Renforcer la valeur du diagnostic clinique précoce

5 novembre 2021

Une étude du Lancet

Duggan C., Trapani D., Ilbawi A., Fidarova E., Laversanne M., Curigliano G. et al.
National health system characteristics, breast cancer stage at diagnosis, and breast cancer mortality: a population-based analysis
DOI:https://doi.org/10.1016/S1470-2045(21)00462-9

Notion du diagnostic clinique précoce

Dans leur article, les auteurs distinguent le dépistage d'une part, et puis le repérage précoce des premiers symptômes d'un cancer du sein.
Nous distinguons donc :

  • Le diagnostic par anticipation = le dépistage, qui repose sur les mammographies répétées, tel que pratiqué dans de nombreux pays.
  • Le diagnostic clinique précoce = le repérage le plus précocement possible des premiers symptômes annonciateurs d'un cancer du sein ; ce repérage repose sur la formation et l'information des femmes et des médecins et/ou sages-femmes (les soignants en général), d'une part en les sensibilisant (penser à rechercher le symptôme dans le sein), et d'autre part en leur apprenant 'quoi' rechercher.
    Cette notion de diagnostic clinique précoce s'oppose au diagnostic trop tardif, consécutif à l'existence de symptômes d'un cancer existants, qui ont été négligés pendant un laps de temps long à cause d'un manque d'information des femmes et d'un manque de formation des soignants.

Les auteurs constatent que certains pays font aussi bien avec le repérage précoce des premiers symptômes que les pays qui recourent au dépistage.

L'article du Lancet suggère que le diagnostic précoce pourrait faire aussi bien que le dépistage.
Certes, ce diagnostic clinique précoce est promu par l'OMS comme alternative au dépistage dans les pays qui n'ont pas les moyens d'un dépistage de masse, ce qui n'est pas le cas de la France. Nous en parlions ici : https://cancer-rose.fr/2021/09/02/campagnes-de-depistage-vers-plus-de-prudence/
L'Ukraine semble avoir adopté cette option, adaptée à des pays qui n'ont pas les moyens d'un dépistage mammographique de routine.

Mais nous pourrions tirer de ces résultats un questionnement pertinent et un enseignement pour nos pays où les campagnes vont bon train, avec un dépistage mammographique qui ne parvient plus à montrer son efficacité et qui comporte des inconvénients : et si le diagnostic précoce avait une meilleure balance bénéfices/risques que le dépistage mammographique systématique ?

Réduire la mortalité par cancer du sein, avec moins de surdiagnostics

Les résultats de l'étude publiée dans « The Lancet Oncology », confirment la recommandation de l'OMS, en suggérant que le diagnostic clinique précoce pourrait être aussi efficace que le dépistage pour éviter les cancers avancés et réduire la mortalité par cancer du sein.
La balance bénéfices-risques du diagnostic précoce pourrait être meilleure que celle du dépistage de masse, en éliminant de facto les surdiagnostics et les surtraitements imputables au dépistage mammographique.

Une alternative sérieuse

Comme expliqué de façon détaillée sur le site de Dr Vincent Robert, statisticien, il s'agit là de proposer une alternative aussi bien au dépistage qu'au "ne rien faire".


L' idée, promue par l'OMS et confirmée par l'étude du Lancet n'est pas de faire la promotion à tout prix du dépistage clinique précoce, mais de proposer cette option aux femmes, pour élargir la palette de leurs options, de leurs choix, et de leur permettre, en connaissance de cause, de privilégier la voie qui leur semble le mieux leur convenir.

Lire : https://mypebs-en-question.fr/actus/duggan_lancet.php#ref


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La mauvaise statistique du mois

https://www.hardingcenter.de/en/node/285

https://www.rwi-essen.de/unstatistik/120/

Traduction par Sophie, patiente référente à Cancer Rose

La mauvaise statistique du mois d'Octobre, le mois du cancer du sein - Des rubans roses à la place de l’information

Le psychologue berlinois Gerd Gigerenzer, l'économiste Thomas Bauer de Bochum et le statisticien Walter Krämer de Dortmund ont commencé à publier la "mauvaise statistique du mois" ("Unstatistik des Monats") en 2012.
Katharina Schüller, directrice générale et fondatrice de STAT-UP, a rejoint l'équipe en août 2018.
Chaque mois, les auteurs remettent en question les statistiques récemment publiées et leurs interprétations. Leur objectif sous-jacent est d'aider le public à traiter les données et les faits de manière plus rationnelle, à interpréter correctement les représentations numériques de la réalité et à décrire de manière plus adéquate un monde de plus en plus complexe. De plus amples informations sur cette initiative sont disponibles sur le site www.unstatistik.de et sur le compte Twitter @unstatistik.

Octobre est le mois de la sensibilisation au cancer du sein. On pourrait penser que les femmes sont particulièrement bien informées pendant ce mois.
Nous avons tapé "Breast Cancer Month October 2021" dans Google et avons regardé les liens de la première page. Tous encouragent le dépistage, mais aucun d'entre eux ne fait état des résultats des études scientifiques sur ses avantages et ses inconvénients. Avant d'examiner les pages web, il est bon de jeter un coup d'œil aux résultats des études scientifiques menées jusqu'à présent auprès de plus de 500 000 femmes.

Ces résultats montrent que lorsque 1 000 femmes âgées de 50 ans et plus se soumettent au dépistage, 4 d'entre elles meurent d'un cancer du sein dans les 11 ans environ, tandis que pour les femmes qui ne se soumettent pas au dépistage, ce chiffre est de 5. Donc une femme de moins meurt d'un cancer du sein pour chaque 1 000 femmes dépistées.

Cependant, le nombre total de femmes qui meurent d'un cancer quoi qu’il en soit (y compris le cancer du sein) ne change pas ; il y en a 22 dans chacun des deux groupes avec et sans dépistage. Autrement dit, une femme de moins meurt d'un cancer du sein dans le groupe de dépistage, mais une femme de plus meurt d'un autre cancer dans le groupe avec dépistage. Donc, dans l'ensemble, rien ne prouve que le dépistage sauve ou prolonge des vies.

Mais les femmes qui se soumettent au dépistage sont confrontées à des risques. Sur 1 000 femmes, une sur 100 subit une biopsie inutile en raison de fausses alertes, et 5 femmes subissent une ablation partielle ou totale de leur sein sans que cela soit nécessaire. Ces informations devraient être disponibles en octobre, mois de sensibilisation au cancer du sein, afin que les femmes puissent prendre une décision éclairée pour ou contre le dépistage précoce (voir également la "Fact Box on Early Breast Cancer Detection through Mammography Screening" „Faktenbox zur Brustkrebs-Früherkennung durch Mammographie-Screening“ du Harding Center for Risk Literacy, dirigé par le professeur Gerd Gigerenzer). https://www.hardingcenter.de/en/early-detection-of-cancer/early-detection-of-breast-cancer-by-mammography-screening


Les pages de recherche Google ne fournissent pratiquement aucune information sur les avantages et les inconvénients du dépistage

Que nous disent donc les résultats de la recherche Google ou les pages web ? Euronews.com  ne donne aucune information sur les avantages et les inconvénients du dépistage. Au lieu de cela, le site web fait la promotion de rubans roses et d'un défilé de canards roses. Le site womens.es , en revanche, donne un chiffre : Le dépistage "réduit la probabilité de décès de 25 %". Cela signifie-t-il que sur 100 femmes, 25 de moins mourront du cancer du sein ? Non.
Ce chiffre est obtenu en rapportant la réduction de 5 à 4 sur 1 000 femmes comme "20 % de moins" et en l'arrondissant à 25 %. Je soupçonne ici que les lecteurs ne sont pas avertis sur la différence entre un risque relatif (25 % de moins) et un risque absolu (1 sur 1 000). En effet, des études montrent que beaucoup de femmes (et d'hommes) ne comprennent pas cette subtilité.

Pour bien comprendre la différence entre risque relatif et absolu, lire ici : https://web.archive.org/web/20170623084247/http://hippocrate-et-pindare.fr/2017/01/01/resolution-2017-non-au-risque-relatif-oui-au-risque-absolu/

Sur le site web suivant, la Ligue contre le cancer de la Suisse orientale Krebsliga Ostschweiz encourage le dépistage par mammographie, en donnant de nombreux chiffres (comme le nombre de femmes et d'hommes souffrant d'un cancer du sein) mais aucun sur les avantages et les inconvénients. Sur son site  Webseite, le Ministère des Affaires Sociales, de la Santé, de l'Intégration et de la Protection des consommateurs du Brandebourg conseille à nouveau le dépistage, donne de nombreux chiffres, comme l'âge moyen auquel les femmes sont diagnostiquées, mais aucun qui permette de prendre une décision en connaissance de cause - à la différence d'une « fact box » ou "boîte de données".

La compagnie d'assurance maladie HMR conseille notamment l'autopalpation du sein, sans mentionner des études qui montrent que cette autopalpation ne réduit pas davantage la mortalité par cancer du sein, mais peut provoquer de fausses alertes et des craintes inutiles. Le site web recommande également la mammographie, là encore sans information sur les avantages et les inconvénients.

Le dépistage est également qualifiée à tort comme "prévention " - ce qui est très répandu et l'une des raisons pour lesquelles de nombreuses personnes pensent que la mammographie prévient le cancer. La vaccination est une prévention et empêche les maladies ; la détection précoce, en revanche, signifie qu'une maladie déjà existante est détectée.
Sur le reste des pages web, les choses se poursuivent ainsi : aucune information sur les avantages et les inconvénients, mais des célébrités, des rubans roses, des nounours en peluche et des flamants roses.

Étant donné que les utilisateurs obtiennent parfois des résultats différents sur la première page d'une recherche Google, chacun devrait essayer de son côté. Toutefois, la plupart des utilisateurs ne trouveront des informations fiables que sur les dernières pages.
Alors qu’environ 90 % de tous les clics conduisent sur la première page.

Le "mois de la sensibilisation au cancer du sein" 2021 fait encore l'impasse sur une information équilibrée.

En octobre 2014, nous avions déjà dénoncé le marketing du mois de la sensibilisation au cancer du sein, ainsi que les chiffres absents ou trompeurs sur les avantages et les inconvénients du dépistage.
En octobre 2021, la situation est la même.
Dans une société où l'on polémique au sujet des stéréotypes de genre, on tolère que les résultats scientifiques sur le dépistage soient dissimulés aux femmes. Les femmes et les organisations de femmes devraient être celles qui finalement déchirent les rubans roses et ne tolèrent pas cela. Chaque femme devrait pouvoir prendre ses propres décisions en connaissance de cause au lieu d'être contrôlée émotionnellement par des nounours en peluche et des intérêts commerciaux.

Contact:

Prof. Dr. Gerd Gigerenzer Tel.: (030) 805 88 519
Sabine Weiler (Communications RWI), Tel.: (0201) 8149-213, sabine.weiler@rwi-essen.de 
Katharina Schüller, auteur de Unstatistics, est également co-initiatrice de la "Charte de la compréhension des données", qui promeut une éducation complète à la compréhension des données. La charte est disponible à l'adresse www.data-literacy-charta.de.

RWI - Institut Leibniz pour la recherche économique https://en.rwi-essen.de/das-rwi/

Le RWI - Leibniz Institute for Economic Research (anciennement Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung) est un centre leader de recherche économique et de conseil politique basé sur des preuves en Allemagne.

Centre Harding pour l'éducation au risque

https://hardingcenter.de/en/the-harding-center/about

Université de Potsdam-Faculté des sciences de la santé

"Notre objectif est d'étudier comment les gens se comportent dans des situations à risque. Nous pensons que notre travail peut contribuer à l'idéal d'une société qui sait calculer les risques et vivre avec."

Gerd Gigerenzer, directeur

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l’INCa toujours scandaleusement malhonnête et non-éthique

15 octobre 2021-par le collectif Cancer Rose

https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/DEPLIANT-Depistage-des-cancers-du-sein.-Guide-pratique

PDF dépliant 2021

Au mois de juin 2021 l'Institut National du Cancer français publie un dépliant, complémentaire au livret transmis aux femmes uniquement lors de leur première convocation au dépistage, dépliant qui sera envoyé, lui, à toutes les femmes lors des convocations suivantes, donc dès l'âge de 52 ans.

PDF du dépliant

RAPPEL:

1) La concertation citoyenne et scientifique de 2015[1] a permis d’exprimer deux scénaris: " Scénario 1 : Arrêt du programme de dépistage organisé…"; Scénario 2 : Arrêt du dépistage organisé tel qu’il existe aujourd’hui [2], …" et de revendiquer pour les femmes concernées par un dépistage du cancer du sein de pouvoir disposer: "de renseignements équilibrés et complets" . [3]

2) Seulement deux ans plus tard, l'Institut National du Cancer français sort un livret très insuffisant[4], énonçant du bout des lèvres et sans les détailler les méfaits du dépistage (la douleur de l'examen, le surdiagnostic..) insistant très largement sur les bien maigres bénéfices, avantageusement mis en avant

3) Dans une étude internationale l'indigence de l'INCa en matière d'information objective et son caractère manipulateur ont été sévèrement épinglés[5], comme déjà dans le rapport de concertation

Aujourd'hui, 6 ans après la concertation, l'INCa, persiste et signe.

Pour preuve ce dépliant que nous allons examiner, joint dorénavant aux futures convocations biennales des femmes.

Analyse

La pauvreté informative du contenu de ce flyer permet d'en faire une analyse très rapide : AUCUN des effets adverses du dépistage n'est mentionné.

En revanche on peut y lire :

Cette détection précoce augmente les chances de guérison : elle permet à 99 femmes sur 100 d’être en vie 5 ans après le diagnostic.

ATTENTION : être en vie 5 ans après le diagnostic ne veut pas dire "guérison"

Qu'en est-il de cette survie généreusement mise en avant ?

Tout d'abord il serait plus juste de présenter la survie à 5 ans de 100 femmes ayant subi un dépistage et celle de 100 femmes n'ayant pas subi de dépistage (manipulation quand tu nous tiens)

Pour mieux comprendre à quoi correspond la survie et pourquoi elle n'est en rien un indicateur d'efficacité du dépistage, voici un article éclairant: https://formindep.fr/cancer-des-chiffres-et-des-hommes/

Voilà ce que signifie la survie :

La « survie » mesure plutôt la durée de vie du cancer, ou la durée de vie du patient avec son cancer, mais en aucun cas la longévité, ou l'espérance de vie. 
Le dépistage entraîne une illusion d'optique en anticipant la date de naissance du cancer par sa détection avant qu'il n'y ait de symptôme. Si le résultat est le même, c’est-à-dire le décès quel que soit le moment du diagnostic, cela donne l’impression que la vie de la patiente s’en trouve allongée. En réalité, la longévité des femmes n’est pas accrue par le dépistage, il s'agit seulement d'un glissement de la « fenêtre d’observation » dans l’histoire de la maladie.

Un schéma tiré du guide des dépistages édité par l'OMS, page 47, illustre ce biais de devancement [6] :

Ou encore ce schéma-ci [7]

"On parle de biais de temps d'avance lorsque le dépistage permet de trouver un cancer plus tôt que celui qui aurait été diagnostiqué en raison des symptômes, mais que ce diagnostic précoce ne change rien à l'évolution de la maladie." National Institute of Cancer (NIH) USA.

Pour illustrer encore autrement le phénomène, raisonnons par analogie : un train qui roule vers Paris déraille à Orléans à 15 heures emportant la vie des passagers. Si je suis monté à Tours j'aurais une survie de 30 minutes, si je suis monté à Bordeaux, j'aurai une survie de 2heures. Artificiellement on peut dire que les personnes montées à Bordeaux ont une survie plus longue que celles montées à Tours alors qu'elles ont fait la même chose: monter dans le train à un moment donné.


L’allongement de la survie est ainsi le résultat de deux phénomènes : l’efficacité des traitements qui rallongeraient la durée de vie du patient avec son cancer, et l'anticipation et la détection d'une foule de lésions qui de toute façon n'auraient pas tué. Or, par définition, toutes les femmes surdiagnostiquées ne meurent pas ! On a donc une illusion de succès dans le cas du cancer du sein, parce qu'on diagnostique par un dépistage massif des lésions en quantité qui n'auraient jamais tué...

La survie est donc un mauvais marqueur, car on lui fait dire ce qu'il ne peut restituer : à savoir l'efficacité du dépistage.

Les seuls marqueurs d'efficacité d'un dépistage sont la diminution du taux de mortalité et la diminution des cancers avancés. Or, il ne suffit pas de dire: " PLUS UN CANCER DU SEIN EST DÉTECTÉ TÔT, PLUS LES CHANCES DE GUÉRISON SONT GRANDES", il faudrait déjà avoir les données et là, l'INCa, occulte soigneusement ce point dans son dépliant…

Pourquoi ce dépliant est-il scandaleusement malhonnête et  non-éthique ?

