Rêve de sénologue

Un témoignage de Dr M.Granger, sénologue, 21 juillet 2021

Mme PS, 50 ans, parisienne, consulte en août 2010 pour avis.


Elle a effectué le 23 juin 2010, dans un CENTRE DE SENOLOGIE parisien, une 3ème mammographie, qui a été classée ACR 4 pour une « zone de distorsion architecturale mal systématisée du quadrant supéro-externe droit ». Elle a subi le jour même des micro-biopsies, qui ont abouti au « diagnostic » : « Mastopathie fibro-kystique proliférante avec atypies, de type canalaire (Hyperplasie canalaire atypique) ». Elle a un rendez-vous d’IRM dans quelques jours, et se dit très préoccupée de la rapidité et de la mauvaise tournure des événements : que doit-elle faire ?…


Mes constatations :


Ayant regardé attentivement les mammographies apportées, je constate, avec une certaine inquiétude initiale, que cette « zone de distorsion architecturale mal systématisée» échappe à ma sagacité. La loupe n’apporte rien : je ne vois, en comparaison avec le sein gauche qui lui a subi une involution adipeuse totale, qu’un banal aspect de reliquat glandulaire.
L’aspect était identique sur une mammographie réalisée exactement 7 ans plus tôt.
Par ailleurs mon examen clinique et échographique ciblé est strictement normal.
Etonné du diagnostic radiologique parisien, mais rassuré par une imagerie constante, je conseille à cette dame d’attendre les résultats de l’IRM, et de m’en communiquer les résultats.
Ces résultats arrivent 3 jours plus tard, le soir même de l’examen.
Conclusion : « On retrouve la zone de distorsion architecturale supéro-externe droite qui ne présente , en IRM, aucun caractère morphologique suspect, toutefois on connait la sous-estimation de l’IRM pour les lésions intra-canalaires. Une exérèse chirurgicale du secteur atypique avéré reste à prévoir ».


La patiente, prise dans l’étau « concordant » de 3 compte-rendus – mammographique, biopsique et IRM – consulte un chirurgien du sein à l’Institut Gustave Roussy. Elle me transmet quelques jours plus tard son avis : « J’ai bien reçu le résultat de votre IRM mammaire, qui confirme les éléments décrits à la mammo- échographie, à savoir une zone mal systématisée du QSE droit. Compte tenu du résultat histologique de la biopsie qui retrouvait de la mastopathie fibro-kystique avec atypie de type canalaire, il est nécessaire de réaliser une chirurgie d’exérèse de cette zone (…) »

J’adresse en retour ce mail à Mme PS

Chère Madame,
En réponse à votre mail, voici mes conclusions:
• Votre IRM est normale, le texte exact est: "zone de distorsion architecturale supéro-externe droite qui ne présente, en IRM, aucun caractère morphologique suspect". Le reste du compte-rendu ("toutefois … ") n'est qu'une formule-parapluie, habituelle.
• La lettre de l'IGR retient la partie négative de ce compte-rendu ("zone mal systématisée " [ ce qui veut dire quoi d’ailleurs ? … ]), ouvrant à son tour le parapluie : "une chirurgie d'exérèse est nécessaire … ". Un chirurgien opère.
Je vous avais prévenue de cette logique jusqu’auboutiste, je la rencontre tous les jours.
Ce n'est cependant pas la mienne, au vu des mammographies que vous m'avez apportées, qui, encore une fois, n'ont pas évolué depuis 7 ans. Cette stabilité vaut pour moi tous les parapluies de toutes les institutions de la Terre, surtout quand l'IRM est normale.
Je reste partisan d'une surveillance simple dont les modalités, pour votre confort moral et votre sécurité restent à préciser : je conseillerais un premier contrôle radio+écho du sein droit dans un délai inférieur ou égal à un an (contacter ma secrétaire), puis nous verrons.
• Vous voilà donc confrontée au dilemme de suivre votre nouveau sénologue de province ou les grandes machines parisiennes ! Faites ce choix en votre âme et conscience, larguant toutes les Hiérarchies, n'écoutant que vos sentiments profonds : c'est là que se trouve la bonne réponse.
Très cordialement. M Granger


Mme PS a finalement choisi de suivre son Sénologue de province.
Elle « vient de loin » mais « sait pourquoi ».
Je l’ai revue jusqu’en 2017, sans rien constater de nouveau, examen clinique et radio-échographique inchangé, depuis plus de 15 ans. Une de sauvée…


Que retenir de tout cela pour l’enseignement de la Sénologie?

