Carcinomes non progressifs et régression cancéreuse

Traduction et synthèse de deux publications, par Cancer Rose, 25/09/2023

Il est très rare qu'on observe directement des régressions cancéreuses, non pas parce qu’elles sont rares, mais parce que leur observation est difficile, car dès qu’on décèle un cancer, il est traité.

Et de fait, on ne peut pas parier sur la régression d'un cancer lorsqu'on en voit un. Une fois détecté, on ne prend aucun risque et on traite la lésion cancéreuse.
La régression cancéreuse a pu être observée chez des femmes sur le point d’être opérées de leur cancer du sein, mais dont l’intervention chirurgicale a dû être différée en raison de la survenue d’une autre maladie grave (une hémopathie évolutive p.ex.) plus urgente à traiter. Ces cas de régression existent bel et bien, et pas seulement pour le cancer du sein d’ailleurs.[1]

Carcinomes mammaires non progressifs détectés lors du dépistage par mammographie : une étude de population

Heggland, T., Vatten, L.J., Opdahl, S. et al. Non-progressive breast carcinomas detected at mammography screening: a population study. Breast Cancer Res 25, 80 (2023). https://doi.org/10.1186/s13058-023-01682-9

L'étude ici présentée rassemble des données norvégiennes et, à l'aide d'un modèle âge-période-cohorte, les auteurs évaluent la proportion de cancers non évolutifs parmi les cancers détectés.

Certains carcinomes mammaires détectés lors du dépistage, en particulier le carcinome canalaire in situ, pourraient ne jamais évoluer vers une maladie symptomatique.
Il y a toujours plus de cancers détectés chez les femmes dépistées par rapport aux non-dépistées, cet excédent correspond au surdiagnostic (diagnostics non utiles), car si toutes les tumeurs avaient pour vocation d'évoluer vers des "vrais "cancers et s'exprimer en tant que tels, il y en aurait autant dans le groupe des non dépistées que des dépistées.
Le fait qu'il y en ait davantage chez les dépistées sans différence de longévité ou des taux de mortalité entre les deux groupes montre qu'il y a un excédent de détection de cancers chez les dépistées, cancers dont bon nombre ne sont pas évolutifs, mais qui, détectés, seront néanmoins traités.
La difficulté réside dans l'évaluation de la quantité des carcinomes invasifs non évolutifs et des carcinomes in situ, de plus en plus nombreux depuis l'instauration des dépistages mais dont la très grande majorité sont des lésions à très bon pronostic et non évolutives, à tel point que dans certains pays des programmes de simple surveillance active sont proposés.

Résultats de l'étude

Heggland et coll. veulent examiner si tous les carcinomes mammaires détectés lors d'un dépistage entre 50 et 69 ans évoluent vers des symptômes cliniques à 85 ans.
Ils ont estimé la fréquence des tumeurs non progressives (ou non évolutives) parmi les cas détectés par le dépistage, sur la base du programme BreastScreen Norway de la population norvégienne avec 24 ans de suivi, en calculant la différence du taux cumulé de carcinomes mammaires entre les scénarios avec et sans dépistage à l'âge de 85 ans.

Les résultats suggèrent que près d'un carcinome mammaire sur six détectés lors du dépistage peut être non progressif. Les auteurs écrivent : "Nous avons constaté que les carcinomes mammaires qui n'évoluent pas vers des cancers cliniques à l'âge de 85 ans pourraient représenter une proportion substantielle des cas détectés lors du dépistage. Une meilleure connaissance de la progression tumorale est nécessaire pour optimiser le traitement des carcinomes mammaires détectés par dépistage."

Ils ajoutent que leur estimation plus faible des carcinomes mammaires non progressifs par rapport à d'autres études peut être attribuée à la modélisation utilisée ; en effet diverses méta-analyses et un travail de synthèse de grande envergure du Pr.P.Autier suggèrent qu'un tiers des cancers détectés pourraient être des cancers non évolutifs et de détection inutile.

Une vérification de ce modèle suggère une régression de 50 % des cancers du sein invasifs surdiagnostiqués.

Réaction du chercheur et épidémiologiste norvégien Per-Henrik Zahl

https://breast-cancer-research.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13058-023-01708-2

Les modèles sont souvent spéculatifs...Et il y a peut-être un autre phénomène en dehors du caractère non évolutif des cancers, à savoir celui de la régression cancéreuse.

Dans le modèle, constate H.Zahl, à l'âge de 69 ans, le taux d'incidence excédentaire estimé est de 1 614 pour 100 000 femmes.
Si les femmes de cette cohorte n'ont pas participé au dépistage pendant 20 ans, ces tumeurs devraient s'accumuler en l'absence de dépistage et on devrait les détecter à 69 ans. Or, en supposant un taux de participation de 80%, on obtient un taux de détection spécifique à l'âge de 746 cancers du sein invasifs pour 100 000 femmes dépistées, plus environ 160 in situ détectés. Cela donne un taux de détection d'environ 900 pour 100 000 femmes dépistées.
Par rapport aux 1614 attendues dans le modèle, il nous manque presque la moitié des cancers, et rien ne justifie de considérer que 45 % des tumeurs ne se développent pas avant l'âge de 69 ans, qu'on ne les détecte pas lors des dépistages successifs jusqu'à 69 ans, et puis qu'elles commenceraient à se développer après l'âge de 69 ans et deviendraient cliniques plus tard.
Pour H.Zahl il s'agit bien de tumeurs, non seulement qui n'ont pas progressé mais qui ont même régressé et qu'il faut considérer dans le surdiagnostic.  
Il faut, dit-il, dans les discussions sur le surdiagnostic et lorsqu'un modèle d'évaluation des ne correspond pas aux données, prendre en compte le phénomène de régression cancéreuse.
Il convient de noter que la régression du cancer a également été indirectement signalée dans un essai de dépistage randomisé par mammographie[2]- environ 50 % des tumeurs détectées par IRM ont très probablement régressé dans cette étude.

Voir ceci : https://cancer-rose.fr/2020/06/25/regression-cancereuse/

Zahl écrit : " Il existe des preuves biologiques très solides indiquant que les petites tumeurs peuvent régresser spontanément. Certains cancers existent en équilibre avec le système immunitaire. Le vaccin Bacillus Calmette-Guérin (BCG) contre la tuberculose est utilisé depuis plus de 50 ans pour traiter les tumeurs à haut risque de la vessie ainsi que le mélanome malin. En effet, la thérapie immunitaire moderne est basée sur l'interaction avec le système immunitaire. Plus récemment, le pembrolizumab (anticorps monoclonal) a été approuvé par la FDA pour le traitement du cancer du sein triple négatif à haut risque, qu'il soit non avancé ou avancé. "

En conclusion :

L'histoire naturelle du cancer est encore mal connue.
Elle est certainement beaucoup plus complexe qu'imaginée, et très probablement sous l'influence du système immunitaire individuel.
La régression cancéreuse existe, et est vraisemblablement sous-estimée.


[1] Etudes sur la régression cancéreuse

  • Okunaga E, Okano S, Nakashima Y, Yamashita N, Tanaka K, Akiyoshi S, et al. Spontaneous regression of breast cancer with axillary lymph node metastasis: a case report and review of literature. Int J Clin Exp Pathol. 2014; 7(7): 4371-80.
  • Onuigbo WIB. Spontaneous regression of breast carcinoma: review of English publications from 1753 to 1897. Oncol Rev. Oct 2012; 6 (2): e22.
  •  Ricci SB, Cerchiari U. Spontaneous regression of malignant tumors: Importance of the immune system and other factors (Review). Oncol Lett. Nov 2010; 1(6): 941-5.

[2] Welch HG, Zahl P-H. Cancer dynamics in the DENSE trial. N Engl J Med. 2020;382:1283–4.

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Abaisser l’âge du dépistage ? Une boîte de Pandore

Traduction, restitution et commentaires par Cancer Rose, 17/09/2023

Les nouvelles recommandations de l'USPSTF sur la mammographie - Un point de vue divergent

  • Steven Woloshin, M.D., 
  • Karsten Juhl Jørgensen, M.D., D.Med.Sci., 
  • Shelley Hwang, M.D., M.P.H., 
  • and H. Gilbert Welch, M.D., M.P.H.

De : Dartmouth Institute and Dartmouth Cancer Center, Lebanon, NH (S.W.); the Lisa Schwartz Foundation for Truth in Medicine, Norwich, VT (S.W., K.J.J., S.H., H.G.W.); Cochrane Denmark and the Center for Evidence-Based Medicine Odense, Department of Clinical Research, University of Southern Denmark, Odense (K.J.J.); the Department of Surgery, Duke University, Durham, NC (S.H.); and the Center for Surgery and Public Health, Department of Surgery, Brigham and Women’s Hospital, Boston (H.G.W.).

https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp2307229

September 16, 2023

Le groupe de travail américain (USPSTF) émettant les recommandations sur les dispositifs de santé publique a émis de nouvelles recommandations pour le dépistage mammographique au mois de mai 2023, préconisant le début des mammographies de routine à 40 ans.
Il s'agit d'un abaissement des recommandations au dépistage de 10 années par rapport aux modalités antérieures, qui préconisaient le dépistage du cancer du sein à 50 ans seulement, en raison de risques majorés pour les populations plus jeunes et pour un bénéfice trop restreint.
La décision a été motivée sur la base de deux arguments :
-augmentation des cancers du sein chez des femmes plus jeunes, et
-augmentation des cancers les plus agressifs chez les femmes noires.
Nous avons synthétisé cette annonce ainsi que les réactions qu'elles ont suscité ici : https://cancer-rose.fr/2023/05/15/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/

Cette modification des recommandations d'âge a soulevé beaucoup de contestations, notamment sur l'argumentation avancée d'une meilleure 'égalité' de traitement pour les classes sociales les plus pauvres.
Cette recommandation n'est pas anodine du tout et le tribut à payer pour les femmes risque d'être très lourd, c'est ce qui motive la mise en garde des auteurs, publiée hier.

Pourquoi cela doit nous concerner ?

Premièrement, plusieurs études toutes récentes, de cette années, mettent en cause de façon flagrante l'efficacité-même du dépistage mammographique.
Non, il ne permet pas de 'sauver des vies', ce mythe a fait long feu, il n'y a pas de prolongement de la durée de vie par les dépistages en général.
Non, ce n'est pas le dépistage mammographique qui est responsable d'une baisse de mortalité par cancer du sein ; le risque de décès par cancer du sein est en baisse, dépistage ou pas. Les traitements du cancer du sein s’améliorent de façon spectaculaire, ainsi la valeur de la détection primaire diminue, ce qui, à l’avenir, devrait le dépistage obsolète.
Non, le dépistage mammographique n'est pas anodin, les risques surpassent le bénéfice qu'on pourrait en attendre et le surdiagnostic est pire dans les évaluations actuelles.

Deuxièmement les recommandations américaines, très favorables aux fournisseurs du secteur de l'imagerie de la femme, risquent de servir d'exemple et d'ouvrir une boîte de Pandore qu'il sera impossible ensuite de refermer ; déjà des voix s'élèvent ici ou là pour demander un dépistage mammographique même annuel...
Il n'y a rien de 'complotiste' dans cet argument, en effet la prise en charge du cancer du sein est, il faut pouvoir le dire publiquement, une vaste entreprise rentable, alimentée par la peur que les femmes éprouvent à l'égard de cette maladie." Ce business du cancer est ce que le journaliste John Horgan explique longuement dans cet article.

Troisièmement, un essai européen, appelée MyPEBS, vient d'achever l'intégration des femmes réparties dans les différents groupes d'étude. Or cette étude, censée évaluer un dépistage individualisé basé sur le risque de chaque femme de faire un cancer est de toute évidence calibrée pour inciter à dépister plus et plus jeune, car elle recrute des femmes dès 40 ans, et elle comporte des biais flagrants que nous avons dénoncés dans une lettre ouverte en compagnie d'autres groupes de vigilance sanitaire.
Les femmes n'auront pas à choisir entre dépistage ou pas dépistage, mais entre dépistage standard et ... davantage de dépistage si elles sont désignées 'à risque'.
Cependant le sous-groupe de femmes dit 'à faible risque' comprendra très peu de femmes, et toutes les autres seront réparties dans des sous-groupes à plus haut risque très rapidement puisque le logiciel, non validé scientifiquement, admet des critères de risques très généreux et les femmes se verront davantage examinées par mammographies.
Par exemple, le fait d'avoir eu une biopsie du sein pour lésion même bénigne représente un facteur de risque, or le nombre d'actes biopsiques chez des femmes jeunes pour des lésions bénignes telles que des fibro-adénomes a très considérablement augmenté ces dernières années, ce qui va rendre de facto beaucoup de femmes abusivement "à risque".

En bref, alors que le dépistage mammographique peine de plus en plus à démontrer une quelconque pertinence et que les preuves de sa nocivité s'accumulent, on s'achemine Outre-Atlantique comme en Europe vers plus de dépistages, chez plus de jeunes, au mépris des risques auxquels on expose la population, et bien sûr sans l'en informer.
Il ne faudrait pas que ça se sache....