  1. Les femmes françaises sont encore privées de l'information neutre tant demandée, et à laquelle des femmes, dans d'autres pays, ont droit, ce qui constitue un grave manquement éthique.[8] Les citoyennes demandaient en effet des pictogrammes faciles à comprendre.
  2. L'information sur les risques du dépistage n'est pas directe et le mot "risque" n'est même jamais mentionné, ce qui est un procédé fourbe pour rendre le moins accessible possible cette information.
    En effet :
    Sur une des pages du dépliant nous pouvons lire : "Pour en savoir plus, parlez-en avec votre médecin ou rendez-vous sur "cancersdusein.e-cancer.fr "
    La femme convoquée doit donc activement faire l'effort, si elle souhaite connaître les effets indésirables du dépistage, de se rendre sur ce site internet [9], et de rechercher elle-même la ou les rubriques concernant ces effets indésirables. 
    Le surdiagnostic n’apparaît jamais en titre sur la page d'accueil de ce site, les risques du dépistage peuvent être retrouvés en cliquant sur l'encart "les bénéfices et les limites du dépistage", et sur l'encart intitulé "le dépistage du cancer du sein, risque 0 ou pas ?

Le mot "limites" est trompeur et non approprié. L'OMS, dans son guide version française  utilise le terme "effets nocifs" du dépistage qu'il met en balance avec les bénéfices.[10]Pour une femme, dire que le dépistage a des limites signifie que le dépistage n'est pas complètement efficace et que probablement il y a des cancers qui échappent. Mais ce terme n'évoque pas que le dépistage comporte de risques.

3-Répondre aux demandes citoyennes ne veut pas dire que l'INCa peut diffuser une information délibérément tronquée, fallacieuse, trompeuse et incomplète, enjolivant les bénéfices et occultant les risques, en même temps que la lettre de convocation. Il s'agit encore d'un mépris affiché des femmes qui n'auront ainsi jamais accès à une information honnête à laquelle elles ont droit.

4-Ce procédé répétitif tous les deux ans est bien sûr fortement incitatif, de par sa répétition même.

5-Le livret initial était déjà très incomplet et n’a pas été modifié depuis 2018 malgré ses insuffisances4. Mais au moins il évoquait la possibilité du surdiagnostic. Ce livret s'adresse aux femmes de 50 ans qui sont invitées pour la première fois à réaliser un dépistage du cancer du sein, il n'est reçu que lors de leur premier dépistage, ce qui fait que les femmes qui ont eu 50 ans avant 2017, âgées à présent de 55 ans ou plus, ne l'ont jamais reçu et devrons se contenter de ce dépliant trompeur et incomplet.

6-Ce dépliant est prétendument "calqué" sur le livret, ce qui est un mensonge, le surdiagnostic n'y étant jamais évoqué.

7-Le dépliant mentionne : "pour en savoir plus parlez- en avec votre médecin ou rendez-vous sur le site...". Le médecin généraliste peut, certes, être sollicité mais en réalité la femme prend directement rendez-vous au cabinet de radiologie, d'autant que l'information du livret axe toute sa communication sur les bénéfices du dépistage, ne laissant pas la possibilité au praticien de renseigner correctement ses patientes avant qu'elles recourent au dépistage mammographique. De toute façon, quelle question une femme poserait-elle à son praticien puisque la notion-même du "risque" n'apparaît nulle part sur le dépliant ?

8-Dans les infos clé, il est indiqué que la mammographie est "fiable". Cette information est ici encore mensongère, puisque la mammographie expose à des faux positifs (des suspicions de cancers qui ne se confirment pas) et des faux négatifs (des cancers occultes ou se développant entre deux mammographies et donc "loupés" par le dépistage).

Pourquoi une telle constance de l’INCa à fournir une information promotionnelle sur le dépistage du cancer du sein par mammographie ?

Pourquoi l’INCa ne varie-t-il pas au cours des années dans sa communication partiale, biaisée et promotionnelle ? C’est une question que tout le monde devrait se poser.

Les connaissances scientifiques sur le dépistage du cancer du sein par mammographie ont évolué depuis la mise en place du dépistage organisée en 2004 et pourtant l’INCa n’a jamais varié dans sa « communication ». Il présente toujours, comme ici dans cette brochure, le dépistage comme très bénéfique aux femmes sans quasiment évoquer ce qui fait débat en France et à l’international. Le bénéfice important est toujours affirmé alors qu’il est de plus en plus mis en doute. De plus de nombreux risques ont été mis à jour mais cette brochure ne cite même pas le terme « risque » laissant ainsi penser qu’ils sont inexistants. L’INCa substitue le terme de risque avec celui de  « limite » , terme jamais utilisée nulle part dans les publications scientifiques sur le sujet. Les « limites » d’un examen, ne correspondent en rien aux risques. Ainsi les limites de la mammographie sont l’absence de visibilité de certaines lésions.

Pourquoi alors l’utilisation de cette communication ?

L’INCa a axé depuis toutes ses années sa communication dans le sens de la promotion du dépistage du cancer du sein par mammographie. Cette communication est très éloignée de ce qui se fait à l’étranger 8.

L’INCa n’a pas comme objectif d’informer correctement les femmes sur le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie mais d’intensifier celui-ci dans le but de « gagner la compétition européenne ». Et cela au mépris évident des connaissances scientifiques sur le sujet.
Pour preuve : dans son rapport détaillé « Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021/2030 » [11] on peut lire p20 « Réaliser un million de dépistages en plus à horizon 2025. Il nous appartient de dépasser les objectifs de couverture recommandés au niveau européen en matière de dépistage et rejoindre le peloton de tête en termes d’adhésion (70 % pour le Dépistage Organisé, du Cancer du Sein ……., ».

Il apparaît donc que l’INCa  ne fait que se soumettre aux injonctions des gouvernants. Or les citoyens sont en droit d’attendre d’une telle autorité sanitaire des informations objectives et non de la « propagande ».

Pourquoi l'existence d'autres sources d'information, indépendantes de l'INCa, sont absolument nécessaires pour le citoyen ?

Le rôle de l'INCa a été défini lors de sa création : (article L1415-2 du Code de la santé publique), deux missions contradictoires lui ont été attribuées : informer (alinéa 3) et promouvoir le dépistage (alinéa 6).

Informer c'est donner aussi bien les bénéfices que les inconvénients d'un dispositif de santé publique, sans parti pris. Promouvoir, c'est faire en sorte que le public soit efficacement influencé pour y adhérer, ce qui de toute évidence est en contradiction avec une information neutre puisqu'on aura alors tendance à masquer tout ce qui va dissuader les personnes.

Il y a donc une incompatibilité insoluble entre ces deux missions, et un conflit d'intérêt manifeste lorsque, comme avec ce dépliant indigne, l'INCa peut se flatter d'accéder à la requête des citoyennes d'information, tout en faisant en sorte que cette information reste outrageusement biaisée.

Pour augmenter le recours au dépistage, comme nous l'apprend une publication française[12], il faut ne pas informer correctement les femmes qui sont appelées à s’y soumettre. C’est exactement ce que l’INCa fait avec cette brochure, ce qui s'apparente à un processus d'infantilisation des femmes en les maintenant dans l’ignorance, supposant leur incapacité de faire un choix autonome.

Face à ce constat, médecins et patientes devrons donc s'adapter et rechercher en dehors de la communication des autorités sanitaires françaises les informations nécessaires à chacun pour prendre des décisions éclairées.

Exemple de brochure :

Il n'est pas forcément étonnant de constater cette information manipulatoire émanant d'un institut qui n'hésite pas à classer le débat scientifique sur le dépistage dans les "Infox" ou Fake news .[13]

Notre collectif Cancer rose s'est attelé, il y a plusieurs années déjà, à délivrer de l'information plus équilibrée en un dépliant, sans débauche de moyens financiers. Il est en format A5, téléchargeable et pliable, pour les femmes et pour les médecins qui ont la possibilité de le distribuer aux patientes en fin de consultation.

Notre collectif se fera un devoir d’informer les responsables du Conseil Scientifique International de l'INCa et alertera les acteurs et groupes internationaux qui se battent, dans de nombreux pays, pour que les femmes soient considérées comme des êtres dotés d'intelligence et dignes de recevoir l'information leur permettant de garantir leurs choix et leur autonomie en matière de santé dans le cadre du consentement éclairé.

Références


[1] https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/

[2] page 132-133 du rapport https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf

[3] page 128 du rapport https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf

[4] https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/

[5] https://cancer-rose.fr/2021/04/20/les-methodes-dinfluence-du-public-pour-linciter-aux-depistages/

[6] https://apps.who.int/iris/handle/10665/330852

[7] https://www.cancer.gov/about-cancer/screening/research/what-screening-statistics-mean 

[8] https://cancer-rose.fr/2021/06/27/outils-daide-a-la-decision-internationaux/

[9] https://cancersdusein.e-cancer.fr/

[10] https://apps.who.int/iris/handle/10665/330852

[11] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille_de_route_-_strategie_decennale_de_lutte_contre_les_cancers.pdf

[12] https://cancer-rose.fr/2020/09/08/information-objective-et-moindre-soumission-des-femmes-au-depistage/

[13] https://cancer-rose.fr/2021/07/13/linca-relegue-le-debat-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein-a-la-rubrique-infox/

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De la cancer-culture à la cancel[1]-culture. Chronique d’une dérive  

17 juillet 2021

Cette tribune a été publiée en coopération avec l'association Formindep dans le JIM du 17 juillet 2021

Sévir contre les fausses nouvelles ou entraver l’accès à des informations médicales fiables : Quoi de neuf en France

Les faits

Du 22 septembre au 15 octobre 2020, l'Institut national français du cancer (INCa) a organisé une "consultation" sur la toile. Il s'agissait pour les internautes de voter pour ou contre 220 propositions élaborées par l'Institut. Moins de 2500 personnes y ont participé[2].

Une des proposition était intitulée "Mettre en place un dispositif de lutte contre les fake news"[3].

Le texte est le suivant :

"Un dispositif de lutte contre les fake news réactif sera structuré. Il permettra d’éclairer les personnes face aux polémiques susceptibles de concerner les différents champs du cancer : prévention primaire, dépistage, traitements et soins complémentaires. Il est important de bien informer l’opinion publique en particulier avec des chiffres qui rendent tangibles les effets de la prévention (benchmark internationaux, résultats d’études…).


Par ailleurs, sans que ce soit limité au champ du cancer, la création d’un dispositif type « CSA santé » sera étudiée, pour instaurer des règles en matière d’information en santé, prévues dans un accord-cadre avec les hébergeurs de contenus (médias, réseaux sociaux) pour qu’ils fassent un travail d’élimination des fake news identifiées par un collège d’experts."

Les réserves exprimées par quelques citoyens n'ont pas empêché  l'INCa d'adopter la mesure avec grande diligence, sur la base des 124 votants parmi les 47,9 millions d’habitants inscrits sur les listes électorales, et sans aucun pouvoir représentatif.

La proposition, sous une forme simplifiée, est déjà intégrée au décret n° 2021-119 du 4 février 2021 qui définit la stratégie nationale de lutte contre le cancer pour 10 ans.[4]
(voir aussi la feuille de route pour la stratégie décennale de lutte contre les cancers, page 10, "Mettre en place un dispositif de lutte contre les fake news" (action I.2.3)).

Dans le paragraphe "Améliorer la prévention", on trouve en effet la phrase suivante, assez imprécise toutefois : "De nouveaux dispositifs seront créés, pour lutter contre les fake news".

Encadré ci-dessous, actualisation 2022 :

Le projet CSA de la santé est entériné dans le rapport "stratégie décennale de lutte contre les cancers" page 43

Institut National du Cancer. Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030  Boulogne-Billancourt. 2021. https://www.e-cancer.fr/content/download/317173/4544094/file/Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 V2.pdf

Cliquez sur image pour agrandir

Et en juin 2021, l'INCa mettait en ligne, sur son site, une rubrique internet de dénonciation des "infox", sous le titre "Les éclairages".[5]

Un projet assumé de censure de l'information

Là, mauvaise surprise, car dans la rubrique sus-citée "les éclairages", la controverse sur le dépistage du cancer du sein est d'emblée qualifiée d'infox, avec un libellé surprenant : "Ce débat scientifique peut avoir une répercussion négative sur les femmes et les détourner de l’examen de dépistage."

Alors que le scepticisme est fondamental à tout scientifique digne de ce nom, l'INCa, dans un texte de propagande pro-dépistage réussit le tour de force à la fois de vouloir censurer tout débat scientifique et de procéder à sa propre promotion partisane, minimisant le surdiagnostic, problématique centrale du dépistage, et occultant ses lourdes conséquences pour les femmes, à savoir le surtraitement.

Trois préoccupations majeures

1°La perspective de voir l'INCa obtenir, à l'avenir, le droit exorbitant d'obliger les médias internet et les réseaux sociaux à censurer les informations qu'elle estime unilatéralement "fake" .

Elle est effrayante, car nous laisse entrevoir l'instauration d'un autoritarisme en santé. Des gardiens zélés et intolérants détenteurs de leur "vérité" auto-justifiée [6] vont ainsi pouvoir imposer dans une démocratie leur bien-pensance péremptoire, bien loin de l’intérêt de la population, affirmant que  « Le dépistage des cancers du sein apporte aux femmes un bénéfice bien plus important que ses risques », comme une évidence incontestable.

C'est faire bien peu de cas des souffrances physiques, psychologiques et sociales que subissent les femmes, engendrées par le surdiagnostic et son corollaire, le surtraitement.

2° La légitimité de L'INCa de donner de l'information est en cause, comme celle de s'arroger le droit de désigner les "infox" .

Cet institut a déjà été accusé pour sa mauvaise qualité d'information dans le rapport de la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein en 2016[7] .

Il est également pointé du doigt dans deux études universitaires.[8] [9]

Dans la première étude citée, l'information de l'INCa est comparée à celle de Cancer Rose.

Si on dépasse l'abstract, bien succinct, les résultats de l'étude donnent l'information dispensée par Cancer Rose supérieure à celle de l'INCa pour les critères d'information qui doivent être présentés au public.[10]

Dans la seconde, rédigée par des auteurs danois, les techniques d'influence de l'INCa sont dénoncées dans deux catégories : 'Présentation trompeuse des statistiques' et 'Représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux bénéfices'.[11]

Cet institut est-il donc légitime pour s'ériger en censeur et distribuer des injonctions à "éliminer" les fake-news ?

3°Le principe éthique de non-malfaisance est bafoué dans cette rubrique mise en place par l'INCa.

Le dépistage du cancer du sein est affirmé comme présentant "des bénéfices indéniables pour les femmes" [12]

L'article de l'INca sur le dépistage du cancer du sein concède lui-même qu'un certain pourcentage (certes minimisé) de femmes vont subir un surdiagnostic et "un traitement dont elles pourraient se passer".

Même s'il y avait un bénéfice global massif au sein de la population féminine, ce qui n'est pas le cas, l'une des limites au dépistage du cancer du sein est que certaines seulement en bénéficieront, et cela au prix de préjudices pour d'autres.

Une telle justification est une atteinte au principe fondamental en médecine : " d'abord ne pas nuire", puisque des individus seront de toute évidence lésés suite à l'intervention de professionnels de la santé, sur incitation de l'INCa, dans une recherche d'un bénéfice non certain, et non avéré. Et non universel.

Après une politique de propagande pour développer le dépistage, la politique de l’INCa va-t-elle se transformer en censure ?

Ce n'est pas avec ce comportement indigne tant d’un point de vue éthique que scientifique que la démocratie sanitaire pourra être garantie dans notre pays, où pourtant liberté d'expression et accès à la connaissance pour tous sont érigés en droits fondamentaux.

Liens connexes :


Références

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cancel_culture
L'expression Cancel culture a été traduite diversement par « culture du bannissement », « de l'annulation », « de l’ostracisme » ou « de l’ostracisation », « de la négation », « de l'anéantissement », « de l'effacement », « de la suppression », « du boycott » ou « du boycottage », « de l'humiliation publique », « de l'interpellation », « de la dénonciation »

Ainsi, le 7 juillet 2020, dans une tribune parue dans le Harper's et traduite dans Le Monde, 153 artistes, intellectuels et personnalités dénoncent la culture de l'annulation et les obstacles à la libre circulation des idées, et condamnent l'« intolérance à l’égard des opinions divergentes » La comparaison avec une forme de censure se pose.

