Qu’est-ce qu’il se passe si je ne me fais pas dépister ?


L'espoir promis aux femmes d'anticiper le cancer du sein avant sa survenue par un dépistage régulier a renforcé l’illusion selon laquelle des femmes en bonne santé auraient besoin d'un test programmé, à savoir le dépistage du cancer du sein,  pour que leur vie soit sauve.
L' affirmation que le dépistage sauve des vies repose sur la réduction de la mortalité par maladie, donc spécifiquement par cancer du sein, au lieu de s'appuyer sur la réduction de la mortalité globale.
Ne donner que l'indicateur partiel de la réduction de la mortalité 'par cancer' prive les personnes de l’information sur leur principale préoccupation : réduire leur risque de mourir.
En étant malade de quelque chose, en l'occurrence du cancer du sein, il est possible de décéder du cancer du sein, d'une autre affection intercurrente, ou des effets des traitements de son cancer. Tout ceci est contenu dans le critère "mortalité globale" dont on sait maintenant qu'elle na pas été abaissée par les campagnes de dépistages du cancer du sein. Pourquoi ? Eh bien possiblement parce que la minime réduction de mortalité par cancer imputable au dépistage pourrait être compensée par des décès attribuables aux effets en aval du dépistage.(https://cancer-rose.fr/2019/08/08/synthese-detudes-un-exces-de-mortalite-imputable-aux-traitements-lemportant-sur-le-benefice-du-depistage/)

La mortalité globale, cette donnée jamais renseignée dans la documentation officielle ou lors des campagnes roses, devrait être le point de référence sur lequel on devrait évaluer l'efficacité du dépistage..
De plus, et de façon contre-intuitive, le dépistage du cancer du sein peut être générateur de iatrogénie (maladie induite par la médecine), de diagnostics inutiles, de fausses alertes et d'angoisses d'une maladie qui ne surviendra pas obligatoirement même si on ne se fait jamais dépister, (une voie que certaines femmes choisissent).
La considération et la prise en compte de ces préjudices, dans la balance bénéfice-risque du dépistage, est d'autant plus importante en l’absence d’un avantage global clair en matière de mortalité, ce qui est le cas pour le dépistage du cancer du sein.

Alors, qu'en est-il du "ne rien faire ?"

Le dépistage doit rester un choix

Les femmes à risque génétique ou familial ne sont ici pas concernées, car ont souvent déjà un suivi personnalisé et spécialisé. Ce sont des cas spécifiques.[1]

La femme, entre 50 et 74 ans, en bonne santé et sans antécédents, appelée tous les deux ans au dépistage, doit néanmoins avoir conscience que cette convocation est facultative, ne revêt aucun caractère d'urgence, et qu'on peut prendre le temps de la réflexion et surtout de l'information.
Si vous êtes dans ce cas de figure, vous avez ainsi la possibilité de faire votre choix personnel qui peut être basé sur des connaissances et des informations que vous avez déjà sur le dépistage du cancer du sein.

Si ce n'est pas le cas, et que vous avez un doute légitime sur le bien-fondé de participer à ce dépistage, votre décision peut alors se prendre avec l'aide d'un "outil d'aide à la décision" qui vous présente la balance bénéfice/risque du dépistage, comme vous en trouverez des exemples sur la page d'accueil du site Cancer Rose.
Cette décision, en effet, est variable selon les femmes, selon leurs propres valeurs et préférences, selon leur vécu personnel, leurs convictions et surtout en fonction de la valeur que chacune accorde aux bénéfices et aux risques que l'outil, neutre et objectif, lui expose.

Le professionnel de santé doit vous aider lors de la consultation, pour bien utiliser et comprendre l'outil, et vous expliquera les items qui y figurent, sans vous influencer.
Les notions importantes que sont 'mortalité'[2], 'surdiagnostic'[3] et les conséquences d'un 'surtraitement' doivent vous être bien expliquées, ainsi ce qu'est une 'survie à 5 ans'[4], par exemple.

Encore une fois, la prise de décision partagée est conditionnelle à la valeur relative que vous accorderez aux bénéfices et aux préjudices possibles du dépistage. C'est à cela que sert l'outil qui sera là pour soutenir la prise de décision partagée. Si vous choisissez de ne pas vous faire dépister, il convient de rester vigilante (ceci vaut pour toutes les femmes quel que soit leur âge) par rapport aux éventuels symptômes survenant dans le sein et devant alors vous amener, bien sûr, à consulter.

