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Le dépistage organisé des cancers du sein est toujours l’objet de controverses. Un des arguments mis en avant par ses partisans serait une diminution des traitements lourds, rendue possible par des diagnostics plus précoces. Ce postulat n'a pas été évalué en France.
Avec le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), on dispose d'un recensement exhaustif des actes chirurgicaux réalisés en France. Toute évolution du nombre de mastectomies pour cancer du sein devrait donc s'y retrouver.
Nous avons interrogé les bases de données du PMSI et constaté qu'aucune diminution des mastectomies, totales ou partielles, ne pouvait être mise en évidence après la généralisation du dépistage organisé.
Le dépistage organisé permet-il réellement d'alléger le traitement chirurgical des cancers du sein ?
Robert Vincent 1, Jean Doubovetzky 2, Annette Lexa 3, Philippe Nicot 4, Cécile Bour 5
1 Hôpitaux Robert Schuman, Département d'information médicale (DIM)- Luxembourg
2 Médecin généraliste, rédacteur senior à la Revue Prescrire, Albi
3 Docteur en toxicologie (Eurotox), Metz
4 Médecin généraliste, expert à la HAS, Panazol
5 Radiologue libéral, présidente de l’Association Cancer Rose, Talange
Abstract: Does organized screening really reduce the surgical treatments of breast cancers?
The organized screening of breast cancers is still controversial. According to its supporters, it should enable a decrease of treatments, due to earlier diagnoses. This assumption has never been tested in France. The "Programme de médicalisation des systèmes d'information" (PMSI), is an exhaustive census of the surgical treatments achieved in France. The PMSI should show any change of the number of mastectomies for breast cancer.
We searched the PMSI databases and found no decrease of the number of mastectomies, radical or partial, after the generalization of the organized screening.
Keywords: breast cancer; mass screening; mastectomy
Introduction
Le dépistage organisé des cancers du sein a été généralisé en France en 2004. Pourtant, il est toujours l’objet de controverses.
En particulier, le postulat selon lequel le dépistage organisé permet un diagnostic plus précoce et détecte des tumeurs de plus petites dimensions, aboutissant à des traitements moins agressifs, n'a pas été évalué en France.
Si tel était réellement le cas, parallèlement à la généralisation du dépistage, on devrait constater un recul des traitements les plus lourds, et notamment des mastectomies totales. Depuis 1997, toutes les interventions chirurgicales, réalisées en France au cours d'une hospitalisation, sont enregistrées dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI)[1].
L'objectif de notre travail est de vérifier si, en France, la généralisation du dépistage organisé des cancers du sein s'est accompagnée d'une diminution des interventions les plus mutilantes, en étudiant l'évolution annuelle du nombre de mastectomies pour cancer recensées dans le cadre du PMSI.
Matériel et méthodes
Le nombre de mastectomies a été estimé à partir de données extraites de la plate-forme ScanSanté de restitution des données PMSI [2]. Les recherches ont concerné la France entière et tous les types d'établissements, publics et privés.
Les requêtes sur ScanSanté ont porté :
- d'une part sur les « Mastectomies totales pour tumeur maligne » (racine de GHM 09C04) ;
- d'autre part sur les « Mastectomies subtotales pour tumeur maligne » (racine de GHM 09C05) [1] [3].
Le nombre des mastectomies totales a été diminué du nombre des « ablations prophylactiques de sein ». C’est à dire que les séjours avec un diagnostic principal Z40.00 ont été soustraits des séjours classés dans la racine 09C04).
Le PMSI n'est généralement considéré comme exhaustif qu'à partir de l'année 2000. Les données antérieures à l'année 2000 sont donc susceptibles d'être sous-estimées et n'ont pas été prises en compte.
Les données brutes sur le nombre de mastectomies ont été complétées par une estimation des ratios [nombre annuel de mastectomies / incidence annuelle des cancers du sein]. Ces ratios n'ont pu être calculés que pour les 4 années, 2000, 2005, 2010 et 2012, pour lesquelles l'incidence des cancers du sein en France est disponible [2].
Le nombre de mastectomies totales effectuées au cours des 4 dernières années précédant le dépistage organisé (période 2000 à 2003) a été comparé avec celui des 4 dernières années avec dépistage organisé (période 2013 à 2016).