[2] https://consultation-cancer.fr/pages/consultation-resultats-et-apports-citoyens -lien désactivé en novembre 2021, voir ici : https://www.e-cancer.fr/Presse/Dossiers-et-communiques-de-presse/Consultation-citoyenne-sur-l-avenir-de-la-lutte-contre-les-cancers-11-nouvelles-actions-viennent-enrichir-la-proposition-de-strategie-decennale

[3] https://consultation-cancer.fr/consultations/axe-1-ameliorer-la-prevention/consultation/consultation/opinions/2-prendre-ensemble-le-virage-preventif/mesures-proposees/mettre-en-place-un-dispositif-de-lutte-contre-les-fake-news

Lien désactivé, voir les captures d'écran :

[4] www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2021/2/4/SSAP2100774D/jo/texte

[5] https://leseclairages.e-cancer.fr/le-depistage-du-cancer-du-sein-est-il-inutile-voire-nefaste

[6] la référence 1 de l'article sur le dépistage du cancer du sein de la rubrique "éclairages" n'est rien d'autre qu'un rapport de ... l'INCa ! (1 Institut national du cancer, « Bénéfices et limites du programme de dépistage organisé du cancer du sein », 2013)

      [7] Page 84 et 85 du rapport de concertation : http://www.concertation-depistage.fr/wp- content/uploads/2016/10/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf

"La consultation publique....a permis de mettre en évidence le caractère très lacunaire des informations accessibles aux femmes sur ce dépistage. Et pour celles qui leur sont spécifiquement destinées, on constate que ces informations ne comportent aucune mention de la controverse dont il est l’objet depuis quelques années, ni de l’existence d’une réelle incertitude quant au rapport bénéfices / risques, ni de ses limites, tant en ce qui concerne sa véritable vocation (en l’occurrence de « détection ») que sa prise en charge financière. "

[8] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S039876201930522X?via%3Dihub

[9] https://academic.oup.com/eurpub/article-abstract/31/1/200/5902144?redirectedFrom=fulltext

[10] https://cancer-rose.fr/2020/01/02/david-contre-goliath-qui-informe-mieux-les-femmes-cancer-rose-ou-linca/

[11] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/04/nouveau-tableau.pdf

[12] https://leseclairages.e-cancer.fr/le-depistage-du-cancer-du-sein-est-il-inutile-voire-nefaste/
images, voir lien 5

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Les méthodes d’influence du public pour l’inciter aux dépistages

Catégories d'influences systématiques appliquées pour augmenter la participation au dépistage du cancer : revue et analyse de la littérature

Joseph Rahbek, Christian P. Jauernik, Thomas Ploug, John Brodersen (en savoir plus sur les auteurs ==> voir au bas de l'article)

https://publichealth.ku.dk/staff/?pure=en%2Fpublications%2Fcategories-of-systematic-influences-applied-to-increase-cancer-screening-participation(2cfeab86-5b7c-47db-be7b-bdf04436a71f).html

https://academic.oup.com/eurpub/article-abstract/31/1/200/5902144?redirectedFrom=fulltext

20 avril 2021 ;
Résumé Dr C.Bour, avec l'aide de notre patiente référente Sophie

Sous ce titre les auteurs ont pour but d'analyser comment les autorités sanitaires peuvent influencer les citoyens de manière subtile pour les amener à participer à des programmes de dépistage du cancer.
Les chercheurs ont isolé et analysé plusieurs "catégories d'influence", c'est à dire plusieurs méthodes qui permettent de pousser le public à se soumettre aux dépistages.
Ils soulignent que lorsque les influences prennent trop d'importance, cela se fait aux dépens de la capacité des citoyens à faire un choix personnel.

Les méthodes de l'étude

Deux méthodes ont été choisies :

  • Une recherche documentaire systématique a été effectuée sur trois bases de données recensant articles scientifiques et publications qui sont : PubMed, Embase et PsycINFO. Mais il s'y est ajouté aussi un examen de la littérature dite "grise", c'est à dire des brochures d'information et de contenus de sites web émanant des autorités de contrôle et des organisations de patients ciblant les citoyens.
  • Des experts compétents ont été contactés via des listes d'adresses électroniques internationales et invités à fournir des exemples d'influences systématiques dans le domaine du dépistage du cancer. Ces experts font partie de collectifs indépendants et possèdent une expertise sur le cancer et dans le domaine des dommages collatéraux des dépistages.
    Il s'agit des groupes suivants : EuroPrev (18 membres)[1], du Nordic Risk Group (24 membres)[2], de Preventing Overdiagnosis (27 membres)[3], d'un groupe Google (breast-cancer-screening google group) s'intéressant particulièrement à la mammographie de dépistage (42 membres), et de Wiser Healthcare (21 membres)[4]

Les résultats

Les 19 articles inclus et l'enquête d'experts ont permis d'isoler six grandes catégories d'influence systématique: (a) présentation trompeuse des statistiques, (b) représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux bénéfices,  (c) système d'opt-out,(qui consiste à considérer comme un consentement passif le fait qu'un patient sollicité ne s'oppose pas à l'invitation à faire le dépistage), (d) la recommandation de participation, (e) appel à la peur (f) influence sur les médecins généralistes et autres professionnels de santé. 

Les auteurs illustrent des exemples pour chaque catégorie

a) Présentation trompeuse des statistiques

Il s'agit de présenter les données de réduction de mortalité de façon enjolivée en utilisant des pourcentages de réduction relative du risque de décéder, au lieu de chiffres bruts.

NDLR ; par exemple dans le cas du dépistage du cancer du sein, un gain de mortalité de 20% est mis en avant. Il s'agit d'une réduction du risque de mourir lorsqu'on compare deux groupes, donc d'un groupe par rapport à un autre groupe.

Avec ce genre de présentation on pourrait penser que 20 personnes sur 100 dépistées en moins mourront du cancer. Il n'en est rien, explication :

Si sur 1 000 femmes dépistées 4 meurent d'un cancer du sein, et que sur un groupe de femmes non dépistées 5 meurent d'un cancer du sein, le passage de 5 à 4 constitue mathématiquement une réduction de 20% de mortalité, mais en chiffres absolus cela ne fait qu'une différence d'une seule femme... C'est pour cela qu'il convient de toujours exiger une présentation en données réelles, et non en pourcentage ce qui embellit la situation.
Pour bien comprendre la différence entre risque relatif et absolu, lire ici : https://web.archive.org/web/20170623084247/http://hippocrate-et-pindare.fr/2017/01/01/resolution-2017-non-au-risque-relatif-oui-au-risque-absolu/

Souvent médecins et patients ont une compréhension limitée des statistiques, et exposer les réductions de risque en chiffres relatifs est susceptible d'augmenter la participation surtout par le fait que les citoyens surestiment les avantages du dépistage.[5]

b) Représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux bénéfices

Cette méthode d'influence peut se faire en présentant les bénéfices en chiffres relatifs, comme nous venons de le voir plus haut, et les dommages en revanche en chiffres absolus. Ou bien on peut minimiser et même omettre complètement certains types de dommages.

Les auteurs citent pour exemple une brochure d'information britannique sur le dépistage par mammographie dans laquelle la réduction de la mortalité du cancer du sein était soulignée, mais un dommage majeur comme le surtraitement était omis [6]. En outre, la même brochure britannique montrait le risque de surdiagnostic après un tour de dépistage, et la réduction cumulative de la mortalité après cinq tours de dépistage, minimisant ainsi les dommages tout en exagérant les bénéfices.

Le fait de ne pas informer correctement porte aussi sur l'omission des dommages tels que le surdiagnostic et le surtraitement.
NDLR : Nous allons détailler dans un paragraphe dédié les travers absolument identiques dans l'information donnée en France aux femmes, dénoncés d'ailleurs dans cette étude, travers mentionnés également lors de la concertation citoyenne sur le dépistage. Nous y reviendrons.

c) Systèmes opt-out

Cela consiste à d'attribuer aux citoyens un rendez-vous fixé à l'avance au moment de l'invitation. Si la personne ne souhaite pas participer elle doit se désengager activement. On considère de facto le non-refus du patient comme acceptation de participer.

NDLR : En France nous ne connaissons pas ce système de prise de rendez-vous imposé, en revanche le système de relance est largement utilisé si une patiente ne se présente pas au rendez-vous de mammographie de dépistage (relances par courriers et parfois sms).

d) Recommandations à participer

Une recommandation à se soumettre à un dispositif de santé ne fournit pas de données factuelles sur l'efficacité ou la pertinence ou encore le bienfait d'un programme de dépistage. Au contraire, elle fait passer une option (celle de participer) comme étant la plus intelligente ou la meilleure, en se fondant sur l'autorité de la source dont émane l'injonction. C'est l'argument d'autorité.[7]

La mise en scène de célébrités est aussi utilisée largement dans différents pays pour augmenter le taux de participation. Des exemples cocasses sont évoqués dans l'article de Brodersen et col. : "Dans une vidéo gouvernementale islandaise, après avoir examiné le rectum d'un citoyen, le médecin lui donne une claque sur le derrière et s'exclame : "Plus d'hommes devraient suivre votre exemple et prendre soin de leur derrière" - une recommandation, non accompagnée de données factuelles".

e)Appel à la peur

C'est un levier largement éprouvé. En s'appuyant sur l'incertitude de la vie et en mettant l'accent sur la peur de mourir, bien humaine, il est facile de convaincre.

Tous ces leviers précédemment énumérés sont illustrés de façon excellente et imagée dans l'article du média Cortecs : https://cortecs.org/2016/05/ (NDLR)

f) Influence sur les médecins généralistes et les autres professionnels de santé

La plus évidente est le système de récompense par rémunération lorsque le professionnel incite un patient à participer, appelé  P4P (Pay for performance) ou ROSP (rémunération sur les objectifs de santé publique) en France.

g)Autres

Elle n'a pas cours en France mais est en vigueur en Urugay, et elle a failli voir le jour en Allemagne : il s'agit de l'influence législative.

En Allemagne, en 2007, une proposition de loi suggérait que si un individu ne participait pas à un programme de dépistage du cancer et que l'on diagnostiquait ensuite le type de cancer pour lequel il avait été appelé à se faire dépister, cet individu devait alors payer le double de l'impôt sur la santé - proposition de loi qui fut finalement rejetée.

Au total

L' analyse des auteurs montre qu'il y a un point commun entre les six grandes catégories d'influence détaillées dans l'article : elles agissent par des biais psychologiques et la mise en avant des coûts supportés par le patient en cas de sa non-participation (en termes de temps et coûts financiers).

L'article ici se concentre essentiellement sur le « nudging » exercé sur les populations, ce terme désignant tout ce qui modifie de façon prévisible le comportement des gens en les poussant dans ce qu'on souhaite leur faire adopter, sans aucun scrupule, et jusqu'à aller même aux incitations financières.

Dans la mesure où l'autonomie du patient et son choix éclairé sont importants, disent les auteurs, le recours à ce type d'influences est éthiquement douteux dans les programmes de dépistage du cancer où le rapport bénéfices/dommages est complexe et scientifiquement contesté.

Selon eux, il est donc nécessaire de trouver de meilleurs moyens de faciliter la participation des citoyens qui le souhaitent, sans pour autant pousser les citoyens réticents à participer. Au lieu d'évaluer les programmes de dépistage du cancer sur la base du taux de participation, on devrait les évaluer sur les taux des décisions éclairées, indépendamment de la participation ou de la non-participation.

Pour résumer, les points-clés :

  •  Cette étude met en évidence six catégories d'influences systématiques appliquées pour augmenter la participation aux programmes nationaux de dépistage du cancer.
  • Les catégories d'influences agissent sur les individus par le biais de préjugés psychologiques et des coûts personnels qui seraient occasionnés par leur non-participation. Cela n'est pas compatible avec le choix éclairé des citoyens.
  • Il est nécessaire de mener des recherches sur la manière de mettre en œuvre correctement des modèles de décision éclairée pour les citoyens, sans compliquer la participation de citoyens qui seraient par ailleurs disposés à aller aux dépistages.

Les modes de pression et de manipulation des structures sanitaires en France, en particulier pour le dépistage du cancer du sein par mammographie

Nous allons reprendre les six méthodes d'influence décrites et en analyser l'application en France, spécifiquement concernant le dépistage du cancer du sein qui est notre sujet de préoccupation.

Les travers de l'information en France ont été très bien identifiés et décrits dans le rapport de la concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein (2015/2016) qui, rappelons-le, demandait l'arrêt de ce dépistage.[8] (constats des multiples manquements dans l'information donnée aux femmes)

Il faut souligner l'incroyable cynisme de l'Institut National du Cancer qui  se sert de cette même publication dans une optique d'amélioration du taux de participation au dépistage !

En effet, sur le site de l'institut, dans la rubrique destinée aux médecins (accès thématique "professionnels de santé") cette publication est citée comme base pour l'amélioration du taux de participation, faisant fi de la dénonciation du caractère non-éthique des techniques d'influence par les auteurs de l'étude : https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Veille-bibliographique/Nota-Bene-Cancer/Nota-Bene-Cancer-460/Categories-of-systematic-influences-applied-to-increase-cancer-screening-participation-a-literature-review-and-analysis
"Menée à partir d'une revue systématique de la littérature (19 articles) et à l'aide d'experts, cette étude identifie les différents types d'influence permettant d'améliorer le taux de participation aux programmes de dépistage".
Le caractère critique de l'étude Rahbek et al. n'est en aucun cas évoqué, alors que l'INCa est cité quand-même dans deux catégories d'influence du public : "Présentation trompeuse des statistiques", et "Représentation erronée des dommages par rapport aux bénéfices."

Examinons l'information donnée aux femmes à l'aune des 6 catégories d'influence analysés dans l'article.

a) Présentation trompeuse des statistiques

Rahbek et collaborateurs citent, dans le tableau 5 de la partie "suppléments" de leur étude (TABLE 5. GREY LITERATURE SEARCH RESULTS) justement le livret de l'INCa[9] comme exemple d'une information fallacieuse des données statistiques, et ils dénoncent la présentation faite par la brochure française de la mortalité en risques relatifs. En effet, dans le livret français la réduction du risque de décéder par cancer du sein, (ce soi-disant gain de mortalité) est annoncé par l'INCa entre 15 et 20%. Nous avions nous-mêmes également analysé ce livret et émis les mêmes constats sur cette information trompeuse et enjolivante concernant le gain de mortalité supposé du dépistage du cancer du sein [10].

Lorsqu'on se rend sur le site de l'INCa[11], censé garantir la bonne information des populations, nous tombons d'emblée sur le même travers dénoncé par la publication, ici : https://cancersdusein.e-cancer.fr/infos/pourquoi-les-autorites-de-sante-recommandent-de-realiser-un-depistage/ : "Les études internationales estiment que ces programmes permettent d’éviter entre 15 % et 21 % des décès par cancer du sein."

Même présentation retrouvée encore et toujours sur le site de l'Assurance Maladie, malgré les demandes citoyennes d'éviter cet écueil, superbement ignorées et méprisées par ces instances pourtant lourdement épinglées pour leurs manquements, comme on peut le constater sur le site ameli, ici : https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/cancer-sein/depistage-gratuit-50-74-ans

b) Représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux bénéfices

Sur le site de l'Assurance Maladie, il est impossible pour une patiente d'obtenir des renseignements sur surdiagnostic ou surtraitement. Dans la loupe de recherche il n'y a aucune occurrence.

Mais dans l'onglet "dépistage organisé du cancer du sein" vous trouverez une vidéo faite par l'INCa ainsi qu'un renvoi vers la page de l'Institut.

Les avantages, sur le site officiel de l'INCa, y sont largement développés, et les risques s'appellent ici pudiquement les "limites du dépistage". Dans le petit paragraphe 'LE DIAGNOSTIC ET LE TRAITEMENT DE CANCERS PEU ÉVOLUTIFS' le surtraitement, concrétisation directe pour les femmes du surdiagnostic, n'est jamais évoqué.

Le surdiagnostic est indiqué à un pourcentage de 10 à 20%, chiffres complètement obsolètes et revus à la hausse depuis bien longtemps[12]

Apparaissent même des chiffres encore plus bas sur la page destinée aux professionnels : « Selon les études publiées, le surdiagnostic pourrait être de l'ordre de 1 à 10 %, voire 20 %. » https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Depistage-et-detection-precoce/Depistage-du-cancer-du-sein/Les-reponses-a-vos-questions


Même constat sur le site dédié au dépistage du cancer du sein (Prévention et dépistage du cancer du sein) ou vous trouvez exactement une rédaction identique.[13]
Nous avions réalisé nous-mêmes également une évaluation chiffrée de la valeur informative de ce site où l'incitation pour le dépistage est manifeste.[14]
On retrouve à nouveau citées les brochures françaises dans les "suppléments" de l'étude de Rahbek et al, item  'MISREPRESENTATION OF HARMS VS BENEFITS' (mauvaise représentation des bénéfices et risques) ; les auteurs dénoncent l'omission du surdiagnostic dans les brochures officielles. Pour être plus exact, le surdiagnostic est mentionné dans le livret mais très minimisé, et la description du surtraitement, corollaire du surdiagnostic, est complètement manquante.

Toujours dans la même rubrique, Rahbek et al. dénoncent l'omission par les brochures françaises officielles du risque d'exposition aux rayonnement ionisant. Nous avions également relevé ce point dans l'analyse du livret (référence 11). Mais en fait ce point est réellement évoqué page 12 du livret de l'INCa, qui indique que : "le risque de décès par cancer radio-induit est de l’ordre de 1 à 10 pour 100000 femmes ayant réalisé une mammographie tous les 2 ans pendant 10 ans."
C'est vrai mais il convient néanmoins de préciser que ce risque augmente avec la répétition des examens et des incidences. Rappelons que 3 mSv sont reçus en moyenne avec une mammographie (entre 2 et 3 clichés par sein selon les besoins), ce qui correspond à déjà 9 mois d'irradiation annuelle (laquelle est de 4,5 mSv par an pour un Français). 

c) Système opt-out

Comme nous le disions plus haut, ce système n'a pas cours en France, en revanche si la femme ne se présente pas au dépistage elle sera relancée plusieurs fois, parfois même par sms, donnant souvent aux femmes l'impression d'un caractère obligatoire de ce dépistage. Il n'en est rien et nous mettons en page d'accueil un formulaire pré-rempli que les femmes souhaitant se soustraire au dépistage mammographique peuvent renvoyer à leur structure départementale de dépistage.[15]

A la fin fin du livret de l'INCa, il est bien  indiqué «Vous ne pouvez pas ou ne souhaitez pas vous faire dépister. Remplissez le questionnaire figurant dans le courrier d’invitation et retournez-le à l’adresse indiquée. Sachez qu’il vous est possible à tout moment de revenir sur votre choix. »

d) Recommandations à participer

L'argument d'autorité est largement véhiculé par des leaders d'opinion, un radiologue prend la parole sur la page d'accueil du site "préventions et dépistage des cancers du sein".

