Etude Miller

L’étude de Miller sortie en 2014 est une étude comparative randomisée, ce qui correspond à un critère de qualité le plus élevé des études sur populations. On analyse les données de groupes dont les sujets sont tirés au sort et ensuite comparés.

Ici, l’étude porte sur 90 000 femmes, 45 000 avec dépistage, 45 000 sans dépistage. En fait les essais (NBSS 1 et 2 , National Breast screening studys ) avaient été réalisés au Canada dans les années 80 avec des femmes dépistées tous les ans pendant 5 ans avec mammographie et examen clinique annuels, et ensuite elles bénéficiaient d’un suivi de 10 ans. Ici Miller propose une réévaluation après 25 années de suivi de ces deux groupes.

Quelles sont les conclusions ?

1°-pas de différence de mortalité entre les deux groupes (mortalité= nombre de décès rapporté au rapporté au nombre total de personnes dépistées)

2° les taux de survie sont identiques, quel que soit le stade de la tumeur (survie = nombre de décès rapporté au nombre de cancers diagnostiqués)

3° 22% de surdiagnostics

4° pas de différence entre les deux groupes du taux des cancers fatals.

Plus précisément, Miller trouve 22 % de surdiagnostics  soit 1 surdiagnostic (et donc un surtraitement) pour 424 femmes détectées, et cela pour un bénéfice nul quant à la mortalité par cancer.

Les critiques qui ont été opposées à Miller ont été variées. On arguait tout d’abord qu’il y aurait pu avoir une contamination des deux groupes en raison de la longueur du suivi. En effet, certains suivis s’arrêtent au bout de 7 à 10 ans ce qui limite deux écueils : certaines femmes du groupe non dépistage ont pu entre temps quand-même se faire faire une mammographie une année ou l’autre, à l’inverse certaines femmes du groupe dépisté auront pu « rater » une année de mammographie. L’attente de 20 années supplémentaires diluerait ou brouillerait les résultats.

  • Premièrement, l’effet de non observance du groupe dépistage et de contamination du groupe non-dépistage entrainera plutôt une sous-estimation du surdiagnostic.
  • Deuxièmement, les détracteurs des études arguaient qu’il fallait attendre très longtemps pour apercevoir l’efficacité du dépistage, car ce ne serait que sur un très long terme que l’on verrait la dangerosité des cancers non détectés dans le groupe non dépisté. Mais voilà, même au bout de 25 ans on ne voit toujours pas ce fameux méchant « cancer dormant » se manifester enfin, et pas de surmortalité des femmes non dépistées, peut-être bien parce que le cancer dormant n’existe pas…

On a reproché aussi à Miller que son étude n’était pas représentative du système français qui dépiste tous les deux ans et débute à 50 ans (alors que lors des essais canadiens ciblaient des femmes de 40 à 59 ans). Mais aux Etats Unis existait le débat de commencer le dépistage dès 40 ans. De plus Miller a isolé deux sous-groupes, le groupe des 40-49 ans et le sous-groupe des 50- 59 ans, et à nouveau il n’y a pas de différence observée.

http://www.bmj.com/content/348/bmj.g366

Réf : Miller AB, Wall C, Baines CJ, Sun P, To T, Narod SA. Twenty five years follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study: randomised screening trial. The BMJ. 2014 Feb 11;348:g366

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Cancer du sein : recommandations Suisses

Voici le rapport scientifique du Swiss Medical Board du 15 décembre 2013

Cet organe Suisse se définit comme « indépendant de l’administration, des fournisseurs de prestations et de l’industrie », et met en avant son travail dans l’intérêt des patients avant tout.

Voici ses recommandations :

1. Il n’est pas conseillé de lancer un programme de dépistage systématique par mammographie.

2. Les programmes de dépistage systématique par mammographie existants doivent être limités dans le temps.

3. Toutes les formes de dépistage par mammographie doivent être évaluées en termes de qualité.

4. En outre, pour toutes formes de dépistage par mammographie, une évaluation médicale approfondie ainsi qu'une explication claire avec la présentation des effets souhaités et des effets indésirables sont recommandées.

Sur la base de la littérature existante, on peut conclure que le dépistage systématique par mammographie peut contribuer à détecter les tumeurs plus précocement. Le dépistage permet de diminuer la mortalité par cancer du sein de façon de façon très faible: des résultats d’études menées entre 1963 et 1991 ont révélé que, sur 1'000 femmes dépistées régulièrement, on a évité 1 à 2 décès par cancer du sein par rapport aux 1'000 femmes non régulièrement dépistées. Cet effet souhaité est à comparer avec les effets indésirables: ainsi, chez une centaine des 1'000 femmes ayant été dépistées, on a obtenu des résultats faussement positifs qui ont conduit à des investigations complémentaires et parfois à des traitements inutiles. Globalement, on obtient un rapport coût-efficacité très défavorable. Les connaissances tirées de la présente analyse conduisent aux recommandations suivantes (voir ci-dessus).

Swiss Medical Board

 

Comme on peut le constater dans cette image ci-dessous, dans les cantons où a été instauré le dépistage avant l'avis du Swiss Medical Board (date d'introduction du dépistage mentionnée pour chaque canton) le dépistage y est poursuivi. En revanche dans les cantons où les campagnes de dépistage n'ont pas démarré, le dépistage n'y a pas été introduit.

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Que fait l’anatomo-pathologiste ?

Cancer Rose vous offre une tribune citoyenne. Vous aussi, vous pouvez témoigner.

Que fait l’anatomo-pathologiste ?

Comment fait-on le diagnostic de cancer du sein ?

Tout le monde pense, même au ministère de la santé, que le diagnostic du cancer est fait par le radiologue.

Or pas du tout. Le radiologue voit une masse suspecte, mais il n'y a aucune certitude. Le diagnostic définitif et formel de tous les cancers dans le monde est fait par des médecins, très peu nombreux (moins de 1% des médecins) : les anatomopathologistes, ou pathologistes , spécialistes en anatomie et cytologie pathologiques. Ce sont eux qui lisent les frottis cervico-vaginaux dans le cadre du dépistage du cancer du col utérin, par exemple. Ils lisent aussi les polypes du gros intestin, et ils analysent les biopsies mammaires.

Quand intervient l’anatomo-pathologiste ?

Le radiologue prélève un tout petit bout de tumeur, c'est la biopsie. Après l'avoir déposée dans un liquide conservateur (fixateur), la biopsie est envoyée au centre de pathologie et est « techniquée ». On en découpe (comme du saucisson) une tranche très fine transparente de 3 microns que l'on colore et qui est analysée au microscope. Le pathologiste, en fonction de ce qu'il voit, affirme s’il y a cancer ou pas. Si les cellules ont une apparence suspecte et détruisent tout le tissu normal, c'est malin, c'est un cancer.

C'est un travail difficile qui demande, après les 6 ans du tronc commun de médecine, 5 années de spécialisation...

Après avoir lu la biopsie le pathologiste fait un compte rendu détaillé de ce qu'il a constaté, et il l'envoie au médecin concerné (radiologue, gynécologue, médecin traitant..). Le médecin (radiologue ou généraliste) annonce alors la bonne ou mauvaise nouvelle au patient.

Le patient ne connaît souvent pas le nom de celui qui a lu sa biopsie; pire, il n'a pas le choix du lecteur de sa biopsie. Cela est tout à fait contraire aux principes de libre choix du médecin de notre bonne vieille médecine libérale.

Ce compte- rendu d'anatomie pathologique, qui est rarement communiqué au patient, est strictement nécessaire et obligatoire pour commencer le traitement. Sans compte-rendu anatomopathologique de cancer, aucun chirurgien n’opérera, aucun oncologue ne commencera de chimiothérapie....Par contre le compte- rendu anatomopathologique fait partie du dossier- patient et peut être réclamé par le patient.

Qu'en est-il du résultat de l’anatomo-pathologie par rapport au dépistage radiographique du cancer du sein?

En pathologie mammaire, les mots sont importants. Il y a une grande confusion entre cancer et lésion précancéreuse.

Le cancer, c'est la maladie potentiellement mortelle qui peut disséminer dans tout l'organisme, donnant des métastases.

Les lésions précancéreuses sont des lésions avant le cancer proprement dit qui ne sont pas du tout mortelles, mais qui ont un risque, en général assez bas (10-50%) de se transformer en cancer.

En pathologie du gros intestin c'est simple: il y a le cancer du gros intestin et sa lésion précancéreuse: l'adénome.

En matière de sein, la terminologie est trompeuse : on a le carcinome infiltrant et sa lésion précancéreuse: le carcinome intracanalaire appelé aussi carcinome in situ. La lésion précancéreuse contient le mot "carcinome" qui signifie cancer ! Et de là vient une grande confusion dans le discours.

On vous dit que l’incidence du cancer du sein augmente : cela est faux , en effet ce sont les lésions précancéreuses qui ont énormément augmenté, à cause notamment du fameux dépistage organisé du cancer du sein par mammographie, lequel détecte beaucoup de lésions précancéreuses, en plus des cancers à croissance lente ou même potentiellement non évolutifs, qui n’auraient pas mis en danger la vie de la patiente.

D'où une polémique sans fin….

Que sont et que signifient les différentes lésions ?

Lorsque vous avez un cancer du sein, posez la question à votre médecin: demandez-lui le compte rendu anatomopathologique. S’il s’agit d’un carcinome infiltrant ou d’un carcinome lobulaire infiltrant, alors précipitez- vous vers le chirurgien et l'oncologue , c’est un « vrai cancer » : attention, votre vie n’est pas « foutue » pour autant , car après traitement environ 5 à 8 femmes sur 10 survivent au-delà de 5 ans. Si par contre vous avez un carcinome intracanalaire (ou carcinome in situ) ou un carcinome lobulaire in situ, alors là, prudence , ce n’est qu’une lésion précancéreuse !

Que devez-vous faire, à qui vous adresser ?

En cas de « carcinome intra canalaire », prenez le temps de réfléchir : c'est sérieux mais il n’y pas de risque vital ; vous avez une lésion précancéreuse très semblable à un"adénome" du gros intestin. L'adénome colique n'est pas une urgence. Le carcinome intra-canalaire du sein non plus.

Sachez que les séries tirées d’autopsies montrent que 10% des femmes ont un carcinome intracanalaire ; c’est donc une lésion assez courante , qui peut -mais pas forcément- se transformer en cancer.

