2/03/2017
Le premier mars 2017 l’Académie de Médecine organisait un débat public sur la pertinence des dépistages.
par Dr Cécile Bour
http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2017/01/Programme-DEPISTAGES.pdf
Pour la partie abordant le dépistage du cancer du sein, les participants sont MMe Catherine Hill, Dr De Bels, Pr Jacques Rouëssé, Dr Serradour.
Mme Catherine Hill est épidémiologiste à l’Institut Gustave Roussy.
Mme Serradour a été nommée le 30 avril 2002 par la ministre de la santé de l’époque comme personnalité qualifiée pour le groupe technique du cancer du sein. A ce titre elle a participé à la mise en place et au développement du dépistage du cancer du sein par mammographie dans sa région. Elle est également fréquemment sollicitée par les médias nationaux où elle défend l’intérêt de la mammographie de dépistage depuis de nombreuses années.
Dr Jacques Rouëssé a été Chef de Service de Médecine cancérologique à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif, directeur du Centre anticancéreux René Huguenin de Saint-Cloud et depuis 2001 membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine responsable de la présidence de la Commission Cancer.
Mr De Bels est responsable-dépistage de l’Institut National du Cancer.
L’Académie elle-même avait déjà publié en 2007 le résumé d’un rapport international pour l’évaluation des causes du cancer
L’Académie elle-même avait déjà publié en 2007 le résumé d’un rapport international pour l’évaluation des causes du cancer (analyse de Dr Dupagne à retrouver ici http://www.atoute.org/n/article60.html), dont il ressort …que la médecine et l’activité intempestive de dépistage en sont les principaux responsables !
Le sujet du surdiagnostic, c’est-à-dire ces lésions dont le diagnostic est inutile pour la personne et qui constitue le principal effet délétère du dépistage, est évoqué.
Pages 3 et 8 :
L’accroissement de l’incidence globale des cancers depuis 1980 est, pour la plus grande part, dû au perfectionnement des méthodes diagnostiques et au dépistage qui décèlent des petits cancers très faiblement évolutifs qui auraient pu rester méconnus. Dans les cancers où ce phénomène a le plus joué, l’incidence a augmenté brutalement, tandis que la mortalité restait stable ou diminuait à cause des progrès thérapeutiques (c’est le cas des cancers du sein, de la prostate et de la thyroïde). Pour d’autres cancers, incidence et mortalité ont évolué parallèlement. En général, la mortalité est un indicateur plus fiable que l’incidence pour évaluer l’importance des cancers dans une population.
Les taux d’incidence, après standardisation, ont augmenté de 1980 à 2000 de 23% chez les hommes et de 20% chez les femmes. <….. >L’introduction de méthodes diagnostiques ultrasensibles augmente le nombre de cancers détectés et découvre des petits cancers dont le potentiel évolutif est faible, dont le volume aurait pu rester stable pendant de longues périodes et pour certains jusqu’à la mort du sujet. C’est notamment le cas de la mammographie pour le cancer du sein, du dosage du PSA pour celui de la prostate et de l’échographie pour le cancer de la thyroïde. Dans ces cas, l’incidence est augmentée mais pas la mortalité.
Il est louable que l’Académie nationale de médecine, vieille institution dont la mission est de donner son avis, de conseiller dans les domaines de la santé, dans les questions éthiques et de santé publique, prend le parti de s’emparer d’un sujet actuel et de plus en plus dans la controverse, celui de la pertinence des dépistages.
Y avait-il besoin d’un nouveau débat ?
En ce qui concerne le dépistage du cancer du sein, rappelons qu’un débat public citoyen ET scientifique a déjà eu lieu dont nous disposons des conclusions. Le rapport du comité d’orientation de la concertation citoyenne, initiée par Mme la Ministre en 2015 était en faveur de l’arrêt du dépistage, et ce dans ses deux scénarios.
Malheureusement, assez peu de publicité en a été fait, à tel point que très peu de femmes connaissent ces conclusions et que même la plupart des professionnels de santé les ignorent.
Alors oui peut-être qu’à ce titre il était important que l’Académie reprenne le sujet publiquement, et essaie de retracer les grandes lignes de ce qu’on sait actuellement selon les données actuelles des connaissances. Voici ce qui ressort de ce colloque :
-Le cas du dépistage du cancer de la thyroïde :
il est l’exemple-type du dépistage inutile : le nombre de cancers est passé de 2000 en 1975 à 10000 par an actuellement, mais avec un taux de mortalité non diminué (400 morts tous les ans)
-Le dépistage du cancer de la prostate
Aucune autorité sanitaire ou agence ne le recommande chez un homme asymptomatique, et il est malgré tout encore prescrit (cf article : https://www.cancer-rose.fr/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/ )
Il est clairement établi que le surdiagnostic se fait en masse sans diminution de la mortalité. A tel point que le découvreur lui-même du test par dosage des PSA en était arrivé à regretter sa propre découverte. En effet Richard Albin, s’inquiétait du « désastre de santé publique » provoqué par sa découverte. Dans une tribune publiée en 2010 dans le New York Times, il écrit : « Jamais je n’aurai pu imaginer, quatre décennies plus tôt, que ma découverte allait provoquer un tel désastre de santé publique, engendré par la recherche du profit. Il faut arrêter l’utilisation inappropriée de ce dosage. Cela permettrait d’économiser des milliards de dollars et de sauver des millions d’hommes de traitements inutiles et mutilants. »
Dans ce domaine et comme pour le cancer de la thyroïde, il faut se départir de l’idée qu’un cancer de petite taille serait forcément moins dangereux. Une toute petite lésion peut déjà être métastatique.
-Le dépistage du cancer du sein: la nature agressive ou pas du cancer compte plus que sa taille.