En pleine pandémie Covid, nous avons vu un cancérologue de renom appeler les femmes à poursuivre leur dépistage, en les effrayant et en soutenant à cors et à cris que le cancer du sein tuerait davantage que la pandémie. Lorsqu'on lit que la barre des 100 00 décès par covid a été franchie en une année (le cancer du sein provoque 12 000 décès/an), on se rend compte à quel point ces comptabilités semblent sordides et surtout à quel point certains médecins médiatiques ne reculent devant aucune exagération pour véhiculer des messages incitatifs et angoissants.[16]

Les stars en France ne sont pas en reste, comme l'atteste l'émission "stars à nu" où des célébrités se dévoilent pour "la bonne cause" avec des messages indigents intellectuellement et insuffisants sur le plan de l'information scientifique.[17]

En 2011, Marie-Claire publiait de multiples photos de stars françaises qui se laissaient photographier dénudées pour "sensibiliser" au dépistage du cancer du sein, et permettant à ce média une considérable et profitable augmentation de ses ventes.[18]

e)Appel à la peur

L'association Ruban Rose, anciennement 'Cancer-du-Sein-Parlons-en' , diffusait un spot en 2015 fondé sur des messages relatifs à la mort (le cancer du sein, le plus fréquent, le plus meurtrier).[19]

L'INCa n'est pas en reste et en 2018 était éditée cette affichette : "Ce cancer est à la fois le plus fréquent et le plus mortel chez les femmes. Pourtant s’il est détecté tôt, les traitements sont en général moins lourds et les chances de guérison plus importantes"

https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Depistage-du-cancer-du-sein-2018-Affiche-sans-zone-de-repiquage

Le cancer est constamment associé à un verdict de mort, tellement les messages médicaux, sociétaux, médiatiques sont basés sur un jargon militaire et belliqueux : le cancer est un ennemi qui inexorablement va envahir l'organisme. Le malade vainc ou y succombe, malgré "l'arsenal thérapeutique" ou le "combat" mené par la patiente.

Dès qu'un cancer est diagnostiqué à la mammographie, la fébrilité que le médecin manifeste à engager pour sa patiente des prises de rendez-vous à d'autres examens et à la consultation chirurgicale renforce l’idée d’imminence de mort pour la patiente. Chaque nouvelle femme diagnostiquée se sent bannie du monde des "normales" et se sent menacée d’expulsion du corps social (travail, famille, assurance, banque..). Le stress manifesté par certaines femmes après une annonce est tel que certaines perdent tout contrôle de leur vie, professionnelle, affective, familiale. Et cela est très bien perçue par les autres femmes de l'entourage familial, amical ou professionnel.

f) Influence sur les médecins généralistes et les autres professionnels de santé

En France il s'agit du système de la ROSP (rémunération sur les objectifs de santé publique).[20]

Voir ici :

https://www.ameli.fr/seine-saint-denis/medecin/exercice-liberal/remuneration/remuneration-objectifs/medecin-traitant-adulte

Remarquons que sur le site dédié aux  professionnels [21], le risque de "mutilation inutile de femmes dépistées par excès" est bien reconnu, la controverse et la concertation de 2016 sont évoquées, néanmoins la prime est maintenue (selon page web du 29 décembre 2020)


Mais pire encore est l'incitation financière sur les femmes elles-mêmes. En effet en 2020 l'INCa organisait une mascarade de concertation[22] où un item a retenu notre attention, car il proposait de rémunérer cette fois les femmes afin de les amener au dépistage.

Une citoyenne s'en est d'ailleurs émue dans un article publié dans le JIM, dénonçant l'absence de considération éthique dans cette proposition de "participation tarifée".[23]

La manipulation des femmes est une thématique scientifique à part entière

A lire ici : https://cancer-rose.fr/2020/09/02/manipulation-de-linformation-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein-comme-thematique-scientifique/

CONCLUSION

Rahbek et al ont parfaitement identifié les manquements de l'information délivrée au public sur les dépistages d'une manière générale, information qui reste globalement souvent incitative, ce qui va à l'encontre des objectifs d'éthique que l'on doit au patient.

Les lacunes et manquements des brochures officielles françaises sont relevés, y compris ceux de l'INCa, institut censé pourtant protéger le patient.
La brochure-livret de l'INca, déjà bien imparfaite, est envoyée aux femmes éligibles au dépistage une seule fois lors de leur première convocation quand elles ont 50 ans. En 2017 donc, date de la publication de ce livret, les femmes de 50 ans primo-convoquées l'ont reçues, mais les femmes au-delà de 50 ans de cette époque ne la recevront ainsi jamais.

Et que dire de la brochure multi-langues de l'INCa, encore plus succincte..?[24]

De notre point de vue on ne peut être qu'atterrés et affligés de constater à quel point les demandes des citoyennes françaises, qui avaient, lors de la concertation de 2016, identifié les mêmes problèmes, sont restées non entendues et méprisées par les autorités françaises.

ANNEXE :

Vous trouverez ici une la traduction du tableau mis en annexe avec la publication d'origine, faisant figurer les recherches de la littérature dite 'grise' (les brochures et les sites web d'information). Nous avons sélectionné pour présentation dans notre article seulement les exemples concernant le cancer du sein par mammographie.

Nous avons constaté que ces exemples représentaient environ 60% de la totalité des exemples pour tous les cancers confondus : prostate, sein, cervical et colorectal. On peut conclure sur une communication préférentielle, un matraquage autour du dépistage du cancer du sein, par rapport aux autres cancers.

Tableau ; https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/04/nouveau-tableau.pdf

A propos des auteurs

Thomas Ploug
Thomas Ploug est professeur d'éthique des TIC (technologies de l'information et de la communication) au département de communication et de psychologie de l'université Aalborg de Copenhague. Il est titulaire d'une maîtrise en philosophie de l'université de Copenhague et d'un doctorat en éthique des TIC de l'université du Danemark du Sud. Ses intérêts et projets de recherche portent sur des sujets couvrant différents domaines relevant de l'éthique appliquée, tels que l'éthique des TIC, l'éthique médicale et la bioéthique. Il participe actuellement à des projets sur le comportement de consentement en ligne et hors ligne dans le contexte de la santé, et le "nudging" dans le secteur de la santé. Il est chef du groupe de recherche sur la communication et les études de l'information, directeur du Centre d'éthique appliquée et de philosophie des sciences, membre du Conseil danois d'éthique et du comité d'éthique clinique du Rigshospitalet, à Copenhague.

Joseph Rahbek

Master student Department of Public Health, Section of General Practice
Research Unit for General Practice, Section of General Practice, Department of Public Health, University of Copenhagen, Copenhagen K, Denmark

Christian P. Jauernik

The Research Unit for General Practice, Section of General Practice, Department of Public Health, University of Copenhagen, Copenhagen K, Denmark

John Brodersen, Professor, Université de Copenhague
https://publichealth.ku.dk/staff/?pure=en%2Fpersons%2Fjohn-brodersen(0f06ffbd-c5c4-4560-aac7-f0bfdf8e86e7).html

John Brodersen, l'auteur sénior de cet article est médecin généraliste et possède plus de dix ans d'expérience en pratique clinique. Le Dr Brodersen est titulaire d'un doctorat en santé publique et en psychométrie et travaille en tant que professeur de recherche associé dans le domaine du dépistage médical à l'Université de Copenhague, au département de santé publique, à l'unité de recherche et à la section de médecine générale.
Ses travaux ont servi pour la rédaction du Guide de dépistage de l'OMS de 2020, qui s’appuie sur les documents de référence rédigés par John Brodersen pour la Consultation technique européenne 2019 de l’OMS sur le dépistage.
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/330852/9789289054799-fre.pdf

Il est également co-auteur de la brochure Cochrane de 2012 sur le dépistage mammographique.https://www.cochrane.dk/sites/cochrane.dk/files/public/uploads/images/mammography/mammografi-fr.pdf

Il est membre du Board et Comité scientifique de l'organisation non-profit  "Preventing Overdiagnosis"https://www.preventingoverdiagnosis.net/?page_id=6

Ses recherches sont axées sur le développement et la validation de questionnaires destinés à mesurer les conséquences psychosociales des résultats de dépistage faussement positifs. Le Dr Brodersen a publié de nombreux articles dans des revues à comité de lecture.
En ce qui concerne l'autodiagnostic et le dépistage, le Dr Brodersen est spécialisé dans les domaines de la sensibilité, de la spécificité, des valeurs prédictives, du surdiagnostic, du consentement éclairé et des conséquences psychosociales pour les personnes en bonne santé lorsqu'elles subissent un test.
Il enseigne également au niveau national et international la médecine fondée sur les preuves.
Thèse de doctorat :Brodersen, J 2006 , Mesurer les conséquences psychosociales des résultats de dépistage faussement positifs - le cancer du sein comme exemple, thèse de doctorat, Månedsskrift for Praktisk Lægegerning, Département de médecine générale, Institut de santé publique, Faculté des sciences de la santé, Université de Copenhague. Copenhague


REFERENCES

[1] European Network for Prevention and Health Promotion in Family Medicine and General Practice. Available at: http://europrev.woncaeurope.org/

[2] Nordic Risk Group. Available at: http://nordicriskgroup.net/

[3] Preventing Overdiagnosis. Available at: http://www.preventingoverdiagnosis.net/

[4] Wiser Healthcare. Available at: http://wiserhealthcare.org.au/

[5] https://cancer-rose.fr/2017/01/03/la-perception-et-la-realite/

[6] Gotzsche PC, Hartling OJ, Nielsen M, et al. Breast screening: the facts–or maybe not. BMJ 2009;338:b86.

[7] https://cancer-rose.fr/2020/11/03/propagande-du-depistage/, voir la partie LEADERS D'OPINION ET MEDIAS

[8] http://www.concertation-depistage.fr/wp-content/uploads/2016/10/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf

  • page 125, le constat d'une information inadaptée.
  • page 57 : les incitations financières
  • pages 85, 92, 93, 115 : la communication "lacunaire" de l'INCa
  • pages 95, 96 jusqu'à 100 : la communication 'simpliste' de l'Assurance Maladie
  • page 133 : les deux scénarios proposés par le comité de pilotage pour l'arrêt du dépistage mammographique.

[9] https://cancersdusein.e-cancer.fr/infos/un-livret-sur-le-depistage-pour-sinformer-et-decider/ ou https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Livret-d-information-sur-le-depistage-organise-du-cancer-du-sein

[10] https://cancer-rose.fr/2017/09/17/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/

[11] https://cancersdusein.e-cancer.fr/

[12] https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

[13] https://cancersdusein.e-cancer.fr/infos/les-benefices-et-les-limites-du-depistage/

[14] https://cancer-rose.fr/2018/02/11/10552/

[15] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/Droit-dopposition_Mammos.pdf

[16] https://cancer-rose.fr/2020/11/03/propagande-du-depistage/

[17] https://cancer-rose.fr/2020/02/06/ah-mais-quelle-aubaine-ce-cancer/

[18] https://cortecs.org/wp-content/uploads/2016/03/CorteX_mammo_sophie_davant.png

[19] https://www.youtube.com/watch?v=y7widbIFUb8

[20] https://cancer-rose.fr/2020/04/20/la-nouvelle-rosp-quel-changement-pour-le-medecin-concernant-le-depistage-du-cancer-du-sein/

[21] https://www.ameli.fr/seine-saint-denis/medecin/exercice-liberal/remuneration/remuneration-objectifs/medecin-traitant-adulte

[22] https://cancer-rose.fr/2020/12/17/la-concertation-citoyenne-de-linca-sur-le-futur-plan-cancer-une-mascarade/

[23] https://cancer-rose.fr/2021/02/13/etre-paye-pour-se-faire-depister/

[24] https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Depliant-d-information-en-langues-etrangeres-sur-le-depistage-organise-du-cancer-du-sein

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Aveugles et sourds

Dans la revue Pratiques Dr Marc Gourmelon brosse l'histoire du dépistage du cancer du sein en France, depuis le lancement de la campagne organisée en passant par la concertation citoyenne, jusqu'à la situation actuelle du nouveau plan cancer 2021/2025 entériné par le Président Macron, dans un climat de surdité des autorités aux demandes citoyennes et malgré l'échec de ce dépistage.
Le tout à l'encontre du droit des femmes à l'information loyale des données sur la balance bénéfice-risques de ce dépistage.

A lire ici : https://pratiques.fr/Aveugles-et-Sourds

English version : Blind and Deaf

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La baisse du dépistage du cancer pendant la Covid 19 permettrait la recherche sur le surdiagnostic

Un article publié le 11 février dans la revue STAT nous fait part d'un projet d'étude qui consiste à examiner une "expérience naturelle" pour évaluer des données comme la mortalité ou le surdiagnostic dans les dépistages des cancers.
Cette expérience naturelle, c'est la diminution des dépistages pendant la pandémie, on pourrait alors examiner et jauger les surdiagnostics des cancers, véritables fléaux des dépistages, puisque projetant des personnes saines abusivement dans l'enfer de la maladie.

Cet examen se ferait ainsi à l'issue de la pandémie, ce qui apparaît plus éthique qu'une étude prospective où il faudrait randomiser les patients pour les soumettre ou non à un dépistage.

(NDLR : une telle étude nous semble pourtant tout à fait envisageable avec une bonne information des participants, mais plus coûteuse et plus compliquée à mettre en place[1]. On peut tout aussi bien considérer que faire une étude randomisée sur le surdiagnostic avec deux groupes de personnes, parfaitement informées avant participation à l'étude, est certainement plus éthique que de soumettre des populations entières, comme c'est actuellement le cas, à des dépistages très controversés quant à leur efficacité, sans aucune information loyale sur la balance bénéfice-risques. C'est le cas pour le dépistage du cancer de la prostate (beaucoup d'hommes se voient prescrire un dosage de PSA sans aucune explication) et pour le cancer du sein (beaucoup de femmes, non informées, pensent que le dépistage du cancer du sein est obligatoire et leur sauvera la vie.)

L'auteure de l'article, Mme E.Cooney, est journaliste de mission générale à STAT, revue d'analyse de biotechnologie, de pharmacie, des politiques et des sciences de la vie qu'elle a rejoint en 2017. Auparavant elle était blogueuse au Boston Globe, avant de passer à la rédaction scientifique du Broad Institute of MIT and Harvard(centre de recherche biomédical et génomique situé à Cambridge, Massachusetts, États-Unis.)

Contexte

Ned Sharpless, actuel directeur du National Cancer Institute américain (NCI), professeur de médecine et de génétique, s'est beaucoup alarmé de la chute brutale du nombre des dépistages par coloscopies, mammographies ou par d'autres tests de dépistage des cancers. Son inquiétude était motivée par des modélisations prédisant une explosion des taux de cancers en cas de non dépistage. Nous avons eu dans l'Hexagone aussi nos cassandres nationales nous promettant les pires avanies en cas de non-dépistages[2].

Pourtant ce seront davantage les retards et décalages de venue des patients qui auront le plus de conséquences, selon l'étude Grouvid[3] présentée par la statisticienne Aurélie Bardet de l'institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne).

Mais en janvier dernier, Mr Sharpless s'est alors interrogé sur les revers de la médaille de la détection précoce : le surdiagnostic, lorsque l'on détecte des cancers asymptomatiques qui peuvent ne pas se développer et ne pas nuire au patient, et le surtraitement qui l'accompagne. La pandémie, selon lui, pourrait être l'occasion de régler une controverse de longue date sur l'ampleur de la prédominance des inconvénients du dépistage du cancer par rapport à ses bénéfices. "Savoir dans quelle mesure le surdiagnostic et le surtraitement se produisent réellement lors du dépistage du cancer est un sujet très compliqué" a-t-il déclaré, pour lui cette pandémie a permis une une expérience naturelle intéressante, où nous pourrions examiner certaines de ces tumeurs, diagnostiquées plus tard. Le sort des patients est-il réellement moins favorable du fait d'un diagnostic de leur tumeur fait ultérieurement ?

Si des retards dans le dépistage - en fonction du cancer et du test de dépistage - n'entraînent pas de plus mauvais résultats pour la plupart des patients, alors ils pourraient apporter des informations intéressantes à la sortie de la pandémie. Pour mettre en évidence que le non-recours au dépistage n'est pas préjudiciable, il faudrait que la diminution du taux de dépistage entraîne une baisse des surdiagnostics, et ne se traduise pas concomitamment par une augmentation significative du nombre de patients développant des cancers invalidants ou mortels.

