La densité mammaire, un point de vue dans le JAMA

Synthèse Dr Bour, 12 mai 2019

A propos de https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2733521

Avant-propos

Avec l’émergence de logiciels prédictifs [1] le critère radiologique de la densité mammaire, c’est à dire la prédominance de tissu fibro-glandulaire par rapport au tissu graisseux dans le sein féminin, est, en dépit de l’absence d’études probantes, devenu à lui seul un facteur de risque de cancer du sein. La densité mammaire est élevée généralement chez les femmes jeunes non ménopausées (mais peut persister après ménopause), chez les femmes plus maigres à faible capital graisseux, chez les femmes sous traitement hormonal substitutif de la ménopause.

Comme nous le disions il s’agit bien d’un critère radiologique ; savoir si cette caractéristique est réellement associée à un risque accru de cancer, les avis divergent et la question est loin d’être tranchée au fil des études, ce qui n’empêche pas des leaders d’opinion de dresser l’épouvantail des seins denses pour terroriser les femmes, si besoin en était encore….[2]

Ce qui est établi en revanche, c’est qu’avec la densité mammaire élevée le pouvoir discriminant de la mammographie et la capacité de l’oeil du radiologue à déceler une lésion sont fortement diminués, et de là à faire un raccourci entre densité mammaire et risque de cancer il n’y a qu’un pas.

Les études disponibles

Plusieurs études sont disponibles, depuis l’étude de Wolfe [3] sur la relation entre densité mammaire et risque de cancer du sein. Cette étude ancienne a été fortement contestée à l’époque, même par les tenants du dépistage.

D’autres études ont vu le jour depuis, étudiant la pertinence de relier ce facteur de densité avec d’autres facteurs de risque, pour pouvoir élaborer des modèles de calculs du risque de contracter dans les 5 ans un cancer du sein. [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10]

Aujourd’hui, il n’est nulle part démontré de façon probante qu’une densité mammaire élevée soit associée au risque de décès par cancer du sein.

Aujourd’hui, aucun outil d’estimation du risque de cancer du sein utilisant la densité mammaire n’a, pour l’heure, fait la preuve de sa pertinence.

La HAS, dans un travail sur l’identification des facteurs de risques, écrit :

 « La densité mammaire élevée avant la ménopause n’a pas été retenue comme un facteur de risque à l’issue des travaux du volet 1 ».[11]

Le point de vue publié dans le JAMA le 9 mai 2019 [12]

Le contexte est l’adoption par le Congrès Américain d’une législation sur la densité mammaire.[13]

Plus exactement cette loi demande à la FDA (Food and Drug Administration)[14] américaine, dans le cadre du processus réglementaire, de veiller à ce que tous les comptes rendus de mammographie et les résumés fournis aux patientes incluent l’ information de la densité mammaire des femmes. Déjà auparavant cette autorité qui supervise la réglementation des installations et les normes de qualité de la mammographie, demandait la communication de la densité mammaire dans les comptes rendus des radiologues.

Au vu des études publiées (voir notre bibliographie), et selon les auteurs de ce point de vue publié dans le JAMA, la densité mammaire comme facteur de risque de développer un cancer du sein attire l’attention bien que l’augmentation associée du risque de cancer soit modeste, et que pour les femmes chez lesquelles un cancer du sein a été diagnostiqué, l’augmentation de la densité mammaire n’était pas liée à un sur-risque de cancer de mauvais pronostic ou de décès du cancer du sein.

La présence de seins denses est fréquente (43% des femmes de 40 à 74 ans) et la majorité des femmes ayant des seins denses ne développera pas de cancer du sein….

Selon les rédacteurs de cet article, la notification de la densité mammaire peut augmenter la confusion et l’anxiété liées à la mammographie et au cancer du sein, sans fournir de recommandations claires sur ce que les femmes ayant des seins denses devraient faire.

L’USPSTF [15], en 2016, a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de preuves pour recommander de l’imagerie supplémentaire du sein chez les femmes ayant des seins denses. Ce groupe soulève plusieurs points de préoccupation de cette législation obligeant à notifier aux femmes l’information sur leur densité mammaire.

  • Variabilité importante et reproductibilité limitée dans la détermination des seins denses. Cette variabilité existe sur un examen qu’il soit lu par un radiologue ou par des radiologues différents. L’examen pour une patiente donnée peut avoir des classifications différentes et entraîner des incompréhensions conduisant à une réduction de la confiance d’une femme dans le dépistage en général, et une confusion quant à son propre risque de cancer du sein.
  • Incertitude sur les initiatives entreprises par les femmes auxquelles on a notifié une densité mammaire importante pour réduire leur risque de mourir du cancer du sein. Il s’agit de la demande d’examens complémentaires dont l’indication n’est pas étayée par des preuves, aucune donnée n’ayant prouvé que l’adjonction d’imageries autres que la mammographie chez les femmes à seins denses réduirait la mortalité par cancer ; en revanche ces adjonctions augmentent les faux positifs, les biopsies inutiles et le surdiagnostic. Le taux de rappel est significativement augmenté par l’adjonction de l’échographie (de 14%), et par l’adjonction de l’IRM (de 9 à 23%) avec des VPP faibles[16] et un surcoût évident. Les auteurs rappellent que l’IRM, jugée souvent anodine, serait susceptible d’un (faible) sur-risque de fibrose systémique néphrogénique, et de risques incertains de dépôt de gadolinium dans le cerveau lorsque les examens sont répétés. La tomosynthèse (TS) est évoquée comme technique supplémentaire utilisée, mais les auteurs rappellent que des études à plus long terme sont nécessaires pour déterminer si l’utilisation systématique de la TS chez les femmes à seins denses entraînent une réelle amélioration des résultats du cancer du sein (mortalité, diminution du taux des cancers graves).
  • Difficulté de communiquer les informations sur la densité mammaire aux patientes. Les experts jugent cette communication difficile et dépendante du niveau d’alphabétisation des populations. Les résultats d’études montrent une médiocre compréhension et une source de confusion et de désinformation des patientes lors des informations données sur la densité mammaire.

