Traduction par Sophie, patiente référente Cancer Rose, d’un article de G.Welch publié le 6 avril 2022 dans le JAMA
https://jamanetwork.com/journals/jamasurgery/article-abstract/2790973
H. Gilbert Welch, a publié en 2013, avec les médecins Lisa Schwartz et Steven Woloshin, un ouvrage à destination du grand public intitulé « Le surdiagnostic – Rendre les gens malades par la poursuite de la santé ». (H.-Gilbert Welch, Lisa Schwartz, and Steven Woloshin et Fernand Turcotte (Traducteur). Le surdiagnostic – Rendre les gens malades par la poursuite de la santé. 2013.)
Il est médecin universitaire américain et chercheur sur le cancer et travaille au Center for Surgery and Public Health, Brigham and Women’s Hospital, Boston, Massachusetts.
En pratique clinique, dire qu’une personne a un cancer renseigne aussi peu sur l’évolution possible de sa maladie que lorsqu’on dit qu’elle a une infection. Il existe des infections dangereuses qui peuvent être fatales et des infections inoffensives qui guérissent d’elles-mêmes ou peuvent disparaître. Il en va de même pour les cancers. Le cancer n’est pas une entité unique. Il s’agit d’un large éventail de pathologies qui n’ont de commun entre elles que le nom.
La reconnaissance de l’hétérogénéité dans la progression du cancer par le Dr. Crile
La reconnaissance de l’hétérogénéité dans la progression du cancer par le Dr. Crile dans un numéro de 1955 du magazine LIFE a laissé présager pourquoi la détection précoce du cancer pourrait défier la simple intuition. Il est tentant de penser que le dépistage du cancer ne peut qu’aider les individus et que tous les survivants d’un cancer détecté par dépistage sont la preuve irréfutable que celui-ci sauve des vies.
Cependant, le dépistage du cancer est contre-intuitif. Il s’avère que les risques sont plus probables que les bénéfices ; il est moins probable que les survivants soient la preuve de ses bénéfices et plus probable qu’ils soient la preuve de ses risques. C’est probablement le Dr Crile qui a introduit pour la première fois l’analogie de la ferme et de l’enclos – oiseaux, lapins et tortues – pour décrire l’hétérogénéité du cancer.
Les oiseaux se sont déjà échappés de la basse-cour : il s’agit des cancers à la croissance la plus rapide et les plus agressifs, ceux qui se sont déjà propagés au moment où ils sont détectables. Le dépistage ne peut pas aider les oiseaux ; la question est de savoir si un traitement peut le faire. Il y a ensuite les tortues (cancers lents NDLR) : il est inutile de les attraper car elles ne bougeront pas de toute façon.
Images ci-dessous pour comprendre (NDLR) : L’oiseau correspond au cancer très rapide (raté par le dépistage). L’ours est un cancer lent, rattrapé par le dépistage mais qui, non dépisté, se serait manifesté juste un peu plus tard par un symptôme clinique sans perte de chance. La tortue et l’escargot représentent les cancers très lents et stagnants, pour lesquels le dépistage ne sert à rien, car ils ne se seraient jamais manifestés. La patiente meurt avec son cancer mais pas à cause de lui.
Bénéfice limité (ou incertain)
L’objectif du dépistage du cancer est de réduire la mortalité par cancer. Mais l’existence d’oiseaux limite nécessairement son efficacité. Le dépistage a tendance à passer à côté des cancers à la croissance la plus rapide, car ces cancers ont une fenêtre temporelle très courte pendant laquelle ils sont détectables par le dépistage, mais ils ne sont pas cliniquement visibles. En outre, un dépistage efficace nécessite non seulement une détection plus précoce, mais aussi un traitement entrepris plus tôt qui est certainement meilleur qu’un traitement entrepris plus tard.
Bien que cela soit souvent vrai pour les maladies aiguës (telles que les urgences cardiovasculaires), ce n’est peut-être pas le cas pour les maladies à long terme. La détection de tumeurs cancéreuses plus petites de quelques millimètres par rapport à celles détectées antérieurement fait peut-être moins de différence que ce que l’on croyait autrefois, d’autant plus que l’on apprend que la biologie de la tumeur est plus importante que sa taille.
