La mammographie numérique en question

17/04/2024

Synthèse Cancer Rose

La mammographie numérique a permis de mieux détecter les cancers invasifs de façon statistiquement non significative par rapport à l'ancienne technologie, ceci pour tous les grades de cancers invasifs.
Mais on a également amélioré de façon statistiquement significative la détection de cancers qui n'auraient peut-être jamais causé de problèmes ("surdiagnostic").
Dans l'ensemble, la transition ne semble pas avoir amélioré la santé de la population.

Une revue systématique et une méta-analyse des caractéristiques pronostiques des cancers du sein détectés dans des populations ayant bénéficié d'une mammographie numérique par rapport à une mammographie sur film indiquent que cette transition peut avoir augmenté à la fois la détection précoce et le surdiagnostic.
https://www.jclinepi.com/article/S0895-4356(24)00094-5/pdf

Les auteurs : Rachel Farber, PhD, Michael L. Marinovich, PhD, Audrey Pinna, MPH, Nehmat Houssami, PhD, Kevin McGeechan, PhD, Alexandra Barratt, PhD, Katy JL. Bell, PhD
École de santé publique de Sydney, Faculté de médecine et de santé, Université de Sydney, Sydney 2006, Australie ;The Daffodil Centre, The University of Sydney, A Joint Venture with Cancer Council NSW, Sydney 2006, Australie ; Département d'imagerie médicale, Centre médical Flinders, Adélaïde, Australie-Méridionale

Il s’agit de la traduction et synthèse d’un fichier PDF d’un article qui n’est encore pas dans sa version définitive, en raison de révisions supplémentaires avant la publication dans sa forme finale.
Néanmoins cette pré-publication donne une visibilité anticipée de l'article à venir.

Objectif de l'étude

La mammographie numérique a remplacé la mammographie analogique dans les programmes de dépistage du cancer du sein à l'échelle mondiale. Cela a conduit à une légère augmentation du taux de détection, mais il est incertain que la détection des cancers cliniquement importants soit meilleure.

(NDLR, quelle est la différence entre les deux technologies, analogique et numérique? : Initialement la mammographie était de type analogique, c'est à dire utilisant des films que l’on devait développer. Le signal radiologique, pour faire simple, est alors transformé en signal 'visuel', cela pouvait altérer la qualité du film à interpréter (artéfacts, fragilité des films, et autres écueils...).
Avec le procédé numérique, utilisé dans le cadre du dépistage depuis 2008, des capteurs récupèrent l’image et la mettent en mémoire, il n'y a pas de transformation du signal et l'image est projetée en temps réel sur l'écran d'ordinateur (ou console). On limite le diffusé du signal pour ne garder que l'information utile.
Cette technologie a été encensée sur la base d'arguments d'un meilleur taux de détection par rapport au système analogique, notamment en cas de seins denses, et par sa moindre irradiation.)

Conception et cadre de l'étude

Un examen dans sept bases de données a été effectué, depuis leur création jusqu'à la date du 8 octobre 2023, pour rechercher des publications comparant la mammographie sur film (analogique) et la mammographie numérique au sein d'une même population de femmes asymptomatiques et exposées à un risque moyen de cancer du sein, c'est cette population qui est appelée à se faire dépister.

Plus exactement, dix-huit études ont été incluses dans l'analyse, provenant de huit pays et portant sur 11 592 225 examens de dépistage (8 117 781 sur film et 3 474 444 sur support numérique).
Les caractéristiques tumorales ont été collectées et une synthèse (méta-analyse) a été réalisée.

Ce qu'on attend d'une meilleure technologie

Essentiellement deux choses sont attendues :

Premièrement, il doit y avoir un déplacement du stade lors de la détection, avec une diminution des cancers primo-détectés de stade avancé.
Deuxièmement, les cancers détectés à un stade précoce doivent inclure des tumeurs cliniquement agressives, avec de mauvaises caractéristiques pathologiques.
L'examen de ces deux critères fournit une évaluation pertinente de l’efficacité du changement de la technologie de dépistage. 

Quels sont les résultats de l'analyse effectuée ?

Après le déploiement du numérique les auteurs ont constaté une augmentation des carcinomes canalaires in situ détectés lors du dépistage (de façon statistiquement significative) et des cancers invasifs (mais de façon non statistiquement significative), et ce pour tous les grades tumoraux.