Le point de vue divergent

Nous restituons in extenso ci-dessous la publication du NEJM-

Récemment, la U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) a modifié sa recommandation concernant l'âge de début du dépistage par mammographie de 50 à 40 ans.1 Précédemment, la Task Force considérait que le dépistage chez les femmes de 40 à 50 ans relevait d'un choix personnel. Les recommandations de l'USPSTF étant très influentes, le dépistage par mammographie chez les femmes de 40 ans deviendra probablement une norme de performance des services de santé ; si c'est le cas, il s'agira d'un impératif de santé publique auquel les praticiens de soins primaires devront se conformer. Un tel changement affectera plus de 20 millions de femmes américaines et soulève des questions importantes.

Premièrement, existe-t-il de nouvelles preuves de l'augmentation de la mortalité due au cancer du sein ? Au contraire, la mortalité due au cancer du sein n'a cessé de diminuer aux États-Unis, ce qui constitue une réussite majeure de la médecine moderne. La réduction a été la plus prononcée chez les femmes de moins de 50 ans, dont la mortalité par cancer du sein a été réduite de moitié au cours des 30 dernières années, selon le système national des statistiques de l'état civil. Des tendances similaires sont observées dans d'autres pays à revenu élevé, y compris ceux où le dépistage chez les femmes de 40 ans est très rare (Danemark et Royaume-Uni) et ceux où le dépistage est rare dans tous les groupes d'âge (Suisse) - ce qui suggère que le déclin résulte en grande partie de l'amélioration des traitements, et non du dépistage (voir les graphiques).

Deuxièmement, existe-t-il de nouvelles preuves que les bénéfices de la mammographie augmentent ? Depuis la précédente recommandation de l'USPSTF, il n'y a pas eu de nouveaux essais randomisés sur le dépistage par mammographie chez les femmes de 40 ans.
Huit essais randomisés portant sur cette tranche d'âge, dont le plus récent (l'essai britannique sur l'âge), n'ont révélé aucun effet significatif.2 Ce résultat reflète à la fois la rareté des décès liés au cancer du sein chez les femmes de 40 ans et le fait que le dépistage réduit moins la mortalité qu'on ne l'espérait - probablement parce que la maladie est plus agressive dans cette tranche d'âge. Les cancers à croissance rapide sont plus susceptibles de ne pas être détectés par le dépistage, car ils apparaissent souvent dans l'intervalle entre deux examens.

Sans nouvelles données issues d'essais cliniques, la nouvelle recommandation se fonde sur des modèles statistiques qui estiment ce qui pourrait se passer si l'âge de début du dépistage était abaissé. Les modèles partent du principe que le dépistage par mammographie réduit la mortalité par cancer du sein d'environ 25 % et concluent que le dépistage de 1 000 femmes âgées de 40 à 74 ans, au lieu de 50 à 74 ans, permettrait de réduire d’un à deux le nombre de décès par cancer du sein au cours de la vie.

Le recours croissant de l'USPSTF à des modèles statistiques complexes est problématique. Les effets estimés peuvent être extrêmement sensibles aux hypothèses de modélisation, qui reflètent souvent la perception générale du moment.
Un modèle important, réalisé avant l'étude Women's Health Initiative, prévoyait que presque toutes les femmes ménopausées verraient leur espérance de vie augmenter grâce à un traitement hormonal substitutif. Les modèles peuvent paraître attrayants en raison de leur précision quantitative apparente, mais ils ne sont fiables que si les données d’entrée et les hypothèses utilisées le sont également. Comme d'autres l'ont souligné, les décideurs politiques ne devraient utiliser les modèles que s'ils comprennent les paramètres et les hypothèses sur lesquels ils reposent3.

Dans le cas présent, il est particulièrement problématique que la réduction modélisée de 25 % du risque relatif de mortalité par cancer du sein grâce au dépistage mammographique dépasse celle observée dans les méta-analyses des essais randomisés : une réduction de 16 % du risque relatif pour les huit essais combinés (intervalle de confiance [IC] de 95 %, 27 % à 4 % de réduction) et une réduction de 13 % du risque relatif dans les trois essais présentant un faible risque de biais (IC de 95 %, 27 % de réduction à 3 % d'augmentation).2

Ainsi, la balance des bénéfices et préjudices justifie-t-elle un nouvel impératif de santé publique ? Les réductions du risque relatif peuvent être trompeuses car elles ne contiennent aucune information sur le risque absolu, qui est déjà faible et en constante diminution pour ce groupe d'âge. Pour clarifier les effets potentiels de la recommandation actualisée en termes absolus, le tableau (ci-dessous) résume les bénéfices et préjudices.
Pour les femmes américaines à la quarantaine, le risque de décès, quelle qu'en soit la cause, au cours des dix prochaines années est d'environ 3 %, indépendamment du dépistage. Le bénéfice modélisé de la mammographie représente une réduction du risque de décès par cancer du sein sur 10 ans d'environ 0,3 % à environ 0,2 %, soit une différence de 0,1 point de pourcentage (un décès par cancer du sein pour 1 000 femmes dépistées pendant 10 ans). En d'autres termes, grâce au dépistage, la probabilité de ne pas mourir d'un cancer du sein au cours des dix prochaines années passe de 99,7 % à 99,8 %.

Cet effet est faible, surtout si l'on tient compte des préjudices potentiels et de ce qui semble être des hypothèses trop optimistes en matière de bénéfices. Les fausses alertes sont manifestement les conséquences les plus fréquentes : le modèle de l'USPSTF estime que 36 % des femmes âgées de 40 à 49 ans en subiront au moins une dans le cadre d'un dépistage bisannuel sur 10 ans. Toutes devront subir des examens supplémentaires pour confirmer qu'elles n'ont pas de cancer ; certaines subiront des examens multiples et devront payer des frais substantiels. Et certaines éprouveront de la peur : environ un tiers des femmes décrivent l'expérience comme "très effrayante" ou "la période la plus effrayante de leur vie "4.

Environ 6,6 % des femmes dépistées auront une fausse alerte nécessitant une biopsie. En outre, le modèle de l'USPSTF estime que 0,2 % des femmes seront surdiagnostiquées et traitées pour un cancer qui n'est pas destiné à causer des préjudices. Ces préjudices peuvent être plus fréquents dans la pratique, étant donné que les données du modèle provenant du Consortium de surveillance du cancer du sein ne reflètent probablement que les taux des pratiques les plus performantes. Les préjudices seront plus fréquents si le dépistage a lieu tous les ans plutôt que tous les deux ans, comme c'est le cas actuellement pour la plupart des femmes américaines.

Le tableau illustre le compromis critique pour les femmes d'une quarantaine d'années : les bénéfices, qui profiteront à peu de femmes, l'emportent-ils sur les risques qui affecteront beaucoup plus de femmes ? La solution est un choix de valeur que les femmes devraient pouvoir faire elles-mêmes, plutôt que de se voir imposer un impératif de santé publique par des médecins recevant des incitations pour atteindre un niveau de "qualité". Compte tenu de la baisse constante de la mortalité au cours des 30 dernières années, attribuable à l'amélioration des traitements, il est probable que de moins en moins de femmes bénéficieront du dépistage au fil du temps, tandis qu'un dépistage plus poussé augmentera les risques.

La Task Force affirme également que la nouvelle recommandation constitue une première étape importante dans la réduction de la disparité entre les femmes noires et les femmes blanches en matière de mortalité due au cancer du sein. Bien que la mortalité chez les femmes dans la quarantaine ait diminué de moitié dans les deux groupes depuis 1990 (voir l'annexe supplémentaire, disponible sur le site NEJM.org), la disparité est inquiétante et persistante : Selon le système national des statistiques de l'état civil, les femmes noires sont beaucoup plus susceptibles de mourir d'un cancer du sein que les femmes blanches (23 contre 13 décès pour 100 000 femmes). Mais il est difficile d'imaginer comment le fait de recommander la même intervention aux deux groupes pourrait réduire la disparité, d'autant plus que les taux de dépistage sont déjà aussi élevés pour les femmes noires et blanches dans la quarantaine (environ 60 %, selon le National Center for Health Statistics).

L'augmentation du dépistage ne peut pas résoudre les différences sous-jacentes dans la biologie du cancer : l'incidence du cancer du sein triple négatif (qui n'exprime pas le récepteur des œstrogènes, le récepteur de la progestérone et le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain) chez les femmes noires est deux fois plus élevée que chez les femmes blanches, selon l'Institut national du cancer. Ce sous-type est le plus agressif, son traitement est le moins efficace et il est le plus à risque de ne pas être détecté par le dépistage.5

Un dépistage précoce ne permettrait pas non plus de résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les femmes pauvres, qui sont en général noires dans une mesure disproportionnée, tels que la moindre qualité des services médicaux disponibles, le suivi tardif des scanners anormaux, les retards de traitement et le plus faible recours aux thérapies adjuvantes. En fait, l'abaissement de l'âge du dépistage pourrait exacerber les problèmes contribuant à la disparité, en détournant les ressources vers un dépistage élargi. Nous devons faire davantage ce qui fonctionne vraiment : veiller à ce que les femmes pauvres atteintes d'un cancer du sein aient plus facilement accès à un traitement de haute qualité.

Une modification des recommandations relatives à la mammographie serait justifiée s'il était prouvé que les conséquences du cancer du sein s'aggravent ou s'il existait de nouvelles preuves que le dépistage chez les femmes plus jeunes présente des bénéfices clairs. En fait, aucune de ces deux conditions n'est remplie.

Nous espérons que les décideurs politiques reconsidéreront la décision d'abaisser l'âge de début du dépistage par mammographie. Les modèles de la Task Force sont insuffisants pour soutenir un nouvel impératif de santé publique, étant donné les bénéfices limités et les risques courants et importants pour les femmes en bonne santé.
Il serait préférable de permettre aux femmes de prendre leurs propres décisions sur la base de leur propre évaluation des données et de leurs valeurs - et de réorienter les ressources pour garantir que toutes les femmes atteintes d'un cancer du sein reçoivent le meilleur et le plus équitable des traitements possibles.

Références

  1. Preventive Services Task Force. Draft recommendation statement — breast cancer: screening. May 9, 2023 (https://www.uspreventiveservicestaskforce.org/uspstf/draft-recommendation/breast-cancer-screening-adults. opens in new tab).

2. Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev 2013;2013(6):CD001877-CD001877.

3. Kramer BS, Elmore JG. Projecting the benefits and harms of mammography using statistical models: proof or proofiness? J Natl Cancer Inst 2015;107(7):djv145-djv145.

4. Schwartz LM, Woloshin S, Fowler FJ Jr, Welch HG. Enthusiasm for cancer screening in the United States. JAMA 2004;291:71-78.

5. Hayse B, Hooley RJ, Killelea BK, Horowitz NR, Chagpar AB, Lannin DR. Breast cancer biology varies by method of detection and may contribute to overdiagnosis. Surgery 2016;160:454-462.

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Culte du dépistage, une nouvelle religion

"La plupart des religions seraient heureuses de jouir de la foi que nous plaçons dans le dépistage du cancer."

David Ropeik dans "Psychology Today", texte publié le 30/08/2023,
traduction et restitution par Cancer Rose
"Can It Be True? Does Cancer Screening Provide No Net Benefit?
"

"Cela peut-il être vrai ? Le dépistage du cancer n'apporte-t-il aucun bénéfice net ?
Etude : Les bénéfices rallongeant la durée de vie ne sont pas supérieurs aux risques la raccourcissant."
Avis de l'auteur à propos d'une étude que nous avons relayée

David Ropeik : ancien professeur de l'université de Harvard, auteur, consultant et conférencier sur la perception des risques, la communication sur les risques et la gestion des risques.

Points clés

- Nous croyons profondément au dépistage du cancer, la seule chose que nous puissions faire pour lutter contre la maladie la plus redoutée.

- Les partisans du dépistage, comme les médecins, les hôpitaux et les entreprises technologiques, mettent en avant ses bénéfices, mais pas ses effets néfastes.

- Une nouvelle étude révèle qu'en termes d'années de vie nettes sauvées, le dépistage du cancer n'apporte aucun bénéfice.

"Ce n'est pas possible"

Cela semble presque impossible à croire, et même après avoir lu ce post, vous vous direz peut-être : "Ce n'est pas possible".
Pourtant, une importante étude publiée dans le JAMA Internal Medicine révèle que les formes les plus courantes de dépistage du cancer ne permettent pas de gagner des années de vie nettes pour l'ensemble de la population. Les mammographies, les tests PSA (dépistage du cancer de la prostate, NDLR), les coloscopies, les sigmoïdoscopies (qui n'examinent que la partie inférieure du tube colorectal) et les tests de recherche de sang occulte dans les selles (prélèvement à domicile que l'on envoie à un laboratoire) permettent de sauver quelques vies, selon l'étude.
Mais si l'on compare ces résultats à toutes les années de vie perdues en raison des effets secondaires néfastes du dépistage, auxquels la plupart des gens ne pensent jamais et que les partisans du dépistage ignorent presque tous, le résultat est sans appel.
En termes d'années de vie nettes sauvées pour l'ensemble de la population qui se soumet au dépistage, par rapport aux personnes qui ne se soumettent pas au dépistage, le dépistage du cancer ne présente aucun bénéfice.

