité globale, n'a pas de retentissement démontré ou très peu sur la mortalité spécifique, n'a pas fait reculer les formes graves, est responsable de fausses alertes, surdiagnostics, surtraitements, irradiations inutiles, mastectomies débridées.

Autant pour le dépistage du cancer de la prostate que pour le dépistage du cancer du sein, la balance bénéfice/risques n'est pas bonne, les risques contrebalançant négativement le bénéfice attendu.

Il est donc tout à fait légitime d'escompter au contraire une possible baisse de mortalité, concomitante à la moindre consommation médicale, comme plusieurs chercheurs et scientifiques internationaux l'évoquent.[2] [3] [4]

L'arrogance des modéliseurs

Souvenons-nous ...

En 2018 au Royaume Uni, une erreur d'un "algorithme informatique" privait 450.000 femmes âgées de 68 à 71 ans de leur invitation au dépistage, entre 2009 et 2018.

Le ministre de la santé de l'époque, Jeremy Hunt, affirmait que cela aurait coûté la vie à 135 à 270 femmes.

https://www.bfmtv.com/international/gb-une-erreur-de-depistage-du-cancer-du-sein-aurait-ecourte-la-vie-de-270-femmes-1435317.html

La présidente de HealthWatch, Susan Bewley, professeure en santé des femmes au King's College de Londres, rédigeait alors une lettre au Times exhortant les femmes à réfléchir à deux fois avant d'accepter les invitations de dépistage de "rattrapage".

https://www.healthwatch-uk.org/news/150-times-letter-sparks-media-frenzy-screening.html
Car les chiffres de surmortalité avancés, basés sur une modélisation statistique, avaient été contestés par de nombreux membres de la communauté de médecins et d'épidémiologistes, et la lettre de S. Bewley avait rapidement rassemblé de nombreux signataires, y compris Michael Baum, professeur émérite de chirurgie à l'University College de Londres : "Le dépistage du cancer du sein cause surtout plus de mal involontairement que de bien", écrivaient les auteurs.

Dans notre cas ici, comment a été réalisée cette estimation de 5-à 10 000 cas de surmortalité avancée ? Avec quelle modélisation ? Quels calculs utilisés ? Sur quelles bases de données, quels registres ?

Le privilège des leaders d'opinion et de certains  médias est de pouvoir avancer des prévisions, des estimations, des prédictions, sans les nuancer,  surtout sans éprouver le besoin de les  justifier ou de les étayer. La contestation ne sera pas relayée et n'intéresse pas les médias. C'est tellement plus vendeur d'instiller et de répandre encore un peu plus d'inquiétudes.  

Combien de cancers surdiagnostiqués parmi les 30 000 cancers dépistés, la question n'est pas abordée. Le dépistage du cancer de la prostate n'est plus préconisé en raison de son surdiagnostic entraînant une catastrophe sanitaire sur les hommes qui y sont soumis, mais il est néanmoins encore réalisé. Parmi ces 30 000 cancers dépistés, un cancer du sein sur trois détectés voire un cancer du sein sur deux détectés pourrait être un surdiagnostic [5].

  

En réalité

En réalité, comme l'expliquent Prasad et Welsch (référence 2) le délai de suspension des dépistages pendant le covid est vraisemblablement trop court pour qu’on puisse en examiner l'impact de façon fiable, il faudrait pour cela que cette interruption dure deux ou trois ans, voire plus.

Les tumeurs disparaissant d’elles-mêmes (c'est à dire les surdiagnostiquées des dépistages) ont quand-même besoin d’au moins plusieurs mois, sinon d'années pour disparaître. Si nous observons une réduction minime de l’incidence des cancers pendant la suspension, l'éventuelle hausse compensatoire du taux des cancers ensuite en raison des "rattrapages", ou au contraire l’absence de hausse compensatoire sera très difficile à détecter de façon fiable.

L'estimation d'une surmortalité due au cancer, faite dans l'article, est tout à fait hypothétique et nous ne connaissons pas la procédure utilisée pour aboutir à ce chiffre. L'article est muet sur le possible gain en mortalité par la diminution des surdiagnostics et par la diminution de la surmédicalisation. Un amalgame est fait entre les cancers symptomatiques et les cancers qui ne le sont pas, qui n'évolueraient pas. De toute façon ces cancers seront quand-même diagnostiqués, simplement quelques mois plus tard et sans aucune conséquence, par le "rattrapage" imposé par INCa et ARS.

Un retard de consultation en cas de présence d'un cancer du sein actif est préjudiciable, un "retard" de diagnostic d'un cancer du sein non symptomatique n'est pas une perte de chance.

Un cancer détecté par mammographie est soit un cancer d'évolution lente qui se manifesterait sans dépistage par un symptôme bien avant son essaimage, et sans impact sur la survie (survies identiques chez les femmes dépistées et non dépistées[6]). Soit c'est un cancer qui ne se serait jamais manifesté. Soit c'est un cancer agressif et le dépistage n'y changera rien.[7]

Dans les 5 à 10 000 décès par cancers supplémentaires estimés, et si ce chiffre repose sur une quelconque réalité, combien seront imputables à des surtraitements suite à des dépistages inutiles ?

