LIVRE « IM/PATIENTE », une exploration féministe du cancer du sein

Aux Editions First

Par Mounia El Kotni et Maëlle Sigonneau

Mounia El Kotni est anthropologue spécialisée, entre autres, dans les thématiques de la santé.

Maëlle Sigonneau était éditrice. Elle a disparu en 2019 des suites d'un cancer métastatique du sein.
On l'entend s'exprimer dans un podcast des Impatientes pour Nouvelles Ecoutes, en 2019 (une série de podcasts a été réalisée alors autour de la thématique du cancer du sein, pour aborder de façon plus globale les injonctions adressées aux femmes de la part du corps médical ou du corps social).

Le livre est la suite du podcast et il aborde, à travers le regard et le vécu de Maëlle, l'impact social et féministe de la maladie. Il raconte les maltraitances médicales, les violences administratives et il pointe les injonctions sexistes visant à ne pas heurter le corps social et à masquer la maladie, déguisée de rose et glamourisée dans les campagnes d'Octobre Rose.

Ce puissant livre va au-delà même de la seule thématique du cancer pour faire écho à tous ceux qui souffrent de maladie chronique.

Injonctions à la féminité

"Vous êtes en chimio ? Alors, le plus important, c'est de bien hydrater votre peau, hein ?"
Est-ce vraiment une préoccupation bienveillante de la part du pharmacien ou est-ce plutôt le reflet d'une société qui a peur de la maladie que l'image de la femme malade lui renvoie ? La malade, elle, souhaite juste vivre, survivre et vieillir...Comme tout le monde.

"Il est important de ne pas se laisser aller !"  Dit-on aux hommes de ne pas se laisser aller après une maladie ?

Et si on disait aux femmes qu'il existe certes des crèmes hydratantes, des perruques, des prothèses mammaires, si elles en veulent. Mais qu'elles ont le droit d'être fatiguées, de rester sans maquillage, chauves, et sans reconstruction mammaire.

Injonctions à la procréation

Pour les femmes jeunes, l'une des premières étapes du parcours est un rendez-vous dans un service qui s'occupe de la fertilité. La préservation des ovocytes n'est pas obligatoire, mais le livre explique comment des années de conditionnement des femmes à la maternité les incitent vers une préservation "au cas où", même pour les femmes qui n'ont pas de projets d'enfants.

Ce projet de conservation ovocytaire est proposé dans les jours qui suivent l'annonce. Le livre souligne à quel point certains accès en santé (ici la préservation de la fertilité) sont rendus rapides, fluides et évidents quand la société le juge légitime. Alors que dans le même temps des catégories de personnes (couples homosexuels) rencontrent beaucoup de freins et d'exclusions dans leur parcours de procréation médicalement assistée.

Injonction à la reconstruction

L'effacement du corps malade passe aussi par la reconstruction mammaire. La prothèse réalise souvent une envie pour les femmes de revenir" à la normale", d'aller vers l'état de "l'avant cancer". Ce souhait est encouragé par la société ; la présence des seins, et par paire, semble indispensable.

Pourtant 70 % des patientes renoncent à la reconstruction mammaire pour diverses raisons, parfois à cause du manque d'offres chirurgicales ou pour des raisons financières.

Injonction au dépistage, injonctions d'Octobre Rose

Le livre parle également de la façon dont les femmes sont très sollicitées pendant les campagnes d'octobre rose, sans leur donner un accès plus facile à une information scientifique plus mesuré et plus objective.

La femme est toujours critiquée, soit elle est imprudente, inconséquente lorsqu'elle questionne sur l'intérêt de ce dépistage, dans des messages sociétaux, médiatiques ou médicaux. D'un autre côté elle est traitée d'idiote ou "d'endoctrinée", et sans capacité critique lorsqu'elle suit à la lettre les recommandations officielles.

L'intérêt des femmes passe souvent au second plan ; pour les fabricants de tests de dépistage, d'appareils de mammographie, la médecine n'est qu'un marché, et les personnes qui persuadent les politiques à prendre des décisions de santé publique sont celles qui ont quelque chose à vendre et un intérêt dans la poursuite de ces politiques de santé publique.

Finalement, les femmes deviennent des sujets permanents de surveillance médicale et de détection de maladies et de cancers, faisant d'elles des facteurs de risques ambulants...
Elles ne bénéficient pas de façon suffisante d' outils d'aide à la décision leur permettant une information équilibrée, ce que notre collectif Cancer Rose ne cesse de dénoncer.
Octobre Rose est devenu un marché, Il n'y a pas de réelle campagne nationale d'information. Là aussi l'image de la femme nue est utilisée pour promouvoir un produit, même si c'est un examen médical.

On parle toujours des mêmes histoires, de femmes qui ont vaincu leur cancer, mais entend-on des femmes qui ont des cancers graves d'emblée, des cancers métastatiques, pour lesquels la médecine encore est assez démunie ?
Derrière le déguisement rose se cache une dissimulations de faits qui sont moins jolis et moins "glamour".

Octobre rose est une instrumentalisation marketing qui permet à des produits d'être vendus sous le label rose, le montant de l'argent récolté et reversé à la recherche est assez opaque, y compris son utilisation.

Injonction à la beauté

Les "ateliers beauté" proposés aux femmes après leurs traitements présentent-t-il de vrais avantages pour les patientes, ou est-ce un juteux marché ? Souvent les ateliers sont gratuits, mais comme on dit : «quand c'est gratuit, c'est toi le produit". Les produits sont, la plupart du temps, complètement conventionnels. Ce n'est pas parce que le produit est offert que c'est forcément sans arrière-pensée.
Il faut juste être vigilant de ce qui est proposé, les produits ne sont pas forcément "bio" ou naturels comme on aurait pu si attendre.

