Dr Annette LEXA (PhD Toxicologie)
2 juillet 2019
En octobre 2017, je publiais sur ce site un texte informatif sur le risque lié à la radiotoxicité[1], expliquant que 15 années de travaux de recherche du Groupe de radiobiologie de l’UMR 1052 INSERM (unité mixte de recherche au sein de l’Institut National de la santé et de la recherche médicale, Lyon) démontraient que nous ne sommes pas égaux devant les radiations. Cette question n’est d’ailleurs pas nouvelle dans les milieux autorisés, l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) s’en inquiétait déjà en 2003, appelant à l’étude et à la protection des populations à risque « en faisant évoluer les pratiques médicales vis-à-vis des rayonnements ionisants et par le biais d’une éventuelle évolution de la règlementation. » .
Nous sommes en 2019, les preuves s’amoncellent et rien ne bouge. La principale raison est le manque de transversalité disciplinaire : si les radiothérapeutes et les radiophysiciens sont des collaborateurs quotidiens, les radiobiologistes sont rares et moins intégrés dans les choix thérapeutiques. Alors que les radiothérapeutes incriminent des problèmes de doses physiques reçues, ce sont des causes biologiques qui éclairent les réactions dramatiques des patients, forçant à arrêter la radiothérapie pourtant nécessaire.
Il faut savoir que le contexte réglementaire actuel[2], issu des modifications du Code du travail et du Code de la santé publique introduites en 2002-2003, est basé en particulier sur le suivi des 120 000 survivants d’Hiroshima-Nagasaki. Nous sommes désormais face à un changement de paradigme qui est en train de bouleverser notre vision des événements radioinduits. Les partisans de l’hubris autour du dépistage précoce de cancers n’ont pas pensé un seul instant à ce changement de paradigme : les dépistages précoces vont induire encore plus d’imageries médicales, de surdiagnostics, de surtraitements, de cancers radioinduits chez les femmes jeunes et en bonne santé.
Ce nouveau paradigme doit impérativement être intégré dans la réglementation, dans les bonnes pratiques médicales, dans les campagnes de dépistage des populations ainsi que dans toutes les études cliniques et épidémiologiques (comme cette vaste étude européenne My PEBs, enrôlant, sans la moindre précaution, sans information ni consentement éclairé sur ce sujet, des femmes dès 40 ans[3] . Ce n’est même plus une question de principe de précaution, c’est une question de prévention car on ne peut plus dire « nous ne savions pas ».
Les mécanismes en cause
Les radiations induisent des effets chromosomiques se traduisant par des anomalies bien connues (micronoyau, translocation, insertion) qui sont la manifestation de cassures double brin (CDB) d’ADN mal réparées. La mauvaise réparation des CDB est l’évènement le plus grave que peut subir la double hélice d’ADN.
Pour une même dose de radiation absorbée, nos cellules subissent 40 CDB / Gy (le Gray est l’unité de mesure utilisée en médecine pour quantifier l’irradiation). Mais il existe déjà des CBD à 1mGy et l’effet est significatif aux alentours de 100-300 mGy, on parle alors d’hyper-radiosensibilité aux faibles doses. C’est la persistance de lésions non réparées qui compte et c‘est sur la signalisation et la réparation de notre ADN que nous ne sommes pas tous égaux devant les radiations.
Chez l’homme, il existe 2 modes de réparation des CDB : la suture (prédominante) et la recombinaison . C’est le modèle de la chaussette trouée, expliquée par Nicolas Foray : soit on rapproche les 2 morceaux et on les lie entre eux (suture), soit on fait un rapiéçage quand le trou est trop grand, comme le faisaient nos grand mères (recombinaison). Le modèle de réparation par suture est source d’erreurs pouvant conduire à une forte radiosensibilité et une immunodéficience sévère. Le modèle de réparation par recombinaisons produit forcément dans d’autres régions de l’ADN des cassures, puisqu’il faut prélever un morceau d’ADN pour réparer la première cassure, entraînant ainsi des lésions d’ADN en chaîne.
Il existe tout une catégorie de protéines dites ‘suppresseurs de tumeurs’ qui sont impliquées dans la signalisation et la réparation de l’ADN. Elles fonctionnent bien chez les individus homozygotes[4] pour ces protéines comme BRCA1, BRC12, p53, Rb…
– Les mutations hétérozygotes BRCA1+/- de la protéine BRCA1, responsables de la majorité des cancers familiaux du sein et de l’ovaire, augmentent d’un facteur 6 à 10 le risque de cancer. BRCA1 est très liée à la protéine ATM[5] intervenant dans la signalisation des CDB et seraient indispensable à l’action de la protéine Rad51[6] impliquée dans la réparation par recombinaison de l’ADN.