Pendant l'épidémie Covid-19 on a vu fleurir dès le mois de mars des estimations de mortalité , estimations répandues dans toute la presse. Les chiffres réels, déjà tristement suffisants, sont heureusement largement en-dessous de ces morbides prédictions modélisées, dont on voit les limites.

Les populations, déjà épuisées des conséquences de l'épidémie Covid-10, physiquement, moralement, économiquement, méritent-elles d'être harcelées, à peine sorties du danger imminent, de menaces d'autres morts et de maladies qu'elles n'auront pour la plupart jamais ?

Références

[1] https://cancer-rose.fr/2019/08/08/synthese-detudes-un-exces-de-mortalite-imputable-aux-traitements-lemportant-sur-le-benefice-du-depistage/

[2] https://cancer-rose.fr/2020/05/28/un-effet-secondaire-inattendu-de-lepidemie-covid-19/

[3] https://cancer-rose.fr/2020/05/12/reduction-du-nombre-des-depistages-des-cancers-lors-de-la-periode-covid-19-quelles-consequences-a-attendre/

[4] https://cancer-rose.fr/2020/04/15/pont-de-vue-de-susan-bewley-apres-lepidemie-covid19-les-choses-ne-devraient-plus-jamais-etre-les-memes-dans-le-monde-du-depistage/

[5] https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

[6] https://cancer-rose.fr/2016/11/20/etude-miller/

[7] https://cancer-rose.fr/2016/12/03/le-sur-diagnostic-un-graphique-pour-expliquer/

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Un effet secondaire inattendu de l’épidémie covid-19

28/05/2020

Voici une opinion de deux chercheurs sur l'apport, à long terme, de la suspension des dépistages dans la connaissance du cancer.

Gilbert Welch (Centre de chirurgie et de santé publique du Brigham and Women's Hospital et auteur de «Less Medicine, More Health»

 Et Vinay Prasad (oncologue, professeur agrégé de médecine à l'Oregon Health and Science University et auteur de "Malignant: How Bad Policy and Bad Medicine Harm People With Cancer")

https://edition.cnn.com/2020/05/27/opinions/unexpected-side-effect-less-medical-care-covid-19-welch-prasad/index.html

Synthèse Dr C.Bour

Nous avions déjà rapporté récemment le point de vue de Judith Garber, scientifique en sciences politiques et politique de la santé au Lown Institute.

Et aussi celui de Susan Bewley , professeure émérite d'obstétrique et de santé des femmes au King's College de Londres et présidente de Healthwatch.

 

Selon les auteurs, le fait que les systèmes de soins médicaux furent submergés par l'épidémie, certains patients ont certainement connu des dommages en santé.

En revanche pour d'autres, toujours selon les deux auteurs, cette suspension a pu être bénéfique.

Outre l'effet de la diminution des interventions chirurgicales, des admissions aux urgences, des demandes d'examens complémentaires biologiques et radiologiques, de l'augmentation de la télé-médecine, les deux chercheurs passent en revue l'impact de la suspension des dépistages.

Des recherches antérieures sur les effets mondiaux des grèves des médecins suggéraient une baisse de mortalité concomitante à la moindre consommation médicale. Il parait donc pertinent d'étudier attentivement les tendances de la mortalité en 2020 et de démêler les décès liés au Covid des autres causes de décès. Il serait tout aussi important de se pencher sur les inégalités selon le milieu socio-économique : l'interruption des soins médicaux diminue peut-être la mortalité chez les riches surmédicalisés, mais il est fort à redouter le phénomène inverse chez les plus pauvres.

 

Le volet dépistage

 

La suspension du dépistage du cancer est un des domaines à étudier selon Welsch et Prasad. Pour eux, il ne fait aucun doute que le déclin de la mammographie entraînera une diminution du nombre de cancers du sein diagnostiqués. Mais est-ce une mauvaise ou une bonne chose?

L'occasion est belle d'étudier ce qui se passera dans les statistiques américaines du cancer lorsque le dépistage reprendra, de l'avis de ces auteurs.

Ils s'attendent à l'une de ces deux observations :

  • Les taux des cancers du sein pourraient alors "rattraper" le retard de leur diagnostic, ce qui signifie que le déficit des diagnostics des cancers pendant la pandémie serait compensé par un excédent de cancers au cours des années suivantes. En d'autres termes, tous les cancers non détectés chez les patients pendant la pandémie seraient finalement découverts ensuite.
  • L'alternative serait que les diagnostics de cancer du sein ne se rattrapent jamais...

Pourquoi ?