(NDLR : Attention, il faut examiner les données en taux bruts. En effet, si on parvenait à éliminer complètement le surdiagnostic, la part, c'est à dire la proportion des cancers graves apparaîtrait alors plus importante dans le total cancers amputé des surdiagnostics, qui amplifient d'ordinaire le total des cancers. En effet, la proportion des cancers graves est diluée dans le total-cancer lorsque, dans ce total, on rajoute la part des surdiagnostics.

Il faudra donc bien examiner le taux brut et non pas le pourcentage des cancers graves dans l'ensemble des cancers recensés.)

Pour Mr Sharpless est venu le temps d'examiner l'histoire naturelle des cancers pendant la période de report et les surtraitements de plus près.

Observations déjà disponibles

Pour Clifford Hudis, un spécialiste du cancer du sein, PDG de la Société américaine d'oncologie clinique, des tests comme la coloscopie sont clairement utiles. Mais pour d'autres cancers, l'impact sur la survie a été moins évident.

Mr Hudis insiste sur la différence entre dépistage d'une personne sans symptôme et diagnostic d'une personne avec signes cliniques. (Il va de soi qu'un symptôme clinique en aucun cas ne doit faire reporter la consultation du malade.)
Pour lui, les preuves sont irréfutables : les frottis et les tests HPV pour détecter les cellules précancéreuses dans le col de l'utérus ont permis de réduire considérablement les taux de mortalité. La coloscopie et d'autres tests de dépistage du cancer colorectal chez les adultes ont connu un succès similaire, à tel point qu'un groupe d'experts préconise le dépistage du cancer colo-rectal chez des personnes plus jeunes.
(NDLR : cet avis est nettement plus nuancé selon experts et études.[4] Peut-être manquons-nous encore de recul).

Il y a beaucoup moins de certitudes d'efficacité pour la mammographie et le dépistage du cancer du poumon par scanner, tandis que le recours au dépistage du PSA pour le cancer de la prostate continue d'être houleux[5]. Pourtant nous disposons d'une "expérience naturelle" pour ce dépistage.
Le dosage systématique du PSA a ouvert la porte à une forte augmentation de l'incidence des diagnostics de cancer de la prostate, qui a augmenté d'environ 16 % par an de 1988 à 1992, puis de 9 % par an jusqu'à se stabiliser à la fin des années 1990.
Après que le groupe de travail des services préventifs américains (USPSTF) a modifié sa recommandation en 2012 pour déconseiller aux hommes le test PSA systématique, l'incidence du cancer de la prostate a fini par se stabiliser, à l'inverse de ce qui se passait avant la généralisation des tests. Et la mortalité n'a pas changé !

E.Cooney relate aussi la prise de position de Barnett Kramer, ancien directeur de la division de la prévention du cancer du NCI : il n'y a pas que le cancer de la prostate pour lequel le surdiagnostic et le surtraitement sont préoccupants, déclare-t-il. Il existe d'autres cancers à croissance lente qui n'auraient jamais causé de souffrance pendant la durée de vie naturelle du patient, et il y a aussi des cancers qui ne progressent jamais.
"Vous introduisez un test de dépistage, dans ce cas pour le cancer de la thyroïde[6], le cancer du rein et le mélanome[7], et vous augmentez considérablement l'incidence du cancer et la prévalence de ces cancers", a-t-il déclaré devant une association de journalistes de la santé. "Il y a de plus en plus de personnes chez qui on diagnostique des cancers, et pourtant vous n'avez que très peu d'impact sur la mortalité. Ils sont guéris. Mais ils ne seraient jamais morts de ce cancer de toute façon".

Pour l'instant, si M. Kramer voit de réels préjudices à un surdiagnostic, lui aussi ne veut pas que ce message incite les gens à éviter les soins en cas de cancer symptomatique. "Les gens devraient être avertis de la nécessité de consulter un médecin dès les premiers signes de symptômes", a-t-il déclaré. "Nous savons qu'il est dangereux d'ignorer l'évolution des symptômes de la maladie".

L'auteure cite encore Otis Brawley, anciennement directeur médical et scientifique de l'American Cancer Society et aujourd'hui professeur à l'université Johns Hopkins : "Il y a des cancers qui n'ont pas besoin d'être guéris. Et c'est au moins 60% de tous les cancers de la prostate et peut-être 20% des cancers du sein qui n'ont pas besoin d'être guéris".
(NDLR : l'estimation des 20% concerne les carcinome invasif selon les premières études randomisées sur les essais canadiens par exemple[8], mais d'une part ces estimations sont aujourd'hui revues à la hausse, et d'autre part, si on ajoute les carcinomes in situ dont 80% n'auraient pas besoin d'être traités, le surdiagnostic du cancer du sein s'évalue à presque 50% ce qui signifie que cela pourrait concerner un cancer sur deux détectés par dépistage mammographique[9].)

Selon Dr Sharpless, la plupart des cancers sont découverts à la suite de l'apparition de symptômes.
Néanmoins pour lui "il y a beaucoup de gens en vie aujourd'hui parce qu'ils ont eu une lésion asymptomatique détectée lors d'un examen de dépistage qui a été enlevée, réséquée, traitée, et ils sont guéris de ce qui aurait été un cancer symptomatique. L'argument inverse est également vrai", à savoir : beaucoup des personnes en vie traitées de lésions enlevées, réséquées qui ne seraient jamais devenues symptomatiques.

Il y a un autre facteur à prendre en compte : les thérapies contre le cancer se sont améliorées. Il se peut qu'avec le report du dépistage certains soient diagnostiqués à un stade plus avancé, mais ils sont curables grâce à des thérapies efficaces, explique Sharpless. Ainsi, les grades plus élevés peuvent être appréhendés par les nouvelles approches thérapeutiques.
(NDLR : l'étude de P.Autier notait : L’influence du dépistage par mammographie sur la mortalité diminue avec l’efficacité croissante des thérapies contre le cancer.)

Quelle méthode pour évaluer ?

Eric Feuer, fondateur et responsable du projet d'évaluation du réseau de modélisation pour la surveillance du cancer au NCI, a travaillé sur les modèles du NCI prédisant la surmortalité du cancer du sein et du cancer colorectal due au retard de dépistage.
Il a déclaré que la généralisation de l'utilisation du test PSA fut aussi une expérience naturelle.
"Lorsque le dépistage progresse rapidement, vous récupérez des cas du futur", a déclaré M. Feuer. "Certains de ces cas n'auraient jamais causé de symptômes, mais ils ont fait augmenter l'incidence. Le problème est que le test PSA ne permet pas de prédire avec précision quels cancers, avec ou sans symptômes, seront nocifs et lesquels ne le seront pas."

Pour le cancer du sein et le cancer colo-rectal, M. Feuer examinera les données du SEER (Surveillance, Epidemiology, and End Results program) et d'autres données du NCI pour voir si la baisse du taux de dépistage a été suivie d'une baisse puis d'une hausse de l'incidence. Il surveillera les taux de tests de dépistage positifs, le stade de confirmation du diagnostic de cancer et les données sur la mortalité.

Outre le SEER, la base de données d'observation PROSPR (Population-based Research to Optimize the Screening Process) sera aussi utilisée pour discerner les effets que la diminution du dépistage du cancer peut avoir sur le stade auquel le cancer est diagnostiqué, entre autres mesures.

Tout cela est censé permettre d'estimer le surdiagnostic, si le retour des données est suffisamment puissant.

M. Kramer (ancien directeur de la division de la prévention du cancer du NCI) a demandé que le PSA soit retiré de son panel d'analyses sanguines habituel.

Pr.Brawley (professeur à l'université Johns Hopkins) pense que la Covid-19 est le danger imminent dont nous devrions tenir compte maintenant. Son hôpital a annulé les opérations non urgentes, y compris les prostatectomies radicales.

L'expérience naturelle sur les tests de dépistage prendra un certain temps avant de donner des résultats.

"Nous le saurons dans 10 ans", a déclaré M. Feuer du NCI. 

Entre temps....

La directrice de la Société canadienne d'imagerie mammaire a déclaré que son groupe avait déjà une étude en cours.
La transcription complète de l'entrevue se trouve dans ce lien: https://www.cbc.ca/radio/thecurrent/the-current-for-feb-9-2021-1.5906730/february-9-2021-episode-transcript-1.5907645

MATT GALLOWAY: Au cours des six mois où cette pandémie aurait peut-être déraillé, ralenti ou arrêté le dépistage, quel serait le changement en ce qui concerne, vous savez, où pourrait se trouver le cancer, mais aussi, comme vous le dites, les taux de survie?

JEAN SEELY: Eh bien, il est trop tôt pour que nous le sachions. Et nous commençons une étude pour examiner cela parce que nous croyons que c'est un facteur qui se produit dans tout le pays. Une étude de modélisation a été réalisée par le groupe de Sunnybrook et ils ont utilisé un modèle mathématique appelé OncoSim, où ils ont estimé qu'un retard de six mois dans le dépistage entraînerait 670 cancers du sein plus avancés au Canada et 250 décès supplémentaires par cancer du sein dans le les 10 prochaines années. Et retarder cela même plus de six mois, ce qui peut arriver avec des personnes arrêtant ou naturellement ne se référant pas, entraînerait un nombre encore plus élevé de décès. Nous constatons donc cela partout au pays.

Nous pouvons donc aisément imaginer comment les imageurs du sein vont concevoir la recherche à leur avantage, et comment ils la promouvront. Le débat ne s'arrêtera jamais, et une bataille de "modèles" va s'engager.

Avis de Dr Vincent, notre statisticien :

"Outre le fait qu'il ne s'agit que d'une modélisation (et avec un autre modèle on trouverait certainement autre chose), quel statisticien, et avec quel outil, serait capable de repérer une augmentation de 250 décès parmi les fluctuations aléatoires du nombre annuel de décès (avec 12000 décès par an en moyenne, l'intervalle de confiance du nombre annuel de décès en France a une amplitude d'environ 500 décès,  autrement dit le nombre de décès annuel fluctue naturellement de bien plus que 250 ; ou, si vous préférez, une augmentation de 250 décès n'apparaitra pas comme statistiquement significative)."

A suivre.....

Références


[1] https://cancer-rose.fr/my-pebs/methodologie/ - choisir l'article : l'étude dont on rêvait

[2] https://cancer-rose.fr/2020/10/06/langoisse-des-thuriferaires-du-rose-face-a-la-decroissance-de-participation/

[3] https://cancer-rose.fr/2020/11/11/pandemie-covid-19-et-prise-en-charge-des-cancers/

[4] https://cancer-rose.fr/2019/10/14/en-parallele-dans-lactualite-la-faillite-du-depistage-colo-rectal/

[5] https://cancer-rose.fr/2017/01/05/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/

[6] https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/

[7] https://www.youtube.com/watch?v=068KMIe-gys&feature=emb_logo

Le constat de Dr. Adewole Adamson est affolant : pas de réduction de mortalité et un surdiagnostic massif en raison du fait que les seuils de tolérance des dermatologues et des anatomo-pathologistes s'abaissent devant les lésions cutanées.

Les premiers demandent de plus en plus et de plus en plus vite des prises en charge avec biopsies, les seconds préférent "upgrader" leur diagnostic des lésions examinées sous microscope ( c’est à dire dans le doute classer comme malignes des lésions simplement douteuses et qu'on pourrait seulement surveiller ), donnant lieu à une apparente épidémie de mélanomes avec d'autant plus de "survivors" artificiels.
Le cercle vicieux est sans fin, incitant patients et médecins à faire de plus en plus d'examens cutanés de routine.

[8] https://cancer-rose.fr/2016/11/20/etude-miller/

[9] https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

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Être femme et tabagique : des rayons en perspective

Dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose, ou histoire d'une déconvenue annoncée.

Dr C.Bour

En février 2020, une revue d'imagerie[1] publiait victorieusement les résultat d'un essai clinique sur le dépistage du cancer du poumon par scanner thoracique à faibles doses, repris ensuite abondamment dans la presse, promouvant cette haute technologie pour en faire une méthode de dépistage systématique dans la population des fumeurs.

Il s'agit d'une technique de scanner utilisant de faibles doses, analogues à celles délivrées par une radiographie thoracique simple (en deux incidences, face et profil, équivalentes à 20-40 µSv, au lieu de 5,8 mSv pour un scanner du thorax standard), donnant une image un peu plus dégradée, peu performante pour l'analyse des pneumopathies interstitielles, mais suffisante pour un diagnostic de petits nodules.

L'article de cette revue concluait ainsi : "Cette étude semble donc en faveur d’un dépistage organisé du cancer du poumon, à une époque où les modalités ont atteint des niveaux d’irradiation très bas."

Qu'en est-il vraiment ?

Deux essais essentiellement (il y a eu plusieurs études) sont censés apporter la preuve d'une diminution significative de la mortalité spécifique par cancer broncho-pulmonaire. Il s'agit de l'essai étatsunien National Lung Screening Trial (NLST), et de l’essai NELSON mené en Belgique et aux Pays Bas.

Déjà en 2014, dans une note de cadrage, la HAS[2] notait : ".... il est probable que la faible spécificité du dépistage par TDM faible dose restera un obstacle majeur à la mise en place d’un dépistage dans la pratique clinique et d’un programme de dépistage."
"Les inconvénients et risques associés au dépistage du TDM FD incluent l'exposition aux radiations allant de 0,61 à 1,5 mSv, un certain degré de sur-diagnostic variable selon les études, et un taux élevé d'examens faux positifs, généralement exploré avec davantage d'imagerie."

Lorsqu'on examine l'étude publiée dans le NEJM [3] sur l'essai NELSON, on peut lire sur la dernière ligne du tableau n°4 ceci : All-cause mortality — deaths per 1000 person-yr 13.93 (screening group) 13.76 (control group)  RR 1.01 (0.92–1.11).
Ceci signifie en clair qu'il n'y a aucun retentissement sur la mortalité toutes causes, et c'est la seule donnée qui doit intéresser le public et les médias lorsqu'ils rapportent les résultats d'une telle étude.

Rappelons que la donnée "mortalité globale" inclut tout, le cancer, son traitement et son non traitement, et reflète d'autant mieux les données en "vraie vie".
Cette donnée est rarement mise en avant, les promoteurs des dépistages relatant préférentiellement le gain en terme de mortalité spécifique, c'est à dire par la maladie seule[4].

Mais l'Académie de Médecine l'a retenu, et fait part dans un rapport publié de ses préoccupations [5] [6]. Elle note plusieurs problèmes pour ne pas généraliser ce dépistage :

  • Les deux essais principaux sur le dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose ont grandement sous-estimé les effets nocifs potentiels (faux positifs, surdiagnostics, faux négatifs, irradiations et surtraitements). On ne connaît pas l'ampleur du bénéfice ni l'ampleur des risques, et même si on obtient ce taux de 25% de guérison parmi les sujets inclus dans l'étude, la majorité des malade décèdera précocement des autres pathologies du tabagisme (autres cancers, cardiopathies, emphysème etc...) sans que leur espérance de vie ne soit allongée.
  • Pour qu'un dépistage soit efficace, il faut avoir des cancers à latence suffisamment longue pour les "rattraper" lors d'un dépistage (donc le moins possible de cancers d'intervalle) ; or la proportion des cancers à latence longue dans le poumon est faible.
  • "Ces cancers sont majoritairement dus au tabagisme actif et, marginalement au tabagisme passif : plus de 85% des cas peuvent être attribués au tabac. La diminution progressive du tabagisme chez les hommes (60% de fumeurs dans les années 60 à 33% actuellement) se traduit par la diminution de l’incidence et de la mortalité dues à ces cancers", ce qui équivaut à dire que ce cancer est tout bonnement accessible à de bonnes campagnes de prévention primaire, et aux incitations d'arrêt du principal facteur de risque, le tabac.
    "L’histoire naturelle et évolutive de la maladie doit être connue et les diverses formes définies"." Entre 50 et 74 ans les cancers du poumon sont donc essentiellement composés d’adénocarcinomes qui semblent les plus facilement détectables. Par exemple, dans l’essai européen NELSON, 61% des CBP du groupe dépisté sont des adénocarcinomes contre 44% dans le groupe témoin ce qui pourrait expliquer un meilleur effet du dépistage chez les femmes." explique l'Académie.
  •  Des inconnues : sur la population cible, sur le taux de participation souhaitable, la fréquence des scanners, les indications thérapeutiques pour les cancers découverts lors du scanner, l'acceptabilité par les patients, la motivation et le respect de l'arrêt du tabac etc..
  • les personnes qui participent aux essais ne sont pas représentatives de l’ensemble de la population éligible au dépistage ultérieurement, ce qui peut entrainer une surestimation de l’efficacité dans l'étude Nelson.
  • Une évaluation économique s'impose aussi, l'Académie soulignant fort justement que la prévention primaire est certainement plus efficace et moins coûteuse.

Pour rebondir sur les arguments de l'Académie de Médecine, il faut garder à l'esprit l'enjeu économique de ce dépistage, non seulement de l'examen initial mais de l’importance des dépenses occasionnées par les examens itératifs en cas de nodules intermédiaires (qu’il faut suivre durant les années pour en contrôler l’évolution). Le dépistage du cancer bronchique par CT serait 4 fois plus cher que le dépistage du cancer du sein et 10 fois plus que le dépistage du cancer colorectal.