Pas de bénéfice net ! Vous direz peut-être : "Mais mon médecin me dit que je devrais faire un dépistage. Tous les experts disent qu'il faut faire un dépistage. Ils affirment qu'il est préférable de détecter le cancer à un stade précoce, lorsqu'il est plus facile à traiter. Je connais tant de personnes qui ont fait un dépistage et qui ont découvert un cancer curable à un stade précoce. Le dépistage leur a sauvé la vie".

Les dégâts

En effet, j'ai des amis précieux pour qui c'est vrai.
Mais combien d'entre vous connaissent quelqu'un dont le cancer précoce a été détecté et traité, mais que le traitement a tué - une infection après une opération de la prostate ou une mastectomie, une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral après une opération des poumons, ou une hémorragie qui n'a pas pu être arrêtée à la suite de l'ablation d'un polype au cours d'une coloscopie ? Cela arrive aussi, et bien que ces événements soient rares, il s'avère que les vies sauvées par le dépistage le sont aussi. La mammographie, par exemple, ne sauve que deux vies pour mille personnes dépistées, sur une période de dix ans. Les tests PSA pour le cancer de la prostate n'ont pas permis de sauver des vies par rapport à l'absence de dépistage.
Donc, si l'on fait le total, comme l'a fait cette étude, et que l'on compare les années de vie sauvées parce que le dépistage a permis de détecter un cancer qui a été guéri, aux années de vie perdues en raison de toutes les autres causes de décès dont souffrent les patients dépistés, on obtient un résultat nul.

Et puis il y a les dizaines de milliers de personnes qui ne meurent pas mais qui souffrent des graves effets secondaires des traitements pour des cancers surdiagnostiqués que des technologies de dépistage plus performantes peuvent désormais détecter, de minuscules formations qui répondent à la définition cellulaire du cancer mais qui ne causeront jamais de dommages à la personne : cancer du sein in situ de bas grade, cancer de la prostate à croissance lente, et minuscules microtumeurs de la thyroïde et du poumon.
Cette étude n'a pas même comptabilisé ces préjudices.

Croyances populaires

Tout cela va profondément à l'encontre des croyances populaires. La plupart des religions seraient heureuses de jouir de la foi que nous plaçons dans le dépistage du cancer. Après tout, c'est la seule chose que nous pensons pouvoir faire pour avoir au moins un certain contrôle sur la maladie que nous craignons plus que toute autre.
Une étude a montré que les gens souhaitent un dépistage du cancer même lorsqu'ils savent qu'il ne les aidera pas et qu'il pourrait même leur nuire.
Les participants ont été informés d'un test de dépistage du cancer (mammographie pour les femmes, test PSA (antigène prostatique spécifique) pour les hommes) et ont été avertis que "des années de recherche ont incontestablement montré que le test ne prolonge pas la vie ou ne réduit pas le risque de décès" et que le test pourrait "conduire à des traitements inutiles" ; 51 % d'entre eux ont tout de même voulu ce dépistage.

Il y a deux aspects du problème.
Premièrement, nous craignons tellement le cancer, plus que toute autre maladie, même les maladies cardiaques, qui tuent 10 % d'Américains en plus chaque année.
Deuxièmement, les partisans du dépistage, y compris les médecins, les hôpitaux et les entreprises technologiques qui tirent profit du dépistage et des soins onéreux qu'il entraîne, font appel à notre peur mais ne nous donnent qu'une partie de l'histoire du dépistage : la partie rose, "le dépistage sauve des vies".
Notre croyance aveugle dans les bénéfices du dépistage du cancer, due à l'ignorance de ses inconvénients potentiels, est dépassée. Ces croyances obsolètes nous causent de réels préjudices, parfois mortels. Des études comme celle-ci s'inscrivent dans le cadre d'un effort croissant pour réduire ce coût.

Au nom de la santé publique

Au nom de la santé publique, il faut aller beaucoup plus loin. Les militants de la lutte contre le cancer, aussi honorables soient-ils, doivent être plus honnêtes et plus ouverts sur les coûts et les bénéfices du dépistage. Peu d'entre eux le font actuellement.
Aussi difficile que cela puisse être, l'énorme industrie des soins de santé qui profite non seulement du dépistage du cancer, mais aussi des soins onéreux qu'il entraîne, doit faire de même. Dans le cas contraire, ils causent un réel préjudice.

Et nos médecins doivent être plus francs avec nous. Ils doivent nous donner non seulement ce que nous voulons - le dépistage - mais aussi toutes les informations dont nous avons besoin pour choisir en toute connaissance de cause de procéder ou non à un dépistage. C'est précisément ce que demandent les auteurs de cette étude : "...les organisations, les institutions et les décideurs politiques qui promeuvent les tests de dépistage du cancer pour leur capacité de sauver des vies peuvent trouver d'autres moyens d'encourager le dépistage. Il serait peut-être judicieux (...) d'informer objectivement les personnes intéressées sur les bénéfices absolus, les préjudices et le fardeau des tests de dépistage qu'elles envisagent d'entreprendre".

Toute l’histoire du dépistage du cancer nous aidera tous à faire les choix les plus sains. Nous n’avons pas encore toute l’histoire.

David Ropeik

David Ropeik est ancien professeur de l'université de Harvard, auteur, consultant et conférencier sur la perception des risques, la communication sur les risques et la gestion des risques.
Il est l'auteur de How Risky Is It, Really ? Why Our Fears Don't Always Match the Facts et co-auteur de RISK, a Practical Guide for Deciding What's Really Safe and What's Really Dangerous in the World Around You, publié par Houghton Mifflin en 2002. Il est le créateur et le directeur du programme "Improving Media Coverage of Risk", un programme de formation destiné aux journalistes.
David Ropeik a été journaliste de télévision pour WCVB-TV à Boston de 1978 à 2000, où il s'est spécialisé dans les reportages sur l'environnement et les questions scientifiques. Il a remporté à deux reprises le prix DuPont-Columbia, souvent cité comme l'équivalent télévisuel du prix Pulitzer, ainsi que sept prix EMMY régionaux.
Il a été Knight Science Journalism Fellow au MIT de 1994 à 1995, et membre du conseil d'administration de la Society of Environmental Journalists de 1991 à 2000. Il a enseigné le journalisme à l'université de Boston, à l'université de Tufts et au MIT.

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Alors, le dépistage sauve-t-il des vies ?

par Cancer Rose, 2 septembre 2023

Testing Whether Cancer Screening Saves Lives-Implications for Randomized Clinical Trials of Multicancer Screening

L'auteur principal de cet article, G.Welsch*, pose la question de savoir si le dépistage du cancer permet de sauver des vies, question de plus en plus pertinente étant donné l'enthousiasme croissant pour les tests sanguins de détection multicancers (c'est-à-dire les biopsies liquides) parallèlement à la difficulté croissante pour la plupart des dépistages à démontrer leur bénéfice en population.
Le dépistage du cancer est souvent présenté comme un moyen de sauver des vies, écrit l'auteur. Pourtant, dans ce même numéro du JAMA Internal Medicine, une méta-analyse des tests de dépistage courants réalisée par Bretthauer et al douche cet enthousiasme en démontrant l'absence de gain de survie pour la plupart des dépistages pourtant très promus.
Allons-nous refaire les mêmes erreurs avec les biopsies liquides**, les promouvoir en raison d'attentes irréalistes d'être sauvés par les dépistages, sans estimation prudente des effets adverses que nous connaissons maintenant pour bon nombre de dépistages en vigueur (notamment surdiagnostic), et exposer les populations à des effets délétères avant même d'avoir réalisé une réelle et solide évaluation par des essais cliniques d'envergure ?
C'est la question et surtout l'avertissement que le chercheur exprime ici.

*Chercheur sur le cancer, Center for Surgery & Public Health, Department of Surgery, Brigham and Women’s Hospital, Boston, Massachusetts

** Biopsies liquides : La biopsie liquide permet de détecter les cellules tumorales circulantes détachées d'une tumeur primaire voire de métastases et véhiculées dans le système vasculaire, ainsi que l'ADN circulant de ces cellules circulantes tumorales. L'espoir étant de pouvoir déceler un cancer avant son expression.

Nous avions déjà traité le sujet des biopsies liquides, pour lesquelles l'enthousiasme initial est contrebalancé par une prise de conscience des risques et effets adverses auxquelles ces techniques sont susceptibles d'exposer le public, comme la surmédicalisation par détections inutiles, les auteurs s'accordant quasi unanimement pour que soient réalisés des essais cliniques de grande envergure.

Que signifie 'sauver des vies' et pourquoi le dépistage pourrait bien ne pas sauver des vies ?

A cette question Welsch explique :
"...pour la plupart des gens, sauver des vies implique de vivre plus vieux qu'ils ne le feraient autrement. Pour ce faire, il faut réduire le taux de mortalité toutes causes confondues."

Une notion à comprendre : la mortalité 'toutes causes'

Les études de dépistage du cancer de meilleure qualité, à savoir les essais cliniques randomisés, se concentrent sur une seule mesure : la mortalité spécifique au cancer.
La mortalité spécifique au cancer ne compte que les décès dus au cancer ciblé par le dépistage (par exemple, la mortalité par cancer de la prostate serait le principal résultat d’un essai clinique randomisé de dépistage du cancer de la prostate).
Mais réduire la mortalité par un cancer n'implique pas forcément la réduction de la mortalité globale.

Est-ce possible de réduire la mortalité spécifique à un cancer sans abaisser le taux de mortalité en général, autrement questionné, comment le dépistage pourrait ne pas sauver des vies, demande l'auteur ?
Deux réponses à cela :
Soit la réduction de mortalité par le cancer étudié est simplement trop faible pour impacter de façon mesurable la mortalité globale.
Soit d'autres causes de décès, concomitamment au dépistage, peuvent augmenter, par exemple les cas de décès par les traitements contre le cancer qui peuvent contrebalancer négativement un éventuel bénéfice.

"Un plus grand nombre de personnes sont exposées à des interventions diagnostiques (par exemple, biopsies du poumon, du foie et du pancréas) et un plus grand nombre à des interventions thérapeutiques (par exemple, chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie).
Les décès associés au traitement du cancer ne sont pourtant pas attribués de manière fiable au cancer (ces décès ne sont pas reliés au cancer étudié et non intégrés lors du comptage des décès imputables au cancer, NDLR) : environ 40 % des décès survenant au cours du mois suivant une chirurgie du cancer sont attribués à une autre cause. Les décès associés aux interventions diagnostiques (comme les complications des coloscopies ou des biopsies, NDLR) sont encore plus susceptibles d'être attribués à des causes autres que le cancer (en particulier si aucun cancer n'est détecté)."
Alors que ces décès 'non cancéreux' sont néanmoins la conséquences d'actes liés à la recherche d'un cancer.
Pour ces raisons le paramètre "mortalité toutes causes confondues" est plus robuste car il intègre toutes ces causes.

Comment un dépistage peut-il augmenter ces cas de décès 'non-cancéreux' ?


Selon G.Welsch, il y a 2 explications biologiques possibles pour lesquelles le dépistage peut augmenter d’autres causes de décès.

Premièrement, le dépistage, par les fausses alertes et les surdétections inutiles qu'il engendre, peut déclencher une cascade d’interventions diagnostiques et thérapeutiques, qui présentent toutes un certain risque de décès, comme expliqué plus haut. Les décès associés au dépistage d'un cancer peuvent donc être la conséquence d'autres causes.
Par exemple, cite Welsch, deux essais cliniques randomisés de premier plan inclus dans la méta-analyse de Bretthauer et coll. ont révélé une mortalité toutes causes confondues équivalente dans les groupes de dépistage et de contrôle, malgré un dépistage concluant à des réductions significatives de la mortalité spécifique au cancer.

Figure 1 (cliquez sur l'image)

Comme on le voit sur ces graphiques, chacun de ces deux dépistages semble démontrer un gain en termes de mortalité par cancer, mais lorsque on examine la mortalité par toutes les causes qui entourent les procédures de dépistage de ces deux cancers ainsi que la mortalité par leurs traitements, en incluant la mortalité par le cancer lui-même, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un 'jeu à somme nulle', comme le suggérait déjà une étude du professeur M.Baum publiée dans le BMJ en 2013.
Lire aussi : https://cancer-rose.fr/2019/08/08/synthese-detudes-un-exces-de-mortalite-imputable-aux-traitements-lemportant-sur-le-benefice-du-depistage/

La seconde explication donnée par l'auteur est l'hypothèse du soma vieillissant (soma = ensemble des cellules qui composent le corps) :
"La fragilité n'augmente pas seulement la susceptibilité aux expansions clonales de cellules précancéreuses, mais aussi à d'autres maladies (par exemple, les maladies cardiovasculaires, les infections) et aux blessures (par exemple, les chutes). En d'autres termes, les personnes présentant un risque élevé de décès par cancer présentent également un risque élevé de décès pour d'autres causes. Si l'on peut s'attendre à ce que le dépistage réduise le premier risque, il n'en va pas de même pour le second. Bien que ces deux explications biologiques potentielles soient conceptuellement distinctes, elles peuvent être liées dans la pratique : un décès par infarctus du myocarde après une anesthésie générale et une chirurgie du cancer pourrait refléter un décès lié au traitement et un vieillissement du soma."