La peur est mauvaise conseillère. Après avoir eu l'annonce de la mauvaise nouvelle par le spécialiste, il est préférable d'en discuter avec son médecin généraliste. Prendre du recul peut s’avérer bénéfique. Pour l'instant, si vous vous faites soigner en France vous aller avoir un traitement très agressif, maximaliste. Il y a différents types de carcinome intra-canalaire. Certains médecins américains ne traitent plus pour les carcinomes intra-canalaires de bas grade et préconisent une simple surveillance. En France, malheureusement une telle attitude qui paraît compte tenu des dernières avancées scientifiques assez sage n'est malheureusement pas pratiquée et serait vue comme « révolutionnaire ». Si vraiment vous êtes courageuse et avant-gardiste, en cas de carcinome intra-canalaire de bas grade, il peut être justifié de refuser vous même le traitement chirurgical. Par contre, effectivement, en cas de carcinome intra-canalaire diffus de haut grade il vaut mieux le faire enlever.

Il faut quand-même remarquer que le sein est le seul organe où l’on traite les lésions précancereuses (carcinome intra canalaire) par radiothérapie. Le traitement des carcinomes intra-canalaires par radiothérapie reste extrêmement controversé et dans toutes les études n'a jamais montré de réduction de la mortalité. Il semble donc sage en cas de carcinome intra-canalaire d'accepter la chirurgie mais de refuser la radiothérapie dont le bénéfice-risque (dans le carcinome intracanalaire )est loin d’être parfaitement établi.

Quelle conduite à tenir ?

Eviter le dépistage du cancer du sein, source de surtraitement.

Choisissez avec soin votre médecin et vos conseillers.

Eviter octobre rose et sa propagande mercantile.

N'oubliez pas que le cancer du sein est une industrie particulièrement rentable en ces temps de crise et que beaucoup de spécialités en vivent.

Vivez sans stress et consulter un médecin lors de l’apparition d’un symptôme clinique ou lors de tout changement de votre sein, notamment l'apparition d'un nodule palpable.

source: Is breast cancer overdiagnosis also nested in pathologic misclassification? catherine colin, Mojgan Devouassoux, Francesco sardanelli,Radiology (Impact Factor: 6.21). 12/2014; 273(3):652-5.

DOI: 10.1148/radiol.14141116 http://www.researchgate.net/journal/0033-8419_Radiology

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Ivan ILLICH, Némesis médicale, l’expropriation de la santé

Ivan ILLICH*, Némesis médicale, l’expropriation de la santé, 1975, Ed. du Seuil

Extraits

Annette LEXA

La lecture estivale d’Ivan Illich m’est apparue tellement importante que j’ai préféré la transcrire telle qu’elle sans la commenter. Mis à part certains aspects contextuels de l’époque des années 1970, et une prose parfois un peu âpre à lire, chacune des phrases présentées ici entre en résonnance avec les problématiques actuelles développées sur le site Cancer Rose. Illich était un visionnaire, il convient de lui rendre hommage.

*Ivan Illich (1926 - 2002 ) est un penseur de l'écologie politique et une figure importante de la critique de la société industrielle. Dans l'œuvre d'Ivan Illich une idée revient de manière prédominante : à partir du moment où la société industrielle, par souci d'efficacité, institutionnalise un moyen (outil, mécanisme, organisme) afin d'atteindre un but, ce moyen tend à croître jusqu'à dépasser un seuil où il devient dysfonctionnel et nuit au but qu'il est censé servir. Ainsi l'automobile nuit au transport, l'école nuit à l'éducation et la médecine nuit à la santé. L'institution devient alors contre-productive en plus d'aliéner l'être humain et la société dans son ensemble. (Wikipedia)

Le contrôle social par le diagnostic

Nous avons vu que la réduction de la capacité de réaction des membres d’une société se reflète dans la médiatisation du budget et que l’invasion pharmaceutique, qu’elle soit ou non techniquement efficace, bloque la résistance des sujets. Une troisième forme de iatrogenèse sociale résulte dans la médicalisation des catégories sociales. Un bon exemple de cette atteinte au contrôle personnel sur l’organisme et au droit de modifier un milieu qui l’entrave, est l’étiquetage iatrogène des différents âges de la vie humaine. Cet étiquetage en vient à faire partie intégrante de la culture populaire lorsque le profane accepte comme une chose « naturelle » et banale le fait que les gens ont des besoins de soins médicaux de routine tout simplement parce qu’ils sont en gestation, qu’ils sont nouveaux-nés, enfants, dans leur années climatériques ou qu’il sont vieux.
Quand on en est arrivé à ce point, la vie n’est plus une succession de différentes formes de santé, mais une suite de périodes qui exigent chacune une forme particulière de consommation thérapeutique. A chaque âge correspond un environnement spécial pour optimiser la santé-marchandise : le berceau, le lieu de travail, la maison de retraite et la salle de réanimation. Le sujet se trouve mis en cage dans une ambiance faite pour les membres de sa catégorie, telle que la perçoit la spécialiste bureaucratique chargé de sa gestion. Dans chacun de ces endroits, l’individu est dressé à suivre le comportement qui convient à l’administration de pédagogues, de pédiatres, de gynécologues, de gériatres et à leur différentes classes de serviteurs. La richesse d’information du milieu naturel est dégradée par sa spécialisation, l’école, la rue et l’atmosphère aseptisée de la clinique s’enrichissent de prescriptions professionnelles et s’appauvrissent en choix pour ceux qui s’y trouvent enfermés. L’homme domestiqué rentre en stabulation permanente pour se faire gérer dans une suite de loges spécialisées.

(…)

Tous les âges son médicalisés, tout comme le sexe, le quotient intellectuel ou la couleur de la peau. Dès que les femmes au XIXè siècle ont voulu s’affirmer, un corps de gynécologues s’est formé : la féminité elle-même devenait symptôme d’un besoin médical traité par des universitaires évidemment masculins. Etre enceinte, accoucher, allaiter, sont autant de conditions médicalisables, comme le sont la ménopause ou la présence d’une matrice à l’âge où le spécialiste décide qu’elle est de trop. La puberté, la dépression, l’épuisement, l’alcoolisme, l’homosexualité, le deuil, l’obésité, permettent de classer les citoyens en catégories de clients.

(…)

L’innovation conseillée par les médecins est toujours privilège de riches. La société moderne n’est pas seulement stratifiée, elle est hiérarchisée. Dans une telle société, les classes dominantes détiennent le monopole de l’invention et de la création. Tout changement s’opère de haut en bas. A l’intérieur de chaque classe les changements s’opèrent 1) en fonction de la distance sociale qui la sépare des classes supérieures et 2) en fonction du rapport d’affinité ou d’opposition entre le changement et l’ethos de cette classe.

(…)

La consommation de soins préventif est le dernier en date des signes de statut social chez les bourgeois . Pour être à la mode, il est nécessaire aujourd’hui de consommer du « check-up » (…) l’extension du contrôle professionnel aux soins à des gens en parfaite santé est une nouvelle manifestation de la médicalisation de la vie. Le concept de morbidité a simplement été étendu et recouvre des situations où il n’y a pas de morbidité au sens strict, mais une probabilité qu’une telle morbidité apparaisse dans un délai donné.
Un certain nombre de médecins ont, ces 10 dernières années, proclamé que la médecine allait connaître une révolution avec le développement et l’extension à toute la population de soins professionnels préventifs. Ils ont obtenu un appui financier de PDG vieillissants, mais également de leaders politiques soutenus par la grande masse de ceux qui réclament pour eux ce qui jusqu’à présent était un privilège réservé aux riches.

(..)

La vérité est que le dépistage précoce transforme des gens qui se sentent bien portants en patients anxieux . Pour commencer, certains de ces examens ne sont pas sans risque (…) méthodes diagnostiques mutilantes par le scalpel, les radiations ou l’empoisonnement. . La plupart des autres examens sont moins meurtriers mais il y en a qui sont bien plus chers, qui provoquent l’invalidité, qui sont souvent mal interprétés et qui produisent des traumatismes psychiques.(…) Même si quelqu’un survit sans dommage à une série d’examens de laboratoire et que finalement on lui trouve une symptôme qui justifie l’intervention, il court le très grand risque d’être soumis à une thérapeutique détestable, douloureuse, mutilante et chère. L’ironie est que les troubles graves et sans symptômes apparents que ce type de dépistage peut seul découvrir sont en général des maladies incurables pour lesquelles un traitement précoce aggrave d’état physique du patient.

La mise en œuvre de procédures routinières de dépistage précoce sur des populations importantes garantit au médecin « scientifique » l ‘existence de matières premières abondante pour son activité : il pourra y puiser les beaux cas correspondant le mieux aux possibilités de traitement, ou les plus intéressants pour la recherche, que la thérapeutique apporte ou non la guérison ou le soulagement Mais cette pratique renforce les gens dans la conviction qu’ils sont des machines dont la durabilité dépend de la fréquence des visites à l’atelier d’entretien, et ils sont forcés de payer pour que l’institution médicale puisse réaliser ses études de marché et développer son activité commerciale.

La médicalisation de la prévention entretient la confusion entre prévention et assurance(..) L’identification de l’individu statistique à l’homme biologique unique crée une demande insatiable de ressources finies. L’individu est subordonné aux besoins supérieurs de la collectivité. Les soins préventifs deviennent obligatoires, et le droit du patient à donner son consentement aux traitements qui lui sont infligés est progressivement bafoué.

La médicalisation du dépistage précoce non seulement gêne et décourage la véritable prévention, mais entraîne aussi le patient potentiel à se comporter en permanence comme un objet dont le médecin à la charge. Il apprend à s’en remettre à son médecin dans la bonne comme dans la mauvaise santé ». Il se transforme en patient à vie.

L’enrôlement dans la lithurgie macabre

La fascination générale pour les percées médicales, les techniques de pointe et la mort sous contrôle médical est un symptôme particulièrement visible(..). Pour bien la comprendre, il faut y voir la manifestation d’un besoin fortement ancré de miracle. La médecine de pointe est l ‘élément le plus solennel d’un rituel qui célèbre et consolide le mythe selon lequel le médecin livre une lutte héroïque contre la mort.

(…)

Blouses blanches, environnement aseptique, ambulances, systèmes d’assurances : tout cet attirail rituel en est venu à remplir principalement des fonctions magiques et symboliques. (…)

L’homme moderne se trompe lorsqu’il croit que les métiers peuvent être spécialisés à volonté. Les professionnels ont tendance à agir comme si les résultats de leur activité se limitaient à ceux qui ont un caractère vérifiable de façon opératoire. Les docteurs guérissent, les enseignants enseignent, les ingénieurs transportent les gens et les choses. Les économistes fournissent une explication plus unitaire de l’activité des spécialistes lorsqu’ils traitent tout en tant que « producteurs ». Ils ont imposés aux membres des professions libérales, souvent contre leur gré, la conscience d’être tous, de quelque façon, des « travailleurs ». Les sociologues n’ont cependant pas encore réussi à rendre ces mêmes professionnels conscients du fait qu’ils célèbrent en commun le même rituel et ils servent les mêmes fonctions magiques. De la même façon que tous les travailleurs contribuent à la croissance du PNB, tous les spécialistes engendrent et soutiennent l’illusion du progrès.

