Non-malfaisance et éthique du dépistage

La non-malfaisance et l’éthique du consentement au dépistage du cancer

Lotte Elton

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Correspondance avec le Dr Lotte Elton, Département d’histoire et de philosophie des sciences, Université de Cambridge, Cambridge CB2 1TN, UK ;

Résumé

Les programmes de dépistage du cancer causent des dommages aux individus en raison du surdiagnostic et du surtraitement, même s’ils présentent des avantages au niveau de la population globale. Le dépistage semble donc enfreindre le principe de non-malfaisance, puisqu’il entraîne des dommages médicalement inutiles pour les individus. Le consentement aux programmes de dépistage peut-il nier la signification morale de ce préjudice ? Dans les contextes médicaux thérapeutiques, le consentement est utilisé comme un moyen de rendre le préjudice médical moralement acceptable. Cependant, dans cet article, je défends l’idée qu’il n’est pas évident que le modèle de consentement utilisé dans le cadre de la médecine thérapeutique puisse être appliqué sans problèmes à la médecine préventive.

L’invitation au dépistage bouleverse les normes et les attentes pragmatiques de la rencontre entre le patient et le médecin, si bien que deux principes clés du consentement peuvent être violés. Premièrement, les aspects pragmatiques d’une invitation médicale risquent de compromettre une information adéquate des patients, car ces derniers présument que les invitations médicales sont faites dans leur meilleur intérêt, même si des informations contraires sont présentées.

En second lieu, les invitations au dépistage peuvent exercer une pression sur les patients ; dans le contexte d’une consultation médicale, le fait de proposer une invitation au dépistage peut constituer une incitation à accepter.

Afin de s’assurer que le consentement d’un patient à une invitation au dépistage est bien valide, nous devons faire comprendre aux patients que leur décision d’accepter le dépistage peut être influencée non seulement par la manière dont les informations sur le dépistage sont présentées, mais par la forme pragmatique de l’invitation elle-même.

Introduction

Le dépistage du cancer est souvent présenté comme un moyen de « sauver des vies », ce qui implique que tous les patients qui subissent un dépistage en bénéficient. Cependant, même lorsqu’il y a un bénéfice global au sein d’une population, l’une des limites inhérentes au dépistage du cancer est que certains en bénéficieront au prix de préjudices pour d’autres.1 

Les décideurs politiques justifient souvent ces préjudices liés au dépistage en affirmant que les programmes de dépistage sont efficaces, c’est-à-dire qu’ils permettent une réduction nette de la morbidité et de la mortalité2 . 
Pourtant, une telle justification apparaît comme une atteinte au principe éthique de non-malfaisance, puisque les individus subissent des préjudices suite à l’intervention des professionnels de la santé dans la recherche d’un bénéfice au niveau de la population.
Dans les contextes médicaux thérapeutiques, la non-malfaisance est souvent surpassée par le principe d’autonomie, sous le couvert du consentement. Le consentement peut-il accomplir le même devoir moral dans des contextes préventifs comme le dépistage ?

Dans cet article, j’examinerai si le recours au consentement peut justifier une dérogation au principe de non-malfaisance dans le cadre du dépistage du cancer. Je démontrerai d’abord pourquoi le principe de non-malfaisance est pertinent pour les programmes de dépistage, même lorsqu’ils apportent un bénéfice net.
Ensuite, j’évaluerai le raisonnement selon lequel les préjudices subis pendant le dépistage peuvent être moralement non pertinents lorsque les patients ont donné leur consentement éclairé pour y participer.
Je défendrai l’idée que le paradigme du consentement tel qu’il s’applique à la médecine thérapeutique n’est pas nécessairement facilement applicable à la médecine préventive, car il existe une différence sur le plan pragmatique entre les deux situations. Pour répondre à cette question, je poursuis la réflexion de Chwang3 sur les effets de la conception afin de faire valoir que les patients doivent être informés de cette différence pragmatique pour que leur consentement au dépistage soit valable. Lorsque c’est le cas, le consentement du patient peut présenter un degré de moralité suffisant pour rendre acceptable tout préjudice subi par le dépistage.

Par souci de simplicité, je fais référence aux « médecins » comme les acteurs du dépistage. Dans la pratique, ce n’est souvent pas le cas : au Royaume-Uni, par exemple, c’est le National Health Service (NHS) Screening Programme qui lance la plupart des invitations aux programmes de dépistage. Néanmoins, il semble légitime de confondre les deux comme étant, aux yeux des patients, des « agents médicaux ».