L’évolution du nombre annuel de mastectomies a été recherchée par une méthode graphique, avec courbe de tendance linéaire, complétée par un test de corrélation des rangs de Spearman. Pour les comparaisons entre 2 périodes, les intervalles de confiance ont été déterminés par rééchantillonnage bootstrap avec 105 répétitions.
Le seuil de significativité retenu est le seuil habituel de 0,05.
Toutes les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel R version 3.0.2.
Résultats
Comme le montrent le tableau 1 et le graphique 1, le nombre annuel de mastectomies totales pour cancer tend à augmenter sur la période 2000 à 2016.
Cette tendance à la hausse est statistiquement significative (p < 0,0002 au test de corrélation des rangs de Spearman).
La comparaison des 4 dernières années sans dépistage organisé (période 2000 à 2003) avec les 4 dernières années avec dépistage organisé (période 2013 à 2016]) montre que durant la période 2013 à 2016, en moyenne, 1 615 mastectomies totales de plus ont été réalisées chaque année par rapport à la période 2000 à 2003 (IC 95% : 1010-2280).
Année
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
Totales
17 403
18 333
18 526
19 142
18 368
18 778
19 063
18 982
19 755
18 869
18 722
18 830
19 669
19 700
20 137
20 029
19 997
Partielles
36 473
39 318
42 111
44 993
46 170
46 767
45 755
44 539
44 202
45 293
46 149
47 508
52 247
51 485
52 078
52 769
53 658
Tot + Part
53 876
57 651
60 637
64 135
64 538
65 545
64 818
63 521
63 957
64 162
64 871
66 338
71 916
71 185
72 215
72 798
73 655
(Tableau 1 : nombres annuels de mastectomies totales, partielles, totales et partielles)
(Graphique 1)
Le tableau 1 et le graphique 2 montrent que le nombre de mastectomies tout type confondu (totales + partielles) est lui aussi en forte augmentation sur la période 2000 à 2016.
Cette tendance à la hausse est statistiquement significative (p < 10-7 au test de corrélation des rangs de Spearman).
(Graphique 2)
La comparaison des 4 dernières années sans dépistage organisé (période 2000 à 2003) avec les 4 dernières années avec dépistage organisé (période 2013 à 2016) montre que durant la période 2013 à 2016, en moyenne, 13 389 mastectomies (tous types confondus) de plus ont été réalisées chaque année par rapport à la période 2000 à 2003 (IC 95% : 9 610-17 160).
Le tableau 2 présente les ratios [nombre de mastectomies / incidence des cancers du sein]. Ces ratios sont stables, entre 0,38 et 0,41, dans le cas des mastectomies totales. Ils montrent une tendance à augmenter entre 2000 et 2012 dans le cas des mastectomies partielles et des mastectomies tout type confondu.
Année
2000
2005
2010
2012
Incidence des cancers du sein
42 696
49 087
48 980
48 763
Ratio [nombre de mastectomies totales / incidence des cancers du sein]
0,408
0,383
0,382
0,403
Ratio [nombre de mastectomies partielles / incidence des cancers du sein]
0,854
0,953
0,942
1,071
Ratio [nombre de mastectomies tout type confondu / incidence des cancers du sein]
1,262
1,335
1,324
1,475
(Tableau 2 : Ratios [nombre annuel de mastectomies / incidence annuelle des cancers du sein])
Discussion
Le PMSI constitue la seule source d'information exhaustive sur l'activité chirurgicale en France. Il est essentiellement utilisé pour la facturation des séjours hospitaliers. Cependant des études précédentes ont montré qu'il pouvait être exploité pour des analyses épidémiologiques, notamment en ce qui concerne les cancers du sein [3,4].
Si le dépistage organisé s’était accompagné d’une diminution du nombre de mastectomies pour cancer réalisées en France, cette diminution devrait se traduire par une diminution équivalente des mastectomies codées dans les bases de données du PMSI. Cela ne correspond pas aux résultats observés. Au contraire, on constate une augmentation statistiquement significative des mastectomies totales ainsi que de l'ensemble des mastectomies tous types confondus.
