30 000 cancers surdiagnostiqués par an dans une étude australienne : un enjeu de santé publique

Synthèse Dr C.Bour 28 janvier 2020

https://www.mja.com.au/journal/2020/212/4/estimating-magnitude-cancer-overdiagnosis-australia

Auteurs de l’étude australienne publiée dans le Medical journal of Australia :

Paul P Glasziou, Mark A Jones, Thanya Pathirana, Alexandra L Barratt and Katy JL Bell
Med J Aust || doi: 10.5694/mja2.50455

L’obsession de nos sociétés modernes à traquer les maladies par une détection toujours plus précoce entraîne une crise de santé publique, selon les auteurs australiens qui ont publié en ce mois de janvier 2020 leur évaluation des diagnostics en excès pour cinq différents cancers.

La méthode

 

Les données nationales recueillies régulièrement par l’Australian Institute of Health and Welfare (agence nationale australienne pour l’information et les statistiques sur la santé et le bien-être de l’Australie) ont été analysées afin d’estimer en population les risques de contracter un cancer durant la vie, en comparant la période actuelle (données de 2012) et le passé (données de 1982). Cela permet de mesurer les changements de ces risques durant ces 30 dernières années. Il y a eu un ajustement pour tenir compte du risque de décès et des variations des facteurs de risque dans le temps.

Les cinq différents cancers étudiés sont : cancer de la prostate, du sein, cancer rénal, thyroïdien et mélanome.

Les auteurs proposent ainsi une estimation de la proportion de diagnostics de cancers en Australie  raisonnablement attribuables à un surdiagnostic .

 

Les résultats

 

Les chercheurs ont estimé que, pour les femmes, 22% des cancers du sein (dont 13% de cancers invasifs), 58% des cancers rénaux, 73% des cancers de la thyroïde et 54% des mélanomes (dont 15% de mélanomes invasifs) étaient surdiagnostiqués.

Chez les hommes, ils ont estimé que 42% des cancers de la prostate, 42% des cancers du rein, 73% des cancers de la thyroïde et 58% des mélanomes (dont 22% de mélanomes invasifs) étaient surdiagnostiqués.

Malgré une  relative incertitude autour de ces estimations concédée par les auteurs eux-mêmes, ce résultat équivaudrait à un surdiagnostic représentant environ 18% des diagnostics de cancer chez les femmes, et environ 24% des diagnostics chez les hommes en Australie en 2012, autrement dit on arrive à environ 11 000 cancers chez les femmes et 18 000 cancers chez les hommes surdiagnostiqués chaque année en Australie.

Les taux absolus de surdiagnostics étaient les plus élevés pour le cancer du sein et le cancer de la prostate en raison de leur prévalence de référence (taux de nouveaux cas + taux de cas déjà présents) plus élevée.

 

Les causes

 

La population vieillit certes, mais les programmes de dépistage sont les grands pourvoyeurs du surdiagnostic. En dehors du dépistage systématisé, il y a aussi un surdiagnostic possible lors d’examens réalisés non liés au cancer trouvé ; par exemple un cancer de la thyroide découvert fortuitement lors d’examens d’imagerie non liés à la thyroïde, ou les découvertes fortuites de cancers du rein lors d’imageries scanographiques abdominales effectuées pour d’autres causes.

 

Les problèmes

 

Le surdiagnostic est important à connaître et à maîtriser en raison des inconvénients qu’il entraîne en matière de  iatrogénie (pathologie induite par les traitements) et de surcoûts associés.

Les préjudices comprennent l’impact psychosocial des diagnostics de cancer inutiles, tels que le risque accru de suicide chez les hommes après avoir reçu un diagnostic de cancer de la prostate. Les traitements contre le cancer tels que la chirurgie, la radiothérapie, la thérapie endocrinienne et la chimiothérapie peuvent causer des dommages physiques. Les risques pourraient être considérés comme acceptables lorsque le diagnostic est approprié. A contrario, lorsqu’une personne est diagnostiquée inutilement d’un cancer qui n’aurait pas compromis sa santé ni sa vie (définition du surdiagnostic), elle ne peut que subir un dommage à cause du traitement, au lieu de jouir d’un bénéfice d’avoir été détectée.

 

Dans d’autres pays

 

Cette étude est la première à estimer le surdiagnostic global du cancer au niveau national.

Une récente analyse britannique a constaté que l’incidence de dix des vingt cancers les plus courants au Royaume-Uni a augmenté de plus de 50% dans les deux sexes depuis les années 1980. Ces cancers incluaient le sein, le rein, les cancers de la prostate, de la thyroïde et le mélanome, mais aussi les lymphomes non hodgkiniens, les cancers buccaux, cervicaux, hépatiques et utérins.

L’étude ici présentée a estimé le surdiagnostic uniquement pour les cancers présentant une signature épidémiologique typique de surdiagnostic : cancer du sein, de la prostate, du rein, de la thyroïde et mélanome ( c’est à dire la constatation d’un pic d’incidence dès l’instauration du dépistage, mais mortalité peu changée).

Les statistiques britanniques sur le cancer publiées en janvier 2019 montrent des taux de survie très élevés pour les personnes atteintes de cancers à leur stade précoce, fournissant des preuves supplémentaires d’un surdiagnostic probable : survie à 5 ans de 99% pour le cancer du sein de stade 1, 100% pour le cancer de la prostate de stade 1, 100% pour le mélanome de stade 1, 89% pour le cancer du rein de stade 1 et 88% pour le cancer de la thyroïde de tout stade.

NDLR : la survie, souvent mise en avant par l’INCa pour justifier le dépistage du cancer du sein n’est pas un indicateur d’efficacité du dépistage mais un bon marqueur du surdiagnostic. La survie mesure la durée de vie avec un cancer, si le cancer n’est pas destiné à tuer son hôte, comme c’est le cas des cancers majoritairement détectés par dépistage, qui sont de bas stade, la survie ne pourra qu’être importante puisque ces cancers trouvés n’auraient jamais conduit au décès. Plus il y a du surdiagnostic, plus il y a de cancers qui auraient pu être ignorés, et meilleurs sont les taux de survie automatiquement. Le seul indicateur recevable d’efficacité d’un dépistage est la mortalité, plus exactement même la mortalité totale.

 

Conclusion des auteurs

 

Le surdiagnostic du cancer a des implications importantes pour la santé publique.

Premièrement, les taux de surdiagnostics évitables doivent être réduits au niveau le plus bas par des dépistages plus ciblés, plutôt que des dépistages de masse.

Il convient de s’atteler à des stratégies visant à réduire les traitements trop excessifs des cancers de la prostate, du sein et de la thyroïde de bas stade, donc à faible risque.

Une deuxième implication, et peut-être la plus importante, est que les services de santé doivent être attentifs à l’exposition à du surdiagnostic dans d’autres nouveaux secteurs de la santé et les détecter.

 

NDLR : L’Australie a déjà initié un plan d’action contre le surdiagnostic https://cancer-rose.fr/2018/10/15/un-plan-daction-national-contre-le-surdiagnostic-en-australie/

 

NDLR : L’exemple australien devrait nous inciter à revoir à la baisse notamment les campagnes commerciales d’octobre rose qui causent de façon coupable une incitation et un entraînement des foules à la pratique du dépistage de masse, incitant même des femmes en dehors des tranches d’âge à se faire dépister.

 

 

 


🛈 Nous sommes un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Nous agissons et fonctionnons sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.
🛈 We are an French non-profit organization of health care professionals. We act our activity without advertising, conflict of interest, subsidies. Thank you to support our activity on HelloAsso.
Retour en haut