Que les médecins contemporains le veuillent ou non, ils se conduisent en prêtres, en magiciens et en agents de pouvoir politique. (…) Nos sorciers contemporains revendiquent leur autorité sur le patient, même lorsque l’étiologie est incertaine, le pronostic défavorable et la thérapeutique au stade d’essai. L’espoir d’un miracle médical est leur meilleur rempart contre l’échec, puisque si l’on peut espérer un miracle , on ne peut pas, par définition, compter dessus. Ainsi, dans notre culture médiatisée, les médecins se sont attribués le rôle , jadis réservé aux prêtres et aux souverains, de célébrer avec prodigalité les rituels par lesquels les maladies sont bannies. D’où la fonction moderne de jouer au moins en partie le rôle du sorcier d’autrefois. Quand on les montre à la télévision, les exploits héroïques de la médecine figurent une sorte de danse de la pluie pour des millions de gens. Ce sont des lithurgies qui transforment l’espoir réaliste d’une vie autonome en illusion que les médecins donneront à l’humanité une santé toujours meilleure. C’est le rituel médical, célébré par un mage préventif, qui prive l’homme de la jouissance du présent.

 

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Cancer du sein : exemple de l’Allemagne

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En Allemagne où souvent le pragmatisme règne, l’attitude des pouvoirs publics et des caisses par rapport au dépistage est moins à l’incitation à participer, qu’à la délivrance d’une information éclairée aux femmes. C’est d’ailleurs le maître mot à peu près dans toutes les brochures distribuées aux femmes par ces caisses pour répondre à leurs questions et pour les aider à prendre une « décision informée ».

Mme le Dr Mülhauser, docteure et professeure en sciences de la santé à l’université de Hamburg et également présidente du « réseau allemand de la médecine basée sur les preuves » , nous rappelle des concepts très simples qu’il faut répéter en préambule :

1-le cancer du sein est une cause de mortalité bien plus rare que la collectivité ne le suppose : au total sur 100 femmes, 3 à 4 meurent du cancer du sein contre 45 de maladies cardio-vasculaires, et 20 d’autres cancers.

2-On lit souvent que 30% de femmes en moins mourraient de cancers si elles effectuaient régulièrement leur dépistage. Ce chiffre, au fil des études, est revu à la baisse. Ce que cela signifie est bien plus clair lorsqu’on utilise les données brutes : sur 1000 femmes de la tranche d’âge entre 50 et 69 ans, 8 meurent du cancer du sein en dix ans sans le dépistage, 6 dans le même laps de temps avec le dépistage.

Mathématiquement, 6 femmes au lieu de 8 cela signifie une réduction de mortalité de 25%. Seulement par rapport aux 1000 femmes examinées, la mortalité n’est amoindrie que de 0,2%.....

3-Voilà représentée ci-dessous la phase de « maladie vécue ». Cette phase est prolongée par le dépistage. Pour exemple, une projection sur une femme avec une espérance de vie de 65 ans.

On peut voir que cette femme dépistée n'a pas vécu plus longtemps, par contre elle a vécu 3 ans de plus en sachant qu'elle avait un cancer par rapport à la femme non dépistée. Sa phase de « maladie vécue » a été rallongée de 3 ans. Un gain ?

Dans le plan cancer allemand les choses ont évolué, il ne s’agit plus tellement d’accroître la participation (qui d’ailleurs stagne en France malgré les efforts incessants et outrageusement insistants de la campagne nationale) ; outre-Rhin l’objectif est celui de « l’information éclairée ».

Mme Mühlhauser nous envoie deux exemples de brochures explicatives allemandes qui sont distribuées aux femmes par les deux plus importantes caisses de maladie en Allemagne. Des débats publics sur la balance des bénéfices/risques du dépistage ont lieu régulièrement dans ce pays.

Ces brochures , en préambule, expliquent : les femmes ont de « bonnes » raisons d’aller au dépistage, et de « bonnes » raisons de ne pas y aller.

Ensuite la patiente allemande peut y lire les témoignages de femmes l’ayant choisi et de celles l’ayant refusé. Des renseignements sont dispensés sur la mammographie en général et sur la mammographie spécifique de dépistage, sur l’invitation, la transmission des résultats, sur la dose de rayons délivrée, et sur les autres moyens de dépister. Une interview de Mme Mühlhauser explique les trois concepts simples qui vous sont exposés en début de notre article. Le discours « plus on détecte tôt, mieux c’est » est battu en brèche, données statistiques à l’appui. Dans la brochure on vous explique clairement et simplement les problèmes de surdiagnostic, de surtraitement, et on vous donne les outils pour faire votre balance bénéfice-risque, ce à quoi s’emploient sur ce site vos cinq serviteurs…

On explique aussi clairement pour quelles raisons réellement la mortalité baisse, le mérite n’en revenant pas tant au dépistage même qu’aux améliorations thérapeutiques. Il faut démystifier cette maladie. On vous démontre que partout où le dépistage a été introduit le nombre de cancers traités a été accru de façon importante en raison du traitement des fameux pré-cancers, qui n’auraient pas mis en danger la vie des femmes.

La brochure comprend des pages sur les risques de mortalité par tranche d’âge, sur les différentes formes de cancer, sur les faux négatifs, les faux positifs, les fausses alertes et enfin sur le diagnostic de cancer vrai, vous donne des adresses utiles et la bibliographie complète sur laquelle s’appuie la brochure.

Cet ouvrage a été soumis à la relecture puis avalisé par l’Institut berlinois Max Planck, institut indépendant pour la recherche en science.

Comme vous le constatez, même si les effets adverses graves (coronarite radique, ablation inutile d’un sein, retentissement psychologique grave) la patiente allemande est considérée comme suffisamment mature pour comprendre des données de controverse tout à fait accessibles aux profanes.

Les pouvoirs publics allemands ont abandonné toute velléité d’allonger le dépistage sur d’autres tranches d’âge.

D’après Mme Mühlhauser, il est certain que les programmes de dépistage ainsi que les invitations seront poursuivis en Allemagne, parce que les politiques de la santé ne veulent pas décevoir les attentes des femmes par rapport à la qualité de leur examen, et le dépistage organisé garantit justement l’assurance-qualité à laquelle doivent se soumettre les professionnels du dépistage, surtout les radiologues.

La brochure officielle émise sur le web concernant le « mammo-programme » allemand et émanant de l’union coopérative et de l’union fédérale des caisses, oeuvrant pour la promotion, la coordination et l’évaluation du dépistage respecte l’information loyale et complète. Tous les arguments des détracteurs y sont développés, toutefois à chaque argument la réponse opposée est que la balance bénéfice risque est bonne, qu’il faut continuer en raison d’une assurance qualité sérieuse, et que la précocité de la découverte garantira au moins des traitements allégés. La documentation officielle est donc loyale mais incitative alors que la brochure des deux autres caisses paraît plus objective et permet à la femme de se faire sa propre idée selon ses convictions, car enfin, cette décision n’est pas seulement prise en fonction de données chiffrées, mais aussi en fonction du vécu et de la sensibilité de la femme !

Pour Mme Mühlhauser, la « solution de Salomon », la solution la plus sage donc, ce serait d’obtenir une brochure pour les patientes émanant d’un organisme indépendant qui existe en Allemagne : l’Institut pour la Qualité et l’Economie de la Santé. Cet institut indépendant devrait également être l’éditeur de la brochure d’invitation de la femme au dépistage.

En tous cas en Allemagne on en parle : https://www.aerzteblatt.de/nachrichten/87593/Ueberdiagnosen-bei-Screeningprogrammen-oft-unterschaetzt

Sachez encore que vous pouvez vous procurer des informations statistiques en toutes langues sur le lien : www.cochrane.dk

Pour la version française :

http://www.cochrane.dk/screening/index-fr.htm

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Cancer du sein : un peu de technique

Un peu de technique, mais facile à comprendre.

Pour déterminer qu’un test de dépistage est bon, il doit posséder une valeur optimale dans quatre critères qui sont, la sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive positive, la valeur prédictive négative.

Pas de panique, nous allons détailler ce que ces termes barbares signifient et comment les comprendre.

A-Commençons par la spécificité :

Qu’est-ce que c’est ?

Il s’agit de la probabilité que le test (ici la mammographie de dépistage) soit négatif quand le sujet (ici la femme dépistée) n’est pas malade.

Or, la spécificité de la mammographie de dépistage n’est pas suffisante, car le test (mammographie) peut-être dans certains cas positif alors que la femme n’est pas malade, ce sont les faux positifs. La spécificité de la mammographie de dépistage est entre 94 et 97%.

Petit exercice proposé par B.Junod

Junod B, Les dangers du dépistage du cancer du sein. Journées du collège de Gynécologie de Normandie, 16-17 mai 2009.

Que donnerait un défaut de spécificité de 1 % seulement ?

Supposons une sensibilité (NDLR : plus la sensibilité est grande plus on est performant dans la détection des cancers) où 90 % des cancers sont diagnostiqués et une spécificité de 99 %, où seulement 1 % des lésions diagnostiquées ne sont pas des cancers.

Voyons ce que cela donne en situation de dépistage où, sur 1000 femmes examinées, 4 ont une maladie cancéreuse et 996 n’en ont pas.

Avec une sensibilité à 90 % (plus la sensibilité est élevée plus on a de probabilité de détecter un maximum de cancers), on a bien des chances de ne rater aucun des 4 cancers.

Mais avec 99 % de succès en concluant à l’absence de cancer, on obtient 10 erreurs. En effet, si on se trompe une fois sur cent chez les personnes sans cancer, on reproduit 10 fois cette erreur pour 1000 femmes examinées.

Au total, on a obtenu 4 diagnostics de vrais cancers et 10 faux positifs.

Ainsi parmi les 14 diagnostics de cancers obtenus, seulement 4, soit 29 %, correspondent à un vrai cancer.

La double lecture, présentée comme gage améliorant du test de dépistage, malheureusement , ne fait que diminuer cette spécificité déjà défaillante de la mammographie de dépistage.

Pourquoi : parce que le deuxième lecteur, lequel ne relit que les mammographies classées négatives par le premier lecteur, ce deuxième lecteur au moindre doute classera la mammographie en positif par peur du risque de « louper » quelque chose, alors que la patiente n’est pas malade.

En d’autres termes, la spécificité, déjà insuffisante de la mammographie de dépistage, est affaiblie encore par la double lecture.

B- la sensibilité :

Qu’est-ce que c’est ?

Il s’agit de la probabilité que le test (la mammographie) soit positif pour un sujet (la femme dépistée) malade.