Plusieurs remarques, parmi bien d’autres, me paraissent utiles:
• La description initiale du radiologue (« distorsion architecturale mal systématisée ») a été le point de départ d’un chemin que la patiente a dû gravir seule… jusqu’à ce que l’angoisse devienne trop forte et qu’elle se décide à demander un avis.
• Ladite description initiale n’a, à aucun moment, été remise en cause, l’avis de ce radiologue est souverain. Il faut pourtant noter que la classification ACR peut être facilement « tordue » pour obtenir le résultat voulu : si le radiologue accepte une surveillance simple il classera les clichés en ACR 2 ; s’il souhaite une surveillance rapprochée il les notera ACR 3 ; s’il veut une biopsie, et surtout s’il est à même de la faire immédiatement il les notera ACR 4, comme ici.
Un regard distancié verra les choses différemment : il « suffit » de prendre le temps de comparer l’ensemble des clichés effectués, parfois une dizaine de mammos (!), pour aboutir à une autre conclusion, ici à la normalité (ou à ACR 2, si l’on est fan des amériques). Ce qui aurait stoppé net cette longue divagation diagnostique.
• La description/classification initiale n’a, on l’a dit, pas été discutée : cela tient à ce que chaque professionnel œuvre séparément, sans controverse ; il n’a donc aucun compte à rendre directement à la patiente.
Dans les faits cette chaîne peut se décrire comme une entente commerciale verticale dont chacun a tiré bénéfice. Dans le monde animal sauvage on parlerait de « chasser en meute », et l’on sait que si tous les sujets de la cohorte sont potentiellement ciblés, seuls les plus forts en réchappent.
Mme PS, diplômée supérieure et de la haute fonction publique a su s’en sortir, avec ce choix cornélien de résister à l’IGR… nombreuses sont celles qui n’en sont pas capables.
• Le remède à cette chaîne d’emprises médicales sans contre-pouvoir ne se trouve PAS dans les RCP (réunion de concertation pluri-disciplinaire, NDLR) : je n’ai pour ma part jamais vu un pathologiste, un chirurgien ou un radio-thérapeute s’opposer et briser la chaine biaisée dès le départ vers les biopsies – micro, macro ou chirurgicales.
Il y a donc de facto une entente pour ne pas remettre en cause le diagnostic initial, et il serait passionnant de faire la psychanalyse individuelle des « décisions validées » en RCP. Le sein est un organe très investi que tous adorent se disputer et se partager.
• Vous l’aurez peut-être compris : je vis dans le rêve que notre père à tous (Charles-Marie Gros, des Hospices Civils de Strasbourg) avait fait dans les années 60 : que le SENOLOGUE soit reconnu comme ce spécialiste du sein, un peu/beaucoup/passionnément spécialiste de toutes les disciplines concernées – depuis les différentes formes d’imagerie jusqu’à l’anapath, en passant par l’intérêt relatif de la chirurgie et de la panoplie des oncologues…, spécialiste qui coordonne et tempère les enthousiasmes et les inquiétudes de chaque intervenant, spécialiste responsable enfin devant la patiente.
Communiquant de surcroit, qui accepte de prendre son temps, et de le perdre, parfois.
• Mais vous le savez sans doute aussi : le rêve est resté rêve, et la SENOLOGIE une belle utopie. Elle est occasionnellement réveillée par Mme PS et ses sœurs de lutte.

Quelques commentaires Cancer Rose

Il est absolument évident qu'avec les dépistages les mastectomies inutiles ont été démultipliées. Nous avons présenté notre étude sur les mastectomies en France au congrès de la société française de sénologie à Lille.
C'est absolument indéniable qu'on "sur-opère" des lésions qui ne sont pas des cancers, et voilà encore ici l'illustration d'une dérive de la sur-détection, à savoir le surtraitement.
Mais cela explique de toute évidence pourquoi on a davantage de plus en plus de mastectomies comparativement à l'incidence des cancers invasifs, comme expliqué dans notre étude.

L'observation conforte aussi les dérives de la classification ACR : les ACR3 n'existent presque plus, on a tendance à classer très rapidement en ACR4, on "upgrade" volontairement nos propres classifications d'examens afin de recourir d'emblée à un prélèvement, histoire de ne rien omettre, au lieu de prendre son temps, se poser, et recontrôler éventuellement à distance.
L'ACR4 devient un fourre-tout pour aller enlever à peu près tout ce qui apparait "abnorme". Lire ici : https://cancer-rose.fr/2018/11/11/de-la-classification-acr-mammographique/


Une réflexion pour finir : si pour les dossiers classés en "négatif" il y a bien une double lecture lors du dépistage (voir ici : https://cancer-rose.fr/2020/10/17/quest-ce-quune-mammographie-de-depistage/), pour les dossiers classés en "positif", ben il n'y en a pas.
Ce qui n'est pas forcément logique.
Mais, même en y aurait-il, qui aura avoir le courage de "négativer" une image classée positive préalablement par un autre confrère....

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