En parallèle dans l’actualité, l’incertitude entourant le dépistage du cancer colo-rectal

Résumé par Dr C.Bour, 14 octobre 2019

Le dépistage du cancer colo-rectal n’apporte visiblement pas non plus les résultats escomptés, avec le recul dont on dispose à présent.

Une méta-analyse a été publiée dans le BMJ cette année.[1]

 

Il s’agit d’une revue systématique et méta-analyse en réseau portant sur les 3 méthodes de dépistage actuellement proposées, l’analyse immunochimique des selles à la recherche de sang dans les fécès, la sigmoidoscopie et la coloscopie, en comparant avec l’absence de tout dépistage et sur un suivi de 5 ans.

Son objectif était d’évaluer l’efficacité, les méfaits et le fardeau pour les populations d’un dépistage effectué par les analyses de sang dans les selles, la sigmoïdoscopie et la  coloscopie sur une période de 15 ans.
Ses résultats :
Par rapport à l’absence de dépistage, il y a une grande probabilité que le dépistage par sigmoïdoscopie réduise légèrement l’incidence du cancer colorectal et la mortalité. Mais aucun test de dépistage n’a réduit la mortalité ou l’incidence de plus de 6 pour 1000 dépistés sur une période de 15 ans.

Malheureusement, on ne connait pas les effets à long terme sur l’incidence du cancer colorectal et sur la mortalité avec l’utilisation de l’ analyse immunochimique des selles ou par la coloscopie.

Surtout aucune technique n’a permis une réduction de la mortalité toutes causes confondues. (Une procédure médicale efficace fait que le retentissement est tel qu’il se ressent sur la mortalité globale ; si la mortalité globale ne chute pas il est aussi envisageable que le dépistage entraîne une possible surmortalité imputable à la procédure elle-même ou aux traitements, ce qui contrebalance négativement l’effet du dépistage.)

Cette méta-analyse a appuyé l’élaboration d’un guide de pratique clinique fondé sur des données probantes, avec des lignes directrices, ce que rapporte la rédactrice en chef du British Medical Journal, Fiona Godlee. [2]

 

Un dépistage fondé sur le risque

 

L’évaluation par un panel international de 22 médecins, infirmières, représentants des patients, et des méthodologistes a abouti à la conclusion que, compte tenu des avantages, des méfaits et des questions sans réponse, les données probantes appuyant le dépistage du cancer colorectal demeurent fragiles et que des recommandations solides ne peuvent être émises pour le moment. La principale directive du comité émettant les recommandations était que toutes les personnes invitées au dépistage du cancer colorectal soient en mesure d’accepter ou de refuser l’invitation en fonction des avantages et des préjudices qu’elles pourraient s’attendre à recevoir du dépistage. Le groupe a également proposé que le dépistage soit recommandé pour les hommes et les femmes présentant un risque cumulatif de cancer colorectal de 3 % ou plus au cours des 15 prochaines années, et que le choix du test soit laissé à la préférence personnelle de l’individu. Le seuil de 3 % représente le risque cumulatif au-delà duquel l’équilibre des avantages et des inconvénients penche en faveur du dépistage.

Un changement radical

 

Cette approche personnalisée et axée sur le risque peut sembler évidente mais représente un changement radical, comme le détaille le Pr Philippe Autier[3], chercheur à l’IRPI (international research and prevention institute) , dans son éditorial lié. [4]

Ces nouvelles recommandations réduiront très probablement la participation au dépistage du cancer colo-rectal. Mais justement à l’avenir, les programmes de dépistage devront être jugés non pas sur l’adhésion de toute une population, mais sur la qualité de la prise de décisions éclairées.

Selon Pr Autier, les recommandations de dépistage qui encouragent les décisions éclairées individuellement contrastent nettement avec les formulations traditionnelles. Les recommandations sur le dépistage du cancer colorectal émises par la plupart des établissements de santé publique véhiculent le message implicite selon lequel, une fois qu’un sujet devient admissible, il devrait participer au dépistage. De plus, le fait de ne pas participer au dépistage mettrait en danger la santé. Dans cette logique, l’objectif primordial des politiques de santé publique est de persuader les gens d’assister au dépistage : ce qui compte, c’est l’adhésion et, pour maximiser cette adhésion, les messages ont tendance à surestimer les avantages du dépistage et à minimiser les conséquences indésirables.[5]
Toujours selon ce chercheur, la prise de décision personnalisée fondée sur le risque individuel présente plusieurs avantages par rapport à l’offre de dépistage à tous les groupes d’âge admissibles au dépistage en question.

  • Premièrement, les caractéristiques et les préférences d’une personne sont priorisées lorsqu’on pense aux avantages et aux inconvénients du dépistage.
  • Deuxièmement, les professionnels de la santé qui ont des contraintes de temps peuvent décider de se concentrer d’abord sur les personnes à risque élevé pour les informer lors de la consultation.
  • Troisièmement, on sait, grâce à des essais randomisés et à des études d’observation, que les personnes admissibles, qui seraient donc candidats de par leur risque pour un dépistage du cancer colo-rectal et qui ne participent pas aux programmes de dépistage, courent un plus grand risque de mourir d’un cancer colorectal.Une approche fondée sur le risque peut particulièrement bien fonctionner pour les personnes qui, autrement, resteraient réfractaires au dépistage.
  • Quatrièmement, le fait d’accorder la priorité aux personnes à risque élevé est susceptible d’optimiser l’efficacité du dépistage tout en réduisant le surdiagnostic chez les personnes à faible risque qui choisissent de ne pas participer.