Analyse d’impact de la FDA [17]

Dans cette analyse la FDA affirme que l’imposition de la notification sur la densité mammaire réduirait la mortalité par cancer du sein des femmes, ainsi que  les coûts grâce à une détection précoce des cancers…. Mais les auteurs du point de vue soulignent l’absence troublante de données factuelles permettant d’affirmer cette conclusion arbitraire.

L’analyse de la FDA a omis d’inclure dans son calcul des coûts ceux inhérents aux surdiagnostics, au surtraitements générés par des examens supplémentaires, et les coûts des consultations rajoutées chez les médecins de soins primaires.

En conclusion

Les auteurs estiment que cette notification sur la densité mammaire entraîne des implications en santé publique et qu’en premier lieu les médecins, les chercheurs, les experts de santé publique et les différentes organisations doivent prendre position par rapport à cette règle imposée.

La notification de la densité mammaire pourrait donner aux cliniciens et aux patientes l’occasion de discuter du risque de cancer du sein d’une femme particulière, ce qui dépend de nombreux facteurs autres que la densité mammaire.

Les modèles prédictifs de risque de cancer du sein incluent la densité mammaire mais son addition améliore peu les estimations prédictives. L’adjonction d’imageries complémentaires devraient être limitées aux femmes à risque élevé sur la base d’autres facteurs de risque à inclure que la seule densité mammaire.

Les discussions sur le bénéfice potentiel d’une imagerie complémentaire en cas de seins denses doivent mettre l’accent sur l’absence de données probantes en faveur d’une réduction du nombre de décès par cancer du sein, et sur l’augmentation en revanche bien connue des faux positifs, des biopsies inutiles et des surcoûts en santé, ainsi que l’augmentation des surdiagnostics et des surtraitements. Notamment lors de la décision d’une surveillance annuelle pour les femmes à risque élevé, ces éléments doivent être pris en considération.

Les cliniciens doivent également engager les patients dans des discussions sur l’importance du mode de vie (limiter l’alcool, éviter l’obésité, exercice physique régulier) afin de réduire le risque de cancer du sein.

Des recherches seront nécessaires pour améliorer la cohérence des comptes rendus sur la densité mammaire et sur la qualité de la communication.

Des recherches supplémentaires également seront essentielles pour juger des résultats à long terme de l’imagerie complémentaire afin de déterminer si les bénéfices l’emportent sur les inconvénients.

Mais les auteurs soulignent que de telles études seront de plus en plus difficiles à mener si l’utilisation de l’imagerie complémentaire est systématiquement intégrée à la mammographie de dépistage chez les femmes à seins denses, ce qui est actuellement le cas (NDLR).

BIBLIO

[1] voir par exemple le logiciel Mammorisk http://mypebs.cancer-rose.fr/le-logiciel-mammorisk/

[2] http://sante.lefigaro.fr/article/les-seins-denses-un-risque-accru-de-tumeur/  itw du Dr Cutuli à propos d’une étude du NEJM de 2007( https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa062790 )

[3] Wolfe JN. Breast patterns as an index of risk for developing breast cancer. AJR 1976;126:1130-9.

Breast patterns as an index of risk for developing breast cancer

JN Wolfe – American Journal of Roentgenology, 1976 – Am Roentgen Ray Soc

[4]  2011 Annals of Internal Medicine Personalizing Mammography by Breast Density and Other Risk Factors for Breast Cancer: Analysis of Health Benefits and Cost-Effectiveness- John T. Schousboe, MD, PhD; Karla Kerlikowske, MD, MS; Andrew Loh, BA; and Steven R. Cummings, MD

https://annals.org/aim/article-abstract/747009/personalizing-mammography-breast-density-other-risk-factors-breast-cancer-analysis?doi=10.7326%2f0003-4819-155-1-201107050-00003

« Le dépistage mammographique devrait être personnalisé en fonction de l’âge de la femme, de la densité mammaire, des antécédents de biopsie du sein, des antécédents familiaux de cancer du sein et des connaissance concernant les avantages et les inconvénients du dépistage. » 

[5] https://www.researchgate.net/publication/273154592_The_Contributions_of_Breast_Density_and_Common_Genetic_Variation_to_Breast_Cancer_Risk

The Contributions of Breast Density and Common Genetic Variation to Breast Cancer Risk

Article (PDF Available) in JNCI Journal of the National Cancer Institute 107(5) · May 2015 with 77 Reads

DOI: 10.1093/jnci/dju397 · Source: PubMed

Celine M Vachon

[6] McCormack VA, dos Santos Silva I. Breast density and parenchymal patterns as markers of breast cancer risk: a meta-analysis. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2006;15(6):1159–1169

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16775176

[7] KERlikowske K, Cook AJ, Buist DS, et al. Breast cancer risk by breast density, menopause, and postmenopausal hormone therapy use. J Clin Oncol. 2010;28(24):3830–3837.