La sensibilité de la mammographie de dépistage est voisine de 90 %, elle dépasse 95 % lorsqu'elle est combinée à l'échographie.

Mais il arrive que le test soit négatif, donc que la mammographie soit jugée normale pour une femme réellement porteuse de cancer, ce sont des faux négatifs.

Cette sensibilité imparfaite a été l’objet d’améliorations constantes grâce aux avancées technologiques de l’imagerie.

Problème : on sélectionne une foule de petites lésions non dolentes, dormantes, peu agressives, parfois régressives, qui n’auraient jamais mis en danger la vie de la femme (c’est le surdiagnostic : voir catégorie de ce site dédiée au sujet, voir aussi la brochure). Mais toutes ces lésions vont toutes être traitées, indépendamment du fait qu’elles soient ou non potentiellement dangereuses puisque nous ne savons pas discerner le bon grain de l’ivraie. Nous découvrirons en poussant la sensibilité à son maximum de plus en plus petites images dont on ne sait que faire, et ce  concomitamment au fait que ni la survie, ni la longévité ne sont améliorées, ni ne sont réduits les cancers d’évolution rapide et mortels.

C-la valeur prédictive négative (VPN) :

Qu’est-ce que c’est ?

Il s’agit de la probabilité que le sujet (ici la femme dépistée) soit non malade avec un test négatif. Cela répond à la question « Docteur, j’ai une mammographie normale, est-ce que je peux me considérer à 100 % comme non atteinte ? »

La VPN de la mammo de dépistage est entre 90 et 99%, dans certains cas la femme est malade alors que le test (la mammographie) est jugée normale en raison entre autres de cancers indécelables, ce sont des patients faux négatifs.

L’IRM est un examen qui permet d’améliorer la VPN ; en effet lorsque l’IRM est négative, on a une très forte probabilité à ce la femme soit réellement non malade. Cela veut dire aussi que lorsqu’on veut vraiment être sûr qu’une petite image douteuse, qui ne nous inquiète pas vraiment, mais ne nous rassure pas complètement (par exemple en raison d’antécédents de cancer déjà présents chez cette patiente) , on demandera cet examen pour nous conforter l’absence de maladie.

Bien entendu, pour des raisons de logistique, des raisons pratiques , de coûts et de risque d’examens inutiles, cette imagerie lourde ne peut être proposée à tout le monde.

D-la valeur prédictive positive (VPP) :

Qu’est-ce que c’est ?

Il s’agit de la probabilité que le sujet (la femme dépistée) soit malade avec un test positif. Cela répond à la question « Docteur, j’ai une mammographie anormale, quel est le risque que j’aie vraiment un cancer du sein ? »

Or malheureusement assez souvent la femme n’est pas malade avec une mammographie pourtant positive.

La VPP de la mammographie de dépistage est très basse, entre 9 et 10%.

Qu’est-ce que cela signifie en pratique ?

Cela signifie que pour une femme pour laquelle la mammographie est jugée positive et à laquelle on réalise une biopsie de l’image incriminée, il y a 90% de chances (100%-10%de VPP) pour que la biopsie ne revienne négative et donc ait été proposée excessivement...

Voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=Mt6GOAyWNbI&list=UUWQn1EKsUCQ3SH61L5F6JHQ&index=4

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LES ENSEIGNES, rôles et obligations

Quel bonheur ce cancer ! Grâce à lui, sous prétexte de lutter contre ses méfaits on nous ferait avaler n’importe quoi. A commencer par du fromage. On l’a rêvé, Tupperware l’a fait.

https://www.cancerdusein.org/mecenes/partenaires/tupperware

« Avec un chiffre d'affaires d'un milliard de dollars, Tupperware est l‘un des plus importants fabricants mondiaux d‘ustensiles de cuisine et d'articles en matière synthétique pour la maison et les loisirs. » Voilà ce qu’ils disent, les tupper-warriors, et ce qu’ils font en 2014 : reverser un euro par cave à fromage vendue, à l’association « le cancer du sein, parlons-en » (Actuelle association Ruban Rose).
http://tupperwaregresivaudan.centerblog.net/2-octobre-rose

La cave à fromage, ce n’est pas n’importe laquelle, elle est rose, ce qui change tout. Récapitulons, un milliard de dollars de chiffre d’affaires, 30.10 euros la cave, un euro par objet reversé à la lutte contre le cancer….

Quand on demande à l’association si l’objectif de la lutte contre le cancer ne leur paraît pas un peu éloigné de la cave à fromage, l’association répond qu’elle a refusé tout partenariat avec des marques d’alcool , ce qui ne répond pas à la question de l’objet de la cave à fromage en lui-même, si singulièrement dénué de lien avec le cancer du sein. On serait tenté d’avoir des soupçons de quelques velléités de la part de ces marques de faire du business en surfant sur la vague rose, à l’instar de la Fiat rose, du yaourt rose, de la Ronde des Pains qui commercialise la baguette rose pendant le mois d’octobre, des Galeries Lafayette qui se parent de rose etc etc etc..

Mais à qui profite cette incitation d’année en année de plus en plus débordante à la campagne d’octobre rose et aux « actions » organisées pendant ce mois, qui revient aussi sûrement tous les ans que la migration du pinson du nord, du tarin des aulnes ou de la grue cendrée ? Si seulement la vague rose pouvait prendre le chemin inverse……

L’association « le Cancer Du Sein, Parlons-En » (actuellement Ruban Rose donc), aux partenaires multi-marques, (cliquez sur l'onglet "nos mécènes")  est organisatrice des « Prix Ruban Rose ». Ce prix récompense et dote des projets de recherche originaux. C’est un vrai rapport « gagnant-gagnant », car parmi les partenaires du prix on retrouve les fameuses enseignes mais aussi le laboratoire pharmaceutique Lilly par exemple, commercialisant le Gemzar, médicament anti-cancéreux, et dans la rubrique « la recherche », l’association sur son site ne manque pas de citer les fameux médicaments d’anti-angiogénèse chers à Roche (Avastin).

Prenons l’un des partenaires, au hasard Bobbi Brown: sur le site de l’association l’enseigne proclame « 10 % du prix de vente sera reversé à l’association "Le Cancer du Sein, Parlons-en !". »

Mais, combien cela fait ?

Pour le partenaire Cora c’est un peu plus précis, pour tout soutien-gorge acheté (au moins le produit est plus ou moins en relation avec la cause), 2,5 euros seront reversés à l’association. Parmi les partenaires de Cora on retrouve encore des enseignes : Athena, Dim, Triumph et bien d’autres, ceci mettant en évidence le système tentaculaire et « réseauté » des marques reliées les unes aux autres.

On apprend que Cora a reversé 82 003 euros au Prix Ruban Rose en 2013. Cette belle création de l’association Ruban Rose permet de ventiler beaucoup de moyens d’un vase communiquant à l’autre. Car ces prix, comme il est expliqué sur le site de l’association Ruban Rose sont : «  créés par l'association ‘Le Cancer du Sein, Parlons-en !‘ et financés grâce aux efforts des membres fondateurs de l'Association, de ses différents partenaires et supporters. »

Ainsi le don de l’acheteuse passe d’abord par l’enseigne commerciale, transite par l’association Ruban Rose, atterrit dans une dotation pour la recherche qui créera, entre autres projets, des molécules qui pourront être commercialisées par le laboratoire pharmaceutique sponsor de l’association. Ladite molécule la traitera de son futur cancer du sein, lequel pourra d’ailleurs être fabriqué par les solvants contenus dans les produits cosmétiques du sponsor, ou par exemple les matières plastiques utilisées par Tuperware (un autre sponsor), par les constituants de téléphones portables de PNY-technologies (aussi sponsor), par le diesel émis des motos lors du Trophée Rose des Sables (itou)… Tout le monde y gagne, enfin presque…

Mais récapitulons, l’intitulé de notre article était bien :

les enseignes, rôles et obligations-

Nous avons vu leur rôle, qu’en est-il de leurs obligations ? Existe- t il une sorte de « cahier des charges éthique » ? Que nenni, il n’y en a aucun, pourtant les questions auxquelles les marques et enseignes devraient être dans l’OBLIGATION légale de répondre, par souci de transparence, seraient les suivantes :

1-Quel pourcentage des dons engrangés est reversé, et quel est le montant maximal donné à la cause ? (certaines enseignes l’affichent)

2-Quel est le budget marketing ? Quelle est sa proportion par rapport à la somme « reversée » à la cause ? Est-ce que ce budget ‘marketing et fonctionnement’ est égal, inférieur ou supérieur à la partie reversée ?

3-Quels sont les destinataires, et surtout quels types de programmes sont financés par ces sommes engrangées ? Cela est parfois affiché, mais les libellés sont …mystérieux voire hermétiques pour le lecteur lambda. Par exemple le Prix Ruban Rose 2014 récompensait le projet suivant :

"Identification de nouvelles thérapeutiques ciblées dans le cancer du sein à l’aide d’un large panel de tumeurs humaines xénogreffées"

4-Qu’advient-il des résultats de la recherche ? Sont-ils publiés ? A qui l’information scientifique est-elle donnée, quelle est la retombée exacte en matière d’avancée sur le cancer du sein ?

5-Enfin, le produit vendu par le partenaire commercial pour la cause comporte-t il une éventuelle toxicité ou effet néfaste en matière de santé publique ou de santé spécifiquement de la femme ?

Pourrait-on envisager également ce même « cahier des charges éthique » pour les associations qui promeuvent directement les marques, telles que le CDSPE, en leur imposant :

1- De s’abstenir de tout message médical sans avoir informé la lectrice de toutes les données, à savoir des bénéfices et risques de telle ou telle technique d’imagerie par exemple, ou alors d’évoquer les aspects médicaux en renvoyant sur une information médicale complète et objective que la lectrice pourrait retrouver facilement. C’est à dire d’informer sur la controverse qui existe autour du sujet.

2-De donner les résultats chiffrés et précis des recherches qui ont été financées par le Prix Ruban Rose, et des informations sur l’aboutissement concret de ces recherches.

3-D’inciter les femmes à rechercher une information balancée.

