L’étude MyPebs pourra-t-elle déboucher sur de nouvelles recommandations européennes ?

MyPeBS est présentée par ses promoteurs comme une étude destinée à aider l'Europe à choisir le dépistage du futur : « the final objective of MyPeBS is to deliver the best recommendations for the best future breast cancer screening strategy in Europe » (page 25 du protocole).

L'apport de l'étude MyPebs aux "futures recommandations pour l'Europe" est fort douteuse, pour deux raisons :

  • La méthode choisie est une non-infériorité, ce qui fait que si cet objectif est atteint, on aura montré seulement qu'un dépistage individualisé n'est ni moins mauvais ni moins bon que le standard. La contribution de l'étude, au mieux, et en tolérant jusqu'à 25% de cancers graves en plus au lieu d'en réduire le nombre comme un dépistage doit le faire, se limitera à avoir montré que le  dépistage individualisé et le dépistage standard ont une efficacité "équivalente". Cela ne permettra donc pas de trancher le débat sur l'utilité pur les femmes d'un dépistage.
  • Les promoteurs de MyPeBS n'envisagent que deux options pour la future stratégie européenne de dépistage : la poursuite du dépistage actuel et l'évolution vers un dépistage personnalisé basé sur le risque individuel. Ils omettent une 3ème option : l'arrêt du dépistage.  Pourtant la condition, si on veut avoir une idée réelle sur la mortalité et sur les dommages collatéraux, c'est d'avoir un groupe comparatif vierge de tout dépistage.

La conclusion est formulée par Dr V.Robert, statisticien :

" En résumé, MyPeBS va peut-être répondre à la question : le dépistage individualisé est-il non-inférieur au dépistage standard. Mais on ne saura pas si par non-inférieur il faut comprendre aussi bien ou aussi mal.  Les décideurs ne seront donc pas beaucoup plus avancés et il ne leur restera qu'à jouer à pile ou face s'ils continuent le dépistage actuel, passent au dépistage personnalisé ou arrêtent le dépistage. Et l'Europe aura dépensé 12 millions d'euros pour de biens maigres résultats.

Une question alors : si MyPeBS n'a pas d'intérêt pourquoi une telle étude ?

La réponse est évidente si on applique le vieil adage « Cherche à qui profite le crime ». Et de toute évidence, le crime profite au lobby du dépistage. Le rapport bénéfices/risques du dépistage est de plus en plus remis en question et, parallèlement, la participation des femmes au dépistage stagne (moins de 50% en France). Or il y a consensus à considérer que le rapport coût/efficacité d'un programme de dépistage du cancer du sein n'est intéressant que si le taux de participation atteint ou dépasse 70%. Pour le lobby du dépistage, il y a donc urgence. Et MyPeBS tombe à point nommé. D'une part, avec le dépistage personnalisé, on espère redonner un nouveau souffle au dépistage en faisant de nouvelles promesses, les anciennes n'ayant pas été tenues. D'autre part, on peut arguer qu'il n'est pas logique de prendre une décision avant que les résultats de l'étude ne soient connus ; ce qui va prendre au moins 6 ans. Ce sont autant d'années pendant lesquelles le dépistage actuel sera de fait sanctuarisé. "

Le choix d’une étude de non-infériorité est-il justifié pour vérifier si un dépistage individualisé apporte un bénéfice aux femmes ?

Dr V.Robert

Comme cela est rappelé dans le protocole, une étude de non-infériorité est licite si l'efficacité est conservée et les effets indésirables réduits  (le rapport bénéfices/risques est alors favorable par diminution des risques plutôt que par augmentation des bénéfices).

On s'attend donc à trouver dans le rationnel de l'étude quelque chose comme : les études antérieures ayant montré une diminution des faux positifs et des surdiagnostics, on peut considérer que le rapport bénéfices/risques du dépistage individualisé reste favorable tant qu'il n'y a pas de perte d'efficacité supérieure à 25%.

Ce n'est pas le cas.

Au contraire, on peut lire (dans le protocole complet NDLR) que la fréquence des faux positifs et des surdiagnostics avec un dépistage personnalisé selon le niveau de risque n'ont à ce jour pas été étudiés et restent inconnus. L'estimation de ces fréquences fait d'ailleurs partie des objectifs accessoires de MyPeBS.

