La densité mammaire, implications et sur-utilisation

Traduction par Cancer Rose, article publié par Judith Garber, scientifique en sciences politiques au Lown Institute, groupe de réflexion non partisan pour un système de santé plus juste et équitable.

18 mars 2023

DES SOINS DE FAIBLE VALEUR

Nouvelles lignes directrices de la FDA sur les notifications de densité mammaire et les implications d’une surutilisation – PAR Judith Garber | 10 mars 2023

Le contexte

Le critère radiologique de la « densité mammaire », c’est à dire la prédominance de tissu fibro-glandulaire par rapport au tissu graisseux dans le sein féminin, est maintenant considéré comme étant, à lui seul, un facteur de risque de cancer du sein, en dépit de l’absence d’études probantes.
La densité mammaire est élevée généralement chez les femmes jeunes non ménopausées (mais peut persister après la ménopause), chez les femmes plus maigres à faible capital graisseux, chez les femmes sous traitement hormonal substitutif de la ménopause.

Une loi, adoptée en 2019 par le Congrès Américain, demandait à la FDA* (Food and Drug Administration) américaine, dans le cadre du processus réglementaire, de veiller à ce que tous les comptes rendus de mammographie et les résumés fournis aux patientes incluent l’ information de la densité mammaire des femmes. Déjà auparavant cette autorité qui supervise la réglementation des installations et les normes de qualité de la mammographie, demandait la communication de la densité mammaire dans les comptes rendus des radiologues.
*FDA : La Food and Drug Administration est l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments.

C’est chose faite, la FDA a récemment mis à jour ses lignes directrices sur la mammographie afin d’exiger que les établissements de mammographie informent les patientes de leur densité mammaire.

Pourquoi est-ce une préoccupation émergente également pour les populations féminines européennes ?
Parce qu’avec l’avènement de logiciels dits prédictifs, le critère radiologique de la densité mammaire est intégré en tant que facteur de risque à part entière dans des études comme celle européenne MyPEBS pour un dépistage individualisé, alors qu’au vu d’études publiées (voir article) l’augmentation du risque de cancer du sein associé à la densité mammaire est modeste, et que pour les femmes chez lesquelles un cancer du sein a été diagnostiqué, l’augmentation de la densité mammaire n’était pas liée à un sur-risque de cancer de mauvais pronostic ou de décès du cancer du sein.
La décision de la FDA est censée, selon la société Volpara qui commercialise des logiciels de mesure automatique de la densité mammaire, servir d’exemple « au reste du monde ». (Voir le tout dernier chapitre de cet article, « commentaires Cancer Rose »)

L’USPSTF (groupe groupe de travail indépendant examinant les services préventifs des États-Unis), soulevait déjà en 2016 plusieurs points de préoccupation de cette législation obligeant à notifier aux femmes l’information sur leur densité mammaire.

  • Variabilité importante et reproductibilité limitée dans la détermination des seins denses. Cette variabilité existe sur un examen qu’il soit lu par un radiologue ou par des radiologues différents. L’examen pour une patiente donnée peut avoir des classifications différentes et entraîner des incompréhensions conduisant à une réduction de la confiance d’une femme dans le dépistage en général, et une confusion quant à son propre risque de cancer du sein.
  • Incertitude sur les initiatives entreprises par les femmes auxquelles on a notifié une densité mammaire importante pour réduire leur risque de mourir du cancer du sein. Il s’agit de la demande d’examens complémentaires dont l’indication n’est pas étayée par des preuves, aucune donnée n’ayant prouvé que l’adjonction d’imageries autres que la mammographie chez les femmes à seins denses réduirait la mortalité par cancer ; en revanche ces adjonctions augmentent les faux positifs, les biopsies inutiles et le surdiagnostic. Le taux de rappel (pour faux positifs) est significativement augmenté par l’adjonction de l’échographie (de 14%), et par l’adjonction de l’IRM (de 9 à 23%) avec des VPP faibles[16] et un surcoût évident. Les auteurs rappellent que l’IRM, jugée souvent anodine, serait susceptible d’un (faible) sur-risque de fibrose systémique néphrogénique, et de risques incertains de dépôt de gadolinium dans le cerveau lorsque les examens sont répétés. La tomosynthèse (TS) est évoquée comme technique supplémentaire utilisée, mais les auteurs rappellent que des études à plus long terme sont nécessaires pour déterminer si l’utilisation systématique de la TS chez les femmes à seins denses entraînent une réelle amélioration des résultats du cancer du sein (mortalité, diminution du taux des cancers graves).
  • Difficulté de communiquer les informations sur la densité mammaire aux patientes. Les experts jugent cette communication difficile et dépendante du niveau d’alphabétisation des populations. Les résultats d’études montrent une médiocre compréhension et une source de confusion et de désinformation des patientes lors des informations données sur la densité mammaire.