On retrouve même sur le site de l’association Ruban Rose, site non-médical, une mention sur les bienfaits du dépistage qui décline les avantages de la mammographie, de l’échographie, de l’IRM :
http://www.cancerdusein.org/les-cancers-du-sein/la-recherche/progres-techniques-et-medicaux

« La lutte contre le cancer du sein passe aussi par des progrès pour le dépistage du cancer. Ces progrès concernent l'imagerie et également les tests génétiques de dépistage pour le cancer du sein. »

Et de rajouter : « N'hésitez pas à en parler avec votre médecin traitant. »
Cette phrase sibylline ne mentionne bien sûr pas que ledit médecin traitant perçoit une prime à l’incitation des patientes au dépistage du cancer du sein selon une convention médecins-Assurance Maladie ; 2% des généralistes ont refusé cette incitation pécunière……

Pour finir, ci-dessous une phrase était visible initialement sur le site de l’association Ruban Rose publiée sans vergogne et contenant une contre-vérité, une assertion fausse et contredite depuis des études rigoureuses conduites dans les pays scandinaves, et aux Pays Bas plus récemment  : « D'après les données fournies par l'ANAES (Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé), les premiers essais randomisés de dépistage ont montré que la mammographie pratiquée tous les 2 ans permet de réduire de l'ordre de 30 % la mortalité spécifique des femmes de 50 à 69 ans, après 7 à 13 ans de suivi. »
Actuellement, l'association est bien obligée de publier des chiffres plus actuels et bien plus décevants, de l'ordre de 15 à 20%. (http://www.cancerdusein.org/les-cancers-du-sein/le-depistage-precoce/le-depistage-organise-en-france)
Pourquoi cette présentation est-elle fallacieuse et trompe les femmes ?
Explication fournie ici : https://cancer-rose.fr/2017/01/03/mensonges-et-tromperies/
Cela ne signifie en aucun cas que 20 femmes sur 100 dépistées, en moins, mourront. Cela signifie que sur 2000 femmes, et sur 10 années de dépistage, une seule femme sera épargnée tandis que dans le même temps 20 femmes subiront un diagnostic et un traitement inutiles et que 200 femmes recevront une fausse alerte.
Article à lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/10/19/quelle-est-la-difference-entre-fausse-alerte-et-surdiagnostic/

En effet, il faut restituer les données en valeurs absolues :

Si sur 1 000 femmes dépistées 4 meurent d'un cancer du sein, et que sur un groupe de femmes non dépistées 5 meurent d'un cancer du sein, le passage de 5 à 4 constitue mathématiquement une réduction de 20% de mortalité, mais en chiffres absolus cela ne fait qu'une différence d'une seule femme... C'est pour cela qu'il convient de toujours exiger une présentation en données réelles, et non en pourcentage ce qui enjolive la situation.

Pour bien comprendre la différence entre risque relatif et absolu, lire ici : https://web.archive.org/web/20170623084247/http://hippocrate-et-pindare.fr/2017/01/01/resolution-2017-non-au-risque-relatif-oui-au-risque-absolu/

L'évolution de la mortalité par ce cancer est favorable ces dernières décades, c'est vrai : mais c'est un phénomène connu, attribuable aux traitements, à l'arrêt de la prescription systématique des traitements hormonaux substitutifs, à une meilleure vigilance des femmes qui consultent lors de l'apparition d'un signe d'appel, et on récolte peut-être enfin les fruits des campagnes relatives aux facteurs de risques. Plusieurs études d'impacts notent que :

  1. la diminution de mortalité, partout où elle est constatée, est plus forte chez femmes de tranches d'âges jeunes,
  2. elle existe autant chez les femmes non dépistées (étude Miller)
  3. elle est moindre que pour d'autres formes de cancers, alors que des moyens colossaux sont mis en oeuvre pour le dépistage du cancer du sein.
  4. d’autres formes de cancers sont aussi concernées dans cette baisse de mortalité, alors que ces cancers ne sont pas intégrés dans des campagnes de dépistage.
  5. les études d’impact démontrent que la réduction de mortalité est imputable aux thérapeutiques anti-cancéreuses, en développement depuis les années 90.
  6. La décroissance de mortalité n'est pas corrélée avec le temps d’instauration du DO, on la perçoit dès les années 90, alors qu’aux US et en Suède le dépistage intervient dans les années 80, en France seulement en 2004.

Le surdiagnostic, effet secondaire indésirable majeur du dépistage est un aspect non évoqué sur le site de l’association, ce qui pourtant pourrait faire pencher la balance bénéfice/risque du dépistage vers la seconde mention..

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LES COURSES ROSES, charité bien ordonnée…

Saint-Martin le Miséricordieux partagea sa cape un soir d’hiver pour sauver un déshérité d’une mort certaine, ainsi dit la légende…

Qu’a donc fait Saint-Martin le Miséricordieux ?

A-t il fait appel à un communicant pour éditer des plaquettes à distribuer pour la cause du déshérité ? Non. A-t il créé un ruban gris (couleur du déshéritage) à distribuer dans les campagnes aux hommes et femmes de bonne volonté ? Que nenni. A-t il confectionné une cape au slogan « courez contre la déshéritation ! » Non plus.

Une petite association « Le déshéritement, parlons-en » ? Vous pouvez toujours cour… chercher. Même pas un petit porte-clé en forme de cape, une broche en forme d’âne (il était sur un âne Saint-Martin), même pas, nada, rien du tout. Il n’avait pas le sens du marketing notre humble saint homme.

On ne donne plus directement d’ailleurs, quelle ringardise. Non, d’abord on achète des goodies roses, après on court en rose, ensuite on s’embrasse et on se dit qu’on a bien couru, on rentre chez soi, on se douche et on s’endort avec la conscience d’avoir FAIT quelque chose contre ce salaud de cancer. L’action dans le vide, c’est néanmoins un geste. Le cancer est toujours là, mais ah, que l’illusion de l’action est douce !

Qui se partage les opérations de la course en rose ?

Nous trouvons deux cas de figure : des associations à but non lucratif composées de bonnes volontés mais véhiculant une information incomplète et biaisée aux femmes qu’elles incitent à la course, et des entreprises opportunistes récupérant la campagne d’octobre rose à des fins mercantiles. Nous en étudierons une : La Parisienne.

1-Les associations à but non lucratif

a.Les comités de femmes

Organisés en fédération, les comités féminins existent dans vingt départements français, sont « patronés » par la Ministre de la Santé et parrainés par l’INCA (Institut National du Cancer). La cotisation en général coûte entre 10 et 20 euros selon les comités, et l’inscription aux courses ou marches entre 8 et 10 euros par participante. La Fédération possède un site national et chaque comité également, mais l’information qui y est dispensée mérite éclaircissements.

La prévention du cancer du sein n’existe pas.

La prévention du cancer du sein n’existe pas, car le coupable « idéal » n’a pas été isolé, à l’inverse du cancer du poumon par exemple où le tabagisme en est la source évidente et identifiée.

Il y a donc un abus de langage lorsque le site national de la Fédération des Comités proclame « La Fédération Nationale des Comités Féminins, pour la prévention et le dépistage du cancer du sein », tout en vous appelant aux dons.

Pour le cancer du sein, on a pu mettre à jour tout au plus des facteurs favorisants ; on sait que le manque d’activité physique, la consommation alcoolique, les traitements hormonaux de la ménopause sur une longue période, l’âge tardif de la première grossesse, le tabac etc.. favorisent statistiquement la survenue de ce cancer. Mais ce n’est pas parce que vous courrez tous les jours deux heures, ne consommerez même pas la coupe de champagne au Nouvel An et éviterez toute atmosphère enfumée que vous obtiendrez la garantie de ne jamais voir la maladie.

Dépister n’est pas prévenir, même si sur le site on vous l’enrobe dans le vocable de « prévention secondaire », cela ne veut rien dire ; lorsqu’on détecte le cancer il est bien là, et l’on ne peut rien détecter avant.

Le dépistage ne réduit pas de façon significative le taux de mortalité.

Les dernières études par essais contrôlés randomisés, c’est à dire dont la fiabilité et l’objectivité sont reconnues comme les meilleures (voir la définition et explication dans la page FAQ du menu) , ces études-là nous incitent à revoir le gain de mortalité par cancer du sein à la baisse. La croyance répandue et encore visible sur certains sites, par exemple sur celui du Comité Gironde ainsi que celui de la Fédération des Comités, est que le dépistage réduirait de 30% la mortalité par cancer du sein. Ceci est repris aussi sur le ‘guide pratique’ (pdf) des comités.

Mais force est de constater que cette réduction est plus faible qu’escomptée, qu’on ne la met pas en évidence dans les études en situation réelle et surtout que cette valeur n’est pas absolue, mais est à mettre en balance avec le problème du surdiagnostic (tout cela vous sera expliqué avec des schémas pédagogiques dans l’article « balance bénéfices/risques » ainsi que dans la rubrique FAQ).

Comme nous l’avons vu plus haut on peut agir sur les facteurs de risque. Sur le site de la Fédération vous trouvez pourtant  une explication selon laquelle le dépistage est le « seul moyen reconnu depuis de nombreuses années pour diminuer la mortalité de ce cancer ». Le dépistage n’est certainement pas le seul moyen pour diminuer la létalité de ce cancer, puisqu’on peut agir en amont sur les facteurs de risque, sur les traitements hormonaux substitutifs par exemple en les limitant, et qu’il existe en aval un arsenal thérapeutique plus efficace pour contrer la maladie et son extension.

Tout dépistage entraîne un surdiagnostic. Même si le chiffre varie, on admet environ 20% de surdiagnostic (voir ‘fiche pratique pour y voir clair’ et les articles de la catégorie ‘surdiagnostic’). Etendre le dépistage à une tranche d’âge en dessous de 50 ans et au-dessus de 74 ans, de toute évidence augmentera le problème du surdiagnostic avec l’augmentation du nombre de femmes dépistées. Surtout pour les femmes avant 50 ans la lisibilité de la mammographie est d’autant plus compromise que le sein est dense, et il faut irradier plus pour pouvoir « lire ». On augmente donc à la fois un potentiel surdiagnostic ainsi que l’irradiation.

Pourtant sur la page d’accueil du Comité Gironde on incite les femmes à faire un dépistage par mammographie tous les 2ans dès 40 ans ; même le guide pratique du comité n’hésite pas à prôner un dépistage étendu au-delà de 75 ans ainsi qu’avant 50 ans, arguant que la lisibilité de la mammographie s’est améliorée. Les dégâts potentiels d’un diagnostic excessif, avec son cortège d’examens irradiants, invasifs, inutiles chez la femme de cette tranche d’âge des 40-50 ans sont ignorés, et la mise en balance des bénéfices face aux risques est résumée dans une phrase lapidaire : « le dépistage comme toute action médicale, présente des bénéfices ainsi que quelques inconvénients à connaître. » On aimerait bien justement…

C’est éluder les chiffres du surdiagnostic et les récentes études nordiques qui montrent que sur 2000 femmes dépistées pendant 10 années, 200 femmes seront victimes d’une fausse alerte et dix considérées comme cancéreuses et traitées inutilement…

« Dépistage accessible à toutes » et « entièrement gratuit » clame encore la page web de la Fédération. Et alors ? Est-ce réellement un but en soi d’être égalitaire dans le non-sens ? Dans l’absurdité ? A quoi bon un dépistage égalitaire où toutes les femmes seraient égalitairement exposées aux méfaits du dispositif ? A ses effets adverses, comme surdiagnostic et surtraitement ? Alors merci, merci aux copines qui ont couru, se sont bien fait dépister et ont égalitairement souffert dans leur chair inutilement pour une lésion qui n’aurait jamais mis leur vie en danger, ou qui ne nécessitait pas les traitements lourds infligés. Ou qui ont bénéficié de toute une batterie d’examens et de gestes invasifs pour une lésion avérée bénigne. Merci à toutes ces femmes qu’on a tellement incitées à courir pour la promotion de l’esprit égalitaire qu’elles en ont perdu leur qualité de vie…L’essentiel n’est pas le résultat de toute façon, c’est le show, « l’action », même si le show est absurde et l’action dans le vide.

b-les associations « free-lance »

Alors là nous avons dans notre région Lorraine par exemple l’association « les Dames de Cœur », créée en 2013 dans le but d’organiser à Thionville une marche-course réservée aux femmes, la « Thionvilloise ». Inscription : 12 euros, et vous obtenez un T-shirt dont je vous laisse deviner la couleur.