La stabilité dans le temps des ratios mastectomies totales / incidence des cancers du sein montre que l'augmentation du nombre de mastectomies totales est parallèle à l'augmentation du nombre de cancers du sein invasifs diagnostiqués. Ainsi, en 2012, 8 années après la généralisation du dépistage organisé, on avait toujours 4 mastectomies totales pour 10 nouveaux cancers du sein invasifs, exactement comme en 2000, avant la généralisation du dépistage organisé.
La tendance à l'augmentation dans le temps des ratios mastectomies partielles / incidence des cancers du sein et ensemble des mastectomies tout type confondu / incidence des cancers du sein suggère que l'augmentation des interventions comportant des mastectomies partielles pour cancer est plus rapide que la progression de l'incidence des cancers du sein invasif. Ainsi, en 2012, on avait près de 15 interventions comportant une mastectomie pour 10 nouveaux cancers du sein invasifs, alors qu'en 2000, moins de 13 interventions étaient pratiquées pour 10 nouveaux cancers.
Une des explications possibles pourrait être les surtraitements associés aux surdiagnostics. En effet, le dépistage conduit dans 30% à 52% selon les auteurs à la découverte de lésions cancéreuses de petites tailles ou peu évolutives, qui seraient restées asymptomatiques durant toute la vie de la patiente. Par précaution, toutes les lésions sont traitées et leur découverte aboutit à leur ablation chirurgicale, le plus souvent par mastectomie partielle [5,6].
Il est également possible que les mastectomies partielles secondairement suivies de mastectomies totales soient plus nombreuses ; autrement dit, il est possible qu’un certain nombre de femmes qui étaient autrefois directement traitées par mastectomie totale subissent à présent une mastectomie partielle avant de subir secondairement une mastectomie totale. Ce mécanisme ne pourrait cependant jouer que pour une part très faible, puisque selon la Caisse nationale d’Assurance maladie, en 2012, seulement 3% des tumorectomies ont été suivies d’une mastectomie [7].
Les services d’hospitalisation sont mieux rémunérés pour des mastectomies totales (racine 09C04) que pour des mastectomies partielles (racine 09C05). On pourrait donc supposer un biais de surcodage des mastectomies totales, lié à une motivation financière. Cette interprétation est peu probable, pour au moins deux raisons :
- d’une part, s’il y avait une augmentation abusive des codages en « mastectomie totale » (09C04), elle se ferait au détriment des codages en « mastectomie partielle » (09C05), qui devraient donc être en diminution. Or les données disponibles sur ScanSanté montrent que les mastectomies partielles sont au contraire en augmentation, et même plus rapide que les mastectomies totales.
- d'autre part, le surcodage modifierait l'équilibre entre le nombre de mastectomies totales enregistrées dans le PMSI et le nombre de cancers du sein. Il en résulterait une augmentation des ratios nombre de mastectomies totales / incidence des cancers du sein, parallèle à l'augmentation des mastectomies totales. Nos résultats montrent au contraire une stabilité de ces ratios.
Nos résultats sont cohérents avec les résultats trouvés dans d’autres pays :
- aux Etats-Unis, dans une étude de 2015 portant sur 16 millions de femmes, une augmentation de 10% de l'activité du dépistage a été associée à une augmentation de presque 25% des tumorectomies et mastectomies partielles (RR 1,24 ; CI 1,15-1,34), sans diminution des mastectomies totales [8].
- au Royaume-Uni, selon le rapport dit Marmot de 2013 sur le dépistage des cancers du sein, la fréquence des mastectomies est augmentée d’environ 20% dans la population dépistée, par comparaison avec la population non dépistée [9].
- pour l’ensemble des essais comparatifs randomisés effectués dans le monde ayant examiné cette question, en 2013, la Collaboration Cochrane évalue que le nombre de mastectomies est augmenté de 20% (RR 1,20 ; CI 95% 1,08–1,32) et le nombre d’interventions chirurgicales (mastectomies et tumorectomies) est augmenté de 30% (RR 1,31 ; CI 95% 1,22–1,42) [10].
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu de cet article.
Références.
Manuel des Groupes Homogènes de Malades - Version 2016 de la classification. Bulletin officiel No 2016/5 bis Fascicule spécial.