Dépistage et non-malfaisance

Même lorsque les programmes de dépistage sont efficaces, il n’en demeure pas moins qu’un bénéfice net global est possible en dépit des préjudices subis par de nombreux individus. Il convient de noter ici que ma préoccupation porte sur les préjudices non compensés.

J’entends par là les préjudices subis par les personnes qui ne tirent aucun avantage du dépistage. En d’autres termes, si une personne dont le cancer est diagnostiqué grâce à sa participation à un programme de dépistage doit subir un traitement pénible, ce préjudice est moralement compensé si la détection précoce de son cancer prolonge sa vie.

Pour d’autres personnes, cependant, le dépistage conduit à un surdiagnostic : la détection d’anomalies qui n’auraient jamais évolué au point de causer des dommages. Il en résulte que de nombreux patients reçoivent un traitement médicalement inutile, comme l’excision du col de l’utérus pour traiter des cellules précancéreuses qui auraient pu régresser spontanément. Le surtraitement a ses propres conséquences : les femmes subissant une excision du col de l’utérus, par exemple, sont plus susceptibles de connaitre un accouchement prématuré4.

Le fait que le dépistage cause des dommages semble enfreindre le principe de non-malfaisance, l’un des principes fondamentaux de l’éthique médicale tel qu’il a été défini par Beauchamp et Childress.5 La non-malfaisance découle de l’axiome primum non nocere – « d’abord, ne pas nuire ». La non-malfaisance découle de l’axiome primum non nocere – d’abord, ne pas nuire. Pourtant, il est évident que les professionnels de la santé causent fréquemment du tort à leurs patients afin d’obtenir un plus grand bénéfice : un chirurgien peut, par exemple, amputer la jambe gangrenée d’un patient afin de lui sauver la vie. Comment pouvons-nous distinguer les dommages qui sont « acceptables » de ceux qui sont « inacceptables » ?

Je considère que nous pouvons moralement justifier le préjudice que représente l’amputation de la jambe gangrenée d’un patient dans la mesure où elle est médicalement nécessaire pour sauver sa vie, mais que nous ne pouvons pas justifier l’amputation de ses deux jambes si l’amputation d’une seule jambe apporte le même bénéfice. En d’autres termes, un dommage est médicalement nécessaire – et donc moralement acceptable – s’il constitue le moyen le moins dommageable de générer un plus grand bénéfice pour un patient donné.

Je définis donc la non-malfaisance comme une obligation prima facie de ne pas causer de dommages qui ne sont pas médicalement nécessaires. La distinction entre les préjudices médicalement nécessaires et les préjudices inutiles est intéressante car elle permet de comprendre pourquoi nous pouvons juger inacceptable d’amputer la jambe saine d’un patient pour sauver la vie d’un autre patient. L’amputation de la jambe d’un patient pour sauver sa propre vie présente le même bénéfice net que l’amputation de la jambe d’un patient pour sauver la vie d’un autre patient, mais ce dernier cas implique un dommage médicalement inutile.

Imaginons cependant que, pour sauver la vie d’un patient, nous devions infecter un autre patient avec un rhume. Peut-être que l’équilibre relatif entre les dommages et les bénéfices dans ce cas pourrait nous amener à croire que la propagation d’un rhume médicalement inutile est moralement acceptable. Cependant, étant donné que les préjudices du dépistage incluent des mastectomies inutiles6, je considère que le préjudice inhérent au dépistage s’apparente davantage à l’amputation d’une jambe qu’à un rhume.

Par conséquent, nous ne pouvons pas ignorer facilement la non-malfaisance dans le dépistage quand celui-ci présente un bénéfice global, car il est compliqué d’imposer des dommages graves et médicalement inutiles à certains individus même si cela apporte un bénéfice net à la population. Comment, dès lors, résoudre la question de la non-malfaisance dans le dépistage ?

Une réponse possible est de considérer que les préjudices liés au dépistage ne peuvent être justifiés que lorsque le bénéfice attendu pour un certain individu l’emporte sur le préjudice attendu pour ce même individu.