Taille de l'échantillon nécessaire pour tester la mortalité toutes causes confondues

L'auteur explique : "Les résultats présentés dans la figure 1 ont une explication statistique potentielle : l'association entre le dépistage et la mortalité toutes causes confondues est tout simplement trop faible pour être détectée de manière fiable."

Le tableau 1 ci-dessous met en évidence comment des échantillons de très grande taille sont nécessaires simplement pour détecter des changements dans la mortalité, aussi bien spécifique au cancer que globale.

Tableau 1

La taille des échantillons nécessaires pour tester de manière fiable la mortalité toutes causes confondues dans un essai clinique randomisé est encore plus grande, parce que l'effet attendu du dépistage d'un seul cancer sur la mortalité toutes causes confondues est faible.
Déjà pour parvenir à dégager un bénéfice pour une femme lors du dépistage du cancer du sein par exemple, il faut étudier une grande cohorte de femmes sur un long laps de temps afin de trouver une vie sauvée (avec en parallèle malheureusement un bien plus grand nombres de femmes exposées aux risques d'irradiation, fausses alertes, surdiagnostics inutiles.)

Pourquoi des essais cliniques randomisés sont-ils obligatoires ?

Comme beaucoup d'autres chercheurs avant lui, G.Welsch estime qu'avant de nous emballer à nouveau dans des dépistages multiples de cancers avec des techniques aussi coûteuses que les biopsies liquides, il convient d'évaluer ce que l'on fait, et cela passe par des études solides.
L'auteur écrit :
"Qu'il s'agisse d'un résultat spécifique au cancer ou d'une mortalité toutes causes confondues, les essais cliniques randomisés sur le dépistage prennent du temps : en général, une décennie ou plus.
En conséquence les partisans du dépistage multicancer plaident en faveur d'une approbation accélérée sur la base de résultats intermédiaires, d'avantages modélisés et/ou de l'idée reçue selon laquelle la détection précoce du cancer est manifestement efficace."...
"Des résultats apparemment favorables, tels que l'augmentation de la proportion de patients dont le cancer a été détecté à un stade précoce (ce que l'on appelle un "changement de stade favorable"), peuvent simplement refléter la détection d'un plus grand nombre de patients atteints d'une maladie à un stade précoce, mais pas d'un moins grand nombre de patients présentant une maladie à un stade avancé. La statistique la plus trompeuse est de loin la survie à 5 ans.
La survie spécifique au stade (c'est-à-dire l'observation que la survie à 5 ans est élevée chez les patients atteints d'un cancer à un stade précoce et faible chez ceux atteints d'un cancer à un stade avancé) est fréquemment utilisée comme preuve que le dépistage du cancer sauvera des vies."
.......

Une trompeuse survie

Être en vie 5 ans après le diagnostic ne veut pas dire être guéri.
La survie mesure la durée de vie du patient 'en connaissance de son cancer' par la détection au dépistage ; on anticipe la "date de naissance" du cancer qui se serait manifesté, sans dépistage, simplement plus tard. On allonge ainsi par effet d'optique la durée de vie du patient avec son cancer qui a été trouvé plus tôt, mais sans allongement réel de la longévité, sans réel gain d'années de vie, ce que démontre très bien la méta-analyse de Bretthauer et col sus-citée.
Une survie plus longue reflète essentiellement deux paramètres : l'efficacité des traitements et l'ampleur du surdiagnostic.
Plus on effectue des détections de cancers de bas stade et plus on a une impression d'efficacité des dépistages, alors qu'il s'agit simplement de personnes 'survivantes' d'un cancer qui de toute façon ne les aurait jamais tués.
Lire : https://cancer-rose.fr/2021/10/18/quest-ce-que-la-survie/

Il est vrai que les cancers trouvés à un stade plus bas et de petite taille garantissent à la personne une meilleure survie que des cancers de haut grade et agressifs, mais la question de base est : le dépistage est-il capable de détecter ces cancers agressifs suffisamment petits et suffisamment tôt, avant qu'ils aient déjà envahi l'organisme et métastasé ? Et c'est là où le bât blesse, ce que l'auteur explique en détail.

Des hypothèses fausses conduisant à un espoir déçu de l'efficacité des dépistages

"la survie observée à 5 ans est d'environ 90 % pour les cancers localisés, mais de seulement 20 % pour les cancers métastatiques. Bien que les données soient en grande partie exactes, la conclusion selon laquelle elles constituent une preuve que le dépistage sauve des vies est le produit de trois hypothèses erronées (tableau 2).

La première est l'hypothèse selon laquelle tous les cancers présentant actuellement des métastases pourraient être détectés à un stade précoce. Au contraire, certains de ces cancers peuvent ne pas être détectés à un stade localisé parce que leur biologie agressive signifie qu'ils sont déjà systémiques au moment où ils sont détectables."

Tableau 2 (cliquez sur l'image)

Deuxièmement, l'hypothèse selon laquelle la détection précoce des cancers destinés à présenter des métastases retardera nécessairement le moment du décès.
le traitement initié plus tôt peut ne conférer aucun avantage par rapport à un traitement initié plus tard."

Troisièmement, le surdiagnostic

"On suppose que le taux élevé de survie à 5 ans des patients atteints d'un cancer localisé reflète l'efficacité d'une intervention précoce.
Si le traitement peut être efficace pour certains, il peut aussi être inutile pour d'autres. Les patients ayant fait l'objet d'un surdiagnostic* ne sont pas destinés à mourir de leur maladie, ce qui gonfle le taux de survie à 5 ans. Le taux de survie de 90 % pour les cancers localisés aux États-Unis est fortement influencé par les cancers couramment surdiagnostiqués : le cancer du sein, le mélanome, le cancer de la prostate et le cancer de la thyroïde."
* Surdiagnostic : diagnostic d'un cancer de détection inutile, qui, s'il n'avait jamais été détecté, n'aurait jamais tué la personne.

Conclusions

L'article conclut ceci :

"Le dépistage a des effets négatifs sur beaucoup plus de personnes (plus de tests et de procédures, plus de fausses alertes et de surdiagnostics, et plus de chances de subir les effets toxiques financiers des paiements directs ou de l'augmentation des primes d'assurance maladie) qu'il ne pourrait en avoir de positifs.
La question cruciale est donc de savoir si les bénéfices pour quelques-uns sont suffisamment importants pour justifier les inconvénients qui en découlent pour le plus grand nombre. Il est tout à fait possible que les tests sanguins de détection multiple des cancers sauvent des vies et justifient les coûts et les inconvénients qui en découlent.
Mais nous ne le saurons jamais si nous ne posons pas la question."

Ne faisons donc pas les mêmes erreurs pour les biopsies liquides que pour bon nombre de dépistages pour lesquels les campagnes et les promotions ont démarré beaucoup trop vite, sans se donner le temps d'en évaluer les effets adverses, ou bien en dépit de la connaissance des effets adverses, comme ce fut le cas pour le cancer du sein ; des lanceurs d'alerte avaient déjà mis en garde sur les potentiels risques et n'ont pas été écoutés.
L'enthousiasme, l'idéologie de dépistages salvateurs, les attentes et les espoirs irréalistes, la foi en la détection précoce et l'appât du gain sont les pires avanies conduisant à la situation actuelle : l'ancrage dans nos pratiques de dépistages comportant de graves risques pour la population, plongeant des personnes dans des parcours de malades qu'elles n'auraient jamais connus sans dépistage, tellement promus par des thuriféraires du dépistage coupables de conflits d'intérêts, par des médias complices et par des décideurs politiques qu'on ne pourra jamais plus nous en défaire, alors que les preuves s'accumulent sur les risques encourus par le plus grand nombre, pour des bénéfices très maigres.

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L’avenir des dépistages

Traduction et restitution par Cancer Rose, 31 août 2023

La distinction entre vraie prévention et détection précoce doit être faite pour que le public comprenne que la détection précoce ne diminue pas le risque de cancer mais au contraire l'augmente.
Les grands espoirs que le diagnostic précoce du cancer au moyen du dépistage prolonge l'espérance de vie sont de plus en plus controversés.
Les auteurs proposent que les conflits d'intérêts de toutes les parties prenantes soient divulgués de manière aussi rigoureuse au sein des groupes soutenant le dépistage du cancer que dans d'autres domaines de la recherche médicale et de la publication scientifique.

Des auteurs suédois et norvégiens publient un article concernant l'avenir du dépistage des cancers en recommandant que ce futur soit guidé par l'absence de conflits d'intérêts des parties prenantes.

The Future of Cancer Screening—Guided Without Conflicts of Interest

Hans-Olov Adami, MD, PhD1,2; Mette Kalager, MD, PhD1; Michael Bretthauer, MD, PhD1

  • 1Clinical Effectiveness Research Group, Institute of Health and Society, University of Oslo, Oslo, Norway
  • 2Department of Medical Epidemiology and Biostatistics, Karolinska Institutet, Stockholm, Sweden

"Les grands espoirs que le diagnostic précoce du cancer au moyen du dépistage prolonge l'espérance de vie sont de plus en plus controversés.1 Presque tous les essais n'incluent pas la mortalité toutes causes confondues comme critère d'évaluation, et encore moins comme critère d'évaluation principal, ce qui empêche de tirer des conclusions sur l'allongement de l'espérance de vie.2,3 Après l'enthousiasme suscité par le dépistage du cancer entre les années 1970 et le début des années 2000, la prise de conscience de l'incertitude des bénéfices, l'inquiétude croissante concernant le surdiagnostic et la reconnaissance des préjudices causés par les tests de dépistage faussement positifs et le poids des procédures diagnostiques et thérapeutiques en aval ont fait du dépistage du cancer un domaine polarisé de la médecine contemporaine.4 Il est difficile, voire impossible, de supprimer progressivement les programmes de dépistage, même lorsque la recherche n'a pas permis de mettre en évidence des bénéfices significatifs. Nous pensons que les discussions transparentes et fondées sur des données probantes concernant les tests de dépistage du cancer, avec un équilibre délicat entre les avantages et les inconvénients, sont devenues une menace pour les parties prenantes les plus puissantes."

Dépistage du cancer : Concepts et effets

.....
"Le dépistage par détection précoce ne peut pas réduire le risque d'être atteint d'un cancer, ce qui est une idée fausse très répandue. Ces dernières années, nous avons appris que le dépistage précoce augmentait en fait le risque de cancer. C'est ce qu'on appelle le surdiagnostic. Les personnes surdiagnostiquées sont traitées sans bénéfice, mais sont affectées par tous les préjudices potentiels."

Prévention et détection précoce, pas la même chose

Il faut différencier deux concepts distincts : la détection précoce et la prévention du cancer. Les tests de détection précoce (comme la mammographie pour le cancer du sein ou le dosage de l'antigène prostatique spécifique [PSA] pour le cancer de la prostate) détectent le cancer à un stade précoce avec l'objectif de réduire le nombre de décès dus au cancer. Ils augmentent donc le nombre de nouveau cas de cancers (l'incidence), mais pas le risque d'être atteint d'un cancer, et notamment pas le risque d'un cancer grave.
Parmi ces nouveaux cas diagnostiqués grâce à une détection régulièrement renouvelée, on sur-détecte aussi des lésions inutiles à détecter, qui n'auraient jamais tué.
Dans l'augmentation des nouveaux cas détectés (dans les taux d'incidence donc) se cache une importante partie de cas de surdiagnostics. C'est pour cela qu'avec ces dépistage fonctionnant sur la détection précoce on assiste non pas à moins de cas mais au contraire à une inflation de lésions découvertes, dont une grande partie de lésions surdiagnostiquées, sans obtenir toutefois de drastique diminution de la mortalité qu'on espérait, en grande partie parce que les formes graves des cancers échappent au dépistage et ne sont pas trouvées suffisamment tôt du fait de leur vélocité et agressivité.

A l'inverse la prévention, c'est à dire le fait d'empêcher, en amont, la survenue de cancers, diminuera l'incidence ainsi que la mortalité. Par exemple ne pas fumer correspond à une véritable prévention du cancer du poumon, à un moindre risque de cancer broncho-pulmonaire, ce qui conduira à produire moins de cancers dans la population et à voir un taux de mortalité moindre.
Pour le dépistage du cancer du col de l'utérus, on est en face d'un vrai dépistage préventif qui réduit lui aussi à la fois l'incidence du cancer (les nouveaux cas) et la mortalité spécifique par cancer du col, en détectant et éliminant des lésions qui sont précurseurs de ce cancer.

