Dr M.Gourmelon, Dr C.Bour
8 septembre 2020
Une étude française de 2016 a prouvé que lorsqu’on donne aux femmes une information un peu plus objective sur le dépistage du cancer du sein par mammographie, elles s’y soumettent moins.
https://www.oncotarget.com/article/7332/text/
On peut traduire le titre de l’article ainsi :
« L’aide à la décision sur le dépistage du cancer du sein réduit le taux de fréquentation : résultats d’une étude contrôlée, randomisée et à grande échelle par le groupe DECIDEO. »
Contexte et méthodes
Cette étude a été menée en 2016 par Aurélie BOURMAUD qui travaillait à l’époque pour L’Institut de Cancérologie de Loire Lucien Neuwirth 1408, Saint Priest en Jarez, France, très investi dans le dépistage comme en témoigne son soutien aux manifestations d’Octobre Rose.[1]
Elle est aujourd’hui professeure associée en santé publique et travaille actuellement à l’unité d’épidémiologie clinique de l’hôpital Robert Debré (Paris) et à l’université Paris Diderot. Ses thèmes de recherche sont la prévention, l’éducation des patients, l’intervention complexe et le parcours de soins des patients.
Le résumé de son étude indique les éléments suivants :
« L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact d’un dépliant d’aide à la décision sur la participation des femmes invitées à participer à un programme national de dépistage du cancer du sein. Cet essai randomisé, multicentrique et contrôlé. »
« 16 000 femmes ont été randomisées et 15 844 ont été incluses dans l’analyse modifiée de l’intention de traiter. »
« Cette étude à grande échelle démontre que l’aide à la décision a réduit le taux de participation. L’aide à la décision active le processus de décision des femmes vers la non-participation au dépistage. Ces résultats montrent l’importance de promouvoir des choix éclairés de la part des patients, surtout lorsque ces choix ne peuvent être anticipés. »
L’introduction explique :
« Les avantages en termes de réduction de la mortalité ne sont pas clairement documentés. Il a été suggéré que les campagnes de prévention devraient passer d’approches persuasives à des approches basées sur l’information et l’autonomisation des femmes en matière de prise de décision»
Pour la réalisation de cette étude un outil d’aide à la décision, DECIDEO, a donc été distribué aux participantes, (http://Outil DECIDEO, en deux langues dès page 7)
« Une aide à la décision, connue sous le nom de brochure DECIDEO, a été développée en suivant les directives internationales pour « l’information et la construction d’outils d’aide à la décision. »»
L’hypothèse de cette étude était la suivante :
« Notre hypothèse était que cet outil d’aide à la décision augmenterait le choix éclairé dans le groupe d’intervention. Nous avons estimé l’effet de cette aide à la décision écrite sur le choix éclairé, en mesurant le taux de participation à un dépistage du cancer du sein dans la population. »
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Nous avons été amenés à nous pencher sur cette étude de 2016, car elle est citée par les auteurs italiens qui ont démontré que manipuler le message adressé aux femmes susceptibles d’avoir recours à la mammographie de dépistage augmente la participation à ce dépistage. Nous avions fait l’analyse de cette étude récemment.(analyse étude italienne)
L’ étude italienne montre qu’une information sur les risques du dépistage réduit la participation des femmes au dépistage mamographique, ce qui est pour les auteurs italiens un réel problème. Ils suggèrent en conséquence de manipuler l’information donnée aux femmes par le biais d’une présentation sélective des effets négatifs (selon eux) à ne pas se faire dépister.
Quels sont les résultats de l’étude de 2016 d’A.Bourmaud et col. ?
« Le taux de participation global à 12 mois (tableau 2), était significativement plus élevé dans le groupe de contrôle : 42,13 % contre 40,25 % dans le groupe d’aide à la décision (p = 0,02). »
Cela signifie clairement que les femmes du groupe d’aide à la décision se sont moins soumises au dépistage que le groupe contrôle.
En d’autres termes, lorsqu’une information est délivrée aux femmes sur le dépistage, elles y ont moins recours. Cette conclusion est capitale.