L’intégralité des bénéfices est reversée aux structures de lutte contre le cancer.

Ainsi nous explique Mme Nadine Wolf, responsable de l’association les Dames de Coeur, dans un courrier du 14/01/2015, qu’en 2013 trente-six mille euros ont été redistribués :

-25000 au CHR de Thionville (achat de trousses de produits de soins, table de modelage, bac à shampoing, et salle pour les familles…)

-7000 euros à la Ligue conte le Cancer

-4000 euros à l’Institut de Cancérologie de Lorraine (Nancy), mais là on ne nous dit pas si c’est pour acquérir des sèche-cheveux ou peut-être des tours de potiers.

Quoi qu’il en soit, on s’arme d’une calculette et tout tombe parfaitement pile poil.

Il n’y a rien à dire, tout tombe juste.

Les T-shirts en 2013 ont été commandés auprès d’une entreprise thionvilloise JP-Publicité, et en 2014 auprès d’une entreprise messine Forum Pub.

Les collectes permettent d’indemniser une coach de vie pour animer la marche afghane, et des moniteurs encadrent la marche nordique. Ensuite il y a une couverture de presse le lendemain qui permet aux commerçants-sponsors une bonne visibilité, et tout le monde est gagnant-gagnant dans une conscience collective sirupeuse de BA accomplie. Les vendeurs de tables de modelage et de bacs à shampoing aussi sont contents. La coach de vie, oui aussi. Et le cancer avance toujours.

Dans le genre on trouve aussi l’association Odyssea, qui organise des courses dans plusieurs villes au profit de l’Institut Gustave Roussy, la Ligue Nationale et autres structures….

Ou bien encore pour soutenir des associations hautement utiles comme « mieux vivre » qui crée des liens pour parler positivement du cancer, ou encore « L’association 4 S “Sport, Santé, Solidarité, Savoie », laquelle propose des activités aux patientes (aquagym, tai chi, marche active et gymnastique douce). Bref, voilà une association qui fait courir pour collecter pour soutenir d’autres associations qui vous font marcher…

Il m’est arrivé de demander à des cancéreuses ce qu’elles pensaient de ces courses roses, obligatoirement dans la joie et la bonne humeur, toutes les photos publiées ensuite ne montrant que des femmes heureuses, solidaires, épanouies, heureuses d’être solidairement épanouies. L’une de ces malades me confie : « si on pouvait nous oublier un peu et nous laisser tranquilles avec notre cancer au lieu de nous le rappeler tout le mois durant. On réchappe plus facilement au cancer qu’à Octobre Rose ». Une autre de soupirer : « tout ça, c’est pour les bien-portantes. Moi, je ne peux que les regarder courir, l’estomac entre les dents. Tant mieux si elles s’amusent, elles. »

2-Une entreprise : La Parisienne

Nous nous entretenons au téléphone (après échange de mails) avec Mme Jennifer Molina, assistante de Mme Jennifer Aknin, qui dirige cette SARL, car en effet, il ne s’agit pas d’une association mais d’une société à responsabilité limitée. A mes premières questions sur le fonctionnement de la société, Mme Aknin me répond (mail du 05/12/2014) : « je me permets juste de vous informer que La Parisienne est une SAS et n’est pas un événement caritatif ». D’accord.

Toutefois lors de l’inscription (j’ai commencé l’inscription) l’article 18 du règlement de la course s’appelle bien ‘actions caritatives’. Nous les détaillerons plus bas. De plus sur la page dédiée au ‘challenge entreprise’ un encart rose bien visible fait état du don pour la Fondation à la Recherche Médicale contre le cancer du sein. Il s’agit bien de références à une action caritative.

L’inscription à la course coûte 40 euros pour les premiers 5000 dossards et ensuite elle se monte à 50 euros par personne, plus 75 euros HT de frais de dossiers pour les entreprises si on opte pour le ‘challenge entreprise ‘(90 euros TTC).

Ce tarif d’inscription comprend : le dossard, le T-shirt ‘La Parisienne Reebock’ (un des sponsors), le diplôme, la médaille, le dvd souvenir, la carte ‘La Parisienne-Reebock’ donnant accès à la vente de produits des partenaires, le magazine ‘La Parisienne-Attitude’ et l’accès prioritaire au ‘Village La Parisienne’ où sont prodigués massages et cours. Dans ce « package » on vous offre aussi La Rose pour se vautrer encore un peu plus dans le stéréotype.

Vous pouvez courir dans le cadre du « challenge mère-fille », le « challenge copines » ou le « challenge entreprise », bref on ratisse large, puisqu’une femme a bien quelque part une mère, une fille, des copines, et travaille avec des gens. Ma mère de 88 ans n’ayant pas accepté mon invitation au ‘challenge mère-fille’, allez savoir pourquoi, j’ai dû arrêter là mon inscription….

Examinons les actions caritatives de plus près :

-l’opération « 1euro,1ruban », la totalité des fonds sont reversés à la Fondation pour la Recherche !

-1euro de participation symbolique sera demandé sur les entraînements (dispensés par La Parisienne) et la totalité des sommes sera reversée à l’association CAMISport et Cancer.

Lors de notre conversation téléphonique Mme Molina m’explique que 119 000 euros ont pu être ainsi versés à la Fondation pour la Recherche en 2014, contre 28 000 euros en 2012.

Reprenons la calculette : en 2014 il y a eu 39000 inscriptions (39354 exactement).

A raison d’une inscription à 40 euros pour les 5000 premiers dossards et de 50 euros pour les inscriptions suivantes, cela nous donne la somme de 200 000 euros plus 1 700 000 euros, donc 1 900 000 euros de recette au minimum (il faudrait rajouter à cela les 75 à 90 euros de frais de dossiers par entreprise). Si on enlève les 39000 euros de l’opération « un euro, un ruban » au 119 000 euros octroyés à la recherche, cela fait 80 000 euros effectivement donnés par La Parisienne à la Fondation sur les inscriptions récoltées.

80 000 euros sur 1 900 000 euros de recette (minimum), cela veut dire que l’entreprise La Parisienne consacre au mieux 4,2% des gains sur les inscriptions à l’action caritative.

La Parisienne a été plusieurs fois par le passé critiquée sur le fait que l’action caritative du mois d’octobre était plus un prétexte marketing. Bien sûr que cette entreprise a également ses frais de fonctionnements, de gestion, d’équipements et pourrait aussi bien ne rien donner comme se plaît à répondre Mme Aknin lors d’une interview sur le site Runners.fr en 2013. Toutefois Mme Aknin oublie de mentionner deux choses : le recrutement de 1500 bénévoles pour le bon déroulement de l’événement, et les sponsors.

Car les partenaires ne sont pas oubliés sur le site : Vital, Chérie FM, Reebock, Evian, arbre Vert et bien d’autres….

Lors de cette interview publiée sur Runners.fr Mme Aknin invoque le caractère émouvant et convivial de la manifestation, on peut y ajouter le caractère rentable aussi. D’année en année le nombre des participantes augmente.

Alors, au-delà de l’inscription, de l’incitation des participantes à des gestes de générosité, de l’appel aux dons, au-delà du fait que c’est la coureuse qui assure tout le travail de levée de fonds lors de toutes ces courses caritatives, le bonheur du rassemblement communautaire, ça n’a pas de prix !

Mais un bénéfice pour certains oui, ça en a bien un….

 

 

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EUROPA DONNA

Dr Cécile Bour, 2014

voir aussi : https://www.cancer-rose.fr/cette-annee-octobre-rose-commence-en-septembre/

et aussi : https://cancer-rose.fr/2017/01/03/associations-et-ramifications/

« Parmi les droits des femmes, celui à la meilleure information et à la meilleure prise en charge du cancer du sein est le combat d’Europa Donna. »

Voilà la louange d’accueil du site de l’association Europa Donna France : une « une association militante qui informe, rassemble et soutient les femmes dans la lutte contre le cancer du sein. Elle est membre d'une coalition, Europa Donna, coalition regroupant 46 pays sur le continent européen. »

A défaut de chevaucher les cervicales d’un ruminant sur un océan, comme la belle Europe est souvent représentée par les artistes, ED surfe surtout sur une vague rose au cou de géants pharmaceutiques et de subventions européennes. Toutefois l’association européenne, sur son site, se défend d’être un organisme à but lucratif, assure ne recevoir aucune subvention régulière de l’Union Européenne mais accepter des versements de fonds de la commission européenne sur la base d’un projet. Ainsi en 2013 Europa Donna, dans son rapport d’activité, remercie l’Union européenne pour sa dotation de 100.000 euros dans le cadre du programme de santé sur le cancer du sein.

Europa Donna France édite une brochure d’information concernant le dépistage organisé du cancer du sein qui date de 2012 et parle encore du chiffre de 30% de gain de mortalité, chiffre largement revu à la baisse depuis certain temps.

On peut lire, toujours sur le site de ED France, qu’elle soutient la campagne d’octobre rose de l’INCA (Institut National du Cancer) et qu’elle bénéficie de partenaires médicaux, parmi lesquels on retrouve des laboratoires pharmaceutiques comme Roche, Pfizer, Sanofi, Lilly…

 Cliquez ci-contre sur l'organigramme synthétique des différentes intrications 

La Présidente est Mme Nicole Zernik (voir article réactualisé de 2017, lien en début d'article, actuelle présidente : Mme Natacha Espié) et dans le Conseil Scientifique nous trouvons un cancérologue, Dr Marc Espié, responsable des maladies du sein à l’Hôpital Saint-Louis (Paris). Cet oncologue est intervenu publiquement à plusieurs reprises pour défendre le dépistage organisé, par exemple sur Vidal-actualités en 2013 où l’oncologue parle de 20 à 30% de réduction de mortalité grâce au dépistage organisé, ou bien encore sur Youtube en janvier 2015 pour le laboratoire Sanofi. Cette fois, l’oncologue cite le chiffre de 20% de réduction de mortalité, correspondant à un chiffre très optimiste et vraisemblablement surestimé. (Je vous convie à la lecture de la « fiche pratique pour y voir plus clair », sur ce site).