Les auteurs écrivent :

"À l'instar de la prévention primaire par des changements de mode de vie, tels que l'arrêt du tabac et une alimentation saine, les tests de 'dépistage préventif' présentent un attrait évident par rapport aux tests de détection précoce ; la plupart des gens choisiraient probablement un test de dépistage qui prévient le cancer dès le départ plutôt qu'un test où ils auront quand même le cancer sans toutefois mourir de ce cancer.
De nombreuses parties prenantes font la promotion des deux concepts sans expliquer les différences et leurs implications. Cela a pu conduire à des malentendus et à des attentes irréalistes chez les patients et les décideurs."

Les parties prenantes

Le corps médical

"Les personnes qui sont invitées à participer à des programmes de dépistage ou qui en voient la publicité supposent probablement que ces programmes bénéficient du soutien de la profession médicale, sur la base d'une évaluation approfondie qui a démontré que les bénéfices l'emportent indubitablement sur les préjudices et les inconvénients, et qu'ils "sauvent des vies". Cependant, cette hypothèse est malheureusement erronée. Étonnamment, sur les deux principaux programmes de dépistage précoce disponibles, seule la mise en œuvre du dépistage par mammographie a été précédée d'essais randomisés de soutien portant sur la mortalité par cancer du sein.5 En revanche, à la fin des années 1980, les professionnels de la santé ont commencé à promouvoir le test du PSA, avant que les conditions préalables fondamentales à l'évaluation du dépistage du cancer (déjà établies en 19686) n'aient été remplies pour le dépistage du PSA ; la performance du test de dépistage, l'histoire naturelle des lésions détectées et les avantages d'un traitement radical étaient largement inconnus.

Quelques décennies plus tard, des essais randomisés ont montré que le test du PSA n'avait qu'un faible effet bénéfique sur la réduction du nombre de décès dus au cancer de la prostate et que le surdiagnostic et le surtraitement du cancer de la prostate étaient importants.7 Pourtant, dans de nombreux pays, les médecins continuent de prescrire le dépistage du PSA.

Nous avons récemment publié les résultats du premier essai clinique randomisé (à notre connaissance) sur le dépistage du cancer colorectal par coloscopie.8 L'essai a indiqué une réduction de l'incidence du cancer colorectal d'environ 20 %, mais le dépistage n'a pas réduit la mortalité par cancer colorectal dans les analyses en intention de traiter. Ces résultats ont été moins remarquables que ce qu'attendaient certains leaders d'opinion. Leurs commentaires étaient émotionnels, reflétant peut-être le fait que les gastro-entérologues font partie des spécialités médicales les mieux payées aux États-Unis, principalement en raison de la mise en œuvre du dépistage par coloscopie."

Représentants des patients

"Les représentants des patients sont des lobbyistes convaincants qui apportent leur contribution aux décideurs, aux organismes de réglementation, aux cliniciens, aux journalistes et aux chercheurs. Ils s'opposent avec passion à l'abandon du dépistage du cancer et promeuvent des plans visant à étendre le dépistage à des groupes d'âge plus jeunes ou plus âgés, ou à augmenter la fréquence des dépistages. Bien que ces activités partent d'une bonne intention, elles peuvent s'avérer malavisées. La théorie selon laquelle la détection précoce du cancer est bénéfique est compliquée et n'est pas facile à comprendre pour les profanes. Bien que tout le monde connaisse les avantages d'un diagnostic précoce du cancer, cette expérience ne nous apprend pas grand-chose sur les bénéfices - et encore moins sur les préjudices - des tests de dépistage, tels qu'ils sont décrits ci-dessus.

Les défenseurs des patients se composent généralement d'un groupe sélectionné de survivants du cancer relativement sains - avec probablement une surreprésentation de patients surdiagnostiqués avec une maladie non mortelle qui se considèrent comme sauvés alors qu'ils ont en fait été lésés par le dépistage, un concept appelé le paradoxe de la popularité."

NDLR : le paradoxe du dépistage issu du livre "mammo ou pas mammo?" aux ed.T.Souccar, page 78

"Aux États-Unis, des estimations récentes indiquent que 1,5 à 1,9 million d'hommes ont été surdiagnostiqués avec un cancer de la prostate précoce - des patients qui ne peuvent tirer aucun bénéfice du dépistage mais qui pensent avoir évité la mort à cause du cancer de la prostate."

Organisations de lutte contre le cancer

"Les organismes de lutte contre le cancer et les organisations caritatives dépendent des campagnes pour obtenir des dons. Pour réussir, elles doivent rester visibles et apparaître pertinentes, positives et engagées. Dans cette optique, les sociétés de lutte contre le cancer promeuvent souvent le dépistage du cancer. Les préjudices dus à la stigmatisation psychologique du diagnostic, au surdiagnostic ou aux effets indésirables du traitement sont moins susceptibles d'être évoqués. Nous n'avons pas connaissance d'initiatives de la part des organisations de lutte contre le cancer visant à promouvoir la réduction ou l'abandon des programmes de dépistage du cancer qui se sont avérés peu ou pas bénéfiques. Les organisations de lutte contre le cancer contribuent donc à la poursuite du dépistage du cancer."

Les hommes politiques

"Les hommes politiques, les décideurs et les experts qui les conseillent doivent agir au milieu d'une tempête de lobbyistes. Ils doivent établir des priorités entre les innombrables possibilités d'améliorer la santé publique et un système de soins de santé surchargé. Ils doivent comparer les bénéfices à court terme et à long terme : le dépistage du cancer sauverait-il plus de vies à court terme que, par exemple, l'application de mesures antitabac ou la promotion d'un mode de vie sain ? Il est difficile d'imaginer qu'un homme politique s'attirerait davantage de voix lors des prochaines élections en proposant d'abandonner les programmes de dépistage du cancer en cours, perçus comme des services bénéfiques pour leurs électeurs ; il est plus intéressant de proposer de nouveaux programmes de dépistage. C'est pourquoi nous n'avons jamais entendu parler d'une campagne politique contre un test de dépistage du cancer."

Le personnel

"Les programmes de dépistage en cours consomment d'énormes ressources, financières et humaines. Aux États-Unis, les dépenses liées au dépistage du cancer s'élèvent à 40 à 80 milliards de dollars par an, employant des dizaines de milliers de professionnels de la santé et d'associés. Nous supposons qu'ils ne choisiraient guère cet emploi sans être optimistes quant aux avantages qu'ils en tireront. La menace de les mettre au chômage en abandonnant le programme susciterait probablement des protestations, notamment de la part de ceux qui participent au diagnostic, au traitement, à la réadaptation et à la surveillance à long terme après le dépistage."

Les solutions

"Un paradoxe fondamental prévaut dans la médecine du 21e siècle. Les traitements pharmaceutiques, les vaccins ou les dispositifs médicaux invasifs doivent généralement faire l'objet d'une évaluation des bénéfices et des risques dans le cadre d'essais cliniques randomisés avant de faire l'objet de recommandations et d'une mise en œuvre systématique. Même des preuves provisoires de nocivité peuvent entraîner le retrait du marché.
En revanche, le dépistage du cancer - qui inclut désormais de nouveaux tests de détection précoce des cancers multiples - peut être mis en œuvre sous la forme d'expériences humaines à grande échelle avant que l'on dispose d'informations de base sur les performances des tests, leurs avantages, leurs inconvénients et leur rapport coût-efficacité.9 Tous les acteurs mentionnés ci-dessus ont des conflits d'intérêts financiers et autres qui plaident en faveur de la poursuite du dépistage du cancer, malgré le peu d'éléments permettant de déterminer si les bénéfices l'emportent sur les risques. Nous proposons que les conflits d'intérêts soient divulgués de manière aussi rigoureuse au sein des groupes soutenant le dépistage du cancer que dans d'autres domaines de la recherche médicale et de la publication scientifique.

Pour éviter les dommages et augmenter les bénéfices, nous pensons que les représentants des soins de santé et les experts doivent être honnêtes, transparents et impartiaux sur les bénéfices et les risques du dépistage, exprimés d'une manière qui permette une réelle prise de décision partagée. Pour les décideurs et les payeurs qui décident si un test de dépistage doit être remboursé ou si un programme de dépistage doit être mis en place, les coûts marginaux comparés aux bénéfices et aux risques marginaux, en chiffres absolus, sont une condition préalable à une prise de décision éclairée.

Les lignes directrices relatives au dépistage du cancer sont souvent élaborées par des professionnels du dépistage, des organisations de dépistage et des représentants des patients, qui ont des intérêts particuliers. Nous proposons que les lignes directrices en matière de dépistage n'autorisent pas les personnes ou les organisations ayant des intérêts cliniques, financiers ou intellectuels à jouer un rôle de premier plan dans l'élaboration des lignes directrices. Cela permettrait d'améliorer la qualité et la fiabilité des recommandations. Une récente ligne directrice sur le dépistage du cancer colorectal respectant ces normes a donné lieu à des recommandations moins enthousiastes en matière de dépistage, mais a été ignorée par de nombreux professionnels de la santé impliqués dans les programmes de dépistage et par les sociétés de dépistage.10

Les taux de participation au dépistage* ne doivent plus être utilisés comme un indicateur de qualité ou pour contrôler les performances des médecins ou des programmes. Les professionnels de la santé, les représentants des patients et les sociétés de lutte contre le cancer devraient suivre cette voie en plaidant pour une information transparente sur les bénéfices et les risques plutôt que pour une promotion non critique du dépistage. Les décisions de reconsidérer les programmes en cours ou d'en lancer de nouveaux doivent être prises sans l'influence de parties prenantes ayant des intérêts particuliers."

NDLR : en France les taux de participation sont un indicateur largement utilisé pour évaluer les programmes, et les incitations financières par l'intermédiaire de la ROSP sont toujours en vigueur.
Lire : https://cancer-rose.fr/2020/04/20/la-nouvelle-rosp-quel-changement-pour-le-medecin-concernant-le-depistage-du-cancer-du-sein/

.............

Références

1.

Bretthauer  M, Wieszczy  P, Løberg  M,  et al.  Estimated lifetime gained with cancer screening tests.   JAMA Intern Med. Published online August 28, 2023. doi:10.1001/jamainternmed.2023.3798
ArticleGoogle Scholar

2.

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Pas de prolongement de la durée de vie par les dépistages

28/08/2023

Traduction et synthèse Cancer Rose

Estimation de la durée de vie "gagnée" grâce aux dépistages des cancers

Une méta-analyse des essais cliniques randomisés
https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2808648?guestAccessKey=c7d91084-054d-49f3-97be-9b302f883c9c&utm_source=twitter&utm_medium=social_jamaim&utm_term=11181634494&utm_campaign=article_alert&linkId=232083149

Michael Bretthauer, MD, PhD; Paulina Wieszczy, MSc, PhD; Magnus Løberg, MD, PhDet alMichal F. Kaminski, MD, PhD; Tarjei Fiskergård Werner, MSc; Lise M. Helsingen, MD, PhD; Yuichi Mori, MD, PhD; Øyvind Holme, MD, PhD; Hans-Olov Adami, MD, PhD; Mette Kalager, MD, PhD
Author Affiliations Article Information
JAMA Intern Med. Published online August 28, 2023. doi:10.1001/jamainternmed.2023.3798

Il s'agit d'une revue systématique et méta-analyse publiée par des auteurs de l'Institute of Health and Society de l'University d'Oslo (Norvège), examinant 18 essais cliniques randomisés à long terme, cherchant à estimer la durée de vie 'gagnée' grâce au dépistage du cancer.
Plusieurs tests de dépistage sont analysés : dépistage par mammographie du cancer du sein; coloscopie, sigmoïdoscopie, recherche de sang fécal pour le cancer colorectal; dépistage par tomodensitométrie du cancer du poumon chez les fumeurs et les anciens fumeurs; test d’antigène spécifique de la prostate (PSA) pour le cancer de la prostate.

L'étude implique  2,1 millions de personnes, plus exactement 721 718 hommes pour le dépistage par PSA, 614 431 hommes et femmes pour le dépistage par sigmoïdoscopie, 598 934 hommes et femmes pour la recherche de sang fécal tous les deux ans, 84 585 hommes et femmes pour le dépistage par coloscopie et 73 634 femmes pour le dépistage par mammographie ; un plus petit échantillon pour le dépistage annuel par recherche de sang fécal (30 964 hommes et femmes) et pour le dépistage par tomodensitométrie du cancer du poumon (20 505 hommes et femmes).

La revue porte sur des essais avec plus de 9 ans de suivi ( 10 à 15 de suivi en moyenne) rapportant la mortalité toutes causes confondues et l’espérance de vie acquise estimée pour 6 tests de dépistage du cancer couramment utilisés, en comparant 'dépistage' avec 'absence de dépistage'.

