Quelle est la différence entre fausse alerte et surdiagnostic de cancer?



La confusion entre les deux est très souvent faite, il faut bien avouer que la différence n'est pas intuitive et que la notion de surdiagnostic est relativement récente.

Revenons donc aux définitions.

LA FAUSSE ALERTE (ou faux positif)

C'est la suspicion d'un cancer, sur une image mammographique, mais qui ne se confirmera pas, mais cela seulement après d'autres examens complémentaires.
C'est donc un non-cancer, ce que l'on sait après avoir réalisé d'autres examens que la mammographie.
Ces examens supplémentaires qu'il faut rajouter pour infirmer cette suspicion peuvent être lourds, et se soldent parfois même par des biopsies dont le nombre s’est largement accru depuis qu'on dépiste, cette situation étant favorisée par la double lecture effectuée dans le cadre du dépistage (un deuxième radiologue examine les clichés réalisés dans un premier cabinet).
Connaître une fausse alerte est souvent très stressant, car la femme doit attendre parfois plusieurs jours, voire plusieurs semaines avant la confirmation de l’absence de maladie, notamment pour les résultats des biopsies, où selon les régions le délai est entre une semaine et un mois.
Son chiffrage :
Pour 1000 femmes au-dessus de 50 ans participant au dépistage pendant 20 ans, il y aurait en France environ 1000 fausses alertes conduisant à 150 à 200 biopsies inutiles.
(Revue Prescrire, février 2015/Tome 35 N°376)
Mais d'autres évaluations existent, donnant des chiffres plus élevés. Voici par exemple une évaluation australienne 1 . Elle donne un résultat sur 25 ans, période correspondant à la durée globale de dépistage dans la vie d’une femme si elle suit le dépistage de 50 à 74 ans.

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Extrait du livre "mammo ou pas mammo?" ed.Thierry Souccar

Lire aussi, les conséquences psychologiques à long termes des faux positifs.

LE SURDIAGNOSTIC

Le surdiagnostic est un vrai diagnostic de cancer, sous le microscope il y a bien des cellules cancéreuses, mais son diagnostic est inutile à la femme car ce cancer n'aurait jamais impacté sa vie ni sa santé. Ce n'est pas une erreur de diagnostic, mais une lésion inutile à détecter.

Comment le reconnait-on? A l'échelle individuelle, devant une patiente, on ne peut le savoir. Pour le médecin traitant, l'anatomo-pathologiste, le radiologue, le chirurgien, il n'y a qu'un "diagnostic". C'est pour cela que tout ce qui sera détecté chez une femme donnée sera traité.

Mais à l'échelle d'une population, et ceci est valable pour tous les dépistages, les épidémiologistes constatent qu'il y a toujours plus de diagnostics de cancers dans les populations dépistées que dans celles non dépistées2 . Et qu'il y a d'autant plus de diagnostics que la pression du dépistage dans une population est forte3.
Dans l'étude citée en référence 2 les chercheurs d'Oslo ont comparé deux groupes de femmes de même âge, l'un dépisté tous les deux ans, l'autre non dépisté et examiné au bout de 6 ans. On trouvait 22% de diagnostics de cancers en plus dans le groupe dépisté (sans compter les carcinomes in situ, voir la question qui y est consacrée). Et de plus, avec un taux de mortalité identique dans les deux groupes…
Que peut-on en déduire ? Si toutes les cellules cancéreuses, toutes les lésions cancéreuses avaient pour vocation de devenir un "cancer-maladie", on aurait les mêmes taux de femmes atteintes de cancer dans les deux groupes, dépistés et non dépistés, puisque les deux groupes étaient composés de femmes au profil identique. Et on aurait dû avoir une différence significative en terme de mortalité.
Or, ce n'est pas ce qu'on constate. Il y a donc bien, lorsqu'on ne les cherche pas, des cancers qui n'évoluent pas, ou très lentement sans impacter la vie des personnes, que l'immunité de la personne parvient à contenir de telle sorte qu'il n'y a pas d'évolution vers la maladie cancéreuse. En effet, avoir un cancer n'est pas synonyme de malade du cancer.