D’où il ressort qu’il va falloir enfin parler honnêtement aux femmes et faire table rase une bonne fois pour toutes des slogans fallacieux véhiculés par la campagne d’octobre rose en particulier, table rase de ce prêt-à-penser idiot et mensonger selon lequel plus un cancer est détecté petit et plus il est « pris à temps ». Ce qui ne veut rien dire. Il est temps de rectifier le tir après 30 années de désinformation des femmes, et temps de leur tenir un langage médical et précis.
MMe Catherine Hill expose les chiffres suivants :
- 10 surdiagnostics pour 1 décès évité pour la tranche d’âge entre 40 et 49 ans. (Rappelons que la HAS ne recommande pas de dépistage avant 50 ans, ce qui semble évident au vu des données épidémiologiques de cette tranche plus jeune.)
- 4 surdiagnostics pour 1 décès évité pour la tranche d’âge 50-69 ans
- 2 surdiagnostics pour 1 décès évité pour les 70-74 ans. Notons que pour cette dernière tranche d’âge, l’importance du surdiagnostic potentiel est à reconsidérer à l’aune des faits suivants : les cancers de cette tranche d’âge sont moins agressifs et évoluent moins vite, la patiente a une probabilité plus importante de décéder d’une autre cause que de son cancer (8Xplus par une maladie cardio-vasculaire), et pour terminer il faut garder à l’esprit que des traitements lourds peuvent être plus préjudiciables et entraîner plus de morbidité que le cancer lui-même sur ce terrain plus fragile. (NDLR)
Voilà la façon dont il faudrait présenter la réalité aux femmes, la vraie question étant de savoir combien de femmes sont surdiagnostiquées pour en sauver une, cela par tranche d’âge, ce qui est une présentation plus parlante et objective que des données en pourcentages relatifs dont on n’a que faire. Il faut impérativement que les prochains documents d’information s’en inspirent.
Ce qui saute aux yeux néanmoins, c’est bien une balance bénéfice-risque du dépistage systématique du cancer du sein qui n’est pas en faveur du bénéfice, et ce pour chaque tranche d’âge. Ce déséquilibre désavantageux pour les femmes s’accentue plus encore lorsqu’on inclut dans les risques les nombreuses fausses alertes et biopsies inutiles qui découlent d’un dépistage de masse (NDLR).
Il s’avère lors de ce débat à quel point le problème du surdiagnostic, c’est-à-dire d’un diagnostic inutile, et du surtraitement qui en découle, est un problème épineux, contre-intuitif et de ce fait difficile à expliquer, d’autant qu’est toujours ancré dans les esprits après 30 années de propagande qu’un petit cancer serait plus favorable qu’un gros et que la détection d’une petite lésion signifierait automatiquement qu’on l’ait prise « à temps ».
Nous renvoyons nos fidèles lecteurs à cet excellent article de Dr Duperray : https://www.cancer-rose.fr/le-sur-diagnostic-par-dr-bernard-duperray/
et aussi à cette présentation du Dr Thériault, avec l’aimable autorisation de l’auteure :
https://www.cancer-rose.fr/tout-comprendre-sur-le-surdiagnostic-en-medecine/
Selon la modératrice des débats, le Dr Hélène Sanchez-Garnier, il devient impératif de s’interroger en permanence sur le bénéfice par rapport au risque à chaque démarche. Il faut s’appuyer sur l’intelligence des femmes et leur expliquer les vrais risques et les réels bénéfices. En amont il apparaît nécessaire de former correctement les médecins pour les mettre en situation de pouvoir informer les femmes loyalement et efficacement.
Rappelons qu’une des nombreuses demandes de la concertation portait sur le besoin d’une information honnête évoquant le potentiel bénéfice mais tout autant les risques inhérents au dispositif.
Mme le Dr Serradour insiste sur le fait que lorsque la patiente se décide pour une mammographie, alors elle doive opter pour un dépistage organisé plutôt qu’un dépistage dit « individuel » en raison d’une meilleure garantie de qualité des appareillages lors du dépistage organisé. Cet argument nous semble vraiment tiré par les cheveux, les radiologues ont à cœur de garantir un appareillage moderne et surveillé, il en va de leur exercice professionnel, un contrôle de qualité peut être imposé à chaque cabinet même en dehors de toute campagne systématique.
Dr Jean-Philippe Rivière, un des rédacteurs du rapport final de la concertation citoyenne intervient dans l’entre-débat afin de rappeler très à propos l’incertitude sur les données, l’absence d’études de cohortes françaises et l’absence totale d’information objective des femmes. Le poids du marketing rose dans la presse prévaut largement par rapport au relai médiatique sur la controverse (et encore plus par rapport au relai médiatique sur la concertation citoyenne NDLR).
Dr Rivière pose la question sur l’exclusion du médecin généraliste du dépistage du cancer du sein, alors qu’il gère tous les autres dépistages, pourquoi ne peut-il pas s’occuper de celui du cancer du sein avec une adaptation au risque de ses patientes ?
La conclusion :
Mme Hill conclut en soulignant que défendre le dépistage sous prétexte « qu’il est recommandé par les autorités, ou qu’il est bien fait, ou que l’éthique est respectée, n’est pas une réponse adéquate aux questions qui continuent à se poser, les principales étant :
- Quel est le bénéfice apporté par un dépistage réalisé ?
- Quel est le risque de surdiagnostic ?
Le dépistage n’est pas une affaire de religion, il faut en examiner les données et les comprendre ».
Pour elle, une femme refusant le dépistage du cancer du sein est moins déraisonnable qu’une femme continuant à fumer.
🛈 Nous sommes un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Nous agissons et fonctionnons sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.
🛈 We are an French non-profit organization of health care professionals. We act our activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.