Le critère de jugement était la durée de vie dans les groupes 'dépistage' par rapport aux groupes 'sans dépistage' selon les données déclarées de la mortalité toutes causes confondues mais aussi de la mortalité spécifique par cancer.
Autrement dit les années de vie "gagnées" par le dépistage ont été calculées comme étant la différence de durée de vie observée (en années/personnes) parmi les groupes 'dépistage' par rapport aux groupes 'sans dépistage'.
L’analyse a porté sur la population générale.
MEDLINE et les bases de données de la bibliothèque Cochrane ont constitué les bases de cette recherche.
Il n'y a pas eu d'inclusion d'études observationnelles ni d'études de modélisation en raison des multiples biais possibles.

Points clés et résultats principaux :

Question : Les tests de dépistage du cancer sont promus pour sauver des vies, mais dans quelle mesure la vie est-elle réellement prolongée grâce aux tests de dépistage du cancer couramment utilisés?

Réponse : Les résultats de cette méta-analyse suggèrent que le dépistage du cancer colorectal par sigmoïdoscopie peut prolonger la vie d’environ 3 mois ; le gain de durée de vie pour les autres tests de dépistage semble peu probable ou incertain.

Figure 1

Dans cette figure 1, les flèches horizontales illustrent quatre personnes qui ont subi un dépistage.
Flèches pointant vers la droite : 2 personnes qui ont bénéficié du dépistage vivent plus longtemps grâce à la détection précoce du cancer et à la guérison.
Flèches pointant vers la gauche : 2 personnes qui ont subi un préjudice lié au dépistage et qui sont décédées plus tôt que celles qui n’ont pas subi de dépistage.
Le cercle bleu indique l’effet du dépistage sur la longévité de la population, qui a été calculée comme étant la résultante de l'ensemble des bénéfices individuels moins l'ensemble des préjudices individuels.
On voit que globalement il n'y a pas d'effet net de gain en durée de vie, ce que les dépistages promettaient lors de l'instauration des campagnes nationales.

Le gain de durée de vie

Les auteurs écrivent :

"Selon les risques relatifs observés pour la mortalité toutes causes confondues et le temps de suivi déclaré dans les essais, le seul test de dépistage qui a considérablement augmenté la longévité était la sigmoïdoscopie, de 110 jours (IC à 95 %, 0 à 274 jours) (tableau 2..)

Nous n’avons trouvé aucun résultat statistiquement significatif pour la longévité avec le dépistage par mammographie (0 jour; IC à 95 %, 190 à 237 jours) et le dépistage par recherche de sang fécal avec dépistage annuel ou bisannuel (0 jour; IC à 95 %, 70,7 à 70,7 jours).
Le dépistage par coloscopie (37 jours de gain; IC à 95 %, 146 à 146 jours) et le dépistage par PSA (prostate) (37 jours; IC à 95 %, 37 à 73 jours) peuvent être associés à une longévité d’environ 5 semaines et le dépistage du cancer du poumon chez les fumeurs ou les anciens fumeurs à environ 3 mois (107 jours; IC à 95 %, 286 à 430 jours), mais ces estimations sont incertaines)."

Figure 2

A droite la durée de vie "gagnée" ; à gauche la durée de vie "perdue"

Figure 2 résume ces résultats- Les points en diamants indiquent des estimations ponctuelles des jours de vie gagnés ou perdus pour chaque test de dépistage. Les flèches gauche et droite indiquent l'intervalle de confiance de 95 %.
CT signifie tomodensitométrie pour la recherche du cancer du poumon, FOBT (faecal occult blood test) correspond à la recherche de sang dans les selles, et le PSA est l'antigène prostatique spécifique.

Discussion

Les auteurs développent leurs constatations.

"Notre étude quantifie si l’utilisation de 6 tests de dépistage du cancer couramment utilisés est associée à la durée de vie. Un test (sigmoïdoscopie) a considérablement prolongé la vie et la longévité de 110 jours, bien que la limite inférieure de l’IC à 95 % s’étende à 0. Les tests fécaux et le dépistage par mammographie n’ont pas semblé prolonger la vie dans les essais, tandis que les estimations pour le dépistage du cancer de la prostate et du cancer du poumon sont incertaines.

Au cours des dernières décennies, des programmes organisés de dépistage du cancer ont été mis en place en Europe, au Canada, dans les îles du Pacifique et dans de nombreux pays d’Asie. Aux États-Unis, le dépistage du cancer est offert par de nombreux établissements et encouragé et remboursé par la plupart des payeurs de soins de santé. Plusieurs études se sont penchées sur l’association entre le dépistage et la mortalité toutes causes (6,28).Peu ont traduit leurs résultats en estimations pratiques et faciles à comprendre pour les professionnels de la santé et les particuliers sur la mesure dans laquelle le dépistage du cancer peut augmenter l’espérance de vie. Notre étude fournit ces estimations.

Même si nous n’avons pas observé de vie plus longue en général avec 5 des 6 tests de dépistage, certaines personnes prolongent leur vie en raison de ces tests de dépistage. Le cancer est prévenu ou détecté à un stade précoce, et les personnes survivent au dépistage et au traitement subséquent sans dommages ni complications. Sans dépistage, ces patients peuvent être morts du cancer parce qu’il aurait été détecté à un stade plus tardif et incurable. Ainsi, ces patients connaissent un gain dans la vie.

Cependant, d’autres personnes subissent une perte à vie en raison du dépistage.(35,36) Cette perte est causée par des préjudices associés au dépistage ou au traitement des cancers détectés par le dépistage, par exemple, en raison d’une perforation du côlon au cours d’une coloscopie ou d’un infarctus du myocarde après une prostatectomie radicale.(37,38)

Pour 5 des 6 tests de dépistage étudiés ici, les résultats suggèrent que la plupart des individus n’auront aucun gain de longévité.
Pour ceux dont la longévité a été altérée à cause du dépistage, la perte cumulative pour ceux qui sont lésés doit être compensée en durée par le gain cumulatif pour ceux qui en ont bénéficié, et montrer une durée de vie inchangée chez les personnes qui subissent le dépistage par rapport à ceux qui ne le font pas.
........
........
Notre étude pourrait fournir des estimations faciles à comprendre concernant la prolongation de la vie attribuable au dépistage, estimations qui pourraient être utilisées dans la prise de décision partagée avec les personnes qui envisagent de passer un test de dépistage.
Nos estimations peuvent également servir à prioriser les initiatives de santé publique par rapport à d’autres mesures préventives, comme le traitement de l’obésité ou la prévention des maladies cardiovasculaires.(28)

Le manque de longévité accrue par dépistage peut également se produire en raison de causes concurrentes de décès. Bon nombre des cancers que nous dépistons partagent des facteurs de risque avec des causes de décès plus répandues, comme les maladies cardiovasculaires et métaboliques. L’absence d’une augmentation significative de la longévité par dépistage du cancer peut donc être due à la mort par causes concurrentes en même temps qu’un patient qui serait mort du cancer sans dépistage. Un déplacement de la mortalité du cancer vers d’autres causes de décès sans allongement de la durée de vie est donc plausible.

En raison de la stigmatisation et du fardeau psychologique, un diagnostic de cancer peut également causer des décès non spécifiques au cancer, dus au suicide, aux maladies cardiovasculaires et aux accidents.(41,42) De plus, une surveillance accrue après le dépistage du cancer peut augmenter le risque d’autres maladies accidentelles, qui n’auraient pas été détectés sans dépistage.(43)

L’adhésion à plus d’un seul test de dépistage peut potentiellement augmenter la longévité. La seule étude disponible ne suggère pas qu’il y ait un effet additif du dépistage de plus d’un cancer.
...."

Une autre préoccupation abordée par les auteurs est celle de la qualité de vie après cancer.

" En plus de la durée de vie acquise ou perdue avec le dépistage, la qualité de vie est importante. Les années de vie ajustées en fonction de la qualité (Quality-adjusted life-years ou QALYs)  sont difficiles à mesurer et à interpréter, mais des analyses récentes des QALYs pour les estimations du dépistage par mammographie en Norvège suggèrent que le QALY net dans le dépistage par mammographie moderne en Norvège pourrait être négatif.(29)"

Conclusions et pertinence de l'étude :

Les résultats de cette méta-analyse suggèrent que les données actuelles ne corroborent pas l’affirmation selon laquelle les tests de dépistage du cancer sauvent des vies en prolongeant la durée de vie, sauf peut-être pour le dépistage du cancer colorectal par sigmoïdoscopie.

Tableau 2

Détail des essais randomisés inclus, comparaison 'dépistage/sans dépistage' des décès par le cancer spécifique et des décès toutes causes confondues, résultat illustré dans la figure 2-Cliquez sur l'image

Références de l'étude

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Lutter contre le surdiagnostic

Lutter contre le surdiagnostic créera des soins de santé plus durables pour les populations et la planète

Il nous faut prendre conscience que l'usage de tests de diagnostics et de dépistages excessifs conduit à la surmédicalisation et au surtraitement dans de nombreuses maladies, ce qui peut nuire aux patients, épuiser les ressources de soins de santé et nuire également à la planète.

Les auteurs* de ce billet publié dans le BMJ alertent pour une prise de conscience par le public et les législateurs pour la lutte contre le surdiagnostic.

De nombreux systèmes de soins de santé dans plusieurs pays font face à des crises de demandes abusives, à une augmentation constante des maladies chroniques, à des coûts croissants et sont confrontés à un déficit de main-d’œuvre médicale qui menacent leur fonctionnement.

Une partie de l’augmentation de la prévalence (c'est à dire une augmentation du nombre de nouveaux cas et de cas existants) de « maladie » est due au surdiagnostic.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/
Et : https://cancer-rose.fr/2023/01/09/le-surdiagnostic-des-cancers-un-defi-a-lere-du-depistage/
On estime que 30 % des soins médicaux sont de faible valeur ou gaspillent des ressources de santé. On estime que le secteur de la santé est responsable de plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés, ce qui est une autre façon dont les soins de faible valeur menacent la santé.

La flambée des coûts des soins de santé et le fardeau des traitements déraisonnables pour les patients, liés à l ’épuisement professionnel du personnel de santé et les dommages pour la planète doivent nous conduire à plus de réflexion et de discussion sur les ressources financières, humaines, sociétales et planétaires limitées disponibles et sur une meilleure répartition des ressources existantes.

Les auteurs écrivent : "Les crises actuelles dans la prestation des soins de santé sont exacerbées par le vieillissement de la population et la multimorbidité associée. Les décideurs politiques, les politiciens et le public doivent comprendre comment même les efforts bien intentionnés pour fournir des soins de santé plus nombreux et de meilleure qualité amplifient et renforcent inévitablement ces crises par le surdiagnostic, la surmédicalisation et le surtraitement,"

L'enjeu d'une meilleure médecine se porte surtout sur la perinence des soins prodigués à la population.

Contrôle des soins de santé en excès

La réduction du surdiagnostic est une première étape essentielle pour contrôler l’excès de soins de santé.
Pour ce faire, disent les auteurs, la santé publique est la mieux placée pour revoir les programmes de dépistages dont plusieurs ne fonctionnent pas, ne sont plus recommandés ou deviennent obsolète de par le fait que les traitements contre la maladie sont plus efficaces que de dépister tout une population saine au risque de l'exposer à de la surmédicalisation.

De plus, ajoutent-ils, le concept de surdiagnostic devrait être enseigné dans le cadre de soins de santé fondés sur des données probantes dès les premiers stades de la formation médicale.
Des ressources éducatives sur le surdiagnostic, sur l'utilisation de données probantes et la pensée critique devraient également être offertes aux législateurs, aux décideurs politiques ainsi qu’aux patients et au public. Il faut communiquer plus largement sur l’ampleur du surdiagnostic, en illustrer le coût humain, par exemple, proposent les rédacteurs de cet article, en mettant des visages et des histoires individuels sur des concepts et des données abstraits.

Les programmes de dépistage établis devraient être réévalués à la suite du développement d'une prévention primaire efficace, et en raison, comme nous le disions plus haut, de la disponibilité de meilleurs traitements pour les maladies symptomatiques.

Par exemple, à mesure que la prévalence du tabagisme diminue, l’incidence du cancer du poumon diminue. Ceci a des répercussions sur la balance entre bénéfices et risques liés au programme de dépistage du cancer du poumon, dont la pertinence est à revoir, ou les populations ciblées.

En conclusion

"Notre culture médicale mondiale a conduit à des tests de diagnostic excessifs, à la surmédicalisation et au surtraitement dans de nombreuses maladies qui peuvent nuire aux patients, épuiser les ressources de soins de santé et nuire à la planète.
Nous en appelons aux autorités locales, aux décideurs nationaux et internationaux pour prendre conscience de ces problèmes et prendre des mesures urgentes pour les résoudre. Ce n’est qu’alors que nous pourrons espérer créer des soins de santé plus durables à l’avenir."