Le coût de ces produits s'ajoute à une perte de revenus pour beaucoup de patientes. La moitié des personnes ont des 'restes à charge', certains soins dentaires pour des affections dentaires secondaires aux traitements, ne sont pas pris en charge.

30 % des femmes de plus de 50 ans ne reprennent pas leur travail dans les deux ans, 20% de celles qui le reprennent, ne le reprennent qu'à mi- temps.

La baisse des revenus

Trois personnes sur 10 perdent ou quittent leur emploi dans les deux ans qui suivent le diagnostic. Les personnes qui tombent malades ont souvent peur d'être vues comme moins performantes, et leur estime de soi s'en ressent.

Malgré un soutien financier, au bout d'un labyrinthe de démarches, 60 % des personnes subissent une baisse de revenus.
Là aussi, en matière de démarches administratives, l'information est sinueuse et il existe de nombreux obstacles bureaucratiques. Ceci génère également beaucoup de stress pour les patientes.

Injonction à la performance, y compris dans le cadre de la sexualité

Au travail comme à la maison, les femmes avec cancer du sein doivent continuer à remplir les rôles définis par la société. Elles n'ont pas toujours du soutien au foyer ou dans le monde professionnel. L'image de la 'survivante' du cancer, c'est la combattante, la "warrior".

Ceci constitue une pression terrible sur les femmes car c'est souvent ainsi qu'on représente la malade, comme une femme qui a vaincu la maladie, qui retourne au travail, qui en ressorte grandie, et qui reprend une vie amoureuse normale.

Il s'agit d'injonctions importantes, privant les femmes d'être simplement un individu, un être humain malade, qui a besoin que les autres prennent soin de lui.

Une femme, après maladie, a 6 fois plus de risques d'être quittée par son conjoint.
Au bout de deux ans, 21 % des femmes malades étaient laissées seules par leur compagnon, alors que seulement 3 % des hommes malades connaissaient une séparation.

Injonction à la sexualité

Retrouver sa "vie de femme", est une façon de dire "retrouver une sexualité".
Et cette injonction, ce sont les femmes qui la reçoivent.

"Ne pas se laisser aller et rester désirable" . Le livre pose la question "...qui sont les véritables bénéficiaires de ces injonctions : les femmes ou leur conjoint (supposé)? Est-ce que maintenir une sexualité malgré le cancer convient aux femmes, ou arrange plutôt la société ?"

La culpabilisation des femmes

Le discours actuel autour de la prévention du cancer repose sur la culpabilisation des femmes, mettant en cause leur mode de vie. On oriente la lutte contre le cancer d'une part vers une injonction des femmes à faire "les bons choix" et à vivre sainement, et d'autre part vers une approche technologique dans la détection précoce par mammographie.

Mais on oublie une troisième option, et c'est la mise en place de politiques de santé environnementales ambitieuses.

En 2017, les cancers représentaient le deuxième poste de dépenses de santé de la sécurité sociale. Le vieillissement et le changement démographique à eux seuls ne peuvent pas expliquer ces changements et cette progression. Il est urgent de s'occuper des véritables enjeux environnementaux.
Mais la prévention qui passe par l'assainissement de notre environnement coute cher, alors que la soi-disant prévention qui repose sur une détection précoce du cancer rapporte beaucoup, aux entreprises d'imagerie, et à l'industrie pharmaceutique.

Les associations

Maëlle dénonce une charité associative parfois maladroite et déplacée.

Son sentiment est que les personnes de ces associations viennent essentiellement régler leur problème à eux en faisant croire qu'ils vont aider. Maëlle dénonce cette aide intrusive et infantilisante qu'elle a vécue, avec distribution de jonquilles par exemple, aux abords de l'hôpital, à la sortie de sa chimiothérapie....

Maëlle explique qu'il faudrait une prise en charge sociale adaptée, l'urgence n'est pas le cancer dont tout le monde parle, à bon pronostic, curable ; l'urgence ce sont ces cancers graves, d'emblée métastatiques, dont la recherche doit faire sa priorité.

Du féminisme

Pour Maëlle, le combat est aussi féministe.

Dans le combat contre le sida, les hommes avaient réussi à attirer l'attention des pouvoirs publics. Pour Maëlle le cancer du sein métastatique a moins de visibilité, car il concerne des femmes, et elles ont moins la parole.

Pour sortir des comportements compassionnels et de la glamourisation du cancer, il faudrait boycotter octobre rose, remplacer les messages roses par de grandes affiches sur les perturbateurs endocriniens ; on pourrait imaginer un mois ou seraient organisées des conférences sur le cancer du sein évolué et métastatique, et où on sensibiliserait sur les effets cancérigènes des pesticides, par exemple...

Au lieu de camoufler cette maladie de rose, il faut exiger des politiques publiques ambitieuses, mobiliser la recherche (plus vers les risques de décéder du cancer que sur les risques de connaître un cancer dans sa vie, sur les déterminants génétiques et l'association avec obésité et avec certaines hyperplasies atypiques du sein, NDLR), améliorer le quotidien difficile des femmes malades.

La thématique de ce livre courageux va au-delà du cancer du sein métastatique, les maladies chroniques constituent une épidémie silencieuse qui devrait nous pousser tous à nous impliquer dans les vrais enjeux de la santé publique.

La presse en parle

C'est ici, Paris Match en ligne du 23/11/2021 : https://www.parismatch.com/Actu/Sante/Mounia-El-Kotni-Les-feministes-doivent-s-emparer-de-la-question-du-cancer-du-sein-1771874

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


Cancer Rose is a French non-profit organization of health care professionals. Cancer Rose performs its activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.