Ces facteurs expliquent pourquoi les effets les plus favorables observés dans les essais randomisés des tests de dépistage se traduisent par une réduction de moins d’un tiers de la mortalité par cancer.
Ironiquement, au fur et à mesure que le traitement du cancer s’améliore, le bénéfice du dépistage diminue. Si un cancer détecté cliniquement peut être systématiquement traité avec succès, l’utilité du dépistage du cancer tombe naturellement à zéro. (Par exemple, pourquoi ne faisons-nous pas de dépistage de la pneumonie ? La réponse est que nous pouvons traiter la pneumonie).
Des risques mal reconnus (ou cachés)
Du point de vue de l’individu, le surdiagnostic constitue le plus important risque du dépistage. Le surdiagnostic reflète l’existence de tortues : des anomalies qui répondent aux critères pathologiques du cancer mais qui ne sont pas destinées à provoquer des symptômes ou le décès. Le dépistage est très efficace pour trouver les tortues : il détecte de manière disproportionnée les cancers à croissance lente et de petite taille, c’est-à-dire des cancers qui sont biologiquement favorables.
Cependant, nous, les médecins, ne sommes pas très doués à distinguer les tortues des lapins. Par conséquent, nous avons tendance à traiter tous ceux qui reçoivent un diagnostic de cancer.
Parce qu’il n’y a rien à guérir, les patients avec des cancers surdiagnostiqués ne peuvent pas bénéficier d’un traitement, mais ils peuvent en subir les méfaits.
Étant donné que le surdiagnostic est si rarement confirmé chez un individu (c’est-à-dire un patient atteint d’un cancer détecté par le dépistage, mais qui n’est pas traité, ne développe jamais de symptômes et meurt d’une autre cause), l’existence réelle du problème a fait l’objet de nombreux débats.
Cependant, le surdiagnostic peut être facilement confirmé au niveau de la population. Ainsi, les débats sur l’existence du surdiagnostic sont maintenant pratiquement réglés, et portent à juste titre sur la question de sa fréquence – et de son importance.
Dans le cas du dépistage du cancer du sein, de la prostate, de la peau et de la thyroïde, les patients sont plus susceptibles de subir le préjudice du surdiagnostic que le bénéfice du dépistage – éviter le décès par cancer. Néanmoins, le surdiagnostic reste, heureusement, un événement relativement rare.
Du point de vue de la population, les préjudices les plus conséquents sont liés à la dynamique du dépistage : de nombreuses personnes doivent être dépistées pour qu’un très petit nombre en bénéficie. Pour le dépistage du cancer dans la population générale (c’est-à-dire sans cibler un groupe à très haut risque, comme le dépistage du cancer du poumon chez les gros fumeurs), il faut dépister environ 1 000 personnes pour éviter un décès par cancer en 10 ans.
Ainsi, les interrogations sur ce qui arrive aux autres 999 autres individus deviennent pertinentes. Les fausses alarmes affectent de nombreuses personnes : on dénombre jusqu’à 600 faux positifs au cours de 10 ans de mammographie.
Cependant, le problème le plus important est que de nombreuses personnes ayant obtenu des faux positifs ne sont pas informées que le test était mauvais, mais plutôt que quelque chose ne va pas chez elles.
On dit à ces personnes qu’elles ont une lésion présentant des atypies cellulaires ou une dysplasie, ou qu’elles sont elles-mêmes plus vulnérables au développement d’un cancer et doivent donc subir des tests plus fréquents. Même les campagnes de dépistage induisent la vulnérabilité – la peur du cancer – comme un moyen de persuader les gens de se faire dépister.
Ainsi, le dépistage du cancer instille un sentiment de « mal-être » dans la population.
Réactions trompeuses, incitations financières, et diversion
Ces inconvénients pourraient être acceptables s’ils s’accompagnaient d’avantages substantiels et certains. Malheureusement, le dépistage lui-même fournit des informations trompeuses qui suggèrent toujours qu’il est plus bénéfique qu’il ne l’est réellement. Après le début du dépistage, les cliniciens constatent un changement dans la distribution des stades : la proportion de cancers se présentant à un stade avancé de développement diminue, même s’il s’agit simplement d’un artefact dû à un diagnostic plus précoce et non à une diminution des cas de présentation tardive.