*Les auteurs

  1. Thomas Kühlein1,  
  2. Helen Macdonald2,  
  3. Barnett Kramer3,  
  4. Minna Johansson4,  
  5. Steven Woloshin45,  
  6. Kirsten McCaffery6,  
  7. John B. Brodersen7,  
  8. Tessa Copp8,  
  9. Karsten Juhl Jørgensen9,  
  10. Anne Møller10,  
  11. Martin Scherer11
  12. for the Scientific Committee of the Preventing Overdiagnosis Conference

  1.      1Institute of General Practice, Universitätsklinikum Erlangen, Germany
  2. 2The BMJ, London, United Kingdom
  3.     3The Lisa Schwartz Foundation for Truth in Medicine Norwich, VT/USA
  4.   4Global Center for Sustainable Healthcare, Gothenburg, Sweden
  5. .     5Dartmouth Institute for Health Policy and Clinical Practice, Lebanon, NH/USA
  6. .     6Sydney Health Literacy Lab, Wiser Healthcare, Faculty of Medicine and Health, School of Public Health, The University of Sydney, Sydney, NSW, Australia
  7.     7Centre of Research & Education in General Practice, Department of Public Health, Faculty of Health Sciences, University of Copenhagen; Primary Health Care Research Unit, Region Zealand and Research Unit for General Practice, Department of Community Medicine, Faculty of Health Sciences, UiT The Arctic University of Norway, Tromsø Odense University Hospital Odense, Denmark and Cochrane Collaboration, Oxford, United Kingdom
  8. .     8Wiser Healthcare, Faculty of Medicine and Health, School of Public Health, The University of Sydney, Sydney, NSW, Australia
  9.     9Herrestads Healthcare Centre, Närhälsan, Denmark; Global Center for Sustainable Healthcare, Gothenburg Denmark; University, FoUUI Fyrbodal, Cochrane Sweden
  10.    10Centre of Research & Education in General Practice, Department of Public Health, Faculty of Health Sciences, University of Copenhagen; Primary Health Care Research Unit, Region Zealand, Denmark
  11.   11Institut and Polyclinic of General Practice, Universitätsklinikum Hamburg Eppendorf, Hamburg, Germany
  12.    12Preventing Overdiagnosis Conference.

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Dépistage et femme âgée

8 août 2023, par Cancer Rose

Selon cette étude de cohorte réalisée sur 54 635 femmes âgées de 70 à 85 ans et plus, aucune réduction significative de mortalité par cancer du sein n'a pu être mise en évidence.
En revanche le pourcentage estimé de surdiagnostic variait entre 31% et 54%, avec une augmentation de cette proportion l'âge avançant.
D'autres études antérieures mettaient déjà fortement en doute l'intérêt du dépistage chez les femmes âgées, et l'effet délétère des traitements lourds sur ces organismes fragilisés et à prendre d'autant plus en compte.

https://www.acpjournals.org/doi/abs/10.7326/M23-0133?af=R&journalCode=aim

 Selon cette étude de cohorte réalisée sur 54 635 femmes de 70 ans à 74 ans, de 75 à 84 ans et de plus de 85 ans, aucune réduction significative de mortalité par cancer du sein n'a pu être mise en évidence.
En revanche le pourcentage estimé de surdiagnostic varierait entre 31% et 54%, avec une augmentation de cette proportion plus l'âge avance.

Ces résultats rejoignent ceux d'une étude antérieure, de 2014, d'universitaires de Leyden, Pays Bas.
Selon les auteurs, après 70 ans, le dépistage organisé du cancer du sein serait inutile. En effet, à cet âge, la pratique du dépistage n'améliore pas de façon significative la détection des cancers aux stades avancés mais fait en revanche bondir le nombre de surdiagnostics et donc de surtraitements.

Aux Pays-Bas, le dépistage du cancer du sein est proposé aux femmes jusqu'à 75 ans depuis la fin des années 1990. «Pourtant, rien ne prouve que le dépistage chez les femmes plus âgées est efficace », expliquent les auteurs de l'étude, mentionnant aussi le fait que peu d'essais aient été réalisés spécifiquement sur ces groupes d'âge.
Pour les chercheurs néerlandais, le dépistage systématique après 70 ans entraînerait surtout la détection et donc les traitements de lésions qui n'auraient pas évolué en maladie durant la vie des patientes.

Ces traitements inutiles entraînent un impact sur la santé trop important, et une co-morbidité trop lourde chez ces personnes âgées, qui supportent moins bien les effets secondaires des traitements, chirurgicaux, des radiothérapies et des chimiothérapies.

Les auteurs de l'étude américaine ici posent également la question de savoir si les bénéfices sont vraiment suffisamment importants, et qui ils concernent réellement pour contrebalancer les effets néfastes des surdiagnostics. Cette question reste en suspens.

Lien connexe : https://cancer-rose.fr/2019/04/07/la-campagne-pour-le-depistage-de-la-femme-agee-par-le-college-national-des-gynecologues-et-obstetriciens-de-france-cngof/

Faut-il freiner chez la femme âgée ?

C'est une question que pose le JAMA, en 2019, et dont nous parlions ici : https://cancer-rose.fr/2019/02/06/depistage-chez-la-femme-agee/

Les auteurs relatent les résultats d'une étude portant sur l'efficacité de techniques numériques assistées par ordinateur pour aider le radiologue à détecter des zones suspectes.
Cette vaste étude de 2013, donnait, chez les femmes âgées de 65 à 84 ans, des résultats mitigés : la technologie a détecté certains cancers au stade précoce mais n’a pas augmenté la détection en général et a conduit à davantage de faux-positifs. Il n'est pas certain que la santé des femmes âgées se soit améliorée grâce à cette technologie.
FentonJJ,XingG,ElmoreJG,etal.Short-term outcomes of screening mammography using computer-aided detection: a population-based study of Medicare enrollees. Ann Intern Med. 2013; 158(8):580-587. doi:10.7326/0003-4819-158-8- 201304160-00002

Des doutes d'efficacité existent aussi pour l'utilisation de la tomosynthèse chez les femmes âgées, et l'article suggère que bien que les nouvelles technologies de dépistage du cancer du sein aient largement supplanté la mammographie analogique sur film, il est difficile de savoir si ces avancées ont réellement amélioré la santé des femmes en particulier chez celles de 75 ans et plus.

En conclusion

Il est, une fois de plus, démontré que le dépistage du cancer du sein dans les tranches d'âge au-delà de 74 ans est associé à une plus grande incidence du cancer du sein, ce qui suggère un surdiagnostic augmentant en fréquence avec l'âge.
Les méfaits du surdiagnostic ne semblent pas équilibrés par des bénéfices en termes de diminution des formes avancées de cancer.

Il convient de ce fait de rester très prudent et le moins intrusif possible chez ces patientes dont le système immunitaire est affaibli.
Tous les organes s'épuisent et fonctionnent moins bien avec l'âge, les facultés de cicatrisation, de régénération tissulaire sont moindres, tout cela est en prendre en compte dans l'administration des traitements lourds, comportant eux-mêmes des risques et des complications, pouvant être fatals au grand âge..

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Cancer du sein, le risque du travail de nuit

7 août 2023

Lorsqu'on parle des facteurs de risque des cancers, pour certains, ces facteurs de risque sont facilement identifiables : l'amiante pour le mésothéliome (un cancer de la plèvre), le tabac pour le cancer broncho-pulmonaire.

Dans le cadre du cancer du sein les choses sont plus complexes. Il y a les facteurs de risque connus, et ceux dits 'probables'.

Les facteurs de risque reconnus comme tels :

✹  l’âge (cancer statistiquement plus fréquent au-delà de 50 ans) ;
✹  le sexe (cancer très nettement plus fréquent chez la femme) ;
✹  les personnes ayant une prédisposition génétique (altération du gène BRCA1 ou BRCA2, dont la fonction est de réparer des lésions de l’ADN que la cellule du sein a pu subir) ;
✹  des examens irradiants répétés de la zone thoracique (radios, scanners).

Les facteurs de risque possibles :

✹ l’obésité ;
✹ l’activité physique insu sante ;
✹ la prise de contraceptifs œstroprogestatifs (la pilule)
✹ un environnement industriel ou agricole nocif ;
✹ le travail en horaires décalés et le travail de nuit ;
✹ le tabagisme, actif ou passif
✹ la consommation d’alcool ;
✹ une puberté précoce ;
✹ une première grossesse tardive ;
✹ le choix de l’allaitement artificiel
✹ une ménopause tardive ;
✹ la prise d’un traitement hormonal de la ménopause

Extrait du livre "Mammo ou pas mammo?", Ed. T.Souccar, pages 20/21

En 2012, des chercheurs de l’Inserm (Unité Inserm 1018 « centre de recherche en épidémiologie et santé des populations ») publient dans l’International Journal of Cancer une étude montrant que le risque de cancer du sein est augmenté chez les femmes travaillant de nuit.
L’étude réalisée en France et baptisée CECILE a comparé le parcours professionnel de 1200 femmes ayant développé un cancer du sein entre 2005 et 2008 à celui de 1300 autres femmes.

Déjà en 2010, le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC) avait classé le travail entraînant des perturbations du rythme circadien comme « probablement cancérigène ».
Stevens RG, Hansen J, Costa G et al. Considerations of circadian impact for defining ‘shift work’ in cancer studies: IARC Working Group Report. Occup Environ Med. 2010; 68: 154-162. Rapport du groupe de travail du CIRC pour proposition sur la façon d’évaluer le travail posté dans le cadre des futures études épidémiologiques.

Les chercheurs de l'INSERM mettent en évidence un risque de cancer du sein augmenté d’environ 30% chez les femmes ayant travaillé de nuit par rapport aux autres femmes.
Cette augmentation du risque, disent encore les scientifiques, était particulièrement marquée chez les femmes ayant travaillé de nuit pendant plus de 4 ans, ou chez celles dont le rythme de travail était de moins de 3 nuits par semaine, entraînant ainsi des décalages de phase plus fréquents entre le rythme de jour et le rythme de la nuit.

Une autre conclusion était que cette association entre travail de nuit et cancer du sein semblait plus marquée lorsqu'il s'agissait de travail de nuit effectué avant la première grossesse, probablement en raison d'une plus grande vulnérabilité des cellules mammaires chez la femme avant le premier accouchement.

Les mécanismes de cet impact du travail de nuit sur le sein seraient les suivants :

  • l’exposition à la lumière durant la nuit qui supprime le pic nocturne de mélatonine, hormone ayant une action anti-cancérigène ;
  • la perturbation du fonctionnement des gènes de l’horloge biologique qui contrôlent la prolifération cellulaire ;
  • les troubles du sommeil pouvant affaiblir le système immunitaire luttant contre les cellules cancéreuses que l'organisme peut produire.

Un cas faisant jurisprudence

Un article dans Libération au mois de mars dernier nous apprend le cas d'une ancienne infirmière de 62 ans, ayant travaillé au Centre hospitalier de Sarreguemines (Moselle) au service de radiologie puis de gynécologie entre 1981 et 2009. Pendant 28 ans, elle a ainsi cumulé 873 nuits de travail - soit environ une par semaine, et elle a contracté un cancer du sein.
La pathologie de cette femme vient de lui être reconnue comme maladie professionnelle.

Un médecin-expert dans le dossier relate : «On peut affirmer qu’il existe un lien direct et essentiel entre le cancer du sein dont elle est victime et le travail effectué auparavant» 

Ce cas pourrait faire jurisprudence et si le cancer du sein est inscrit dans le tableau de reconnaissance de maladies professionnelles, ceci amènerait à d'autres reconnaissances de maladies professionnelles chez les travailleurs de nuit.
Et c'est important car ainsi les victimes n’auraient plus besoin de prouver le lien entre leur maladie et leur travail.

Mauvaise documentation de l'impact du travail de nuit et mauvaise reconnaissance chez la femme.

En 2016 nous avions déjà publié un article sur le sujet.

En Europe et aux États-Unis, le travail de nuit a augmenté ces dernières décennies et concerne 19 à 25 % de l’ensemble des travailleurs.
Pourtant les études sur le risque de cancer du sein en milieu professionnel fait l’objet de peu d’attention, et le manque d’intérêt est d’autant plus paradoxal que le dépistage précoce du cancer du sein chez la femme, lui, fait l’objet de campagnes et d'effort de stimulations extrêmes de la part des autorités sanitaires pour augmenter la participation des femmes, et ce en dépit de résultats bien décevants du dépistage.

Alors que la pathologie cancéreuse est identifiée comme première cause de décès par le travail en Europe et alors que cette maladie est en progression constante depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique ignorent la contribution de l’activité 'travail' à ce phénomène, comme le détaille très bien cet article dans The Conversation.

Il faut attendre 2023 pour voir menés des travaux sur l'impact du travail sur la santé des femmes, l'étude des risques au travail s'étant jusqu'à présent concentrée sur la population masculine.
"Le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes est à l’origine d’impensés féminins dans la conception et la mise en œuvre des politiques de santé au travail." dit le rapport.
Un des grands axes de ce travail est de "chausser les lunettes du genre" pour comprendre, mais aussi pour développer une vraie prévention du cancer à l'attention des femmes, le dépistage, rappelons-le, n'en étant pas une.

