Une considération écologique du surdiagnostic

6 octobre 2021

Une opinion publiée dans le BMJ

https://www.bmj.com/content/375/bmj.n2407

Le surdiagnostic augmente l'empreinte carbone des soins de santé

BMJ 2021 ; 375 doi : https://doi.org/10.1136/bmj.n2407 (Publié le 04 octobre 2021)

Alexandra Barratt , professeure de santé publique, École de santé publique, Université de Sydney, Australie membre fondateur de Wiser Healthcare
Wiser Healthcare est un groupe de chercheurs collaborateurs en Australie qui vise à mener des recherches pour réduire surdiagnostics et surtraitements, en Australie et dans le monde entier. Parmi les domaines sur lesquels ils se consacrent figurent les mammographies pour la détection précoce du cancer du sein ; l'échographie, la tomodensitométrie et l'IRM pour la détection précoce du cancer de la thyroïde, le test de l'antigène spécifique de la prostate pour la détection précoce du cancer de la prostate.

Forbes McGain , professeur agrégé, Département d'anesthésie et de soins intensifs, Western Health, Melbourne, Australie ; Département des soins intensifs, Université de Melbourne, Australie ; École de santé publique, Université de Sydney, Australie

La lutte contre le surdiagnostic revêt une nouvelle urgence dans le contexte de l'urgence climatique

Les deux auteurs, des scientifiques engagés dans la lutte contre la surmédicalisation, rappellent la grande variabilité de la pratique clinique actuelle. D'un côté on assiste à une offre de soins de très haute qualité, mais en même temps co-existe une pratique de soins de faible valeur, voire nuisibles.

Certains de ces soins de piètre qualité sont générateur de surdiagnostic.

Quel est le problème du surdiagnostic, combien sont concernés ?

Le surdiagnostic est la détection d'affections inoffensives qui pourraient ne pas être diagnostiquées et ne pas être traitées, sans que cela représente un danger pour la santé et la vie des personnes.
Mais pour toute lésion, une fois diagnostiquée, il s'ensuivra une cascade de tests et de traitements, qui ne profitera pas aux patients qui n'étaient pas malades au départ. En effet il faut toujours avoir à l'esprit que les tests de routine s'adressent à des gens qui ne se plaignent de rien et qu'on propulse ainsi dans une maladie qu'ils n'auraient pas connue eux.

L'identification des cas individuels de surdiagnostic est difficile (ou même impossible), c'est un concept visible en population lorsqu'on compare des populations dépistées et non dépistées, avec un excédent de découvertes inutiles chez les dépistés.

Pour les auteurs, ce qui est certain, c'est qu'il est une réalité comptable et répandue, transformant de nombreuses personnes en patients inutilement. 

Dans le monde, nous disent A.Barratt et F.Mc Gain :

  • 500 000 personnes sont surdiagnostiquées chaque année avec un cancer de la thyroïde, y compris dans les pays à revenu faible et intermédiaire,
  • 70 000 femmes par an peuvent faire l'objet d'un surdiagnostic de cancer du sein aux États-Unis et
  • 4 000 par an en Australie,
  •  8000 hommes australiens par an sont surdiagnostiqués avec le cancer de la prostate. [1]

Le surdiagnostic affecte tous les âges et tous les stades de la vie. 

Au Royaume-Uni, le problème du surdiagnostic et du surtraitement préoccupe tellement le Royal College of General Practitioners qu'un groupe permanent sur le surdiagnostic a été créé, qui a formulé des recommandations pour tenter de le combattre. 

Les auteurs pointent du doigt le paradoxe suivant : malgré une liste croissante d'affections exposées aux surdiagnostics de façon notoire, le fardeau de ces surdiagnostics sur les patients, sur les services de santé et sur le personnel de santé est aisément négligé.

Un enjeu environnemental ?

Pour les auteurs, le surdiagnostic génère des émissions de carbone sans améliorer la santé.

Le changement climatique poussera de plus en plus de personnes à rechercher des soins médicaux en raison d'une exposition à des changements environnementaux délétères : exposition à des chaleurs extrêmes, à la sécheresse, aux inondations, aux incendies, aux maladies transmissibles, à la pollution de l'air et aux perturbations de l'approvisionnement en nourriture et en électricité. 

En effet l'augmentation des émissions de carbone plus l'augmentation du surdiagnostic et donc de la demande de toujours plus de soins se sont déroulées de manière synchrone avec l'urgence sanitaire causée par le changement climatique. 

Il s'agit d'une nouvelle urgence dans le contexte de l'urgence climatique. Les émissions de carbone pour un gain nul en termes de santé deviennent intolérables.