– Les mutations hétérozygote BRCA2 +/- sont impliquées dans le cancer de l’ovaire et du sein mâle. La protéine BRCA2 interagit avec la protéine RAD51 pour la réparation de l’ADN
– Une surexpression de la protéine Rad51 induit des hyper-recombinaisons, source de forte instabilité génétique conduisant à des processus tumoraux. Nous ssavons désormais que les personnes radiosusceptibles font des excès d’hyper-recombinaisons conduisant à des cancers radioinduits.
Les travaux du Groupe de radiobiologie a mis en évidence 3 groupes de populations en fonction de leur résistance aux radiations :
– Radioresistant (Groupe I)75-85% de la population : protéine cytoplasmique ATM sous forme dimère, très bonne reconnaissance des CDB , pas de prédisposition au cancer.
– Radiosensibilité modérée (Groupe II) 5-20% de la population : transit de la protéine ATM dans le noyau retardé, mauvaise reconnaissance des CDB, mauvaise réparation, radiosensibilité modérée, haut risque de cancer.
– Hyper radiosensibilité (Groupe ) >1% de la population : mutation de la protéine ATM, mauvaise reconnaissances des CDB, mauvaise réparation, hyper-radiosensibilité, haut risque de cancer.
La radiosensibilité de l’ADN aux faibles doses de rayonnements ionisants
On sait déjà que le sein est un organe radiosensible. La mammographie, par la réalisation de clichés successifs, entraîne la répétition de faibles doses 2 mGy envoyées à 3 minutes d’intervalle. Ces radiations vont induire chez certaines femmes une réaction tissulaire : apoptose[7] cellulaire, cassures de l’ADN double brin (CDB) avec des défauts de réparation tardifs pouvant induire soit un cancer secondaire à partir de cellules mal réparées, soit la mort cellulaire. Lorsque les mécanismes de contrôle sont efficaces, la mort cellulaire est plus probable que sa transformation en lignée de cellules cancéreuses immortelles.
Cette radiosensiblité est connue depuis longtemps en radiothérapie, ses effets attendus tardifs, durables et très difficiles à soigner (brûlure, nécrose, fibrose, apoptoses) touchent 5-15% des patients traités pour des cancers (8000-25000 personnes par an).
Une radiosensibilité extrême existe dans plusieurs syndromes de déficience génétique rare (ataxie telangiectasie, progeria, xeroderma pigmentosum, chorée de Huntington, anémie de Fanconi , Syndrome de Li-Fraumeni…) : les malades, homozygotes pour les gènes impliqués ne sont pas en mesure de supporter les doses utilisées en imagerie médicale. Si ces cas sont rares mais décelables, il se pourrait que dans la population générale on observe un grand nombre d’hétérozygotes, source d’ instabilité génomique chez ces porteurs et posant des problèmes lors de radiothérapies et d’imageries médicales répétées.
La radiosusceptibilité signe une prédisposition aux cancers radioinduits même à faibles doses.
L’effet est aléatoire, probabiliste et il va concerner 5% des patients ayant reçu une radiothérapie. Ils développeront avec une probabilité importante un cancer radio-induit secondaire, sachant que ces patients porteurs de cancers sont déjà plus radiosensibles que la majorité de la population .
Cette radiosusceptibilité est majorée en condition mammographique (clichés délivrant 2+2 mGy espacés de 3 minutes avec répétitions immédiates empêchant les génomes mutés de mettre en place une signalisation et une réparation efficace). Les femmes à haut risque familial de cancer du sein (15% des cas de cancer du sein) présentent des défaut de signalisation et de réparation de leur ADN : c’est la cas de la protéine BRCA1 qui est au cœur des complexes formés pour réparer les CDB de l’ADN. Or les femmes porteuses d’une mutation de ce gène devenu ainsi défectueux, donc plus enclines à développer des cancers faute de réparation correcte de leur ADN, sont incitées à s’engager précocément dans une surveillance rapprochée, cumulant les mammographies voire les tomographies, certains médecins – ignorant tout de la radiosusceptibilité – exigent d’elles des examens tous les 6 mois ou tous les ans, alors que la plus grande prudence devrait être de mise : espacement d’au moins ½h à 1 h des clichés (50% des CDB sont réparées normalement en 50 minutes), éviter les produits de contraste et les rayons X.
L’heure du bilan
Ces connaissances impliquent une nouvelle stratégie de dépistage chez les femmes à haut risque familial (comme ne faire qu’un seul cliché mammographique, proposer des IRM et des échographie ne délivrant pas de rayonnement ionisant) . Elle remettent également en cause le maintien d’un dépistage organisé tel qu’il est détaillé dans la Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, version consolidée au 16 avril 2019. Personne n’a jamais songé à interroger les spécialistes de la radiobiologie française sur ce « point de détail ».
Des travaux actuels se poursuivent pour la validation de tests prédictifs de la radiosensibilité avant toute radiothérapie.