La conception de l'étude est défavorable aux femmes

 

Et ce n'est pas un point de détail. L'étude de non-infériorité avec un seuil à 25% signifie que, même si le dépistage individualisé est moins efficace que le dépistage standard, tant qu'on est sûr que la perte d'efficacité ne dépasse pas 25%,  on va conclure que le dépistage  individualisé n'est pas inférieur au dépistage standard. Autrement dit, on accepte de conclure à la non-infériorité en sachant qu'on ne peut exclure une perte d'efficacité pouvant aller jusqu'à 25%.

(NDLR : Le dispositif peut s'avérer inutile pour réduire réellement le risque de cancers graves, mais être recommandé car il ne semble pas favoriser un taux de cancers graves au-delà d'un seuil arbitraire de 25% de cancers graves tolérés en plus.. En effet, selon les promoteurs de l’étude Mypebs, dans le groupe dépistage habituel, on pense trouver 480 nouveaux cas de tumeurs graves pour 100000 femmes au bout de 4 ans. Si, pour le groupe "nouveau dépistage basé sur le risque individuel" le taux des cancers graves trouvés est supérieur mais sans dépasser 600 cas pour 100000 femmes, alors les deux groupes seront déclarés arbitrairement équivalents. En d’autres termes, 25% de cancers graves en plus, c'est égal à rien ! )

Pour bien  comprendre ce que signifie un seuil de non-infériorité à 25%, on peut faire le parallèle suivant : imaginons que vous soyez convoqué par votre patron et qu'il vous annonce qu'il réfléchit à votre salaire. Il vous précise qu'il ne faut pas vous inquiéter parce que, de toute façon, votre salaire ne baissera pas beaucoup, pas plus de 25%. Et en plus, il n'a pas encore pris sa décision donc peut-être que votre salaire baissera (mais pas plus de 25%) mais peut-être pas, peut-être même qu'il augmentera un peu. Considéreriez-vous qu'une baisse de salaire de 25% est anodine? Et seriez-vous rassuré par la promesse que votre salaire ne baissera pas de plus de 25% et peut-être même ne baissera pas voire augmentera un peu ?

__________

D'une part, avec le dépistage personnalisé, on espère redonner un nouveau souffle au dépistage en faisant de nouvelles promesses, les anciennes n'ayant pas été tenues. D'autre part, on peut arguer qu'il n'est pas logique de prendre une décision avant que les résultats de l'étude ne soient connus ; ce qui va prendre au moins 6 ans. Ce sont autant d'années pendant lesquelles le dépistage actuel sera, de fait, sanctuarisé.

Merci à Dr Robert pour ces éclairages

 

Les femmes dans le groupe dépistage individualisé exposées à un sur-risque d'irradiation

 

Comme vous le voyez, les femmes à très haut risque vont être davantage exposées, alors que le haut risque est considéré comme "équivalent à celui d'une femme porteuse d'une mutation..BCRA..."

Ces femmes ont un risque de cancer radio-induit dès la première mammographie, voir : https://cancer-rose.fr/2019/07/18/radiotoxicite-et-depistage-de-cancer-du-sein-prudence-prudence-prudence/

Qu’est-ce qu’un seuil de non-infériorité ?

 

L'objectif principal est de rechercher, non pas si la nouvelle stratégie par dépistage individualisé serait meilleure que le dépistage actuel, mais si la nouvelle stratégie de dépistage basée sur le risque n'est pas inférieure que la procédure standard sur le plan de la réduction du taux de cancers graves.

On mesure donc le taux des cancers avancés, de stade 2 et plus de chaque groupe, on compare statistiquement ces deux groupes afin d'effectuer un calcul de non-infériorité du groupe basé sur le risque par rapport au groupe standard.

Il s’agit de vérifier si le dépistage individualisé ne conduit pas à une augmentation de plus de 25% du taux de cancers graves, par comparaison avec le dépistage standard. Ce seuil de 25% est fixé arbitrairement, et il est très généreux.