Pour toutes les femmes, il est nécessaire de bien comprendre que dépistage n'est pas prévention.
D'une manière générale pour une meilleure santé et pour limiter les risques de cancers, l'activité physique, l'éviction de la sur-consommation d'alcool et l'éviction tabagique restent des recommandations raisonnables.

Ce choix est éminemment personnel

Participer ou ne pas participer ? Ce choix tout d'abord, n’est pas irréversible, on peut changer d’avis.

Certaines femmes optent pour l'attitude de ne "rien-faire", qui n'est pas aussi radicale qu'il y paraît, lorsqu'on considère que la plupart des cancers du sein répondent bien au traitement, même lorsqu'ils ont progressé suffisamment dans l'organe pour se manifester par un symptôme.

Le cancer du poumon et les maladies cardiovasculaires tuent plus de femmes chaque année que le cancer du sein, pourtant aucune campagne ne presse le public féminin à effectuer des bilans renouvelés constamment pour dépister précocément ces maladies.

Actuellement, au vu de ces incertitudes sur le bien-fondé du dépistage du cancer du sein, des scientifiques et chercheurs indépendants recommandent aux femmes d'accorder de l'attention et de la vigilance à cet organe d'accès facile qu'est le sein, pour les inciter à consulter lorsqu'elles remarquent que quelque chose ne va pas, sans pour autant devenir compulsif au point de trouver des choses qui n'existent pas.

Les outils d'aide à la décision, représentations illustrées pour une meilleure compréhension et mémorisation de résultats chiffrés, doivent être utilisés au sein d'une consultation médicale pour permettre à la femme une prise de décision autonome et personnelle.

Il n'y a pas de "bonne " réponse à la question "dois-je me faire dépister? ", personne ne le sait mieux que la femme elle-même, sous réserve d'être bien informée, et l'opinion propre du professionnel de santé n'a pas sa place dans cette prise de décision.

L'enjeu

Ne pas participer au dépistage organisé, cela ne signifie pas être négligente, irresponsable ou ne pas vouloir se prendre en charge, ou même encore se désintéresser complètement de sa santé.

Cela signifie simplement opter pour une autre stratégie de prise en charge basée sur vigilance et réaction rapide en cas de symptômes. Avec cette autre stratégie, on perd peut-être un peu (mais pas beaucoup) en précocité de diagnostic mais on compense (largement) par une réduction très nette des traitements inutiles et de leurs effets secondaires.
Cette stratégie s'appelle "le diagnostic clinique précoce" et vous est détaillée dans un article.[5] Toutes les femmes, dépistées ou non, ont intérêt à être attentives aux modifications de leurs seins et à consulter en cas de modification du sein ou de l'apparition d'un symptôme.

Ce qu'on sait :

  • Il y a une grande incertitude sur le bénéfice du dépistage pour réduire la mortalité par cancer du sein.[6]
  • L'intérêt de dépister est d'autant plus remis en question que les thérapeutiques actuelles contre le cancer du sein sont performantes : diagnostiqué lors du dépistage ou non, un cancer du sein aura de grandes chances de guérir.
  • Le dépistage crée des inquiétudes (fausses alertes).[7]
  • Le dépistage n’empêche pas un cancer du sein de se déclarer après un examen mamographique (cancer d'intervalle), ainsi faussement rassurant.[8]
  • Il y a une part importante de surdiagnostics,[9] ce qui est un effet indésirable à présent bien identifié et reconnu du dépistage.
  • La survie[10] au cancer est identique chez les femmes dépistées et non dépistées.
  • Chez les dépistées, les interventions (chirurgie, radiothérapies, chimiothérapies) ne diminuent pas[11], contrairement à ce qu'on leur fait croire.
  • C'est la biologie-propre du cancer, l'existence de caractéristiques biologiques d'agressivité inhérentes au cancer - et non ce qu'une femme fait ou ne fait pas pour le découvrir - qui déterminera si ce cancer tuera son hôte ou non. Une tumeur avancée n'est pas la "faute" d'une femme qui n'aurait pas fait son dépistage, mais de la nature du cancer lui-même.[12]

Que dire aux femmes, quelle alternative ?