En conclusion

 

En sachant qu’aucune des 3 méthodes de dépistage du cancer colo-rectal n’est associée à une réduction de la mortalité toutes causes confondues, que toutes les 3 seraient associées à une réduction de la mortalité spécifique par cancer colorectal, l’intention est de passer d’une logique de promotion du dépistage pour tous à celle d’un dépistage proposé aux patients plus à risque (risque de cancer colorectal à 15 ans ≥3%), avec une information loyale, en laissant le patient choisir la méthode de dépistage. La prise de décision éclairée étant essentielle car la priorité est de s’assurer que les adultes admissibles ont bien reçu des informations appropriées et équilibrées sur le dépistage.

En tous cas force est de constater que la plupart des dépistages se sont perdus dans l’arrogance de leurs ambitions… Trop de surdiagnostics, de procédures invasives et lourdes (coloscopies, biopsies etc..), et des résultats décevants. Les dépistages partent d’une bonne intention, sont basés sur des théories fausses et des schémas d’évolution des cancers ne correspondant pas à la réalité, puis se soldent par des échecs couteux, en dommages humains et en fardeaux financiers pour la collectivité.

 

Biblio

 

[1] Colorectal cancer screening with faecal testing, sigmoidoscopy or colonoscopy: a systematic review and network meta- analysis

Henriette C Jodal, Lise M Helsingen , Joseph C Anderson, Lyubov Lytvyn, Per Olav Vandvik, Louise Emilsson

Jodal HC, et al. BMJ Open 2019;9:e032773. doi:10.1136/bmjopen-2019-032773

[2] BMJ 2019;367:l5931 doi: 10.1136/bmj.l5931 (Published 10 October 2019)

 

[3] Philippe Autier, professeur d’épidémiologie à l’IPRI Lyon (International Prevention Research Institute (iPRI), 95 Cours Lafayette, 69006 Lyon, France; Strathclyde Institute for Global Public Health at iPRI)

 

[4] BMJ 2019;367:l5558 doi: 10.1136/bmj.l5558 (Published 2 October 2019)

 

[5] C’est exactement la situation à laquelle nous assistons pour le dépistage du cancer du sein.

Actualité de 2022

Une nouvelle étude est publiée dans le NEJM

Cet essai NordICC concerne environ 85 000 personnes en Pologne, en Norvège, en Suède et aux Pays-Bas qui ont été randomisées pour recevoir, les unes une invitation à subir une coloscopie, les autres à ne pas recevoir d’invitation. 
L’incidence du cancer, la mortalité par cancer du côlon et la mortalité toutes causes confondues ont été comparées après dix ans.

L’article conclut qu’il y aurait une diminution significative du risque de développer un cancer colorectal, mais note l’absence de bénéfice en termes de mortalité par cancer colorectal.

D’après les résultats on peut s’attendre à avoir entre 1 et 5 saignements graves pour 3 cancers évités.

Toutefois l’étude comporte un biais, analysé par notre statisticien, Dr V.Robert :
« Fixer 2 objectifs principaux pour une seule étude n’est pas très orthodoxe. Cela revient à se donner 2 chances de gagner (ou de se tromper), une première avec le risque de cancer et une 2ème avec le risque de décès. Le seuil de significativité n’est dès lors plus 0.05 (risque d’erreur accepté = 5 chances sur 100) mais 0.0975 (risque d’erreur accepté  = 9.75 chances sur 100).
C’est un peu comme si on jouait à pile ou face, avec pile je gagne, face je perds, mais en lançant 2 fois la pièce : on a 2 opportunités de gagner, une 1ère lors du 1er lancer et une 2ème lors du second lancer. La probabilité de gagner n’est donc plus d’1 chance sur 2 mais de 3 chances sur 4 (pile-pile = gagné, pile-face = gagné, face-pile = gagné, face-face = perdu). Ici, c’est pareil : diminution des cancers-diminution de la mortalité = gagné, diminution des cancers-pas de diminution de la mortalité = gagné, pas de diminution des cancers-diminution de la mortalité = gagné, pas de diminution des cancers-pas de diminution de la mortalité = perdu) . »

Un bon résumé est fait de l’étude et aussi de la controverse qui s’est emballée autour de cette publication sur le blog du Dr Grange ici : https://docteurdu16.blogspot.com/2022/10/bilan-medical-du-lundi-10-au-dimanche.html?m=1

Une autre analyse de l’essai est rédigée par le Lown Institute, ici : https://lowninstitute.org/colonoscopy-screening-invite-shows-disappointing-results-in-first-randomized-trial/

Cet article conclut :
« Les résultats soulèvent plusieurs questions que les responsables de la santé publique doivent prendre en compte :

  • Compte tenu du coût élevé de la coloscopie ( 2 000 $ en moyenne pour les assurés privés et jusqu’à 10 000 $ dans certains cas), combien devrions-nous investir dans la coloscopie par rapport aux autres méthodes ou interventions de dépistage du cancer du côlon ?
  • Existe-t-il des moyens de mieux cibler les personnes à risque plus élevé de cancer du côlon avec des types de dépistage qui ont des taux de participation plus élevés que la coloscopie ?
  • Combien dépensons-nous pour le dépistage par coloscopie chez les jeunes à faible risque que nous pourrions utiliser pour accroître la sensibilisation aux premiers symptômes du cancer du côlon ou pour traiter les causes profondes du cancer du côlon ? « 

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