3 décembre 2017
Le nouveau panorama de la santé de l’ OCDE (2017) avec les indicateurs de l’OCDE est paru, Edition OCDE)
Analyse critique par
Dr Gourmelon Marc,
Dr Robert Vincent
Vous pouvez cliquer directement sur la partie qui vous intéresse
Première partie, Dr Marc Gourmelon Marc : critique formelle du texte
Deuxième partie Dr Vincent Robert : analyse statistique de l’hypothèse d’une baisse de mortalité associée au dépistage.
PREMIERE PARTIE
Introduction
Le document présenté est une vision de la santé sous différents aspects par l’analyse d’éléments présents dans de très nombreux pays dans le monde, pas seulement ceux faisant partie de l’OCDE.
« Le cancer est la deuxième cause de mortalité dans les pays de l’OCDE, après les maladies circulatoires ; il a été à l’origine de 25 % des décès en 2015, contre 15% en 1960. Dans plusieurs pays, comme le Danemark, la France, le Japon, les Pays-Bas, le Canada, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Belgique et l’Australie, le taux de mortalités par cancer est supérieur à celui des maladies circulatoires. La part croissante des décès par cancer tient au fait que les taux de mortalité dus à d’autres causes, aux maladies circulatoires notamment, reculent plus rapidement que ceux du cancer. »(page 62, premier pavé)
Il est à noter que dès le début de ce rapport, la baisse de la mortalité est affirmée comme étant liée aux diagnostics précoces qui sont la conséquence de politiques de dépistage mises en place.
« Le cancer du sein est la deuxième cause de mortalité par cancer chez les femmes dans de nombreux pays de l’OCDE. Bien que son incidence ait augmenté au cours de la dernière décennie, la mortalité a diminué dans la plupart des pays grâce aux diagnostics plus précoces et à l’amélioration des traitements. »(page 62, 7ème pavé)
Cette affirmation, pour le moins « péremptoire » montre donc un parti pris des auteurs.
Cas du cancer de la prostate
A propos du cancer de la prostate :
« Les taux de mortalité par cancer de la prostate ont diminué dans certains pays de l’OCDE sous l’effet de la détection précoce et de l’amélioration des traitements »(fin page 70 du document de référence).
Or la Haute Autorité de Santé, dès 2012, ne recommande plus le dépistage ; » la HAS a confirmé sa non-recommandation du dépistage systématique du cancer de la prostate en population générale comme dans les populations à haut risque sur les éléments suivants etc.. » [i]
Il en est de même des autorités américaines et canadiennes. [ii]
Comment les auteurs de ce rapport peuvent-ils affirmer que le dépistage précoce a diminué grâce au dépistage quand cela contrevient aux recommandations d’autorités qui ont étudié en détail cette problématique.
La croyance contre les faits scientifique est sans doute la réponse à cette interrogation.
Cas du cancer du sein
Il est clair que le cancer du sein, de par sa fréquence est un réel problème de santé publique :
« Les plus courants sont le cancer du sein (12.9 % des nouveaux cas de cancer) et de la prostate (12.8 %), suivis du cancer du poumon (12.3 %) et du cancer colorectal (11.9 %). Ces quatre cancers représentent la moitié de la charge de morbidité estimée du cancer dans les pays de l’OCDE (Ferlay et al., 2014). » (page 70, premier pavé)
Un peu plus loin sur la même page :
« La variation de l’incidence du cancer du sein d’un pays de l’OCDE à l’autre serait imputable, en partie tout au moins, à la diversité de la couverture et des méthodes de dépistage. Bien que les taux de mortalité par cancer du sein aient diminué dans la plupart des pays de l’OCDE depuis les années 1990 grâce à des diagnostics plus précoces et à une amélioration des traitements, ce cancer demeure l’une des premières causes de décès par cancer chez les femmes »(page 70, moitié du 4ème pavé).
A nouveau est ici affirmé que le dépistage et les diagnostics précoces sont une des causes de la baisse de mortalité par cancer du sein.
Venons-en à présent au chapitre spécifiquement consacré au cancer du sein, dès page 128.
« Le cancer du sein est la forme de cancer la plus fréquente chez les femmes dans les pays de l’OCDE, à la fois en terme d’incidence et de prévalence. Une femme sur neuf souffrira d’un cancer du sein à un moment ou à un autre de sa vie. Les facteurs qui augmentent les risques de développer cette maladie sont l’âge, les antécédents familiaux de cancer du sein, la prédisposition génétique, les facteurs de reproduction, une œstrogénothérapie substitutive et l’hygiène de vie, y compris l’obésité, le manque d’activité physique, le régime alimentaire et la consommation d’alcool. » (page 128 du document de référence)
Il est peu contestable que le cancer du sein est la forme la plus fréquente de cancer chez la femme.