Il s’agit toutefois d’une norme impossible à appliquer : pour tout individu soumis à un dépistage, nous ne pouvons pas savoir, dès le départ, si les bénéfices pour lui l’emportent sur les préjudices. Plus encore, je soutiens que nous ne pouvons pas le savoir même après que le dépistage a eu lieu, puisque pour évaluer la balance bénéfice/préjudice, il faut savoir ce qui se serait passé si nous n’étions pas intervenus. Cette donnée est difficile, voire impossible, à obtenir. Trouver l’équilibre entre la bienfaisance au niveau de la population et la non-malfaisance au niveau individuel est, de toute évidence, une mission délicate. Serait-il possible de justifier plus facilement les dommages causés par le dépistage ? Bien que le dépistage cause nécessairement des dommages médicalement inutiles, tout individu participant au dépistage pourrait, en principe, en bénéficier : les dommages liés au dépistage résultent des risques imposés à un individu dans le but de lui faire bénéficier ou de faire bénéficier les autres. De cette manière, le dépistage peut être considéré comme une sorte de loterie. Il est beaucoup plus probable qu’un participant à la loterie soit lésé en perdant l’argent dépensé pour le billet de loterie qu’il ne le soit en gagnant le jackpot.

Le bénéfice potentiel est toutefois important, ce qui peut faire paraître en comparaison le préjudice lié au gaspillage d’argent insignifiant. En achetant un billet de loterie, un participant prend donc un risque qui se traduira par un bénéfice pour lui-même ou pour les autres. Si l’on admet que les loteries et le dépistage confèrent de grands bénéfices au moins à certains individus, on peut affirmer qu’un individu rationnel peut souhaiter accepter l’invitation au dépistage – malgré les préjudices qu’elle peut entraîner – sur la base du bénéfice potentiel qu’il peut en retirer. Si un individu souhaite accepter l’invitation, est-ce que son consentement à l’offre peut rendre moralement non pertinent tout préjudice qu’il pourrait subir ?

Le problème du consentement en médecine préventive

Examinons d’abord le caractère moral du consentement tel qu’il s’applique à la médecine thérapeutique. Le consentement accomplit un devoir moral en  » justifiant une action qui, autrement, violerait des normes, des standards ou des attentes importants « .7 Lorsqu’un patient donne son consentement à l’amputation de sa jambe gangrenée afin de lui sauver la vie, il rend moralement admissible une action qui violerait normalement des normes importantes. Pour que son consentement soit valide, il doit être à la fois éclairé et autonome ; en d’autres termes, il doit disposer d’informations suffisantes sur les conséquences de l’action à laquelle il donne son consentement, et être libre de toute pression.1 

Ces principes de consentement, bien établis dans les contextes médicaux thérapeutiques, ont historiquement été appliqués sans problème au dépistage. Cependant, plusieurs auteurs ont laissé entendre qu’il existe une distinction éthique entre la pratique médicale « quotidienne » et les interventions préventives telles que le dépistage8 9 . 

Ceux qui avancent cet argument suggèrent que la médecine préventive est éthiquement différente de la médecine thérapeutique, bien que peu nombreux soient ceux qui aient expliqué pourquoi exactement. Dans cette section, je cherche à démontrer qu’il existe une différence pragmatique entre les demandes initiées par le patient en médecine thérapeutique et les invitations initiées par le médecin en médecine préventive. Cela modifie les responsabilités éthiques qui doivent être assumées par le médecin, et les conditions dans lesquelles on peut attendre du consentement qu’il fasse son travail moral.

Dans la médecine thérapeutique, le patient se présente au médecin avec une plainte : le plus souvent, un symptôme ou un ensemble de symptômes. Le patient demande que cette situation soit traitée par le médecin, entrant ainsi dans une relation dans laquelle  » l’autorité sociale et cognitive spéciale  » du médecin est reconnue.10 Dans le dépistage, la relation est différente. Ici, un médecin sollicite une personne qui n’a pas cherché à consulter un médecin et l’invite à participer au dépistage.

Si nous faisons une distinction entre les contextes des demandes initiées par le patient et des invitations initiées par le médecin, comment cela peut-il nous amener à conclure que le consentement à ces dernières ne peut pas répondre aux exigences du consentement de type transactionnel ? Le fait d’inviter des personnes en bonne santé à participer à une intervention médicale perturbe le cadre normal de la rencontre thérapeutique entre le médecin et le patient, dans lequel le patient fait une demande au médecin. Si, comme l’affirme Rebecca Kukla, les « rituels de la clinique » sont « essentiels pour donner à la transaction [du consentement] la forme pragmatique qu’elle a »,10 alors nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la même formulation du consentement s’applique automatiquement dans le cas de la médecine préventive.

