Le terme histoire naturelle du cancer désigne l’évolution de la maladie du début jusqu’au bout si on n’intervient pas et qu’on ne fait rien.
Un premier modèle théorique
Pour le cancer du sein, on a longtemps adhéré à une théorie de progression linéaire et mécaniciste du cancer, comme le schéma ci-dessous le montre.
On appelle cela le schéma halstédien, du nom d’un chirurgien nord-américain, William Halsted (1852-1922) qui théorise cette vision, intuitive et confortable.
Mais les connaissances évoluent.
Ce n’est pas si simple
Et en fait, les cancers présentent un large spectre de comportement clinique ; à une extrémité du spectre se trouvent les tumeurs agressives, à progression rapide, et à l’autre extrémité les tumeurs indolentes, à progression lente ou pas de progression du tout.
Les premières (par exemple, le carcinome thyroïdien anaplasique et l’adénocarcinome pancréatique, les formes de tumeurs du sein agressives) sont souvent non résécables ou métastatiques d’emblée au moment de la détection et s’avèrent souvent de mauvais pronostic.
En revanche, les tumeurs indolentes (par exemple, certaines petites tumeurs papillaires de la thyroïde ou de la prostate, et beaucoup de tumeurs du sein de bas stade et de petite taille détectées lors de la mammographie systématique) peuvent rester asymptomatiques et ne pas évoluer au cours de la vie du patient. Ces tumeurs indolentes, si elles n’étaient jamais diagnostiquées, n’évolueraient pas au point de provoquer des symptômes ou la mort ; elles composent ce qu’on appelle le « surdiagnostic ».
Le surdiagnostic a été documenté pour les petites tumeurs de la prostate, de la thyroïde, du sein et de plusieurs autres organes.
Comme les tumeurs surdiagnostiquées ne présentent aucun risque, leur traitement est inutile, exposant les patients aux risques et à la toxicité d’interventions sans bénéfice.
Il n’existe malheureusement pas de techniques fiables pour différencier le sous-ensemble qui reste indolent des tumeurs qui peuvent progresser ; par conséquent, tous les cas de tumeurs détectées sont définitivement traités avec une résection chirurgicale et/ou une radiothérapie.
Les mécanismes qui sous-tendent le comportement indolent des tumeurs et qui sont probablement en grande partie d’ordre immunitaire sont actuellement inconnus.
Un autre modèle
Le modèle traditionnel est donc dépassé. Il est beaucoup trop simple pour représenter correctement la multitude de maladies actuellement désignées sous le nom de « cancer ».
Dans les années 1960 et 1970, le chirurgien américain Bernard Fisher et l’oncologue italien Umberto Veronesi ont remis en question le point de vue de Halsted sur la progression ordonnée du cancer.
Il ont émis l’hypothèse que le cancer du sein pouvait être une maladie systémique dès le départ : les cellules tumorales pouvaient être disséminées dans tout l’organisme au moment de la détection.
Des recherches récentes en génomique du cancer suggèrent que l’hypothèse de Fisher et de Veronesi s’étend au-delà du cancer du sein. Dans une analyse de 118 biopsies provenant de 23 patients atteints de cancer colorectal et présentant des métastases à distance, il a été estimé que la dissémination se produisait bien avant que la tumeur primaire ne soit suffisamment importante pour être cliniquement détectable.
Hu Z, Ding J, Ma Z, Sun R, Seoane JA, Scott Shaffer J, et al. Quantitative evidence for early metastatic seeding in colorectal cancer. Nat Genet. 2019;51:1113–22.
Ces cancers agressifs, « nés pour être mauvais », échapperaient à tout effort de détection précoce réalisable, et pourtant ce sont ceux qui sont les plus susceptibles de causer la mort.
