Le rationnel de l’étude

7 octobre 2019

Protocole et rationnel, original

Le rationnel, traduction en français, points principaux

Ici en pièces jointes le protocole complet contenant le rationnel, à partir de la page 25, et une traduction en français avec, surlignés, les points principaux que nous abordons ci après.

Le rationnel d'une étude, partie intégrante du protocole, explique pourquoi elle est faite, et on légitime les choix de la méthode et les buts escomptés.

Pour commencer les concepteurs n'envisagent visiblement que deux possibilités, ou un dépistage comme actuellement effectué ou bien un dépistage individualisé. Il y a bien une troisième voie, celle de pas de dépistage du tout.

1°L'objectif fixé par rapport à l'Union Européenne ne sera pas atteint

Page 25 du protocole

Il est dit : "Après analyse de toutes les composantes, l’objectif final de Mypebs est de fournir les meilleures recommandations pour la meilleure stratégie de dépistage du cancer du sein en Europe. "
Or avec une étude de non -infériorité, cela n'est pas possible. Si l' objectif principal est atteint et qu'une " non-infériorité" est démontrée, les recommandations pourront n'être que très floues ; dépistage standard ou individualisé, on ne peut trancher, le nouveau dépistage peut ne pas être moins bon en tolérant même qu'il soit de 25% moins performant.
En effet, la méthodologie prévoit ceci :
Selon le synopsis de l’étude, dans le groupe dépistage standard, on attend la survenue de 480 tumeurs de stade 2 ou plus pour 100 000 femmes au cours des 4 ans de l’essai.
Le synopsis explique que le seuil de non infériorité choisi « correspond à une augmentation jusqu’à 120/100 000 cancers de stade 2 du taux de risque cumulé sur 4 ans dans le groupe basé sur le risque individuel »
Autrement dit, s’il apparaîssent 600 cancers avancés pour 100 000 femmes (au lieu de 480), soit +25% dans le groupe dépistage individuel, alors il sera considéré comme « non inférieur » ou « équivalent » au dépistage standard.
Alors que rappelons-le, le but d'un dépistage est de diminuer le taux des cancers avancés. Cet objectif n'est pas les objectifs primaires du protocole.
Donc la recommandation émise pour l'Europe ne pourra pas être tranchée en faveur d'un dépistage individuel, puisque la supériorité en matière de réduction des cancers graves n'est pas démontrée. Conclusion, on peut continuer le dépistage habituel...

2°La transparence de l'information

Dans l'introduction déjà, le chiffre de 20% de réduction de mortalité est repris, alors que cette donnée de réduction de mortalité imputable au dépistage  est fortement contestée et même n'est plus retrouvée dans les études les plus récentes.

Page 35 il est dit :
Point 1.1.12 Communication des risques de cancer du sein dans les Mypebs

"Un enjeu majeur est de rendre les femmes plus informées et plus actives dans leurs décisions de dépistage, comme le reconnaissent clairement plusieurs études internationales. En effet, l’une des principales préoccupations des programmes nationaux de dépistage dans tous les pays participants est de promouvoir des choix éclairés quant aux décisions de participer au dépistage et aux options de traitement subséquentes. Les choix éclairés exigent que des renseignements pertinents de bonne qualité soient communiqués aux femmes, afin qu’elles puissent prendre des décisions conformes à leurs valeurs."

On est d'accord, sauf que dans la brochure donnée aux participantes, on s'occupe surtout de délivrer une information sur la façon dont le niveau de risque sera attribué à chacune, et comment on répartira dans les deux bras les participantes.

Mais l'information capitale qu'il convenait de leur délivrer est l'absence d'efficacité démontrée jusqu'à présent du dépistage en terme de réduction des cancers graves, et surtout la matérialisation du surdiagnostic, qui est le surtraitement. Ce dernier n'est jamais évoqué dans la brochure d'information.

