https://blogs.scientificamerican.com/cross-check/the-cancer-industry-hype-vs-reality/
14 février 2020
Par John Horgan 12 février 2020
John Horgan est journaliste scientifique, il dirige le Centre de Rédaction Scientifique, du Stevens Institute of Technology. Nous allons essayer de résumer ici les points forts de son article. (Synthèse C.Bour)
La médecine contre le cancer génère des revenus énormes mais des bénéfices marginaux pour les patients
Selon l’auteur, il existe un énorme fossé entre la triste réalité de la médecine contre le cancer aux États-Unis et les affirmations optimistes formulées par l’industrie du cancer et par ses catalyseurs médiatiques.
Le cancer a engendré un immense complexe industriel impliquant des agences gouvernementales, des entreprises pharmaceutiques et biomédicales, des hôpitaux et des cliniques, des universités, des sociétés professionnelles, des fondations à but non lucratif et des médias.
Les promoteurs de l’industrie du cancer affirment que les investissements dans la recherche, les dépistages et les traitements ont conduit à «des progrès incroyables» et à des millions de «décès par cancer évités», comme allégué sur la page d’accueil de l’American Cancer Society , une organisation à but non lucratif qui reçoit de l’argent d’entreprises biomédicales.
les experts en cancérologie et les médias décrivent souvent les nouveaux traitements avec des termes élogieux comme «percée médicale», «révolutionnaire», « miraculeux », (« innovant », souvent entendu chez nous NDLR).
les centres de cancérologie ont recours (comme en France la Ligue contre le cancer et les différents instituts de cancérologie) à des appels émotionnels qui jouent sur l’espoir et la peur, et qui en revanche sont très peu diserts sur les risques, la balance bénéfice/risques, les coûts ou les conditions de remboursement.
Ces succès thérapeutiques mis en avant concernent des formes particulières ou des cancers rares, exceptionnels au milieu d’une «litanie d’échecs» selon l’auteur.
Les taux de mortalité
La meilleure façon de mesurer les progrès contre le cancer est d’examiner les taux de mortalité, c’est à dire le nombre de personnes qui succombent au cancer en population et par année.
Au fur et à mesure que la durée de vie moyenne d’une population augmente (en raison des progrès médicaux contre les maladies cardio-vasculaires, respiratoires et infectieuses), le taux de mortalité par cancer augmente lui aussi. Par conséquent, pour avoir une idée des tendances de la mortalité les chercheurs doivent procéder à des ajustement au vieillissement de la population.
Il faut bien garder à l’esprit que cet ajustement présente les choses sous un jour favorable, et de ce fait après ajustement les taux de mortalité donnent une diminution de près de 30% depuis 1991 .
Cette tendance, selon les promoteurs de l’industrie du cancer, montrerait que les investissements dans recherche, dépistages et traitements ont porté leurs fruits. Mais ce que les promoteurs omettent souvent de mentionner, c’est que cette baisse récente de la mortalité par cancer a d’abord été précédée d’au moins 60 ans d’augmentation de la mortalité par cancer. Le taux de mortalité actuel ajusté selon l’âge pour tous les cancers aux États-Unis, est tout juste inférieur à ce qu’il était en 1930 !
NDLR : voir l’explication plus détaillée sur ce mécanisme concernant le cancer du sein, dans le livre « dépistage du cancer du sein , la grande illusion » édition Thierry Souccar[1]
En réalité l’augmentation et la baisse des décès par cancer suivent l’augmentation et la baisse du tabagisme, avec un décalage de quelques décennies. Le tabagisme augmente le risque pour de nombreux cancers mais surtout celui du cancer du poumon qui est de loin le plus grand tueur, responsable de davantage de décès que le cancer du colon, du sein et de la prostate réunis.
On estime que s’il n’y avait eu aucune réduction du tabagisme, il n’y aurait eu pratiquement aucune réduction de la mortalité globale par cancer, ni chez les hommes ni chez les femmes, depuis le début des années 1990.
