Mythes en médecine, leur réfutation permet-elle pour autant d’installer les faits durablement ?

Dr C.Bour, 24 mai 2020

 

 

Lors de la pandémie Covid-19 que nous venons de connaître, la science basée sur les faits s’est rudement fait maltraiter… La panique générale, la médiocrité médiatique alliées à l’assurance incroyable d’un seul chercheur ont sonné le glas de la recherche sereine des faits, ont proclamé comme miraculeux un traitement sans en avoir la preuve, ont foulé aux pieds le principe du primum non nocere, (d’abord ne pas nuire), qui est le socle même de notre pratique médicale.

Lire à ce propos l’article

Indépendamment des questions de fond, qui ne sont pas notre sujet, ce qu’on constate est que l’urgence d’une situation sanitaire facilite les dérives, les études bâclées mais aussi les prises de positions de personnalités qui ne sont pas au fait des contraintes scientifiques, mais qui veulent imposer leurs convictions.

 

La question intéressante est : même de solides preuves permettant d’enterrer doutes et polémiques ont-elles le pouvoir de mettre un terme à des mythes et des croyances solidement ancrées en médecine ? Et surtout, seront-elles tolérées dans un contexte de maladies graves où le public demande de l’espérance et où la communauté scientifique et les pouvoirs publics préfèrent persister dans une idéologie bienveillante, même si fallacieuse ?

 

 

Parallèle de la situation épidémique avec les mythes véhiculés lors des campagnes de dépistages

 

En tant que collectif tourné vers les problématiques de l’information médicale du public et des interférences d’intervenants non médicaux dans les controverses scientifiques, comme nous les vivons régulièrement lors des campagnes pro-dépistages des cancers, nous pouvons tirer des parallèles avec l’histoire du dépistage du cancer du sein, où les enjeux économiques ainsi que les croyances l’ont emporté sur le raisonnement.

Le public n’aime pas les incertitudes et l’envie incommensurable de venir à bout des grandes menaces en santé permet l’émergence et l’expression immodérée de prometteurs de salut et de guérison.

Comment a-t- on pu imposer ce mantra selon lequel le dépistage est un acte préventif, et que subir des mammographies régulièrement permet de diminuer drastiquement le risque de décéder de cette maladie ?

 

Pour comprendre, un peu d’histoire.

 

Au tout début de l’histoire du dépistage, entre les années 1970 et 1980 et dans diverses villes, comtés, pays ( Norvège, Danemark, Canada, New York, comtés suédois, Malmö en Suède,) des femmes ont été incluses dans ce qu’on appelle des essais, c’est à dire des études qui consistaient à comparer tout simplement le devenir de femmes dépistées contre celui de femmes non dépistées. A l’époque cela pouvait se réaliser, les femmes jusqu’à présent n’ayant jamais été radiographiées au niveau des seins ; on disposait de ce qu’on peut appeler des « cohortes pures ». Et ces premières études comparatives alléguaient une formidable diminution de mortalité grâce au dépistage, on invoquait jusqu’à 30% de réduction du risque de décéder d’un cancer du sein. Présenté ainsi, cette performance apparaissait très plaisante. Au vu de ces résultats, il paraissait intuitivement évident que le dépistage du cancer du sein permettrait un diagnostic plus précoce, des traitements plus tôt et de ce fait une baisse drastique de la mortalité par l’éradication des formes les plus graves.

Mais la science est parfois un colosse aux pieds d’argile et tandis que certains érigeaient de commodes convictions, d’autres chercheurs, plus scrupuleux et suspicieux, enfonçaient les aiguillons du doute dans ce socle de certitudes.

Car en effet il fut vite clair, (cela n’est plus contesté par la communauté scientifique), que ces premiers essais comportaient de bien nombreux biais, c’est à dire des irrégularités dans la méthode, dans la répartition des femmes entre les deux groupes et dans les analyses statistiques. La méthodologie des essais n’obéissait pas aux critères de qualité actuels. Par exemple, certaines femmes dites « dépistées » par mammographie avaient des tumeurs déjà cliniquement palpables ! Même, les résultats publiés de l’essai dit des deux comtés suédois étaient incompatibles avec les données du fichier national suédois. Les résultats les meilleurs avaient été obtenus avec les moins bonnes mammographies, aucun des appareils utilisés alors n’obtiendrait l’agrément pour être utilisé de nos jours.

Tandis que de 1992 à 2000 les publications victorieuses se multiplient avec un relai médiatique et social important, à la fois sur les femmes les médecins et les gouvernements, Gotsche et Olsen, deux chercheurs indépendants nordiques procèdent, en 2000-2001, à une méta-analyse selon la méthodologie du collectif Cochrane indépendant auquel ils appartiennent. Et là, c’est le choc.