3° Le nouveau dépistage ne diminue pas les risques

page 37 il est dit :
Point 1.1.14.

"Les essais de non infériorité sont actuellement largement utilisés dans le cas où une intervention donnée est reconnue efficace mais est associée à des toxicités importantes, et qu'on veut démontrer qu’une nouvelle intervention alternative est au moins aussi efficace, mais généralement associé à une diminution des toxicités."

C'est vrai, sauf que l'efficacité du dépistage n'est plus aussi formellement démontrée depuis les études internationales récentes, qui ne retrouvent plus la diminution de mortalité imputable au dépistage comme les premières études des années 60-80.

Surtout , page 47, point 1.1.25 il est dit :

"À ce jour, les dommages supplémentaires (mammographies faussement positives, possibles surdiagnostics, biopsies rétrospectives inutiles, mammographies faussement négatives) et les bénéfices supplémentaires de l’utilisation de l’information sur les risques polygéniques afin d'adapter les stratégies de dépistage (décès par cancer du sein évités, années de vie sauvées ajustées à la qualité de vie, réduction de la mortalité par cancer du sein) demeurent non testées et inconnues."

Les risques et leur ampleur est donc parfaitement inconnue, ce qui fait qu'on ne peut proclamer en préambule que l'étude servira à diminuer les risques si on n'en sait rien.

Pour les femmes à haut risque dans le bras dépistage individuel, ils ne seront pas diminués, on dit bien à ces femmes qu'elles ont un espoir de voir diminuer leur risque de cancer grave, cela au prix de davantage de surdiagnotic et biopsies.

Point 1.1.10, page 35

"Chez les personnes à risque élevé, même si les méfaits du dépistage ne diminueront pas et peut même augmenteront en raison d’une fréquence de dépistage plus élevée, ce dépistage a de grandes chances d’être plus efficace, comme le démontrent de nombreuses publications."

Mais les publications mentionnées dans le protocole ne sont pas des études randomisées, seulement des études en modélisation, en effet :

Page 29
Point 1.1.3.

"Modélisation des avantages potentiels du dépistage fondé sur le risque dans la population générale (Yen, Hall, Koitsatu, Onega, Morman)
La grande majorité des femmes ne présentent pas un risque accru de cancer du sein et il est recommandé de suivre les lignes directrices générales de dépistage. Seulement une femme sur neuf à risque moyen développera un cancer du sein. L’élaboration d’approches de dépistage plus efficaces et fondées sur les risques pour cette population générale nécessite des modèles d’estimation des risques validés et une évaluation de l’utilité clinique de ces modèles. Le dépistage fondé sur le risque a en effet été récemment reconnu par de nombreuses sociétés ou groupes comme une façon importante d’explorer sa capacité à mener à un meilleur dépistage, qui serait plus efficace, moins morbide et économiquement bénéfique pour la santé.

En l’absence d’essais contrôlés randomisés évaluant l’efficacité des protocoles de dépistage fondés sur les risques dans la population générale, des études de modélisation par simulation ont permis de donner une idée sur l’équilibre entre les risques et les avantages potentiels de différents protocoles de dépistage basés sur le risque."

Et enfin page 77 et 78 point 8.1

Ici sont clairement dites deux choses :

  • dans le groupe standard sont attendus 204 cas de cancer de stade 2 ou plus (42 500 femmes dans le groupe pour une incidence de 120/100 000 par an: 204=120*4*42500/100 000) et
  • on considèrera que la non infériorité sera atteinte (compte tenu des différentes hypothèses faites) s'il y a moins de 298 cancers de stade 2 ou plus dans le groupe dépistage personnalisé. Donc constater dans ce groupe de femmes jusqu'à 298 cas de cancer en plus et considérer que cela est acceptable dans le cadre de la non-infériorité, c'est énorme, car ce chiffre est bien loin des "quelques cas en plus" attendus (6 cas), chiffre basé sur un calcul basique d'un intervalle de confiance où la limite supérieur de l'intervalle de confiance du risque serait 1,25.

