Argumentaire, un essai raté

Argumentaire : MyPeBS, un essai raté avant de commencer

MyPeBS est un nouvel essai clinique européen concernant les mammographies de dépistage du cancer du sein, qui devrait débuter début décembre 2018. Il doit comparer le nombre de nouveaux cas de cancers du sein avancés (graves) dans deux groupes de femmes. Les unes seront soumises à un dépistage adapté à leur niveau de risque personnel de cancer du sein. Les autres seront soumises au dépistage organisé habituel (différent dans chaque pays). L'idée d'un dépistage adapté aux facteurs de risque de chaque femme est intéressante et mérite en effet une étude clinique.

Synopsis

Mais le collectif Cancer Rose est choqué par deux points :
- La méthode de MyPeBS est mal choisie
- La brochure d’information pour les participantes est incomplète et mensongère.

Une méthode douteuse

Dans l’étude MyPeBS, les nouvelles modalités de dépistage sont comparées au dépistage organisé en vigueur dans chaque pays. Pourtant de nombreux scientifiques s’interrogent sur l’efficacité et l’utilité du dépistage.


Pas de groupe "sans dépistage".

En l’absence de groupe de comparaison 'sans dépistage', l’étude MyPeBS ne pourra pas répondre à la question : « Faut-il abandonner le dépistage organisé ou le maintenir en l'état actuel ou le faire évoluer vers un dépistage adapté au risque ? »

Elle n'apportera aucun élément pour choisir entre dépistage, individualisé ou actuel et "pas de dépistage".


25% égale zéro.

MyPeBS prévoit de comparer les taux des cancers graves (de stade 2 et plus) dans chaque groupe, avec un seuil de "non infériorité" de 25%. Que signifie ce langage un peu obscur ? Les promoteurs de l’essai expliquent qu’ils s’attendent à trouver 480 nouveaux cas de tumeurs graves pour 100 000 femmes dans le groupe dépistage habituel. Si ce même taux ne dépasse pas 600 pour 100 000 femmes dans le groupe "adapté au risque", les deux groupes seront déclarés équivalents. Cela signifie que si le taux de cancers graves est augmenté de moins de 25% (par exemple de 18% ou de 24%) dans le groupe "adapté au risque", alors l’étude sera un succès et affirmera que les nouvelles modalités de dépistage sont « aussi efficaces » que les anciennes. Pourquoi avoir choisi une telle méthode ? Pourquoi avoir choisi le seuil de 25 % ? Les promoteurs n’avancent aucun argument pour les justifier. Pour Cancer- Rose, étant donné ces choix de méthode, l’étude MyPeBS ne permettra pas de faire de meilleurs choix pour le dépistage du cancer du sein.

Une brochure trompeuse

Pour le collectif Cancer Rose, la brochure d’information des femmes participant à l’essai, qui doit servir à permettre un « consentement éclairé », n’est pas honnête.

Des chiffres douteux.

La brochure d’information présente aux femmes des chiffres dépassés, exagérément optimistes, sur l’efficacité du dépistage pour diminuer le risque de mourir d’un cancer du sein : des chiffres fortement remis en cause par des études récentes, qui ne trouventpas que le dépistage diminue significativement la mortalité [1].


Les effets indésirables du dépistage oubliés.

Un des effets indésirables les plus importants du dépistage est le surdiagnostic, avec sa conséquence : le surtraitement. Le surdiagnostic est la découverte de cancers qui ne compromettent ni la vie ni la santé de la femme, mais sont traités avec la même agressivité. Cela aboutit à une forte augmentation du nombre des diagnostics de cancer chez les femmes dépistées. Le nombre d’ablations du sein augmente, tandis que la mortalité et le taux des cancers graves ne baissent pas.
Selon les études et les experts, le risque de surdiagnostic dû au dépistage varie d’environ 10% à environ 50% [2] [3]. La brochure se contente de mentionner l'estimation de 10%, et ne dit pas un mot de la conséquence vraiment importante pour les femmes : les traitements agressifs inutiles (en particulier les ablations inutiles du sein).


Les objectifs de l’étude non expliqués.

La brochure explique que l’objectif de l’étude est de voir si le dépistage personnalisé est « au moins aussi efficace que le dépistage standard actuel ». Il s’agit tout simplement d’un mensonge. Le critère principal est un critère de « non infériorité ». Il s’agit de montrer que le dépistage personnalisé ne provoque pas d’augmentation de plus de 25% du nombre de cancers graves.
Pour le collectif Cancer Rose, la brochure d’information des femmes ne répond pas aux exigences de la loi sur le consentement libre et éclairé [4].