Concernant spécifiquement les femmes

Les résultats sur l'efficacité du dépistage par scanner faible dose à 10 ans sont plus variables et difficilement interprétables chez la femme, l'Académie là aussi émet des réserves notamment dans l'essai NELSON, soulignant qu'ils ne sont pas significatifs en raison du faible nombre des femmes incluses dans les deux essais et suivies en 10 ans.

De notre côté nous soulignons que ce dépistage, s'il est lancé dans la population féminine tabagique, se superposera à la mammographie biennale, là aussi dans une ignorance totale de l'effet du cumul des doses d'examens itératifs[7] [8]pour une réduction de mortalité non prouvée[9].

L'irradiation retient encore l'attention

Encore une fois, et comme pour le dépistage du cancer du sein, ayons à l'esprit que nous infligeons des irradiations, fussent-ils à faible dose, à des personnes sans plainte, a priori saine, et que ces irradiations vont être amenées à se répéter.
Pour les nodules suspects (5 à 10 mm) et indéterminés, un contrôle à 3 mois sera effectué. Les nodules qui augmentent de volume (+ 25% en volume en 3 mois) et les nodules de plus de 10 mm doivent être investigués d'emblée (biopsie ou chirurgie). Les nodules stables seront contrôlés, eux, pendant 3 ans.
Certains nodules encore, semi-solides peuvent être de croissance lente et suivis plus longtemps, pendant 5 ans.

Tout cela pour un gain nul en terme de mortalité globale.

Les rayonnements ionisants induisent deux types d’effets : « effet déterministe », c'est à dire conditionné directement et de façon certaine selon la dose de rayonnements reçue, par exemple si on dépasse un certain seuil comme lors d'une catastrophe nucléaire ou lors de traitements par la radiothérapie.
L' autre effet est « aléatoire » (apparition de cancers avec une certaine probabilité pour un individu mais sans certitude, sans seuil connu, dépendant de la radiosensibilité individuelle).


Pour la radiologie diagnostique, les doses utilisées sont certes bien moindres par rapport à une radiothérapie, mais l’exposition, surtout répétitive, pourrait être néfaste de façon "probabiliste", par un cumul d'altérations de l'ADN cellulaire et de la sensibilité individuelle. La plupart des estimations se basant sur des extrapolations de risques constatés à partir des accidents nucléaires et atomiques, les effets à long terme des doses même minimes et répétées sont certainement très variables selon les individus, et véritablement toujours inconnus à l’heure actuelle.

A ce sujet lire les travaux de N.Foray, radiobiologiste, INSERM : https://www.sfmn.org/drive/CONGRES/JFMN/2016%20GRENOBLE/SCIENTIFIQUE/CommunicationsOrales/N._FORAY_MembreWeb.pdf

et https://its.aviesan.fr/getlibrarypublicfile.php/cd704e89988a4e3bcf2e1217566876cf/inserm/_/collection_library/201800012/0001/J1-098ITS-2017.foray.lyon.ITMO.TS..21.nov.2017.pdf.pdf

Pour conclure

Pour les académiciens, ce qui est primordial est la lutte contre le principal facteur de risque : le tabagisme, l'acceptation de sa réduction est la condition-même pour les candidats sélectionnés pour un éventuel dépistage régulier.

Les examens par scanner thoracique pourraient alors servir plutôt de motivation à prendre une décision de se sevrer pour les patients tabagiques.

Il ne s'agira alors plus d'un dépistage systématique sur toute une population, mais plutôt un recours à l'imagerie dans le cadre d'un bilan de santé du fumeur, et dans le cadre du colloque singulier au sein de la consultation médicale.

Enfin, dans le contexte d'expositions professionnelles reconnues le scanner thoracique faible dose pourrait être un moyen de surveillance des sujets exposés.

Les réactions

Elles ne se sont pas fait attendre, une dépêche apm du 24 février 2021 nous apprend que trois sociétés savantes prennent position.

" Les trois sociétés savantes sont l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique, la Société de pneumologie de langue française et la Société d’imagerie thoracique.
Dans ce texte, qui actualise de précédentes recommandations, les sociétés savantes réaffirment leur position en faveur d'un dépistage individuel, par scanner thoracique à faible dose sans injection de produit de contraste, dont elles précisent les modalités." ......
"Contrairement à l'Académie de médecine qui propose un scanner faible dose une fois lors d'un bilan de santé d'un fumeur, les sociétés savantes envisagent un examen récurrent. Elles estiment qu'il faudrait 2 examens tomodensitométriques espacés d'un an puis un tous les 2 ans, sauf en cas de facteurs de risque ou d'examen antérieur avec un résultat intermédiaire ou cela devrait continuer tous les ans.
Et ce dépistage devrait être poursuivi "pour une période minimale d’au moins 5,5 à 10 ans".

Notons encore la regrettable et peu scientifique réaction du président de la Fédération Nationale des Médecins Radiologues :

L'Académie répond, persiste et signe

Trois radiologues contestant avis de l’Académie de Médecine, celle-ci persiste et signe : https://lequotidiendumedecin.fr/specialites/cancerologie/controverse-sur-le-depistage-du-cancer-du-poumon-lacademie-de-medecine-repond-aux-prs-revel-lederlin… avec un argument qui devrait prévaloir dans tout dépistage : à savoir celui de la mortalité GLOBALE.
"Les auteurs mentionnent que la mortalité par CBP (cancer broncho-pulmonaire) est diminuée dans les essais Nelson et NLST mais sans prendre en compte la mortalité générale de la population de fumeurs, seul paramètre important pour envisager un dépistage organisé et qui elle ne change pas dans les divers essais".
Ce paramètre, rappelons-le, englobe la mortalité par CBP mais aussi celle due aux traitements et celle imputable à d'autres causes de mortalité, les fumeurs étant exposés à d'autres pathologies (emphysème, autres cancers, maladies cardio-vasculaires).

L'Académie dit encore ne pas revenir sur " la polémique de l’irradiation", les auteurs écrivent : "..notre rapport étant sur ce point totalement factuel et nous vous encourageons à relire ce paragraphe. Il est toutefois regrettable que dans aucun des essais une dosimétrie précise n’ait pas été faite."

Actualisation février 2022

La Haute Autorité de Santé, tout d'abord réticente en 2016 change complètement d'attitude et donne à présent son feu vert à une expérimentation sur le dépistage du cancer du poumon, en dépit d'une inefficacité de ce dépistage scannographique à réduire la mortalité toutes causes confondues.

https://www.has-sante.fr/jcms/p_3310940/fr/depistage-du-cancer-bronchopulmonaire-par-scanner-thoracique-faible-dose-sans-injection-actualisation-de-l-avis-de-2016

"La HAS estime que l’état des connaissances est encore incomplet et insuffisamment robuste pour la mise en place d’un dépistage systématique et organisé du CBP (cancer broncho-pulmonaire) en France. Cependant, les données montrant une diminution de la mortalité spécifique et autorisent l’engagement d’un programme pilote visant à documenter : les modalités de dépistage, la performance/efficacité et l’efficience, les contraintes organisationnelles et les dimensions éthiques et sociales, ceci en testant plusieurs scénarios possibles et sur plusieurs rangs de dépistage.
Ainsi, la HAS recommande la réalisation d’expérimentation en vie réelle au regard du système de soin français pour répondre aux questions en suspens."

Dans son rapport page 70 https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-02/rapport_dorientation_depistage_du_cancer_bronchopulmonaire_par_scanner_thoracique_faible_dose_sans_injection_actualisation_d.pdf
la HAS estime que "Les méta-analyses ne montrent pas de diminution significative de la mortalité toutes causes confondues quelles que soient les procédures comparées : ce critère de jugement est peu pertinent du fait de l’interférence sur la mortalité de l’âge et du tabagisme chronique, et de la nécessité d’avoir un suivi à très long terme sur une importante cohorte."

Ce qui signifie que si la HAS ne reconnait pas la mortalité globale comme critère principal d'efficacité, met avant la mortalité spécifique par cancer du poumon faisant fi des autres causes de mortalité et de morbidité liées au tabagisme, et considère que des études randomisées avec un suivi de 10 ans sont insuffisantes, alors n'importe quel dépistage non probant peut-être défendu et maintenu, à l'instar de celui du cancer du sein, incapable de prouver à l'heure actuelle son efficacité.
Nul n'est besoin de faire des recherches de preuves d'utilité des dispositifs de santé pour en imposer un à la population, et l'avis de l'Académie de Médecine peut être également superbement ignoré.

Nouvelle étude mars 2022

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35040922/#:~:text=Conclusions%20and%20relevance%3A%20This%20population,indolent%20early%2Dstage%20lung%20cancers.

Cette étude de cohorte écologique basée sur la population a révélé que le dépistage par tomodensitométrie à faibles doses de femmes asiatiques à faible risque, pour la plupart non-fumeuses, était associé à un surdiagnostic considérable du cancer du poumon. La survie à cinq ans est biaisée par la détection accrue de cancers du poumon indolents à un stade précoce. À moins que des essais randomisés puissent démontrer une certaine valeur pour les groupes à faible risque, le dépistage par scanner faibles doses devrait rester ciblé uniquement sur les gros fumeurs.

Pour vous aider à y voir plus clair

Il existe donc bien un vaste débat sur le dépistage du cancer du poumon.
L’incidence croissante du cancer du poumon et le faible taux de survie lorsque la maladie est avancée, et ce malgré les progrès de la pharmacothérapie, ont accru l’intérêt pour la mise en œuvre d’un dépistage étendu du cancer du poumon.

Certaines études, comme l’Essai National britannique de dépistage du cancer du poumon, le Programme international de dépistage précoce du cancer du poumon et d’autres études de dépistage importantes, poussent en avant le dépistage par tomodensitométrie à faibles doses et ont montré une réduction de la mortalité spécifique au cancer du poumon.

Cependant les préoccupations concernant le flux de travail d’imagerie accru qu'impose ce dépistage, le fait que la mortalité totale reste non modifiée, la dose de rayonnement reçue, la gestion des petits nodules présentant un biais de surdiagnostic potentiel, le biais de longueur de temps (sélection préférentiellement des tumeurs à croissance lente) et la rentabilité continuent d'alimenter le débat.

Un outil d'aide à la décision est proposé par le Ministère de la Santé et des Services sociaux canadien, cet outil est consultable et téléchargeable, cliquez ici : https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-003076/

Références


[1] http://www.thema-radiologie.fr/actualites/2592/l-etude-nelson-promeut-le-depistage-du-cancer-du-poumon-par-scanner.html

[2] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-12/note_de_cadrage_cancer_du_poumon.pdf

[3] https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1911793

[4] Et encore souvent ce "gain" est exprimé en réduction relative du risque de décéder, c'est à dire en comparant un groupe dépisté à un groupe non dépisté.
En matière de cancer du sein, la manipulation est d'exprimer ce gain, de façon répétée, dans les médias notamment, en pourcentages. Ainsi on vous dit que le dépistage du cancer du sein réduit la mortalité de 20%, tout le monde comprend alors que 20 personnes sur 100 dépistées, en moins, meurent de ce cancer, or il n'en est rien, en chiffrage absolu il n'y a qu'une seule vie sauvée. Sur un groupe de 2000 femmes dépistées en 10 années on constate un décès par cancer du sein, sur un groupe de 2000 femmes non dépistées en 10 années on constate 5 décès, le passage de 5 à 4 constitue effectivement une réduction de 20%, mais en vraie vie, il ne s'agit que d'une seule personne....

[5] https://www.academie-medecine.fr/le-depistage-du-cancer-du-poumon-par-scanner-thoracique-faible-dose-stfd-reste-non-justifie-mais-peut-etre-utile-pour-un-bilan-de-sante-des-fumeurs/

[6] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/02/RAPPORT-Académie-de-médecine.pdf

[7] http://agora.qc.ca/documents/radiation_des_depistages_aux_accidents_nucleaires

[8] https://cancer-rose.fr/2019/07/18/radiotoxicite-et-depistage-de-cancer-du-sein-prudence-prudence-prudence/

[9] https://cancer-rose.fr/2019/10/20/le-depistage-de-masse-du-cancer-du-sein-bafoue-les-valeurs-ethiques-et-les-principes-fondamentaux-du-systeme-de-radioprotection/

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Etre payé pour se faire dépister ?

Dr C.Bour, 13 février 2021

Voilà la question posée dans le JIM[1], le 13 février, par à une citoyenne participante à la consultation citoyenne de l’INCA[2] organisée pour "mettre fin aux cancers".
Cette citoyenne prend position à propos d'un item proposé par l'INCa qui lui a paru particulièrement manquant d'éthique.
Elle est ingénieure agroalimentaire et titulaire d’un doctorat en Sciences de la Vie et de la Santé. 
Elle s'exprime conjointement avec deux autres scientifiques, Dr. Theodore Bartholomew  médecin à l’hôpital public Royal Surrey County en Grande-Bretagne et titulaire d'un Master en Bioéthique, et Mr Harald Schmidt, professeur au Department of Medical Ethics and Health Policy et Research Associate au Center for Health Incentives and Behavioral Economics, à l' Université de Pennsylvanie, aux États-Unis.

Nous nous étions déjà émus de cette consultation citoyenne, censée appuyer le prochain plan cancer décennal, lors de deux articles[3] [4] publiés au moment de son lancement dans lesquels nous dénoncions la collusion avec l'industrie pharmaceutique et la très faible participation citoyenne malgré la présentation dythirambique des communiquants de l'INCa.

Non seulement le citoyen n'a pu voter que pour des items fallacieusement formulés (voir nos articles), sans information préalable sur les tenants et les aboutissants de certaines mesures proposées, mais en plus le taux de participation n'est en aucun cas représentatif de la population française (2478 participants effectifs pour 3.8 millions de personnes touchées par le cancer en France, et 47 millions de français inscrits sur les listes électorales...), démentant ainsi "l'adéquation" qui existerait entre "les objectifs et mesures présentés et les attentes de nos concitoyens" proclamée par les communiquants de l'INCa.

Et nous nous étions déjà étonnés de cet item[5]en particulierqui a aussi retenu l'attention du trio d'auteurs dans le JIM : Expérimenter des incitatifs matériels pour faciliter la participation des personnes au dépistage :

Les mécanismes incitatifs tels que la motivation financière ou le défraiement des personnes (transport, garde d’enfant, travail) très peu utilisés jusqu'ici seront expérimentés pour évaluer leur apport dans le développement de la participation au programme.
L’adhésion aux programmes ou démarches de dépistage nécessite également la mobilisation des professionnels, que ce soit dans la réalisation de l’acte ou dans l’information et la sensibilisation au dépistage sinon l’incitation.

Actualisation novembre 2021 : Les accès à la concertation listés dans l'article ci-dessous ayant été désactivés, nous reproduisons la capture d'écran de cette proposition.

Cela n'est pas sans rappeler des mesures similaires déjà en place aux Etats-Unis où de nombreuses compagnies d'assurance maladie privées incitent les femmes à réaliser des mammographies de dépistage, en leur offrant des compensations sous différentes formes.

Que dénoncent les auteurs dans l'article ?

Cette citoyenne française et les deux co-auteurs dénoncent ensemble le cynisme de cette mesure d'incitation financière proposée par l'INCa qui fait fi des revendications de la véritable concertation citoyenne [6] dédiée au dépistage du cancer du sein organisée en 2016, laquelle demandait, outre l'arrêt de ce dépistage, une meilleure information donnée aux femmes sur la balance bénéfice-risques de ce dépistage du cancer du sein.("Prise en considération de la controverse dans l’information fournie aux femmes et dans l’information et la formation des professionnels".)

C'est ce que soulignent les trois auteurs, rappelant que l'enjeu est bien d'informer les femmes sur la balance bénéfice-risques du dépistage, notamment sur les risques du surdiagnostic, pour leur permettre un meilleur choix, optimal à chacune d'entre elles : "Le risque de ces incitations est que le processus de décision soit court-circuité, que les femmes prennent des décisions qu'elles regretteront et qu’elles n’auraient pas prises en l'absence d'incitations."

Les auteurs pointent le caractère non éthique de cet item: " ... le choix du dépistage doit être fait par des femmes correctement informées et non par leurs médecins, ni par les assureurs santé, ni par les décideurs des politiques de santé publique ou d’autres acteurs. Cette initiative ne devrait pas être promue, mais il faudrait plutôt s'assurer que les femmes puissent avoir accès à des informations réellement utiles sur les avantages et les inconvénients du dépistage. Nous préconisons plutôt d’encourager un choix actif et éclairé en incitant les femmes à utiliser des outils d’aide à la décision fondés sur des preuves."

En début d'article les auteurs rappellent l'analyse de la collaboration Cochrane[7] et le risque du surdiagnostic inhérent à ce dépistage, qui devrait être connu de chaque femme avant de s'engager dans un dépistage. Et ils posent tout à fait logiquement la question : "au lieu d'essayer à tout prix de renforcer les dépistages comme le nouveau plan cancer décennal le prévoit, ne pourrait-on pas mobiliser davantage de ressources pour l'accès égalitaire de toutes les femmes à des supports et des documents informatifs sur la balance bénéfice-risques de ce dépistage, afin de leur permettre de décider en leur âme et conscience de participer ou non au dépistage mammographique?"