Le fardeau supplémentaire d'un plus grand nombre de patients en raison du surdiagnostic s'ajoutera à ces poussées de demande de soins de santé induites par le changement climatique. L'effet combiné des deux menace de submerger les systèmes de santé déjà surchargés à travers le monde.

Objectif de réduction de l'empreinte carbone, exemple Outre-Manche

Le NHS (National Health Service, système de la santé publique du Royaume-Uni),

 s'est fixé des objectifs ambitieux pour atteindre des soins de santé zéro carbone d'ici 2040. Les données du NHS England rapportées par Tennison et ses collègues[2] sont révélatrices : elles montrent que la plupart de la réduction des émissions de CO 2  entre 1990 et 2019 est venue de la décarbonisation de l'énergie britannique ( avec de fortes réductions des émissions énergétiques des bâtiments) et du changement des propulseurs dans les inhalateurs-doseurs respiratoires médicaux[3]

Les émissions générées par la prestation de soins cliniques et ses activités associées sont généralement restées stables ou ont augmenté. Les émissions par les instruments médicaux sont restées stables et les émissions des 'soins commandés' (services cliniques achetés par le NHS auprès de prestataires de soins de santé privés[4]) ont quintuplé. 

Ainsi globalement, entre 2001 et 2012, les émissions totales du NHS-England ont légèrement augmenté. 

Pour réduire encore et durablement l'empreinte carbone des soins de santé, il faudra donc modifier les modèles de soins cliniques. La lutte contre le surdiagnostic et le surtraitement en est une étape clé.

Conclusion

La réduction du surdiagnostic et du surtraitement est une piste inexploitée pour réduire les émissions de carbone des soins de santé, tout en préservant la qualité des soins et en veillant à ce que les résultats pour les patients ne soient pas affectés négativement. Un bénéfice concomitant précieux sera celui de la réduction des coûts des soins de santé.

Les cliniciens et les patients se soucient profondément du changement climatique et de nombreux cliniciens mettent déjà en œuvre le changement. Le projet Gassing Greener[5] encourage les anesthésistes à utiliser moins de desflurane et de protoxyde d'azote et à suivre leur performance carbone.  Les équipements anesthésiques et chirurgicaux réutilisables plutôt qu'à usage unique, tels que les blouses, peuvent réduire les émissions dans les endroits où il y a une alimentation électrique décarbonée, à un coût équivalent ou inférieur.

Le désir de rendre plus écologique les soins cliniques, dans tous les domaines de la santé, doit motiver et soutenir les cliniciens à relever les défis de la lutte contre le surdiagnostic. 

Traiter le problème est important et gratifiant, sachant que la réduction du surdiagnostic a le potentiel de réduire les émissions carbone et de conserver les ressources (financières et humaines) tout en préservant la qualité et la sécurité des soins de santé.

Une action politique concertée et un leadership clinique sont nécessaires pour permettre et accélérer les initiatives visant à lutter contre le surdiagnostic et les émissions de carbone des soins de santé. 

Pour les auteurs en tous cas, dans le contexte d'urgence climatique, il est vital que cette prise de conscience du surdiagnostic se produise. 

Références


[1] Lire aussi cette évaluation australienne de 2020 : https://cancer-rose.fr/2020/01/28/30-000-cancers-surdiagnostiques-par-an-dans-une-etude-australienne-un-enjeu-de-sante-publique/

[2] Tennison I, Roschnik S, Ashby B, et al - Health care’s response to climate change: a carbon footprint assessment of the NHS in England. Lancet Planet Health2021;5:e84-92. doi:10.1016/S2542-5196(20)30271-0 pmid:33581070

[3] Les inhalateurs-doseurs (qui peuvent utiliser des propulseurs 3 000 fois plus puissants comme gaz à effet de serre que le dioxyde de carbone) représentent une grande partie de l'empreinte de prescription.
Le remplacement des propulseurs chlorofluorocarbures par des hydrofluoroalcanes (HFA) a entraîné la refonte des inhalateurs-doseurs dans les années 1990. Pour une variété d' inhalateurs de béclométhasone , cette refonte a entraîné la production de particules d'aérosol considérablement plus petites

[4] Les principales instances locales du NHS sont responsables de l’essentiel de l’organisation de l’offre de soins à l’échelon local. Trois grandes missions leur sont assignées :

  • Elles fournissent des soins primaires, essentiellement sous forme de consultations de médecine générale ;
  • Elles achètent des soins secondaires auprès de prestataires locaux ;
  • Elles sont chargées de la santé publique à l’échelon local.

[5] "Gassing Greener" aide les anesthésistes à mettre en place des pratiques respectueuses de l'environnement. Par exemple il existe une application qui comprend deux calculatrices fournissant aux anesthésistes des rapports sur les émissions de carbone en fonction de l'utilisation d'anesthésiques inhalés. 

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