Une éthique douteuse

Il est tout à fait important d’étudier l’intérêt d’un dépistage adapté au niveau personnel de risque de cancer du sein des femmes. Mais pas n'importe quel moyen. L’étude MyPeBS ne répond malheureusement pas aux attentes des femmes et de nombre de professionnels de santé, formulées par la concertation scientifique et citoyenne sur le dépistage [5].
Pour Cancer Rose, il est extrêmement regrettable que plusieurs dizaines de milliers de femmes soient recrutées pour une étude dont les résultats ne permettront pas de faire des choix adaptés, et dont l’éthique même est extrêmement discutable.

Notre avis 

  • Bien que séduisante, une stratégie personnalisée de dépistage du cancer du sein pose plusieurs difficultés. On n'a pas de preuves qu’un dépistage plus fréquent (c.-à-d. tous les ans pour certaines femmes avec risque, avec recours à d’autres techniques d’imagerie du sein) serait plus efficace que le dépistage bisannuel ou triennal, comme il sera proposé aux femmes dites à risque élevé ou très élevé .
  • Problème des facteurs qui permettraient d’identifier des femmes comme présentant un risque moyen ou élevé, femmes classées dans ce groupe mais qui ne présentent aucun signe clinique. Etant donné que le dépistage est censé prévenir le décès par cancer du sein mais qu’il majore la probabilité d’un cancer surdiagnostiqué (donc d'un diagnostic inutile pour la femme), les facteurs de risque devraient être ceux du risque de décès par cancer du sein, et non les facteurs du risque de la survenue d’un cancer du sein (voir la synthèse Autier/Boniol). Comme le soulignent ces deux auteurs, les études visant à documenter les stratégies de dépistage fondées sur les risques ont généralement porté sur les facteurs associés à la survenue d’un cancer du sein et rarement sur les facteurs associés au décès par cancer du sein. Les facteurs de risque de cancer du sein et ceux de décéder par cancer du sein ne coïncident pas nécessairement. ( HD Nelson, B. Zakher, A. Cantor, R. Fu, J. Griffin, ES O’Meara, et al. Facteurs de risque du cancer du sein chez les femmes de 40 à 49 ans: revue systématique et méta-analyse Ann Intern Med, 156 (9) (2012), pp. 635-648)
  • Il reste encore beaucoup à apprendre sur les déterminants génétiques et sur l’importance de la densité mammaire, qui serait liée à l'apparition d'un cancer. Mais le facteur densité est surtout lié à une diminution du pouvoir discriminant de l'oeil du radiologue sur ces mammographies particulièrement difficile à analyser . Il reste aussi à apprendre sur les relations qui existent entre ce facteur ‘densité’ et d’autres facteurs de risque comme l’obésité ou l’hyperplasie atypique mammaire. Les technologies d’imagerie mammaire comme l’échographie, la tomosynthèse et l’IRM retrouvent des cancers manqués par mammographie dans les seins denses, et l’utilisation de techniques complémentaires d’imagerie mammaire est encouragée chez les femmes à seins denses, alors qu' il n’y a toujours aucune preuve formelle qu’une telle approche diminuerait le risque de décès par cancer du sein, alors qu’elle augmente sûrement le risque de faux positifs, de biopsies inutiles et de surdiagnostics.
  • La balance bénéfice/risque dans la tranche d’âge des moins de 50 ans est encore et toujours incertaine....

 

BIBLIO

[1] Møller M.H. et coll. Effect of organized mammography screening on breast cancer mortality: A population-based cohort study in Norway. Int J Cancer. doi:10.1002/ijc.31832 - https://urlz.fr/8enD

[2] Autier P et coll. Effectiveness of and overdiagnosis from mammography screening in the Netherlands: population based study. BMJ 2017;359:j5224 doi:10.1136/bmj.j5224

[3] Junod B. et coll. An investigation of the apparent breast cancer epidemic in France: screening and incidence trends in birth cohorts. BMC Cancer. 2011 Sep 21;11(1):401 - https://urlz.fr/8eoi

[4] Code de la santé publique, article L 1122-1-1 - article

[5] Concertation citoyenne et scientifique « Ensemble, améliorons le dépistage du cancer du sein » Rapport du Comité d’Orientation, sept 2016, 166 pages -

 

 

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