Dr ANNETTE LEXA
25 avril 2017
Identifiée dans les fichiers nationaux du service local chargé d’appliquer le « programme national de dépistage du cancer du sein », j’ai reçu hier une lettre de relance.
La lettre est rose. Cela me permet de la distinguer, sur la pile des lettres en souffrance (impôts, assurance, gaz, électricité…) de la lettre de relance de ENGIE qui est bleuee.
Car pour le reste, c’est un peu les mêmes.
La lette bleue commence par « A ce jour, le règlement de votre dernière facture ENGIE ne nous est toujours pas parvenue, alors que la date limite de paiement est dépassée. Je vous invite à en effectuer le paiement, dans les meilleurs délais… En suivant les instructions indiquées au verso.. »
La lettre rose commence par “Suite à un premier courrier envoyé en octobre 2016 et resté sans réponse à ce jour, nous vous rappelons que vous êtes invitée à réaliser une mammographie dans le cadre du DOCS. Prenez RV avec l’un des radiologues de votre choix figurant sur la liste au dos.”
S’en suit une longue diatribe que m’épargne ENGIE pour le coup : “Une femme sur 8 sera confrontée à ce cancer qui met en général plusieurs années à se développer. Il est donc ESSENTIEL dès 50 ans de participer REGULIEREMENT au Dépistage Organisé afin de pouvoir traiter au plus vite d’éventuelles anomalies. »
Cette lettre, signée de 2 médecins, un homme et une femme – la parité est sauve en matière de dépistage – m’a immédiatement fait penser à l’une de ces relances insistantes restée longtemps sur mon bureau et qui a fini à la poubelle, de recyclage bien sûr. Une société d’assurance qui dans sa grande sagesse, m’avertissait du risque lié à d’éventuelles fuites de canalisations d’eau qui pourraient se passer sur ma propriété parce que les travaux ne seront alors pas pris en compte par mon fournisseur d’eau. Mon compteur est à l’intérieur de ma maison, mais passons.
Ah ! Principe de précaution, quand tu nous tiens ! Ma fille, comment continues-tu encore à vivre, à 50 ans passés, sans ces bouées de sauvetage qu’on te lance en permanence en préventif alors que tu n’aimes pas te baigner, que quand tu te baignes, tu sais nager et que d’ailleurs tu ne feras pas de procès si le maître nageur ne t’as pas sauvée de la noyade ni s’il t’a noyée en voulant te sauver, alors que tu n’étais pas en train de te noyer ?
Mais, chouette, il y a une nouveauté par rapport à la relance précédente ! On me propose de me rechercher des anomalies et non plus des cancers.
C’est quoi une anomalie, me direz vous ? Désolée, je n’en saurai pas plus, même en ayant lu le dépliant rose de l’INCa qui accompagnait la lettre et qui me promet de « TOUT COMPRENDRE EN 1 MIN ». Pour info, min = minute : c’est bien connu, les femmes ne veulent pas perdre trop de temps pour se décider si oui ou non elles doivent faire une mammo, elles ont mieux à faire. C’est vrai d’un certain côté, personnellement, je passe bien 1 ou 2 heures à comparer et essayer avant d’opter pour ma nouvelle paire de baskets.
Car j’ai lu le dépliant rose. Cela m’a pris plus d’une minute parce que je suis atteinte d’un sérieux biais cognitif : je cherche toujours à comprendre et je doute en permanence. De la déformation professionnelle. Je doute mais je sais choisir quand j’ai cessé de douter, comme pour mes baskets.
Le dépliant m’apprend que « 49 000 femmes sont touchées par le cancer du sein , c’est le cancer le plus fréquent, 11900 femmes en meurent chaque année »
– Ce nombre diminue-t-il avec le dépistage ? L’INCa ne me le dit pas. Je suis frustrée.
L’INCa ensuite me rassure « Dans la majorité des cas, aucune anomalie n’est détectée » et « si une anomalie est détectée, dans la plupart des cas, elle est bénigne. « Sur 1000 femmes diagnostiquées, 7 cancers seront diagnostiqués ».
– 7 femmes ou 7 cancers ? La différence compte parce que si on a diagnostiqué 2 mini-cancers sur 3 femmes – les femmes ayant 2 seins en moyenne, cela double les chances de détecter plusieurs mini-cancers de part et d’autre – ça ne fait plus que 4 femmes sur 1000. Oui, je sais, je chipote. Mais imaginez quand on passera à la détection de nano-cancers…
– On détecte des méchants cancers ou des cancers in situ ? parce que, in fine, sur ces 7 cancers, il n’y en a peut-être qu’un qui sera très méchant, le genre qui vous laisse peu de chance de survie. Les autres n’évolueront pas, peu ou si lentement qu’une simple surveillance vous épargnerait bien des déboires.