Par contre l’affirmation qu’une femme sur 9 souffrira d’un cancer du sein dans sa vie, occulte complètement le surdiagnostic dû aux politiques de dépistage par mammographie.
La fréquence du cancer du sein fait la part belle au surdiagnostic et il est impossible de savoir dans le nombre de cancers du sein diagnostiqués ceux qui en étaient des « vrais ». D’où le problème de définition de cancer du sein.
Aujourd’hui c’est l’analyse anatomopathologique qui fait le cancer alors que l’anatomopathologiste est encore aujourd’hui incapable de dire si les cellules cancéreuses qu’il voit au microscope vont ou non tuer la femme.
Dire qu’une femme sur neuf sera confrontée au cancer du sein est une présentation trompeuse, ce risque étant un risque cumulé tous âges confondus, calculé sur une population fictive en fonction des risques observés en 2012. Or il convient de considérer ce risque selon la tranche d’âge. Avec un suivi de 20 années, pour une femme de 40 ans ce risque est de 4%, pour une femme de 60 ans il est de 6%.(
Le surdiagnostic est malgré tout évoqué un peu plus loin :
« La plupart des pays de l’OCDE ont mis en place des programmes de dépistage du cancer du sein qu’ils considèrent efficaces pour détecter la maladie à un stade précoce (OCDE, 2013). Or, en raison de l’amélioration récente des résultats des traitements et des inquiétudes relatives aux
résultats faux positifs, au surdiagnostic et aux traitements excessifs, les recommandations en matière de dépistage du cancer du sein ont été réévaluées ces dernières années. Au vu des conclusions des études récentes l’OMS préconise l’organisation d’un dépistage par mammographie parmi la population concernée si les femmes sont en mesure de prendre une décision éclairée après avoir pesé les avantages et les risques associés à cet examen (OMS, 2014). » (page 128, deuxième pavé)
Il est intéressant de noter qu’ici, à la différence des pages précédentes, que l’efficacité du dépistage du cancer du sein n’est pas affirmée.
De plus, il est mis en avant la nécessité de l’information éclairée des femmes, information éclairée qui n’est toujours pas assurée en France comme l’a montré notre dernière analyse du livret de l’ INCA sur le sujet.[iii]
Qu’en est-il des indicateurs retenus ?
Dès le début de ce document, les auteurs affirment se baser sur des indicateurs pertinents dans l’élaboration de leurs analyses. Ils écrivent :
« Un jeu de quatre à cinq indicateurs pertinents est présenté pour chacune de ces composantes, sous la forme de vues d’ensemble des pays de l’OCDE et de tableaux de bord nationaux. »(page 19)
Or à propos du cancer du sein, un des indicateurs présentés est le taux de survie :
« Le taux de survie au cancer du sein est signe d’un diagnostic précoce et de traitements améliorés. »(page 128, 4ème pavé)
Le taux de survie est défini ici : « La survie nette à cinq ans est la probabilité cumulée que les patients atteints de cancer survivent à leur cancer pendant au moins cinq ans, après avoir contrôlé les risques de décès dus à d’autres causes. »(page 128, encart gris, deuxième pavé)
Or le taux de survie est un mauvais indicateur car il fait la part belle au surdiagnostic en ignorant le biais d’avance au diagnostic [iv] dans le cas des cancers qui bénéficie d’un programme de dépistage précoce.
Sachant le problème de ce biais d’avance au diagnostic, comment les auteurs de ce panorama peuvent-ils écrire ceci :
« Au cours des 10 dernières années, le taux de survie net à cinq ans des femmes atteintes d’un cancer du sein a augmenté dans les pays de l’OCDE. Il a considérablement progressé dans certains pays d’Europe centrale et orientale, comme l’Estonie et la République tchèque, la survie après un diagnostic de cancer du sein y demeurant toutefois inférieure à la moyenne de l’OCDE. Il est possible que ces progrès soient liés au renforcement de la gouvernance des soins d’oncologie dans ces pays. La République tchèque a par exemple intensifié ses efforts en vue de s’attaquer au fléau du cancer du sein par la mise en place d’un programme de dépistage et un programme national de lutte contre le cancer au début des années 2000
(OCDE, 2014).(page 128, cinquième pavé)
Qu’en est-il des taux de mortalité selon les pays ?