Les cancers situés à l’autre extrémité du spectre de croissance sont devenus de détection massive avec l’avènement du dépistage généralisé du cancer de la prostate aux États-Unis dans les années 1990. Certains cancers localisés de la prostate se développent si lentement qu’ils ne sont pas destinés à provoquer des symptômes avant que le patient ne meure en raison de risques de décès concurrents, en particulier chez les hommes plus âgés.
Welch HG, Albertsen PC, Nease RF, Bubolz TA, Wasson JH. Estimating treatment benefits for the elderly: the effect of competing risks. Ann Intern Med. 1996;124:577–84.
Par ailleurs, certaines lésions, cancéreuses sous le microscope, peuvent ne pas évoluer du tout. Le même phénomène est apparu dans les essais randomisés de dépistage du cancer du poumon par radiographie pulmonaire.
Black WC. Overdiagnosis: an underrecognized cause of confusion and harm in cancer screening. J Natl Cancer Inst. 2000;92:1280–2.
Des observations ultérieures suggérant que certains cancers du sein, de la thyroïde et du rein régressent ont ajouté à la complexité de la situation.
En d’autres termes, certains cancers du sein, du côlon et du poumon sont déjà systémiques lorsqu’ils sont détectables, tandis que d’autres ne sont pas destinés à former des métastases.
Les observations, les recherches, les études, les constatations en pratique clinique et les connaissances de la cancérologie moderne nous proposent un autre schéma, un modèle contemporain de progression du cancer plus complexe et plus hétérogène.
Il s’agit plutôt d’un buisson de possibilités, avec des cancers qui progressent très vite et sont d’emblée métastatiques et mortels, d’autres très lents et qui ne progressent pas, voire régressent, et d’autres qui évoluent tranquillement, donnant lieu un jour à la patiente un symptôme clinique qui l’amènera à consulter.
Dans la FAQ https://cancer-rose.fr/2021/10/23/comment-se-developpe-un-cancer/, nous vous expliquons comment le dépistage intervient sur chaque différente forme de cancer.
Pour les cancers régressifs : Il est rare que l’on observe des régressions, non pas parce qu’elles sont rares, mais parce que leur observation est difficile, car dès qu’on décèle un cancer, très logiquement on le traite. Il y a donc peu d’occasions de réellement constater le phénomène.
Par exemple, il a pu être observé chez des femmes sur le point d’être opérées de leur cancer, mais dont l’intervention chirurgicale a été différée en raison de la survenue d’une autre maladie plus urgente à traiter. Ces cas de régression existent bel et bien, et pas seulement pour le cancer du sein d’ailleurs.
* Tokunaga E, Okano S, Nakashima Y, Yamashita N, Tanaka K, Akiyoshi S, et al. Spontaneous regression of breast cancer with axillary lymph node metastasis: a case report and review of literature. Int J Clin Exp Pathol. 2014; 7(7): 4371-80.
* Onuigbo WIB. Spontaneous regression of breast carcinoma: review of English publications from 1753 to 1897. Oncol Rev. Oct 2012; 6 (2): e22.
* Ricci SB, Cerchiari U. Spontaneous regression of malignant tumors: Importance of the immune system and other factors (Review). Oncol Lett. Nov 2010; 1(6): 941-5.
L’histoire naturelle du cancer est donc extrêmement complexe et imprévisible, et ne peut être résumée dans des slogans fallacieux des campagnes roses comme « plus petit c’est mieux c’est ». Cet adage a fait long feu et est complètement erroné.
Quelques images :
En résumé
Références :
Pandey A, Linxweiler M, Kuo F, Marti JL, Roman B, Ehdaie B, Vos JL, Morris LGT. Patterns of immune equilibrium and escape in indolent and progressing tumors. Cancer Cell. 2023 Aug 14;41(8):1389-1391. doi: 10.1016/j.ccell.2023.06.003. Epub 2023 Jul 6. PMID: 37419120.
Livre « dépistage du cancer du sein, la grande illusion », de B.Duperray, Ed.T.Souccar
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