Un effet secondaire inattendu de l’épidémie covid-19

28/05/2020

Voici une opinion de deux chercheurs sur l’apport, à long terme, de la suspension des dépistages dans la connaissance du cancer.

Gilbert Welch (Centre de chirurgie et de santé publique du Brigham and Women’s Hospital et auteur de «Less Medicine, More Health»

 Et Vinay Prasad (oncologue, professeur agrégé de médecine à l’Oregon Health and Science University et auteur de « Malignant: How Bad Policy and Bad Medicine Harm People With Cancer »)

https://edition.cnn.com/2020/05/27/opinions/unexpected-side-effect-less-medical-care-covid-19-welch-prasad/index.html

Synthèse Dr C.Bour

Nous avions déjà rapporté récemment le point de vue de Judith Garber, scientifique en sciences politiques et politique de la santé au Lown Institute.

Et aussi celui de Susan Bewley , professeure émérite d’obstétrique et de santé des femmes au King’s College de Londres et présidente de Healthwatch.

 

Selon les auteurs, le fait que les systèmes de soins médicaux furent submergés par l’épidémie, certains patients ont certainement connu des dommages en santé.

En revanche pour d’autres, toujours selon les deux auteurs, cette suspension a pu être bénéfique.

Outre l’effet de la diminution des interventions chirurgicales, des admissions aux urgences, des demandes d’examens complémentaires biologiques et radiologiques, de l’augmentation de la télé-médecine, les deux chercheurs passent en revue l’impact de la suspension des dépistages.

Des recherches antérieures sur les effets mondiaux des grèves des médecins suggéraient une baisse de mortalité concomitante à la moindre consommation médicale. Il parait donc pertinent d’étudier attentivement les tendances de la mortalité en 2020 et de démêler les décès liés au Covid des autres causes de décès. Il serait tout aussi important de se pencher sur les inégalités selon le milieu socio-économique : l’interruption des soins médicaux diminue peut-être la mortalité chez les riches surmédicalisés, mais il est fort à redouter le phénomène inverse chez les plus pauvres.

 

Le volet dépistage

 

La suspension du dépistage du cancer est un des domaines à étudier selon Welsch et Prasad. Pour eux, il ne fait aucun doute que le déclin de la mammographie entraînera une diminution du nombre de cancers du sein diagnostiqués. Mais est-ce une mauvaise ou une bonne chose?

L’occasion est belle d’étudier ce qui se passera dans les statistiques américaines du cancer lorsque le dépistage reprendra, de l’avis de ces auteurs.

Ils s’attendent à l’une de ces deux observations :

  • Les taux des cancers du sein pourraient alors « rattraper » le retard de leur diagnostic, ce qui signifie que le déficit des diagnostics des cancers pendant la pandémie serait compensé par un excédent de cancers au cours des années suivantes. En d’autres termes, tous les cancers non détectés chez les patients pendant la pandémie seraient finalement découverts ensuite.
  • L’alternative serait que les diagnostics de cancer du sein ne se rattrapent jamais…

Pourquoi ?

Il y a des années, les chercheurs ont observé ce phénomène en Norvège. Welsch et Prasad se réfèrent là à la fameuse étude de l’Institut d’Oslo de 2008 : dans un groupe des femmes âgées de 50 à 64 ans avaient subi trois mammographies en six ans, et au bout des six ans il s’avérait qu’elles avaient davantage de cancers du sein invasifs détectés que les femmes du groupe comparateur, lesquelles n’avaient eu qu’une seule mammographie au bout de six ans. Or, si tous les cancers du sein avaient pour vocation de devenir symptomatiques, il y en aurait eu autant dans les deux groupes. Aucune raison qu’il y en ait moins dans le groupe non dépisté régulièrement, sinon que des tumeurs du sein ne s’exprimant jamais et même régressant spontanément ont été détectées en excès dans le groupe davantage mammographié. Cette étude fut à l’origine de la démonstration et de la quantification du surdiagnostic. cf notre brochure.

Une procédure mammographique faite plus tardivement et moins fréquemment conduit donc bien à moins de diagnostics de cancer du sein. On pourrait arguer que ce déficit finit par se manifester par des tumeurs non détectées apparaissant dans des délais plus longs, vers 5, 10 ou 25 ans. Or il n’en est rien, ce déficit n’est jamais rattrapé même au bout de 25 ans de suivi comme le montre l’étude de Miller.