Dans la suite de cette section, je défendrai l’idée que les invitations au dépistage posent un problème pour deux raisons : premièrement, la pratique de l’invitation médicale est telle que le patient risque d’être mal informé ; et deuxièmement, le fait de faire une invitation médicale peut constituer une incitation à accepter.

Consentement éclairé

Il est largement démontré que les patients peuvent être mal informés sur le dépistage – par exemple, qu’ils ne sont pas toujours conscients des risques et des résultats potentiels de la participation à un programme de dépistage.11 Ceci n’est peut-être pas surprenant, étant donné que le surdiagnostic est rarement quantifié dans les essais de dépistage12 et rarement inclus dans les brochures d’information destinées aux patients.13 

Même lorsque des informations sur les risques sont fournies aux patients, la manière dont le risque est présenté peut affecter les décisions prises par les patients : par exemple, un patient peut consentir à une intervention décrite comme lui conférant 90 % de chances de survie, mais refuser la même intervention lorsqu’elle est décrite comme ayant 10 % de chances de mortalité. C’est ce qu’on appelle « l’effet de formulation ».3  De nombreux ouvrages de santé publique ont cherché à traiter les effets de la formulation, en détaillant des outils tels que les aides à la décision et les guides de communication du risque qui expliquent, par exemple, que 90 % de survie et 10 % de mortalité signifient la même chose.14 15 Je ne conteste pas ces efforts : il est utile d’examiner comment fournir aux patients les informations les plus claires et les plus pertinentes, et comment minimiser les effets de la formulation afin de rendre le consentement des patients plus solide moralement. Cependant, je présente ici une autre préoccupation : même en laissant de côté les questions d’heuristique du risque et de communication, la forme pragmatique d’une invitation médicale est telle que la condition de consentement  » éclairé  » peut être difficile à remplir, même si nous optimisons la communication du risque aux patients.

Les médecins sont dignes confiance.16 Lorsque les patients demandent à leur médecin de répondre à leurs préoccupations, ils supposent que celui-ci ne leur proposera pas de solutions médicales « inutiles, non professionnelles, trop risquées ou illégales ».7 Les options offertes en réponse à une demande du patient sont donc encadrées par des contraintes normatives avant même que le consentement du patient ne soit demandé.

Mais les invitations des médecins ont un sens pragmatique différent des demandes des patients. Dans ces cas, les patients s’attendent – et le font raisonnablement – à ce qu’un professionnel de la santé ne les invite pas à participer à une intervention, sauf si le professionnel de la santé s’attend à ce que cette intervention soit bénéfique pour le bénéficiaire. Cela peut conduire un patient à minimiser les conséquences négatives du dépistage, comme le surdiagnostic. Nous pouvons le voir clairement dans le cas de la méconnaissance thérapeutique, où les patients invités à participer à une recherche clinique déclarent que le principal objectif est souvent le bénéfice pour eux-mêmes et pour les autres sujets de la recherche17 .  Cela va au-delà d’un défaut de communication d’informations adéquates : de telles croyances persistent même lorsque les patients sont clairement informés que l’étude n’est pas destinée à leur bénéficier mais à de futurs patients, et même lorsqu’ils démontrent une compréhension de la randomisation et de l’utilisation de placebos.Selon mon point de vue, la méconnaissance thérapeutique révèle un problème beaucoup plus profond : les patients semblent supposer que les invitations médicales sont faites dans l’intention de leur apporter un bénéfice personnel.

Lorsqu’un médecin propose un dépistage, l’implication pragmatique comprise par les patients est qu’il s’agit d’une offre dans le meilleur intérêt du patient. Ceci est le cas même lorsque les risques de la participation sont soulignés, et même lorsqu’il est précisé que le programme présente un avantage au niveau de la population plutôt qu’au niveau individuel.