Rappelons que les carcinomes in situ alimentent en grande partie les surdiagnostics, étant des tumeurs de très bon pronostic, et dont la surdétection n'a fait qu'augmenter depuis qu'on dépiste.
Voir : https://cancer-rose.fr/2019/09/04/quest-ce-quun-carcinome-in-situ/

Bien que la détection accrue de cancers de haut grade puisse indiquer une détection précoce bénéfique accrue de maladies plus agressives qui seraient plus susceptibles de progresser si elles n’étaient pas traitées, la détection accrue de cancers de plus bas grade (en particulier les in situ) indique une augmentation concomitante du surdiagnostic.
Il y avait peu de différences entre les deux technologies dans les autres caractéristiques tumorales des cancers invasifs, une observation qui peut indiquer que, dans l’ensemble, il n’y a eu que des variations minimes dans la détection des cancers de plus mauvais pronostic, entre ceux détectés par film et ceux détectés par mammographie numérique.

Les auteurs rappellent leur précédente méta-analyse de 2020, que nous avions résumée ici ; elle concluait déjà à un meilleur taux de détection des carcinomes in situ, avec peu de différence dans la détection des cancers invasifs.
Et surtout elle ne retrouvait aucun effet sur les taux des cancers d’intervalle, ces cancers non anticipés par le dépistage, car souvent très véloces, de mauvais pronostic et évolutifs, qui apparaissent entre deux mammographies de dépistage en dépit d'un dépistage précédent classé normal.
Leur taux ne se trouvait pas réduit par la technologie numérique. Les caractéristiques biologiques des cancers d'intervalle ne variaient pas entre les deux technologies de dépistage, on ne peut donc pas espérer la détection de cancers d'intervalle de moindre agressivité grâce au numérique.
Les taux similaires des cancers dits "triple-négatifs" entre les deux technologies suggèrent que les cancers supplémentaires détectés avec les approches numériques sont susceptibles d’être d’une agressivité similaire aux tumeurs détectées avec le film analogique.

En conclusion

Une augmentation de tous les degrés de cancers détectés indique que la transition vers le numérique peut avoir à la fois une détection précoce bénéfique accrue (de maladie agressive) et comporter des méfaits dus au surdiagnostic (détection de maladie indolente).

Il est important de faire la distinction entre une détection accrue détectant plus de cas de maladie cliniquement importante, ou détectant plus de cas mais cliniquement sans conséquence.
Étant donné qu’il n’y avait pas de différences statistiquement significative dans les caractéristiques des tumeurs invasives ou des cancers d'intervalle détectés lors du dépistage lors de la transition numérique, il est peu probable que ce changement technologique ait entraîné un véritable avantage net substantiel pour la population dépistée.

La transition vers le numérique s’explique principalement par des raisons technologiques et par des gains d’efficacité dans les cabinets, Les avantages pour la santé ne sont pas nets.

Les auteurs déclarent que leur analyse démontre surtout l’importance d’évaluer les avantages et les inconvénients pour la santé avant et après le développement à grande échelle des nouvelles technologies de dépistage de la population.
Les deux méta-analyses effectuées par cette équipe renforcent la nécessité d'évaluer soigneusement les effets des futures évolutions technologiques, afin de s'assurer que ces changements progressifs apportés aux programmes de dépistage conduisent à une balance réellement positive entre les avantages et les inconvénients du dépistage.

Commentaire Cancer Rose

Il en va de même de ces réflexions pour la tomosynthèse.
Encore une fois, la course à la détection toujours plus précoce et de lésions toujours plus petites nous prive d'une réflexion sur ce qui est réellement utile à détecter.
La course à la plus petite lésion n'est pas accompagnée d'un gain substantiel en durée de vie pour la population, et s'accompagne d'un surdiagnostic délétère qui plonge des personnes bien-portantes inutilement dans une maladie qu'elles n'auraient pas subie sans cette détection.

Tant que nous ne maîtriserons toujours pas la connaissance de ce qu'on appelle l'histoire naturelle du cancer, nous ne règlerons pas l'échec du dépistage et ne ferons qu'amplifier la terrible épreuve des détections inutiles pour les populations, le fardeau qu'elles représentent physiquement, psychiquement et économiquement, dans un déni constant des autorités sanitaires.

En lien l'article : Trop, trop légèrement, trop tôt

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