Concrètement :

Selon le synopsis de l’étude, dans le groupe standard, on attend la survenue de 480 tumeurs de stade 2 ou plus pour 100 000 femmes au cours des 4 ans de l’essai.

Le synopsis explique que le seuil de non infériorité choisi  « correspond à une augmentation jusqu’à :

120/100 000 cancers de stade 2 du taux de risque cumulé sur 4 ans dans le groupe basé sur le risque individuel »

Autrement dit, s’il apparaît 600 cancers avancés / 100 000 femmes (au lieu de 480), soit +25% dans le groupe dépistage individuel, alors il sera arbitrairement considéré comme « non inférieur » ou « équivalent » au dépistage standard.

On déclarera l'étude un succès...

Explication plus détaillée avec schémas ici : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/02/25/presentation-simplifiee-du-probleme-que-pose-la-methodologie-de-mypebs/

Qu’est-ce qu’une non-infériorité, qu’est-ce qu’une étude de non-infériorité ?

 

Dans les études de non-infériorité il s'agit de comparer deux choses (dispositif médical, procédé, médicament) pour vérifier si le dispositif ou procédé ou traitement testé ne serait pas moins bon que ce qui est déjà en cours d'utilisation, en tolérant une certaine perte d'efficacité, à hauteur d'un certain seuil tolérable, qu'on appelle le seuil de non-infériorité.

Ici, on souhaite tester un dépistage individuel, fondé sur un niveau de risque individuel calculé pour chaque personne, versus le dépistage standard tel qu'il est pratiqué actuellement. Le but étant qu'avec le dépistage individualisé on diminue le taux des cancers avancés (partant du principe qu'en détectant davantage de cancers on aurait moins de formes avancées).

Pour le patient il doit y avoir une compensation positive de cet autre procédé, dispositif ou traitement, sous forme d'avantages cliniques (moins d'effets indésirables, diminution des traitements), d'avantages pratiques, d'avantages en terme d'accès aux soins, d'avantages économiques.

Les conditions sont que la non-infériorité et son seuil choisi soient explicites, profitent au patient, et vérifiés dans l'étude.

Les essais de non infériorité sont des études utilisées dans le cas où une intervention donnée est reconnue efficace, mais est associée à des toxicités importantes, et qu'on veut démontrer qu’une nouvelle intervention alternative (celle qui va être testée) est au moins aussi efficace, mais généralement associé à une diminution des toxicités.

C'est ce qui est allégué par les concepteurs de MyPebs, sauf que l'efficacité du dépistage actuel n'est plus aussi formellement démontrée depuis les études internationales récentes, qui ne retrouvent plus la diminution de mortalité imputable au dépistage comme les premières études des années 60-80. Et que d'autre part il est clairement dit dans le protocole de l'étude que les femmes dans le groupe haut risque du nouveau dépistage testé (dit "dépistage individuel") pourront être exposées à des risques accrus : "Chez les personnes à risque élevé, même si les méfaits du dépistage ne diminueront pas et peut même augmenteront en raison d’une fréquence de dépistage plus élevée, ce dépistage a de grandes chances d’être plus efficace...". Mais ceci n'est pas sûr, et à ce jour inconnu. Cela est explicitement écrit dans le rationnel de l'étude * :

"À ce jour, les dommages supplémentaires (mammographies faussement positives, possibles surdiagnostics, biopsies rétrospectives inutiles, mammographies faussement négatives) et les bénéfices supplémentaires de l’utilisation de l’information sur les risques polygéniques afin d'adapter les stratégies de dépistage (décès par cancer du sein évités, années de vie sauvées ajustées à la qualité de vie, réduction de la mortalité par cancer du sein) demeurent non testées et inconnues." ( page 47, point 1.1.25)

*Le rationnel de l'étude est une partie du protocole qui justifie l'étude et explique pourquoi on la fait. Ce document n'a pas été mis à disposition du public alors que l'étude est déjà lancée. En voici notre analyse : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/12/01/le-rationnel-de-letude-2/

Voir aussi la présentation des études de non-infériorité et de MyPEBS au colloque de Bobigny : https://cancer-rose.fr/my-pebs/2019/12/07/presentation-colloque-de-bobigny-nov-2019/