Introduction
Le document présenté est une vision de la santé sous différents aspects par l'analyse d'éléments présents dans de très nombreux pays dans le monde, pas seulement ceux faisant partie de l’OCDE.
« Le cancer est la deuxième cause de mortalité dans les pays de l’OCDE, après les maladies circulatoires ; il a été à l’origine de 25 % des décès en 2015, contre 15% en 1960. Dans plusieurs pays, comme le Danemark, la France, le Japon, les Pays-Bas, le Canada, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Belgique et l’Australie, le taux de mortalités par cancer est supérieur à celui des maladies circulatoires. La part croissante des décès par cancer tient au fait que les taux de mortalité dus à d’autres causes, aux maladies circulatoires notamment, reculent plus rapidement que ceux du cancer. »(page 62, premier pavé)
Il est à noter que dès le début de ce rapport, la baisse de la mortalité est affirmée comme étant liée aux diagnostics précoces qui sont la conséquence de politiques de dépistage mises en place.
« Le cancer du sein est la deuxième cause de mortalité par cancer chez les femmes dans de nombreux pays de l’OCDE. Bien que son incidence ait augmenté au cours de la dernière décennie, la mortalité a diminué dans la plupart des pays grâce aux diagnostics plus précoces et à l’amélioration des traitements. »(page 62, 7ème pavé)
Cette affirmation, pour le moins « péremptoire » montre donc un parti pris des auteurs.
Cas du cancer de la prostate
A propos du cancer de la prostate :
« Les taux de mortalité par cancer de la prostate ont diminué dans certains pays de l’OCDE sous l’effet de la détection précoce et de l’amélioration des traitements »(fin page 70 du document de référence).
Or la Haute Autorité de Santé, dès 2012, ne recommande plus le dépistage ; " la HAS a confirmé sa non-recommandation du dépistage systématique du cancer de la prostate en population générale comme dans les populations à haut risque sur les éléments suivants etc.." [i]
Il en est de même des autorités américaines et canadiennes. [ii]
Comment les auteurs de ce rapport peuvent-ils affirmer que le dépistage précoce a diminué grâce au dépistage quand cela contrevient aux recommandations d’autorités qui ont étudié en détail cette problématique.
La croyance contre les faits scientifique est sans doute la réponse à cette interrogation.
Cas du cancer du sein
Il est clair que le cancer du sein, de par sa fréquence est un réel problème de santé publique :
« Les plus courants sont le cancer du sein (12.9 % des nouveaux cas de cancer) et de la prostate (12.8 %), suivis du cancer du poumon (12.3 %) et du cancer colorectal (11.9 %). Ces quatre cancers représentent la moitié de la charge de morbidité estimée du cancer dans les pays de l’OCDE (Ferlay et al., 2014). » (page 70, premier pavé)
Un peu plus loin sur la même page :
« La variation de l’incidence du cancer du sein d’un pays de l’OCDE à l’autre serait imputable, en partie tout au moins, à la diversité de la couverture et des méthodes de dépistage. Bien que les taux de mortalité par cancer du sein aient diminué dans la plupart des pays de l’OCDE depuis les années 1990 grâce à des diagnostics plus précoces et à une amélioration des traitements, ce cancer demeure l’une des premières causes de décès par cancer chez les femmes »(page 70, moitié du 4ème pavé).
A nouveau est ici affirmé que le dépistage et les diagnostics précoces sont une des causes de la baisse de mortalité par cancer du sein.
Venons-en à présent au chapitre spécifiquement consacré au cancer du sein, dès page 128.
« Le cancer du sein est la forme de cancer la plus fréquente chez les femmes dans les pays de l’OCDE, à la fois en terme d’incidence et de prévalence. Une femme sur neuf souffrira d’un cancer du sein à un moment ou à un autre de sa vie. Les facteurs qui augmentent les risques de développer cette maladie sont l’âge, les antécédents familiaux de cancer du sein, la prédisposition génétique, les facteurs de reproduction, une œstrogénothérapie substitutive et l’hygiène de vie, y compris l’obésité, le manque d’activité physique, le régime alimentaire et la consommation d’alcool. » (page 128 du document de référence)
Il est peu contestable que le cancer du sein est la forme la plus fréquente de cancer chez la femme.
Par contre l’affirmation qu’une femme sur 9 souffrira d’un cancer du sein dans sa vie, occulte complètement le surdiagnostic dû aux politiques de dépistage par mammographie.
La fréquence du cancer du sein fait la part belle au surdiagnostic et il est impossible de savoir dans le nombre de cancers du sein diagnostiqués ceux qui en étaient des « vrais ». D’où le problème de définition de cancer du sein.
Aujourd’hui c’est l’analyse anatomopathologique qui fait le cancer alors que l’anatomopathologiste est encore aujourd’hui incapable de dire si les cellules cancéreuses qu’il voit au microscope vont ou non tuer la femme.