On laisse croire que si la République Tchèque a vu le taux de survie des cancers du sein à 5 ans progresser, c’est grâce à la mise en place d’un programme de dépistage.
« Les taux de mortalité, pour leur part, ont reculé dans la plupart des pays de l’OCDE au cours de la décennie écoulée (graphique 6.35). Ce repli tient aux progrès en matière de dépistage et de traitement précoces du cancer du sein. Des avancées substantielles sont observées en République tchèque et au Danemark, où la mortalité a reculé de plus de 20 % en 10 ans, le Danemark continuant toutefois d’afficher l’un des taux les plus élevés.
Par contre, le taux de mortalité du cancer du sein a augmenté de plus de 10 % en Islande et en Corée au cours de la dernière décennie.
L’Islande enregistre le taux le plus haut de l’OCDE, alors que celui de la Corée reste le plus bas. »(page 128, sixième pavé).
la République Tchèque semble le pays exemplaire car le dépistage a progressé de 30 % à 61,5 % et dans le même temps la mortalité est passée de 33 % environ à 23,3 %
Mais ce magnifique exemple ne saurait faire oublier d’autres pays.
Par exemple en Corée entre 2005 et 2015 le taux de dépistage a passé de 25 % environ à 66,8 % soit la progression la plus importante et dans le même temps la mortalité a augmenté même si elle est parmi la plus faible.
En Islande, la mortalité était de 27 % en 2005 elle est aujourd’hui de 31,5 % alors que le dépistage est quasi stable à 59 %.
La mortalité a progressé en Slovaquie alors que le dépistage y est stable à 75 %
La mortalité progresse aussi en Lettonie malgré l’amélioration du dépistage et c’est aussi le cas au Mexique et au Japon.
Le seul indicateur dont tout le monde reconnaît la pertinence, est le taux de mortalité. Nous allons rechercher la relation entre taux de mortalité et dépistage dans la deuxième partie de cet article.
[i] https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-07/referentieleps_format2clic_kc_prostate_vfinale.pdf – 6eFormat2clic_KC Col prostate-040814.indd%3AAccueil-Fondements scientifiques-p30%3A1375page 30
[ii] https://screeningforprostatecancer.org/wp-content/uploads/2017/03/temp-Prostate-Cancer-Draft-RS_Final-for-Web_3.24.171.pdf
[iii] https://www.cancer-rose.fr/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/
[iv] Biais du temps d’avance au diagnostic et biais de sélection des cancers les plus favorables
DEUXIEME PARTIE
Introduction
Le panorama comporte des données concernant les cancers du sein pour une trentaine de pays (page 128 et 129). On dispose ainsi pour ces pays des taux de dépistage, des taux de survie à 5 ans et des taux de mortalité par cancer du sein.
Nous avons cherché à vérifier si ces données confirment l’hypothèse d’une baisse de mortalité par cancer du sein associée au dépistage.
Hypothèse
Si l’hypothèse d’une baisse de mortalité associée au dépistage est correcte, les pays à fort taux de dépistage devraient également être des pays à faible taux de mortalité. On devrait donc observer une corrélation négative entre taux de dépistage et taux de mortalité. De même, les pays ayant augmenté leur taux de dépistage devraient avoir obtenu parallèlement une diminution de leur taux de mortalité et on devrait observer une corrélation négative entre évolution du taux de dépistage et évolution du taux de mortalité.
Méthode
Pour les pays pour lesquels l’information était disponible, nous avons étudié les relations entre taux de dépistage en 2015 et taux de mortalité en 2015, ainsi que les relations entre évolution des taux de dépistage entre 2005 et 2015 et évolution pour la même période des taux de mortalité.
L’étude des relations a été réalisée par méthode graphique (nuage de points + droite de tendance linéaire) et test de corrélation des rangs de Spearman.
La disponibilité des données a permis d’inclure 30 pays dans l’analyse des relations entre taux de dépistage et taux de mortalité et 27 pays dans l’analyse des relations entre évolution du dépistage et évolution de la mortalité.
La figure 1 représente le nuage de points taux de dépistage en 20015 – taux de mortalité en 2015 ; la figure 2 représente le nuage de points évolution du taux de dépistage – évolution du taux de mortalité. Chaque point représente un pays.
Cliquez sur la figure pour agrandir :
Résultats
Dans les 2 cas, la pente de la droite de tendance linéaire est discrètement positive ; autrement dit, la mortalité tend à augmenter quand le dépistage augmente. Cette tendance n’est toutefois pas statistiquement significative au test de corrélation des rangs de Spearman (autrement dit, cette tendance pourrait n’être qu’un effet du hasard).