On dispose également d'études d'autopsies. Lors des autopsies de personnes décédées d'autres causes que de leur cancer, on voit que de nombreuses personnes portent des lésions cancéreuses en elles, inexprimées, qui sont quiescentes4.
Mais quel est le problème du surdiagnostic dans le cancer du sein, ou dans d'autres formes de cancer ? Tant mieux après tout qu'on détecte un maximum de lésions, pourriez-vous objecter…

Le premier problème est que le surdiagnostic, donc un diagnostic inutile établi chez une personne saine et qui ne se plaint de rien, sera suivi immanquablement d'un surtraitement, un traitement inutile par définition. On décrète le début d'une "maladie" dès lors que la présence de cellules cancéreuses est confirmée sous le microscope.
Mais les traitements subis pour un cancer ne sont pas anodins. Ils comportent tous des risques, dont certains mortels5 . L'argument, plutôt cynique, que la femme bénéficiera d'un traitement "allégé" parce qu'on a trouvé une lésion petite n'est pas recevable. Il ne s'agit pas de délivrer à une femme un traitement léger (dont la "légèreté", pour celles passées par là, est toute relative), mais de ne rien faire du tout si cette femme n'en avait pas besoin.
L'allègement en matière de chirurgie reste d'ailleurs à prouver, partout où on dépiste, les mastectomies ne font qu'augmenter, on ne peut en aucun cas prétendre aux femmes d'avoir moins de chirurgie grâce au dépistage6.

Notre mini-vidéo sur le surdiagnostic ici: https://www.youtube.com/watch?v=Mr995i_Hetg&feature=emb_imp_woyt

Le deuxième problème est que si on accepte d'un dispositif médical un surdiagnostic avec un effet potentiellement délétère, il faut avoir pour la population un effet bénéfique compensateur, par exemple une réduction drastique de la mortalité, un effet sur la mortalité globale de la population, une réduction drastique aussi des cancers les plus graves, les plus mortels, et comme nous l'avons vu plus haut une réduction très significative des interventions lourdes de type chirurgie et radiothérapie.
Aucun de ces effets bénéfiques attendus du dépistage n'a été atteint…. Les cancers graves échappent au dépistage car disséminés souvent d'emblée, dès leur découverte, ils possèdent des caractéristiques biologiques 7 intrinsèquement péjoratives, ils sont rapides et volumineux au moment du diagnostic car ils ont une vélocité de croissance importante8.

Nous vous convions à vous reporter ici pour une explication plus détaillée.

Le chiffrage du surdiagnostic est variable selon estimations et études.
L'évaluation la plus connue et jusqu'à présent non contestée est celle de la Collaboration indépendante Cochrane que vous trouverez reproduite sur notre affiche ici.

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Il s'agit du résultat d'une méta-analyse, c'est à dire d'une analyse faite sur les résultats saisis de plusieurs études (des essais) réalisés à une époque où on disposait de cohortes de femmes non dépistées, afin de les comparer à des cohortes de femmes dépistées (dans les années 70/80).
Sur une population de 2000 femmes dépistées sur 10 années, on peut espérer une vie prolongée grâce au dépistage, mais dans le même temps 10 femmes sont surdiagnostiquées.
Il faut donc dépister beaucoup de femmes et pendant longtemps pour parvenir à voir un cas de vie "sauvée", mais dans le même temps surviennent davantage de cas de surdiagnostics. Cela représente des femmes qui paient un lourd tribut en matière de surtraitement, dont certaines meurent. Certains chercheurs avancent également que les effets mortels des accidents dus au surtraitement contrebalancent ce maigre bénéfice évoqué9. Selon le Professeur Baum auteur de l'étude citée en référence, pour une vie sauvée, une vie serait détruite en raison d'un effet mortel d'un surtraitement.

Signalons encore que cette méta-analyse des auteurs nordiques indépendants s'appuie sur des essais cliniques canadiens, qui ont fait l'objet d'un audit lequel a confirmé l'absence de biais.10

Troisièmement, sur le plan éthique on ne peut pas accepter, sous prétexte que le dépistage sauverait une femme sur 2 000 en 10 ans, de faire porter en contrepartie un préjudice à 200 à 400 autres femmes (les fausses alertes), et à encore 10 autres femmes (les surdiagnostics). Cela est éthiquement indéfendable.
Peu importe de quel ordre de grandeur est le surdiagnostic. Il existe. Et les batailles de pourcentage qu'on peut lire dans la presse d'une source à l'autre n'ont que peu d'intérêt lorsqu'une femme est concernée, car pour elle ce sera toujours 100%.
Et au minimum il faut en avertir les femmes avec une information loyale.