Dire qu’une femme sur neuf sera confrontée au cancer du sein est une présentation trompeuse, ce risque étant un risque cumulé tous âges confondus, calculé sur une population fictive en fonction des risques observés en 2012. Or il convient de considérer ce risque selon la tranche d’âge. Avec un suivi de 20 années, pour une femme de 40 ans ce risque est de 4%, pour une femme de 60 ans il est de 6%.(
Le surdiagnostic est malgré tout évoqué un peu plus loin :
« La plupart des pays de l’OCDE ont mis en place des programmes de dépistage du cancer du sein qu’ils considèrent efficaces pour détecter la maladie à un stade précoce (OCDE, 2013). Or, en raison de l’amélioration récente des résultats des traitements et des inquiétudes relatives aux
résultats faux positifs, au surdiagnostic et aux traitements excessifs, les recommandations en matière de dépistage du cancer du sein ont été réévaluées ces dernières années. Au vu des conclusions des études récentes l’OMS préconise l’organisation d’un dépistage par mammographie parmi la population concernée si les femmes sont en mesure de prendre une décision éclairée après avoir pesé les avantages et les risques associés à cet examen (OMS, 2014). » (page 128, deuxième pavé)
Il est intéressant de noter qu’ici, à la différence des pages précédentes, que l’efficacité du dépistage du cancer du sein n’est pas affirmée.
De plus, il est mis en avant la nécessité de l’information éclairée des femmes, information éclairée qui n’est toujours pas assurée en France comme l’a montré notre dernière analyse du livret de l’ INCA sur le sujet.[iii]
Qu’en est-il des indicateurs retenus ?
Dès le début de ce document, les auteurs affirment se baser sur des indicateurs pertinents dans l’élaboration de leurs analyses. Ils écrivent :
« Un jeu de quatre à cinq indicateurs pertinents est présenté pour chacune de ces composantes, sous la forme de vues d’ensemble des pays de l’OCDE et de tableaux de bord nationaux. »(page 19)
Or à propos du cancer du sein, un des indicateurs présentés est le taux de survie :
« Le taux de survie au cancer du sein est signe d’un diagnostic précoce et de traitements améliorés. »(page 128, 4ème pavé)
Le taux de survie est défini ici : « La survie nette à cinq ans est la probabilité cumulée que les patients atteints de cancer survivent à leur cancer pendant au moins cinq ans, après avoir contrôlé les risques de décès dus à d’autres causes. »(page 128, encart gris, deuxième pavé)
Or le taux de survie est un mauvais indicateur car il fait la part belle au surdiagnostic en ignorant le biais d’avance au diagnostic [iv] dans le cas des cancers qui bénéficie d’un programme de dépistage précoce.
Sachant le problème de ce biais d’avance au diagnostic, comment les auteurs de ce panorama peuvent-ils écrire ceci :
« Au cours des 10 dernières années, le taux de survie net à cinq ans des femmes atteintes d’un cancer du sein a augmenté dans les pays de l’OCDE. Il a considérablement progressé dans certains pays d’Europe centrale et orientale, comme l’Estonie et la République tchèque, la survie après un diagnostic de cancer du sein y demeurant toutefois inférieure à la moyenne de l’OCDE. Il est possible que ces progrès soient liés au renforcement de la gouvernance des soins d’oncologie dans ces pays. La République tchèque a par exemple intensifié ses efforts en vue de s’attaquer au fléau du cancer du sein par la mise en place d’un programme de dépistage et un programme national de lutte contre le cancer au début des années 2000
(OCDE, 2014).(page 128, cinquième pavé)
Qu'en est-il des taux de mortalité selon les pays ?
On laisse croire que si la République Tchèque a vu le taux de survie des cancers du sein à 5 ans progresser, c’est grâce à la mise en place d’un programme de dépistage.
« Les taux de mortalité, pour leur part, ont reculé dans la plupart des pays de l’OCDE au cours de la décennie écoulée (graphique 6.35). Ce repli tient aux progrès en matière de dépistage et de traitement précoces du cancer du sein. Des avancées substantielles sont observées en République tchèque et au Danemark, où la mortalité a reculé de plus de 20 % en 10 ans, le Danemark continuant toutefois d’afficher l’un des taux les plus élevés.
Par contre, le taux de mortalité du cancer du sein a augmenté de plus de 10 % en Islande et en Corée au cours de la dernière décennie.
L’Islande enregistre le taux le plus haut de l’OCDE, alors que celui de la Corée reste le plus bas. »(page 128, sixième pavé).
la République Tchèque semble le pays exemplaire car le dépistage a progressé de 30 % à 61,5 % et dans le même temps la mortalité est passée de 33 % environ à 23,3 %
Mais ce magnifique exemple ne saurait faire oublier d’autres pays.
Par exemple en Corée entre 2005 et 2015 le taux de dépistage a passé de 25 % environ à 66,8 % soit la progression la plus importante et dans le même temps la mortalité a augmenté même si elle est parmi la plus faible.
En Islande, la mortalité était de 27 % en 2005 elle est aujourd’hui de 31,5 % alors que le dépistage est quasi stable à 59 %.
La mortalité a progressé en Slovaquie alors que le dépistage y est stable à 75 %
La mortalité progresse aussi en Lettonie malgré l’amélioration du dépistage et c’est aussi le cas au Mexique et au Japon.
Le seul indicateur dont tout le monde reconnaît la pertinence, est le taux de mortalité. Nous allons rechercher la relation entre taux de mortalité et dépistage dans la deuxième partie de cet article.
[i] https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-07/referentieleps_format2clic_kc_prostate_vfinale.pdf - 6eFormat2clic_KC Col prostate-040814.indd%3AAccueil-Fondements scientifiques-p30%3A1375page 30
[ii] https://screeningforprostatecancer.org/wp-content/uploads/2017/03/temp-Prostate-Cancer-Draft-RS_Final-for-Web_3.24.171.pdf
[iii] https://www.cancer-rose.fr/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/
[iv] Biais du temps d’avance au diagnostic et biais de sélection des cancers les plus favorables
http://www.minerva-ebm.be/fr/article/146