désescalade des soins : plus de décision partagée et pondération des recommandations

Identifier les recommandations pour arrêter ou réduire les soins primaires de routine inutiles

Résumé Dr C.Bour, 15 septembre 2020

September 14, 2020 « Identifying Recommendations for Stopping or Scaling Back Unnecessary Routine Services in Primary Care »

https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/article-abstract/2770724

Un étude de Eve A. Kerr, MD, MPH ; Mandi L. Klamerus, MPH; Adam A. Markovitz, BS; et al

Eve A.Kerr est professeur de recherche en médecine interne à la faculté de médecine de l’Université du Michigan,

Elle est membre élue de l’American Society of Clinical Investigation et de l’Association of American Physicians, membre de l’American College of Physicians et membre et responsable de la mesure de Choosing Wisdom International. 

Le concept de médecine Less is More[1] [2]est apparu en Amérique du Nord en 2010. C’est une invitation à pratiquer la médecine en ayant conscience des dangers potentiels de la surmédicalisation, en contestant le principe selon lequel davantage de médecine serait gage de meilleurs soins.

En réponse, plusieurs sociétés médicales du monde entier ont lancé des campagnes axées sur le choix et la pertinence des soins(Choosing wisely, «Choisir judicieusement» [3]) et demandent à ce que soit discutée avec les patients l’utilité de tests, traitements et procédures médicaux.

Alors que le rythme des découvertes thérapeutiques ralentissait à la fin des années 80, l’orientation a été prise non pas vers la recherche d’autres innovations mais plutôt vers l’application plus raisonnable des connaissances existantes. La médecine factuelle (EBM ou evidence based medicine, médecine basée sur les preuves) a vu le jour et c’est le moteur actuel pour atteindre un meilleur niveau de pratiques générales.

L’EBM, qu’est-ce ?

L’EBM repose sur un trépied :

1) l’expérience externe, pour faire simple, les études scientifiques

2) L’expérience interne : ce que nous apprend notre exercice professionnel

3) les préférences et valeurs des patients.

Parmi ces critères les lignes directrices, ou recommandations, font office de standards ayant pour but de faciliter la pratique médicale.

Les lignes directrices sont des sortes de… voies élaborées pour aider les cliniciens et les patients à prendre ensemble de meilleures décisions, et dans un esprit de partage de points de vues, tout cela dans l’intérêt premier du patient. 

Mais…

Les lignes directrices, comme les auteurs de l’article que nous allons analyser le décrivent, agissent généralement dans le sens cumulatif du ‘plus est le mieux‘ . La solution proposée par les auteurs est que les lignes directrices soient remodelées dans le sens d’une désescalade, pour arriver au ‘le moins est le mieux ‘.

Le problème souvent pointé du doigt est que la ligne directrice est le fruit d’un consensus plus ou moins valable arraché parmi plusieurs experts. Les incertitudes sur les processus de santé qui sont analysés par les experts n’ont guère droit de cité et souvent remplacées par l’avis du ou des experts. L’indépendance des experts peut également être sujet de discussion…

Les recommandations qui dictent les décisions aux patients et aux cliniciens peuvent involontairement décourager le réel partage dans la prise de décisions, et inciter à se caler sur la directive, ou au contraire peut entraîner un rejet et une moindre adhésion, selon les valeurs du patient.

Une autre difficulté réside dans la nécessité de ré-évaluer la ligne directrice au fil des nouvelles connaissances sur la balance bénéfice-risques.

Par ailleurs nous assistons continuellement à une incitation à faire plutôt davantage de tests et de traitements, incitation à la fois sociétale, administrative et financière, par rémunération des médecins lors de l’inclusion de patients dans les procédures de dépistages.

Que dit l’étude de Kerr, et quel est son objectif ?

Le constat est qu’une grande partie des soins de santé impliquent l’utilisation convenue et routinière de processus médicaux dans le cadre des traitements de maladies chroniques ou dans le cadre de ce qui est qualifié de ‘prévention’. C’est ce dernier volet qui nous intéresse.

Pour les auteurs il est essentiel d’arrêter ces processus et ces services de santé lorsque les preuves sur leur pertinence changent, ou si les bénéfices ne l’emportent plus de façon aussi évidente sur les risques, comme c’est le cas pour les dépistages. Pourtant, actuellement la plupart des directives se concentrent sur l’escalade de soins et de procédures, et fournissent peu de recommandations explicites pour réduire voire stopper des traitements et des tests de dépistages.