La balance bénéfices-risques du dépistage n'est donc pas, lorsqu'on fait la somme des effets adverses (surdiagnostic, fausses alertes, irradiation) en faveur d'un bénéfice prédominant, car la réduction de mortalité n'est pas significative et n'est pas imputable au dépistage (on observe une diminution de mortalité par cancer dès les années 90, avec l'amélioration des thérapeutiques, donc avant l'instauration des dépistages, et ce aussi pour d'autres cancers non dépistés, selon des études d'impact.)
Devenant un réel enjeu de santé publique avec la multiplication des examens de routine réalisés sur des populations saines, le terme du surdiagnostic a été inscrit officiellement au thésaurus de références du domaine biomédical.

Illustration en vidéo, résumé animé de ces deux notions :
https://www.youtube.com/watch?v=UK9KFFYAs2g

Liens connexes

Ces notions figurent dans notre outil d'aide à la décision que vous pouvez consulter.

Voir aussi, comment se développe un cancer ?

Références

[1] Jolyn Hersch. Aide à la décision pour le dépistage du cancer du sein pour les femmes à partir de 50 ans. C’est votre choix. (Brochure australienne). Page 7. [En ligne : https://ses.library.usyd. edu.au/bitstream/handle/2123/16658/2017%20updated%20breast%20screening%20DA%20 (Hersch%20et%20al).pdf;jsessionid=F0396C69AD95F6431008EA16CB3B9195?sequence=1]. Consulté le 30 juin 2021.

[2] Zahl P-H, mæhlen J, Welch HG. The natural history of invasive breast cancers detected by screening mammography. Arch Intern med. 2008 Nov 24;168(21):2311–6.

[3] https://cancer-rose.fr/2015/07/06/analyse-etude-jama/
Harding C, Pompei F, Burmistrov D, Welch HG, Abebe R, Wilson R. Breast Cancer Screening, Incidence, and Mortality Across US Counties. JAMA Intern Med. 2015 Sep;175(9):1483–9.

[4] https://cancer-rose.fr/2017/12/14/frequence-des-cancers-latents-de-decouverte-fortuite/
Thomas, E.T., Del Mar, C., Glasziou, P. et al. Prevalence of incidental breast cancer and precursor lesions in autopsy studies: a systematic review and meta-analysis. BMC Cancer 17, 808 (2017). https://doi.org/10.1186/s12885-017-3808-1

[5] Articles divers sur cardiopathies et leucémies après traitements https://cancer-rose.fr/?s=chez+les+survivantes+de+cancer

6] Notre étude sur les mastectomies en France publiée dans la revue Medecine

Nos résultats sont cohérents avec les résultats trouvés dans d’autres pays :

- aux Etats-Unis, dans une étude de 2015 portant sur 16 millions de femmes, une augmentation de 10% de l'activité du dépistage a été associée à une augmentation de presque 25% des tumorectomies et mastectomies partielles (RR 1,24 ; CI 1,15-1,34), sans diminution des mastectomies totales [8].

- au Royaume-Uni, selon le rapport dit Marmot de 2013 sur le dépistage des cancers du sein, la fréquence des mastectomies est augmentée d’environ 20% dans la population dépistée, par comparaison avec la population non dépistée [9].

- pour l’ensemble des essais comparatifs randomisés effectués dans le monde ayant examiné cette question, en 2013, la Collaboration Cochrane évalue que le nombre de mastectomies est augmenté de 20% (RR 1,20 ; CI 95% 1,08–1,32) et le nombre d’interventions chirurgicales (mastectomies et tumorectomies) est augmenté de 30% (RR 1,31 ; CI 95% 1,22–1,42) [10].

[7] https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

8] https://www.youtube.com/watch?v=pbGZdyUCITc

[9] Baum M. Harms from breast cancer screening outweigh benefits if death caused by treatment is included. BMJ 2013 ; 346 : f385. doi : https://doi.org/10.1136/bmj.f385

[10] Bailar J. C, MacMahon B. Randomization in the Canadian National Breast Screening Study: a review for evidence of subversion. Canadian Medical Association Journal. Jan 15, 1997;156(2):193-199.

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