Le dépistage ne permet que la détection de cancers lents

Une observation de notre confrère sénologue, Dr Granger, novembre 2021

Un cancer à haut potentiel invasif, Mme NP

Mme NP, 53 ans, consulte suite à son dernier bilan sénologique: celui-ci a été classé ACR 4, pour la découverte d’une lésion échographique atténuante du sein gauche. Après micro-biopsie et IRM très rapidement réalisées, il n’y aurait finalement rien de suspect. Mme NP se demande pourtant quelle « vérité vraie » est cachée derrière cet « ACR 4 » devenu soudain « non suspect », et quel suivi je peux lui proposer.

            Cliniquement ses seins sont souples et réguliers, sans nodule repérable. Il n’y a pas d’écoulement, ni d’adénopathies. La mammographie montre une fibrose dense : si les clichés ont été jugés « normaux » ils sont en fait très peu informatifs du fait de l’opacité des tissus, on peut seulement noter qu’il n’y a pas de calcifications. L’échographie confirme l’existence de multiples plages hypo-échogènes disséminées. La plus importante, à l’union des quadrants externes gauches, effectivement atténuante, évoque en priorité une structure kystique ancienne, arrondie, finement échogène. Sa ponction sous repérage écho avec une aiguille de 18 G permet d’évacuer une sérosité pâteuse dont l’étalement sur lame est parfaitement translucide et homogène : il s’agit d’un kyste gélifié simple.

            Conclusion : kyste gélifié banal (la cytologie de l’étalement confirmera). Contrôle échographique de principe conseillé dans un an.

            La surveillance est sans problème pendant 4 ans. Puis un nouveau contrôle permet de constater l’apparition en supéro-interne droit (en contro-latéral donc de l’image kystique initiale) d’une lacune hypo-échogène à contours irréguliers de 5 mm de diamètre environ, d’aspect très douteux : sa ponction sous repérage, pauvre, permet d’effectuer une lame pour analyse cytologique. Cette ponction sera acellulaire, donc non informative : il faut poursuivre les investigations.

            La palpation de contrôle à 3 mois révèle l’apparition d’une zone légèrement plus ferme et mal limitée, non notée précédemment. L’échographie retrouve la lacune hypo-échogène, verticalisée sur certaines coupes (signe de grande valeur en faveur de la malignité), absorbante, mesurant 3 à 6 mm selon les axes de coupe, probablement mitotique.

            Conclusion : présence d’une lésion échographique très suspecte en supéro-interne droit nécessitant son exérèse après repérage échographique. La micro-biopsie n’est pas réalisée du fait de la très petite taille de la lésion, afin de ne pas dilacérer celle-ci pour un examen histologique définitif correct (consignes de mon anatomo-pathologiste).

            Le chirurgien choisi acceptera d’intervenir « à l’ancienne », sur la seule foi de mon imagerie échographique. Diagnostic histologique : carcinome lobulaire infiltrant constitué de 2 foyers de 2 et 4 mm, séparés de moins de 5 mm, moyennement différencié (SBR 2), avec présence d’engainements péri-nerveux. Le curage comporte 2 ganglions massivement métastatiques. Le traitement comportera chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie.

            Les 9 premières années sont une phase de « rémission ». Puis on assiste à une élévation significative du CA 15-3 qui passe en un an de 28 (normal pour le laboratoire) à 48 U/ml. Un TEP scan révèle alors une lésion hyper métabolique unique de l’omoplate. La biopsie en confirme la nature métastatique – compatible avec l’origine mammaire connue. Une RTE ciblée est entreprise (inclusion dans l’essai STEREO-OS).

            Le TEP scan de surveillance montrera l’apparition, dès le 3ème mois, de nouveaux foyers hypermétaboliques iliaque, costal, claviculaire.

            Cette observation, toujours en cours, permet de soulever au moins deux points particuliers, pour la pratique en Sénologie et le Dépistage.

1 – Le bilan sénologique initial classé ACR 4 a immédiatement déclenché micro-biopsie et IRM : cette artillerie lourde déclenchée et organisée par le radiologue lui-même, sans concertation, a peut-être « rassuré » celui-ci… mais pas la patiente, repartie sans étiquette précise sur l’anomalie constatée.

            Il suffisait pourtant d’un geste très simple pour que le problème s’éclaire : une ponction à l’aiguille fine sous repérage échographique.

            Cette technique oubliée – pour mémoire : il suffit d’une simple aiguille bleue (6/10 ème de diamètre externe, soit 23G); l’acte est indolore, beaucoup moins invasif qu’une micro-biopsie et coté 2 fois moins cher à la nomenclature des actes médicaux) – donne le plus souvent la bonne réponse : un simple coup d’œil à la lame au spot lumineux est rassurant, montrant ici un étalement en couche mince, homogène et translucide pathognomonique d’un kyste ancien gélifié. Si cette ponction est effectuée avec une aiguille de 18G, l’évacuation du kyste est le plus souvent complète, selon le degré de gélification du kyste. Et cela rassure tout le monde immédiatement, y compris la patiente, avant même la lecture ultérieure du laboratoire.

            La conclusion de ce point est qu’il faut graduer notre réponse, pour ne pas transformer un simple détail fonctionnel – le kyste mammaire étant d’une extrême fréquence en période ménopausique – en cauchemar pour la patiente, et en ruine de la Sécu.

2 – La découverte, 4 ans plus tard, d’une anomalie de l’autre sein, n’a pas conduit à un diagnostic aussi simple. Comme la première fois l’examen clinique et la mammographie étaient normaux, seule l’échographie doutait. La ponction n’a pas été contributive, conduisant à une surveillance rapprochée.

            Je veux souligner ici que 3 mois plus tard la clinique est devenue positive, et l’imagerie plus évidente. La chirurgie faite dans la foulée montre un cancer très évolutif puisque d’emblée bifocal, quoique de petite taille, avec deux ganglions massivement envahis et des phénomènes d’engainement nerveux, de mauvais pronostic. Après quelques années asymptomatiques un bouquet de localisations osseuses apparaîtra très vite après la première, confirmant une évolutivité tous azimuts. La rémission n’était qu’apparente, le cancer se préparait à exploser.

            Cette observation illustre un cas de cancer HPI, à haut potentiel invasif : ces cancers ont toujours un coup d’avance, et nous ne faisons que suivre leurs traces galopantes. Il nous mettent constamment en échec, et c’est bien contre ce type de cancer qu’un dépistage, même très volontariste, est inefficace.

            Le dépistage, comme tous les dépistages, ne permet de découvrir que les cancers d’évolution lente, à bon pronostic spontané.




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