 

Point 1.1.16, le risque d'irradiation

Après avis de Mr Nicolas Foray, radiobiologiste, chercheur à l'INSERM (réunion 9 oct), les personnes dites à très "hauts risques" dans le protocole et comparées aux femmes à mutation BCRA, ne sont justement en rien comparables aux femmes BCRA1 ou BCRA2.

Il s'agit là d'une autre population, avec d'autres cancers, d'autres risques, qui cumule et le risque de cancer tout court, et le risque de cancer radio-induit. La bonne question à se poser est celle de la pertinence des mammographies annuelles, si on pré-suppose que le risque des femmes dites à haut risque dans MyPEBS est équivalent à celles des mutations BCRA .

Voir notre article : https://cancer-rose.fr/2019/07/18/radiotoxicite-et-depistage-de-cancer-du-sein-prudence-prudence-prudence/

4° La marge de non infériorité de 25% est importante et généreuse

Accepter une perte d'efficacité de 25% , c'est à dire jusqu'à 25% de cancers stade 2 en plus, alors que l'objectif est d'en avoir moins, est énorme..
C'est comme si on vous promettait une non diminution de salaire, mais en vous disant que votre salaire pourrait diminuer de 25%, mais qu'on va considérer cela comme équivalent.
Et surtout elle n'est nulle part justifiée dans le protocole disponible.

5° Il faudrait un bras comparatif sans dépistage

Pour évaluer correctement le surdiagnostic ainsi que les autres potentiels méfaits du dépistage, il faut reproduire l'expérience d'Oslo de 2008, c'est à dire une comparaison avec une grande population vierge de tout dépistage, ce qui permettrait un chiffrage exact du surdiagnostic. L'étude d'Oslo intégrait 200 000 femmes dans une étude randomisée.
La définition du surdiagnostic par ailleurs est étrange :

Page 81 Point 8.6.1. du document anglais

"Les cancers du sein surdiagnostiqués sont définis comme des cancers qui n’auraient jamais été diagnostiqués, si les femmes n’avaient pas été dépistées. On peut mesurer le surdiagnostic différentiel en comparant l’incidence cumulative du cancer du sein du recrutement jusqu'à une période raisonnablement longue après la fin de l'étude, c. à d. plus longue que le temps de séjour prévu des cancers détectés au dépistage. Dans cette étude, on surveillera l’incidence du cancer du sein dans les deux groupes pendant 10 et 15 ans après la fin de l’intervention."

Le surdiagnostic différentiel est évidemment la seule chose que l'étude peut mesurer, et non pas un surdiagnostic réel par rapport à un groupe vierge de dépistage, et il est quasiment mensonger de parler de surdiagnostic au sens propre, celui-ci répondant à une définition qui est celle d'un cancer qui, s'il n'avait pas été dépisté, ne serait jamais devenu clinique. D'ailleurs cette définition est correctement restituée page 26, point 3 : "dépistage d’un cancer qui ne serait pas apparu cliniquement sans dépistage".

Lire aussi "l'étude dont on rêvait"

CONCLUSION

Les promoteurs justifient le choix d'un essai de non-infériorité par la promesse de moins de dommages collatéraux ... tout en annonçant plus loin qu'ils veulent étudier ces dommages collatéraux parce qu'ils ne savent pas combien il va y en avoir.
Le surdiagnostic ne pourra être mesuré, l'objectif de non-infériorité accepte le fait qu'il n'y ait pas moins de cancers graves grâce au dépistage, mais qu'on accepte même qu'il y en ait davantage jusqu'à un seuil arbitrairement choisi de 25%.
La brochure d'information est insuffisante.
Cette étude est un plan de relance du dépistage, pas question prendre le risque d'un échec en adoptant un seuil de non-infériorité plus réaliste, ou en adoptant une supériorité comme critère principal.

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