15 avril 2020
Synthèse de l’article dans le blog BMJ de Pr.Susan Bewley
Dr C.Bour
Susan Bewley est professeure émérite d’obstétrique et de santé des femmes au King’s College de Londres et présidente de Healthwatch (collectif pour la science et l’intégrité en médecine). Elle est très critique sur le dépistage du cancer du sein et a publié une analyse en plusieurs volets de l’essai sur l’extension du dépistage en cours au Royaume Uni.
Sur son blog BMJ, elle s’exprime sur la suspension du dépistage organisé du cancer du sein, en vigueur, durant l’épidémie covid19, dans plusieurs pays.
Pour Pr. Bewley, La suspension du dépistage systématique du cancer du sein pendant Covid-19 offre une occasion de prendre en compte les reproches qui sont faits à ces programmes de dépistage de masse, ces reproches et controverses existant depuis maintenant trois décennies, insuffisamment relayés en France notamment lors d’octobre rose, campagne nationale annihilant absolument toute contradiction dans l’espace public.
Priorité aux malades
Le NHS (National Health Service) a su donner par cette suspension, explique Susan Bewley, la priorité aux besoins des malades et des vulnérables. Au milieu de cette pandémie mondiale, écrit-elle, nous ne pouvons plus nous permettre le luxe politiquement populaire de faire inutilement souffrir le grand public dans l’anxiété et le surdiagnostic générés par la pratique du dépistage. Le dépistage systématique du cancer du sein par mammographie et l’ essai clinique AgeX – conçu pour une extension du dépistage aux femmes en dehors du groupe d’âge actuel de 50 à 70 ans – ont cessé. (NDLR : les liens sont ceux proposés dans le texte d’origine)
Bien que que ni sur les différents sites nationaux ni dans les médias il n’y eut de grand battage pour l’annoncer, les femmes ont été informées depuis mi-mars par lettres et appels téléphoniques de l’annulation des invitations au dépistage systématique. Les services ont depuis été suspendus dans certaines régions du Canada , l’ Italie , l’ Ecosse , et l’ Australie . (NDLR, aussi en Belgique en plus des pays sus-cités, voir https://cancer-rose.fr/2020/03/31/suspension-des-depistages-angleterre-pays-de-galles-ecosse/).
Les mammobiles sont en stationnement et immobiles. Les équipes aident les femmes déjà passées dans le système avec un dépistage positif. Mais une fois cela effectué, le personnel sera redéployé pour la tâche herculéenne de contenir le coronavirus et de maintenir à flot le NHS dans ses autres branches.
Pas de mise en danger du public par l’arrêt du dépistage
Cette reconnaissance que le dépistage du cancer du sein n’a rien urgent doit être applaudie, et le grand public doit être rassuré.
Cela suggère que l’ arrêt du dépistage présente peu de danger global pour les femmes. Toute personne présentant une tuméfaction, une déformation cutanée ou d’autres symptômes faisant suspecter la présence d’un cancer actif doit être encouragée à appeler son médecin généraliste comme d’habitude, car les recours d’urgence restent disponibles.
Au Royaume Uni, les services régionaux de dépistage du cancer du sein disent aux femmes que le dépistage est «suspendu». L’intention semble donc être de reprendre le dépistage à la fin de la pandémie de coronavirus. Et c’est là une occasion en or, selon l’auteure, pour le National Screening Committee (NSC) de faire une pause, de reconsidérer les critiques du programme de dépistage et d’évaluer s’il ne faudrait pas modifier ce programme sans répercussion sur la santé des femmes ni clinique , ni selon le critère coût-efficacité.
Susan Bewley explique que l’efficacité des traitements fut révolutionnaire dès 1987, date de l’introduction du dépistage, faisant ainsi se déplacer le point d’équilibre du dépistage entre utilité et inutilité.
Le dépistage peut tout d’abord être inutile, lorsqu’on découvre une maladie sans en avoir les traitements efficaces. Ensuite il peut s’avérer utile, lorsqu’il respecte les critères de Wilson et Jungner et repère tôt des patients qui s’en sortiront mieux avec le traitement disponible, mieux que s’ils avaient attendu l’apparition de symptômes.
Mais il devient à nouveau inutile lorsqu’on dispose, comme à présent, de bons traitements contre le cancer symptomatique, et que dans le même temps la balance bénéfice-risque du dépistage mammographique penche en faveur des risques et occasionne des dommages.
Autrement formulé : plus on dispose de thérapeutiques efficaces comme actuellement, plus le dépistage systématique devient inutile surtout s’il provoque davantage de désavantages qu’il n’apporte de bienfaits.
Cette bonne nouvelle, à savoir que le traitement du cancer du sein symptomatique est aujourd’hui excellent, a été étouffée par une soif de détections. Le sevrage de dépistage peut être une façon inattendue, mais bienvenue, de soustraire le public à sa dépendance à la recherche de maladies qui n’auraient jamais fait de mal à personne.