Les résultats de l’étude d’Oslo de 2008 suggèrent que certains petits cancers régressent d’eux-mêmes. Question : cela pourrait-il se produire en ce moment pendant la pandémie de Covid-19? Et pourrait-on le mettre en évidence ?

 

Dans l’article les auteurs se penchent également sur le déclin des crises cardiaques et accidents vasculaires cérébraux observé durant cette période. Soit ces maladies ont été sous-diagnostiquées, soit il y en a réellement eu moins…

Qui a bénéficé de cette période de moindre médicalisation, et qui a perdu ?

 

Conclusion des auteurs

 

Nous ne trouverons les avantages que si nous les recherchons, disent Prasad et Welsch. Nous avons besoin de médecins chercheurs prêts à poser des questions difficiles sur les services qu’ils fournissent – des questions qui peuvent menacer leurs propres intérêts professionnels / financiers.

Covid-19 offre une occasion unique d’étudier ce qui se passe lorsque la machine bien huilée des soins médicaux passe d’un volume élevé à un volume faible afin de se concentrer sur des patients gravement malades. Il sera opportun pour les médecins -chercheurs d’étudier ce qui a été perdu. Il sera courageux pour eux d’étudier ce qui a été gagné.

 

Notre avis

 

Les deux chercheurs s’attellent ici à reposer la question du surdiagnostic et de sa mise en évidence, et à en évoquer les causes (régression spontanée d’une tumeur à croissance lente/nulle), davantage qu’à tenter sa quantification.

En effet, le délai de suspension est vraisemblablement trop court pour qu’on puisse en examiner l’impact de façon fiable, il faudrait pour cela que cette interruption dure deux ou trois ans, voire plus (comme le groupe de comparaison de l’étude d’Oslo, où le délai de non-examen mammographique du groupe comparateur était de 6 années), et que cette interruption concerne les personnes qui auraient été admissibles dans ce laps de temps-là, conformément au calendrier initial, et aussi qu’il n’y ait aucune tentative de rattraper l’arriéré.

Dans notre situation, quelques mois de cancers surdiagnostiqués seulement disparaîtront.

Déjà dans notre pays l’INCa a fait parvenir dare dare, alors que l’épidémie n’est encore pas totalement derrière nous, une note aux ARS pour établir un plan de rattrapage des dépistages non effectués ! (Page 2)

« Un plan de rattrapage des dépistages non effectués sera établi par chaque CRCDC(centres régionaux de coordination des dépistages des cancers), en fonction du nombre estimé de dépistages non effectués et de la situation épidémiologique dans les territoires, de ses ressources propres et des modalités de reprise d’activité. »

On remarquera la préoccupation obsessionnelle toute technocratique concernant les indicateurs d’activité des centres de dépistage, il n’est en aucune façon question de réfléchir sur la possibilité d’une étude en fonction des données qu’on aurait récoltées pendant la période de suspension, non, il s’agit de rattraper un retard d’indicateurs qui ne seraient plus au beau fixe pendant ces trois derniers mois.

Un confrère danois nous confirme qu’au Danemark également la reprise a bien eu lieu, ça ne traîne pas….

Une autre réflexion est que si nous n’observerons qu’une réduction minime de l’incidence en raison du court délai de suspension, l’éventuelle hausse compensatoire dont parlent les auteurs, ou au contraire l’absence de hausse compensatoire, sera très difficile à détecter de façon fiable, sans compter que les tumeurs disparaissant d’elles-mêmes (les surdiagnostiquées) ont quand-même besoin d’au moins plusieurs mois, sinon d’années pour disparaître.

 

Mais foin de conjectures, le dépistage reprenant très vite grâce au zèle de nos technocrates moins soucieux de diminution de cancers que de relance d’une machinerie bien huilée, les tumeurs seront hélas détectées avant d’avoir eu une seule petite chance de régresser toute seules. Quelques mois de cancers en surdiagnostic seulement disparaîtront, passant inaperçus.

Nous verrons par la suite si dans d’autres pays comme aux Etats Unis des études spécifiques sur cette période, en terme d’incidence des cancers mais aussi de mortalité spécifique par maladie seront initiées.

 

 

 


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