Les demandes citoyennes entendues ? L'information des populations une préoccupation du nouveau plan ?

Que nenni.

L'item proposé sur l'incitation financière pour les femmes afin d'accroitre leur participation est une preuve de plus que L'institut National du Cancer fait royalement ce qu'il a envie de faire, promeut la poursuite de ses objectifs obsolètes, formule les items de telle sorte que les citoyens ne peuvent qu'approuver faute d'explications, et  enterre les demandes des citoyennes de 2016 dans une brutalité anti-démocratique.

Nous constations en outre que dans le petit groupe des 24 personnes ayant concocté ces items de la consultation, on trouve le représentant des entreprises du médicament (LEEM) Mr Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques.

La triste suite de tout ceci, la voilà formulée dans le nouveau plan cancer européen, publié très peu de temps après cette "consultation citoyenne", censé s'appuyer sur les avis des citoyens mais déjà élaboré depuis longtemps, proclamant l'intensification des dépistages :

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_342

".....faire en sorte que 90 % de la population de l'Union remplissant les conditions requises pour le dépistage du cancer du sein, du col de l'utérus et du cancer colorectal se voient proposer un dépistage d'ici à 2025. Pour y parvenir, un nouveau programme de dépistage du cancer cofinancé par l'Union sera proposé."

L'industrie pharmaceutique et de l'imagerie peut se frotter les mains :

"En outre, pour soutenir les nouvelles technologies, la recherche et l'innovation, un nouveau Centre de connaissances sur le cancer sera fondé afin de contribuer à la coordination des initiatives scientifiques et techniques liées au cancer à l'échelle de l'Union. Une «initiative européenne en matière d'imagerie sur le cancer» sera mise en place pour soutenir le développement de nouveaux outils assistés par ordinateur afin d'améliorer la médecine personnalisée et les solutions innovantes."

Tout continue comme prévu, tout va bien dans le meilleur des mondes.

Références


[1] https://www.jim.fr/medecin/debats/e-docs/des_incitations_financieres_pour_le_depistage_du_cancer_du_sein_sont_contraires_a_l_ethique_186433/document_edito.phtml?reagir=1#formulaire-reaction

[2] https://consultation-cancer.fr/

[3] https://cancer-rose.fr/2020/12/15/inca-une-consultation-citoyenne-pourquoi/

[4] https://cancer-rose.fr/2020/12/17/la-concertation-citoyenne-de-linca-sur-le-futur-plan-cancer-une-mascarade/

[5] https://consultation-cancer.fr/consultations/axe-1-ameliorer-la-prevention/consultation/consultation/opinions/12-ameliorer-lacces-aux-depistages/mesures-proposees/experimenter-des-incitatifs-materiels-pour-faciliter-la-participation-des-personnes-au-depistage

[6] https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/

[7] https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD001877.pub5/full

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Nouveau plan cancer 2021-2030, une planification « soviétique »

7 février 2021
Dr C.Bour

Emmanuel Macron vient de lancer jeudi 4 février une stratégie nationale décennale (pour 2021-2030) de lutte contre les cancers, financée à hauteur de 1,74 milliard d’euros sur 5 ans, à savoir 20 % de plus que les trois précédents plans cancer. 
https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030

Il s'agit de faire baisser de 60 000 cas par an le nombre de nouveaux cancers dits "évitables" d’ici à 2040.

Plusieurs médias en parlent mais nous prenons appui sur la relation assez exhaustive faite par le journal Le Monde[1]du 4 février 2021 et sur le 6ème rapport au président élaboré par l'INCa[2].

Nous allons faire un bilan des "plans" de leur origine jusqu'à aujourd'hui, et nous verrons les évolutions à travers les âges, depuis les grands objectifs démagogiques d'antan jusqu'aux....grands objectifs démagogiques d'aujourd'hui agrémentés de l'intrusion des industriels du médicament.

En 2013 déjà le laboratoire Roche n'était pas bien loin du dépistage du cancer du sein et aux aguets en analysant la "compliance des femmes" au dépistage qu'il étudiait par le biais de l'étude EDIFICE[3].

Et lorsqu'un laboratoire pharmaceutique s'intéresse de si près à un dispositif controversé, c'est souvent pour voir comment protéger ses intérêts...

Plus il y a de malades, plus on vend de la pharmacopée.

Focus sur les dépistages

Les grands axes de ce nouveau plan cancer sont déployés dans l'article du journal Le Monde et nous nous intéresserons aux dépistages, notre cœur de cible, dont le président nous promet le renforcement dans le premier axe appelé "prévention". 

 "Chaque année en France", dit l'article, "9 millions de personnes participent à l’un des trois programmes de dépistage organisé (sein, côlon et col de l’utérus). Le but est de porter ce nombre à 14 millions en 2025."

"Chaque année, plus de 157 000 personnes meurent d’un cancer en France. Au total, 3,8 millions de personnes vivent avec la maladie. Quatre nouveaux cancers sur dix seraient évitables. Soit 153 000 nouveaux cancers par an qui seraient prévenus, si la population adhérait aux programmes de dépistage organisé, s’alimentait de façon équilibrée, pratiquait une activité physique régulière."

La « légende urbaine » des dépistages" préventifs" chère aux communicants de l'INCa se heurte à la définition-même de la prévention, à savoir faire en sorte que la maladie ne survienne pas. Or le dépistage vise à trouver, à traquer une maladie, qui est donc déjà là.

Les procédures de dépistage, que ce soit celles du côlon, du sein ou de la prostate n'anticipent pas la maladie mais détectent une lésion qui est bel et bien déjà présente dans l'organisme.
Cette confusion trompeuse entre "prévention" et "dépistage" est retrouvée dans l'axe "améliorer la prévention"[4] de la consultation citoyenne que l'INCa (Institut national du cancer) a proposée à la population en fin d'année dernière.[5] [6]

Pourtant les citoyennes française, lors de la concertation citoyenne et scientifique de 2016 sur le dépistage du cancer du sein, pointaient du doigt cette confusion malhonnête entre les deux termes.[7]

  • Page 5 : Le comité a constaté également des dysfonctionnements, des anomalies dans l’organisation actuelle du dépistage et les conséquences qu’il engendre : inégalités d’accès, incompréhension des enjeux, confusion entre prévention primaire, dépistage, et diagnostic précoce, absence d’information sur les risques et les incertitudes du dépistage dans la lettre d’invitation envoyée tous les 2 ans,
  • Page 125  " De plus, l’information délivrée au sujet du DO entretient une confusion entre prévention et diagnostic précoce. "

Difficile d'admettre une simple maladresse cette fois, cet amalgame de vocables est entretenu au contraire sciemment, servant à attribuer fallacieusement aux dépistages un pouvoir préventif qu'ils n'ont bien évidemment pas.

Revue des précédents plans cancers

Faisons une revue de ce qui a été concocté antérieurement dans les différents plans-cancer successifs, en suivant l'évolution du cancer du poumon et celui du sein.[8]

1°Plan 2003-2007[9]

Libellé

"Le Plan a permis de faire reculer la consommation de tabac, grâce à une stratégie complète de lutte contre le tabagisme associant l'augmentation des prix, l'interdiction de la vente aux moins de 16 ans, des campagnes d'information et des actions ciblées vers les jeunes et les femmes et le développement des aides à l'arrêt du tabac."
"Le programme de dépistage organisé du cancer du sein a été généralisé en 2004 tandis que le programme de dépistage organisé du cancer colorectal faisait l'objet d'une expérimentation de 2002 à 2007 dans 23 départements pilotes."

Résultat épidémiologiques des années 2000

  • Poumon (Rapport Remontet 2013 page 79[10])

"L’incidence du cancer du poumon augmente de façon constante au cours des deux dernières décennies. Cette évolution est plus marquée chez la femme, même si l’incidence comme la mortalité restent beaucoup plus élevées chez l’homme. ... Dans le même temps, la mortalité suit une tendance identique.... Le nombre de décès passe de 15 473 à 22 649 chez l’homme et de 1 997 à 4 515 chez la femme."

Page 84 tableaux 5 et 6

  • Sein (Page 99 du rapport)


"L’incidence du cancer du sein a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies. Entre 1978 et 2000, le taux annuel moyen d’évolution de l’incidence est de +2,42 %. Le nombre de nouveaux cas a pratiquement doublé en 20 ans, puisqu’il est passé de 21 211 cas en 1980 à 41 845 cas en 2000.
Dans le même temps, la mortalité est restée stable (légère augmentation annuelle de 0,42 %). Le nombre de décès est passé de 8 629 en 1980 à 11 637 en 2000."

Tableau 5 page 104

  • Au total : Quelles déductions s'imposent à l'examen de ces données ?

    Duperray note[11] : "Pour le sein et la prostate, on observe une mortalité stable et une incidence qui s’envole suivant l’intensité du dépistage, alors que pour le cancer du poumon qui ne fait pas l’objet d’un dépistage systématique, le nombre de décès est proportionnel à celui des diagnostics. L’incidence du cancer du poumon augmente parallèlement à la cause réelle de la maladie, la consommation de tabac."

Tableau page 155

En effet pour les cancers dépistés comme sein et prostate, le surdiagnostic généré par le dépistage en s'intensifiant fait s'envoler l'incidence des cancers en 2005, sans répercussion sur la mortalité qui reste comparable à celle des années précédentes sans dépistage. Par comparaison, le cancer du poumon qui ne bénéficie d’aucun dépistage, montre un taux comparable de décès et de diagnostic.

Dans ce graphique on voit que le taux des cancers graves reste inchangé, alors qu'il était censé diminuer avec l’instauration du dépistage. (figure 9 du livre , page 121).

L'enthousiasme débridé et idéologique du dépistage, malgré les mises en gardes émergentes de lanceurs d'alerte dès 2000, rend ce fait inaudible et pousse à la poursuite des programmes, surtout devant la participation décevante des femmes.

2° Plan 2009-2013 [12] [13]

Libellé

P.56 :" Les actions menées n’ont pas permis de faire progresser la participation aux programmes de dépistage organisé du cancer du sein et du cancer colorectal. Les campagnes d’information et de mobilisation « Octobre rose » et « Mars bleu » ont été renouvelées chaque année en adaptant les messages. ... La participation aux programmes de dépistage organisé ne progresse pas tant pour le cancer du sein (taux de participation national de 52,7 % en 2012, pour une cible de 65 % fixée par le Plan) que pour le cancer colorectal (31,7 % en 2012 pour une cible de 60 %)."

Devant ce constat il apparaît alors importants aux technocrates de la santé d'intensifier la participation comme on peut le lire dans les pages suivantes ; ainsi les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) sont de maintenir le cap du dépistage organisé tout en renforçant les conditions permettant aux femmes, qui ne présentent pas un haut risque de développer un cancer du sein, de limiter les pratiques du dépistage individuel. (page 81 du rapport).

Sur le volet tabagisme, le rapport constate, page 47 :

Ainsi, si 76 % des enquêtés jugent « certains » les risques liés au tabagisme, la prévalence du tabac est encore de 32 % parmi les 15-85 ans. Soixante-cinq pour cent des personnes interrogées continuent par ailleurs de penser que « respirer l’air des villes est aussi mauvais pour la santé que de fumer des cigarettes."

Résultats des données épidémiologiques

  • Poumon

On peut lire dans le rapport Remontet [14]sur incidence et mortalité des tumeurs solides, page 176 "L'incidence et la mortalité du cancer du poumon sont encore deux fois plus élevées chez l’homme que chez la femme en 2018."

Le rapport écrit :

"L’évolution de la mortalité du cancer du poumon est quant à elle étroitement liée à l’évolution de l’incidence dans les deux sexes et pour tous les âges...La mortalité est toujours en augmentation chez les femmes pour tous les âges et de façon plus importante pour celles de 50-60 ans"

  • Sein

Rapport Remontet Page 204 tableaux 4 et 5

Rapportée à l'incidence on note une légère inflexion de la mortalité spécifique par cancer du sein, mais cela, comme on le voit ci-dessous, s'opère dès les années 90, donc bien avant la généralisation du dépistage, et ne peut lui être attribuée.

Le rapport dit ceci (page 207): "La mise en place d’un dépistage organisé s’accompagne habituellement d’une augmentation temporaire de l’incidence et d’une part de surdiagnostic (cancer qui n’aurait pas évolué avant le décès du patient et qui concerne davantage les cancers in situ non pris en compte dans cette étude)."

Concernant la mortalité le rapport affirme :

"Une diminution du taux de mortalité est observée depuis le milieu des années 1990, en lien avec des progrès thérapeutiques majeurs (hormonothérapie, taxanes, traitements ciblés adaptés au profil moléculaire de la tumeur) et avec une augmentation de la proportion de cancers diagnostiqués à un stade précoce, notamment grâce au dépistage. "

Mais ce dernier point est fortement contesté par plusieurs chercheurs internationaux qui objectent que le surdiagnostic augmente avec toujours plus de dépistage de façon quasi proportionnelle[15] .

D'autres suggèrent que les dépistage pourrait être pourvoyeur d'une surmortalité non comptabilisée du fait des effets du surtraitement.[16] Un fait troublant : il n'y a pas de différence constatée entre les groupes de femmes dépistées et non dépistées.[17] Et en tous cas la mortalité toutes causes confondues n'est pas réduite.

  • Au total : En regardant et en comparant la globalité des données sur le cancer du poumon et celles du sein, on constate donc que la consommation de tabac, première cause de décès lié au cancer en France, n’a pas diminué et qu'elle contribue aux inégalités, en progressant chez les femmes et parmi les chômeurs. On voit clairement que les mesures d'interdiction de vente des cigarettes aux mineurs de moins de 18 ans et les avertissements graphiques sur les paquets sont largement insuffisantes.
    Pendant ce temps, malgré l'observation d'une augmentation flagrante de l'incidence du cancer du sein toujours sans retentissement massif sur la mortalité, ce qu'on attend d'un dépistage réussi*, les campagnes d'octobre rose pour sensibiliser et inciter au dépistage du cancer du sein vont bon train et sans lésiner sur les moyens (illuminations des villes, courses organisées par les communes, placardages de slogans), sans aucune remise en cause ni réflexion sur le surtraitement généré en population.

*PS : (Lorsqu'on a une discordance aussi marquée entre une incidence (nombre de nouveaux cas) augmentant et une mortalité que ne chute pas dans les mêmes proportions, alors cette inflation des cas est attribuable à une seule chose : l'activité débridée du dépistage).

Encore une fois on peut constater que malgré la débauche de moyens mis en oeuvre pour les campagnes d'octobre rose, la mortalité par cancer du sein, surtout féminine, ne fait que croître.
Et le tabagisme à lui seul tue plus que les cancers du sein et de la prostate réunis ![18]

La lutte contre le tabagisme n’est visiblement pas à la hauteur des intentions affichées, sans doute parce que le tabac rapporte beaucoup sous forme de taxes[19]. Il est clair qu'en mettant l’accent sur l’intensification des dépistages on fait oublier que la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme n’est pas à la hauteur de ce qui serait possible si les politiques, au lieu de ménager les lobbies, souhaitaient réellement faire baisser les cancers.

3° Plan 2014-2019[20] [21]

Ce plan-là a mis l’accent sur le fait de faciliter l'accès des femmes les plus éloignées et par tous les moyens, au dépistage du cancer du sein.

Les femmes facilement accessibles, elles paraissaient récalcitrantes à ce dépistage, les autorités décidèrent qu’il fallait stimuler des femmes d'ordinaire peu sollicitées ou géographiquement inaccessibles à y participer.

Libellés, les ides ne manquent pas :

-Mettre en place des formations-actions régionales de femmes relais pour relayer la sensibilisation au dépistage des cancers (dépistage organisé du cancer du sein) en direction des  femmes en précarité (partenariat avec IREPS2 ) (Picardie) 

-favoriser l’accès au dépistage des femmes les plus éloignées du dépistage en organisant la prise en charge des frais de transport pour une mammographie à Cayenne (Guyane) et lutter contre les inégalités d’accès et de recours (Martinique). »

-Réaliser des états des lieux de l'accès au dépistage organisé du cancer du sein des personnes handicapées dans les établissements sociaux et médico-sociaux (Franche-Comté). 
-faciliter l’accès au dépistage des personnes détenues en sensibilisant les équipes des Unités de consultations et de soins ambulatoires (Océan Indien)

Pages 72 et 74:

«  l’objectif d’un taux de couverture du dépistage organisé ou spontané du cancer du sein des femmes de 50-74 ans de 75% au 31/12/2018» « accroître l’efficacité des programmes de dépistage organisé du cancer du sein »

Il faut accroître l'adhésion des femmes, toujours et encore ; ce plan cancer 2014-2019 n’aborde que le côté technocratique du dispositif et anticipe dans ses termes ce que les hautes instances ont envie de promouvoir, au mépris de l’information à laquelle la population féminine a droit et qu'elle a réclamée entre temps lors de la concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein et ses méfaits[22]. Il s'agit de maintenir ce programme de dépistage sur les rails fixés en 2013, dirigé vers des objectifs quinquennaux intangibles.

Résultats épidémiologiques

En 2017(voir sur le site officiel de l'INVS), en France, parmi les causes de décès par cancer chez la femme, le cancer du sein, responsable de 11 883 décès vient en tête, suivi du cancer du poumon (10 176 décès) puis du cancer colo-rectal (8 390 décès).