Article de Judith Garber

La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a récemment mis à jour ses lignes directrices sur la mammographie afin d’exiger que les établissements de mammographie informent les patientes de leur densité mammaire. Ce changement, qui entrera en vigueur en septembre 2024, est la version finale d’une directive proposée en 2019 .

Les lignes directrices de la FDA contiennent des suggestions de formulation pour les notifications relatives à la densité mammaire :  « Le tissu mammaire peut être dense ou non dense. Un tissu dense rend plus difficile la détection d’un cancer du sein lors d’une mammographie et augmente également le risque de développer un cancer du sein. Votre tissu mammaire est dense. Chez certaines personnes présentant des tissus denses, d’autres examens d’imagerie, en plus de la mammographie, peuvent aider à détecter les cancers. Parlez à votre médecin de la densité mammaire, des risques de cancer du sein et de votre situation personnelle ».

Il y a beaucoup de problèmes ici. La densité mammaire est un facteur de risque de développer un cancer du sein, mais c’est l’un des nombreux facteurs de risque. Il peut y avoir des femmes qui présentent un risque de cancer beaucoup plus élevé en raison de leur âge, de leurs antécédents familiaux, de leur consommation d’alcool, etc. et qui n’ont pas de seins denses, alors que d’autres femmes qui ont des seins denses présentent un risque globalement plus faible.

Si la FDA se contente de dire que « le tissu mammaire peut être dense ou non dense », la situation n’est pas aussi tranchée.

L’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) a souligné dans un commentaire adressé à la FDA qu' »il n’existe pas de méthode normalisée pour évaluer la densité mammaire », et que la classification d’une patiente comme ayant des seins denses dépend donc de l’opinion du radiologue qui lit le test. La densité mammaire peut également changer avec le temps, ce qui signifie qu’une notification peut ne pas être vraie des années plus tard. La notification incite également les patientes à subir des examens d’imagerie supplémentaires en affirmant qu’ils « peuvent aider à trouver un cancer », mais ne mentionne pas que ces examens d’imagerie augmentent également le risque de faux positifs et d’autres événements en cascade. Aucun essai ne montre que le dépistage complémentaire du cancer par IRM ou échographie améliore la réduction de la mortalité ou de la morbidité chez les femmes ayant des seins denses. Des recherches antérieures sur les politiques de notification de la densité mammaire montrent un risque de surutilisation. Les études portant sur les politiques nationales de notification de la densité mammaire montrent qu’elles augmentent fortement la probabilité que les patientes abordent la question du dépistage complémentaire avec leur médecin et qu’elles augmentent modestement la probabilité d’un dépistage complémentaire et de biopsies mammaires. Si le dépistage complémentaire fonctionnait comme prévu et permettait de détecter les cancers dangereux à un stade précoce, on pourrait s’attendre à une réduction des taux de cancer à un stade avancé dans les États où la densité mammaire est notifiée. Cependant, une étude de 2017 sur ces politiques n’a pas montré de différence dans les taux de cancers localisés ou métastatiques entre les États avec et sans notification.

En raison de leur taux élevé de faux positifs et de l’absence de bénéfices avérés, l’ACOG ne recommande pas l’utilisation systématique d’autres examens tels que l’échographie ou l’IRM pour le dépistage du cancer du sein chez les femmes dont les seins denses constituent le seul facteur de risque. Le groupe de travail américain sur les services préventifs (US Preventive Services Task Force), un groupe indépendant qui émet des recommandations fondées sur des données probantes concernant les services préventifs, a conclu que les données probantes étaient insuffisantes pour recommander un dépistage supplémentaire chez les femmes ayant des seins denses.