« Cette étude est la première à comparer une aide à la décision à la vie réelle : le groupe témoin était composé de femmes âgées de 50 à 74 ans, recevant les informations habituelles sur le dépistage. Nos résultats sont cependant conformes aux essais précédents dans ce domaine, qui suggèrent une diminution de la fréquentation suite à la mise en place d’une aide à la décision sur le dépistage du cancer.»
« Nos résultats montrent qu’une aide à la décision, conçue selon des lignes directrices spécifiques, envoyée avec une invitation formelle à participer à un dépistage du cancer du sein, a entraîné un taux de participation plus faible et une diminution du délai de participation pour les femmes qui y ont participé. »
Cela confirme ce que l’ étude italienne récente démontrait : pour augmenter la participation au dépistage du cancer du sein par mammographie, il faut manipuler l’information dans le sens d’une moindre divulgation de la vraie balance bénéfice/risque du dépistage.
Discussion et analyse
A-Analyse de l’outil
De l’aveu même des auteurs, l’outil DECIDEO présente des lacunes, et pas des moindres :
« Une autre limite (de l’étude, NDLR) est que les données récentes concernant le surdiagnostic et le surtraitement n’ont pas été mises en œuvre dans l’aide à la décision. »
Ces éléments à renseigner sont pourtant capitaux parmi les risques du dépistage.
Les données chiffrées de l’outil, (dès la page 8) ne sont référencées nulle part, et, comme dit dans l’introduction, encore une fois de l’aveu-même des auteurs : » Les bénéfices en termes de réduction de la mortalité ne sont pas clairement documentés« .
Pourtant, ce que les femmes souhaitent savoir en premier lieu lorsqu’elles se soumettent à une procédure médicale, c’est si celle-ci peut leur garantir de moins décéder de la maladie et si la procédure ne comporte pas d’effets secondaires majeurs.
Surdiagnostic et surtraitement étant les deux effets adverses majeurs du dépistage, il y a de toute évidence une forme de manipulation par le fait de ne pas communiquer aux femmes ces deux données fondamentales et primordiales pour leur santé et leur bien -être.
Par ailleurs, il est notable que contrairement à ce que laissent entendre les références citées dans l’étude (référence 26 sur les critères IPDAS), cet outil distribué aux participantes de l’étude ne répond en rien aux critères IPDAS.
Les critères IPDAS sont des items bien spécifiques auxquels l’outil doit impérativement répondre pour garantir une information de qualité.[2] La mention du surdiagnostic et du surtraitement en est ainsi un impératif absolu.
Nous nous étions, à ce propos, déjà émus des manquements dans l’exhaustivité et la qualité de l’information de l’Institut National du Cancer lui-même dont c’est pourtant la mission.[3]
B-le problème éthique
Dans cette étude, comme dans celle italienne, les auteurs ont une interrogation qui ne manque pas de surprendre : « le dépliant DECIDEO décourageait les femmes âgées, ainsi que celles dont le revenu moyen du ménage est faible, de participer au programme national de dépistage du cancer du sein. »
« Les femmes ayant un niveau d’éducation plus faible auraient pu avoir des difficultés à comprendre l’aide à la décision. Ces deux phénomènes pourraient expliquer en partie l’effet du dépliant DECIDEO sur ces populations spécifiques, des études supplémentaires étant nécessaires pour confirmer cette hypothèse. »
Cette hypothèse avancée par les auteurs, semble tout droit sortie de leur manque de connaissance du milieu social des femmes modestes auquel s’ajoute, nous semble-t-il, des « croyances de classe ».
En effet, Il y a un aspect qui n’est pas du tout abordé ni seulement évoqué par les auteurs, mais que tout médecin de « terrain » comprend très vite pour peu qu’il offre une oreille attentive aux patients les plus socialement et économiquement démunis. Les femmes de faibles revenus, et même en général les populations de niveau socio-économique défavorisé, n’ont pas des problèmes de compréhension si rédhibitoires que les auteurs du groupe DECIDEO le sous-entendent, si tant est, évidemment, qu’on s’efforce de mettre l’information médicale à leur portée.