En attendant que des tests prédictifs faciles et peu coûteux soient disponibles et remboursés pour toutes les dizaines de millions de femmes, jeunes et moins jeunes, mais surtout saines, enrôlées dans des dépistages mammographiques, ces connaissances des causes biologiques de la radiosensibilité et de la radiosusceptibilité exigent, et ce au nom du principe de précaution, que le projet d’extension de la surveillance mammographique des jeunes femmes soit arrêté. Les radiologues, gynécologues et oncologues doivent être informés des risques de cancers radioinduits qu’ils font prendre à leurs patientes avec ce malheureux «dépistage qui sauve des vies ». Ne dit on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions ? Ne dit on pas aussi que « l’erreur est humaine, l’entêtement (par arrogance) est diabolique ? ».
Lire aussi, dans l’actualité :
- Les mises en garde de l’Académie de Médecine, le risque lié aux examens d’imagerie doit être mis en balance avec les risques de la maladie elle-même.
page 8 et 9
L’incidence de Cancers (sein et endomètre) est multipliée par 5 pour les adolescentes traitées pour scoliose 25 ans auparavant (avec une moyenne de 16 radiographies par dossier) dans une étude danoise de 2016 (26). Ces travaux ont abouti à la recommandation de faire ces clichés selon une incidence postéro–antérieure plutôt que l’inverse, de façon à moins exposer la glande mammaire. Les nouveaux systèmes, hélas insuffisamment répandus (EOS)(15), permettent une réduction de dose d’un facteur 6 à 40 par rapport aux radiographies conventionnelles. Le suivi complet d’une scoliose peut donc être effectué pour l’équivalent d’une seule radiographie conventionnelle. Une fois le diagnostic précisé sur la radiographie initiale, la meilleure protection est de suivre cette scoliose à l’aide de moyens non irradiant comme le scoliomètre, ou des systèmes de topographie de surface (27), un contrôle par rayons X n’étant effectué que si l’on constate un changement significatif de la topographie de surface. c) L’Incidence des cancers à l’âge adulte serait augmentée.
Certaines populations ont une radiosensibilité particulière liée à des troubles de la réparation de l’ADN (30,31). A l’évidence, le risque lié aux examens d’imagerie doit être mis en balance avec les risques de la maladie elle-même (p.ex. la mucoviscidose) et l’utilisation de techniques non irradiantes (IRM, échographie) doit être systématiquement privilégiée si possible
Pas de réduction des cancers du sein malgré dépistage, augmentation des cancers du poumon chez les femmes. Nous nous interrogeons sur la part de ces cancers du poumon chez les femmes imputables aux surdiagnostics et ainsi secondaires aux surtraitements par radiothérapies inutiles.
Bibliographie
Radiosensibilité et irradiation mammaire, Toxicité des polluants et cancers du sein , Nicolas Foray, Unité UA8 Radiations Défense, Santé et Environnement, Groupement de Recherche sur les Radiations de Lyon (GRRAL) , 2019, Communication personnelle à Cancer Rose
La susceptibilité individuelle aux rayonnements ionisants, Pr. Michel Bourguignon Commissaire ASN, 2014
https://sfrp.asso.fr/wp-content/uploads/2021/11/BOURGUIGNON_M.pdf
La radio-susceptibilité individuelle: 3 défis et une vision pour la radioprotection, Pr Michel Bourguignon, ASN, 2015
https://docplayer.fr/36907719-La-radio-susceptibilite-individuelle-3-defis-et-une-vision-pour-la-radioprotection.html
Impact du transit cytonucléaire de la protéine ATM en réponse aux radiations ionisantes : notions de pro- et anti-episkévie, Melanie Ferlazzo, Thèse de doctorat de l’Université de lyon, 2017
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01588173/file/TH2017FERLAZZOMELANIE.pdf
[1] Test prédictif des réactions à la radiothérapie : des femmes en grand danger, Annette LExa, 2017 .
[2] La Directive 2013/59/Euratom du Conseil du 5 décembre 2013 fixe les normes de base relatives à la protection sanitaire contre les dangers résultant de l’exposition aux rayonnements ionisants. Une directive regroupe les directives de 1989 à 2003
[3] http://mypebs.cancer-rose.fr/
[4] Les homozygotes ont 2 allèles parentaux fonctionnels comme BRCA1 +/+ par exemple. Les porteur hétérozygotes BRCA +/- ont un allèle muté déficient entraînant une moins bonne signalisation des cassures et donc une moins bonne réparation.
[5] La protéine cytoplasmique ATM, est une dimère ayant une fonction de signal pour stimuler la réparation ADN- Voir l’importance du transit de cette proteine dans le mécanisme de signalisation pour la réparation des cassures doubles brins :https://www.cancer-rose.fr/test-predictif-des-reactions-a-la-radiotherapie-des-femmes-en-grand-danger/
[6] Chez l’homme, la protéine RAD51 joue un rôle essentiel dans la recombinaison lors de la réparation de l’ADN à la suite de cassures doubles brins.
[7] L’apoptose ou mort cellulaire programmée est le processus par lequel des cellules déclenchent leur auto-destruction en réponse à un signal
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