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20644098

[8] https://link.springer.com/article/10.1007/s10549-011-1853-z

Breast Cancer Research and Treatment

May 2012, Volume 133, Issue 1, pp 1–10| Cite as

Risk prediction models of breast cancer: a systematic review of model performances Thunyarat Anothaisintawee, Yot Teerawattananon, Chollathip Wiratkapun

« La plupart des modèles (de prédiction du risque) ont produit une discrimination relativement faible dans les validations internes et externes. Cette faible précision discriminante des modèles existants peut être due à un manque de connaissance des facteurs de risque, des sous-types hétérogènes du cancer du sein, et différentes distributions de facteurs de risque entre les populations. » 

[9] McCarthy AM, WE Barlow, Conant EF, et al; Consortium PROSPR. Cancer du sein de mauvais pronostic diagnostiqué après mammographie de dépistage avec résultats négatifs.  JAMA Oncol . 2018; 4 (7): 998-1001. doi: 10.1001 / jamaoncol.2018.0352 
ArticlePubMedGoogle ScholarCrossref

« La densité mammaire a fait l’objet de beaucoup d’attention en tant que facteur principal identifiant le besoin d’un dépistage supplémentaire, mais il peut être plus efficace de prendre en compte à la fois la densité mammaire et l’âge pour identifier les femmes à risque de cancer du sein de mauvais pronostic. »

[10] Gierach GL, Ichikawa L, Kerlikowske K, et al. Relation entre la densité mammographique et la mortalité par cancer du sein dans le Consortium de surveillance du cancer du sein.  J Natl Cancer Inst . 2012; 104 (16): 1218-1227. doi: 10.1093 / jnci / djs327PubMed, Google ScholarCrossref

« Une densité mammographique mammaire élevée n’était pas associée au risque de décès par cancer du sein ou de toute cause après la prise en compte d’autres caractéristiques de la patiente et de la tumeur. Ainsi, les facteurs de risque pour le développement du cancer du sein peuvent ne pas être nécessairement les mêmes que les facteurs influençant le risque de décès après le développement du cancer du sein. »

[11] https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-05/depistage_du_cancer_du_sein_chez_les_femmes_a_haut_risque_volet_1_vf.pdf

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[12] https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2733521

Mai  9, 2019

Nouvelles exigences fédérales visant à informer les patientes sur la densité mammaire aideront-elles les patientes?

Nancy L. Keating, MD, MPH 1,2 ; Lydia E. Pace, MD, MPH 2,3

Mme Nancy L.Keating est professeure de santé publique : Professor, Health Care Policy, Harvard Medical School, Associate Physician, Medicine, Brigham And Women’s Hospital

[13] Hoeven J. Projet de loi de crédits relatif aux crédits pour l’agriculture, le développement rural, l’administration des aliments et des médicaments de 2019, S 115-259, 115ème Congrès, 2e session (2018). https://www.congress.gov/congressional-report/115th-congress/senate-report/259/1?q=%7B%22search%22%3A%5B%22farm%22%5D%7D

[14] La Food and Drug Administration est l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments.

[15] Melnikow J, JJ Fenton, Whitlock EP, et al. Dépistage supplémentaire du cancer du sein chez les femmes ayant des seins denses: examen systématique pour le groupe de travail américain sur les services de prévention.  Ann Intern Med . 2016; 164 (4): 268-278. doi: 10.7326 / M15-1789PubMed Google ScholarCrossref

(USPSTF, United States Preventive Services Task Force est un groupe de travail des services de prévention des États-Unis indépendant composé d’experts en soins primaires et en prévention qui examine systématiquement les preuves d’efficacité et élabore des recommandations pour des services de prévention clinique.)

[16] Valeur prédictive positive, c’est à dire la probabilité que le sujet soit réellement porteur de cancer lorsqu’il a un examen jugé positif.

[17] Bureau des politiques, de la planification, de la législation et des analyses, Bureau du commissaire, Administration des aliments et drogues. Loi sur les normes de qualité de la mammographie, modification du règlement de la partie 900: dossier n ° FDA-2013-N-0134.

Mammography Quality Standards Act; Amendments to Part 900 Regulations (Proposed Rule) Regulatory Impact Analysis

https://www.fda.gov/about-fda/economic-impact-analyses-fda-regulations/mammography-quality-standards-act-amendments-part-900-regulations-proposed-rule-rule-regulatory-impact-


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