Nouveaux traitements à faibles rendements, gros coûts
Les essais cliniques sur le cancer ont le taux d’échec le plus élevé par rapport à d’autres domaines thérapeutiques.
Les sociétés pharmaceutiques continuent de commercialiser de nouveaux médicaments. Mais une étude a révélé [2] que 72 nouveaux médicaments anticancéreux approuvés par la FDA (Food and drug administration[3]) entre 2004 et 2014 ont prolongé la survie pendant 2,1 mois en moyenne seulement… Selon les auteurs d’un rapport de 2017 analysant 5 années d’approbation de la FDA, la plupart des approbations de médicaments contre le cancer n’ont pas démontré d’amélioration d’objectifs cliniquement pertinents comme la survie ou la qualité de vie. Les auteurs de ce rapport disent craindre que «la FDA approuve de nombreux médicaments toxiques et coûteux qui n’améliorent pas la survie globale».
Les dépistages conduisent à un surdiagnostic et un surtraitement
L’industrie du cancer, aidée par des célébrités qui affirment que les dépistages leur ont sauvé la vie a convaincu le public que le dépistage du cancer est bénéfique. Plus tôt nous pouvons détecter des cellules cancéreuses, mieux ce serait. John Horgan explique ici l’une des découvertes les plus importantes de la dernière décennie, à savoir le surdiagnostic. De nombreuses personnes sont porteuses de cellules cancéreuses ou précancéreuses qui, si elles n’étaient pas découvertes et traitées, n’auraient jamais compromis leur santé. Des études d’autopsies [4] montrent que de nombreuses personnes décédées de causes non cancéreuses sont porteuses de tissus cancéreux.
Les tests de dépistage ne peuvent pas faire de distinction entre les cancers nocifs et inoffensifs. Les dépistages généralisés ont conduit à un surdiagnostic généralisé, des détections inutiles de cellules cancéreuses non nocives. Ce surdiagnostic entraîne à son tour une chimiothérapie, une radiothérapie et une chirurgie inutiles, donc un surtraitement. Gilbert Welch a été un des premiers à mettre en évidence le surdiagnostic, qu’il a qualifié d’« effet secondaire malheureux de notre exubérance irrationnelle pour une détection précoce».
NDLR : En France, concernant le dépistage du cancer du sein, Bernard Junod [5], épidémiologiste, enseignant et chercheur à l’Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique de Rennes, fut un lanceur d’alerte sur le surdiagnostic en France, en compagnie de Dr Bernard Duperray.
Les mammographies et les tests d’antigène spécifique de la prostate (PSA) ont conduit à des taux particulièrement élevés de surdiagnostics et de traitements excessifs du cancer du sein et de la prostate.
En comptabilisant les effets nocifs et mortels des dépistages, tout avantage du dépistage « est compensé par les dommages mortels dus au surdiagnostic et aux faux positifs » selon Michael Baum[6], spécialiste du cancer du sein, co-fondateur au Royaume Uni du programme de dépistage ; il plaide actuellement pour l’abandon de ces programmes qui, selon lui, pourraient écourter plus de vies qu’ils n’en prolongent .
Pour un homme dont la vie est prolongée, beaucoup d’autres subiront des résultats faussement positifs avec ensuite des examens supplémentaires, une éventuelle biopsie de la prostate, des surdiagnostics et des sur-traitements, des complications du traitement comme l’incontinence et la dysfonction érectile.
Le découvreur de l’antigène spécifique de la prostate, le pathologiste Richard Ablin, a qualifié le test PSA de « catastrophe de santé publique motivée par le profit ».