En invitant au dépistage, les médecins suggèrent aux personnes en bonne santé que leur participation au programme de dépistage leur permettra d’être encore plus en bonne santé ou de vivre plus longtemps en bonne santé.19 Nous voyons ici comment le modèle de communication conduit/contenant décrit par Manson et O’Neill – dans lequel les informations sont transférées entre des agents qui « émettent » et « reçoivent » des messages – ne rend pas compte de la complexité de la transaction de consentement.7 Même lorsque la communication d’un message est intelligible et pertinente, on ne peut pas supposer que les deux parties partagent la même compréhension. Les patients s’attendent à ce que leurs médecins se comportent à leur égard de manière bienveillante et non malveillante. Par conséquent, ils peuvent ne pas comprendre lorsque les médecins ne sont pas en mesure de respecter ces obligations, même lorsque cela est clairement expliqué.

Le choix du patient

Passons à ma deuxième réflexion : les invitations au dépistage sont problématiques du point de vue du choix du patient. Kukla discute des implications pragmatiques des invitations, soulignant comment les invitations « ne laissent à l’invité ni obligation ni libre choix neutre ».20 Un individu est libre de refuser l’invitation au dépistage. Mais une invitation – même si elle peut être refusée sans offense – doit être accueillante: elle doit être délivrée de manière à transmettre un encouragement plutôt qu’une indifférence.

Pour reprendre les mots de Derrida, cela ne devrait pas impliquer « si vous ne venez pas, ce n’est pas grave, cela n’a pas d’importance ».20 Les offres de dépistage constituent-elles des « invitations », dans ce sens pragmatique ? Je pense que oui. Pour prendre un exemple, la lettre invitant les femmes au dépistage du cancer du col de l’utérus commence par « le NHS propose le dépistage du cancer du col de l’utérus pour sauver des vies ». Il ne s’agit pas d’un « ça ne fait rien, ça n’a pas d’importance ». Il est conseillé aux cabinets de médecine générale d’ajouter un message personnel aux lettres au titre que le soutien du médecin généraliste encourage les patients à accepter l’invitation au dépistage.21 22 Même si une mise en garde est ajoutée indiquant que la décision d’accepter le dépistage du cancer du col de l’utérus est « votre choix », elle est en contradiction avec l’implication pragmatique du reste du message.

Et si l’on supprimait les « coups de pouce « 23, comme les messages personnels rédigés par le médecin généraliste, des invitations au dépistage ? Cela contribuerait certainement à réduire la pression exercée sur le patient pour qu’il accepte. Cependant, j’ai une autre préoccupation. Si nous voulons comprendre pleinement les implications pragmatiques d’une invitation, nous devons tenir compte du contexte dans lequel les invitations sont faites, et de la relation de pouvoir entre l’invitant et l’invité. Au cours des dernières décennies, il y a eu un effort concerté pour passer à un modèle de soins de santé qui met l’accent sur le partage du pouvoir entre le médecin et le patient24 .

Néanmoins, les médecins jouissent d’un degré élevé d’autorité dans l’environnement médical25 ; par conséquent, dans le contexte d’une rencontre médicale, le fait d’inviter au dépistage constitue au moins une incitation partielle à accepter. On pourrait faire valoir que le processus d’obtention du consentement dans toute situation médicale est nécessairement façonné par la dynamique du pouvoir et de l’autorité. Mais il y a une différence entre les patients qui font une demande et les médecins qui font une invitation.

Considérez la différence entre s’adresser à un avocat pour obtenir des conseils juridiques et recevoir une lettre d’un avocat vous suggérant d’intenter une action en justice. Les avocats, comme les médecins, occupent des positions d’autorité. Lorsqu’un patient s’adresse à un médecin ou demande conseil à un avocat, il a choisi de participer à une transaction structurée par des relations de pouvoir et d’autorité. Lorsqu’une patiente est invitée à participer à un dépistage ou à intenter une action en justice, elle n’a pas sollicité cette autorité et n’a pas de préoccupation à laquelle elle souhaite que l’on réponde. L’autorité médicale lui a donc été imposée ; dans une telle situation, nous devons examiner attentivement si son consentement peut être considéré comme valide.

Améliorer le consentement

Doit-on en conclure que les patients sont irrémédiablement mal informés sur le dépistage ? Les invitations au dépistage sont-elles toujours intrinsèquement coercitives ? Pas nécessairement. Comme je l’ai souligné, la forme pragmatique d’une invitation au dépistage peut signifier que les patients sont poussés à l’accepter ou qu’ils sont mal informés de ses implications. Cependant, nous pourrions peut-être considérer la forme pragmatique d’une invitation au dépistage comme une sorte d’effet de formulation, conduisant les patients à percevoir le dépistage différemment en fonction de la manière dont l’invitation est faite et de la personne qui la fait.