Dr Marc Espié est également membre du Conseil scientifique de la Société Française du Cancer, présidée par Pr Marty (voir l’article sur le site « à propos d’un lobbying »). Cette SFC (Société Française du Cancer) est partenaire de l’INCA ainsi que de la Société Française d’Angiogénèse soutenue par Pfizer et Roche (soutien institutionnel). Ce terme de soutien institutionnel fort souvent utilisé correspond à une élégance sémantique car les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas des institutions mais bien des entreprises commerciales.

Nous retrouvons la Déclaration Publique d’Intérêt de Dr Marc Espié sur le site du Conseil de l’Ordre des Médecins et constatons que ce défenseur du dépistage organisé, de 2012 à 2014, fut plusieurs fois en contrat de conseil/prestations avec les laboratoires GlaxoSmithKline, avec Roche en tant qu’expert et avec Novartis Pharma. Par exemple le Dr Marc Espié a réalisé une étude sur l’Avastin en 2014 publiée dans le bulletin du cancer, médicament anticancéreux commercialisé par Roche. Ou encore en 2012, étude sur l’Herceptin (trastuzumab), également commercialisé par Roche. Ou encore, toujours sur le bevacizumab (Avastin, antiangiogénique Roche) en 2011 . Ou en 2010, aussi …etc..

Outre les partenaires médicaux sus-cités, Europa Donna bénéficie également du partenariat du laboratoire Novartis qui posséde une branche agro-chimique. On apprend que la société Syngenta est une société suisse spécialisée dans la chimie et l'agroalimentaire, issue de la fusion en novembre 2000 des divisions agrochimiques des sociétés AstraZeneca et Novartis. ( Source : Wikipédia)

Rappelons que la société Syngenta commercialise le maïs BT génétiquement modifié ainsi qu’un pesticide tenu pour responsable de la surmortalité des abeilles par un effet neurotoxique. Mais tout ceci est une autre affaire, bien sûr, rien à voir avec le cancer, quoique ?….

Un organigramme ci-joint tente de vous clarifier les liens et ramifications.

Europa Dona se présente comme organisation à but non lucratif . Certes, mais n’est-ce pas plutôt une organisation qui œuvre au profit de sociétés dont le but est de vendre le plus possible de produits ?

L’affirmation de ces experts qui oeuvrent à renforcer « la cause » n’est-elle pas ternie lorsque visiblement ils travaillent pour des sociétés pharmaceutiques, à but lucratif elles, et dont ils reçoivent d’ailleurs de larges subsides ?

N’est-il pas légitime de s’interroger sur une finalité mercantile, tout cela sur le dos des femmes, ou plutôt sur leurs seins, en l’occurrence ?

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Effet NOCEBO : des mots et des maux, quand prédiction rime avec malédiction

EFFET NOCEBO : DES MOTS ET DES MAUX

QUAND PREDICTION RIME AVEC MALEDICTION

Par Annette Lexa

Docteur en toxicologie (Eurotox)

Expert toxicologue réglementaire-évaluateur de risque en santé-environnement

Une médecine qui néglige le lien entre le corps et l’esprit

La médecine moderne entretient l’idée qu’elle est une pratique rationnelle, objective, résultant d’une démarche scientifique, en progrès constant et dans laquelle la croyance n’entre pas en compte. Elle s’appuie de plus en plus sur des outils techniques de pointe, sur l’informatique, sur les statistiques... Elle repose sur le postulat réductionniste que l’activité thérapeutique est purement une activité pharmacologique moléculaire, ciblée sur la zone malade (en remplaçant, empêchant, régulant ou stimulant la synthèse ou la libération d’une molécule endogène). Le médicament ou l’acte thérapeutique est administré à un corps biologique censé être « inerte » et fait fi du corps vécu du malade, un peu comme on rajoute de l’huile dans un moteur ou qu’on resserre un boulon. Elle s’appuie sur la mesure de paramètres biologiques, sur des critères anatomo-pathologiques normés pour diagnostiquer ou évaluer l’efficacité d’un traitement. Et elle ne fait souvent que s’attaquer à un effet, une conséquence mais rarement à la cause première.

Ce système de pensée a permis de faire de grandes découvertes et d’obtenir des avancées majeures (douleur, infections, chirurgie…). Mais il nous a éloigné aussi du bon sens, du pragmatisme, de l’évidence. Notre longue tradition dualiste, héritée de Descartes, a séparé le corps et l’esprit et cette séparation entretient la confusion : les émotions, les pensées n’auraient aucune consistance, aucune réalité biologique (si ce n’est par la trace du passage d’un influx nerveux) et aucune influence sur le corps biologique. Cette conception du corps laisse entendre que l’ « esprit » serait une entité séparée du corps qui n’aurait aucun lien avec le corps. Ce qui est un des paradoxes du scientisme.

Pourtant, c’est la science elle-même qui a confirmé ce que nous savions de tout temps, à savoir que le corps et l’esprit sont intimement entremêlés, l’esprit influençant le corps et le corps influençant l’esprit dans un incessant aller-retour.

L’effet placebo véhicule l’espérance

La médecine a introduit l’effet placebo dans les essais cliniques visant à évaluer l’efficacité thérapeutique, mais elle continue largement à méconnaitre et sous-estimer cet effet pour des raisons éthiques, dogmatiques et économiques.

L’effet placebo, connu depuis longtemps déjà, a souvent été tourné en ridicule. Il reste insuffisamment étudié pour son potentiel thérapeutique. On sait juste qu’il agirait en influençant des mécanismes physiologiques de la défense de l’organisme (douleur, dépression, parkinson..), le cerveau secrétant des substances endogènes à leur tour capables d’influer les circuits de la douleur par exemple. Il peut aller jusqu’à provoquer la libération de dopamine chez des patient parkinsoniens chez qui il y a un déficit dopaminergique. Mais à ce jour le mécanisme initial (la croyance, l’émotion suscitée) qui a conduit à déclencher la voie biochimique conduisant in fine à la production de dopamine reste un mystère pour la science.

Et si l’effet placebo, dont l’origine est encore mal connue, est celui d’un objet qui véhicule de l’espérance, plus mystérieux encore est l’effet nocebo.

Quand prédiction rime avec malédiction

La définition de l’effet nocebo est ce qui cause la maladie par anticipation de la maladie dans un contexte émotionnel favorable. Le sujet attend un événement négatif bien défini via des messages sociaux, médiatiques, professionnels, populaires, etc., et cet évènement va survenir. Bien sûr, tout le monde n’est pas sensible à cet effet nocebo. Il va dépendre de l’état mental, du monde intérieur de la personne, de sa manière d‘être au monde, de ses croyances, de sa capacité d’auto-analyse, de l’époque et du contexte social dans lequel vit cette personne. Ainsi en est-il de la mort vaudou décrite par les premiers anthropologues, ou plus proche de nos sociétés, des hystéries collectives ou des catégorisations de pathologies (vous êtes pré-ménopausée, bipolaire, pré-hypertendue, votre enfant est dyslexique, il a un trouble de l’attention avec hyperactivité …)

L’effet nocebo repose sur 3 principaux mécanismes de l’esprit :

  • la suggestion : messages et attitudes négatives de la part des soignants, autosuggestion,
  • le conditionnement et la croyance,
  • la représentation symbolique : effet blouse blanche, représentations symboliques collectives,

Je crois, tu crois, nous croyons…

Nous avons oublié à quel point nous sommes des animaux symboliques. Des animaux parce que doués de capacité d’apprentissage réflexe, symboliques parce que nous avons besoin de représentations et de signes forts qui aient un sens.

Nous sommes capables d’autosuggestion et de suggestion (méthode Coué, hypnose…) , capables de manipulation mentale (le baquet de Mesmer et le magnétisme, la mort vaudou…) et nous négligeons à quel point la visite médicale, le blouse blanche et la pilule rouge ou bleue, les appareils d’imagerie ont remplacé ces curieux rituels qui nous semblent sortir d’une autre temps et nous paraissent ridicules. Nous avons oublié à quel point la réalité est construite par notre esprit et que nous avons tous besoin de croire et de nous convaincre.

Le philosophe américain Charles Sanders Peirce nous aide à comprendre comment s’imposent nos convictions, comme celle selon laquelle « plus un cancer est pris à temps, plus on a de chance d’en guérir » :

  • par la ténacité (la répétition) ce qui permet d’éviter de perdre du temps, quitte à s’obstiner dans la mauvaise foi,
  • par l’ a priori (c’est vraisemblable donc ça doit être vrai, même si ce n’est pas démontrable) cette méthode dispensant de tout effort ,
  • par l’usage de l’argument d’autorité (manipulation intellectuelle, chantage émotionnel, contrainte physique) qui permet d’organiser les foules en les déchargeant du doute et de la réflexion,
  • par la méthode scientifique, plus exigeante mais qui permet la critique de la méthode et des résultats.

La pièce « Le Docteur Knock ou le triomphe de la médecine » de Jules Romain est le parfait exemple de l’effet des convictions sur la santé. Il dénonce la manipulation d’une médecine devenue toute puissante au point de transformer tout bien portant en malade qui s’ignore. Or cette comédie datée est pourtant d’une totale modernité, puisqu’aujourd’hui nous assistons à la création de maladies et de pré-maladies à tout va (le « disease mongering ») et tout le monde y gagne… sauf l’individu bien-portant cerné de toute part (et encore étonné d’être en vie face à tant de maladies) et le vrai malade qu’une médecine débordée finit par ne plus pouvoir soigner correctement du fait d’une inflation de non-malades et de pré-malades encombrants les salles d’attentes.

La réponse au stress physiologique : un explication possible de l’effet nocebo

Face à une situation anxiogène, nous avons trois options : subir, fuir ou combattre. Si nous ne pouvons fuir, nous pouvons combattre. Si nous ne pouvons combattre, nous sommes condamnés à subir. Lors de situation de stress que nous ne pouvons éviter ni par la fuite ni par le combat (harcèlement moral par exemple), notre corps secrète des messagers chimiques, comme le cortisol, qui finissent par entraîner des pathologies : emballement du système immunitaire, infarctus, hypertension, troubles psychiques (perte de mémoire, fatigue, insomnies, anxiété, dépression), infections et cancers par effondrement du système immunitaire, suicide, mort.