Comme le montre l’exemple dans le cadre B de la figure, la proportion de cancers de stade tardif détectés passe de 50 % à 25 %, alors que l’incidence du stade tardif n’a pas changé.
Cliquez pour agrandir :
Légende :
Une augmentation constante de l’incidence du cancer couplée à une mortalité stable (A) suggère un surdiagnostic superposé à une incidence véritablement stable du cancer.
L’augmentation de l’incidence des cancers à un stade précoce couplée à une incidence stable à un stade tardif (B) suggère également un surdiagnostic et que les efforts accrus en matière de détection précoce du cancer n’ont pas produit le résultat escompté : une diminution du taux de personnes atteintes d’un cancer à un stade tardif (la détection précoce n’a pas permis d’avancer le moment du diagnostic des cancers destinés à se présenter à un stade tardif). Signatures à condition que la fréquence réelle du cancer soit stable dans le temps. Si la fréquence d’un vrai cancer changeait, on s’attendrait à ce que l’incidence et la mortalité évoluent en tandem, tout comme la maladie à un stade précoce et à un stade avancé
NDLR : En effet, si on parvenait à éliminer complètement le surdiagnostic, la part, c’est à dire la proportion des cancers graves apparaîtrait alors plus importante dans le total cancers amputé des surdiagnostics, qui amplifient d’ordinaire le total des cancers. La proportion des cancers graves est diluée dans le total-cancer lorsque, dans ce total, on rajoute la part des surdiagnostics. )
Au fil du temps, la survie à 5 ans augmente en raison de l’association combinée du temps d’avance au diagnostic et du biais de surdiagnostic, même si l’âge du décès reste inchangé. Les histoires de survivants sont particulièrement pernicieuses : plus le dépistage entraîne de surdiagnostics, plus il y a de personnes qui croient devoir leur vie au test – et plus le dépistage devient populaire. Les campagnes de dépistage utilisent régulièrement ce retour d’information trompeur ; elles mettent en avant les taux de survie plus élevés et les survivants du cancer comme preuve du bien-fondé du dépistage.
Cf « le paradoxe du dépistage », NDLR
Le dépistage du cancer est généralement motivé par une croyance sincère en sa valeur, mais il est également devenu une importante source de revenus pour les systèmes de soins médicaux axés sur le volume aux États-Unis. Bien que la multiplicité des payeurs constitue un obstacle à une comptabilisation à l’échelle nationale, les dépenses américaines liées au dépistage sont substantielles.
Je les estime à 40 à 80 milliards de dollars par an. Ces dépenses représentent des revenus pour le système – des revenus provenant non seulement du dépistage lui-même, mais aussi des services diagnostiques et thérapeutiques qu’il déclenche.
L’importance de cette source de revenus a été mise en évidence après le déclin substantiel du dépistage qui s’est produit après le début de la pandémie de COVID-19. Bien que d’autres services et entreprises soient restés fermés, le dépistage a été rapidement rétabli en quelques mois.
Le Dr Crile était convaincu que les soins médicaux devaient être axés sur les besoins des patients, et non sur ceux des chirurgiens (ou maintenant, sur ceux du système). Il reconnaissait qu’il y avait un prix à payer pour devancer les symptômes. Bien que le dépistage du cancer puisse être judicieux chez certaines personnes à haut risque, je pense que le dépistage dans la population générale, tel qu’il est actuellement pratiqué aux États-Unis, est devenu une énorme dérive par rapport à notre travail de base.
Il détourne le système des patients gravement malades ou blessés : les performances des médecins sont mesurées en fonction de la fréquence à laquelle ils testent les personnes en bonne santé et non à la façon dont ils soignent les malades. Le dépistage dans la population générale détourne les patients et les décideurs politiques des véritables déterminants de la santé humaine. Les ressources considérables impliquées dans le dépistage – en termes d’argent, de personnes et d’efforts – seraient mieux utilisées ailleurs.
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