Mortalité spécifique , mortalité toutes causes et « torture des données «
Les études sur les dépistages d’un cancer spécifique examinent généralement la mortalité attribuée à ce cancer. Les mammographies sont donc jugées efficaces si les femmes qui subissent des mammographies meurent moins d’un cancer du sein que les femmes qui ne subissent pas de mammographies. Cette méthode surestime les bénéfices de ce dépistage car elle omet les décès résultant, directement ou indirectement, du diagnostic lui-même. En effet la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie ont des effets iatrogènes dévastateurs, notamment des maladies cardiaques, des infections opportunistes, d’autres formes de cancer et des suicides.
Il faut se référer plutôt aux études qui mesurent la mortalité «toutes causes confondues», car elles comptabilisent les effets délétères des traitements. Une méta-analyse de 2015 [7] réalisée par l’épidémiologiste John Ioannidis et col. n’a trouvé aucune réduction de la mortalité toutes causes confondues pour les dépistages des cancer du sein, de la prostate, du côlon, du poumon, du col de l’utérus, de la bouche ou des ovaires pour patients asymptomatiques.
Dans un récent éditorial du European Journal of Clinical Investigation , Ioannidis et ses quatre co-auteurs soutiennent que le dépistage du cancer (en particulier les mammographies et les tests de PSA) occasionne davantage de mal que de bien et doit être abandonné. [8]
La survie
Souvent est mise en avant l’amélioration de la survie, qui correspond à la durée entre le diagnostic et le décès. Les taux de survie pour certains cancers ont en effet augmenté grâce à des détections plus tôt. Mais cela ne signifie pas que les personnes vivent plus longtemps grâce à une détection précoce, il ne s’agit pas d’allongement de l’espérance de vie. La survie signifie simplement que les personnes vivent plus longtemps avec un diagnostic de cancer, avec toutes ses conséquences émotionnelles, économiques et physiologiques néfastes.(Explication de la notion de survie à 5 ans ici [9])
L’utilisation des taux de survie pour promouvoir les tests de dépistage est un exemple de ce qu’on appelle la torture des données, et pour l’auteur de cet article cela s’apparente à un cas de faute professionnelle monstrueuse.
Corruption dans l’industrie du cancer
Aux USA, l’oncologue Vinay Prasad, (@VPrasadMDMPH ; très actif sur twitter, NDLR) dénonce le procédé de nombreux spécialistes du cancer qui acceptent les paiements d’ entreprises pharmaceutiques dont ils prescrivent les médicaments. Cette pratique, selon Prasad, « nous amène à célébrer les médicaments marginaux comme s’ils changeaient la donne ». Elle conduit les experts à ignorer ou à minimiser les défauts des essais cliniques sur le cancer.
Le désir des oncologues de produire des résultats motivés contre rétribution compromet la qualité de leurs recherches. Un examen de 2012 de 53 études «historiques» sur le cancer a révélé que six seulement pouvaient être reproduites.
La solution ? Une médecine plus douce contre le cancer?
L’auteur plaide en faveur d’une médecine basée sur l’acceptation de nouvelles thérapies «lorsque les avantages sont clairs et les preuves solides et impartiales».
Il plaide pour ce que certains appellent la médecine « conservatrice » qui se définit comme une médecine qui résiste à ce qui est communément et historiquement admis, qui sait dire « stop » dans une époque où personne n’est favorable à cette attitude, et à s’armer de beaucoup de patience vis à vis des demandeurs de davantage de médecine.
A savoir moins de tests, moins de traitements, moins d’alarmisme, moins de rhétorique, de battage médiatique de style militaire (comme « campagnes » pour « combattre le cancer »).
Le médecin « conservateur » reconnaît avant tout les limites de la médecine et respecte le serment d’Hippocrate : avant tout, ne pas nuire.
Les consommateurs doivent aider ces médecins moins interventionnistes. Nous devons tous accepter les limites de la médecine et reconnaître les capacités de guérison de notre corps (cancers dormants, non évolutifs, spontanément régressifs).
Nous devons résister aux dépistages à tout va et à ces traitements flatteurs mais qui n’ont, au mieux, que des bénéfices marginaux.