Les médecins se trouvent donc dans une situation délicate, car lorsque les patientes les consulteront pour savoir ce qu’elles doivent faire, ils devront soit leur conseiller de ne rien faire (ce qui est probablement frustrant et insatisfaisant pour les patientes), soit leur dire de procéder à un dépistage supplémentaire (ce qui n’est pas universellement recommandé et pourrait les exposer à des risques d’événements en cascade).
« Les médecins de premier recours dans les États qui ont adopté de telles lois se sentent souvent mal préparés à conseiller les femmes sur les mesures à prendre, le cas échéant, pour une femme ayant des seins denses et une mammographie normale”.
Kenneth Lin, Medscape

Cette politique a également des répercussions importantes sur les coûts, tant au niveau individuel qu’au niveau du système. On estime que 40 à 50 % des femmes aux États-Unis ont des seins denses. Si toutes ces femmes subissaient un dépistage supplémentaire, cela pourrait avoir un impact important sur les dépenses de santé. Si les mammographies de dépistage sont couvertes par la plupart des assurances, les IRM supplémentaires peuvent augmenter les frais à la charge des patients et les biopsies encore davantage.

Nous connaissons au moins un groupe pour qui cette modification des lignes directrices est une aubaine : les fabricants d’appareils d’imagerie, qui financent depuis des années des groupes de défense des notifications de densité mammaire (le groupe Dense Breast Info).

Commentaires Cancer Rose

On peut voir ici les conflits d’intérêts des membres de Dense Breast info dans la liste en suivant ce lien : https://www.rsna.org/-/media/Files/RSNA/Annual%20meeting/2022-AMPPC-Planners-Disclosure
RSNA : Radiological Society of North America, c’est une organisation à but non lucratif et une société internationale de radiologues, de physiciens médicaux et d’autres professionnels de l’imagerie médicale

Parmi les « supports éducatifs » nous trouvons la société Volpara. Volpara est une Société néo-zélandaise, société cotée en bourse, (Volpara Solutions Ltd), qui commercialise des logiciels permettant de générer automatiquement des mesures normalisées de la densité mammaire.

Voici la Déclaration de Volpara à l’intention des  investisseurs le 30 sept 2022 :
https://wcsecure.weblink.com.au/pdf/VHT/02601721.pdf

Volpara enregistre une forte croissance en ligne avec ses prévisions révisées à la hausse, entre 33,5 et 34,5 millions de dollars néo-zélandais.
Nous poursuivons notre stratégie visant à équilibrer les objectifs et la croissance rentable en nous concentrant sur nos produits les plus rentables, nos marchés les plus lucratifs et en offrant la meilleure valeur aux  » éléphants « , c’est-à-dire aux grandes entreprises. Nous attendons la publication de la législation de la FDA sur la densité mammaire, attendue d’ici début 2023 selon le dernier communiqué de la FDA

Attente du Mandat sur la densité mammaire par FDA

– fin 2022/début 2023
– Valide l’importance de la densité mammaire
Donne l’exemple au reste du monde
– Décision fédérale = tout le monde doit être informé
– La densité des seins est prise en compte dans l’évaluation des risques

https://wcsecure.weblink.com.au/pdf/VHT/02601721.pdf

Par exemple, une radiologue extrêmement médiatique au Canada, Dr Paula Gordon, militant pour un dépistage du cancer du sein dès le jeune âge et contestant les recommandations de prudence du CanTaskForce**, est actionnaire de cette société et y détient des actions.
On peut ainsi lire ses prises de positions régulières dans la presse canadienne, qualifiant ni plus ni moins le groupe canadien CanTaskForce de « tueurs de femmes » :

1- https://theprovince.com/opinion/op-ed/dr-paula-gordon-new-breast-cancer-screening-guidelines-are-going-to-kill-many-women « Dre Paula Gordon : De nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein vont tuer de nombreuses femmes »
2-https://medicinematters.ca/breast-cancer-screening-mammogram-policies-are-based-on-flawed-research-dr-paula-gordon/
« Les politiques sur les mammographies de dépistage du cancer du sein sont fondées sur des recherches erronées / Dr Paula Gordon
3-https://globalnews.ca/news/8239335/breast-cancer-screening-canada-report/
« Des lignes directrices « dépassées » sur le dépistage du cancer du sein laissent tomber les femmes canadiennes. »

** Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs a été mis sur pied par l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) pour élaborer des lignes directrices de pratique clinique qui appuient les fournisseurs de soins primaires dans la prestation de soins de santé préventifs.


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