« Il est important de faire une mammographie tous les 2 ans. Dans l’intervalle, n’ hésitez pas à consulter votre médecin si vous remarquez des changements inhabituels au niveau de vos seins. »
– Des changements inhabituels ? Lesquels ? Voilà une information sanitaire qu’il serait salutaire de donner aux femmes : peut être que préciser ce qu’est un changement anormal permettrait, pour le coup, de vraiment sauver des vies ! Mais ce n’est pas l’objectif de l’AMODEMACES ni de l’INCa, qui est prioritairement de déployer le dépistage organisé par tous les moyens.
– L’INCa n’ose pas appeler un chat un chat. Il évoque ici les sinistres « cancers de l’intervalle », le genre de cancer qui se développe insidieusement entre 2 mammographies et qui a toutes les chances d’être méchant parce que, justement, il se développe très vite. Le dépistage organisé ne peut rien pour vous mais l’INCa ne vous le dit pas. D’ailleurs, y-a-t-il des statistiques qui comptabilisent les cancers de l’intervalle dans le dépistage organisé ? Si oui, ces cancers sont-ils comptabilisés dans les cancers dépistés par dépistage organisé ou en dehors ? Quelle est la mortalité associée à ces cancers ? L’INCa ne me répond pas. Je suis frustrée.
L’Inca m’apprend aussi que, malgré la haute technicité de l’appareillage et la haute compétence des radiologues, « certains petits cancers peuvent ne pas être détectés, d’où l’intérêt de répéter l’examen tous les 2 ans » (c’est écrit en gras).
– Bon sang, mais c’est bien sûr ! Pour arriver à ce chiffre de 7 cancers sur 1000 femmes, il est essentiel de ramener le cheptel (heu, pardon, le fichier…) de femmes qui ont 2 seins tous les 2 ans à l’examen. Pas étonnant que nombre d’associations environnementales crient « Il y a de plus en plus de cancers ! On nous empoisonne tous ! ». Les hommes ont une chance folle : il n’ont qu’une seule prostate et ils ne reçoivent pas, 2 fois par an, de dépliant à lire en 1 min.
Je retourne le dépliant au verso et je m’attache à lire consciencieusement le (dernier) chapitre “Quels sont les inconvénients?”
J’y apprends que “Comme tout acte médical, le dépistage présente des inconvénients. Ainsi, dans l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’est pas possible de distinguer les cancers qui vont évoluer, qui sont les plus fréquents, de ceux qui n’évolueront pas ou peu (de 10 à 20% des cancers détectés). C’est ce qu’on appelle le surdiagnostic. Par précaution, il est proposé de traiter l’ensemble des cancers diagnostiqués. ”
C’est un peu gênant tout çà. Je reconnais la franchise de l’INCa. Pas celle de l’AMODEMACES qui laisse l’Inca dire que … tout n’est pas tout rose, sans jeu de mot : côté recto du dépliant, j’avais pu lire qu’en cas d’anomalie, je me verrai proposer rapidement des soins pour augmenter mes chances de guérison.
Si c’est une anomalie, pourquoi se presser?
C’est quoi des soins ? Un massage ayurvédique au beurre de cacao? Un masque à l’argile? Car qui ne s’est pas vu proposer « un soin » au bac chez le coiffeur ?
Mes activités professionnelles m’amènent actuellement à œuvrer, entre autres, dans le domaine des cosmétiques. Les allégations cosmétiques sont encadrées par un règlement (655/2013), même si elles ne sont pas expressément définies. Ainsi le terme de “soin » est autorisé sur les étiquettes de produits, parce qu’il n’y a pas de connotation strictement médicale : soin de beauté, soin apaisant aux plantes, masque soin qui nettoie votre peau en profondeur… Cependant, la réglementation est stricte, le cosmétique doit prouver son innocuité.
Et dites-moi, c’est comme au bac chez le coiffeur, lorsqu’on me trouve une anomalie » et qu’on me « propose un soin », je peux dire « non, merci, pas cette fois ci » ou « oui, c’est vrai, ils sont secs en ce moment » ?
Alors, Docteur INCa , dites-moi, une petite ablation mammaire, des examens au technetium-99 , un soin au radium – bio bien évidemment car extrait de nos réserves naturelles protégées, un cure de Tamoxifen et de Trastuzumab, c’est un « soin » d’après vous ? Vous n’avez pas mieux à me proposer pour mes petits cancers qui n’évolueront pas ?
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