Trombert Paviot B, Gomez F, Olive F, Polazzi S, Remontet L, Bossard N et al. Identifying Prevalent Cases of Breast Cancer in the French Case-mix Databases. Med. 2011;50(2):124-30. doi : https://doi.org/10.3414/ME09-01-0064
Quantin C, Benzenine E, Hägi M, Auverlot B, Abrahamowicz M, Cottenet J et al. Evaluation de l’intérêt de l’utilisation des données du PMSI pour l’estimation de l’incidence du cancer du sein dans deux départements français. Rev Epidemiol Sante Publique 2010 ; 58 (Suppl. 1) : S14.
Jørgensen KJ, Gøtzsche PC. Overdiagnosis in publicly organised mammography screening programmes: systematic review of incidence trends. BmJ. 2009 Jul 9;339:b2587.
Bleyer A, Welch HG. Effect of three decades of screening mammography on breast-cancer incidence. N Engl J Med 2012;367:1998-2005.
Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses : proposition de l’Assurance Maladie pour 2015. Rapport au Ministre chargé de la sécurité Sociale et au Parlement sur l’évolution des charges et des produits de l’Assurance maladie au titre de 2015 (loi du 13 août 2014) ; page 62.
Harding C, Pompei F, Burmistrov D, Welch HG, Abebe R, Wilson R. Breast Cancer Screening, Incidence, and Mortality Across US Counties. JAMA Intern Med. 2015 Sep;175(9):1483–9.
9- Baum M. Harms from breast cancer screening outweigh benefits if death caused by treatment is included. BMJ 2013 ; 346 : f385. doi : https://doi.org/10.1136/bmj.f385
10- Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database of Systematic Reviews 2013 ; 4;(6) : CD001877. doi: https://doi.org/10.1002/14651858.CD001877.pub5
[1] Développé progressivement à partir de 1982, le PMSI vise à décrire les hospitalisations en les classant dans des groupes aux caractéristiques voisines, les Groupes homogènes de malades (GHM). Depuis 1995, obligation est faite aux établissements publics de transmettre leurs données. En 1997, le PMSI a été étendu aux établissements privés. On estime généralement que les données sont devenues quasiment exhaustives à partir de l’année 2000.
[2] Les données du PMSI sont mises à disposition de tous, acteurs de santé et grand public, sur une plate-forme nationale en accès libre, gérée par l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH). Cette plate-forme se nomme ScanSanté et peut être consultée à l'adresse : http://www.scansante.fr
[3] À l'issue de l’hospitalisation d'un patient, le motif d'admission, les comorbidités et les actes réalisés durant le séjour, sont codés pour permettre leur traitement informatique. Chaque séjour est ensuite classé dans une racine de GHM, sur base de son motif d'admission et des éventuels actes chirurgicaux réalisés. Ainsi, la racine de GHM 09C04 correspond, par construction, aux séjours ayant un motif d'admission en lien avec un cancer du sein et comportant un acte chirurgical de mastectomie totale. De même, la racine de GHM 09C05 correspond, par construction, aux séjours ayant un motif d'admission en lien avec un cancer du sein et comportant un acte chirurgical de mastectomie partielle.
Globalement, on opère autant en 2016 qu'en 2000Dans les recommandations officielles, il doit y avoir une tendance croissante à privilégier chaque fois que possible la chirurgie conservatrice.Ce qui est sûr, c'est que, malgré cette volonté affichée de privilégier la chirurgie conservatrice, le nombre annuel de mastectomies totales ne diminue pas. Ce que nous avons également montré, c'est que le nombre de mastectomies totales rapporté à l'incidence des cancers invasifs n'a pas non plus diminué.
Deux explications sont possibles :
soit la chirurgie n'est pas plus conservatrice en 2016 qu'en 2000 (i.e. les recommandations privilégiant la chirurgie conservatrice chaque fois que possible ne sont pas suivies ; ce qui annule le bénéfice espéré du dépistage),
soit des mastectomies totales sont réalisées pour des tumeurs non invasives (surtraitement associé au surdiagnostic) et ces mastectomies totales supplémentaires font perdre le bénéfice d'une tendance générale à une chirurgie plus conservatrice.
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