L’arrêt de certains dépistages déjà évoqué
Même avant l’épidémie du Covid-19, Mike Richards, l’inspecteur en chef des hôpitaux du gouvernement britannique à la Care Quality Commission, avait appelé à l’ arrêt du dépistage du cancer de la prostate par l’APS (dosage du taux de PSA pour la détection du cancer de la prostate). (NDLR : ce dépistage n’apparaît pas dans les recommandations officielles en France )
Il faut s’emparer de ce moment, selon Pr.Bewley, pour aborder ces mythes populaires sur le dépistage. Il n’y a aucune preuve que les «bilans de santé» atteignent quoi que ce soit en termes de résultats à long terme , détournant les ressources du système de santé national dont auraient besoin des personnes réellement malades.
Réduire le tabagisme et l’alcool la consommation et la réduction de l’obésité feraient beaucoup plus pour la santé de la population.
Lire aussi : « il est temps d’arrêter le dépistage précoce du cancer« .
Industrie du cancer et battage médiatique
Conclusion de l’auteure
Susan Bewley conclut : si le dépistage par mammographie devait être ré-instauré après la pandémie, il devra être rétabli sans aucun message alarmiste, sans rappel ou avertissement, et sans objectif financier pour les médecins généralistes afin d’en encourager la participation.
Nous avons besoin de meilleurs processus et de brochures de consentement à l’instar de celle de la Cochrane , qui indique clairement que le dépistage est un choix et non une obligation, qui n’est pas nécessairement un mauvais choix de le refuser.
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NDLR
Nous ne pouvons qu’abonder dans toutes ces considérations émises par Pr Bewley pour le Royaume Uni et faire des demandes analogues pour la France. Le travail de synthèse de Pr Autier en 2018 appuyait déjà ce que Pr Susan Bewley énonce aujourd’hui à la faveur de la suspension du programme de dépistage du cancer du sein en Angleterre et autres pays.
- Dans les populations où le dépistage est suivi, la mammographie de dépistage n’a eu aucune influence sur le cancer du sein avancé, et aucune influence sur les cancers du sein métastatiques chez les femmes.
- Le surdiagnostic est une source de préjudice considérable pour les femmes qui se soumettent à une mammographie de dépistage. Il n’est plus acceptable de nos jours de minimiser le poids de celui-ci, ni ses conséquences, les surtraitements.
- Si la mammographie de dépistage pouvait avoir initialement une influence sur la mortalité par cancer du sein, cette influence s’estompe avec les progrès de la prise en charge des patientes. Cela signifie que plus la prise en charge de la patiente est efficace, mois est utile un dépistage surtout si celui-ci comporte plus de risques que de bénéfices.
- Les décideurs qui mettent en œuvre des plans nationaux de lutte contre le cancer doivent être conscients des graves lacunes des données qui leur sont présentées comme indubitables, ils doivent prendre davantage en compte les données des études scientifiques internationales indépendantes mettant en cause le dépistage mammographique, et alertant sur le risque pour les femmes de connaître inutilement une maladie.
- L’information donnée aux femmes sur les risques du dépistage est insuffisante, notion que la concertation citoyenne de 2016 sur le dépistage avait déjà pointée.
L’actualité Covid19 nous a montré le caractère indispensable de la réalisation de bon essais cliniques et de l’EBM, la médecine fondée sur les preuves. La bonne analyse des données est incontournable et les études contestant fortement les bienfaits du dépistage mammographique ne doivent plus être systématiquement et délibérément occultées, ignorées par les décideurs et celées aux femmes.
Nous demandons donc aux décideurs français de re-considérer la pertinence du programme de dépistage mammographique en France, de prendre en compte les demandes de la concertation citoyenne, d’oeuvrer pour la production d’outils d’information neutres et objectifs et d’aides à la décision pour les femmes, de suspendre les campagnes incitatives d’octobre rose, coûteuses, désinformantes et anxiogènes.
Il faut sortir ce programme du système de la ROSP (rémunération sur les objectifs de santé publique), suspendre le système de convocations programmées et de relances culpabilisantes pour les femmes lorsqu’elles ne se présentent pas aux rendez-vous.
Il faut présenter ce dépistage comme un choix, avec refus possible, et non pas comme une obligation de s’y soumettre.
Il faut que la femme soit en confiance, désangoissée, déculpabilisée, qu’elle considère le dépistage mammographique comme une option, facultative, sans qu’il y ait de préjudice démontré ou de perte de chance lorsqu’elle n’y adhère pas.
Nous en appelons au pouvoir en place afin que ce temps de mise en suspens soit mis à profit pour une remise à plat du dispositif, pour un arrêt du programme tel que les citoyennes le demandaient, et que soit entreprise une réflexion en profondeur avant toute remise en route.
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