En revanche ces population redoutent bien plus que d’autres la maladie. En effet le fait de tomber malade les paupérise et les ostracise encore davantage ; les femmes qui ont des métiers peu rémunérateurs s’affolent de perdre cet emploi souvent ingrat, et d’être privées d’un revenu indispensable à la famille. Les emplois de ces femmes requièrent souvent un engagement physique (ménages, emplois à domicile, ouvrières) ; elles savent qu’elles n’auront plus les aptitudes professionnelles qu’on exige d’elles après certains traitements, et elles craignent d’être encore plus déconsidérées comme des « malades » à la charge de la société. Des études complémentaires pourraient le démontrer, mais en interrogeant simplement ces personnes économiquement faibles, le diagnostic apparaît évident pour expliquer leur moindre compliance aux recommandations de dépistages, de toutes sortes d’ailleurs.
L’interrogation-même sur le fait de devoir délivrer une information honnête risquant de diminuer la participation nous paraît peu éthique, car l’obligation d’informer loyalement et complètement est inscrite dans la loi.[4]
« Dans ce grand essai clinique randomisé, nous avons observé que l’aide à la décision DECIDEO entraînait une diminution de la participation au dépistage du cancer du sein, bien qu’elle accélérait la décision d’y assister, pour les femmes qui y participaient. Ces résultats suggèrent que cette brochure a atteint son objectif principal qui était d’éclairer le processus décisionnel.
Nous croyons que nos résultats mettent en évidence le dilemme entre les objectifs des initiatives de santé de la population et les choix individuels. »
Conclusion
Cette étude est passée inaperçue.
Et pour cause, elle prouve que plus l’information délivrée aux femmes concernant le dépistage du cancer du sein par mammographie est exhaustive, moins ces dernières participent au programme de dépistage organisé mis en place et promu par les structures étatiques.
Et encore, nous sommes surpris que le formulaire DECIDEO, loin de répondre aux normes IPDAS d’information exhaustive sur le dépistage, obtienne de de tels résultats en terme de réduction au recours au dépistage.
Plus les femmes sont informées, moins les campagnes d’incitation comme celle d’Octobre Rose peuvent les toucher.
Le recours au dépistage n’a pas de preuves solides d’effet sur la réduction de la mortalité, comme énoncé d’emblée dans l’introduction :
« Les avantages en termes de réduction de la mortalité ne sont pas clairement documentés [10-13]. Il a été suggéré que les campagnes de prévention devraient passer d’approches persuasives à des approches basées sur l’information et l’autonomisation des femmes en matière de prise de décision. »
Il faut donc arrêter de vouloir persuader les femmes à tout prix de se faire dépister, arrêter de manipuler à ce point les outils de soi-disant d’aide à la décision ; il faut au contraire les informer pour leur permettre de prendre une décision éclairée.
Ce n’est rien de moins que les conclusions de la concertation sur la mammographie de dépistage de 2015.[5]
Au final, une chose assez amusante à relever est que même avec un outil d’aide à la décision biaisé, comme l’est DECIDEO, les femmes sont bien difficiles à berner et à envoyer à un dépistage auquel, décidément, en dépit des tromperies et des incitations roses, elles n’adhèrent pas massivement…
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Il nous apparaît donc évident que, comme la concertation citoyenne de 2015 l’a demandé, et en accord avec les preuves scientifiques toujours plus nombreuses sur l’inefficacité du dépistage mammographique, ce dépistage organisé du cancer du sein par mammographie doit être arrêté en France.
Lire aussi notre précédent article sur la manipulation des femmes, véritable sujet scientifique.
Références
[1] https://www.icloire.fr/wordpress/icln-octobrerose2018/
[2] https://cancer-rose.fr/2020/01/22/faisabilite-dun-outil-daide-a-la-decision-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein-a-la-francaise-selon-les-criteres-ipdas/
[3] https://cancer-rose.fr/2020/01/02/david-contre-goliath-qui-informe-mieux-les-femmes-cancer-rose-ou-linca/
[4] loi obligation d’information dans le code de la santé publique https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006196409&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20180522
[5] https://cancer-rose.fr/concertation/ et https://cancer-rose.fr/2016/12/15/nouvelles-du-front-premiere-manche/
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