Le rôle de la cholécystokinine (neuropeptide secrétée par le duodénum mais aussi le cerveau) est évoquée : il provoque une réaction de douleur chez une personne qui a peur (ainsi que de la nausée). La désactivation des système dopamine et opiacés endogènes sont aussi impliqués dans la douleur.

Un effet peu connu et largement sous estimé

Une recherche sur la base de données PubMed en 2011 a révélé que le mot-clé «nocebo » était indexé à 151 publications. En comparaison, plus de 150 000 étaient reliées au mot-clé « placebo » . 2200 études concernaient l’effet placebo alors que seulement 151 publications concernaient l’effet nocebo dont 20% étaient des études empiriques, le reste étant des lettres à l’éditeur, commentaires, éditoriaux et revues.

Le principal outil qui permet de vérifier l’efficacité d’une thérapie est l’essai clinique randomisé en double aveugle. Deux cohortes de patients choisis au hasard (appariés en fonction de l’âge ou autres critères), patient et médecin ignorant s’il s’agit de placebo ou de principe actif. On comprend facilement qu’il est éthiquement impossible à la médecine de nuire (primum non nocere) et que l’effet nocebo ne peut être étudié dans le cas d’essais cliniques randomisés.

Pourtant l’effet nocebo a été constaté lors du passage de médicament aux génériques. Et il a été étudié parce qu’il y avait des enjeux économiques. Le contenu des excipients change, l’aspect de la gélule et sa couleur changent, le gravage, la taille, le goût, la vitesse de dissolution sous la langue… Pourtant le principe actif reste inchangé. Et pourtant le taux de signalement d’effets indésirables explose.

Je me nuirai, tu me nuiras, nous nous nuirons…

Point n’est besoin d’aller chercher d’autre responsable que soi-même pour se nuire parfois :

  • Blessure narcissique, humiliation, rancœur, sentiment d’inutilité…
  • Loyauté familiale inconsciente
  • Syndrome d’anniversaire
  • Mort « programmée »
  • Habitude d’obéir, d’être assisté, manque d’audace, de courage…

La profession médicale porte sa part de responsabilité, inconsciemment bien souvent, ou par négligence, dans la portée de certaines paroles, silences, actes ou gestes :

  • Le diagnostic ou le pronostic (prophétie auto-réalisatrice) annoncé par le médecin (aggravé par l’obsession du droit de savoir inscrite dans la loi)
  • L’affection nommée, cataloguée,
  • La suggestion verbale brutale et maladroite d’un soignant («  Si vous ne suivez pas mon traitement, à Noël, vous êtes mort » ),
  • La lecture des résumés des ‘caractéristiques produits’ fournis aux patients (les effets indésirables),
  • Le décodage sauvage des conflits par des thérapeutes inexpérimentés générateurs d’effets pervers et iatrogène (théorie du Docteur Hamer, dite « Médecine Nouvelle Germanique ») ,
  • Les pratiques routinières, les interactions relationnelles nocives entre patients et soignants en établissement hospitalier (le manque d’interaction sensorielle, émotionnelle, la pensée négative).

Enfin, au niveau collectif, l’effet nocebo est bien connu :

  • Mort vaudou, hystéries collectives
  • Institutions hospitalières : déni de la souffrance, hyperactivité pour éviter la relation patient, clivage corps/esprit, recherche de sécurité excessive, routine, maternage, régression…
  • Le risque d’un effet nocebo auprès des bien-portants ( les malades qui « s’ignorent » ) et de leurs descendants, risque lié à la médecine prédictive personnalisée, au « disease mongering » (création de maladies), à l’obsession vaccinale, à l’obsession de la normalité, au dépistage du cancer, de la maladie d’Alzheimer incurable , etc.

Effet nocebo et dépistage du cancer du sein

Le dépistage systématique du cancer du sein, massivement réalisé sur un très grand nombre de femmes dans les pays occidentaux, dont l’immense majorité ne décédera jamais de cancer du sein, place le corps médical et la collectivité face à un dilemme éthique : à trop vouloir « bien faire », « sauver des vies », n’est–on pas en train de faire l’inverse ?

Le tabou qui entoure la peur panique d’une société dé-spiritualisée qui n’a plus rien à offrir d’autre que la surmédicalisation pour calmer les angoisses existentielles, doit-il continuer à prendre en otage des catégories normées de populations (comme les femmes de 50 à 74 ans par exemple) ? Les critères économiques doivent-ils conduire le corps médical à trahir un de ses principaux préceptes, primum non nocere ?

Comment faire un dépistage réellement ciblé, efficace, tout en évitant d‘induire un effet nocebo à long terme sur les femmes bien-portantes amenées possiblement à être surdiagnostiquées et surtraitées (30% de surdiagnostic, voire 50% dans le cas des cancers canalaires in situ) et sur leur descendance ? Voilà la question que devraient se poser les professionnels du système de santé aujourd’hui.

Car l’impact du dépistage précoce du cancer du sein sur la qualité de vie globale des femmes concernées (leur bien-être) est sous-estimé, nié et d’ailleurs pas du tout étudié lors de balances bénéfices risques. Et pourtant…

  • Stress chronique de la « terreur du cancer » entretenu par le corps médical relayé par les media,
  • Examens douloureux, anxiogènes, attentes angoissantes des examens et des résultats tous les 2 ans, erreurs de diagnostic et escalade diagnostique,
  • Impacts physiques et psychique des ablations « préventives » de seins, de séances de radiothérapie et de chimiothérapies pratiquées en excès,
  • Complications d’interventions chirurgicales et de diagnostics invasifs, maladies nosocomiales,
  • Cancers secondaires radio-induits par les expositions répétées aux rayonnements ionisants des mammographies et de la radiothérapie,
  • Effet nocebo transgénérationnel sur les filles et petites-filles de femmes ayant eu un cancer du sein dans leur famille.

Tous ces conséquences ne sont pas prises en compte dans ce que devrait être une évaluation bénéfice-risque globale en terme, non seulement de réduction de la mortalité, mais en terme de qualité de vie.

Qui fait l’ange fait la bête

Le bien-être (physique et psychique) est au centre de toutes les préoccupations. La moindre cellule psychologique est installée en cas d’évènements plus ou moins traumatisants. Sauf apparemment quand il s’agit d’enrôler des populations féminines entières, sans ménagement ni précautions particulières, dans le dépistage organisé du cancer du sein. Cet examen répété est générateur de mal-être chronique pour un certain nombre de femmes, mal-être dénié, sous-estimé par le corps social et médical, qui tente pourtant de le « dédramatiser », le banaliser alors qu’il porte en lui-même des conséquences individuelles et intimes possiblement dévastatrices. C’est un peu comme si la société acceptait ce prix à payer, ces sacrifices au nom du progrès médical.

Nous vivons dans une société anxiogène, créatrice de pathologies et dépensant une énergie folle à réparer les maladies et les pollutions qu’elle a elle-même créées (maladies dites de civilisation parmi lesquelles diabète, maladies cardiovasculaires, maladies auto-immunes, cancers …) et alors que nos connaissances fondamentales sur le développement (et la régression) des cancers par un organisme sont toujours au point mort.

Les mots sont un outil puissant dont dispose la médecine moderne. Mais les mots sont des armes à double tranchant qui peuvent guérir mais ils peuvent aussi tuer. Et le personnel médical n’est ni préparé ni encouragé à utiliser ce formidable outil thérapeutique.

La médecine, dans son obsession gestionnaire et judiciaire (loi Kouchner) est entrée dans un cercle vicieux agressif, régressif, générant de l’angoisse et de la peur en créant des pathologies par excès d’interventionnisme. Pourtant, elle pourrait retrouver le chemin du bon sens et du pragmatisme, et ceci dans l’intérêt des vrais malades qui devraient pouvoir bénéficier de toutes les attentions.

Pour cela, elle pourrait :

  • Traiter à la fois la pathologie et le corps ‘vécu’ du patient
  • Retrouver une place pour le sens symbolique, la parole qui guérit et les représentations de la maladie vécue dans les pratiques de soins
  • Veiller à l’efficacité symbolique tout au long du parcours de diagnostic et de soins
  • Retrouver les bienfaits du mensonge (le droit de ne pas savoir)
  • Eviter de créer des maladies par obsession de la norme
  • Pratiquer avec discernement la médecine prédictive qui repose sur le déterminisme génétique, sous-estimant la part de l’épigénétique, de l’environnement et du hasard dans le développement d’une pathologie
  • Etre avant tout pragmatique, retrouver le bon sens (est vrai ce qui réussit)

Enfin, les femmes, trop dociles et soumises au corps médical, devraient veiller à renouer avec leur intelligence et leur intuition et ne pas se précipiter dans l’engrenage des dépistages, ne pas s’y soumettre sans avoir auparavant pesé sereinement les avantages et les inconvénients personnels, intimes, que cela représente pour elles-mêmes.

Enfin, médecine et société devraient s’interroger autrement que par la réponse technoscientifique sur le sens de la vie et de la mort : reconnaître la place de la médecine qui ne fait pas d’elle le Maître absolu de la vie et la mort des individus, retrouver du sens ailleurs pour ne pas attendre et demander à la médecine plus qu’elle ne peut donner.

Au delà de la captation du sujet par les « experts » , les limites du dépistage nous ouvrent à tous des pistes de réflexions passionnantes sur nos peurs, nos fragilités, nos limites, nos faiblesses, nos libertés. Sur le sens de notre vie et de notre mort. Un beau challenge en réalité.

Bibliographie

Nocebo, la toxicité symbolique, ouvrage collectif, Collection Thériaka, remèdes et rationnalités, Jacques André Editeur, 2010, 231p.

Thierry Janssen, La maladie a-t-elle un sens, Ed Fayard, 2008, 351p.

Disease mongering ou stratégie de knock

http://docteurdu16.blogspot.fr/2009/02/disease-mongering-ou-la-strategie-de.html

The patient paradox. Why sexed-up medicine is bad for your health. Margaret McCartney.

http://docteurdu16.blogspot.fr/2015/12/the-patient-paradox-why-sexed-up.html

Raul de la Fuente-Fernandez et al. , Expectation and Dopamine Release: Mechanism of the Placebo Effect in Parkinson’s Disease, Science 10 August 2001 ,Vol. 293 no. 5532 pp. 1164-1166

Winfried Häuser et al, Nocebo Phenomena in Medicine, Their Relevance in Everyday Clinical Practice, Dtsch Arztebl Int. Jun 2012; 109(26): 459–46

Annette Lexa, Le dépistage du cancer du sein, dernier avatar de la misogynie médicale

http://cancer-rose.fr/qui-fait-quoi/le-depistage-du-cancer-du-sein-dernier-avatar-de-la-misogynie-medicale/

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