Nous nous bornerons donc à conclure que les données publiées par l’OCDE ne corroborent pas l’hypothèse d’une diminution de la mortalité par cancer du sein associée au dépistage.
Discussion
Nous n’avons volontairement pas analysé les relations entre taux de dépistage et taux de survie à 5 ans. On sait en effet que ces relations sont faussées par l’avance au diagnostic qui accompagne le dépistage et qui augmente mécaniquement la survie apparente.
Du fait de modalités de recueil des données différents d’un pays à l’autre, les données de l’OCDE que nous avons utilisées sont de toute évidence hétérogènes. Cette hétérogénéité se traduit graphiquement par une forte dispersion des nuages de points et elle fait perdre de la puissance lors des tests statistiques. De surcroît, les situations sanitaires sont différentes d’un pays à l’autre et pourraient générer des biais. Par exemple, on peut imaginer que les pays qui ont le plus mis en place le dépistage sont les pays qui avaient les plus forts taux de mortalité ; cette mortalité pourrait avoir baissé avec le dépistage mais sans revenir aux taux des autres pays, laissant ainsi ces pays à fort dépistage parmi les pays à forte mortalité.
Ce risque de biais est réel dans l’analyse des relations entre dépistage en 2015 et mortalité en 2015. Il est plus limité dans l’analyse des relations entre évolution du dépistage et évolution de la mortalité entre 2005 et 2015. Travailler sur des évolutions de taux pour un même pays permet de réduire l’hétérogénéité des données liée aux modalités de recueil, ces modalités ayant probablement peu varié d’une période à l’autre. Travailler sur des évolutions de taux pour un même pays permet également de réduire les biais liés aux situations sanitaires différentes, les variations d’une période à l’autre étant probablement moins marquées que les variations entre pays.
Le test de corrélation portant sur les rangs des données plutôt que sur les données elles-même permet également d’atténuer le problème de l’hétérogénéité des données en s’affranchissant du problème des valeurs extrêmes (outliers).
Ces limites tenant à l’hétérogénéité des données et au risque de biais doit rendre prudent dans l’interprétation des résultats. Il n’en reste pas moins que les données de l’OCDE ne confirment pas l’hypothèse d’une réduction de mortalité par le dépistage et qu’on peut affirmer que, si le dépistage permet une réduction de mortalité, cette réduction est certainement très modeste. Une forte réduction aurait en effet été mise en évidence malgré les limites de qualité des données.
Nos résultats sont par ailleurs en accord avec les études récentes qui concluent également à une absence de diminution de la mortalité par cancer du sein par le dépistage organisé.
Conclusion
En conclusion, les données concernant les cancers du sein publiées par l’OCDE dans son Panorama de la santé 2017 ne corroborent pas l’hypothèse d’une diminution de la mortalité par cancer du sein associée au dépistage. Nous pouvons donc, au minimum, affirmer que le dépistage ne constitue pas le déterminant principal de la baisse de mortalité observée dans la plupart des pays depuis 10 ans.
Biblio
1 Impact of screening mammography on breast cancer mortality
Archie Bleyer, Cornelia Baines, Anthony B. Miller
Issue International Journal of Cancer
International Journal of Cancer
Volume 138, Issue 8, pages 2003–2012, 15 April 2016
Les auteurs concluent que le lien entre mammographie de dépistage et le degré de réduction de mortalité par cancer du sein observée ces dernières années est de plus en plus sujet à controverse.
Une comparaison de huit pays d’ Europe et en Amérique du Nord ne démontre pas de corrélation entre la pénétration du dépistage national et la chronologie ou même l’ampleur de réduction de mortalité par cancer du sein.
Les preuves issues des trois approches différentes et d’autres observations supplémentaires ne soutiennent pas l’hypothèse que le dépistage par mammographie serait la raison principale de la réduction de mortalité par cancer du sein observée en Europe et en Amérique du Nord.
https://www.cancer-rose.fr/etude-dimpact-du-depistage-par-bleyermiller-2015/
2 « Breast Cancer Screening, Incidencee, and Mortalily Acress US Countrie. »
Auteurs : Harding C, Pompei F., Burmistrov D., et al.
JAMA Intern Med. Published online July 06, 2015. doi:10.1001/jamainternmed.2015.3043
https://www.cancer-rose.fr/analyse-etude-jama/
3 Mortalité par cancer du sein et facteurs associés dans l’Etat de São Paulo, Brésil: une analyse écologique
http://bmjopen.bmj.com/content/7/8/e016395
Auteur : Carmen Simone Grilo Diniz
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