L'article dans The Conversation rapporte :
"La récente médiatisation autour de la reconnaissance d’un cancer du sein en maladie professionnelle chez une infirmière ayant travaillé de nuit permet par exemple de rappeler que loin d’être une fatalité pour les femmes, ce cancer peut aussi être le résultat de conditions de travail pathogènes, comme le travail de nuit, l’exposition aux rayonnements ionisants et, selon l’Anses, plusieurs dizaines de molécules chimiques présentes dans l’espace productif. Et qu’il est, à ce titre, lui aussi évitable, à condition de prévenir ces risques cancérogènes à leur source, au travail."

Vraie volonté politique ou affichage ?

C'est aussi la question que pose The conversation.

"Inscrite dans la feuille de route du gouvernement et des partenaires sociaux au sein du Plan santé travail 2021-2025, et dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers, la prévention des cancérogènes en milieu de travail pourrait ne demeurer qu’un simple affichage.
La pénurie actuelle de médecins du travail et d’inspecteurs du travail en fait craindre l’hypothèse. Pour mettre un terme à cette épidémie silencieuse de cancers du travail, il y a urgence à remettre en cause les conditions de travail pathogènes et à revendiquer une intervention plus contraignante de l’État dans le monde du travail pour garantir le droit à ne pas y perdre sa vie."

Conclusion

Dans le dossier de l'infirmière mosellane, d’autres facteurs de risque probables ont été notés : rayonnements ionisants, perturbateurs endocriniens et produits chimiques pour stériliser du matériel médical.

En effet, très fréquemment, les causes de cancer sont multiples et intriquées, et des milliers de personnes sont exposées à des cancérogènes, en toute légalité dans l’exercice de leur profession. 

Mais, alors que le cancer est identifié comme la première cause de décès par le travail en Europe et en constante progression depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique occultent soigneusement l'impact du travail, et notamment celui du travail de nuit féminin sur un organe particulièrement sensible, le sein, préférant largement focaliser sur un dépistage du cancer du sein qui a failli à sa mission de diminution des formes graves et d'allègements thérapeutiques.
Les campagnes de prévention primaire, quand elles existent, mettent l'accent également très lourdement sur les facteurs comportementaux individuels, qui ne sont certainement pas à ignorer, mais qui ne sont pas exclusifs.

Seule bonne nouvelle, la mortalité par ce cancer diminue depuis les années 90, dépistage ou pas, concernant même les cancers avancés, en premier lieu imputable aux avancées thérapeutiques ce que suggère une étude parue récemment, malheureusement régulièrement citée comme victoire du dépistage dans la presse.

Mais ce serait quand-même tellement plus logique et plus intelligent de lutter en amont contre les facteurs de risques de la maladie plutôt qu'en aval, et notamment contre les facteurs de risque au travail, plutôt que de gaspiller tant de moyens logistiques, humains et financiers pour un dépistage décevant, dont la faillite est aggravée d'une désinformation des femmes inexcusable, non éthique, et de campagnes marketing outrancières à chaque mois d'octobre.

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La guerre de la mammo n’aura de fin

Traduction et restitution du texte par Cancer Rose, 31/07/2023

Pourquoi les nouvelles lignes directrices recommandant le dépistage à 40 ans ne peuvent pas mettre fin à la guerre des mammographies

Par Asia Friedman, 27 juillet 2023

Asia Friedman est professeur agrégé de sociologie à l’Université du Delaware et auteur du livre « Mammography Wars : Analyzing Attention in Cultural and Medical Disputes » (Rutgers).

Les nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein émises par le groupe de travail américain sur les services préventifs (United States Preventive Services Task Force) paraissent mettre fin à un débat qui dure depuis des décennies sur la date à laquelle les femmes doivent commencer à passer des mammographies. L'agence recommande désormais de commencer à 40 ans*, annulant ainsi la recommandation de 50 ans qui était en vigueur depuis 2009. Ce changement l'aligne sur d'autres organisations d'experts telles que l'American College of Radiology (bien que les deux diffèrent encore sur la question de savoir si les femmes devraient subir une mammographie tous les ans ou tous les deux ans).

*Voir à ce sujet notre article : https://cancer-rose.fr/2023/05/15/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/

Malgré ce nouveau consensus apparent, la "guerre des mammographies" n'est pas terminée.

La mammographie a beau être pratiquée 40 millions de fois par an aux États-Unis, elle reste l'un des sujets les plus controversés de la médecine. Hormis la récente convergence sur les lignes directrices relatives à l'âge, les experts restent divisés sur la meilleure façon de définir et de mesurer les bénéfices et les risques de la mammographie, et en plus sur la validité de l'idée même de détection précoce.

Ce n'est pas parce que nous ne disposons pas de suffisamment de données. Aucun dépistage médical - en fait, peut-être aucune autre condition médicale - n'a été plus examiné que la mammographie.

Deux schémas de pensée différents

Au contraire, comme le suggère ma recherche, deux partis interprètent les données existantes selon des critères de signification différents.
Sur la base de dizaines d'entretiens avec des scientifiques, des médecins et des patientes, j'identifie deux schémas de pensée dominants au cœur des conflits sur la mammographie : l'interventionnisme et le scepticisme.

En bref, les interventionnistes croient fermement aux bénéfices de la détection précoce et minimisent tout préjudice possible du dépistage. Ils critiquent donc tout effort visant à retarder l'âge recommandé pour les mammographies ou à réduire la fréquence du dépistage.

Les sceptiques sont moins confiants dans l'efficacité du dépistage par mammographie et accordent plus d'importance aux préjudices du dépistage, qu'ils définissent d'ailleurs de manière plus large que les interventionnistes. Ils préconisent donc généralement de retarder l'initiation et de ralentir la fréquence des mammographies pour limiter ces risques.

Fondamentalement, les perspectives différentes des sceptiques et des interventionnistes dépendent de leur conviction que la détection précoce présente des bénéfices incontestables. La détection précoce est devenue une logique culturelle par défaut, en grande partie en raison des messages de santé publique de longue date qui insistent sur les bénéfices d'un diagnostic précoce pour de nombreuses maladies.

Les médecins sceptiques et les chercheurs en cancérologie remettent en question ce discours dominant sur les bénéfices de la détection précoce. Comme l'a déclaré un oncologue, "pendant des décennies, le message a été : 'L'outil le plus important est la mammographie', 'La mammographie sauve des vies', et il a donc été ... condensé en quelques mots ... qui ne laissent aucune place à l'incertitude quant aux bénéfices et ne mentionnent même pas les préjudices". Les sceptiques mettent en avant toute une série de préjudices potentiels liés au dépistage. Certains experts disent même que le dépistage déclenche une "cascade de préjudices".

Quels préjudices ?

Les préjudices les plus courants de la mammographie sont le stress et l'anxiété associés à des dépistages répétés en raison de résultats ambigus ou faussement positifs. "Nous essayons de trouver autant de cancers que possible", a déclaré un médecin de premier recours et chercheur en médecine, "et c'est la porte ouverte à un grand nombre de fausses alertes". On m'a également dit : "Je pense que nous avons pratiquement fait de la peur du cancer du sein un rite de passage pour les femmes américaines d'âge moyen".

Les estimations du taux de mammographies faussement positives varient, mais un article paru en 2020 dans Ethnicity & Health faisait état d'un risque de 20 à 65 % de recevoir un résultat faux-positif au cours de la vie, et un article paru en 2004 dans le Journal of the American Medical Association indiquait que 35 % des participantes avaient eu au moins une mammographie faussement positive. Parmi les patientes que j'ai interrogées, près des trois quarts avaient été rappelées au moins une fois pour un dépistage ou un test supplémentaire. Pour certaines, un nouveau dépistage a lieu à chaque fois qu'elles passent une mammographie, un processus qui peut prendre des mois.

Malgré cela, les interventionnistes ont tendance à rejeter l'idée que le dépistage peut être nuisible. Comme l'a expliqué le directeur d'un centre de lutte contre le cancer, "si vous aviez une balançoire à bascule et que d'un côté il y avait un bloc de béton de 100 livres, c'est le bénéfice. J'estime que les préjudices sont équivalents à une plume et c'est ce que j'empile de l'autre côté". Un radiologue m'a également dit que les critiques avaient "exagéré les aspects négatifs du dépistage".
Il a qualifié les inconvénients du dépistage de minimes : "l'anxiété et le désagrément d'être rappelée" et : "ne sont certainement pas l'équivalent de mourir d'un cancer du sein".

Un inconvénient moins connu du dépistage qui préoccupe particulièrement les sceptiques de la mammographie est le surdiagnostic, c'est-à-dire les cancers révélés par le dépistage qui se développent lentement ou qui ne sont pas dangereux de manière imminente. Pourtant, lorsque de tels cancers sont détectés, ils sont presque toujours traités, ce qui, selon les sceptiques, est plus néfaste que bénéfique, compte tenu de leurs caractéristiques biologiques relativement bénignes.

Voir notre article : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/

Il est difficile de mesurer le surdiagnostic car les cancers surdiagnostiqués sont généralement traités et sont donc très rarement identifiables en tant qu'exemples de surdiagnostic au niveau du patient individuel. Néanmoins, de nombreux experts s'accordent à dire que le surdiagnostic est réel et démontrable au niveau de la population. "Il y a un consensus, au moins dans la communauté scientifique, sur le fait qu'il s'agit d'un problème et qu'il faut s'y intéresser", a déclaré un chercheur en médecine.

Du point de vue des sceptiques, le surdiagnostic représente un changement de paradigme actuellement en cours dans la façon de penser le cancer. Comme l'a décrit un chirurgien et spécialiste du cancer du sein, "il existe un mantra selon lequel l'un des meilleurs moyens d'améliorer la guérison du cancer est de le détecter à un stade précoce". La détection précoce est basée sur un "modèle conceptuel de la maladie qui est linéaire", a-t-il expliqué, et ne prend donc pas en compte le surdiagnostic.

Voir l'article : https://cancer-rose.fr/2023/06/26/quest-ce-que-lhistoire-naturelle-du-cancer/

Pourtant, s'inquiéter du surdiagnostic n'aide pas à traiter les patients individuellement, affirment les interventionnistes. Comme l'a dit un radiologue, "le problème avec le concept de surdiagnostic est que nous n'avons aucun moyen de savoir quel cancer diagnostiqué tuera ou non le patient". Par conséquent, ce concept est "juste théorique" et ne devrait pas être pris en compte dans la détection et le traitement du cancer. Les interventionnistes affirment également qu'il est plus urgent de se concentrer sur le risque de sous-diagnostic, ou de non-détection de la maladie d'un patient. Les faux positifs ne sont peut-être pas une expérience agréable, mais comme l'a dit un médecin de famille, "je pense que c'est une conséquence plus acceptable que la mort d'un plus grand nombre de femmes".

Désaccord inconciliable

Malgré des décennies de recherche, les interventionnistes et les sceptiques ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la mammographie. La multiplication des données ne suffira pas à modifier les lignes de fracture fondamentales de ce désaccord, et les éternels débats sur l'opportunité de dépister les femmes d'une quarantaine d'années ne s'attaquent pas au cœur du conflit.

À moins d'une découverte scientifique révolutionnaire qui obligerait les deux partis à faire face aux limites de leurs opinions antérieures, notre meilleur espoir de sortir de cette impasse et de développer une nouvelle approche du dépistage réside dans un examen sociologique plus approfondi, sur la manière dont les croyances enracinées concernant la détection précoce et les bénéfices et préjudices du dépistage limitent la façon dont les experts, ainsi que nous-mêmes, sont capables de penser à propos de la mammographie.

Asia Friedman est professeur agrégé de sociologie à l'université du Delaware et auteur du livre "Mammography Wars : Analyzing Attention in Cultural and Medical Disputes" (Rutgers). (Les guerres de la mammographie/Analyser l'attention dans les conflits culturels et médicaux.)

A propos de ce livre

La mammographie est un examen médical de routine pratiqué quarante millions de fois chaque année aux États-Unis. Pourtant, elle reste l'un des sujets les plus controversés de la médecine, les organisations nationales de soins de santé soutenant des lignes directrices contradictoires. Dans Mammography Wars, la sociologue Asia Friedman examine les désaccords culturels et médicaux sur la mammographie. L'enjeu est de savoir s'il faut dépister les femmes de moins de cinquante ans, ce qui est enraciné dans des questions plus profondes sur la détection précoce et le développement supposé linéaire et progressif du cancer du sein. Sur la base d'entretiens avec des médecins et des scientifiques, d'entretiens avec des femmes âgées de 40 à 50 ans et de la couverture médiatique de la mammographie, Friedman utilise la sociologie de l'attention pour cartographier la structure cognitive des "guerres de la mammographie", offrant ainsi un aperçu de la nature enracinée des débats sur la mammographie, qui passe souvent inaperçue lorsque l'on applique un point de vue médical. L'analyse de Friedman suggère également le potentiel unique de la sociologie de l'attention pour analyser les conflits culturels au-delà de la mammographie, et même au-delà de la médecine.

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