L’objectif du groupe Choose Wisely est de développer une approche systématique, transparente et reproductible pour identifier, spécifier et valider des recommandations de désintensification dans les soins routiniers de premier recours chez les adultes.[4]

Un examen ciblé des lignes directrices et des recommandations existantes a été effectué pour identifier et hiérarchiser les indications potentielles de désintensification. 

On étudie la validité de ces recommandations en fonction de plusieurs items : selon qu’il existe des preuves de haut niveau selon lesquelles la désintensification est susceptible d’améliorer les résultats pour les patients, selon qu’il existe des preuves que des tests et / ou des traitements intenses pourraient causer des dommages chez certains patients, selon au contraire qu’on ne trouve pas de preuve sur le bénéfice de la poursuite et de la répétition de traitements ou de dépistages, selon qu’il y a des preuves que la désintensification est bien  compatible avec des soins de haute qualité.

Au final, dans cette étude, un total de 178 possibilités de désintensifier les services de soins primaires ont été identifiées, et 37 d’entre elles ont été validées en tant que recommandations de désintensification hautement prioritaires. À ce jour, il s’agit de la première étude qui développe un modèle d’identification, de spécification et de validation des recommandations de désintensification pouvant être mises en œuvre et suivies dans la pratique clinique.

Concernant les dépistages, quelles sont ces recommandations de désintensification (désescalade ?)

Il n’y a pas de grande révolution dans ce domaine hormis le fait que dans les recommandation additionnelles données par Choosing Wisely, les cliniciens ne sont plus censés recommander de dépistage du cancer du sein, colorectal, de la prostate ou du poumon sans considérer l’espérance de vie (pas de dépistage si l’espérance de vie est inférieure à 10 ans) et sans considérer les risques du dépistage : surdiagnostic et surtraitement.

Ceci contraste avec les recommandations USPSTF et de American College of Physicians qui préconisent d’office et sans nuance le dépistage avec recommandation forte chez les femmes de 50 à 74 ans, et celles de l’American Cancer Society qui le préconisent dès 45 ans, toutes ces structures ne se préoccupant pas de l’information sur le surdiagnostic ou le surtraitement dans les tranches d’âge recommandées.

Pour le dépistage du cancer de la prostate, sa non-recommandation est rappelée par le groupe Choosing Wisely demandant au minimum une aide pour la décision partagée pour les hommes qui souhaiteraient ce dépistage.

Conclusion

Les lignes directrices axées sur la désintensification proposées par Choosing Wisely, même si timides sur les dépistages, peuvent amorcer ce changement nécessaire permettant aux professionnels de santé à inverser la tendance du ‘toujours plus de soins’.

Mais l’évolution vers le partage de la décision médicale avec les patients ne peut s’opérer, à notre avis, sans une aide active par des outils d’aide à la décision, et sans une volonté de soutien des praticiens par les autorités sanitaires officielles.

Il faut aussi une éducation du public à la santé. Entre les incitations financières (ROSP) envers les médecins et les messages sociétaux de dépister toujours plus (émissions grand public comme « stars à nu »[5] et campagnes d’octobre rose), il n’y a pour l’instant qu’un très timide élan pour la réalisation de ce partage éclairé, trop peu de formations universitaires en ce sens (mais il y a des initiatives locales dans des facultés de médecine), et certainement trop peu de soutiens officiels et médiatiques pour faire comprendre qu’il est dans l’intérêt des patients de revoir nos pratiques vers une désescalade des soins routiniers.

Références


[1] https://www.revmed.ch/RMS/2013/RMS-381/Less-is-more

[2] https://cancer-rose.fr/2020/05/26/le-defi-de-la-mise-en-oeuvre-de-less-is-more-medicine-une-perspective-europeenne/#_edn1

[3] http://www.lessismoremedicine.com/blog/tag/choosing+wisely

[4] https://www.irdes.fr/documentation/syntheses/soins-de-sante-primaires.pdf Les soins de premier recours comprennent : – la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des patients ; – la dispensation et l’administration des médicaments, produits et dispositifs médicaux, ainsi que le conseil pharmaceutique ; – l’orientation dans le système de soins et le secteur médico-social ; – l’éducation pour la santé.

[5] https://cancer-rose.fr/2020/02/06/ah-mais-quelle-aubaine-ce-cancer/


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