Il y a des années, les chercheurs ont observé ce phénomène en Norvège. Welsch et Prasad se réfèrent là à la fameuse étude de l'Institut d'Oslo de 2008 : dans un groupe des femmes âgées de 50 à 64 ans avaient subi trois mammographies en six ans, et au bout des six ans il s'avérait qu'elles avaient davantage de cancers du sein invasifs détectés que les femmes du groupe comparateur, lesquelles n'avaient eu qu'une seule mammographie au bout de six ans. Or, si tous les cancers du sein avaient pour vocation de devenir symptomatiques, il y en aurait eu autant dans les deux groupes. Aucune raison qu'il y en ait moins dans le groupe non dépisté régulièrement, sinon que des tumeurs du sein ne s'exprimant jamais et même régressant spontanément ont été détectées en excès dans le groupe davantage mammographié. Cette étude fut à l'origine de la démonstration et de la quantification du surdiagnostic. cf notre brochure.

Une procédure mammographique faite plus tardivement et moins fréquemment conduit donc bien à moins de diagnostics de cancer du sein. On pourrait arguer que ce déficit finit par se manifester par des tumeurs non détectées apparaissant dans des délais plus longs, vers 5, 10 ou 25 ans. Or il n'en est rien, ce déficit n'est jamais rattrapé même au bout de 25 ans de suivi comme le montre l'étude de Miller.

Les résultats de l'étude d'Oslo de 2008 suggèrent que certains petits cancers régressent d'eux-mêmes. Question : cela pourrait-il se produire en ce moment pendant la pandémie de Covid-19? Et pourrait-on le mettre en évidence ?

 

Dans l'article les auteurs se penchent également sur le déclin des crises cardiaques et accidents vasculaires cérébraux observé durant cette période. Soit ces maladies ont été sous-diagnostiquées, soit il y en a réellement eu moins...

Qui a bénéficé de cette période de moindre médicalisation, et qui a perdu ?

 

Conclusion des auteurs

 

Nous ne trouverons les avantages que si nous les recherchons, disent Prasad et Welsch. Nous avons besoin de médecins chercheurs prêts à poser des questions difficiles sur les services qu'ils fournissent - des questions qui peuvent menacer leurs propres intérêts professionnels / financiers.

Covid-19 offre une occasion unique d'étudier ce qui se passe lorsque la machine bien huilée des soins médicaux passe d'un volume élevé à un volume faible afin de se concentrer sur des patients gravement malades. Il sera opportun pour les médecins -chercheurs d'étudier ce qui a été perdu. Il sera courageux pour eux d'étudier ce qui a été gagné.

 

Notre avis

 

Les deux chercheurs s'attellent ici à reposer la question du surdiagnostic et de sa mise en évidence, et à en évoquer les causes (régression spontanée d'une tumeur à croissance lente/nulle), davantage qu'à tenter sa quantification.

En effet, le délai de suspension est vraisemblablement trop court pour qu’on puisse en examiner l'impact de façon fiable, il faudrait pour cela que cette interruption dure deux ou trois ans, voire plus (comme le groupe de comparaison de l'étude d'Oslo, où le délai de non-examen mammographique du groupe comparateur était de 6 années), et que cette interruption concerne les personnes qui auraient été admissibles dans ce laps de temps-là, conformément au calendrier initial, et aussi qu'il n'y ait aucune tentative de rattraper l’arriéré.

Dans notre situation, quelques mois de cancers surdiagnostiqués seulement disparaîtront.

Déjà dans notre pays l'INCa a fait parvenir dare dare, alors que l'épidémie n'est encore pas totalement derrière nous, une note aux ARS pour établir un plan de rattrapage des dépistages non effectués ! (Page 2)

"Un plan de rattrapage des dépistages non effectués sera établi par chaque CRCDC(centres régionaux de coordination des dépistages des cancers), en fonction du nombre estimé de dépistages non effectués et de la situation épidémiologique dans les territoires, de ses ressources propres et des modalités de reprise d'activité."

On remarquera la préoccupation obsessionnelle toute technocratique concernant les indicateurs d'activité des centres de dépistage, il n'est en aucune façon question de réfléchir sur la possibilité d'une étude en fonction des données qu'on aurait récoltées pendant la période de suspension, non, il s'agit de rattraper un retard d'indicateurs qui ne seraient plus au beau fixe pendant ces trois derniers mois.

Un confrère danois nous confirme qu'au Danemark également la reprise a bien eu lieu, ça ne traîne pas....

Une autre réflexion est que si nous n'observerons qu’une réduction minime de l’incidence en raison du court délai de suspension, l'éventuelle hausse compensatoire dont parlent les auteurs, ou au contraire l’absence de hausse compensatoire, sera très difficile à détecter de façon fiable, sans compter que les tumeurs disparaissant d’elles-mêmes (les surdiagnostiquées) ont quand-même besoin d’au moins plusieurs mois, sinon d'années pour disparaître.

 

Mais foin de conjectures, le dépistage reprenant très vite grâce au zèle de nos technocrates moins soucieux de diminution de cancers que de relance d'une machinerie bien huilée, les tumeurs seront hélas détectées avant d’avoir eu une seule petite chance de régresser toute seules. Quelques mois de cancers en surdiagnostic seulement disparaîtront, passant inaperçus.

Nous verrons par la suite si dans d'autres pays comme aux Etats Unis des études spécifiques sur cette période, en terme d'incidence des cancers mais aussi de mortalité spécifique par maladie seront initiées.

 

 

 

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