Selon M.Baum, professeur britannique émérite de chirurgie, auteur du livre the History and Mystery of Breast Cancer, on peut prodiguer des recommandations simples et de bon sens.
Voici ce qu'il conseille aux femmes :

-Vous pouvez réduire votre risque de cancer du sein en maintenant votre poids à un niveau raisonnable, en faisant beaucoup d'exercice, en mangeant beaucoup de fruits et de légumes et en limitant votre consommation d'alcool, sauf exceptions (fêtes).

-Ne pratiquez pas l'auto-examen des seins de manière ritualisée, mais soyez attentive aux changements dans votre corps, comme l'apparition éventuelle d'une bosse dans le sein, la déformation du mamelon ou la sensation d'une boule. À ce moment-là, prenez rendez-vous avec votre médecin. Ne considérez pas cela comme une urgence, mais pour votre tranquillité d'esprit, ne reportez pas la visite trop longtemps.

-Rappelez-vous qu'il n'y a pas que le cancer du sein qui compte dans la vie et la mort. Le cancer du sein ne figure plus parmi les cinq premières causes de décès chez les femmes. Considérez l'ensemble de votre santé et la façon dont vous pourriez éviter une mort prématurée due à des maladies plus communes (cardiopathies, NDLR).

-Un des objectifs est aussi est de pouvoir identifier un sous-groupe de femmes présentant un risque élevé de cancer du sein, et de leur proposer un traitement qui évite la toxicité de la radiothérapie qu'elles vont subir. (Par exemple TARGIT/IORT*).
*L'avantage le plus important de TARGIT pour une femme atteinte d'un cancer du sein est qu'il lui permet de terminer l'intégralité de son traitement local [tumorectomie et radiothérapie] au moment de son opération, avec une toxicité moindre.

Les politiques de santé

Les décideurs qui mettent en œuvre des plans nationaux de lutte contre le cancer doivent être conscients des graves lacunes des données qui leur sont souvent présentées comme indubitables.

Dans le contexte de la poursuite de messages incitatifs aux femmes lors de chaque mois d'octobre et de la faiblesse de l’information loyale disponible, il est très difficile de parvenir à délivrer aux femmes et à la société dans son ensemble de l'information consensuelle sur les préjudices et les avantages du dépistage du cancer du sein. 

L'alternative, c'est donc d’informer le public sur les désaccords qui existent, et dans tous les cas laisser les femmes faire leur choix.
Les décideurs politiques, s'ils veulent respecter les principes de non-malfaisance et d'éthique médicale[13] [14] doivent intégrer le fait qu'il faut améliorer non pas les taux de participation aux dépistage, mais davantage le consentement éclairé des personnes, ce qui passe non seulement par une information complète des données du problème mais aussi par la forme-même de la présentation de ces données, sans mettre en lumière de façon exagérée uniquement les bénéfices de ce dispositif de santé qu'est le dépistage du cancer du sein.

Les prestataires de soins doivent être honnêtes sur les limites du dépistage - les risques du dépistage sont certains, mais les bénéfices en termes de mortalité, et surtout de mortalité globale ne le sont pas. L'abandon du dépistage peut ainsi être un choix raisonnable et prudent pour de nombreuses personnes.

Références


[1] https://cancer-rose.fr/2017/11/20/quest-ce-quun-risque-eleve/

[2] https://cancer-rose.fr/2019/09/12/quest-ce-quun-depistage-efficace/

[3] https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/

[4] https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-que-la-survie/

[5] https://mypebs-en-question.fr/actus/duggan_lancet.php#ref

[6] https://cancer-rose.fr/2019/09/12/quest-ce-quun-depistage-efficace/

[7] https://cancer-rose.fr/2020/10/17/quest-ce-quune-mammographie-de-depistage/

[8] https://cancer-rose.fr/2019/09/12/quest-ce-quun-depistage-efficace/

[9] https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/

[10] https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-que-la-survie/

[11] https://cancer-rose.fr/2017/09/06/etude-le-depistage-organise-permet-il-reellement-dalleger-le-traitement-chirurgical-des-cancers-du-sein/

[12] https://www.youtube.com/watch?v=pbGZdyUCITc

[13] https://cancer-rose.fr/2021/06/28/non-malfaisance-et-ethique-du-depistage/

[14] https://cancer-rose.fr/2021/09/02/campagnes-de-depistage-vers-plus-de-prudence/

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