4°-Plan 2021-2030

Ce plan-là semble s'inscrire dans le grand plan européen censé élargir la participation des populations européennes au maximum à divers dépistages, au mépris de nombreux scientifiques demandant une information accrue sur la balance bénéfice-risques de ces dispositifs de santé.
L'objectif étant qu'à l'horizon 2025, 90% de la population de l'UE participe aux dépistages du cancer du sein, de la prostate, du col de l'utérus et du cancer colo-rectal.

Dans le nouveau plan décennal français 2021-2030 on peut lire (https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030):

L’amélioration de l’accès au dépistage sera renforcée.

"Il s’agira de mieux connaître les déterminants de la réticence aux dépistages et de simplifier l’accès au dépistage (commande directe, professionnels de santé diversifiés, équipes mobiles notamment). Des approches seront développées, proposant un dépistage après une intervention de prévention ou de soins non programmés. Des partenariats seront envisagés, par exemple avec des associations d’aide alimentaire, pour réaliser des opérations de sensibilisation, notamment auprès des plus précaires. Les professionnels de santé, médico-sociaux et sociaux seront dotés d’outils d’information de premier contact et des applications mobiles délivrant des informations et des rappels seront développées. Des incitatifs matériels seront expérimentés pour faciliter la participation des personnes au dépistage. Enfin, les bornes d’âge du dépistage seront requestionnées."

Les incitatifs pécuniers dont on parle dans le texte permettent de recruter notamment les plus faibles économiquement, là aussi au mépris de toute information médicale, ce qui a été dénoncé dans un article du BMJ, dont une des auteurs est une citoyenne française

Au total

Le constat est encore sans appel : En France, le recul de la mortalité spécifique (par cancer du sein) n'est pas significatif, en dépit du fait qu’on a fait du cancer du sein une priorité de santé publique et qu’on lui a consacré plus de moyens qu’à d’autres pathologies.

La mortalité par cancer du poumon, quant à elle, reste une préoccupation importante, notamment chez les jeunes auquel le plan actuel veut s'emparer, à nouveau...

Les plans se sont succédés, et aucun problème n'a été réglé : le tabagisme poursuit ses ravages, et les cas de cancers du sein ont grimpé à 54 000/ans de façon inquiétante avec un surdiagnostic reconnu par les autorités certes, mais largement minimisé et paraissant, pour ces autorités, ne remettre en aucune façon en question nos pratiques médicales, alors qu'on enregistre toujours, malgré le dépistage organisé, entre 11000 et 12000 décès/an, ce chiffre étant stable depuis 1996[23].

Remarques annexes avant de conclure

1°L'image d'illustration de l'article du Monde en ligne est une situation de dépistage du cancer de la peau.


Nous relayons ici un intéressant podcast [24]en anglais, sur le surdiagnostic du mélanome, tumeur cutanée cancéreuse.

Le constat de Dr. Adewole Adamson est affolant : pas de réduction de mortalité et un surdiagnostic massif en raison du fait que les seuils de tolérance des dermatologues et des anatomo-pathologistes s'abaissent devant les lésions cutanées.

Les premiers demandent de plus en plus et de plus en plus vite des prises en charge avec biopsies, les seconds préférent "upgrader" leur diagnostic des lésions examinées sous microscope ( c’est à dire dans le doute classer comme malignes des lésions simplement douteuses et qu'on pourrait seulement surveiller ), donnant lieu à une apparente épidémie de mélanomes avec d'autant plus de "survivors" artificiels.

Le cercle vicieux est sans fin, incitant patients et médecins à faire de plus en plus d'examens cutanés de routine.

2°spécifiquement sur le cancer du sein

Nous lisons dans le 6ème rapport au président de la République publié au mois de mars 2020  par l'INCa, page 7, prélude au plan cancer 2021/2025 présenté le 4 février 2021[25]:

Un renforcement de la qualité du dépistage organisé du cancer du sein.

« En termes d’organisation, en vertu d’un arrêté publié le 22 février 2019, seules les installations de mammographie numérique sont désormais autorisées dans le programme. L’arrêté confirme que le radiologue, premier lecteur, analyse obligatoirement les clichés sur une console d’interprétation. »

En reprenant les aménagements imposés aux radiologues tout au long de l'histoire du dépistage, il est flagrant de constater à quel point les décideurs ont délibérément opté pour l'amélioration de la forme, mais jamais pour la remise en question du fond -même de ce dispositif.
Au cours de ma carrière de radiologue, et depuis les années 90 j'ai ainsi assisté au passage de deux clichés par sein à trois, pour pallier au problème des cancers d'intervalles, survenant entre deux mammographies et échappant au dépistage.

Puis nous avons dû compléter ce "mammotest" par l'adjonction de l'échographie et de l'examen clinique. Nous sommes donc passés, devant la défaillance de la méthode, bel et bien d'un "test" à un examen finalement individuel !

Ensuite nous avons assisté à l'avènement de la mammographie numérique, technologie d'abord coexistant avec la mammographie analogique selon les cabinets de radiologie, et à présent imposée à tous.

Nul doute que nous ne tarderons pas à voir arriver la tomosynthèse[26] [27], hautement irradiante et souvent réalisée en complément des mammographies à l'insu de la patiente dans certains cabinets, avec une perspective de l'envolée des fausses alertes et des surdiagnostics.

Le soutien d’une étude expérimentant un dépistage personnalisé du cancer du sein.

« Une expérimentation internationale de dépistage ciblé du cancer du sein a été initiée. Soutenue par l’Institut national du cancer, la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer et la Ligue contre le cancer, et financée par l’Union européenne, l’étude MyPeBS (My Personal Breast Screening) entend évaluer si un dépistage personnalisé du cancer du sein pourrait être une meilleure option de dépistage pour les femmes de 40 à 70 ans. »

Meilleure preuve de la faillite du dépistage actuel : à présent on essaie un dépistage "individualisé", véritable piège pour les femmes notamment des tranches d'âge jeunes, puisque, si jugées à risque, elles auront des mammographies pouvant être annuelles et dès 40 ans....

Quelle meilleure façon, par le biais d'une étude d'un montage autant hermétique que pernicieux[28], d'étendre le dépistage à des catégories d'âges jusqu'à présent non concernés en raison d'une balance bénéfice-risques avérée néfaste pour ces femmes jeunes.

Voilà les "améliorations" continuelles apportées au dépistage du cancer du sein, véritable course absurde en lieu et place d'une interrogation de fond, à savoir repenser la pertinence fondamentale des dépistages.[29]

Mentionnons encore l'édition de la "feuille de route 2021-2030" concernant la "STRATÉGIE DÉCENNALE DE LUTTE CONTRE LES CANCERS 2021-2030", où on peut lire, page 20, une proposition d'incitation financière des femmes pour augmenter leur participation, revenant de façon décomplexée à une sorte d'achat du consentement des femmes : "Expérimenter des incitatifs matériels pour faciliter la participation des personnes au dépistage (action I.12.7)".

3°Concernant le cancer de la prostate[30],

nous avions évoqué déjà le problème du surdiagnostic, et avions également parlé de celui de la thyroïde [31], ce dernier avec un impact préférentiellement sur la vie des femmes.

Surprenant de lire dans l'article du Monde " Autre enjeu : accentuer les recherches pour trouver de nouveaux dépistages, notamment vis-à-vis des cancers du poumon ou de la prostate."

Un nouveau dépistage pour la prostate ? C'est bien que l'ancien n'était effectivement pas bien brillant en matière d'efficacité....

Et comme les questions critiques ne sont posées dans aucun média, l'information médicale peut sans vergogne se poursuivre au travers de l'émission "stars à nu", où des stars se déshabillent pour "sensibiliser" aux dépistages et pour la "bonne cause", sans aucun respect des données scientifiques.

La présentatrice, Mme Sublet, affirme en interview dans une minauderie de modestie feinte que son émission est "d'utilité publique"[32].
L'année dernière, dans la semaine qui a suivi l'émission, nos consultations en radiologie ont été littéralement assaillies de jeunes hommes découvrant des "boules" dans leurs bourses (absolument véridique), et de jeunes femmes en larmes ayant décelé elles aussi diverses tuméfactions dans leur poitrine.

Aucun diagnostic n'a été établi, toutes ces personnes étaient saines bien heureusement. Toute cette effervescence inutile a bien mobilisé le temps-médecin déjà compté, au détriment d'une patientèle réellement nécessiteuse de soins.

Conclusion :

Une planification « soviétique » qui se moque des données scientifiques

Il n'est nullement question d'informer mieux les femmes ou de diminuer les dépistages, nous retrouvons encore et toujours des objectifs fixés à l'avance, pré-décidés, échafaudés dans la tête de technocrates centrés sur un inventaire de chiffrages à atteindre.

On constate les malheureux résultats de la défaillance en matière de véritables campagnes de prévention (tabac, alcool, obésité), avec des cancers du poumon en augmentation inexorable et des décès en parallèle.     

Pourquoi n'a-t-on pas privilégié l'éducation à la santé avec de véritables campagnes d'envergure au lieu d'une débauche de moyens pour valoriser des dépistages dont la plupart, il faut bien en convenir, n'ont aucun retentissement perceptible sur la mortalité globale, et au contraire entraînent des surdiagnostics dans des populations saines, les plongeant dans des situations inutiles de malades ?

Pourquoi ?

Dans un billet d'humeur Annette Lexa, toxicologue donne des pistes[33] :

  • " les conduites destructrices ont longtemps été valorisées ;
  • l’hygiène et la prévention sont supposées ne pas être hédonistes ;
  • le champ du curatif est économiquement plus intéressant ;
  • les cancers professionnels continuent d’être négligés et minimisés par les caisses de santé elles-mêmes (CPAM,MSA) obligeant à des procédures longues, improbables et coûteuses ;
  • la société, si prompte pourtant à contrôler ses citoyens lorsque le système politico-économique est en danger, prétend craindre que cela s’apparente à de la réduction des « libertés » individuelles (libertés de fumer, de boire…) ;
  • tabac, alcool, aliments industriels marketés par la publicité rapportent énormément en TVA ;
  • la pilule contraceptive, symbole d’émancipation féminine, pourtant cancerogène avéré par l’IARC (http://www.cancer-environnement.fr/479-Classification-par-localisations-cancereuses.ce.aspx#Seins) et perturbateur endocrinien est encore et toujours présentée comme le moyen de contraception le plus populaire tout en minimisant savamment les effets indésirables, tant l’enjeu collectif sur la sexualité est majeur.
  • Combien de jeunes femmes achètent des cosmétiques « bio » garantis sans bisphénol A et sans parabène supposé cancérogène tout en prenant la pilule et fumant ? Nos sociétés modernes n’ont pas su réinventer de rituel de passage à l’âge adulte, enfermant ses adolescents dans des conduites à risque (addiction au tabac, à l’alcool, aux drogues, banalisation et précocité des pratiques sexuelles à risque...) .

Enfin, le marketing opportuniste visant à développer une connivence avec les femmes (cosmétiques, mutuelles, professionnels de l’e-santé, évènements « sportifs ») symbolise à lui seul le pouvoir de manipulation et de désinformation ainsi que le cynisme d’une société toute entière affairée à développer les affaires en se donnant une caution vertueuse et même parfois pensant sincèrement réparer maladroitement les dégâts qu’elle a elle-même créés, alors qu’elle devrait mettre toute son énergie (moins rentable certes) dans la prévention des cancers et fournir à chacun dès le plus jeune âge les clés d’une vie et d’une santé optimales."

Enfin, ce nouveau plan cancer a été élaboré sous l'égide de l'industrie pharmaceutique.

Et c'est notre collègue le Dr Gourmelon qui explique :

"Ce qui frappe d’emblée, dans les deux documents de presse, outre les moyens mis en œuvre, c’est la place que les « lobbys » du cancer ont prise dans le groupe prospectif qui a élaboré auprès du Pr IFRAH, les 220 propositions. (Voir l’annexe 3 du dossier de presse de 29 pages).  Dans ce petit groupe de 24 personnes, on trouve le représentant des entreprises du médicament Mr Eric Baseilhac. Il s’agit du directeur des affaires économiques."

Article complet disponible ici : https://cancer-rose.fr/2020/12/15/inca-une-consultation-citoyenne-pourquoi/

En gros, les objectifs varient peu, les données épidémiologiques non plus, démontrant l'inanité de ces grands plans invariables de quinquennat en quinquennat, d'un président à l'autre.

A la fin il ne reste que les causes faciles et démagogiques, donnant l'illusion de "faire", d'empoigner les problèmes, au grand bonheur des firmes et de leurs "innovations".

Lire ici : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_342
".....faire en sorte que 90 % de la population de l'Union remplissant les conditions requises pour le dépistage du cancer du sein, du col de l'utérus et du cancer colorectal se voient proposer un dépistage d'ici à 2025. Pour y parvenir, un nouveau programme de dépistage du cancer cofinancé par l'Union sera proposé.

En outre, pour soutenir les nouvelles technologies, la recherche et l'innovation, un nouveau Centre de connaissances sur le cancer sera fondé afin de contribuer à la coordination des initiatives scientifiques et techniques liées au cancer à l'échelle de l'Union. Une «initiative européenne en matière d'imagerie sur le cancer» sera mise en place pour soutenir le développement de nouveaux outils assistés par ordinateur afin d'améliorer la médecine personnalisée et les solutions innovantes."

Références


[1] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/04/une-nouvelle-strategie-nationale-pour-faire-reculer-le-cancer_6068728_3244.html

[2] https://www.e-cancer.fr/Presse/Dossiers-et-communiques-de-presse/L-Institut-national-du-cancer-publie-le-dernier-rapport-annuel-au-president-de-la-Republique-du-Plan-cancer-3-et-precise-les-echeances-de-la-strategie-decennale-de-lutte-contre-le-cancer

[3] https://www.roche.fr/fr/pharma/cancer/depistage-cancers-france.html

[4] https://consultation-cancer.fr/project/axe-1-ameliorer-la-prevention/consultation/consultation

[5] https://cancer-rose.fr/2020/12/15/inca-une-consultation-citoyenne-pourquoi/

[6] https://cancer-rose.fr/2020/12/17/la-concertation-citoyenne-de-linca-sur-le-futur-plan-cancer-une-mascarade/

[7] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf

[8] https://www.e-cancer.fr/Plan-cancer/Les-Plans-cancer-de-2003-a-2013

[9] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/02/Plan_cancer_2003-2007_MILC.pdf

[10] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-colon-rectum/documents/rapport-synthese/evolution-de-l-incidence-et-de-la-mortalite-par-cancer-en-france-de-1978-a-2000

[11] B.Duperray "le dépistage du cancer du sein, la grande illusion" Ed Thierry Souccar, page 155

[12] https://www.e-cancer.fr/Plan-cancer/Les-Plans-cancer-de-2003-a-2013/Le-Plan-cancer-2009-2013

[13] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/02/2009-2013.pdf

[14] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-sein/documents/rapport-synthese/estimations-nationales-de-l-incidence-et-de-la-mortalite-par-cancer-en-france-metropolitaine-entre-1990-et-2018-volume-1-tumeurs-solides-etud

[15] https://cancer-rose.fr/2015/07/06/analyse-etude-jama/

[16] https://cancer-rose.fr/2019/08/08/synthese-detudes-un-exces-de-mortalite-imputable-aux-traitements-lemportant-sur-le-benefice-du-depistage/

[17] https://cancer-rose.fr/2016/11/20/etude-miller/

[18] http://www.unicancer.fr/le-groupe-unicancer/les-chiffres-cles/les-chiffres-du-cancer-en-france#:~:text=Cancer%20colorectal%20%3A%209%20294%20d%C3%A9c%C3%A8s,la%20prostate%20%3A%208%20207%20d%C3%A9c%C3%A8s

[19] https://www.who.int/tobacco/economics/taxation/fr/

[20] https://cancer-rose.fr/2016/10/10/a-propos-du-plan-cancer-2014-2019/

[21] https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Plan-Cancer-2014-2019

[22] https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/

[23] https://cancer-rose.fr/2016/07/30/mortalite-donnees-de-la-base-cepidc-de-1996-a-2012/

[24] Podcast dermato https://www.youtube.com/watch?v=068KMIe-gys&feature=emb_logo

[25] https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Sixieme-rapport-au-president-de-la-Republique-Mars-2020

[26] https://cancer-rose.fr/2019/11/28/avis-de-la-haute-autorite-de-sante-sur-la-performance-de-la-mammographie-par-tomosynthese-dans-le-depistage-organise/

[27] https://cancer-rose.fr/2019/03/09/association-de-la-tomosynthese-versus-mammographie-numerique-dans-la-detection-des-cancers/

[28] https://cancer-rose.fr/my-pebs/

[29] l'étude dont on rêvait : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/03/09/letude-dont-on-re%cc%82vait/

[30] https://cancer-rose.fr/2017/01/05/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/

[31] https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/

[32] https://m.youtube.com/watch?v=7NQOTNDeM1c

[33] https://cancer-rose.fr/2016/11/05/la-vraie-prevention-parent-pauvre-du-plan-de-lutte-contre-le-cancer-du-sein/

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