Nous ne guérirons peut-être jamais le cancer, qui provient de la confrontation de notre biologie complexe avec la tendance naturelle de tous les systèmes à aboutir au désordre.
Mais si nous pouvons réduire notre peur d’un côté et notre cupidité de l’autre, nos soins contre le cancer s’amélioreront certainement.
Selon Horgan, le fait de reconnaître les propriétés curatives intrinsèques du corps humain et de reconnaître le peu d’effet que le clinicien a réellement sur les résultats chez son patient, ferait que les médecins se protégeraient de leur plus grand ennemi, l’orgueil.
Références
[1] Extrait du livre de Bernard Duperray
Les épidémiologistes ont le choix entre deux populations de référence, la population de l’Europe ou celle du monde. Or le choix du standard (« Europe » ou « Monde ») induit de larges variations de la mortalité.
Les taux « Monde » basés sur une population plus jeune sont généralement plus bas que les taux « Europe » reflétant une population plus âgée.
Selon le standard choisi, le taux pour une même population apparaît donc plus ou moins élevé.
En France, les taux retenus le plus souvent par l’InVs sont les taux « Monde » (courbe violette sur la figure). Le standard « Monde » tend à minimiser le taux de mortalité pour un pays comme la France car il ne correspond pas à la structure de la population française. En outre, selon Bernard Junod, la standardisation selon l’âge est sujette à caution pour décrire une variation de mortalité lorsque les variations pour une même tranche d’âge ne sont pas uniformes.
Pour apprécier l’évolution de la mortalité en France de la manière la plus juste possible, Bernard Junod avait choisi de prendre comme « standard » la distribution par âge de la population résidant en France en 1992 c’est-à-dire au milieu de la période étudiée (1980 à 2005). Il obtient ainsi un taux annuel standardisé de mortalité selon l’âge en France pour 100 000 femmes de 32,6 en 1980 et de 32,9 en 2005, donc stable sur cette période
En résumé, voici ce que l’on peut retenir de manière incontestable des figures 13 et 14 :
- Entre 1950 et nos jours, le nombre annuel de décès et le taux brut de mortalité par cancer du sein n’ont pas diminué ;
- les taux standardisés « Monde » (courbe violette fig 14) et « Europe » (courbe bleue fig 14) augmentent continuellement en France jusqu’en 1993 puis décroissent alors que le taux brut, lui, se stabilise.
À présent, attardons-nous à nouveau sur la figure 14. Un fait surprenant interpelle. Les taux de mortalité standardisés « Monde » et « Europe » d’aujourd’hui, même s’ils baissent, sont encore supérieurs à ceux des années 1950. D’aucuns objecteront que comparer les taux actuels avec ceux de 1950 est discutable du fait d’un manque de fiabilité des données à cette époque. C’est possible mais alors que dire du fait que les taux standardisés de 2006 étaient au même niveau que ceux de 1970 selon le registre des décès qui fait référence depuis 1968 (date de la création du CépiDc, le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès) ?
[2] https://jamanetwork.com/journals/jamaotolaryngology/article-abstract/1891387
[4] https://cancer-rose.fr/2017/12/14/frequence-des-cancers-latents-de-decouverte-fortuite/
[5] https://formindep.fr/apparence-et-protestation/
[6] https://cancer-rose.fr/2019/08/08/synthese-detudes-un-exces-de-mortalite-imputable-aux-traitements-lemportant-sur-le-benefice-du-depistage/
[7] https://www.researchgate.net/publication/271022752_Does_screening_for_disease_save_lives_in_asymptomatic_adults_Systematic_review_of_meta-analyses_and_randomized_trials
[8] https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/eci.13062
[9] https://cancer-rose.fr/2019/05/21/peurs-et-croyances-histoire-naturelle-de-la-maladie-survie/
voir partie « survie »
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