Comment pouvons-nous aborder la question si nous la considérons comme un effet de formulation ? Chwang3 soutient que le consentement d’un patient peut être invalidé en présence d’effets de cadrage, mais que ce consentement peut être revalidé par le « débiaisage » : alerter les patients sur les effets de formulation auxquels ils sont soumis.

Ainsi, plutôt que de présenter simplement aux patients des informations (par exemple, qu’une intervention a un taux de mortalité de 10 % et/ou un taux de survie de 90 %), nous pouvons présenter des méta-informations, qui mettent en évidence les effets de la formulation : par exemple, en expliquant aux patients qu’ils sont susceptibles de prendre une décision différente quant à l’acceptation ou au rejet de l’intervention selon qu’on leur dit qu’elle a un taux de mortalité de 10 % ou un taux de survie de 90 %. Nous pouvons également appliquer une distinction similaire entre information et méta-information à mon exemple précédent de méconnaissance thérapeutique. Les participants à une recherche reçoivent des informations : par exemple, « le but de cette étude est de confirmer que le médicament X est efficace pour traiter le cancer ». Malgré cela, les participants semblent toujours croire que les essais sont menés dans leur propre intérêt. Cependant, la méta-information pourrait peut-être remédier à la méconnaissance thérapeutique : par exemple, « les participants à la recherche peuvent avoir l’impression que l’essai de recherche est destiné à traiter leur maladie, même si ce n’est pas son objectif principal ».

La fourniture d’une méta-information est, à mon avis, le moyen le plus convaincant de répondre aux questions que j’ai soulevées dans cet article sur la pragmatique des invitations médicales. À quoi pourrait ressembler la fourniture d’une méta-information sur le dépistage ? Les documents d’information sur le dépistage pourraient mettre en évidence le fait que de nombreux patients croient (raisonnablement) qu’une invitation au dépistage est faite dans leur meilleur intérêt, même s’il est inévitable que certaines personnes soient lésées par le dépistage. De même, les invitations au dépistage pourraient non seulement souligner que l’acceptation de l’invitation est un choix du patient, mais aussi expliquer que les patients peuvent se sentir poussés à accepter les invitations faites par leur médecin. De telles mesures contribueraient à dévaloriser les patients, puisqu’elles leur font comprendre que leur consentement au dépistage est conditionné par le fait qu’ils sont invités à y participer par des médecins. Si, par le biais de la dévalorisation, nous sommes en mesure d’éliminer l’effet de formulation induit par la forme pragmatique d’une invitation médicale, cela dissiperait ma crainte que ces invitations puissent exercer une pression sur les patients ou les désinformer. En retour, cela permettrait au consentement des patients aux invitations au dépistage de faire un travail moral en justifiant le préjudice que les patients peuvent subir s’ils se soumettent au dépistage.

Conclusion

La non-malfaisance en matière de dépistage n’est pas un problème que l’on peut facilement écarter, même lorsqu’un programme de dépistage présente des avantages pour la population. Dans les contextes médicaux thérapeutiques, la non-malfaisance est parfois outrepassée par un appel au consentement. Cependant, il n’est pas certain que le paradigme du consentement tel qu’il s’applique à la médecine thérapeutique puisse être appliqué sans problème aux cas de médecine préventive. L’invitation au dépistage modifie les normes pragmatiques et les attentes de la rencontre entre le patient et le médecin, si bien que le consentement peut être incapable d’accomplir le même travail moral que dans les rencontres thérapeutiques initiées par un patient.

L’un des moyens de résoudre ce problème consiste à fournir des méta-informations, qui expliquent clairement aux patients comment les aspects pragmatiques d’une invitation au dépistage peuvent influer sur leur décision d’accepter cette invitation. Ce point est pertinent au-delà du dépistage du cancer. Lorsque des préjudices individuels peuvent résulter d’autres invitations lancées par le médecin – par exemple, le dépistage prénatal d’anomalies génétiques ou les examens de santé cardiovasculaire – il peut être insuffisant de fournir aux patients des informations sur les risques et les avantages de l’intervention. Pour que le consentement d’un patient à une invitation lancée par un médecin soit valable, nous devons lui faire comprendre qu’il est soumis à des effets de cadrage, qui concernent non seulement l’information sur les risques, mais aussi la forme pragmatique des invitations elles-mêmes.

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