(La méta-analyse est une méthode scientifique qui permet de combiner les résultats d’une série d’études sur un problème posé et selon un protocole reproductible, ici : est-ce que le dépistage réduit la mortalité par la maladie. Elle permet une analyse plus précise des données par l’augmentation des cas étudiés afin de tirer une conclusion générale. En regroupant les essais précédents réalisés, on obtenait ainsi des données sur 800 000 femmes.)

Gotsche et Olsen se rendent vite compte qu’aucun des essais réalisés n’est de haute qualité et qu’ils comportent tous des biais, parfois importants. En combinant les meilleurs essais (celui dit Malmö 1, et ceux dits Canada 1 et 2), il apparaît qu’il n’existe aucune différence statistiquement significative de mortalité entre les femmes dépistées et non dépistées. Evidemment, ceci constitue un revirement colossal alors que l’enthousiasme pour ce procédé de santé publique, qui devait régler définitivement son compte au cancer, battait son plein.

Malheureusement pour les chercheurs, ils n’eurent pas l’autorisation de publier leurs résultats parmi les revues Cochrane, et le puissant « breast cancer group » de la Cochrane les contraint d’inclure même les essais biaisés afin d’améliorer les résultats ;  à la suite de longues négociations, et avec inclusion des plus médiocres essais, les auteurs ne retrouvent malgré tout qu’un très maigre et hypothétique bénéfice. Ils ajoutent à la fin de leur publication que les meilleurs essais ne montrent aucune diminution de mortalité, et que l’indicateur « mortalité par cancer du sein » n’est pas fiable. Au sujet de ces tractations qui eurent lieu, lire ici : Du rififi dans le monde de l’évidence

Mais la presse au final préféra retenir la belle histoire d’un dépistage salvateur, comme les sociétés savantes, les femmes largement influencées par une presse dithyrambique, les médecins, les autorités sanitaires….[1]

Pourtant d’autres méta-analyses, l’américaine de l’USPTTF* en 2000 et celle de la revue indépendante française Prescrire en 2006 corroborent ces résultats tout aussi décevants, même avec des tranches d’âge étudiées différentes, des laps de temps d’observation différents et des cohortes différentes.

*groupe de travail des services de prévention des États-Unis composé d’experts en soins primaires et en prévention, qui examinent les preuves d’efficacité pour élaborer des recommandations dans le domaine de la prévention.

Les conflits d’intérêts qui gangrénèrent tout l’historique du dépistage du cancer du sein sont très bien relatés sur le site du Formindep[2] [3], et restitués dans le très complet rapport de la concertation citoyenne (à partir de la page 63).

 

Pour conclure

 

 

La science applique une méthode du doute aux croyances et aux superstitions, et à elle-même aussi, dans les études bien faites.

L’incertitude face à des dangers sanitaires favorise les croyances, les espoirs rassurants d’autant plus que cette incertitude est forte, d’une part sur l’ampleur de la menace elle-même, mais aussi sur les moyens de la contrer. Le premier porteur de bonne nouvelle devient un héros, un sauveur. Tout contestataire raisonnable qui applique sa méthode du doute devient un ennemi public.

Avec l’histoire du dépistage on voit comment les mythes, les idées intuitives, simples à comprendre mais fausses, une fois installés ont la vie dure.

Voilà trois décennies que le mythe d’un dépistage « préventif », « salvateur pour les femmes » perdure après avoir été solidement ancré dans les esprits, régulièrement promu par les pouvoirs publics, l’Institut National du cancer et les autorités sanitaires, valorisé par des personnages publics qui s’engagent pour sa promotion. Les preuves de son inefficacité et pire, de ses effets délétères, sont peu médiatisées, n’ont pas droit de cité ; ceux qui veulent les évoquer et mettre en garde les femmes sont traités de complotistes, d’incompétents, de malfaisants pour la cause des femmes et sont inaudibles pendant les campagnes d’octobre rose.

La crise Covid-19 actuelle aura mis en lumière la fragilité de la science par rapport à la croyance, et a mis en exergue toutes les dérives possibles dès qu’on s’éloigne de la recherche des faits, qu’on agit dans la précipitation, qu’on adhère à des convictions justifiées uniquement par leur caractère réconfortant.

 

Références

 

[1] Tout ceci est relaté d’une part dans le rapport de la concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage de 2016 dès page 51 , voir https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf

Ainsi que dans le livre de Bernard Duperray « dépistage du cancer du sein, la grande illusion » édition Th Souccar, à partir de la page 26

[2] https://formindep.fr/les-cinquiemes-rencontres-du-formindep/

[3] https://formindep.fr/?s=Tabar%2C+Lancet


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